Chapitre II. De la condition postmoderne aux constructions postmodernes
p. 45-73
Texte intégral
1L’allégorie de la Crise renvoie à la condition de la société britannique contemporaine à la fin du xxe siècle, mais également, et de manière métadiscursive, à l’appareil littéraire et critique postmoderne qui tente d’en rendre compte. Ce dernier, tel que le roman d’Amis le désigne, pose que l’époque contemporaine est caractérisée par la dégradation systématique de tous les repères et de toutes les valeurs due à une crise du lien symbolique. Pour ce discours dans sa dimension la plus pessimiste, la conscience de la séparation du sujet avec le monde, liée à l’impuissance des mots à créer du lien entre le sujet et l’objet, conduit à une mise en doute de la capacité des discours traditionnels à produire de la vérité et du savoir.
2Mais l’une des caractéristiques du discours postmoderne est justement qu’en postulant l’inanité d’une position d’autorité discursive fondée sur la vérité ou le savoir, il se met lui-même en cause dans sa capacité à énoncer quelque chose d’un savoir sur les rapports entre signe et monde. Du fait qu’il dénonce toute tentative de positionnement externe à l’idéologie dominante comme illusoire1, il implique que lui-même ne saurait défier la doxa dans laquelle il est pris. Si le caractère arbitraire du signe implique que tout discours est pris dans une construction, dans un système de conventions nécessairement idéologiques2, alors le discours post-moderne lui-même en est prisonnier. Dès lors, une définition du postmodernisme « pure » de toute scorie idéologique, c’est-à-dire une définition qui se donnerait comme vérité du savoir sur le postmodernisme, est illusoire. C’est cette contradiction interne au postmodernisme qu’exhibe Amis en faisant travailler de manière critique la figure de l’allégorie, et en déclinant le discours postmoderne de la crise selon ses différentes modalités, par une mise en scène de son aspect pluriel, voire hétérogène. L’allégorie que London Fields construit fait retour sur elle-même pour devenir critique d’une part, et d’autre part, ce retour a des conséquences sur la définition de l’objet qu’elle s’est choisie.
Le postmodernisme de la faillite des grands récits
3Pour Jean-François Lyotard, le postmodernisme est caractérisé par la crise des grands récits permettant de donner sens à l’expérience humaine. À la suite d’une interrogation sur les conditions du savoir à la fin des années soixante-dix, Lyotard conclut que l’époque contemporaine se caractérise par une crise du récit3. Ceci doit être compris dans le cadre du conflit entre la science et le récit dont Lyotard dit qu’il existe depuis toujours. La science a toujours cherché à montrer que les grands mythes n’étaient que des fables. Elle a tenu à légitimer son discours par la construction d’un métarécit qui n’est autre que la philosophie. Lyotard définit la modernité comme la période à partir de laquelle les sciences ont tenté de construire des discours d’auto-légitimation, ou métadiscours. Les exemples cités sont la dialectique de l’esprit, l’herméneutique du sens, l’émancipation du travailleur, ou la création de richesse. Si la modernité caractérise donc l’époque de la constitution de ces discours, la postmodernité est définie par Lyotard comme la phase d’incrédulité à leur égard. Cette incrédulité est une des conséquences du déclin de la métaphysique, et conduit la fonction de légitimation à se réfugier dans des éléments linguistiques dispersés, dans des micro-récits, des vérités locales, liées à des jeux de langage particuliers qui ne communiquent pas nécessairement entre eux, qui restent hétérogènes. Le savoir de type postmoderne, s’il existe, est un savoir portant sur les différences, le paralogique, l’hétérodoxe.
4Cette fin des métarécits est mise en scène dans le roman d’Amis sous la forme de la métaphore filée de l’entropie généralisée qui touche le monde mais aussi les discours sur le monde :
[Nicola] faisait bon accueil et applaudissait à la mort de presque tout. Cela lui tenait compagnie. Cela voulait dire qu’elle n’était pas tout à fait seule. Une fleur morte, la turbidité désobligeante de l’eau morte, lente à quitter le vase. Une voiture morte à moitié désossée au bord de la route, abattue, démolie, annulée, démontée. Un nuage mort. La Mort du Roman. La Mort de l’Animisme, La Mort du Réalisme Naïf, la Mort de l’Argument esthétique et surtout la Mort du Principe de la Moindre Surprise. La Mort de la Planète. La Mort de Dieu. La mort de l’amour. Cela lui tenait compagnie (LF, 296).
5En liaison avec la mort de l’héroïne, la mort des métarécits est réinterprétée sur le mode ironique puisque toutes les hiérarchies sont abolies entre les différents types de discours dont la spécificité est délibérément passée sous silence. Amis met en effet dans le même tombeau la conception romantique qui voit dans l’art le refuge de la vérité, les discours de type métaphysique, écologique, et des pseudos discours scientifiques, tels le « Principe de la Moindre Surprise ».
Faillite du discours religieux
6Il est vrai que le renvoi à toute instance discursive supérieure pouvant fonctionner comme règle ou modèle est invalidée dans le roman, aucune forme de discours donnant sens à l’expérience humaine n’est valorisée comme détentrice d’un savoir, le récit religieux est d’ailleurs lui-même invalidé dans la mesure où le renvoi à une transcendance garante de la subjectivité classique et de son rapport au monde est tourné en ridicule par Nicola Six qui fait de Dieu son esclave sexuel. Le divin est certes présent, mais sous la forme d’un amant ridiculisé, petit Godot victime de son attirance désespérée pour l’héroïne, contraint par ses obsessions sodomites à faire non l’ange, mais la bête :
Il avait couché avec elle une fois, rien qu’une. Elle l’avait fait pour Lui montrer ce qu’il perdrait pour des siècles et des siècles. Au lit, Nicola Lui avait fait commettre un acte d’une double noirceur : la bête à deux dos. Et puis plus jamais. Dieu avait pleuré dans la rue devant son appartement (LF, 121).
7Dans un roman où « God » est le nom promotionnel du barman décrépit du « Black Cross », le pub autour duquel se déroule la narration, on voit comment l’écriture encode la fin de la possibilité d’une croyance dans un garant d’ordre transcendant.
8Dans cet univers privé de toute forme d’autorité transcendante, Nicola Six peut affirmer la toute puissance de l’individu et de son bon plaisir, en l’occurrence le sien, et renvoyer Dieu en enfer :
Quand Dieu se mettait en colère il devenait un Dieu jaloux. Il dit que si elle ne cédait pas au moins une dernière fois, il se laverait les mains de la planète entière. Il avait d’autres planètes, merci bien, et dans de meilleurs quartiers de l’univers.
Il promit la peste, la famine, des vagues de deux kilomètres de haut, des vents à la vitesse du son, et la terreur, une terreur omniprésente et incessante, entraînant des flots de sang jusqu’au genou. Il menaça de la rendre vieille et de la laisser comme ça pour toujours. Elle lui dit d’aller se faire foutre. […] Je suis au- delà de Dieu. Je suis la Cause immobile (LF, 133).
9Dieu est mort, signant la fin de ce qui garantissait l’existence du lien entre signifiant et signifié. Dès lors, tous les débordements sont autorisés, à commencer par la transgression de l’interdit de l’inceste, lorsque l’enfant terrible Marmaduke finit par remplacer son propre père dans le lit de sa mère :
Marmaduke fit un pas de côté, avec solennité, et Guy entra dans la chambre. Le petit garçon le suivit, puis dépassa tranquillement son père pour rejoindre le côté du lit, là où Hope était étendue, sur une montagne de coussins. […] Marmaduke se tenait là en caleçon. Puis ça aussi il l’enleva. Il grimpa dans le lit.
– Maman ?
– Oui, chéri.
– Maman ? Aime pas Papa.
– Non, certainement pas.
– Bien.
–…Au revoir, Papa (LF, 450-451).
10La transgression de l’inceste n’est qu’un premier pas vers le dérèglement généralisé qui favorise l’émergence d’individus peu recommandables :
Le père du Shah était simple caporal dans l’armée avant qu’il ne fasse son coup d’état. De la vraie racaille, Keith. Le Paon était prolétaire de naissance. Tu vois ce que je veux dire ? Tout ça c’est une question de volonté et de hasard. N’importe qui peut percer. Toi aussi tu peux le faire (LF, 199).
11Lorsque la Loi n’est plus respectée, et que le pouvoir appartient à celui qui le prend de force, la violence est monnaie courante, et paraît même banale.
Par-delà le bien et le mal, fin de la Morale
12Si pour le narrateur-écrivain le meurtre est chose désirable : « Ceci est l’histoire d’un meurtre. Il ne s’est pas encore produit. Mais il ne va pas tarder, (il a tout intérêt) » (LF, 1), en revanche la bonté et l’amour sont hors de propos, étranges et déplacés en cette fin de xxe siècle : « Et une histoire d’amour (je crois), aussi bizarre que cela paraisse, si tard dans le siècle, si tard dans cette foutue journée » (LF, 1). Le ton est donné : l’univers qui se donne à lire dans le roman ne se repère pas par rapport aux catégories du bien et du mal. Le meurtre y est une valeur et l’amour une surprise assez désagréable. L’éthique personnelle y est en crise, conséquence du désancrage du sujet classique :
[Guy] fit la queue pour téléphoner, ou plutôt se battit pour téléphoner, l’idée de faire la queue, tout comme celle de traverser-dans-les-clous, ou celle de faire passer les-femmes-et-les-enfants d’abord, ou de laisser-les-toilettes-comme-on- espère-les-trouver-en-entrant, ayant relâché leur emprise à temps pour le millénium (LF, 364).
13Les valeurs traditionnelles étant en crise, le relativisme règne, et le meurtre représente une chance s’il peut servir à quelque chose. Dès l’incipit du roman, la voix narrative associe la violence du crime avec la chance, car pour le narrateur- écrivain, la violence représente une aubaine : « C’est également une histoire de meurtre. J’ai tellement de chance que je n’arrive pas à y croire » (LF, 1). La violence sert la logique utilitariste de Marmaduke, qu’elle arrive même à calmer :
La violence supérieure omniprésente suggérée par la chair et le mortier dans la rue avait un effet adoucissant sur Marmaduke, qui espérait peut-être glaner quelques tuyaux pour une utilisation ultérieure (LF, 364).
14La violence s’intègre dans une perspective utilitariste amorale. Certes, les personnages s’abstiennent parfois de commettre des délits, mais uniquement pour des raisons pragmatiques, et les scrupules leur sont totalement inconnus. Par exemple ce que le texte désigne par « embrasser et raconter », c’est-à-dire, dans le cas de Keith Talent, ses nombreuses aventures extra-conjugales, est perçu comme déplacé à proportion des ennuis qu’elles attirent à leur auteur : « Il savait que ce n’était pas bien. Ça il le savait ! Il pouvait dire que ce n’était pas bien parce que ça n’arrêtait pas de lui créer des ennuis » (LF, 167).
15De même, lorsqu’il s’agit du viol, la peur des conséquences judiciaires, et non l’interdit de la transgression, est le seul élément qui puisse mettre un frein aux pulsions des personnages :
La difficulté particulière que God, Shakespeare et Keith rencontraient avec les filles était la difficulté suivante : ils les violaient. Ou ils les avaient violées. […] et ils ne le faisaient plus. Ils pouvaient contrôler leur agression. Mais la principale raison pour laquelle ils ne le faisaient plus était que le viol, en termes juridiques (et Keith l’exprimait dans les mêmes termes) n’était pas une putain de blague : on ne pouvait plus en sortir gagnant, pas avec cette connerie d’ADN. Les belles années étaient terminées (LF, 168).
16La seule raison pour laquelle Shakespeare et Keith renoncent à leur vice est purement pragmatique, il s’agit de la peur d’aller en prison. Le tout est cautionné par le regard ambigu du narrateur. En effet, le commentaire sibyllin : « Les belles années étaient terminées » qui suit le passage, séparé par un point de ce qui constitue une citation des mots de Keith est attribuable aussi bien à Keith Talent qu’au narrateur. S’agit-il d’une reprise au style indirect libre des paroles de Keith, qui continueraient ainsi de tisser le discours pragmatique du jouisseur ? Ou bien s’agit- il, ainsi que la séparation par un point semble le suggérer, d’un commentaire du narrateur lui-même, qui cautionnerait de façon ironique l’absence de remords de Keith ?
17Que l’injonction biblique « tu ne tueras point » soit réécrite par le narrateur en un « tu tueras ton prochain » sur lequel se clôt le roman, nous fournit des éléments de réponse à cette question. Dans le monde que met en scène Amis, la violence est non seulement indifférente, mais elle est même désignée comme souhaitable, puisqu’elle est le nouveau siège de la sagesse. Ainsi, le délit est légitimé par son accession au statut de concept :
En attendant, et acceptant toujours le risque d’une défaite sur l’oché (car après tout, il s’agissait de fléchettes, et le jeu était ce qu’il était), la situation de la triche exigeait un réajustement, de l’audace, de l’intuition. Keith devrait tricher plus, plus tôt et plus dur que les autres, et de façon générale, il faudrait qu’il étende tout le concept de triche (LF, 113).
18On peut dire qu’avec le roman d’Amis « s’accomplit une traversée des catégories dichotomiques du Pur et de l’Impur, de l’Interdit et du Péché, de la Morale et de l’Immoral4 ». Le bon et le mauvais finissent par se confondre lorsque la violence extrême est intégrée dans une logique utilitariste et justifiée par les services qu’elle peut rendre : « Ainsi quand on lacérait le pédophile avec un rasoir passé en contrebande on ne faisait que montrer aux copains quel bon père on était » (LF, 80).
19Il est à cet égard caractéristique que dans London Fields, Keith ne montre jamais aucun remords, et commette toujours ses infractions avec la même obstination. Personnage jouisseur, il se place en marge de toute loi autre que celle de son bon plaisir :
Mais il la quitta, il la quitta définitivement, après qu’elle eut rameuté la police cette fois-là, quand Keith lui rendit visite une nuit, avec quelques copains. D’accord il était tard (il se rappela avoir éteint les phares de la voiture en chemin) et ok, un certain nombre de choses furent prises (en substance, des biens, de l’alcool et des libertés), et ça prit mauvaise tournure à un moment quand ils se mirent à faire la queue derrière lui. Mais hurler si fort que les voisins en appelèrent les poulets : ça c’était traître. […] Keith était toujours dans un état de violente indignation quand il revint avec la camionnette et les copains (les mêmes) et se mit amèrement à dépouiller la maison (LF, 113).
20La violence est légitimée par le bon plaisir du sujet et devient judicieuse, soumise aux intérêts d’un Keith Talent cambrioleur qui essaie d’obtenir la combinaison du coffre dans lequel ses victimes ont dû enfermer leurs économies : « Il fallut que Keith donne un certain nombre de claques et de bourrades judicieuses et qu’il tire quelques poignées de cheveux » (LF, 250).
21La violence utilitaire provoque même le rire lorsque l’expédition organisée par Thelonius pour cambrioler une épicerie de quartier se donne sur le mode de la farce : « Toute l’affaire avait été une farce dès le début » (LF, 246) et du jeu de hasard : « Thelonius était un criminel de comédie de toute façon, porté par une veine farcesque » (LF, 181). Il faut rappeler à ce point que le délit annoncé par la narration comprend tout de même la torture, étant donné que la tentative de cambriolage conduite par Thelonius et Keith chez un couple de commerçants d’origine polonaise qu’ils découvrent, au premier étage, alors qu’ils pensaient trouver la maison vide, se prolonge par une scène où les malfrats essaient de faire avouer aux propriétaires l’endroit où ils cachent leurs économies :
Thelonius leur fit tout subir avec des larmes de supplique enragée dans les yeux. Quelle vie, n’est-ce pas ? La fatigue, les désagréments, l’impopularité encourus, et rien qui tourne jamais parfaitement rond (LF, 250).
22Le discours pseudo-philosophique sur la dure vie du cambrioleur fait de la représentation de la torture un moment de comique textuel, fondé sur le décalage entre ce qui est perçu comme la réalité extraordinaire de la situation par le lecteur et les plaintes et les gémissements du narrateur qui évoquent la banale conversation de café du commerce. Lorsqu’à ce décalage entre une situation décrite et la façon dont elle est perçue par un personnage, s’ajoute une mise en scène mécanique et répétitive, l’effet produit est fortement comique :
Comme il commençait à frapper Peggy, le frère de Peggy, Micky, rentra à la maison et commença à frapper Keith. Quand Keith expliqua pourquoi il frappait Peggy, Micky cessa de frapper Keith et commença à frapper Peggy, avec l’aide de Keith. Quand ce fut fini, les choses prirent un tour quelque peu déplaisant (LF, 106).
23La cruauté devient même source de ratiocination, quand, avec l’inversion des rôles du bourreau et de sa victime, Keith se met à souffrir du regard des deux Polonais qu’il est en train de torturer alors que ces derniers supportent la torture avec philosophie :
Quant à eux, soyons justes, les Polacs s’en tirèrent bien, sans plainte excessive, semblant considérer que tout l’épisode était essentiellement de la routine. Keith croisa, et endura avec patience leur regard d’intense reconnaissance, qui n’avait rien à voir avec le fait de mettre un nom sur un visage mais qui vous sondait pour voir exactement qui vous étiez (LF, 250).
24La voix narrative entre donc également pour une bonne part dans le brouillage des repères moraux, brouillage typique de l’univers désaxé que présente le roman, puisque la justice (« soyons justes ») est placée du côté de la résistance à la douleur, ce qui contribue évidemment à légitimer la violence de la torture. L’exercice de la violence est d’ailleurs désigné comme un accident ou une maladie qui laisseraient des séquelles, comme une vilaine grippe, non pas chez celui qui en est la victime, mais chez celui qui en est l’auteur :
La vérité était qu’en plus de ses malheurs habituels Keith souffrait des effets secondaires liés au délit violent. On peut presque l’entendre dire, en guise d’explication maussade : « il se trouve que je souffre des effets secondaires liés au délit violent ». Le délit violent a des effets secondaires, et ils sont pénibles (LF, 246).
25Non seulement les rôles de bourreau et de victime sont inversés par la narration, mais le fait de présenter la violence comme relevant de l’accident ou de la maladie, gomme totalement la responsabilité du personnage violent. Cette amoralité fonctionne comme un indice de la modernité : « Comment cela se fait-il ? Rappelez-vous : moderne, moderne. Car tout rendait hommage à l’indifférence de Keith. Au fait que Keith se foutait de tout » (LF, 59). Célébré dans son abjection même, Keith paraît incarner un prolétariat ironiquement porteur de lendemains pas toujours chantants.
Grandeur et décadence du proletarius : Marx en question
26On pourrait penser dès lors que le texte d’Amis constitue une bonne mise en scène fictionnelle de la thèse marxiste, puisque la figure de l’Apocalypse revisitée par Amis revêt la forme de la Révolution Prolétarienne, qui voit la consécration de Keith Talent, emblême du prolétariat. En effet, il est bien annoncé dans le roman que les pauvres s’apprêtent à orchestrer une grande révolution pour faire valoir leurs droits :
Et n’oublions pas le second avènement, tout autant attendu, avec une confiance tranquille. Pas si tranquille, en fait. Dans la rue, les pauvres se balancent d’avant en arrière et de gauche à droite, comme des pleureuses. Et leur regard est de glace (LF, 118).
27Mais avec le sacre du personnage de Keith Talent comme anti-héros du roman, Amis semble procéder au couronnement des anti-valeurs de la grossièreté et de la bêtise. Ainsi, le texte semble renvoyer à la fin du métarécit marxiste, même s’il le fait d’une manière extrêmement caricaturale. En effet, le métarécit marxiste qui annonce la libération du travailleur par la révolution prolétarienne est tourné en dérision par Amis. Certes, la société britannique contemporaine représentée dans London Fields souffre de l’héritage d’une structure de classes, ainsi que pourrait l’analyser une critique d’orientation marxiste :
La classe ! Et oui, ça existe encore. Formidable longévité, contre toutes les conjectures historiques. Quel est son problème, à cette vieille, vieille saloperie ? La lutte de classe ne sait tout simplement pas s’arrêter. Un holocauste nucléaire, à mon avis, ne pourrait même pas l’entamer. Rampant dans des chiottes iodées, vestiges de l’Angleterre, les gens continueraient à s’interroger sur les accents et les petits doigts en l’air, les noms de jeune fille et la différence entre un canapé et un sofa, la bonne façon de manger un cafard en société. Allez ! Vous commencez par la tête, ou par les pattes ? (LF, 24).
28Le système de classes est à l’origine de la création du trio des personnages principaux du roman, chacun ayant sa place bien définie dans la société britannique :
Inconsciemment ou non, c’était la classe qui avait poussé Keith à faire intervenir un troisième acteur dans ses rapports avec Nicola Six. C’était la classe qui avait poussé Keith à faire intervenir Guy Clinch (LF, 24).
29Guy et Nicola, représentants des classes dominantes, tiennent le haut du pavé, alors que le prolétariat est représenté par Keith Talent :
Bien sûr, il était arrivé à Guy de sympathiser avec des gens comme Keith. Dans le quartier de la bourse. Mais les gens comme Keith dans la City portaient des complets à dix mille francs et des bracelets de montre en platine et arboraient des cartes de crédit en uranium. Le week-end ils naviguaient sur leur yacht ou enfilaient une veste rouge, montaient à cheval et s’en allaient chasser le lapin ou la belette. Ils collectionnaient les vins (au déjeuner ils vantaient en roucoulant leurs Pomerols et leur Gevrey-Chambertin), ainsi que les premières éditions modernes (on les entendait souvent parler de ce que La Lettre du nouvel an ou Un train pour Istanbul pouvaient coûter de nos jours). Ils n’étaient pas pauvres, comme Keith. Keith avait des poignées de billets de cinquante francs, des rouleaux de billets de cent et des paquets de billets de cinq cents pliés en deux. Mais Keith était pauvre. Toute sa personne en attestait. Et c’était pourquoi Guy l’honorait et avait pitié de lui et l’admirait et l’enviait (et c’était aussi la raison pour laquelle, pensait-il parfois, il en était vaguement amoureux) : parce qu’il était pauvre (LF, 91).
30Mais Keith Talent, désigné comme « le pauvre » du roman, est un représentant bien indigne du prolétariat : « Je veux dire, je ne suis rien, moi. Je ne suis qu’un couillon » (LF, 93). Il se rapproche plus de la pègre que de l’honnête prolétaire : il possède tous les vices, ou presque :
Keith Talent était un sale type. Keith Talent était un sacré sale type. On pouvait même dire qu’il était ce qu’il y a de pire. Mais pas « le » pire, pas le pire des pires. Il y en avait de pire que lui (LF, 4).
31D’ailleurs, si Keith appartient à la catégorie désargentée de la population, c’est non parce qu’il ne gagne pas d’argent, mais parce qu’il en perd trop : « Keith gagnait trois fois plus que le Premier Ministre mais il était toujours fauché, car il perdait beaucoup chaque jour à Mecca, chez le bookmaker qui se trouvait sur Portobello Road » (LF, 6). Le rôle qu’il tient au sein de sa famille relève du stéréotype machiste, puisque Keith « agit au nom de la masculinité » (LF, 24) lorsqu’il bat sa femme, l’injurie copieusement, la trompe, et ne daigne pas s’acquitter des tâches ménagères :
Bien sûr, il avait déjà une dame, petite Kath, qui lui avait récemment donné un enfant. Globalement, Keith avait favorablement accueilli la grossesse. C’était, ainsi qu’il aimait le dire pour plaisanter, un moyen bien commode d’envoyer sa femme à l’hôpital. […] Emmailloté de bleu, bébé rentra à la maison, accompagné de la mère. Keith en personne les aida à descendre de l’ambulance. Comme Kath commençait à laver la vaisselle, Keith s’assit près de la cheminée volée et regarda le nouvel arrivant en fronçant les sourcils. Il y avait quelque chose qui clochait chez ce bébé, quelque chose qui clochait terriblement. Le problème c’est que ce bébé était une fille (LF, 6-7).
32L’occupation principale de Keith est de regarder la télévision :
Au début de l’été, alors qu’il complétait (avec beaucoup de peine et de difficulté) le formulaire d’inscription aux Duoshare Sparrow Masters, la compétition de fléchettes entre pubs dont il remportait maintenant la finale avec tant de brio, Keith réfléchit en se torturant pendant plusieurs jours avant de remplir la rubrique passe-temps'. […] Finalement, il sonda son âme une dernière fois, et, appuyant sur son bic jusqu’à ce que ses phalanges deviennent blanches, écrivit télé (LF, 54).
33Lorsqu’il n’est pas devant son écran, Keith peut être trouvé au pub le plus proche, occupé à boire plus que de raison. Bref, le personnage de Keith Talent apparaît comme un concentré caricatural de vices, comme un simulacre de prolétaire à l’image de l’époque dans laquelle il vit.
Un monde dévoré par le simulacre
34La thèse provocatrice de Baudrillard est que « l’univers, et nous tous, sommes entrés vivants dans la simulation, dans la sphère maléfique, même pas maléfique, indifférente, de la dissuasion : le nihilisme, de façon insolite, s’est entièrement réalisé non plus dans la destruction, mais dans la simulation et la dissuasion. […] J'analyse la deuxième révolution, celle du xxe siècle, celle de la post-modernité, qui est l’immense processus de destruction du sens, égale à la destruction antérieure des apparences. Celui qui frappe par le sens est tué par le sens. […] Nous sommes à l’ère des événements sans conséquences (et des théories sans conséquences) 5 ».
Prolifération des masques
35Dans London Fields, tous les personnages prétendent, jouent, simulent : « Il fronça le sourcil. Elle rit. Il ébaucha un sourire. Elle fit la moue. Il fit un large sourire. Elle tressaillit. Allez : personne ne fait ça.. Sauf quand on fait semblant. Seuls les bébés tressaillent et plissent le front. Nous autres nous faisons juste semblant avec nos semblants de visages » (LF, 241). Les simulacres d’expression et de sentiment deviennent, dans le cas de Nicola Six, simulation d’un personnage qu’elle joue avec de plus en plus de difficultés :
Pendant que, affichant une expression de commisération rêveuse, elle serrait d’une main frêle son manteau de fourrure contre elle (heureusement il faisait froid ce jour-là), et parlait de ses luttes spirituelles au couvent, seule l’idée du porte-jarretelles à paillettes et de la culotte fendue, et du déploiement de lingerie qu’elle portait en dessous, empêchait Nicola de s’affaler sur le banc, les jambes écartées, et de dire : « Oh, j’en ai marre de tout ça. C’est un mensonge. Ne faîtes pas attention ». Il fallait qu’elle maintienne une discipline d’actrice. Cela ressemblait à la quinzième répétition avec quelque vedette incapable qui n’arrêtait pas de se tromper dans ses répliques (LF, 122).
36Ancienne actrice professionnelle, Nicola possède de nombreux déguisements :
Combien de tenues pouvait-elle y trouver ? L’avocate passionnée. La gardienne de prison perverse. Les femmes bourreau avaient-elles jamais existé ? Une énergique amazone, peut-être, la panga relevée (LF, 299).
37Mais ces rôles finissent bientôt par dévorer la réalité du personnage tout entier6. Lorsque Keith Talent la complimente sur sa capacité à mener double jeu, en la comparant à line actrice, celle-ci rétorque : « Oh, mais je l’ai réellement été, Keith » (LF, 175). Sa capacité à simuler est grande, et talentueuse : « artiste de la scène, artiste du mensonge, bonne artiste des larmes, et remarquable artiste du pieu, elle était également une artiste » (LF, 191). Toutefois le sujet se perd dans ce dédale de personae, et lorsqu’il s’agit de jouer la comédie hors scène, les tirades apprises à la Drama school font parfois irruption à mauvais escient. Ainsi, lorsque Nicola veut persuader Guy Clinch de son innocence en simulant la virginité, elle n’est pas loin de se tromper de texte, et de proclamer : « Je suis enceinte » au lieu de : « Je suis vierge ». Nicola disparaît dans la logique du simulacre qu’elle met en œuvre. Sa fonction finit alors par englober sa réalité, et elle devient pur fantasme masculin, produit intégral de l’imagination pornographique machiste : « Je suis une figure des fantasmes masculins. […] Vous devriez me voir au lit. Je fais tous les trucs que les hommes lisent dans les magazines et les livres érotiques ».
38Le masque qu’Amis met en scène est essentiellement simulacre, c’est-à-dire qu’il « part de l’utopie du principe d’équivalence [du signe et du réel], part de la négation radicale du signe comme valeur, part du signe comme réversion et mise à mort de toute référence7 ». Il évacue le référent, et sa prolifération finit par désigner un simili de société, dans laquelle plus rien n’est vrai, plus rien ne fait sens si ce n’est l’absence de sens. La circulation des faux qui se fait librement dans le roman, véhiculés par une société entière, et plus particulièrement par Keith Talent avec ses faux parfums, ses faux billets, et ses faux talents de plombier, finit par se constituer en allégorie des temps modernes :
La triche était toute sa vie. La triche était la seule chose qu’il connaissait. Peu de gens étaient encore très riches, de nos jours, mais c’était clair qu’ils étaient plus stupides que jamais. Le vieux désir de faire une bonne affaire avait survécu dans un monde où il n’y avait plus de bonnes affaires ; il n’y en avait plus. Indéniablement on pouvait encore bien gagner sa vie en faisant ça, en trichant. Pourtant personne ne semblait avoir réfléchi aux conséquences d’un monde dans lequel tout le monde trichait. L’autre matin, Keith avait acheté cinq cents flacons d’Outrage, le parfum qu’il vendait. Au déjeuner il s’était aperçu qu’ils étaient tous remplis d’eau, substance qui n’était pas tellement meilleur marché qu’Outrage, mais plus difficile à vendre. Keith était content de s’être déjà débarrassé de la moitié de la cargaison auprès de Damian Noble à Portobello Road. Puis il examina les billets de cent de Damian à la lumière : ils étaient tous abominablement faux. Il refila les billets sans trop de problèmes, en échange de vingt-quatre bouteilles de vodka qui, ainsi qu’il s’avéra, contenaient un liquide trouble et vaguement odorant. Outrage ! (LF, 113)
39Cette société semble d’autant plus vouée au simulacre qu’en proliférant, les faux tendent à évacuer la réalité, ainsi que le montrent les fausses traces de dégradation sur la voiture de Mark Asprey qui simulent une usure inexistante afin de rebuter les cambrioleurs éventuels :
Du dernier cri, la voiture s’efforçait d’atteindre un état d’invisibilité grise comme la pierre. Même ma curiosité fut perçue comme hors de propos et embarrassante. De manière caractéristique, on trouve des traces d’indentation en trompe- l’œil, une tache de rouille amovible sur le capot, et des rayures de clé adhésives sur toute la carrosserie. Stratégie bien anglaise : ne pas susciter l’envie (LF, 3).
40Comment distinguer le vrai du faux lorsque les notions de copie et d’original sont remises en cause par la substitution au réel des signes du réel ? C’est ainsi que Jean Baudrillard définit en tout cas notre ère, « ère de la simulation qui s’ouvre par une liquidation de tous les référentiels8 ».
La pornographie
41En cette fin de siècle hantée par les faux, les jeux de rôles et de masques sont eux-mêmes galvaudés, remplacés par la vidéo pornographique.
– Regarde !, dit Keith en montrant de manière enfantine, avec le doigt replié. Juste en dessous d’eux, une gouttière à moitié à l’ombre, de l’eau s’était amassée et était restée. Des poules jouaient dans cette eau. C’est comme… Keith sourit avec tendresse. C’est comme des poules qui jouent dans l’eau.
– Comme des poules qui jouent dans l’eau, Keith ?
– Vous savez. Des filles. Qui jouent dans une piscine.
– Ah oui. Nicola réfléchit au genre de vidéos sur lesquelles Keith devait mettre la main de temps en temps (LF, 128).
42La pornographie est le dernier refuge de l’Art, ainsi que le montrent les réactions de Keith aux vidéos très particulières tournées par Nicola :
Et puis cette vidéo. Bon Dieu. Keith avait été - et il continuait de l’être - profondément touché. L’éclairage, la qualité de la réalisation, et tout simplement le professionnalisme. […] Il avait senti, en fait, ce moment de suspension plein de promesse qui accompagnait toute rencontre artistique (LF, 289).
43Seule la pornographie est capable d’éveiller l’appréciation artistique de Keith Talent, car elle est le dernier refuge de la catharsis, puisqu’elle laisse son spectateur en larmes. Elle seule peut encore susciter le discours esthétique réservé d’ordinaire à la critique cinématographique, car elle se préoccupe essentiellement non pas de réel, mais de représentation : « le voyeurisme du porno n’est pas un voyeurisme sexuel, mais un voyeurisme de la représentation et de sa perte, un vertige de perte de la scène et d’irruption de l’obscène9 ». Avatar dégradé de l’art, la pornographie est essentiellement commerciale, et d’autant plus pauvre qu’elle est soumise aux diktats de l’écran de télévision, sans lequel elle ne peut être visionnée. Mais dans le roman d’Amis, elle est ironiquement triomphante et finit par être le seul dépositaire de certaines vérités délicates : « Tout le monde se masturbe tout le temps. En général, la littérature refuse d’endosser la responsabilité de cette vérité, si bien que c’est la pornographie qui doit en rendre compte » (LF, 67). La pornographie est ce que le narrateur de London Fields place lui-même à l’origine de l’écriture du roman, puisqu’il avoue n’avoir fait que copier les journaux intimes de Nicola, dans lesquels il s’est plongé avec une jouissance de voyeur, plagiant avec délice « une main adorablement grasse et féminine, le chaos, une intelligence menaçante » (LF, 26) dont il observe le travail avec une honte crapuleuse : « Cela me fit rougir de culpabilité pornographique » (LF, 26). La pornographie, comprise comme une « modalité d’écriture qui tue le désir en bouchant le manque par un surplus d’images10 », se caractérise par l’absence de médiation du signe. C’est pourquoi, en cette fin de siècle où la mimesis a pris conscience de ses limites, elle guette toute tentative de transmission du réel :
Guy avait grandi à une époque d’atrocité médiatisée ; comme tout le monde, il avait vu trop d’images de morts avec leurs tristes arrangements, leurs postures pathétiques. Mais on ne pouvait pas voir le Cambodge, cette nation torturée, dont les souffrances redoublées prenaient place derrière un rideau noir ou une porte qui se refermait d’un coup sec. Cette obscurité semblait avoir un effet pornographique sur l’imagination concernée (LF, 215).
La télévision
44Derrière l’hégémonie de la pornographie se profile celle de la reine des simulacres : la télévision. Car si les atrocités cambodgiennes sont à classer dans le registre pornographique, c’est en raison de la façon dont elles sont masquées d’un côté et exhibées de l’autre, lorsqu’elles sont présentées d’en haut, par satellite télévisuel :
On ne pouvait tout simplement pas échapper à l’excitation des voix qui parlaient du Cambodge. Guy lui-même avait reçu des copies des photographies prises des satellites et avait vu la silhouette morte : le rayon de miel en diagramme était de toute évidence un paysage fait de crânes humains à perte de vue. Lui aussi ressentait cette excitation, cet afflux de virilité adolescente, qui dans son cas se transformait vite en un détachement nauséeux. Les massacres par satellite : la mort humaine telle qu’un dieu pourrait la voir (LF, 215).
45L’image satellite, version aseptisée d’un monde dont la réalité s’est perdue en chemin, règne sans partage sur l’imaginaire des personnages, et conduit à vider le référent de son sens.
46La télévision est la nouvelle référence de la fin du xxe siècle. Ainsi, le personnage de Nicola Six, dans les rôles de composition qu’elle tient pour séduire Keith Talent, ne cherche en aucun cas l’imitation parfaite du réel, mais l’imitation du « réel » tel qu’il peut être télévisé. Dans le rôle de « tenancière de bordel à Monaco » qu’elle veut jouer à Keith Talent, elle vise la ressemblance avec le personnage tel qu’il pourrait être vu à la télévision : « Elle voulait ressembler à une tenancière de bordel à Monaco après une rude semaine pendant la première année fiscale de sa retraite anticipée, ou quelque chose d’approchant, comme on pourrait le voir à la télé » (LF, 267). Ce n’est pas à la représentation d’une réalité vraisemblable que l’actrice aspire, mais à l’imitation d’une imitation elle-même galvaudée. Le monde télévisuel est devenu l'alpha et l'oméga dans le monde contemporain devenu siège de la précession des simulacres11. Ainsi la diégèse ne fait plus vivre les personnages sous nos yeux, elle les représente en train de « télévivre ». Pour eux, la réalité n’est plus perçue qu’à travers la petite lucarne de l’écran. L’action se déploie au rythme de la télécommande que manie Keith Talent lorsqu’il visionne les vidéos pornographiques de Nicola, « avec l’avance rapide et l’arrêt sur image et un peu de ralenti sur la fin » (LF, 169). Dévorée par le simulacre, la réalité portée au texte tente de ressembler à un produit télévisuel, d’où sa soumission aux nécessités d’un cadre, semblable à celui formé par les quatre côtés de l’écran. Keith, qui passe son temps devant la télévision, finit par ne plus être capable de goûter la beauté féminine si celle-ci ne vient pas s’inscrire dans le cadre d’un écran. Les thrillers médiocres qu’il regarde l’intéressent essentiellement en vertu de la nudité féminine qu’ils exhibent. Cependant cette nudité elle-même se doit d’être encadrée par de la lingerie, comme par les quatre coins d’un écran de télévision : « pourtant, quand elles sont juste nues, ça ne suffit pas. On a besoin de quelque chose pour — pour les encadrer » (LF, 166). Pour Keith, la télévision constitue bel et bien l’ultime référence, parce qu’elle est l’unique réalité : « “la télé”, pensa-t-il, ou : “la réalité moderne” ou : “le monde”. C’était le monde de la télé qui lui disait ce qu’était le monde » (LF, 55). La télévision est le « passe-temps » favori de Keith, il faudrait d’ailleurs plutôt dire l’alpha et l’oméga de son univers puisque ce dernier se calque sur l’univers télévisuel : « C’était le monde de la télé qui lui disait ce qu’était le monde réel » (LF, 55). Par un phénomène d’osmose, Keith finit par ressembler à cet écran qui lui brûle les yeux en permanence :
Ses yeux possédaient un éclat étrange — l’espace d’un instant cela vous faisait penser à l’éclat de la santé. […]. Bien que fréquemment injectés de sang, son regard semblait perçant. En fait, la lumière en jaillissait. Et ce n’était pas plaisant du tout ni encourageant, cette splendeur à sens unique. Ses yeux étaient la télévision (LF, 9).
47Parce qu’essentiellement télévisuel, le monde de Keith est totalement façonné par les stéréotypes médiatiques. Sa vision des femmes s’appuie sur les vidéos pornographiques qu’il visionne sans se lasser : « Elle en rêve. Elle l’implore. Elle ne demande que ça » (LF, 44). Conformément au stéréotype pornographique, la femme est toujours prête à satisfaire le désir masculin, à condition que l’homme en question ait été touché par la grâce télévisuelle : « Pouvoir tirer son coup avec toutes les serveuses d’Angleterre : pas une femme dans un pub sur terre qui puisse résister à un joueur de fléchettes célèbre, une personnalité connue. […] Passer à la télé » (LF, 54).
48L’information véhiculée par la télévision est ce par quoi le monde est perçu, filtré, ainsi que le déclare le narrateur de London Fields : nous vivons « à une époque d’atrocité médiatisée » (LF, 214), d’où l’emphase mise sur le peu de confiance que l’on peut faire aux images du monde que retranscrivent la télévision et les journaux :
– Ils mentent, dit Kath. Des deux côtés. Cela fait quinze ans qu’ils mentent.
– Qui c’est qui te l’a dit ? dit Keith. Il n’y avait pas mention de cela dans le journal à scandale de Keith. La télé ?
– Je suis allée à la bibliothèque, dit Kath avec légèreté. J’ai lu les vrais journaux. Cela toucha une corde sensible chez Keith.
– Va te faire foutre, dit Keith avec magnanimité – c’était sa manière habituelle de marquer un désaccord occasionnel. Alors qui c’est qui ment à qui ? (LF, 105.)
49Déréalisée par le simulacre médiatique, la réalité apparaît comme un immense texte qui se donne à lire :
L’hubris, Nicola, I hubris. Guy est tout à fait capable de nous surprendre, en particulier si vous êtes concernée. Vous auriez dû le voir aux fléchettes. Un vrai lion. J’étais à demi mort de peur. Bien qu’il me semble maintenant que je n’ai pas fait une lecture12 correcte des événements (LF, 162).
50Victime de l’entropie du sens qui avait présidé à sa déréalisation, cette réalité textualisée devient elle-même illisible :
À une certaine époque je pensais que je pouvais lire les rues de Londres. Je pensais que je pouvais scruter les dénivellations et les passages, les structures de fumée, et en faire plus ou moins sens. Mais maintenant je ne pense pas que ce soit possible. Ou bien je ne sais plus le faire, ou bien les rues sont plus difficiles à lire. Ou bien les deux. Je ne peux pas lire des livres qui sont censés être faciles, faciles à lire. Dès lors, ce n’est pas surprenant que je ne sache pas lire les rues, qui sont, ainsi que nous le savons tous, difficiles : bordées de métal, renforcées, massivement concrètes. Et de plus en plus dures, de plus en plus difficiles. Elles-mêmes illettrées, les rues sont illisibles. On ne peut tout simplement plus les lire (LF, 367).
51La généralisation des procédés médiatiques de communication est en grande partie rendue responsable de cette entropie qui réduit la réalité au tout-signe, qui en fait un gigantesque simulacre, « non pas irréel, mais simulacre, c’est-à-dire ne s’échangeant plus jamais contre du réel, mais s’échangeant en lui-même13 ». Chez les Clinch, les films du petit Marmaduke ont été remplacés par un écran géant qui leur montre l’enfant en un simulacre de version en direct en tous points semblable à la réalité, mais dans lequel celle-ci n’a aucune place : « Après tout, il y avait peu de différence entre les films faits à la maison et le circuit fermé qui leur montrait Marmaduke en train de hurler vingt-trois heures par jour, comme c’était le cas » (LF, 213).
Le simulacre de roman
52Le roman d’Amis fonctionne lui-même selon la logique du simulacre qu’il thématise, à l’image de la réalité télévisuelle dont il dénonce l’exemplarité de façade :
Une réalité exemplaire, dans laquelle tout est magnifiquement et gracieusement relié, où rien ne fait vraiment mal et où personne ne vieillit. C’était de la haute voltige, les artistes couverts de paillettes et en tutu (regardez cette poule !), pratiquée bien au-dessus de la sciure, des épluchures de cacahuètes et des déjections de caniche, tout là-haut, au-dessus d’un filet de sécurité bien tendu et rebondissant nommé 1’« argent » (LF, 55).
53Dans London Fields, en effet, « l’opposition entre original et imitations ne gouverne plus la représentation14 ». En ce sens, il fonctionne moins comme un roman que comme un simulacre de roman. Il maintient l’apparence d’un roman avec ses personnages fictifs, son intrigue imaginaire, mais pour mieux remettre cette apparence en question, pour mieux la déconstruire, pour écrire l’histoire d’un roman « non écrit et impossible à écrire15 ». Le roman, dévoré par l’allégorie du simulacre qu’il met en scène, finit par devenir tout entier « contrefait », thème cher à Martin Amis16. Car ce roman n’est en fait, selon le narrateur, que la copie du journal de Nicola Six qui renvoie lui-même à un autre texte, « Chronique d’une mort annoncée » (LF, 17). Or ce syntagme que le lecteur reconnaît pourtant comme renvoyant à un hypertexte n’est pas cité entre guillemets ni mis en italiques et se donne donc à lire comme faux titre. Dès lors, le rôle de Nicola Six dans la diégèse est de modeler la réalité que London Fields affirme plagier pour qu’elle soit conforme à un texte fantôme :
Elle était dans une drôle de position par rapport à la réalité (bien qu’elle ne s’en soit jamais véritablement rendue compte). Elle l’amadouait pour lui faire prendre une forme dont elle savait qu’elle la possédait déjà, quelque part, sous forme de potentiel fantomatique… (LF, 70).
54Le roman est donc plagiat d’une vie (celle de Nicola Six) elle-même plagiat d’un texte (celui de Chronique d’une mort annoncée) qui n’est pas reconnu comme tel. Ainsi, dans sa propre mise en scène comme double plagiat, le roman d’Amis évacue le texte initial, dont il n’affirme être qu’une simulation.
55De plus, le processus par lequel le patrimoine littéraire passe dans le roman, comporte en son avers un processus par lequel la réalité que prétend transcrire le texte est déréalisée et tournée à son tour en « scénario » ainsi que le montre le chapitre XII, intitulé « Le scénario suivi par Guy Clinch ». Fantomatique pastiche d’un texte qui n’est lui-même qu’un simulacre, London Fields met en scène la « réalité17 » postmoderne selon Jean Baudrillard. Le roman écrit par le narrateur se présente au moins comme une copie au troisième degré dans une mise en abîme vertigineuse de la relation du modèle à sa copie. Or cette copie est à son tour supprimée par Nicola qui brûle le roman écrit par le narrateur, et le remplace par un autre roman dont la fin, écrite par elle, est déplacée par rapport à celle qu’envisageait le roman initial. Dès lors, le lecteur ne sait si l’exemplaire qu’il tient entre ses mains doit être lu comme étant partiellement l’œuvre de Nicola et partiellement celle du narrateur, ou bien si l’ensemble du texte est l’œuvre d’une réécriture de la part du personnage féminin. En effet, les deux derniers chapitres, qui suivent le meurtre de Nicola Six et qui constituent une sorte d’épilogue, révèlent que le texte que le lecteur vient de lire, jusqu’à la page 462, est la version impossible, dans laquelle « les choses ne marcheront pas » (LF, 463), supprimée par Nicola qui y substitue sa propre prose, qui n’est autre que l’écriture de son propre assassinat : « Nicola a détruit mon livre. […] Elle m’a battu » (LF, 466).
56Certes, Samson Young l’écrivain narrateur ne cesse de réaffirmer l’ancrage de son roman dans la réalité. Mais le principe même qui régit la possibilité d’un réalisme semble invalidé, puisque toutes les instances tutélaires ont été mises à mal, et qu’il n’existe plus de caution au processus représentationnel qui postule l’existence d’un signifié. La surproduction de pseudo référentiel qui caractérise le texte a pour conséquence une déréalisation de l’œuvre, qui se met alors à produire de l’anti-réalité. Par là, le roman d’Amis rejoint la catégorie des œuvres dont la fonction relève de la « destruction de l’illusion18 » :
Ce serait agréable de s’étendre sur le plaisir procuré, après toutes ces années, par le fait de s’asseoir pour commencer à écrire de la vraie fiction. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : tout ceci est vraiment en train de se produire (LF, 10).
57La nécessité que ressent le narrateur d’ancrer son récit rocambolesque dans un pseudo réalisme vite démasqué met en scène l’angoisse du pan du discours postmoderne qui associe simulacre et simulation. Cette angoisse porte sur la possibilité que le signifié fasse défaut, que le signifiant se replie sur le rien. D’où l’insistance du roman sur l’impossibilité d’appréhender la réalité : « la réalité se comporte de plus en plus mal, et personne n’en sait rien » (LF, 39). Pire, le référent n’y est pas garanti, quand « les signes du réel viennent se substituer au réel19 ». C’est en effet une réalité autre qui hante la narration, réalité hyperréaliste20, qui met sur le même plan l’original et l’imitation, le modèle et la copie, ce qui a pour effet de l’inscrire dans une logique de simulation :
Dans la mesure où le roman en général est fissuré par une série proliférant d’éléments hétérogènes qui vont à l’encontre de sa cohérence en tant que représentation mimétique, lui aussi tend à devenir simulacre21.
58Pour Keith Talent par exemple, à qui Nicola vient d’offrir Les hauts de Hurle Vent, la littérature est le signifiant du système de classes, et le tout ne renvoie qu’à du simulacre : « Du drame en costume, pensa Keith. Quel vieux tas de vieux couillons. Le système de classe, n’est-ce-pas » (LF, 164). Cette opinion est partagée par le narrateur qui dénonce l’art en général comme art du trompe-l’œil22 : « Mais l’art, c’est ça. Toujours le simulacre, jamais la chose réelle. C’est ça, l’art. » (LF, 131).
59Dans le vortex vertigineux qui, de copie en copie, engouffre toute trace d’original, c’est la distinction entre original et copie elle-même qui est engloutie. Dès lors, si le roman est un plagiat de la réalité ainsi que l’avoue en dernier recours un narrateur qui n’a plus qu’une heure à vivre : « Elle savait que je ne l’estimerai pas digne d’être sauvée, cette chose mauvaise, ce mauvais livre que j’essayais d’écrire, plagiat de la réalité » (LF, 467), alors la réalité elle-même n’a plus qu’à s’écrire en blanc, à l’image de la brochure que Keith Talent donne au narrateur, au début du roman, afin de le faire patienter : « Les deux pages centrales de la brochure étaient vierges. Je la pliai pour la ranger dans ma poche du milieu, par désœuvrement, mais elle s’est avérée depuis être d’une valeur inestimable » (LF, 12).
60Ainsi, le roman d’Amis met en scène le postmodernisme qui pense le simulacre comme « passage des signes qui dissimulent quelque chose aux signes qui dissimulent qu’il n’y a rien23 » en se proposant lui-même, comme simulacre. Car en fin de compte, le narrateur-écrivain de London Fields exerce le même métier que Keith Talent. Expert en « contrefaçon24 », il est le créateur d’un texte qui remet en question la notion même d’original. Le roman d’Amis met ici en scène les conséquences de la logique discursive du postmodernisme de la simulation, qui dénonce l’époque contemporaine comme désertée par la réalité et la vérité : « Cela n’a plus d’importance, ce qu’on écrit. L’époque où cela avait de l’importance est passée. La vérité n’a plus d’importance et on n’en veut pas » (LF, 452). Dès lors est évoquée la possibilité que ce soit « tout l’édifice de la représentation lui-même25 » qui devienne simulacre :
Il a souri. Non, il n’a pas souri. Si un type vous sourit vraiment, de nos jours, vous feriez mieux de le zigouiller avant qu’il ne vous zigouille. Bientôt l’éternuement et le bâillement seront principalement pour la galerie. Même le tic. Elle a ri. Non, elle n’a pas ri. Nous rions en moyenne deux fois par an. Pour la plupart nous avons perdu le rire et nous nous débrouillons en riant faux.
Il a souri.
Ce n’est pas tout à fait vrai.
Tout ceci n’est pas bon à penser, n’est pas bon à écrire. Tout ceci n’est pas bon à écrire (LF, 241).
Suprématie du fiduciaire
61Elevé au statut de grand simulateur, le roman d’Amis se met en scène comme un best-seller, et annonce qu’il cherche avant tout à plaire au plus grand nombre, parce qu’en dernier recours, ainsi qu’il le clame, c’est le capital qu’il entend servir. Le texte ne cesse de rappeler sa subordination à l’économie de marché et au dieu Argent. Seules des motivations purement alimentaires l’animeraient. Le narrateur déclare cyniquement que son roman est un gagne-pain avant toutes choses, qui doit rapporter le « mégafric ». Dès lors, l’enjeu est de fabriquer un artefact propre à attirer un lectorat aussi large que possible. La qualité du produit importe moins que sa diffusion. C’est la valeur marchande du roman qui intéresse le narrateur, ainsi que le montre sa satisfaction d’avoir trouvé « quelque chose d’unifié, de dramatique qui se vendra bien » (LF, 39).
62Tout le travail de l’écrivain consisterait à attirer le lectorat le plus large possible, qu’il s’agit de ne pas effaroucher par un texte trop difficile d’accès, la règle d’or de l’écriture alimentaire étant de proposer au lecteur un univers où il puisse se repérer aisément, que ce soit au niveau linguistique ou culturel. Il s’agira donc de produire du connu, c’est-à-dire du cliché et du stéréotype, dont la narration affirme qu’elle correspond aux vœux du lectorat le plus large, en cette fin de siècle où même les écrivains ne sont pas de grands lecteurs.
63Or pour faire un « best seller » lui permettant de gagner grassement sa vie, le narrateur recommande l’emploi du cliché, ce « supersigne particulièrement fréquent et accepté, facile à utiliser et à comprendre26 » dont Keith Talent se fait le principal porte parole. Grand amateur de sport télévisé, Keith colporte les clichés du journalisme sportif. Qui n’en reconnaîtrait les accents dans le morceau d’anthologie qu’il sert à Guy Clinch lorsque celui-ci l’interroge sur le déroulement d’un match auquel il n’a pu assister ? :
Pendant la première mi-temps les Hammers enfoncèrent le flanc gauche. Profitant de l’espace, la vitesse de Sylvester Drayon allait toujours poser des problèmes pour le numéro deux du côté de l’équipe locale. Avec seulement quelques minutes qui restaient avant le coup de sifflet de la mi-temps, l’ailier noir coupa sur l’arrière gauche et délivra un transversal pénétrant, qui fut converti par Lee Fredge, le frappeur de l’est de Londres, avec une précision au millimètre près. Après la mi-temps les Rangers eurent plus de chance en exploitant leur supériorité en matière de têtes. Les hommes de Bobby Bondavich opposèrent une solide résistance et la question demeura de savoir si les bleus pourraient traduire en termes de buts la pression qu’ils leur faisaient subir. A la soixante-quatorzième minute Keith Spare produisit une passe qui divisa la défense des visiteurs, et Dustin Housely enfonça le but égalisateur. Un match nul semblait être le résultat le plus probable jusqu’à ce qu’une décision de penalty disputée brise l’égalité cinq minutes avant le coup de sifflet final. Ainsi l’équipe de Shepherd’s Bush gagna deux buts surprises à un, et triompha de… de l’équipe dont l’hymne est « je continue à faire des bulles » (LF, 91).
64Même le lecteur profane est à même de reconnaître la prose du commentaire de match de football tel qu’il se donne à lire dans les journaux qui constituent l’essentiel des lectures de Keith27. La rhétorique hypotypique du journalisme sportif est aisément repérable. Semblable à un Léon Zitrone du football, Keith fait vivre la scène sous les yeux de l’auditoire, constitué en l’occurrence de Guy Clinch et du lecteur, par une accumulation de notations spatiales précises permettent de visualiser le match. Les repères temporels spécifiques ancrent fermement la scène dans le référentiel du match. Ces repères deviennent plus nombreux et plus précis à mesure que le commentaire avance, ce qui a pour effet de découper le temps en unités de plus en plus courtes, créant un effet de ralenti qui sollicite l’auditoire par le suspense qu’il crée, suspense lui-même nourri par une question purement rhétorique sur l’issue du match. Or si le cliché est ce pour quoi Keith prend la réalité « cette misère de clichés du journalisme à la pige est ce qu’il voit réellement » (LF, 98), le narrateur lui-même n’hésite pas à en emplir les pages du roman qu’il écrit.
65Le discours du cliché n’est pas seulement mis en scène mais il est aussi réapproprié, et s’inscrit alors de façon plus large dans l’économie stéréotypée de la narration. Le stéréotype, schème collectif outré, « prêt-à-porter de l’esprit28 », est le produit d’un « va-et-vient incessant entre les images logées dans notre tête et celles que divulguent abondamment les textes et les médias29 ». Il est tout naturel que les schèmes stéréotypés abondent dans une narration ou la télévision, reine des médias, est omniprésente.
66Mais ce jeu avec les stéréotypes est d’une ironie mordante, et d’une provocation indéniable, puisque le narrateur écrivain se présente lui-même comme un lecteur d’ouvrages qui, s’ils ne relèvent pas nécessairement du best-seller, se classent résolument du côté du divertissement :
Il y a des choses que je ne vois pas, ou que je ne comprends pas. Le seul écrivain qui me donne un plaisir non feint est P. D. Woodehouse. Et même lui je le trouve un peu trop sérieux (LF, 284).
67Et ce n’est sans doute pas la moindre des ironies si l’écrivain Marc Asprey, avec qui le narrateur échange son appartement et dont les œuvres citées par bribes s’apparentent plus au roman de gare qu’à de la littérature, possède les mêmes initiales que Martin Amis, rangeant du même coup London Fields dans la catégorie des œuvres sans promesses et sans lendemain : « comme tout le monde, je trouve de plus en plus difficile d’ouvrir un livre […] bientôt je serai obligé de me tourner vers les étagères de Mark Asprey (ou les écrits de Mark Asprey), qui n’ont rien de prometteur » (LF, 63) !
68D’ailleurs, les relations du narrateur avec son éditrice relèvent de la pure transaction commerciale et bien qu’ils aient eu des rapports intimes résultant dans la conception d’un enfant, leur discours est hanté par les chèques d’acomptes. Il faut dire que le roman ne cesse de célébrer « la mort de l’amour », en plaçant, sur l’échelle des valeurs, l’amour bien après l’argent et les nouvelles de la crise internationale :
Missy Harter prend le téléphone pour me dire qu’elle a un chèque sur son bureau, de quoi couvrir mes frais pendant quelques mois encore : assez. J’ai dit :
– Dieu merci. Tu as dû rogner sur les coûts. Je suppose que cet appel n’est pas surveillé ?
Exact. Il est vierge.
– Bon. D’autres nouvelles ?
– Sur ce que tu appelles la situation internationale ? Et bien oui. La semaine prochaine : évasion.
– Tu veux dire rupture.
– Évasion, reniement radical.
– Mais c’est terrible.
– Pas du tout. La raison : si nous ne le faisons pas, ils le feront. Allez, au revoir.
– Attends !… D’autres nouvelles ?
– Oui. J’ai une nouvelle pour toi. J’attends un enfant.
– Et j’ai une nouvelle pour toi. C’est le mien (LF, 233).
69Le référent monétaire omniprésent vient même contaminer le langage amoureux : « Je l’ai rencontrée il y a onze ans. Nous nous sentions en sécurité. Plus que cela : nous nous sentions à l’aise. Nous étions à l’aise » (LF, 282). Il apparaît donc que la crise de l’amour déchu de sa valeur positive et humanisante est liée à une crise monétaire, lorsque le narrateur rapproche la froideur de son ancienne muse, du fait qu’il est maintenant totalement désargenté : « Maintenant elle ne veut plus me parler. Mon nom est honni à Hornig Ultrason. Je ne me sens pas très bien, et je n’ai pas d’argent » (LF, 282). Les difficultés financières du narrateur sont au premier rang de ses malheurs, ainsi que le suggèrent les italiques employés pour les désigner, de même que l’enrichissement finit par devenir sa source de jouissance suprême :
Un paquet, apporté par un coursier en uniforme. […] Cela venait cependant de chez Hornig Ultrason.
Il contient les premiers chapitres de mon tapuscrit. Et le plan d’ensemble. Et un chèque. D’engagement. Je ne sais pas comment elle y est arrivée. Mais ça… Je suis conscient de ce que l’art peut être agréable, et l’amour encore plus, la reconnaissance et le pardon dans le regard, la main et sa caresse désirée, le problème du corps et de l’esprit si agréablement résolu. Mais ça, ça, (l’argent tremble entre mes doigts), ça, c’est le vrai bonheur (LF, 327).
70Le frémissement fébrile du chèque dans les mains de Samson Young signale que l’argent a supplanté le plaisir amoureux et le plaisir du texte sur l’échelle des facteurs de jouissance. Le narrateur ne cesse de réaffirmer la vénalité de son but et le moteur économique de son écriture : « J’ai besoin d’encouragement, j’ai besoin de stimulation. J’ai besoin d’argent », et comme tout écrivain désespéré, il est prêt à tout pour vendre son travail, même à trahir son éditeur. Car Samson Young recherche avant tout le plus grand tirage de ce qu’il désigne comme « un petit thriller bien tourné ».
71Si le roman ne vaut qu’en fonction de sa valeur d’échange, les problèmes d’écriture qu’il soulève se posent en termes de liquidité. Aussi le choix d’un style et l’inscription d’une parole se subordonnent-ils au nombre de lecteurs envisageables. Sur l’autel du référent monétaire, c’est la littérarité qui se trouve sacrifiée, puisqu’accusé par son éditeur d’être « un peu trop littéraire » (LF, 160) le narrateur s’empresse de lui promettre des coupes sombres dans un texte dont il estime pourtant qu’il n’est pas particulièrement littéraire, ainsi que le montrent les italiques traduisant son incrédulité, et l’exclamation de surprise qui lui échappe : « Littéraire ? Ciel, vous êtes complètement… Je suis désolé. Je vous demande pardon » (LF, 160). Dès lors, en cette fin de siècle où l’Art n’est qu’un bien de consommation parmi les autres, et où le simple fait d’écrire vous transforme en écrivain (« J’écris. Je suis un écrivain. » (LF, 39) raisonne le narrateur), le crime est le dernier refuge du grand style, et non plus le fait littéraire galvaudé. Les délits répétés de Keith Talent sont les seuls morceaux de bravoure du roman (« ses morceaux de bravoure de gifles et d’étranglements, de combines et d’arnaques, de duperies et d’escroqueries épiphaniques » (LF, 169) semblant indiquer que seul le délinquant en est encore capable.
Déliaison symbolique
72La déliaison symbolique est le produit de la prolifération même de tous les symboles que le roman fait jouer, prolifération qui commence par la coïncidence entre la mort de Nicola Six le jour de son trente-cinquième anniversaire, et l’éclipsé de lune du 5 novembre, jour de la fête de Guy Fawkes, et se prolonge dans la multiplication des allusions à la conjoncture, à entendre comme une double référence à la situation de la fin du xxe siècle et à la jonction de plusieurs éléments, conjoncture des planètes, conjonction du symbole avec ce qu’il désigne :
Guy regarda par le hublot. Le « deuxième contact », ou le premier moment d’éclipsé totale, s’était produit vingt minutes auparavant. […] À ce moment la lune couvrit le soleil en totalité, puis, de manière absolument synchronisée, la couronne solaire plongea sa circonférence dans un bain de lumière. Guy fut abasourdi et tourmenté par l’exactitude de l’ajustement […] Peut-être était-ce la condition nécessaire à la vie planétaire : votre soleil doit être ajusté à votre lune. […] Des fiançailles célestes (LF, 445).
73L’allégorie apocalyptique est limpide, qui prend des tons blakiens (« des feux inoubliables ») pour traduire la coïncidence du symbole avec son objet.
L’incarnation de la course de la planète vers la déflagration nucléaire de la troisième guerre mondiale par l’héroïne Nicola Six, « créature du chaos, monstre einsteinien par excellence30 », n’est qu’une incarnation dégradée puisqu’elle prend la forme de la bombe sexuelle, et métaphorise l’entropie du sens :
Il faut que les choses soient claires à ce sujet : elle avait de grands pouvoirs, de grands pouvoirs. Toutes les femmes dont le visage et le corps correspondent plus ou moins exactement au moule contemporain ont quelque idée de ces privilèges et de cette magie. Durant leur splendeur, durant leur période faste, même brève et relative, elles occupent le centre érotique. […] Et dans le cas de Nicola Six ce désir sexuel était transposé et augmenté de manière fantastique : il lui revenait sous forme d’amour humain. Elle avait le pouvoir d’inspirer l’amour presque partout (LF, 20-21).
74Dès lors, si Nicola Six symbolise le nouveau « trou noir » (LF, 67) ce n’est qu’à la faveur de circonstances fort scabreuses : « C’est ce que je suis, avait-elle l’habitude de se dire tout bas après l’amour. Un trou noir. Rien ne peut m’échapper » (LF, 67). Renvoyant habituellement à l’amour et à la beauté, l’univers stellaire perd ici sa fonction symbolique heureuse et se dégrade en métaphore de la sodomie. Par là, l’ironie amisienne sert un nouveau propos, celui de la remise en question de tous les symboles traditionnels.
75Si le personnage de Nicola semble s’intégrer dans la logique allégorique de la concordance de toutes les catastrophes, ceux de Keith Talent et de Guy Clinch paraissent démentir cette logique. Tout d’abord, Guy invalide le symbole en le prenant au pied de la lettre. Car au moment de concordance planétaire lors de l’éclipse de lune, Guy, assis dans le Concorde qui le ramène vers Nicola Six, tombe sur un passage concernant Enola Gay et Little Boy, noms donnés par Nicola Six à ses doubles imaginaires, qu’il découvre être les noms respectifs de l’avion qui lança la bombe nucléaire sur Hiroshima et de la bombe elle-même. La réaction d’abjection violente de Guy montre bien que jusqu’à ce moment, il s’était refusé à intégrer Nicola à l’allégorie délétère constituée par le roman :
La descente commença. Guy ramassa La Lumière de mille soleils. À la page quarante-six il laissa tomber le livre sur le sol. Il attrapa son sac en papier et l’ouvrit devant sa bouche. Il attendit. Peut-être y avait-il une explication. Peut-être, après tout, était-ce quelque chose de tout à fait innocent… (LF, 445).
76Guy s’avère incapable de lire l’allégorie comme telle puisqu’il ne fait d’autre lecture que la lecture littérale. Inapte à décrypter derrière le personnage de Nicola le symbole de la bombe sexuelle destructrice, le « pigeon » est donc précédé par Keith Talent dans le lit de la belle vénéneuse :
Guy s’avança dans l’impasse, il l’avait appelée de l’aéroport, sans succès. Il ne s’attendait pas à la trouver chez elle. D’ailleurs elle n’y était pas. Il ouvrit la porte d’entrée et grimpa les escaliers. La deuxième clé lui découvrit un monde olfactif qui évoqua à Guy ses années d’étudiant : les caillebotis et les casiers, les toilettes où allaient les fumeurs. Il vit le jeu de fléchettes, la chope d’étain gravée à son nom à lui, Keith. Dans la pièce suivante, par l’étroit couloir, il vit le lit en ruine, le cendrier renversé sur l’oreiller et son contenu sur les draps. Éparses sur le sol se trouvaient de petites flaques brillantes de sous-vêtements exotiques. Il vit les trois bouteilles de cognac vides, le narguilé. Sur la chaise, comme s’ils avaient été préparés la veille d’un jour d’école, le pantalon de brocart et la chemise rouge sur laquelle on pouvait lire : KEITH TALENT — LE VAINQUEUR (LF, 448).
77Mais Keith lui-même, de son côté, fournit un autre élément de brouillage du bon fonctionnement de l’allégorie, parce que, ignorant sans doute la signification du mot éclipse, il ne peut intégrer sa portée symbolique à la concordance finale. Ainsi, l’éclipse qui doit constituer l’un des trois éléments essentiels permettant de clore le roman sur l’éclipse de Nicola, est réduite par lui à une forme tronquée (« clips »), par homophonie : « C’est l’éclipe… L’éclipe… Quels foutus clips ? » (LF, 444).
78Cependant, les personnages rejoignent la logique allégorique car ils fonctionnent de manière tellement stéréotypée qu’ils finissent par perdre toute épaisseur, par devenir des calques de la réalité sociale de leur pays, réduits à l’état de « transparence tressaillante et vacillante » (LF, 41). De fait, cette déliaison symbolique conduit à une remise en question de toute possibilité d’interpréter et vise in fine la mort de l’activité herméneutique.
L’herméneutique en question
79Les commentaires de Nicola Six à propos de la création picturale ravalent la peinture au registre sexuel, ainsi que le montre la lettre qu’elle laisse traîner, par jeu, à l’attention de Guy Clinch :
Cher Professeur Barnes. Je vous remercie pour l’article du Professeur Noble que vous m’avez envoyé. Je suis dans l’obligation de vous dire que je l’ai trouvé erroné et mal argumenté. Je veux bien croire que les artistes ont souvent des relations sexuelles avec leur modèle. Tout le monde sait bien que de telles choses se produisent. Mais ses anecdotes n’aident en rien à éclairer la question de la représentation. J’attendais impatiemment le moment où il allait dire que les portraits de Saskia par Rembrandt (ou bien peut-être ceux de Marte par Bonnard), étaient empreints d’intimité sexuelle, ou reflétaient le désir du peintre de « pénétrer » son modèle, qu’elle soit assise ou debout. Ce genre d’argument mène en général à de grossières spéculations de ce genre. De plus, personnellement… (LF, 145.)
80La lettre commence sur le ton de la satire déclarée, puisqu’elle mentionne deux professeurs illustres dont les noms ne sont autres que ceux qui figurent sur l’enseigne d’une célèbre librairie américaine : Barnes and Noble. Ce n’est pas un hasard si le professeur Noble a été choisi par l’héroïne pour véhiculer le discours rabaissant. Le contenu rédigé par l’indigne professeur rabaisse l’Art et le transforme en obsession sexuelle. Ce qui est symboliquement associé à la noblesse s’en trouve désacralisé d’autant ! Mais à travers cette désacralisation de l’art, ce que vise Amis est l’interprétation symbolique qui a pu en être faite. Car c’est l’enseignement de Freud lui-même qui est porté à la dérision, dans cet exemple, par la réinterprétation grotesque qu’en fait Nicola. Certes, l’hypothèse libidinale postulée comme origine de la création artistique par Freud31 est reprise par l’héroïne, qui montre que les tenants et les aboutissants de cette hypothèse relèvent de la spéculation grossière. L’ironie est très nettement perceptible dans le fait que le vocabulaire pédant caractéristique du début du passage s’inverse très vite, devient relâché, quand il sert l’hypothèse Freudienne. De fait, il suffit au narrateur de retourner la lettre, et au lecteur de tourner la page, pour découvrir qu’au verso, l’œuvre d’art est réduite à bien peu de choses :
De plus, personnellement, j’ai posé pour une dizaine de peintres environ au cours de ma vie, et couché avec la plupart, et cela n’a jamais rien changé quoi que ce soit, ni pour moi, ni pour eux, ni pour ce truc sur la toile (LF, 162).
81La théorie freudienne, devenue freudisme sous la plume d’Amis, est elle aussi renversée, à l’image du retournement bien réel de la lettre, pour mieux exhiber l’inanité de l’interprétation symbolique appliquée sans discernement qui, parce qu’elle pose toujours sur le monde la même grille de lecture, obtient toujours les mêmes conclusions. Ce que vise ici la lettre de Nicola n’est pas l’interprétation psychanalytique en tant que telle, mais son appropriation par un type de discours sur l’art au caractère systématique, qui aplatit la théorie du désir sur l’expérience sexuelle. Ce type d’utilisation du discours psychanalytique est attaqué avec une virulence et une efficacité toutes particulières par Amis car le lecteur a, en cet endroit, tendance à faire coïncider le discours de Nicola avec l’énonciation du roman.
82Et pourtant, dans un ultime retournement ironique, alors même que l’héroïne semblait porter une parole sans ironie, alors même que le lecteur s’apprêtait à la créditer de la prise de position de l’auteur lui-même, elle se met à produire un discours sur la littérature qui, par son obsession interprétative pour la sodomie, court-circuite toute tentative d’identification avec ce qui serait le discours d’Amis. Si les auteurs modernes et postmodernes y sont passés en revue, c’est en fonction de leur intérêt pour cette pratique sexuelle :
Cela commençait, supposait-elle, avec Joyce, qui s’y intéressait clairement : une nostalgie32 trouble. Lawrence aussi s’y intéressait : la terre, le sang, la volonté (certes, et l’humiliation forcée). Beckett s’y intéressait : le désir, d’une simplicité immature (décida Nicola), de faire du tort et si possible du mal, voire des dommages, aux organes sexuels féminins. Quant aux Américains, ils semblaient tous s’y intéresser : avec John Updike, c’était surtout une chose de plus que les êtres humains pouvaient faire, et tout ce qui était humain intéressait John Updike. Chez Norman Mailer on n’avait pas à chercher beaucoup (c’était simplement une façon de passer le temps, en attendant une violence encore plus grande). Philip Roth, avec ce qui doit être de l’ironie farcesque, de l’ironie farcesque salace, y fait référence sous la forme d’ « amour anal ». V.S. Naipaul, d’un autre côté, qui s’y intéressait beaucoup, parle d’une « messe noire du sexe » (LF, 68).
83Dans un premier temps, on peut lire ce passage comme un rabaissement de la littérature du xxe siècle par son rapprochement obsessionnel avec la sodomie. Mais au-delà, ce qui est visé est l’activité de la critique littéraire elle-même, qui, en empruntant la voix de Nicola Six, propose un morceau d’anthologie d’interprétation délirante. La textualisation par Amis d’une activité critique qui ne verrait dans la littérature que son versant d’ordure, vise à dénoncer le discours critique systématique qui supprime la singularité de chaque texte littéraire en les mesurant tous à la même aune de l’analyse des pratiques sexuelles. Le narrateur surenchérit d’ailleurs par une association ouvertement scabreuse qui vient ponctuer le semblant d’analyse littéraire effectué par Nicola pour le passer au crible de l’ironie : « une messe noire sexuelle. Ouais, pour être noire elle est noire. Et un trou noir est une masse, une masse infinie33 » (LF, 68). Pris dans la nasse sonore de la paronomase, le signifiant religieux est aspiré pour disparaître au fond du trou noir de l’ironie amisienne : « C’est ce que je suis, se murmurait [Nicola] après l’amour. Un trou noir. Rien ne m’échappe. » (LF, 67).
Notes de bas de page
1 Joseph Natol et Linda Hutcheon eds., A Postmodern Reader, New York, State University of New York Press, 1993, p. 301 : « Le débat est centré sur la possibilité pour les discours postmodernes pluriels enchevêtrés et délibérément non hiérarchisés, non seulement d’inscrire, mais en même temps de remettre en question, ce que la doxa a de critiquable [...] En bref, le postmodernisme peut-il rester en dehors de la sphère du pouvoir et de l’idéologie dominante ? »
2 Ibidem, p. 299. Linda hutcheon pose la « Question toute postmoderne, formulée de façon postmoderne : si les mots et le monde ne sont liés que de manière arbitraire, si ce que nous disons, si le signe n’est basé que sur les fondations que nous construisons (et que nous avons construites de diverses manières en des lieux différents et à des époques différentes), alors toutes nos représentations, tous nos enchaînements du monde et des mots, ne sont-ils pas “toujours déjà” forgés à l’intérieur d’une construction en puissance ? Cette question maladroite mais réelle est d’ordinaire posée sous la forme de celle de savoir si le postmodernisme est “condamné à dire” ou répéter ce que le pouvoir a déjà institué, dans l’acte même de lier les mots et le monde ».
3 Jean-François Lyotard, op. cit., p. 18.
4 Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, Paris, Seuil, 1980, p. 23.
5 Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981, p. 230-233.
6 Pour Baudrillard, en effet, la simulation se définit en cela qu’elle est différente de la teinte, car elle remet en cause la différence entre le vrai et le faux, l’original et la copie : « La simulation remet en cause les différences du “vrai” et du “faux”, du “réel” et de “l’imaginaire” » op. cit., p. 12.
7 Jean Baudrillard, op. cit., p. 16.
8 Jean Baudrillard, op. cit. p. 11.
9 Jean Baudrillard, De la séduction, Paris, Folio, 1992, p. 48.
10 Josiane Paccaud-Huguet, « De la fiction pornographique à l’errance littéraire : Money de Martin Amis », Études anglaises, T. 50, N° 2, 1997, p. 249.
11 Jean B audrillard, Simulacres et simulation, op. cit., p. 10.
12 C’est moi qui souligne.
13 Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, op. cit., p. 16.
14 John Johnston, The Carnival of Répétition, Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 1990, p. 175.
15 John Johnston, op. cit., p. 175.
16 La forme aboutie du roman comme faux sera développée par Amis dans The Information, London, Harmonv, 1995, dans le plagiat que l’écrivain Richard Tull décide d’entreprendre du roman Amelior écrit par son collègue et rival Gwvn Barry.
17 En cela, le roman d’Amis répond parfaitement à la définition du postmodernisme que donne Linda Hutcheon au début de The Politics of Postmodemism, London : Routledge, 1989, p. 1 : « [le postmodernisme] prend la forme de propositions embarrassées, contradictoires, autodestructrices. Cela revient à dire les choses entre guillemets ».
18 Brian Mc Hale, Postmodernist Fiction, op. cit., p. 221.
19 Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, op. cit., p. 11.
20 La simulation est justement, selon Baudrillard, « la génération par les modèles d’un réel sans origine ni réalité : hvperréel », Simulacres et simulation, op. cit., p. 10.
21 John Johnston,op. cit., p. 177.
22 Je reprends ici l’identification faite entre simulacre et trompe l’œil comme ce qui vient « muer l’apparence vraisemblable en apparence spectrale » par Louis Marin dans De la représentation, Paris, Seuil/Gallimard, 1994, p. 304.
23 Jean B audrillard, Simulacres et simulation, op. cit., p. 17.
24 John Johnston,op. cit., p. 177.
25 Ibidem, p. 16.
26 Michaël Riffaterre, Essais de stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1971, p. 162.
27 Keith ne lit d’ailleurs que ce genre de presse, et ce n’est pas un hasard si le texte nous présente le personnage en train de porter l’un deux, « roulé sous son bras, comme un télescope » (LF, 90).
28 Ruth Amossy, Les Idées reçues, sémiologie du stéréotype, Paris, Nathan, 1991, p. 9.
29 Ibidem, p. 9.
30 Catherine Bernard, « London Fields de Martin Amis, la mimesis revisitée », Etudes britanniques contemporaines, Montpellier, 1992 Déc., n° 1, p. 4.
31 Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, Paris, Pavot, 1965, p. 354 : « Animé d’impulsions et de tendances extrêmement fortes, [l’artiste] voudrait conquérir honneurs, puissance, richesses, gloire et amour des femmes. Mais les moyens lui manquent de se procurer ces satisfactions. C’est pourquoi, comme tout homme insatisfait, il se détourne de la réalité et concentre tout son intérêt, et aussi sa libido, sur les désirs créés par sa vie imaginative ».
32 En français dans le texte. (N.d.T.)
33 Jeu de mots intraduisible sur « mass » qui veut dire la messe et la masse, mais qui se rapproche aussi de « mess » qui veut dire une situation ou une personne dégoûtante et compliquée. (N. d. T.)
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