Voix en quête d’identité. La question du double chez Jaime Gil de Biedma et Luis Antonio de Villena
p. 251-277
Texte intégral
1La réflexion menée à l’occasion de ce colloque me conduira à établir l’existence d’une continuité originale entre les voix poématiques de Jaime Gil de Biedma et Luis Antonio de Villena, au fil de « polyphonies poétiques » passant pas trois textes en vers, apparemment dégagés de toute contingence d’ordre chronologique ou idéologique, mais qui n’en sont pas moins étroitement reliés dans le temps et l’espace créateurs par une même sensibilité, à la source de nombreux aspects thématiques et formels communs. Il s’agit respectivement de : « Contra Jaime Gil de Biedma », et « Después de la muerte de Jaime Gil de Biedma »2, tous deux extraits des Poemas Postumos, publiés à Madrid en 1968 ; puis de « La vida escandalosa de Luis Antonio de Villena », tiré de Hymnica, œuvre composée quant à elle de textes rédigés entre 1974 et 1978.
2Mais il me faut préciser d’emblée que la réflexion dont je parle est née, à son tour, d’une incessante interrogation sur l’écriture poétique, formulée durant de nombreuses années de recherches ; qu’elle s’est développée en termes de voix poématiques en quête d’identité, ainsi que de question du double ou des doubles possibles à partir de mes propres investigations littéraires ; et qu’elle s’est alimentée peu à peu des échos polyphoniques internes résonnants d’accords, ici consonnants et là dissonants, dont il m’a fallu retrouver les notes, entendre le son, avant d’en analyser les subtiles modulations musicales au sein de la production artistique de celui qui a été le centre de tous mes travaux anciens, ou plus récents : à savoir Federico García Lorca. Et sans doute y aurait-il également, dans cette perspective, une filiation d’ordre existentiel, éthique, esthétique, à établir entre le poète de Grenade et ceux qui font l’objet de la présente étude, laquelle conduira au premier point de cet exposé.
1. De l’apparition de la Voix du double en quête d’identité, ou vers le poète-poème Jaime Gil de Biedma.
3Partant pour sa part d’un questionnement répété sur l’écriture poétique avec ses nécessités et ses contraintes, mais aussi ses abysses insondables, lesquelles obligent parfois un auteur à se taire pour de mystérieuses raisons, après lui avoir permis de trouver tout au fond du gouffre une voix capable d’émerger sous sa plume, Jaime Gil de Biedma se pose dès 1950 la question cruciale :
« Quizá hubiera que decir algo más sobre eso, sobre el no escribir. Mucha gente me lo pregunta, y yo me lo pregunto. Y preguntarme por qué no escribo inevitablemente desemboca en otra inquisición mucho más azarante : ¿ por qué escribí ? Al fin y al cabo lo normal es leer. » 3
4Soudain confronté à son impossibilité de poursuivre l’œuvre entreprise (« je n’écris pas » est en effet au présent, à côté du passé simple espagnol « j’écrivis », venu signer l’interruption peut-être provisoire, peut-être définitive de l’activité créatrice), il cherche alors une réponse. Or, face au constat fait, susceptible de rétablir la vérité d’une attitude marquée au sceau d’un refus personnel, à première vue inexplicable, il va en trouver deux, qu’il exprime ainsi :
« Mis respuestas favoritas son dos. Una, que mi poesía consistió – sin yo saberlo – en una tentativa de inventarme una identidad. [...] Otra, que todo fue una equivocación : yo creía que quería ser poeta, pero en el fondo quería ser poema. » 4
5Une fois effectuée la distance avec son art, l’écrivain témoigne avec lucidité de ses prises de consciences successives. Non seulement il révèle l’existence d’un cheminement personnel indissociable de la conquête progressive de son « identité » littéraire telle qu’il la concevait – et la conçoit ; mais encore il en dévoile les méandres cachés, quand il confesse que, contrairement à son intention de départ, il s’est en quelque sorte trompé sur sa vocation première : celle-ci ayant consisté, moins à faire de lui le sujet de l’acte poétique, qu’à le convertir lentement en son objet.
6Or, si du double aveu contenu dans la déclaration citée surgit en second lieu l’idée qu’au-delà même de la genèse du nouveau moi plurifacétique qu’elle suppose, une telle « tentative » a eu pour effet de transformer le créateur, de « poète » qu’il se voulait initialement, en « poème » qu’il est devenu, il est certain que le lecteur trouve aussitôt l’empreinte formelle de cette méprise, accompagnée des preuves graphiques de l’élaboration complexe du processus mentionné, dans chacun des deux titres respectifs ici proposés au commentaire. D’une part, « Jaime Cil de Biedma » s’y inscrit sous les traits d’un personnage identifié à l’image de son auteur, puisque portant son nom ; d’autre part, il y joue un rôle à la manière d’un acteur mis en scène par celui qui le projette soudain en pleine lumière, après l’avoir fait sortir des coulisses où il attendait de faire son entrée. En ce sens, le poète-démiurge montre qu’il a clairement pris ses marques avec une copie conforme de lui-même qu’il est parvenu à modeler sur son propre moule avant de lâcher sa plume, fixant ainsi jour après jour sur le papier son destin de créature théâtralisée dont il pourra dans l’avenir déchiffrer l’aventure artistique, comme n’importe quel lecteur. Toutefois, sa nouvelle condition de duplicata est-elle aussi enviable qu’il y paraît ?
7Car toujours dans les lignes servant de préambule à ses traités en vers, le critique Jaime Cil de Biedma, s’auscultant désormais sous sa forme plus ou moins bien achevée de « poème » « lu » par lui selon l’indication antérieurement mentionnée (« Al fin y al cabo lo normal es leer »), poursuit en ces termes :
« Y en parte, en mala parte, lo be conseguido ; como cualquier poema medianamente bien hecho, ahora carezco de libertad interior, soy todo necesidad y sumision interna a ese atormentado tirano, a ese Big Brother insomne, omnisciente y ubicao - Yo. Mitad Calibán, mitad Narciso, le temo sobre todo cuando le eseucho interrogarme junto a un balcon abierto. »
8A ce stade, la distance établie semble s’être creusée avec une altérité ambiguë dont l’auteur des vers n’ignore pas non plus qu’elle suppose chez lui une dualité le condamnant en tant que « poème », au sort de monstre hybride à l’identité en permanence conflictuelle : « partie » à présent divisée d’un tout irrécupérable, comme dans Le Banquet de Platon, après l’accomplissement du châtiment divin qui avait justifié le fameux Mythe d’Aristophane5.
9A l’écho symbolique du sort réservé à l’être, jugé trop orgueilleux, sectionné par Zeus, celui du protagoniste est dorénavant envisagé sous le signe de la « part » imprimée d’une personnalité fragmentée qui ne saurait plus trouver la justification cohérente de son existence artistique dans une unité totalisatrice de départ. Il ressort en outre qu’aucune réconciliation n’est plus à attendre de l’être tronqué avec lui-même, au cours d’une recherche de son homogénéité retrouvée, du fait que la « mauvaise part » poétique conservée a été, selon un témoignage complémentaire, préalablement « assumée » dans sa scission même :
« Inventada ya (la identidad), y asumida, no me ocurre mas aquello de apostarme entero en cada poema que me ponía a escribir. que era lo que me apasionaba. » 6
10Nul espoir, ici, d’un retour à l’unité de la nature primitive grâce au miracle d’une écriture conçue comme possible quête de son complément retrouvé ; nulle illusion, non plus, au-delà de la volonté finale exprimée par le créateur de disparaître en tant que créature littéraire progressivement amputée dans ses forces vives, tandis que s’impose en lui, de l’extérieur et de l’intérieur, le seul désir de parvenir au silence définitif.
11C’est donc à travers la représentation de son incomplétude intrinsèque que le « lecteur » de lui-même se contemple et se reconnaît dans ses vers, se regardant comme dans une glace en biseau et faisant face à son double poématique Biedma dont une nouvelle et originale manière d’œuvre chirurgicale apollinienne a modifié les traits. Et c’est dès lors de l’autre côté de ce miroir-poème d’une progressive révélation de soi, que le Jaime Gil maintenant pour toujours prisonnier à l’intérieur des strophes craint précisément d’entendre son autre « partie » dominatrice « l’interroger », « près d’un balcon ouvert ». La silhouette redoutée n’est-elle pas l’incarnation de ce « Grand Frère » « tyrannique » auquel l’auteur des déclarations se sent « soumis » servilement de manière « interne » et dont il cherche apparemment à s’éloigner en le désignant, non plus en Espagnol, mais en Anglais7 ? N’est-ce pas là une manière originale de tenter de lui échapper, en l’évoquant à travers un langage différent, moins directement compréhensible, comme tel capable d’atténuer la portée de la réprimande attendue et crainte par celui qui, de un, est devenu deux, au risque de s’affaiblir pour mieux subir, peut-être, de nouvelles divisions ? Mais n’est-ce pas là, également, une manière très contemporaine d’aborder l’acte poétique grâce à l’intertextualité ? Ou de parler de la créativité à travers un discours différent, dit métapoétique, et passant aussi bien par la présence réitérée des épigraphes que par la recherche de procédés langagiers renouvelés, ou par des techniques multiples de collages linguistiques ?
12Il n’est toutefois pas exclus de considérer que le besoin de faire appel à cette langue étrangère pour évoquer, hors contexte, comme en voix off, le Big Brother cause de terreur, se justifie du fait même que le personnage reflété dans le titre se présente à nous, peu après, avec le visage d’une créature mixte, d’un assemblage hétéroclyte de ces deux « moitiés » évoquées dont l’une renvoie à Caliban, une figure venue tout droit de La Tempête de Shakespeare ; tandis que l’autre fait référence au mythe bien connu de Narcisse. De l’existence du second, viendront d’ailleurs témoigner les derniers vers du poème intitulé « Contra Jaime Gil de Biedma », à travers l’exclamation finale, lancée par la voix qui s’élève teintée du regret de devoir être effectivement livrée à une « servitude » amoureuse en forme de dépendance fondamentalement narcissique :
« Oh innoble servidumbre de amar seres bumanos, / y la mas innoble / que es amarse a si mismo » 8 .
13En ce sens, la fraction-Narcisse du héros semble effectivement correspondre ensuite à la définition préalable relative à la « soumission interne » du « Moi » au « Je » ; tandis que la fraction-Caliban rend ultérieurement cohérente l’intervention de l’Anglais dans certains passages. Ce choix ne porte-t-il pas la marque initiale de la relation dominateur-dominé venue caractériser le protagoniste des deux textes retenus, au fil de son évolution ?
2. De l’évolution de la Voix du double Calibán-Narcisse, dans « Contra Jaime Gil de Biedma » et « Después de la muerte de Jaime Gil de Biedma »
14Mais de l’écho shakespearien, il est bien davantage question encore, à travers la dernière silhouette évoquée, si l’on songe que l’autre « partie » constitutive de l’être-poème-Biedma renoue avec la tradition de ce Gnome monstrueux qui personnifie, chez l’auteur de la Tempête, la force brutale obligée d’obéir à une puissance supérieure symbolisée par Ariel, bien que toujours en révolte contre elle. Or, de ce point de vue, il convient d’abord de s’interroger sur le sens du titre « Contre Jaime Gil de Biedma ». Ouvert sur l’emploi d’une préposition marquant un rapport de tension, celui-ci traduit-il - selon l’impression ressentie à première lecture – l’opposition annoncée de la chose créée « contre » son créateur ? Ou s’agit-il plutôt de signifier par cet intermédiaire grammatical la rébellion menée de l’intérieur par le moi poématique-Caliban, lequel manifesterait ainsi son refus de se soumettre à l’autorité de l’autre : le Big Brorher-Ariel chargé d’incarner, sous le Régime franquiste en train de sévir alors, la nouvelle variante hispanique de la force inquisitoriale jadis chargée, dans le drame classique mentionné, de faire parler sa victime, quel que soit le prix à payer de l’aveu ?
15En fait, le doute ne semble être permis que jusqu’aux premiers vers : « De que sirve, quisiera yo saber, cambiar de piso, / dejar atrás un sótano más negro / que mi reputación – y ya es decir – /poner visillos blancos / y tomar criada, renunciar a la vida de bohemio, / si vienes luego tú, pelmazo, / embarazoso huésped, memo vestido con mis trajes, / zángano de colmena, inútil, cacaseno, / con tus manos lavadas, / a comer en mi plato y a ensuciar la casa ? »9 Car il ressort de leur lecture que la première « personne du verbe » (yo), laquelle s’adresse sans ménagements à une seconde (tú), au demeurant aussitôt envisagée comme invivable, n’est en réalité que la composante prismatique d’une même entité confrontée à sa démultiplication identitaire, ou que la facette ombreuse négativement renvoyée vers son propriétaire de son ennemi juré, lequel, donne l’impression de ressembler trait pour trait au censeur déjà qualifié de « tyrannique » (« atormentado tirano »), comme tel accusé d’être cause de tous les « tourments » d’un double jugé infâme, donc peu à peu livré à son assujetissement.
16Le rejet exprimé au niveau du titre n’est-il pas celui manifesté face à la puissance dominatrice en train de sévir, quand le « je » accuse de tous les défauts, tares et vices, le « tu » auquel il demande à l’arrivée des comptes, rejetant d’emblée la culpabilité sur sa proie impuissante à se défendre ? Et l’interlocuteur anonyme n’est-il pas rabaissé, méprisé, jugé « hôte » indésirable, vu comme un « piqueassiette » capable seulement de vivre aux crochets d’autrui, ou de se comporter comme un malpropre ? On peut le penser, au moment où le « parasite » traité de « casse-pied » et de « faux bourdon » au sein de « la ruche » subit un traitement humiliant, par l’intermédiaire d’un langage excessivement familier voué à modeler le niveau d’expression au moule de l’individu dévalorisé qu’il vient ici caractériser. Au fil de ce faux dialogue en forme de monologue intérieur opposant le partenaire insulté, bafoué, avili, au juge chargé de la question, le lecteur éprouve effectivement l’impression d’avoir affaire à ce Grand méchant Frère préalablement désigné sous les traits du tortionnaire sévissant partout et toujours, non seulement parce qu’il se voit doté du don « d’ubicuité », mais encore en fonction de sa capacité à tout savoir (« omniscient »), ainsi que par l’effet d’une quotidienne privation de sommeil (« insomniaque ») le rendant capable d’attendre jusqu’au petit matin, dans l’espoir de mieux défier celui qui continue à mener une « vie de bohème », à l’heure indue où il rentrera enfin au logis.
17Ne sait-il pas tout de l’autre ? Ne le sait-il pas partout par la pensée, sans pourtant l’accompagner vraiment au cours de son existence noctambule ? Ne reste-t-il pas éveillé toute la nuit, au point de l’entendre rentrer à l’aube, « ivre » et défait ? : « Te acompañan las barras de los bares ¡ últimos de la noche, los chulos, las floristas, / las calles muertas de la madrugada / y los ascensores de luz amarilla / cuando llegas, borracho, y te paras a verte en el espejo / la cara destruida, / con ojos todavía violentos / que no quieres cerrar ; y si te increpo, / te ríes, me recuerdas el pasado / y dices que envejezco »10. Le lecteur découvre ainsi que l’image peu à peu révélée par l’écriture de ces « yeux » furibonds qui refusent de « se fermer », même au point du jour, renvoie dans la glace les traces pernicieuses d’une veille où se reflète d’un côté la jalousie vieillissante, et de l’autre la fête oublieuse des années écoulées, tandis que brillent les éclairs croisés des deux regards masculins dont l’un appartient au gardien zélé et l’autre au condamné en liberté conditionnelle, trop tard de retour. Tel se présente en effet le « Jaime Gil de Biedma »-« poème » : locataire noceur et débauché partagé entre la dérision et la révolte ; mais aussi anti-héros en train de subir la lente mue destinée à le rendre, pour moitié Narcisse et pour moitié Caliban, lors de son affrontement journalier avec un Big Brother capable des fureurs d’Ariel et tenu de triompher de son rival, au terme du combat livré sans trêve « contre » lui.
18Certes, la tentative de subversion subsiste encore, à la fois latente et insidieuse, au-delà du silence imposé par la parole brutale bien décidée à faire taire celui qui finira certainement par ne plus rien dire. En particulier, quand intervient de manière aussi ironique que perfide, avec un éclat de « rire » toujours désarmant pour l’adversaire obligé de l’affronter, le rappel du « passé » provenant d’une ancienne mémoire, avec le soupçon insidieusement formulé à travers elle du passage des ans. Car cette insinuation suggère à son tour celle d’un temps lui-même remonté d’un souvenir fragmentaire, issu tel un lambeau de la pensée d’Anaximandre sous l’arrêt duquel avait été placée l’ensemble de l’œuvre poétique et revenu hanter partout les pages, tel le fantôme en forme de menace de retour au néant : « Donde tuvo su origen, allí es preciso que retorne en su caída, de acuerdo con las determinaciones del destino. Las cosas deben pagar unas a otras castigo y pena según sentencia del tiempo », disait en effet au départ l’exergue retenue à ce stade11. Or cette dette de l’homme au « destin », marquée au sceau d’un éternel retour et dont il lui faudra payer le lourd tribut à force de « peine » et de « châtiment » « selon la sentence du temps », avant la « chute » finale, n’émerge-t-elle pas à présent sournoisement de la scène évoquée, aussi bien dans les vers cités plus haut que dans ceux qui suivent ? Sans doute, si l’on songe que s’impose soudain à travers la présence du verbe « envejecer », le passage ressenti comme insupportable des jours avec ses implacables effets sur l’être ; et y compris si une déclaration préalable de l’auteur souligne de son côté le rôle joué par cet atout, indispensable à la créativité. L’artiste ajoute en effet sur ce point :
« Pero la lentitud tiene también sus ventajas. En la creación poética, como en todos los procesos de transformación natural, el tiempo es un factor que modifica a los demás, Bueno o malo, por el mero hecho de haber sido escrito despacio, un libro lleva dentro de sí tiempo de la vida de su autor. » 12
19Au-delà du ton peut-être faussement détaché de celui qui la formule, cette phrase traduit de toute manière l’idée que si pour le créateur Jaime Gil de Biedma, l’écriture poétique inscrit nécessairement l’oeuvre dans le « temps », celle-ci n’en est pas moins intrinsèquement porteuse d’une durée pleine de la biographie de son auteur, ainsi que des progressives « modifications » inhérentes à l’évolution de ce dernier. En ce sens, « la création » accompagne chacun des moments, c’est- à-dire aussi des poèmes composés, venus constituer autant de phases marquées au sceau d’une existence en marche. Et c’est certainement encore de cela qu’il s’agit, lorsqu’au cours d’une scène de ménage où se déchire un couple désuni, l’affrontement larvé devient en profondeur celui de l’être duel nommé Biedma, homme et artiste à l’allure de personnage divisé, partout en lutte « contre » le temps :
« Podría recordarte que ya no tienes gracia.
Que tu estilo casual y que tu desenfado
resultan truculentos
cuando se tienen más de treinta años,
y que tu encantadora
sonrisa de muchacho soñoliento
– seguro de gustar – es un resto penoso,
un intento patético.
Mientras que tú me miras con tus ojos de
verdadero huérfano, y me lloras y
te prometes ya no hacerlo. » 13
20La véritable difficulté de ces vers vient néanmoins du fait que si l’action de cronos ne saurait être niée chez le poète, en fonction du postulat énoncé (« un livre porte en lui du temps de la vie de son auteur »), ses ravages affectent en outre inévitablement son double, sur la base de la déclaration : « je croyais que je voulais être poète, mais dans le fond, je voulais être poème ». Ce qui suppose par conséquent la manifestation d’effets susceptibles d’affecter aussi bien le Big Brother despote que le Narcisse-Caliban, « tout de nécessité et de soumission interne », dont la résistance masquée derrière un sourire charmeur grondait néanmoins déjà entre les lignes. Voilà certainement pourquoi la partie qui s’exprime à la première personne dans les vers cités et se sent alors violemment attaquée dans ses fores vives quand fuse le trait ironique (« et tu dis que je vieillis »), se dit prête à réagir vigoureusement, sans aller toutefois jusqu’au bout du châtiment, simplement brandi en direction de l’autre partie qui lui tient tête, sous la forme d’une menace conditionnelle (« Je pourrais te rappeler »)
21Disposé à retourner contre la seconde personne l’argument temporel qu’il avait lui-même soulevé mais qui ne pourra désormais que lui nuire dans une perspective narcissique, le « je » ne saurait, pour l’heure oser aller plus loin, face au « tu » que son charme décadent rend provisoirement vainqueur du regard qu’il défie en s’y mirant avec complaisance. Le prétexte avancé de l’âge est en effet à double tranchant. Le lecteur quant à lui sait à quoi s’en tenir, en présence de la silhouette rebelle en train de perdre pied, quand s’impose de l’intérieur, pour elle aussi, « la sentence du temps » (« quand on a plus de trente ans »).
22Alors, au « sourire » venu éclairer le faux rêve d’amour entretenu à force d’effort « pathétique », succède l’impression d’un simple vestige, voire du « reste » pitoyable d’une époque glorieuse de séduction à jamais révolue. De ce point de vue, il est tout aussi vrai que les spectateurs que nous sommes soudain d’une crise affective parvenue à son paroxysme, assistent ici à la lente métamorphose, faite de révolte et de soumission, de l’être mixte Narcisse-Caliban progressivement subdivisé à l’image du couple écartelé qu’il représente, donc de plus en plus obligé de composer entre « la force » et « la faiblesse », les cris et les larmes, la violence et la tendresse :
« De tus regresos guardo una impresión confusa
de pánico, de pena y descontento,
y la desesperanza
y la impaciencia y el resentimiento
de volver a sufrir, otra vez más,
la humillación imperdonable
de la excesiva intimidad.
A duras penas te llevaré a la cama,
como quien va al infierno/ para dormir contigo.
Muriendo a cada paso de impotencia,
tropezando con muebles
a tientas, cruzaremos el piso
torpemente abrazados, vacilando
de alcohol y de sollozos reprimidos. » 14
23Echo d’une union, matrimoniale ou non, à ce stade vécue comme divorce, mais dans laquelle, sans plus pouvoir se supporter, il est toutefois impossible aux époux ou amis de se séparer définitivement, les deux frères ennemis finissent donc par se réconcilier provisoirement, tant bien que mal, et plutôt mal que bien.
24Et tandis qu’au terme d’un voyage « infernal » où « dormir » ensemble paraît être devenu le pire au lieu du meilleur, s’instaure une sorte de consensus à la fois émouvant et lamentable, quand le « yo » et le « tú » vont peu à peu laisser la place à cette autre « Personne du verbe » qu’est le « nosotros » de la conciliation réconciliation conjugale provisoire. Ainsi les deux facettes antagoniques seront- elles poétiquement réunies par l’intermédiaire d’un « nous » pluriel, marquant des retrouvailles douloureuses, car issues d’une ivresse malsaine : « toi » et « moi » rassemblés au sein d’une détresse insupportable, parfois surmontée grâce à l’alcool, ou fruit d’un accord tacite visant à dominer la faiblesse ressentie, avant la reprise des hostilités menant vers la rupture définitive ; « je » accroché au « tu » « impuissant » qui l’aide à marcher « en titubant », ou porté par lui, avec l’espoir de ne pas mourir tout seul. Est-ce hasard, dès lors, si le verbe utilisé pour signifier la dernière étape de ce calvaire partagé, vécu mille fois au quotidien, est « cruzaremos » ?
25À l’arrivée de ce mouvement complexe caractéristique de la créativité très nouvelle et originale de Jaime Gil de Biedma, simultanément auteur et personnage, « poète » en quête d’identité et « poème » en voie d’élaboration au fil du temps intérieur qui le construit, le lecteur comprend mieux pourquoi celui qui, pour une part puissance dominatrice et pour une autre part gnome monstrueux, confessait ainsi au départ « manquer de liberté intérieure », face à la volonté de son auteur démiurge. Mais celui qui lit perçoit aussi plus clairement pourquoi, de résistance en concession et de concession en résistance, ou, selon les propres termes utilisés, de « panique » en « peine », de « peine » en « mécontentement », de « mécontentement » en « désespoir », de « désespoir » en « impatience », « d’impatience » en « ressentiment », de « ressentiment » en « panique », et de « panique » en « humiliation », la fraction Caliban de la force brutale finit semble-t-il par plier, jusqu’à la fois suivante, devant plus fort que lui : à savoir le descendant métamorphosé d’Ariel. De telle sorte que dans l’exemple présent, la facette en révolte apparaît peu à peu neutralisée, obligée d’obéir et de céder le pas à la fraction Narcisse, pour l’heure lucidement triomphante, ainsi que les deux derniers vers le signifient, en conclusion : « Oh innoble servidumbre de amar seres humanos, / y la mas innoble / que es amarse a si mismo ».
26Et ce, en attendant que s’inverse le mouvement, de crise en crise, sur la base des affirmations préalables révélatrices de la connaissance que chacun a acquise de l’autre, dans le cadre de la difficile existence quotidienne : « Si no fueses tan puta ! / Y si yo no supiese, hace ya tiempo, / que tu eres fuerte cuando yo soy débil / y que eres débil cuando me enfurezco... » Car toujours, le visage antérieurement réfléchi dans le vers : « y te paras a verte en el espejo » renvoie au versant colérique dont elle constitue l’envers, l’image du « moi » narcissique plein de la satisfaction de soi-même observé dans le miroir, tandis qu’à la « force » du premier rival résiste « la faiblesse » du second, et que l’irascibilité de l’un se heurte comme un mur à la séduction de l’autre. Mais n’est-ce pas là en outre l’expression d’un combat singulier du « toi » Big Brother « contre » le « moi » Caliban-Narcisse, au cours de la tentative consistant à « s’inventer une identité » littéraire, jusqu’à mort s’en suive de l’un des deux adversaires en lice ? Or, c’est précisément ce qui va se produire dans le second morceau retenu, inséparable du premier dont il est totalement complémentaire au niveau de l’écriture et de la réflexion que celle-ci suppose dans une perspective de créativité identificatrice, tout en allant beaucoup plus loin encore sur l’un et l’autre plan, du moins si l’on se fie au second intitulé :
« Después de la muerte de Jaime Gil de Biedma »
27Ainsi que l’indique en effet clairement ce nouveau point de départ poétique, c’est à une sorte de mise en scène funèbre que nous invite le poète-poème de ces vers, lequel semble nous convier maintenant à une visite mortuaire au domicile du moi défunt, « Après la mort de Jaime Gil de Biedma ». La question, bien difficile en vérité, qui est néanmoins posée à cette nouvelle étape de l’œuvre, est de savoir de quel moi il s’agit exactement, dans la mesure où la quête menée depuis le départ – involontaire nous disait-on, mais faut-il le croire, d’une écriture poétique identitaire (« mi poesía consistió – sin yo saberlo – en una tentativa de inventarme una identidad ») -, vient de déboucher sur une série de duplications complexes, témoignant non seulement d’une lutte entre la volonté d’écrire (« ser poeta ») et celle d’être écrit (« ser poema »), mais encore entre la voix qui s’élève d’un jumeau aux accents tyranniques, et celle que ce dernier cherche à étouffer, elle-même propre à un être hybride de nature monstrueuse, mi-révolté, mi-soumis, parce que sans cesse partagé entre l’attrait de sa propre contemplation « de garçon somnolent - sûr de plaire - », grâce à son « sourire enchanteur », et sa dimension originellement « tempétueuse » qui met sans cesse hors de lui l’héritier du drame shakespearien, prompt à s’éveiller de l’autre côté du miroir de la tendance à l’idéalisation.
28Or, dans le cas présent, il s’avère que le mouvement de dédoublements pluriels antérieurement engagé va prendre le caractère d’une démultiplication vertigineuse des « Personnes du verbe », susceptible de plonger chacun d’entre nous dans un abîme de perplexité. Et sans doute convient-il, pour tenter d’y voir plus clair, de reprendre avec celui qui avait déclaré « al fin y al cabo lo normal es leer », l’activité préalablement interrompue à l’issue de la disparition tragique de son autre lui-même, comme en témoigneront ensuite des vers terribles, lourds de souffrance créatrice. Car au départ du texte, la présence dont s’élève la voix feutrée, au sein d’un décor connu et d’un climat familier, apparaît en possesion d’un « livre », donc en train de faire une « lecture » commencée dans un avant du poème impossible à déterminer, mais qui au-delà de la durée pure exprimée par le gérondif (« En el jardín leyendo »), suppose néanmoins l’existence d’une temporalité en rupture, à l’écho de la séparation provoquée par « la mort » annoncée, omniprésente : une « ombre froide » revenue rôder dans le « jardin automnal » du moi désormais endeuillé. La faucheuse n’a-elle pas déjà accompli son œuvre, auprès de ce Jaime Gil de Biedma dont sonne soudain le glas artistique, dès le second titre en forme de mise en abîme ?
29Voici en tout cas que se renoue d’emblée, au cours d’un temps en marche impossible à retenir, le fil d’une mémoire affective douloureuse, éprouvée un peu à la manière proustienne au fur et à mesure de l’afflux d’anciennes sensations passagèrement récupérées :
« la sombra de la casa me oscurece las paginas
y el frío repentino de final de agosto
hace que piense en ti.
El jardín y la casa cercana
donde pían los pájaros en las enredaderas,
una tarde de agosto, cuando va a oscurecer
y se tiene aún el libro en la mano,
eran, me acuerdo, símbolo tuyo de la muerte » 15 .
30Mais tandis que la première Personne du verbe contribue à faire affleurer peu à peu jusqu’à la surface de la silhouette poétique, restée seule, un passé plein des souvenirs retrouvés de l’ami défunt, la présence autrefois chère, devenue absence difficile à combler, semble annoncer les prémices d’une modification intérieure radicale nécessaire à l’élaboration créatrice future. En effet, à travers la perception subtile des différents signes funèbres resurgis au cours « d’une après-midi d’août » vécue comme rituel de passage, le « je » pressent qu’il est parvenu au seuil d’un nouvel « hiver » marqué au sceau de la division définitive. Aura-t-il la force de le franchir, après être passé par l’expérience « infernale » dont il veut témoigner ici, dans le cadre du retour soigneusement cultivé d’un cycle spatiotemporel correspondant au lent calvaire préalable du double obsédant ?
31En une saison où l’écriture de la mémoire s’efforce de remonter vers un avant de la mort prévue d’un certain Biedma, le locuteur du texte émet un souhait résonnant d’un son rétrospectivement vain : « Ojalá en el infierno / de tus últimos días te diera esta vision / un poco de dulzura ; aunque no lo creo. »16 Ainsi qu’il ressort de cette citation, un autre « enfer », « horrible » (car tel sera ensuite l’adjectif utilisé) a finalement succédé au premier, évoqué dans le poème précédent : « A duras penas te llevaré a la cama, / como quien va al infierno / para dormir contigo ». Le lecteur confronté à la situation suggérée n’est dès lors pas loin de penser qu’il verra peut-être s’appliquer en la circonstance l’autre principe énoncé dans la préface, en fonction duquel : « El mismo incesante tejer y destejer, los mismos bruscos abandonos y contradicciones revelan, considerados a largo plazo, algún viso de sentido, y la entera serie de poemas una cierta coherencia » 17. Or, n’est-ce pas justement cette « cohérence » qu’il conviendrait de chercher d’un texte à l’autre, afin de montrer, par exemple, que la tentative initiale visant à « s’inventer une identité » constitue ici une promesse de renaissance artistique au sens grec de téleutaï ? Car, provoquer la mort du poète-poème revient à opérer une modification radicale chez le créateur en quête de sa voix authentique renouvelée, ou sur le chemin de son renouvellement : c’est-à-dire également parfois vouée au silence d’un après, redevenu avant lui-même générateur d’une parole ensuite tue, puisque tuée.
32Ainsi, lorsque se présentent, avec « la fin de l’automne », les visions renées de « l’été » antérieur à l’agonie de l’autre Jaime Cil, au-delà de sa triste fin survenue un an plus tôt : moment privilégié s’il en est, puisqu’il favorise passagèrement les retrouvailles avec le disparu, après avoir suscité le retour de son « image » : « En paz al fin conmigo, puedo ya recordarte / no en las horas horribles, sino aquí / en el verano del año pasado, / cuando agolpadamente / – tantos meses borradas – / regresan las imágenes felices / traídas por tu imagen de la muerte... » 18. Mais également lorsque reviennent se bousculer dans la mémoire, brutalement sollicitée, les souvenirs des jours heureux ; et que le passage cité laisse entendre de manière sibylline la conclusion d’un conflit sur la nature duquel il convient certainement de s’interroger, à la lueur de la lutte déjà engagée « Contre Jaime Gil de Biedma ».
33En effet, si la « paix » à ce stade connue par le locuteur suppose la fin d’une guerre intestine menée avec l’ennemi de l’ombre désormais enseveli, justifiant ainsi la réapparition de ce que la première « personne du verbe » appelle « les images heureuses de l’hier », il n’en est pas moins vrai que le retour d’une telle sérénité se produit au terme d’un cheminement temporel primitivement marqué au sceau de l’oubli (« durant tant de mois effacées »). Certes, il est plausible de penser que l’obscurcissement en cause au niveau du processus de remémoration, correspond au temps nécessaire pour faire le deuil du disparu, dès lors que l’ouverture du poème coïncide précisément avec l’instant où la chose redevient possible, pratiquement un an jour pour jour après le départ de la seconde personne mentionnée. Un problème n’est toutefois pas résolu, au-delà de l’apaisement postérieurement connu et avoué ; une difficulté subsiste, qu’il faut tenter de solutionner : quelle est, dans ce texte, l’identité du partenaire fictif de la voix poématique ? Qui est ce « mort » auquel « pense » le moi soudain interrompu dans sa lecture ? Au quel des doubles entrevus renvoie exactement le « tu » dont le « je » se sent d’une certaine manière libéré, parce qu’il lui rendait la vie insoutenable ? Et quelle facette prismatique se dissimule sous le masque du défunt nommé dès le titre, dont le mortuaire itinéraire agonique reste à jamais lié au processus de reconstruction-déconstruction capable de générer ici une créativité à caractère initiatique, également entendue au sens de initium (commencement ou recommencement) ?
34Pour l’heure, le mouvement mis en œuvre à partir de l’élaboration d’un processus souterrain au cours duquel « la mort » signifiée de l’autre agit comme source féconde d’une ancienne mémoire qu’elle vient alimenter, conduit l’auteur du soliloque en direction de l’été retrouvé, le vers agonique « y el frío repentino de final de agosto » ayant laissé la place à tous ceux qui suivent, chargés de chaleur, de lumière19 et d’une joie de vivre20 manifeste de jour comme de nuit21, jusqu’à l’instant de la rupture signifiée par le constat au prétérit : « Fue un verano feliz » 22. Sans doute entend-on résonner en toile de fond cette Voix de « l’expérience » qui expliquait dans la Préface, pour justifier une lenteur à écrire ressentie comme la contrepartie d’une genèse poétique réalisée à la manière du tissage de Pénélope, remettant sur le métier cent fois l’ouvrage :
« Puestos a escoger entre nuestras concepciones poéticas y la fidelidad a la propia experiencia, finalmente optamos por la última. Nuestra actividad viene así a emparejarse con la vida misma – algo como un océano o como un tapiz a cada instante tejido y destejido, siempre vuelto a empezar –, y nuestros libros parece que naturalmente se conformen según esa lógica heraclitana, de que hablaba Juan de Mairena, en la que las conclusiones no resultan de ! todo congruentes con las premisas, pues en el momento de producirse aquellas ha caducado ya en parte el valor de éstas. » 23
35Cependant, peut-on dire ici que la « fidélité à la propre expérience », laquelle s’efforce de réunir au sein de l’œuvre « activité » artistique et « vie », suppose un choix susceptible d’aller à l’encontre de certaines « conceptions poétiques », quand on lit ce qui suit ? Non, sans doute, quand le lecteur découvre en fin de compte que la première résonne à l’écho, en ce sens lui aussi fidèle, des secondes et réciproquement. Est-ce dès lors conformément à une « logique héraclitéenne » toute machadienne que s’est produite la cassure définitive « incongrue » dont planait la menace ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, le poème porte graphiquement la marque de la rupture estivale passée, offerte au regard et à l’oreille telle une empreinte formelle indélébile ; quand le saut en apparence hasardeux des « prémisses » à la « conclusion » s’amorce sur deux vers, porteurs à la fois des séquelles de l’hier et des cicatrices ultérieures laissées par le vide affectif, mais aussi exiscentiel inscrit en blanc, entre les points de suspension d’un temps lui-même suspendu au sein de l’espace textuel :
« Fue un verano feliz.
….. El último verano
de nuestra juventud dijiste a Juan/ en Barcelona al regresar/ nostálgicos,/ y tenías razón ».
36Le fossé ne s’y était-il pas à jamais creusé au rythme enjambé d’une réflexion- refrain d’allure anodine, d’un collage intertextuel à la sonorité dansante de chanson d’amour, plus tard devenue mélodie élégiaque ? De l’autre côté de cette rive poético-musicale, en effet, l’attente laisserait peu après place à l’absence, annonçant pour la suite le moment où la tragédie allait s’accomplir, irrémédiablement, à travers la résonnance d’une voix éteinte depuis cette date : « Luego vino el invierno, / el infierno de meses y meses de agoníal y la noche final de pastillas y alcohol / y vómito en la alfombra ».
37 « Hiver » d’une saison venue à son tour constituer les « prémisses » d’une « conclusion » qui s’imposerait peu à peu, dans toute sa rigueur mortifère et cruelle, « d’enfer » connu à deux, non plus seulement souffert au quotidien comme c’était le cas dans le premier poème : « Muriendo a cada paso de impotencia » 24 mais réellement vécu comme agonie vitale. Car désormais, « l’impuissance » est d’une autre nature et présente un caractère différent. Pourtant, cette fois encore, l’écriture est là pour dire le pire, évoquer la nécessité d’accompagner la deuxième personne de ce couple, à tous les sens du terme « infernal », jusqu’au bout. Et la preuve concrète est ici apportée d’une « activité » créatrice jamais déliée de l’expérience vécue, ainsi que d’une « conception poétique » véritablement « accouplée » à la perspective existentielle. Celle-ci lui permet effectivement de « tisser » sur le métier de son art le fil de l’être moribond déroulé par la Parque, de « et » en « et », de « mois en mois », ou encore d’enjambement en enjambement, sur quatre vers, en attendant l’horreur de « la nuit finale ».
38Or, que reste-t-il de l’autre côté de cette mort ? Que reste-t-il « après » elle, « Después de la muerte de Jaime Gil de Biedma » ? Il reste le poème, composé et rédigé en signe de « salut », de seule vraie trace définitive laissée par le héros de cette aventure humaine et créatrice malheureuse, ainsi qu’il est dit ensuite : « Yo me salvé escribiendo después de la muerte de Jaime Gil de Biedma » 25. La question doit toutefois être reposée de la paternité de ce dernier « moi » resurgi de l’envers du miroir sur la page blanche. Qui est-il au juste ? Ce rescapé du pire se fait-il simplement l’intermédiaire du défunt, c’est-à-dire de la partie morte de la « personne du verbe » restée en vie : son tenace d’une ancienne voix intérieure en quête de son éternité littéraire recherchée, dont la vibration affaiblie se prolonge néanmoins dans une mémoire textuelle ? Représente-t-il uniquement la fraction survivante qui a réussi a échapper à son destin fatal : résonnance désormais seule capable d’évoquer le souvenir du disparu, à travers la reprise préalablement interrompue du dialogue-monologue favorisant un ultime retour du partenaire sur la scène littéraire ? Mais de quel « Jaime Gil de Biedma » entend-on s’élever la voix ultime ? Nul ne le sait au juste, tellement la polyphonie mise en œuvre à ce dernier stade donne le vertige.
39Si l’on se souvient que dès le titre, était annoncée la mort accomplie du personnage Biedma, et avec elle suggéré le regard porté sur son trépas, depuis l’au- delà temporel où il gisait ; et si l’on se rappelle que ce même titre faisait ainsi réapparaître celui qui avait par ailleurs affirmé s’être « inventé » tant bien que mal une identité artistique, avant de « l’assumer » jusqu’au bout, en sa qualité de « poète-poème moyennement bien fait » ; enfin, si l’on n’a pas oublié le rôle dominateur joué par le « moi-Big Brothers, partout confronté au « moi-Narcisse- Caliban » dans « Contre jaime Gil de Biedma », la première hypothèse serait de voir là le triomphe d’une voix à l’arrivée victorieuse, comme telle enfin délivrée de la « soumission interne » jadis imposée, et capable de poursuivre ultérieurement sa libération interne grâce à l’écriture. Mais pourquoi alors cette nécessité de revenir sur le pouvoir, apparemment toujours agissant, du disparu ?
40Désormais privé de son versant tyrannique, donc amputé d’une partie essentielle de lui-même, celui qui avoue devoir son « salut » à la seule mise en œuvre artistique de cette histoire humaine en forme de martyre longtemps partagé, n’en témoigne pas moins de sa difficulté à s’affranchir des dimensions d’un double qui, après l’avoir contraint à subir tous ses caprices, le remplissait d’une crainte révérencieuse. Aussi bien, tout en s’exprimant sous le couvert du « je », le locuteur émet-il en dernier ressort un jugement positif sur la façon « d’écrire » du « tu », dont il valorise, par comparaison, la qualité littéraire. Il semble ainsi que s’élève le son d’une voix « Biedma » différente, à la fois distanciée et lancée sur le chemin de son évolution future, qui analyse, compare, rend hommage au créateur, renvoyant même le lecteur à une autre composition de l’ouvrage intitulé « Moralidades » : « De los dos, eras tú quien mejor escribía. Ahora sé hasta qué punto tuyos eran/ el deseo de ensueño y la ironía,/ la sordina romántica que late en los poemas/ míos que yo prefiero, por ejemplo en Pandémica ... » 26
41En fait, chacun a l’impression de percevoir là des échos lointains du poème précédent, qu’il s’agisse de « l’ironie » mise en relief27 ou du côté « rêveur » souligné avec insistance28, sans oublier la note romantique abolie à regret, car constitutive d’un ton et d’un style jadis très personnels. Aussi bien, tout se passe-t-il comme si le survivant n’était mû que par la nostalgie d’avoir à l’arrivée perdu la facette essentielle de sa personnalité artistique, avec la disparition d’une deuxième « personne du verbe », en fin de compte inséparable de l’acte poétique. En ce sens, surgit l’ultime interrogation angoissée relative au projet futur, une fois enfui « celui qui écrivait le mieux » : « A veces me pregunto / cómo será sin ti mi poesía. / Aunque acaso fui yo quien te enseñó. / Quien te enseñó a vengarte de mis sueños, / por cobardía, corrompiéndolos » 29. Par la manière de questionner, de faire simultanément les demandes et les réponses, le lecteur croit entendre à nouveau l’écho en sourdine du monologue-dialogue engagé par le moi Big Brother contre le moi Caliban-Narcisse, dans le cadre de la relation- dominateur à dominé qui était la leur. Lequel d’entre eux, en dernier ressort, a rendu l’âme ou perdu la sienne, au point d’envisager que le renouvellement, fortement compromis, mènera difficilement le veuf de lui-même vers sa mutation poétique ultérieure ; tandis qu’est insinuée l’idée d’une vengeance posthume, d’un effet pervers en forme de « couardise » insidieusement distillée dans les replis du « rêve », avec le doute, à la manière d’un poison lentement « corrupteur » ?
42Quoi qu’il en soit, en s’exprimant au passé (« yo me salvé » ou « fui yo »), le locuteur concerné ici paraît avoir définitivement pris ses distances avec l’écrivain défunt nommé Jaime Gil de Biedma, dont l’identité conflictuelle démultipliée git désormais dans l’au-delà textuel signifié dès le titre et ne saurait donc plus lui correspondre ni redevenir la sienne. Car celle du poète, désormais parvenu à un nouveau carrefour de sa créativité, ou bien répondra à une quête beaucoup plus universelle, ou bien s’achèvera dans le « silence ».
43Pour l’heure, le lecteur a l’impression qu’il est mis fin à ce que l’auteur avait appelé la « tentativa de inventarme una identidad », lui qui sur la voie d’une « unité » interne devait ajouter cette réflexion : « Muy pobre hombre ha de ser uno si no deja en su obra – casi sin darse cuenta – algo de la unidad interior de su propio vivir » 30. Or c’est certainement vers une telle « unité » qu’avait tendu tout son effort dans les deux textes étudiés, au-delà de la démultiplication plurifacétique des « Personnes du verbe » et de la fracture exprimée par celui qui avait éprouvé le besoin de se séparer ici d’une moitié hybride de lui-même, à l’origine d’une division fâcheuse entre le Big Brother et ses doubles. Ceci semble d’ailleurs justifié par la déclaration mentionnée, selon laquelle : « inventada ya, y asumida, no me ocurre más aquello de apostarme entero en cada poema que me ponía a escribir, que era lo que me apasionaba ». Puisqu’aucun poème ne reprendra ultérieurement l’élaboration issue du processus de mise en scène du personnage Jaime Gil de Biedma :
« Al fin y al cabo un libro de poemas no viene a ser otra cosa que la historia del hombre que es su autor, pero elevada a un nivel de significtición en que la vida de uno es ya la vida de todos los hombres, o por lo menos – atendidas las inévitables limitaciones objetivas de eada experiencia individual – de unos euantos de ellos. » 31
44Commentant cette phrase, Marie Claire Zimmermann écrivait pour sa part : « Jaime Gil de Biedma analyse le temps poétique en fonction d’une idée globale de la poésie. Selon lui un recueil inclut la vie de son auteur, mais à condition que le locuteur se soit dépouillé de toute anecdote, et ait franchi l’épreuve de la “impersonificación”, afin d’incarner véritablement les expériences de l’homme universel » 32. Il est possible d’envisager que l’écriture des deux textes cités, en particulier du second, soit venue constituer le test en question, la mise à l’épreuve pratiquée avant le recommencement qui caractérise toujours une initiation créatrice, entreprise à partir d’un nouveau point de départ fait de « silence », par un poète avide de trouver un langage humaniste, valant pour tous.
45Or dans ce cas, précisément, la grande nouveauté de l’écriture de Jaime Gil de Biedma ne se trouve-telle pas déjà du côté de l’énonciateur : quand le je démultiplié qui parle à travers des personnages extrêmement divers, devenus tous ses doubles, poètes33 ou amis plus ou moins éloignés dans le temps et l’espace, se transforme peu à peu à son tour en cet autre silhouette prismatique « impersonificada » agissant à travers eux : poète-poème mort-vivant, rené de ses cendres pour mieux ressembler, comme un frère, à tout autre écrivain espagnol d’aujourd’hui, c’est-à-dire aussi à tout autre homme, son frère ?
3. De la question du double chez Luis Antonio de Villena, ou quand « La vida escandalosa de Luis Antonio de Villena » fait à son tour de l’écrivain cette autre personne biographique qui ressemble comme « un frère » a un poète espagnol d’aujourd’hui.
« El poema es un acto del cuerpo »
Luis antonio de villena, Hymnica
« El poema esboza al hombre »
Luis antonio de villena, Hymnica
46Au fil de l’analyse comparative qui précède et va suivre, chacun sera donc mieux à même de comprendre pourquoi, lors de mon approche des premières publications en vers de Luis Antonio de Villena, un poème de Hymnica (1974-1978) avait tout particulièrement retenu mon attention. Il s’agit en effet du texte : « La vida escandalosa de Luis Antonio de Villena », dans lequel le processus de théâtralisation mis en œuvre devait venir renouer à son tour, dès le titre, avec la quête d’une identité artistique supposant littérairement la Mise en scène d’un moi devenu l’acteur plurifacétique de sa propre aventure artistique.
47Le rapprochement avec les pages qui précèdent s’imposait dès lors, non seulement sur la base de la similitude d’un énoncé destiné à mettre en relief l’aspect en apparence biographique renvoyant à l’homme de plume devenu l’objet de sa propre créativité, mais encore quand l’intervention de ce dernier comme personnage au comportement contestable - et contesté - rejoignait l’attitude critique préalablement manifestée dans « Contre Jaime Gil de Biedma ». « La vie scandaleuse » ici menée par un certain Luis Antonio de Villena ne sert-elle pas d’écho souterrain à cette autre existence dont nous avons vu qu’elle supposait poétiquement la mise en accusation du double concerné, le locuteur s’adressant tout d’abord à sa partie secrète, à ce « il » évocateur d’un tiers mystérieux, peu à peu remis en question, selon un procédé bientôt étendu à de nouvelles « personnes du verbe » ?
48En l’occurrence, il s’agira une fois de plus pour la voix poématique de ne pas se cacher une vérité souvent inavouable, bien que lentement avouée de vers en vers par un « moi » qui donne l’impression de se mirer dans une glace avec la seule intention de se contempler à travers l’autre visage inacceptable qu’il présente de lui-même, avant d’en offrir au lecteur le reflet fidèlement reproduit. Toutefois, l’exemple retenu ici montre que le locuteur, peut-être en proie au doute, commence par s’interroger dès le premier moment de la genèse du poème : « ¿ Y que puedo decir ? ¿ Asentir ? ¿ Negarlo ? 34 » Et il ressort qu’un tel questionnement renoue avec ce que le titre avait présenté en termes de recherche existentielle, au niveau de « La vida », sans plus tarder qualifiée de « escandalosa », par l’intermédiaire d’un premier jugement de valeur.
49Attitude conflictuelle, donc, que celle poétiquement suggérée au départ, face à la démarche créatrice à adopter ; mais hésitation, aussi, en ce qui concerne le langage propre à trouver (« Et que puis-je dire ? »), en présence des deux seules manières de comportement artistique possible que sont en pareil cas : d’une part la complicité avec le double contemplé et bénéficiant ainsi de « l’assentiment » créateur nécessaire à son développement de nouveau personnage littéraire ; d’autre part, le rejet de l’autre protagoniste, comme tel « Nié » à travers le refus d’une vérité d’évidence elle-même « Niée », bien que difficile à maintenir cachée plus longtemps tout au fond du puits de l’être. Or, il semble que l’auteur de ces vers ait opté pour la première solution, laquelle consistera dès lors, pour le « yo », à s’accepter également sous le visage, précisément honteux, mais maintenant mis à nu, présenté par le « él » : cet autre qui, à son tour, ressemble comme un frère à un écrivain espagnol d’aujourd’hui.
50Comme pour confirmer sans plus tarder l’impression qu’un tel mouvement suppose néanmoins une véritable descente aux enfers de la conscience, d’où pourra peut-être remonter ensuite cette vérité du double enfin révélée au grand jour, le second vers introduit l’image de « l’escalier », « descendu » au rythme d’une confession en forme de récit à caractère autobiographique qui laisse entendre à l’oreille - mais aussi entrevoir visuellement – le côté obscur et sombre d’une véritable recherche menée en profondeur : « He bajado las escalcras que he bajado / (muy enpenumbra, a menudo) ». Quête ténébreuse en sous-sol s’il en est, que celle-là, pouvant représenter, soit la mouvance de la voix lentement tue, car progressivement ancrée dans les tréfonds de l’inavouable, soit l’itinéraire intérieur en direction d’une connaissance de plus en plus voilée, pour ne pas dire occulte, parce que nécessairement occultée. Mais, qu’il s’agisse d’une parole à trouver, d’un savoir à découvrir, d’une descente de nature ésotérique à effectuer, d’une expérience à vivre, ou encore d’une plongée dans l’inconscient à faire, « la pénombre » entourant le voyage onirique vers un monde souterrain laisse envisager la chute dans le noir, au lieu de la montée jusqu’à la lumière, et le triomphe de forces de régression propres à un retour à la terre, plutôt que l’ascension. Car nul ne saurait oublier que l’escalier comme l’arbre, à sa façon, relie les trois mondes cosmiques et résume humainement tout le drame de la verticalité.
51Dans cette perspective – et dans ce même vers – toutefois, ce qu’il convient de traduire en mots d’un comportement désormais à formuler, revient à exprimer le souhait secret d’une conquête des « corps », laquelle substitue aussitôt une horizontalité souterraine et ombreuse, à l’axe vertical dont nous parlions (« je me suis couché »). C’est dès lors à une certaine forme d’amour obscur que cherchait à mener l’image juste avant utilisée, sans doute dans le but de conduire le lecteur, sous l’effet de la voix qui s’élevait soudain, d’abord tout en bas des marches, avant de l’entraîner au cœur du labyrinthe poétique ensuite envisagé : univers mystérieux et sinueux, peuplé de silhouettes anonymes appelées « corps » pluriels, peut-être rencontrés au hasard du « désir »35 dont chacun sait la place qu’il occupe au sein de la genèse de l’œuvre villenienne : « [...] me he tendido / con los cuerpos que ha sido – con esos precisamente – / aunque no, desde luego, con cuantos he deseado ».
52 « Le locuteur donne ici libre cours à l’expression du désir amoureux dont l’objet est toujours un jeune homme ou un adolescent d’une beauté sublime qui est à la fois un dieu païen, une statue grecque ou un saint Sébastien. Le moi contemple ce partenaire qui l’éblouit et lui échappe », écrivait Marie-Claire Zimmermann36, à propos de Hymnica. Peut-être est-ce ce dernier que s’efforce à présent de découvrir celui qui s’est aventuré dans les couloirs peu éclairés dans lesquels il erre, comme au cours d’une épreuve d’ordre initiatique. Dans une strophe d’un autre poème intitulé « Omnibus de estética », est exposée une théorie – la théorie - alors en vigueur et, semble-t-il, à la source même de la créativité, lorsque nous lisons : « Del deseo surge el amor. De la belleza / surge el deseo. La belleza evoca imágenes / lejanas. Acentúa la realidad ; el deseo ¡ la modifica. El amor la acrece. Un brazo / sugiere una espada radiante. ! Un ojo verde / el muro vegetal de un jardín persa. ¡ Y todo esto se mezcla en el poema, / como se mezcla caudaloso en nuestra mente » 37.
53Il y a là, dans l’ordre d’apparition (« beauté », « désir », « amour »), l’expression de la synthèse artistique susceptible de favoriser la manifestation de ce qui est appelé « poème » dans « l’esprit » créateur, à partir de l’élaboration esthétique, pour ne pas dire de l’alchimie métaphorique, effectué par les sens sur la « réalité ». Et, à ce stade, le « désir » exprimé, né de la contemplation de la « beauté » (« Belleza abre al deseo »)38 et menant à « l’amour », passe par le développement d’une théorie platonicienne, ou néo-platonicienne, renouant avec une démarche orientée en direction de l’Amour idéal et absolu, situé à la source, ou à l’arrivée, de l’Unité originelle perdue qui était aussi celle de Federico Garcia Lorca à travers la recherche de « uno ». Celle-ci fait en réalité de l’image de « corps » eux-mêmes encore en voie d’élaboration - « bras » ou « œil » issus de synecdoques et prêts à subir des glissements métonymiques –, un simple échelon menant à un dépassement d’ordre culturel : en cette occasion « jardin perse » rené de la mémoire visionnaire d’une « lointaine réalité » orientale. Le « désir » éprouvé et signifié « des corps » (« me gusta el cuerpo bello », « El cuerpo es magia en materia de música »)39 auquel il est constamment fait allusion, à ce stade, paraît donc rappeler, de manière très originale, le point de départ du lent travail de sublimation auquel invitait le banquet de Platon à travers le discours de Socrate.
54Dans un autre poème intitulé « Monumento en honor de Lord Byron », de El Viaje a Bizancio, le désir devient le germe fécond de l’élaboration interne, au moment où : « Ligeramente perceptible el deseo nutre el andar del /poema, y vuelve, lento, el oro extraño de la imagen », jusqu’à se faire le moule même de l’image, quand « La imagen es todo el deseo del poema » 40. Mais à cela s’ajoute la perspective d’une créativité d’où le « corps » ne saurait jamais être exclue ; disons-même dont il fait partie à part entière du fait qu’il en constitue l’indispensable maillon menant à l’élaboration du poème, chez celui qui évoque la nécessité de trouver aussitôt un langage renouvelé du corps et exprime en ces termes son souhait, toujours dans « Monumento en honor de Lord Byron » : (« Hablar del cuerpo. Porque el cuerpo tiene la perenne belleza / del fruto que se abre y cunde, del sol que nutre y cae y de la sed que sacia. Hablar del cuerpo. ») 41 Par ailleurs : « El poema es un acto del cuerpo », expliquant en outre, dans le poème cité : « Que la emoción arda en el discurso, / y la llama remede el deseo de un cuerpo. / Poseer un espíritu de fuego. Y amar ¡ la rosa por el dios que contiene, / y el laberinto del tú (acto y palabra) porque nada hay como poner la mano / del amor, sobre la joven llanura de un cuerpo. / Y hacer la hoguera en este arte del texto »42. En ce sens, une autre association issue d’un choc à l’origine de l’apparition des vers à l’issue de l’acte amoureux-poétique serait : « fulgor de cuerpos y fidgor de palabras ».
55Pour l’heure, la descente de « l’escalier », aux allures de chute, l’attire vers ce qu’il appelle ailleurs « la ruelle obscure »43, impasse perdue sans nom, non identifiable, ou restée impossible à nommer poétiquement. Car l’antre la ville, mais aussi la grotte des profondeurs insondables du moi, semble être le but ultime à atteindre, comme s’il s’agissait pour la première personne qui s’est ainsi mise en route de se laisser glisser, voire même couler vers les abysses où sévit le pire : « Con la vista me voy sin evitar atajos, / a los lugares aquellos que no sospeeha nadie. / A ciertas horas no se llame a mi teléfono ; / donde voy aquel rato no lo nombro al amigo / – esc que tiene casa y mujery empleo asegurado – »44. Où va-t-il ? Et quand ? Nul ne le sait ni ne le saura jamais, derrière le flou volontaire laissé dans le vocabulaire utilisé, en matière d’espace ou de temps ; et ce, qu’il s’agisse de « ces lieux » impossibles à situer, de ce moment-là, à « certaines heures » d’un temps désormais non chronologique, comme en dissolution, durant lequel s’interrompt toute forme de communication avec le monde extérieur : « téléphone » ou « ami », comme toute activité correspondant à une norme permettant une intégration à l’intérieur d’un cadre vie social, ou familial : « femme », « maison », « emploi »45.
56Comment ? A cette troisième question, celui qui évoque maintenant son itinéraire personnel répond à travers un mouvement (« je m’en vais », « je vais ») passant par les yeux (« la vue ») : perspective essentiellement visionnaire que la sienne, à ce stade46. Et regard intérieur seul capable de faire que « Le poème ébauche l’homme ». On peut émettre une telle hypothèse. Sans doute y a-t-il là déjà à ce stade l’amorce de la puissance visuelle créatrice qui caractérisera – avec le toucher – la future poésie de Luis Antonio de Villena, lequel interrogera par exemple la seconde personne en ces termes, dans « Y es tanta la belleza que las copas se rompen », de Huir del Itiviemo : « ; A que lugar no irías, si la razôn no existe si te habla, / aún desde el instante puro en que es todo mirada ? »
57Car, ce que s’efforce de découvrir partout celui qui fait ainsi preuve d’un voyeurisme inlassable, sans cesse rené du désir utilisé à la manière d’un véritable exercice créateur, gît peut-être dans l’essence même de la Beauté définie dans Le Banquet, c’est-à-dire retrouvée dans son Unité fondamentale grâce au miracle de la contemplation idéale d’un corps juvénile, vu, puis réalisé comme œuvre esthétique parfaite, signe d’une pureté plastique absolue. Mais, quelle que soit la nature de l’expérience à présent semée « d’embûches » en cours, l’obscurité langagière semble alors devoir être de rigueur, à l’écho de l’ombre qui s’étend sur le paysage du poème et le paysage intérieur de l’être. Et après l’indéfinition, le silence s’installe et gagne de vers en vers, au fur et à mesure que se précise l’inavouable, à travers la présence de la seconde personne, marquée au sceau du « tú », ou du « ti », ailleurs qualifiée de « labyrinthe du toi (acte et paroles) » et menant à la genèse du poème, grâce à « l’art du texte » de celui qui, parce qu’il possède « un esprit de feu », allume le « bûcher » de l’art47 :
58 « Lo que bebo en tu copa (he hablado de ti / todo el poema) lo adjetivo para que no se entienda. / Lo que hago contigo lo niega mi faz por la mañana. / Por la esquina maleva paso, esbozado, muchas noches ». Nul ne saura non plus à quelle identité précise renvoie ce mystérieux interlocuteur dont la « coupe » à l’éclat oriental, ici étoilée des lueurs corruptrices de quelque « denier » romain, n’est pas sans rappeler aussi celle jadis tendue à Socrate, lequel allait y « boire » le poison en forme de nectar : « No bebo en la fuente común », dira le locuteur de « El poema esboza al hombre », évoquant alors : « los labios frescos del adolescente » et ajoutant : « Detesto [...] Quien no bebe, ni busca el gozar como brilla un denario » 48 . Plus tard, dans des vers de « El sentimiento de la belleza física » de Huir del Invierno, le « je » de plus en plus éloigné de la première personne autobiographique reprendra l’image à travers ce développement : « Como vaso de oro en voz, y no en materia. / Es tan perfecto el cuerpo que las palabras lloran » [...]/ Y es tanta la belleza que las copas se rompen »49.
59Pour l’instant, curieusement, la voix poématique semble encore partagé entre l’emploi des deux verbes à l’infinitif, déjà apparus et qui vont réapparaître ensuite : « Asentir » et « negar ». Et, tandis que d’un côté, l’image contemplée par le « moi » dans la glace du « toi » donne au lecteur l’impression de se mettre à nu à travers la parole poétique de l’aveu en cours, de l’autre, le vers « Lo que hago contigo lo niega mi faz por la mañana » vient souligner la vision reflétée par l’autre facette de l’identité toujours néanmoins masquée, ainsi que le confirme en outre le verbe « embozar ». Et nous atteignons par ce biais à ce moi déguisé, montrant au petit jour autant de visages nocturnes que de nuits traversées ; ou plutôt, cachant sous la cape, à l’aube de chaque nouveau matin, la vraie figure qu’il convient pourtant de dissimuler aux passants.
60Que l’on n’aille pas croire, cependant, qu’il y a là autre chose que l’expression artistique destinée à fuir par tous les moyens ce que le créateur de « El poema esboza al hombre » appelle « le poème cyclique » (« Si, yo aborrezco también el poema cíclico »)50. Car, il faut certainement garder en mémoire cet autre vers dans lequel la voix du poète affirme : « Y detesto lo común (ya sabéis) tanto como lo innoble ». Alors, de quoi s’agit-il ici ? Sans doute de se livrer à une poésie de la provocation seule capable, aux regard de celui qui la compose, de renouveler ce que Marie-Claire Zimmermann appelait « la routine langagière »51 par l’effet d’une distanciation croissante entre le personnage et l’auteur. La question de départ est alors reposée, à l’arrivée : « ¿ Asentir ? ¿ Negar ? Sé bien que se murmura. / Pero yo no hago caso. (Y no se escandalicen los prudentes.) / Que toda vida que se vive plena es vida para escándalo » 52.
61En fait, il paraît ressortir de cette fin de texte que la solution poétique, si elle existe, ne passera par une réponse, ni à la première, ni à la seconde interrogation ; mais davantage par une attitude de volontaire dédain, face aux commentaires malveillants de la multitude : mélange de mépris et de provocation de la part de celui qui, avec la suprême réaction (« gesto ») propre au dandy, parvient à la conquête de lui-même, « scandaleusement ». Et c’est alors que par une sorte de cohérence poétique souterraine, la tentative menée dans ce poème annonce celle, postérieure, intitulée « Expérience du gouffre » de Elegías, dans laquelle seront à nouveau descendues les marches d’un escalier conduisant une dernière fois le « je » desamparé de première personne jusqu’au « tu » mensonger de la seconde : « Así podría ser el último peldaño. / Saber que buscas sólo extorsionarme, / que te finges amable por dinero, / que vas, entre caricias, a estafarme, a pedirme, a robarme, a sacar cuanto / puedas de mí ; saberlo todo claramente, / y buscar sin embargo la llama de tu cuerpo ; / adorarte como a un pequeño dios bello /y cruel – sin reloj casi al alba y sin un céntimo – / en el apartamento de una puta buena / que debía – dijiste – dos meses largos al casero »53. Aussi bien, une fois parvenu au dernier échelon d’où il était parti dans le poème de Hymnica, une fois atteinte une lucide et orgueilleuse dépossession, le poète dont les expériences artistiques successives semblent avoir confirmé les visions premières, se retrouve seul face à lui-même, au fond du « gouffre », en proie au pesant fardeau de sa mélancolie créatrice :
62 « Bajas la escalera. (¿ Existe el amor ? ¿ He estado /yo alguna vez bajo sus alas ? ¿ Por qué soy el que / soy, y no eres tú, todo luz y belleza ?) / Descender hace más profundo este estepario orgullo / de estar solo... » 54 ; oui, tout « seul » comme Jaime Gil de Biedma et avant lui, Federico Garcia Lorca qui s’écriait, à travers le cri collectif lancé à travers le « nosotros » d’une souffrance à l’infini partagée par le Poeta en Nueva York 55 : « No es sueño la vida. / Alerta ! / Alerta ! ¡ Alerta ! / Nos caemos por las escaleras para comer la tierra húmeda / o subimos al filo de la nieve con el coro de las dalias muertas. / Pero no hay olvido, ni sueño : / carne viva. Los besos atan las bocas / en una maraña de venas recientes /y al que le duele su dolor le dolerá sin descanso / y el que teme la muerte la llevará sobre sus hombros ».
Notes de bas de page
2 Le premier poème, « Contra Jaime Gil de Biedma » est extrait de Poemas Postumos, A Bel, Belle Bel, y a Gustavo, in memoriam, Madrid, 1968, op. cit., p. 145-146. Le second, « Después de la muerte de Jaime Gil de Biedma », est tiré du même ouvrage, op. cit., p. 155-157. Pour « La vida escandalosa de Luis Antonio de Villena », cf. Poesía 1970-1984, prólogo de José Olivio Jiménez, Collección « Visor de Poesía », Madrid 1988, p. 151-152.
3 Préface, op. cit., ibid.
4 Préface, ibid.
5 Platon, Le Banquet, Œuvres complète, Paris, Gallimard, 1990 (« L.a Pléiade »). Cf. « Discours d’Aristophane », 189a-194e.
6 Ibid.
7 En ce qui concerne l’anglais, on retiendra précisément, dans le même ensemble constituant les Poemas Postumos, le poème « A Gabriel Ferra ter », « dedicándole un ejemplar de Moralidades », un morceau totalement écrit en anglais, in op. cit., p. 143.
8 « Contra Jaime Gil de Biedma », v. 53-55, op. cit., p. 145.
9 « Contra Jaime Gil de Biedma », v. 1-11, op. cit., p. 145.
10 Ld.,v. 12-22, p. 145.
11 Las personas del verbo, op. cit., p. 10.
12 « Prefacio », op. cit., p. 17.
13 « Contra Jaime Gil de Biedma », v. 23-37, op. cit., p. 145-146.
14 Id., v. 34-51, p. 146.
15 Id., v. 1-9, p. 155.
16 Ibid., v. 10-13.
17 « Prefacio », op. cit., p. 17.
18 « Después de la muerte de Jaime Gil de Biedma », op. cit., p. 155.
19 Cf. : « Agosto en el jardín, a pleno día. / Vasos de vino blanco / dejados en la hierba, cerca de la piscina, / calor bajo los árboles. Y voces / que gritan nombres. / Angel. / Juan. María Rosa. Marcelino. Joaquina / - Joaquina de pechitos de manzana. / Tú volvías riendo del teléfono / anunciando más gente que venía : te recuerdo correr. / La apagada explosión de tu cuerpo en el agua. / Y las noches también de libertad completa / en la casa espaciosa, toda para nosotros / lo mismo que un convento abandomido, I y la nostalgia de puertas secretas, / aquel correr por las habitaciones, / buscar en los armarios ! y divertirse en la alternancia / de desnudo y disfra, desempolvando / butines, botas altas y calzones, ¡ arbitrarais escenas, / viejos sueños eróticos de nuestra adolescencia, muchacho solitario », id., v. 21-44, p. 155-56.
20 Ainsi que l’annonçait plus haut l’adverbe « agolpadamente », tout s’accélère et se bouscule alors, au fil de la résurgence de souvenirs trop longtemps muselés : évocations festives d’un « vin » de joie, sons d’autres voix amies, silhouettes fugitives brièvement redessinées au bord d’une « piscine » dont l’eau donne l’impression de constituer quelque nécessaire et fructueux bain de jouvence chez un être ressourcé, avant « l’explosion » destructrice de l’image, quand le « corps » du « toi » revu par le « moi » s’y précipite en « courant ». Le lecteur repense alors ici au poème « Piscina » de El Viaje a Bizancio, ensuite écrit par Luis Antonio de Villena et qui signe le triomphe de l’accord entre le corps et l’eau, le corps et le désir liquide qu’il suscite au regard de celui qui écrira : « Cnn un ligero impulso la palanca palpita, / y el desnudo se goza un instante en el aire, / para astillar después en vibraciones verdes / el oro y el azul y la espuma que canta », ou encore insistera : « Y al regresar al sol, nos miras en la orilla, / mientras, toda codicias sexuales, el agua / deseosa, se goza solitaria en tu cintura », El Viaje a Bizancio, ( 1972-l 974), op. cit., p. 127.
21 Puis viennent en effet « les nuits », avec leurs échos fastueux de plaisirs remontés du fond du labyrinthe d’un moi libéré au sein d’un lieu éprouvé comme « un couvent abandonné », peuplé de « scènes arbitraires ». Ce ne sont plus alors que jeux « érotiques », comme les « rêves » qui les accompagnent, que mouvements et bruits de « portes secrètes », que « déguisements » et « mises à nu », tandis que se profile de manière obscurément tenace l’ombre du « garçon solitaire », revenu hanter les lieux tout en rôdant dans la mémoire du survivant. Et sans doute faut-il noter que la mise en scène poétique du « moi » s’allie dans ce passage à un jeu théâtral réalisé à l’intérieur même du premier, destiné à transformer l’identité de chacun en sa représentation masquée multiple, équivoque, ambiguë, incertaine et fluctuante, à l’image de celle de l’auteur du poème.
L’interrogation qui suit, à l’intention du disparu, paraît plus nettement formulée encore par une voix qui s’élèverait derrière la précédente pour demander : « Te acuerdas de Carmina, / de la gorda Carmina subiendo las escaleras con el culo en pompa / y llevando en la mano un candelabro ? », ibid.
22 « Después de la muerte de Jaime Gil de Biedma », op. cit., p. 155.
23 « Prefacio », op. cit., p. 17.
24 « Contra Jaime Gil de Biedma », v. 48-49, op. cit., p. 146.
25 « Después de la muerte de Jaime Gil de Biedma », v. 59, op. cit., p. 157.
26 Id., v. 61-65, p. 157. Le poème auquel il est fait allusion est : « Pandémica y Celeste », de « Moralidades », op. cit., p. 134-137.
27 Cf. « te ries », « Contra Jaime Gil de Biedma », v. 21, op. cit., p. 145.
28 Cf. « tu encantadora / sonrisa de muchacho soñoliento », « Contra Jaime Gil de Biedma », v. 27-28, op. cit., p. 145.
29 Ibid., v. 66-70.
30 « Prefacio », 1959, op. cit., p. 18.
31 Ibid.
32 Marie Claire Zimmermann, Littératures espagnoles. Poésie espagnole moderne et contemporaine, Dunod, Paris, 1995, VI. « L’avénement des Novísimos dans la poésie des années 70, Luis Antonio de Villena, L’une des grandes voix de la poésie », p. 142.
33 Tous ces poètes chantés par lui, ici et là, en particulier dans « En el nombre de hoy », Moralidades, op. cit., p. 77-78.
34 « La vida escandalosa de Luis Antonio de Villena », op. cit., v. 1, p. 151.
35 Cf. la Introducción de José Olivio Jiménez, I, p. 25.
36 Marie-Claire Zimmermann, Hymnica, op. cit., p. 191.
37 Hymnica, « Omnibus de estética », p. 157, dernière strophe
38 « Belleza abre al deseo », Hymnica, op. cit., p. 154 : « el deseo queda en nosotros como una flor abierta. / Sólo hay que amar y oler. Palpan Pasan ser vivo / Y esperarla otra vez, en la tarde, brillante agitación, / cuerpo o luz, junto a cualquier esquina... », ibid.
39 Id., p. 155. Cf. aussi, « Verlo, nada más, es una afirmación rotunda », Huir del Invierno, op. cit., p. 218.
40 « Monumento en honor de Lord Byron », El Viaje a Bizancio, op. cit., p. 140-141.
41 Id., p. 141.
42 « El poema es un acto del cuerpo », Hymnica, op. cit., p. 150.
43 La voix poématique declare, par exemple : « Detesto a quien no se arriesga en la calleja obscura », « El Poema esboza al hombre », Hymnica, op. cit., p. 155.
44 Id., v. b-9, p. 152.
45 Ainsi le « je » dira-t-il : « [...] Detesto a la gente que hace de sus pasos un círculo continuo. / Quien deja su noche tras la cortina, / o busca la dócil fatuidad de un placer doméstico », « El poema esboza al hombre », Hymnica, op. cit., p. 15.
46 Dans : « Y es tanta la belleza que las copas se rompen », la voix expliquera, par exemple : « Verlo, nada más, es una afirmación rotunda », Huir del Invierno, op. cit., p. 218.
47 Dans « El poema es un acto del cuerpo », le locuteur explique de ce point de vue : « Se debe poseer un espíritu de juego. / Haber leído alguna vez palabras que / suenen a actos, y haber transmutado / actos en palabras », Hymnica, op. cit., p. 150.
48 Ibid.
49 « Y es tanta la belleza que las copas se rompen », Huir del Invierno, op. cit., p. 218.
50 « El poema esboza al hombre », Hymnica, op. cit., p. 150.
51 Marie-Claire Zimmerniann, op. cit., p. 191.
52 Luis Antonio de Villena, (Poesía 1970-1984), Hymnica, Prólogo de José Olivio Jiménez, Collección Visor de Poesía, Madrid, 1988.
53 Luis Amonio de Villena, op. cit., ibid.
54 « Esa querida atmósfera de tango hacia las tres », Huir del Invierno, « Elegías », op. cit., p. 258.
55 « Ciudad sin sueño » (Nocturno de Brooklyn Bridge), Poeta en Nueva York, III. Calles y Sueños, A Rafael R. Rapún, OCI, op. cit., p. 480.
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