introduction
p. 11-34
Texte intégral
Structure de mer et métaphore marine
1« Mer ».
2A peine ce mot est-il prononcé qu’il déborde la stricte définition du référent concret auquel il renvoie en tant que signifiant et s’enrichit d’une résonance affective. La mer, ce n’est pas seulement la « vaste étendue d’eau salée qui couvre une grande partie de la surface du globe »1, mais aussi, surtout, l’immensité, la profondeur, le mouvement, l’appel du large… : l’Ailleurs qui attire l’homme hors des limites étriquées de l’espace terrestre et le confronte aux forces cosmiques. Inéluctablement, le mot « mer » se révèle porteur d’une rêverie, au sens bachelardien du terme, qui, touchant aux origines de l’être et du monde, et à leur relation, pose la question du Sens.
3Cette rêverie puise ses sources dans la réalité matérielle, mais est d’autant plus susceptible de s’orienter au gré de la subjectivité que la mer est un espace à la fois connu et inconnu, plein et vide. Elle favorise doublement l’expansion interprétative, d’une part en tant qu’espace, notion dont on sait à quel point elle est riche de transpositions métaphoriques2, d’autre part en tant que lieu à la fois fortement investi et vierge. Il est ainsi possible d’ébaucher, selon la démarche de Michel Collot, une « structure de mer »3 qui permettra de prendre conscience de la potentialité suggestive du mot et du référent qu’il désigne et, ainsi, de définir le champ de mon exploration littéraire.
4Devant l’œil qui la contemple, la mer apparaît d’abord comme un espace plan dont l’extension ne connaît d’autre limite que l’horizon, toujours susceptible de reculer si l’observateur se déplace. Sa dimension horizontale est donc l’immensité – au sens étymologique, à la fois perceptible au regard et excédant ses facultés : ce que l’on voit de la surface marine semble illimité et l’on sait pourtant que la mer s’étend au-delà. Le glissement de l’immense à l’infini s’opère alors spontanément, comme le remarque Baudelaire4. Ceci est encore plus vrai si l’on prend le point de vue d’un observateur embarqué au large : au lieu d’un paysage déroulé devant ses yeux, il se découvre au cœur d’un panorama ouvert à tous les azimuts de la rose des vents.
5Ajoutant encore à ce vertige, s’impose la deuxième dimension de la mer, plus mystérieuse puisque seulement soupçonnée : la profondeur. A la verticalité vers le bas se trouve associée, selon l’ambiguïté du terme altum, une verticalité vers le haut, car l’expérience de la haute mer – expression significative – est celle de la solitude entre ciel et mer, qui fait volontiers pressentir l’émergence du divin dans la nature, dans une expérience sensorielle du sacré.
6Invisible mais se manifestant par d’incontrôlables phénomènes de surface, la profondeur marine provoque l’imagination : elle recèle la vie tout en étant menace de mort. Dans son épaisseur matérielle animée de mouvements, la mer est une masse. Agitée par les vents, contrariée par les côtes, ne serait-elle pas la force, voire le mal ? Pourtant elle est aussi mère, source inépuisable de vie, à laquelle l’homme ne saurait renoncer. Celui-ci s’engage donc sur ce qui est pour lui un espace de traversée, transitoire et toujours périlleux qui, physiquement, le confronte à ses limites et l’oblige à tenter de les dépasser, tandis que s’imposent à lui des questions d’une portée existentielle.
7Ces données, placées sous le signe de l’ambivalence, éclairent la diversité des voies ouvertes à la rêverie marine et à l’imagination des poètes. Ceci est d’autant plus vrai que tous les termes qui définissent la matérialité de la mer – infini, profondeur, force, violence, fécondité… – ont aussi, voire surtout, une acception abstraite, sinon éthique. De même, le dépassement imposé à l’homme qui l’affronte. Un transfert de sens s’opère alors spontanément : par ses multiples caractéristiques concrètes et par l’expérience qu’elle impose, la mer fournit à chacun et surtout au poète un matériau métaphorique pour dire le rapport de l’Etre à l’Infini. Comme l’horizon selon Michel Collot, elle constitue un « ensemble pré-symbolique »5 qu’il revient à chacun d’investir pour lui donner sens, soit en se laissant guider par les stéréotypes d’usage, soit en élaborant une réflexion person au fil d’un mouvement de redécouverte de l’élément.
8Ainsi se trouve exactement défini le champ de cette étude : proposer une analyse de la métaphore marine, ce n’est pas seulement guetter les tropes dans lesquels la mer joue le rôle de référent – « La mer est ton miroir… » – mais tenter de saisir de quelle façon cet élément, riche des caractères qui viennent d’être rappelés, peut servir de support iconique dans une perspective ontologique : il s’agit d’observer l’élaboration de l’énoncé métaphorique essayant, à travers le registre de la mer, d’exprimer l’indicible.
9J’utiliserai donc la notion de métaphore dans l’extension que lui confère Paul Ricœur dans La métaphore vive6. Partant de la définition d’Aristote,
la métaphore est le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce, ou d’après le rapport d’analogie7,
10il dépasse un débat taxinomique quasi inextricable pour mettre en évidence l’extrême fécondité de la notion de transfert du sens8. Il élargit ainsi progressive le champ d’action de la métaphore. Au sens le plus strict9, que l’on pourrait qualifier de nucléaire, elle fonctionne comme trope, c’est-à-dire comme figure microstructurale de substitution d’un mot, engendrant ainsi un effet de prédication impertinente. L’effort d’interprétation tendant à résoudre ce décalage ouvre alors la voie à une innovation sémantique qui permettra de saisir un sens nouveau issu de la torsion du sens initial. A partir du niveau sémiotique, la métaphore affecte la phrase, gagnant une dimension à la fois sémantique et syntagmatique. Dans la mesure enfin où le trope reste rarement circonscrit, mais tend à s’épandre en « énoncé métaphorique » ou en « métaphore continuée »10, elle investit sous forme de réseau l’ensemble du discours ou du poème et acquiert par sa faculté de redécrire la réalité un véritable pouvoir heuristique dont Paul Ricœur souligne « la visée ontologique »11. Ce transfert du réel à une quête du sens pose la question du rapport à la référence :
La transition de la sémantique à l’herméneutique trouve sa justification la plus fondamentale dans la connexion en tout discours entre le sens, qui est son orga interne, et la référence, qui est son pouvoir de se référer à une réalité en dehors du langage. La métaphore se présente alors comme une stratégie de discours qui, en préservant et développant la puissance créatrice du langage, préserve et développe le pouvoir heuristique déployé par la fiction12.
11Ainsi comprise, l’étude de la métaphore s’étend de la linguistique à l’herméneutique, en s’efforçant de saisir la cohérence du phénomène de transfert de sens. Une telle perspective d’ensemble me paraît s’imposer pour rendre compte de la complexité spécifique au problème ici traité. En effet, la mer étant une forme d’eau, la métaphore marine s’appuie sur une image13 qui se rattache aux archétypes de Jung, éléments dominants l’imagination de tout homme. Or Michel Le Guern a souligné que les métaphores archétypales « ont ceci de particulier que leur évolution n’aboutit pas à l’effacement total de l’image associée »14, contrairement à ce qui advient souvent dans le mécanisme métaphorique puisque « il est de la nature de l’image introduite par la métaphore de lui échapper » (p. 22). Ce phénomène spécifique rapproche ainsi la métaphore du symbole : la question de la proximité et de la distinction de ces deux figures sera pour nous un point capital pour définir au fil des textes l’essence de la métaphore marine romantique.
12D’autre part, la résistance exceptionnelle de l’image associée implique qu’une place soit ménagée dans cette étude à la description. Certes, celle-ci ne suppose pas de transfert de sens, mais la représentation de la réalité marine s’avère souvent la base même du glissement métaphorique dans la mesure où elle permet à chaque poète de choisir et mettre au jour les caractères du référent qui le frappent personnellement et donneront lieu à l’émergence d’un sens nouveau prenant appui sur ce substrat d’iconicité15.
13Il convient de pousser encore la réflexion car la mer n’est pas simplement une image archétypale : la rêverie qu’elle provoque ne recouvre pas celle de l’eau. Elle se rattache également à « l’ensemble des données qui constituent l’expérience commune de l’humanité, expérience quotidienne de chacun »16, dont Michel Le Guern pense qu’elles engendrent des métaphores régies par le même phénomène. Autrement dit, l’image associée – et persistante – dont il faut tenir compte ici ne se limite pas à l’élément mer dont nous avons déjà souligné la polyvalence suggestive. Le réseau métaphorique marin s’étend bien au-delà de l’impulsion des seuls tropes comprenant le mot « mer » puisqu’il se trouve développé par ce que Max Black appelle « le système de lieux communs associés »17 (profondeur, immensité…), mais aussi par tous les référents concrets qui lui sont connexes (vent, vague, navire, marin…), eux-mêmes susceptibles d’engendrer de nouveaux « systèmes de lieux communs associés ». Ainsi s’élabore avec une complexité croissante une représentation iconique du destin humain. L’observation précise de la référence nourrit l’extension du champ signifié et le réel dans sa féconde diversité est mis en relation avec l’imaginaire en quête du sens.
14Quoique largement liée aux images archétypales, la métaphore marine dépend donc de données de connaissance matérielle qui l’inscrivent dans le temps. Dans la mesure où la mer demeure longtemps un espace étranger à la plupart des hommes, son pouvoir de suggestion sur l’imaginaire se trouve en partie confisqué par le truchement référentiel que constituent pour chaque civilisation les grands textes mythiques. La métaphore marine connaît par conséquent un renouvellement profond à partir du moment où la référence à la mer ne passe plus uniquement par des chemins culturellement définis qui risquent d’entraîner un figement dans le lieu commun, mais se ressource par un rapport direct à l’imaginaire permettant au poète d’exploiter librement le potentiel suggestif offert par la « structure de mer ».
15Or Chateaubriand réalise cette mutation dans son œuvre à l’orée du Roman. Intériorisant le rapport à la mer, il la définit comme une image de lui-même, à la fois en tant qu’homme et en tant qu’écrivain. En tant qu’homme, elle devient pour lui le moyen privilégié de pénétrer le mystère de la création divine et par là-même d’accéder à la transcendance. En tant qu’écrivain, c’est à travers cette expérience spécifique du sacré et du rapport au monde qu’il tente de construire, à ses yeux comme devant la postérité et l’éternité, une image de lui-même. La mer devient l’instrument littéraire d’une quête de la transcendance en tant qu’inépuisable source des métaphores chargées d’exprimer ce qu’il y a de plus intérieur dans sa personnalité, sa pensée, sa foi. Chateaubriand crée ainsi une véritable poésie de la mer, en tissant à travers l’ensemble de son œuvre un réseau métaphorique dont le pouvoir suggestif se nourrit autant de l’intimité de sa relation à l’élément que de la cohérence toujours très personnelle du sens figuré qu’il propose.
16Cette étude déjà publiée18 constituera l’assise et la référence de nouvelles pérégrinations littéraires. Dans la mesure où, pour la première fois, la mer apparaît dans l’œuvre de Chateaubriand non comme thème, mais bien comme métaphore exprimant la profondeur de l’être, il était tentant de saisir le retentissement de cette innovation. De fait, l’auteur malouin inaugure dans la littérature française la poésie de la mer qui connaît un développement exceptionnel dans son sillage au cours de la période romantique.
17J’essaierai de tracer ici, à travers l’œuvre de cinq auteurs, l’histoire de cette filiation. Quelques rapides jalons historiques posés au préalables permettront de définir en quoi Chateaubriand renouvelle l’écriture de la mer, plus ou moins figée précédemment dans le carcan d’une expression codifiée. Ainsi pourra-t-on essayer de cerner ce qui caractérise la poésie de la mer pendant toute une génération, et seulement une génération.
À l’aube du Romantisme : naissance d’une poésie de la mer
18La mer trouve évidemment sa place dès les tout premiers textes des civili qui fondent notre mode de pensée : les récits de la Genèse et du déluge infléchissent d’emblée la conception judéo-chrétienne, de même que l’Odyssée celle des Grecs et des Latins19. Pourtant, il faut attendre le début du xixe siècle, ou la fin du xviiie avec Bernardin de Saint-Pierre, pour que la littérature française s’ouvre largement à ce motif qui connaît chez nous une « naissance difficile »20.
19Plutôt qu’une source d’étonnement, il semble qu’il faille voir dans le rapport entre la prégnance de la mer dans les grands textes mythiques de fondation et son éclipse, ou sa très sporadique représentation, dans la littérature ultérieure, un étroit lien de cause à effet. Alain Corbin a en effet montré de façon très synthétique dans l’ouverture de son ouvrage sur « l’Occident et le désir du rivage »21 à quel point la lecture et l’interprétation du déluge commandent la vision collective de la mer. Ainsi,
tous les savants qui écrivent durant les années charnières du xviie et du xviiie siècles situent la catastrophe au cœur de leur cosmogonie. [...] On comprend que l’océan, relique menaçante du déluge, ait pu inspirer de l’horreur. [...] Cette lecture répul s’accorde à la certitude d’un monde en déclin. Quelle que soit leur ardeur au travail, jamais les hommes ne sauront recréer cette terre antédiluvienne, à la sur de laquelle restaient inscrites les traces lisibles du paradis terrestre. [Dès lors], l’agitation permanente des eaux de la mer suggère l’éventualité d’un nouveau déluge ; elle participe de cette menace vague qui pèse sur les asiles du bonheur22.
20Preuve visible de la colère de Dieu, gouffre peuplé de créatures obéissant à Satan, l’Océan constitue l’exact antipode de l’espace édéno-arcadien chanté par les poètes antiques. La relecture judéo-chrétienne vient infléchir la lecture des textes gréco-latins et favoriser la mise en avant des récits de tempête et de naufrage, tout particulièrement la célèbre tempête du chant I de l’Enéide23. Se développe ainsi un cadre littéraire fortement prédéfini, à travers lequel la « mer amère » apparaît synonyme de tempête, d’inconstance, de malheur, voire de malédiction. Ce discours reste dominant dans les mentalités au moins jusque vers les années 177024, sans que le tempèrent notablement les récits des navigateurs explorateurs qui, certes, révèlent les richesses des contrées nouvelles, mais relatent aussi les fortunes de mer.
21En marge de l’interprétation catastrophiste et diluvienne, commence à se faire jour au début du xviiie siècle une conception nouvelle fondée sur le courant de la théologie naturelle qui entérine
une fracture imprévue entre les systèmes populaires d’appréciation de la nature et les conceptions de pieux savants qui portent sur le monde extérieur un regard nouveau25.
22Ce système philosophique, pour saisir l’émergence du sacré dans la nature, suppose un tissu de correspondances entre les mondes physique et spirituel, entre Dieu, l’homme et la nature. Le monde extérieur se trouve proposé en objet de contemplation, miroir pour l’homme du pouvoir créateur de Dieu, perceptible à la fois dans sa puissance et la minutie de ses détails. Les œuvres des physico-théologiens se présentent donc souvent comme un patient catalogue des beautés de la nature et de leur convenance à l’égard de l’homme.
23Bien que ce courant de pensée n’ait pas directement connu grand retentissement public, surtout en France, son importance s’avère déterminante sur l’évolution du motif littéraire de la mer au xixe siècle, grâce au truchement de Bernardin de Saint-Pierre puis de Chateaubriand. Les quelque 2 000 pages des Études de la nature en 1784, puis le volume des Harmonies de la nature26 ressassent avec opiniâtreté la même conviction selon laquelle tout élément naturel permet à l’homme de découvrir Dieu :
Dès que je n’y [dans la nature] aperçois pas l’homme, j’y sens la Divinité. Pour peu que je veuille donner carrière à mon sentiment, il n’est pas de paysage que je n’embellisse de la présence de Dieu27.
24L’accumulation même des exemples étayant cette thèse, leur caractère systématique, donnent à l’ouvrage un ton naïf qui reste attaché à la réputation de l’auteur. On ne saurait aujourd’hui se retenir de sourire en lisant au cœur d’une longue énumération : « pas un caillou n’est roulé sur le rivage de la mer sans la permission de Dieu »28. Si la naïveté de son style dessert Bernardin sur le plan littéraire, elle confère néanmoins à sa pensée une certaine efficacité didactique, voire pédagogique, lui permettant ainsi d’assurer en France un rôle non négligeable de vulgarisateur. Nul besoin, en effet, de lire attentivement l’ensemble de son œuvre pour assimiler la théorie des harmonies et se sentir invité à contempler dans la création l’image du créateur, autrement dit à reprendre à propos de la mer le précepte du Psaume XVIII, Cœli enarrant gloriam Dei .
25Il n’est certes pas anodin qu’un autre texte biblique vienne contre-balancer l’influence du récit diluvien : contempler l’Océan pour y voir la gloire de Dieu, c’est apprendre à y reconnaître non seulement sa puissance, mais aussi sa bienveillance et sa prévoyance à l’égard de l’homme. Ainsi se trouve induit un tout autre discours. A l’orée de la période romantique se côtoient donc deux regards sur la mer, tous deux fortement liés à l’appréhension du sacré. Or, bien que l’in catastrophiste semble dominer, ne serait-ce que parce que la mer reste un monde inconnu, donc inquiétant, la lecture issue de la théologie naturelle – favorisée par le développement des voyages et des techniques – se trouve étayée par le retour en force d’une conception analogique de l’univers. Dans ce cadre s’épanouit une nouvelle poésie de la mer que Chateaubriand est le premier à consacrer.
L’influence de Chateaubriand
26Malouin, amoureux de la mer qu’il « découvre » en tant qu’écrivain de la sensibilité soucieux de redonner à la nature sa profondeur symbolique, il pose dès 1802, dans le Génie du christianisme, l’essentiel des questions à la fois religieuses et littéraires sur la mer que développera après lui la génération romantique. Trois extraits du Génie suffiront à situer sa réflexion à l’orée du siècle et donneront un cadre à l’ensemble de notre exploration à venir sur la métaphore de la mer au xixe siècle.
27La familiarité, le lien filial qui unissent Chateaubriand à la mer le poussent à occulter les angoisses diluviennes pour mettre en évidence la conception issue de la « physico-théologie ». Le sujet même du Génie, en tant qu’apologétique, suscite d’ailleurs un commentaire du Psaume XVIII et, de fait, un livre entier est consacré à « L’existence de Dieu prouvée par les merveilles de la nature »29. Se référant explicitement à Nieuwentijdt, fondateur de la physico-théologie en Hollande30, qu’il prend comme garant, paraphrasant à l’occasion (sans le signaler) à Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand est conscient de ne pouvoir contourner l’obstacle littéraire qui s’élève devant les défenseurs de cette thèse. Si l’on peut dire, comme il l’affirme, que « l’homme est la pensée manifestée de Dieu, et que l’univers est son imagination rendue sensible »31, la preuve de l’existence de Dieu sera d’autant plus évidente pour chacun qu’elle parlera à sa sensibilité propre. Or, ériger l’univers en objet de contemplation systématique oblige à s’émerveiller devant tous les éléments naturels. La sincérité de l’admiration devient alors douteuse et Chateaubriand glisse d’ailleurs en note à propos de Nieuwentijdt :
Nous avons pris la liberté de refondre et d’animer un peu son sujet. Le docteur est savant, sage, judicieux, mais sec. Nous avons aussi mêlé quelques observations aux siennes. (p. 560)
28Malgré cette précaution, « l’Enchanteur » lui-même n’évite pas le piège qu’il signale, ne serait-ce que parce qu’il reste inféodé à l’usage rhétorique selon lequel la démonstration acquiert du poids par l’accumulation des exemples. Ainsi, une froide et technique description du comportement des poissons, paraphrasée de Nieuwentijdt, frappe-t-elle par un style scientifique, lourd et distancié, tout à fait étranger à l’auteur :
Quant à l’organisation des poissons, leur seule existence dans l’élément de l’eau, le changement relatif de leur pesanteur, changement par lequel ils flottent dans une eau plus légère comme dans une eau plus pesante, et descendent de la surface de l’abîme au plus profond de ses gouffres, sont des miracles perpétuels ; vraie machine hydrostatique, le poisson fait voir mille phénomènes au moyen d’une simple vessie, qu’il vide ou remplit d’air à volonté. (p. 563)
29Quelle platitude ! En revanche, quand il s’agit d’évoquer les oiseaux que Chateaubriand a toujours aimés, il retrouve son génie personnel et revendique son originalité au nom de sa familiarité avec le sujet32. Les mœurs des oiseaux de mer donnent ainsi lieu non plus à une analyse technique, mais à un texte empreint de sentiment, qui établit tout un réseau de correspondances affectives entre l’homme et la nature, et plus encore entre l’homme de mer et l’univers marin, dans une expérience dont on perçoit l’intimité vécue :
Tous les accidents des mers, le flux et le reflux, le calme et l’orage, sont prédits par les oiseaux. La mauve descend sur une grève, retire son cou dans sa plume, cache une patte dans son duvet, et, se tenant immobile sur l’autre, avertit le pêcheur de l’instant où les vagues se lèvent ; l’alouette marine, qui court le long du flot, en poussant un cri doux et triste, annonce, au contraire, le moment du reflux : enfin, les procellaria s’établissent au milieu de l’Océan. Compagnes des mariniers, elles suivent la course des navires, et prophétisent la tempête. Le matelot leur attribue quelque chose de sacré, et leur donne religieusement l’hospitalité, quand le vent les jette à bord. (p. 576)
30L’écart de style manifeste qui distingue ces deux passages, la préférence affirmée de l’auteur pour le second qui porte la marque de son rythme et de sa musicalité propres, révèlent une conscience aiguë de la nécessité de renouveler l’écriture en abandonnant le registre technique au profit d’un style sensible. Se développe ainsi l’idée d’une observation sympathique, subjective et incitant d’emblée à une lecture interprétative qui devient elle-même l’origine d’un glissement vers un sens figuré.
31Evoluer vers une écriture plus personnelle suppose également de renoncer au langage codifié par la tradition antique, référence obligée pour cette génération imprégnée de culture classique. De cet écueil aussi, Chateaubriand se montre très conscient, dénonçant dans son chapitre « Que la mythologie rapetissait la nature »33 le carcan dans lequel le recours au paganisme enfermait la sensibilité :
Oh ! que le poète chrétien est plus favorisé dans la solitude dans laquelle Dieu se promène avec lui ! Libres de ce troupeau de dieux ridicules qui les bornaient de toutes parts, les bois se sont remplis d’une Divinité immense. (p. 720)
32La supériorité du poète chrétien tient au fait que sa religion lui permet de voir dans la nature un profond mystère, que seule l’appréhension du sacré peut combler, sinon expliquer. Pour accéder à ce niveau de pénétration, plusieurs étapes s’imposent : tout d’abord s’abandonner physiquement dans la nature, de façon à se laisser pénétrer de son mystère, qu’il ne faut surtout pas tenter d’élucider ou de réduire. Du vertige même engendré par la contemplation et l’incompréhension admirative naît alors le plus élémentaire, mais aussi peut-être pour Chateaubriand le plus vrai et le plus intime sentiment du sacré :
Il y a dans l’homme un instinct qui le met en rapport avec les scènes de la nature. […] Qui ne s’est plu, au bord de la mer, à regarder blanchir l’écueil éloigné ! Il faut plaindre les anciens qui n’avaient trouvé dans l’Océan que le palais de Neptune et la grotte de Protée ; il était dur de ne voir que les aventures des Tritons et des Néréides dans cette immensité des mers, qui semble nous donner une mesure confuse de la grandeur de notre âme, dans cette immensité qui fait naître en nous un vague désir de quitter la vie, pour embrasser la nature et nous confondre avec son Auteur. (p. 721)
33Chateaubriand pose dans ce texte capital les conditions d’une écriture nouvelle de la mer où l’Océan prend le premier rôle comme expression immédiate, en tant qu’image manifeste de Dieu, tandis que l’homme comprend peu à peu comment s’inscrire dans cet espace dont le sens lui est subitement révélé. Il définit ainsi le cadre d’un champ littéraire à explorer, qui suppose d’écarter la référence à la mythologie dans la mesure où celle-ci vient bloquer l’expression dans un moule qui ne peut plus désormais être ressenti que comme un stéréotype. L’écriture devra rendre compte d’une expérience avant tout personnelle, vécue d’abord comme un trouble intérieur, une sorte de vertige des sens face à l’infini qui impose l’évidence de Dieu.
34De cet objectif nouveau – et ambitieux – qu’il assigne à la description de la nature et surtout de la mer, Chateaubriand donne un exemple magistral qui, en conclusion du livre consacré aux preuves de l’existence de Dieu par les merveilles de la nature, marque sa formidable domination littéraire sur les tenants de la physico-théologie. Il s’agit bien sûr du célèbre nocturne marin, première des deux « perspectives de la nature »34. Sans reprendre dans le détail une page que j’ai déjà commentée35, je soulignerai le rôle de la description initiale du paysage. L’extrême minutie des détails, les précisions géographiques visant à quadriller l’espace infini, le recours à des métaphores terrestres révèlent le souci de partager avec un lecteur a priori peu familier des choses de la mer la situation physique toute particulière que constitue l’appréhension d’un panorama de grand large :
La couleur des eaux devint semblable à celle du verre liquide. Une grosse houle venait du couchant, bien que le vent soufflât de l’est ; d’énormes ondulations s’étendaient du nord au midi, et ouvraient dans leurs vallées de longues échappées de vue sur les déserts de l’Océan. Ces mobiles paysages changeaient d’aspect à toute minute : tantôt une multitude de tertres verdoyants représentaient des sillons de tombeaux dans un cimetière immense ; tantôt les lames, en faisant moutonner leurs cimes, imitaient des troupeaux blancs répandus sur des bruyères : souvent, l’espace semblait borné, faute de point de comparaison ; mais si une vague venait à se lever, un flot à se courber comme une côte lointaine, un escadron de chiens de mer à passer à l’horizon, l’espace s’ouvrait subitement devant nous. On avait surtout l’idée de l’étendue lorsqu’une brume légère rampait à la surface de la mer, et semblait accroître l’immensité même. (p. 589-590)
35A cette première approche diurne qui multiplie subtilement les sensations visuelles et kinesthésiques propres au milieu marin, les variations dans la perception des couleurs, des plans et des profondeurs de champ, succède une scène nocturne, totalement dominée par l’évidence physique de la présence divine :
Dieu des chrétiens ! c’est surtout dans les eaux de l’abîme, et dans les profondeurs des cieux, que tu as gravé bien fortement les traits de ta toute-puissance ! Des mil d’étoiles rayonnant dans le sombre azur du dôme céleste, la lune au milieu du firmament, une mer sans rivage, l’infini dans le ciel et sur les flots ! Jamais tu ne m’as plus troublé de ta grandeur, que dans ces nuits où, suspendu entre les astres et l’Océan, j’avais l’immensité sur ma tête, et l’immensité sous mes pieds !
36Le nocturne marin apparaît d’une importance capitale dans l’histoire de l’écriture de la mer. Il constitue en effet à la fois un point initial par sa date – 1802 – et un apogée par la parfaite maîtrise de sa facture et par la multiplicité de ses résonances. Il ne faut pas oublier que, pour le lecteur du xixe siècle, le Génie du christianisme est le grand ouvrage de Chateaubriand, connu, lu et relu. Cette page, que sa qualité d’écriture vouait d’ailleurs à une immédiate réutilisation dans les recueils de morceaux choisis alors fort en vogue, s’impose à l’aube du Romantisme comme le modèle de prose poétique sur la mer.
37Chateaubriand y érige en principe la nécessité d’une sensibilité, voire d’une sensualité, dans le rapport à l’élément et fait de son appréhension physique un mode immédiat de saisie de la transcendance. Par là-même, il remotive l’image archétypale36 en la fondant sur une expérience sensible qui échappe au contrôle de la raison. Le rapprochement est alors très frappant avec les définitions de la métaphore que proposent Albert Henry et Michel Le Guern :
Issue d’une réaction sensible, elle est une intuition neuve qui part de l’imagina et atteint l’imagination. La contemplation heureuse du perçu ménage un moment fécond où se crée une synthèse vivante qui actualise l’interaction de deux facteurs ;
38et
elle produit, à un autre niveau que celui de l’information pure, l’évocation d’une image associée que perçoit l’imagination et qui exerce son retentissement sur la sensibilité sans le contrôle de l’intelligence logique37.
39Il ne s’agit bien sûr pas de confondre la relation d’une expérience vécue avec un trope dont le mécanisme intervient à un niveau proprement linguistique, mais de souligner la parenté étroite qui unit dans ce cas particulier la perception analogique fondée sur la sensibilité à l’expression métaphorique.
40La parenté de ces deux phénomènes explique en effet en grande partie et la fortune de la métaphore marine dans la littérature romantique, et l’importance de l’écho suscité par l’esthétique mise en œuvre dans le Génie du christianisme : elle pose un mode d’expression exactement propre à traduire l’effort de saisie analogique de l’ordre du monde. Chateaubriand est ici encore précurseur et initiateur : en cherchant à traduire son appréhension propre du sacré, il rejoint une caractéristique dominante de la pensée religieuse contemporaine. Comme l’ont montré de nombreux travaux38, l’influence des diverses philosophies illuministes et surtout le traumatisme engendré par la Révolution incitent penseurs et écrivains à infléchir leur conception religieuse de telle sorte qu’elle puisse redonner un sens à l’histoire et à la politique contemporaines39. Chacun tente ainsi de construire sa propre théologie ou sa propre cosmogonie.
41L’influence d’un tel foisonnement de pensée a été fort bien étudiée, mais non l’extraordinaire fécondité poétique qu’une telle liberté de conception, liée en outre à la revendication romantique d’originalité, confère à l’écriture de la mer. Dans la mesure où nombreux sont les écrivains qui, façonnés par un mode analogique d’appréhension du monde, élaborent leur propre approche du sacré à travers le contact avec la nature, la mer apparaît en effet comme un espace privilégié de ce lien au divin, terme intermédiaire entre la terre souillée par l’homme et le ciel, trop abstrait domaine de Dieu. D’autre part, elle est aussi un espace littéraire à conquérir, balisé uniquement par les références bibliques et les textes canoniques de la tradition gréco-latine. Le souci romantique de balayer les résidus néo-classiques va ainsi de pair avec la liberté offerte par la recherche d’images neuves et personnelles pour suggérer la transcendance, sous quelque forme que ce soit. De là, me semble-t-il, une profonde renaissance de l’écriture de la mer et surtout la toute nouvelle fécondité de son usage métaphorique.
42Etudier le regain de fortune de la mer comme figure d’expression et tenter d’en cerner la forme me conduira donc à analyser le processus de remotivation de la métaphore, ainsi que son lien avec une approche analogique du sacré qui, dans la pensée romantique, coïncide avec la tentative de percevoir – ou souvent même instaurer – la cohérence du monde. Pour mettre en relief a contrario l’originalité de cette écriture, il est éclairant d’observer rapidement deux contre : le recours au cliché à travers la poésie de Chénier, l’absence de cohé heuristique à travers celle de Lamartine40.
Deux contre-exemples : Chénier et Lamartine
43La reviviscence de la métaphore à travers la subjectivité semble bien une innovation romantique. En effet, avant le début du xixe siècle, en tant que champ limité par quelques références collectives pré-codifiées, le motif maritime s’exprime guère que par le biais du cliché, traduction la plus évidente du stéréo qu’il véhicule41. Si le cliché était perçu par le classicisme, et plus encore le néoclassicisme, comme une figure d’ornementation, marque de la noblesse du discours, ou comme un lieu commun au sens positif de l’Antiquité ou de la Renaissance, c’est-à-dire un point de repère largement partagé dans l’argumentation, le Romantisme en revanche le tient soudain en suspicion, dénonçant en lui un manque d’originalité, et bientôt la trace d’un défaut de style, voire d’une indigence42.
44Une bonne illustration de ce phénomène, plus frappante encore pour nous, lecteurs contemporains marqués par l’empreinte du Romantisme, se trouve offerte par le traitement de la mer dans l’œuvre poétique de Chénier, redécouverte progressivement de la première allusion faite dans le Génie à sa publication en 1819. Bien que ces pages aient été accueillies alors comme les prémices de la sensibilité nouvelle, leur très forte imprégnation néo-classique est sans doute pour nous la caractéristique dominante de la langue de Chénier. A propos de la mer, à l’égard de laquelle il éprouve plus de peur que d’attirance43, le recours au cliché est quasi systématique et la qualification se fait attendre avec l’évidence de l’épithète homérique. « Le vent impétueux »44 parcourt « l’onde amère »45, découvrant
Un roc battu des vents, battu des flots amers !46
45Quant à l’homme embarqué sur cette « mer trompeuse »,
Combien il frémira d’entendre sur sa tête
Gronder les aquilons et la noire tempête,
Et d’écueil en écueil portera ses douleurs
Sans trouver une main pour essuyer ses pleurs !47
46La mer devient ainsi une métaphore des tribulations de l’existence qui, alors même que les circonstances révolutionnaires sont notoirement sinistres, perd de sa force par la référence mythologique, que récusera bientôt le Génie :
De Charybde en Scylla toujours vague et flottant,
Et toujours loin du bord objet de quelque orage,
Je ne sais que périr de naufrage en naufrage48.
47L’omniprésence de la référence gréco-latine élève un écran entre l’élément marin et le signifié. Le truchement métaphorique est ici constitué par un jeu littéraire de reconnaissance du modèle qui supplante autant le contact direct avec l’élément décrit que le souci d’une expression personnelle au profit d’un glissement d’un code linguistique à un autre, dans lequel s’affaiblit le potentiel iconique du référent. Ainsi la mer n’apparaît-elle qu’à peine, en tant que cadre obligé d’une action connue, de telle sorte qu’il suffit de l’évoquer, sans la moindre description. Lors de « L’enlèvement d’Europe », « Le Dieu fuit vers la mer », si bien qu’
[…] elle n’eût devant soi
Rien qu’une mer immense et le ciel sur sa tête49.
48L’élégie XXIX suggère à peine les pérégrinations d’Ulysse :
Ainsi, vainqueur de Troie, et des vents, et des flots,
D’un navire emprunté pressant les matelots,
Le fils du vieux Laërte arrive en sa patrie50.
49Même dans la célèbre pièce « La Jeune Tarentine »51, la mer n’est évoquée qu’à travers des périphrases, métonymie comme « la vague marine » ou métaphore rebattue comme « les demeures humides ». Une seule expression concrète – « Elle est au sein des flots » –, ne suffit guère à favoriser une représentation du paysage. De fait, celui-ci ne compte pas en tant que tel, mais simplement comme cadre dramatique d’une scène pathétique sur laquelle se concentre l’attention. Dans une esthétique qui privilégie l’économie de la description et le recours aux termes nobles, le décor demeure fonctionnel au point de perdre toute iconicité : la suggestion propre à une image archétypale en sort très affaiblie52.
50L’œuvre de Chénier propose ainsi un exemple, très frappant car proche par sa date du Romantisme, d’une écriture absolument non romantique de la mer. Loin de chercher l’originalité, l’épithète attendue, cliché issu du stéréotype de la mer tempétueuse, invalide la réactivation de la métaphore marine qui ne pourrait s’ancrer que dans un minimum de pertinence référentielle. En effet, comme l’explique Genette, « ce n’est pas le fait de tomber dans l’usage qui périme une figure, mais la disparition du terme propre »53. Or, comme je l’ai rappelé, cette règle esthétique s’impose ici comme d’autant plus pertinente qu’il s’agit d’une image archétypale. Dans l’introduction de L’Eau et les rêves54, Bachelard souligne la coexistence de deux modes d’imagination, « l’imagination formelle » et « l’imagination matérielle », et pose en principe qu’il n’y a pas de poésie de la matière sans une combinaison des deux. L’imagination formelle donne forme, interprète la matière, autrement dit engendre le glissement qui fonde le sens métaphorique, tandis que l’imagination matérielle conserve à l’origine du glissement le sens premier dont il est issu, maintenant ainsi la tension qui définit la métaphore vive entre « soumission à la réalité et invention fabuleuse »55.
51La restauration même de cette tension entre la matière concrète de l’élément marin et l’interprétation spirituelle qu’on peut lui conférer, liée au souci de maintenir la dimension matérielle au cœur de la suggestion poétique, est pour moi la marque des grands écrivains romantiques de la mer : elle se traduit par une remotivation de la métaphore dans le contact à la nature qui constitue un caractère propre à la reviviscence du cliché pendant cette période.
52Au niveau heuristique de l’appréhension du monde, choisir, comme le propose Chateaubriand, de mettre au premier plan une expérience vécue de la mer oblige à sortir du stéréotype pour constituer une perception personnelle. Il reste cependant malaisé d’échapper à un cadre de pensée préétabli (par exemple, la mer est terrifiante) et le risque est alors grand de retomber dans les expressions usées (mer amère…). Dans la mesure même où l’expérience d’un homme, fût-il poète, ne saurait être radicalement différente de celle des hommes, il s’avère impossible de renouveler complètement le vocabulaire sur un sujet et de sortir tout à fait des poncifs. Le recours au cliché est d’ailleurs une des bases de la communication. Il ne s’agit donc pas de renoncer à ce que l’imaginaire a toujours véhiculé sur la mer, au risque d’une excentricité fantasque, ni aux mots qui l’expriment, mais de permettre une reviviscence de ces clichés à la faveur de l’effacement du stéréotype.
53Ceci suppose, outre un retour sensible à la matière qui restaure une place à la dénotation aux côtés de la connotation, l’entrelacement d’éléments bien connus au cœur d’une pensée sinon originale, du moins personnelle et affirmée qui, par cet effet de mise en relation, confère à ce qui, isolé, ne serait que cliché, une nouvelle épaisseur, une résonance affective intime56. Aussi le critère de contextualisation interne du motif maritime a-t-il été décisif dans mon choix d’auteurs. En effet, en l’absence d’un réseau d’allusions à la mer et de métaphores marines développant à travers l’œuvre une cohérence propre, l’Océan reste chez un écrivain de cette période57 un thème sporadique, le plus souvent d’ailleurs réduit de ce fait au cliché.
54L’œuvre poétique de L amartine illustre exactement la combinaison d’un usage assez fréquent de références à la mer et de l’absence d’une organisation cohérente du propos. L’idée la plus récurrente est celle des « flots amers »58 et du « vent de l’inconstance »59 qui font de la mer l’image des tribulations de la vie humaine :
Et la vie et la mort sont sans cesse et sans fin
Ce flux et ce reflux de l’océan divin !60
55La mer est ainsi synonyme de naufrage inévitable, métaphore de la condition mortelle :
Tandis que nous parlons, une vague éternelle
S’enfle sous le navire et l’emporte avec elle ;
Sur les mers de ce monde il n’est jamais de port,
Et le naufrage seul nous jette sur le bord !61
56La vie se résume à une longue tempête, à une pérégrination hasardeuse entre les récifs :
J’affronte de nouveaux orages ;
Sans doute à de nouveaux naufrages
Mon frêle esquif est dévoué ;
Et pourtant à la fleur de l’âge,
Sur quels écueils, sur quels rivages
N’ai-je déjà pas échoué ?62
57Le souffle poétique qui repose ici sur le sens du rythme et des constructions symétriques n’exclut pas une expression conventionnelle. Le cliché du « frêle esquif » parcourt ainsi l’ensemble de l’œuvre63, tandis que lui répond celui du port asile64 : on frôle la catachrèse.
58Cette vision négative de la mer pourrait se réactiver si elle se trouvait dans un réseau d’images répondant à la sensibilité de Lamartine. Tel n’est pas le cas, dans la mesure où celui-ci semble toujours procéder par emprunts littéraires, sans souci d’établir une cohérence entre eux. L’angoisse issue du déluge, qui coïncide bien avec l’image dominante que je viens d’évoquer, apparaît certes, mais de façon fort restreinte, sous des titres qui l’appellent, à l’ouverture de La Chute d’un ange, dans Les Visions ou encore « La Providence à l’homme »65. Mais, alors que cet arrière-plan biblique pourrait fonder le cliché de l’esquif et lui donner du poids, il se trouve remis en cause par la veine contradictoire issue de la physico-théologie qui domine très nettement le recueil des Harmonies poétiques et religieuses dont le titre s’érige bien sûr en écho à Bernardin de Saint-Pierre. Le plus souvent alors, la référence à l’Océan reste allusive, prise dans la coulée d’un catalogue des beautés de la Création qui implique l’usage figé d’un lexique de registre sublime :
O Nuits, déroulez en silence
Les pages du livre des cieux ;
Astres, gravitez en cadence
Dans vos sentiers harmonieux ;
Durant ces heures solennelles,
Aquilons, repliez vos ailes,
Terre, assoupissez vos échos ;
Etends tes vagues sur les plages,
O mer ! et berce les images
Du Dieu qui t’as donné tes flots66.
59L’effet de liste induit L amartine à tomber dans le même piège que ses prédécesseurs et l’on ne peut que sourire en voyant dans les ajouts de « l’édition des souscripteurs » un éloge de « La Fleur des eaux »67 dont l’esprit est tout inspiré de Bernardin. Quant à la dernière strophe de « L’Occident », toujours dans les Harmonies, elle constitue une paraphrase, affadie par l’abstraction, du Génie du christianisme :
A toi, grand Tout ! dont l’astre est la pâle étincelle,
En qui la nuit, le jour, l’esprit vont aboutir !
Flux et reflux divin de vie universelle,
Vaste océan de l’Etre où tout va s’engloutir !...68
60Ce regard euphorique fait contraste avec la dominante dysphorique à laquelle que rien ne l’articule, à l’encontre des dialectiques que nous verrons s’établir chez Hugo, Baudelaire et même Sainte-Beuve. Il pourrait être conforté par une veine personnelle issue du contact de Lamartine avec le cadre idyllique de la baie de Naples. Ici encore, la déception s’impose. Dans Graziella, pauvre en descriptions maritimes, la mer est seulement le cadre de l’action romanesque, tandis que les Mémoires de jeunesse relatent cet épisode sans la moindre allusion à la mer69. Dans l’œuvre poétique, les échos du séjour italien sont nombreux, mais jamais la mer n’y trouve place honorable. Souvent, à la manière de Chénier, il s’agit de scènes ayant pour décor le rivage ou le large, mais où l’attention se détourne du cadre. Tel est le cas de « Premier regret », poème qui résume l’histoire de Graziella à la fin du roman70, de la paraphrase de « La jeune Tarentine » que constitue « Le lis du golfe de Santa Restituta »71, d’un « fragment d’églogue marine »72, du « Salut à l’île d’Ischia »73 ou de « La Fille du pêcheur »74. Quand le titre du poème annonce une focalisation sur le paysage, le cadre maritime se trouve, comme chez Chénier encore, brossé dès le ou les premiers vers et sa généralité, accentuée par l’usage d’épithètes de convention, demeure telle qu’elle confère tout au plus une ambiance, sans permettre de construire une image75. Ainsi du golfe de Naples dans « Tristesse » :
Ramenez-moi, disais-je, au fortuné rivage
Où Naples réfléchit dans une mer d’azur
ses palais, ses coteaux, ses astres sans nuages76.
61« Le Golfe de Baya » s’ouvre sur le même mode :
Vois comme le flot paisible
Sur le rivage vient mourir !
Vois le volage zéphyr
Rider, d’une haleine insensible,
L’onde qu’il aime à parcourir !77
62La métaphore marine ne parvient donc guère à prendre corps dans la poésie de Lamartine78. De fait, on saisira bien la place qu’il accorde à la mer à travers une sentence du Voyage en Orient, à condition de ne pas la séparer de son contexte :
Tout paysage où la mer n’entre pas pour élément n’est pas complet. Ici, la mer, le désert, le ciel, sont le cadre majestueux du tableau, et l’œil ravi se reporte sans cesse du fond des forêts séculaires, du bord des sources ombragées, du sommet des pics aériens, des scènes paisibles de la vie rurale ou cénobitique, sur l’espace bleu sillonné par les navires, sur les cimes de neige noyées par le ciel auprès des étoiles, ou sur les vagues jaunes et dorées du désert. […] C’est de ce contraste incessant que naissent le choc des pensées et des impressions solennelles79.
63En apparence, suivant sans doute la mode instaurée par Chateaubriand, la mer tient un rôle majeur, en tout cas premier. En fait, elle n’est qu’un élément, voire un simple faire-valoir, dont l’essentiel se résout finalement, comme le dit Sarga Moussa, en « véritable théâtre du moi »80 qui tend à abolir la nature, ou du moins la mer, en tant que telle. Peu intéressé par elle, même s’il y fait souvent référence, Lamartine se contente de juxtaposer en marqueterie des approches contra81 qu’il ne cherche pas à s’approprier dans une cohérence de pensée personnelle.
***
64Ce détour par Lamartine permet donc de définir a contrario mon champ d’observation. Dans le but d’analyser la reviviscence et la fécondité d’un motif préalablement réduit à l’état de cliché, le choix s’oriente vers des auteurs chez qui la mer acquiert une portée métaphorique. D’une part, ceci écarte aussi bien les relations de voyage, visant souvent une sécheresse scientifique, que les récits d’aventures ou de pirates, d’ailleurs moins développés en France que dans les pays anglo-saxons82, où le romanesque et l’action éclipsent largement le cadre. D’autre part, se trouve privilégiée l’étude des œuvres poétiques, particulièrement propices à l’écoute des résonances suggestives engendrées par la métaphore.
65Le champ d’observation s’avérant encore très large, je l’ai focalisé sur l’une des caractéristiques du motif maritime à l’époque romantique, son lien avec l’appréhension de la transcendance, la découverte de la mer comme espace littéraire vierge autorisant l’expression d’une cosmogonie dans laquelle, intermédiaire de premier plan, elle favorise le lien entre l’homme – et le poète – et le sacré. L’apologétique chrétienne du Génie ouvre cette voie nouvelle qui pourra être exploitée tant que perdurera la possibilité de construire individuellement sa conception de l’univers, ce que s’applique à remettre en cause le scientisme positiviste. La borne limitant l’expansion de cet usage spécifique de la métaphore marine est ainsi constituée par l’apologétique scientiste que Michelet pose, en réponse au Génie du christianisme, avec La Mer, en 1861.
66Dans cette période, mais non limités par sa date finale, se trouvent compris, à l’exclusion bien sûr de Chateaubriand, cinq auteurs qui tentent, chacun à sa façon, de saisir, ou du moins d’approcher le rapport au sacré par le truchement de l’Océan, tissant ainsi à travers leurs œuvres un réseau métaphorique articulé, dont la cohérence élabore une mise en image de leur vision du monde. Etudier Vigny, Sainte-Beuve, Quinet, Hugo et Baudelaire, auteurs de notoriété, de talent et de prolixité fort disparates, impliquait, sur fond d’une investigation commune, une méthode assez souple pour s’adapter à chaque œuvre. Dans tous les cas, il s’est agi de dégager le rapport de l’auteur à la mer, fondement de son expérience personnelle, mais surtout l’image qu’il en construit à travers le réseau textuel dans son ensemble. Ma démarche, le plus souvent, isole d’abord, chez chaque auteur, les stéréotypes ou le substrat d’expressions clichées, empruntées pour la plupart au classicisme ou à la Bible, et cherche à mettre peu à peu au jour la part d’expression personnelle, en écho avec la sensibilité intime83.
67Afin que l’enquête ne déforme pas la pensée de l’auteur, tout en la centrant sur l’œuvre poétique, je l’ai élargie à l’ensemble des ouvrages, sauf dans le cas d’Edgar Quinet, auteur principalement de traités sur la philosophie de l’histoire dont je n’ai utilisé que le grand poème en forme d’oratorio Ahasvérus. La question de l’exhaustivité des références a dû être réglée différemment selon les cas. Inconcevable sous peine d’incessantes longueurs et redites chez Hugo, elle m’a paru indispensable pour rendre compte des multiples facettes de la pensée baudelairienne et de la subtilité de leur articulation, moins utile pour la poésie de Vigny dont la philosophie s’exprime de façon plus explicite, nécessaire pour porter à la connaissance du lecteur des œuvres peu accessibles comme celles de Sainte-Beuve ou de Quinet.
68Enfin, pour permettre de mieux approcher l’évolution de la métaphore marine à la fois dans la perspective inter-textuelle de l’ensemble de la période et dans le cadre intra-textuel de chacun des auteurs84, il a fallu combiner avec l’approche chronologique qui semblait s’imposer par sa simplicité, une organisation parfois plus dialectique. En ce qui concerne l’organisation d’ensemble d’abord, les auteurs ne peuvent bien sûr être « classés » qu’en fonction de la date relative de leur première œuvre reconnue, ce qui entraîne d’inévitables chevauchements et retours en arrière.
69La succession des parutions des Poèmes antiques et modernes en 1826, de Joseph Delorme en 1829 et d’Ahasvérus en 1833 permet de dégager deux précurseurs, relativement peu novateurs, Vigny et Sainte-Beuve, et de réserver à Quinet une place précédant immédiatement Hugo dont il prépare et concentre le renverse dialectique articulé par une dynamique des genres. Toujours inclassable dans le temps par l’étendue de sa production, Hugo arrive ainsi au point d’aboutissement de la sensibilité des premiers romantiques et laisse Baudelaire couronner l’épanouissement de la métaphore en ouvrant la voie à la modernité.
70D’autre part, à l’intérieur même de l’œuvre d’un auteur, la cohérence du motif n’est pas toujours fonction de la chronologie. Si la vision de la mer devient de plus en plus riche au fil d’Ahasvérus ou de la maturation de l’œuvre hugolienne, ainsi, à peu près, que de celle de Vigny, la complexité de la pensée de Baudelaire ou la discontinuité intuitive de celle de Sainte-Beuve ne peuvent guère être suivies que dans une analyse dialectique.
71Ce parcours, infléchi par la personnalité de chaque auteur, fera donc décou pas à pas le rapport à la transcendance de chacun d’entre eux à travers l’image marine qu’ils construisent, toujours différente et complémentaire ; dans sa per d’ensemble, le périple dans son ensemble révèlera la richesse du réseau métaphorique tissé autour de la mer pendant la période romantique et mettra en évidence les traits qui caractérisent la figure. Il va de soi qu’une lecture thématique de la mer chez Hugo ou Baudelaire ne saurait prétendre à l’originalité : mon projet est bien ici la mise en perspective diachronique d’un moment d’his de la pensée envisagée à travers l’écriture poétique.
Notes de bas de page
1 Définition du Petit Robert.
2 En témoigne la prolifération des séminaires de recherche consacrés à l’espace ou au paysage. G. Genette souligne d’ailleurs que « le terme même de “métaphore spatiale” est presque un pléonasme, car les métaphores sont généralement tirées du lexique de l’étendue », Figures I, « Espace et langage », Seuil, 1966.
3 Je paraphrase ici bien sûr l’expression « structure d’horizon » qui fonde la thèse de L’Horizon fabuleux, Corti, 1989. Dans le cas de la mer, il va de soi que l’analyse se trouve amputée de l’évolution historique du signifiant, inexistante puisque le référent ne présente pas d’ambiguïté.
4 Mon cœur mis à nu, Œuvres complètes, Pléiade, t. I, p. 696 : « La mer offre à la fois l’idée de l’immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l’homme le rayon de l’infini. Voilà un infini diminutif. Qu’importe s’il suffit à suggérer l’idée de l’infini total ? »
5 Op. cit., t. I, p. 21.
6 Essais, Points, Seuil, 1975.
7 Poétique, 1457 b 6-9, cité in Ricœur, p. 19.
8 Définissant la métaphore de façon générale, Georges Molinié reprend ces critères : « Il est dif de ne pas voir dans ce mécanisme tropique un dynamisme d’allure substitutionnel […] ; il est enfin difficile de ne pas caractériser ce mécanisme substitutionnel par le jeu d’un transfert, à l’intérieur d’une même isotopie, concernant des traits discursivement afférents, d’ordre connotatif, dont on ne voit pas qu’on puisse caractériser le processus prédicatif autrement qu’en terme vague d’analogie, sauf à construire un système si puissant […] qu’il risque de perdre toute valeur interprétative et descriptive spécifique. », « La métaphore : limites du trope et réception », in La métaphore entre philosophie et rhétorique, Nanine Charbonnel et Georges Kleiber, PUF, 1999, p. 173.
9 G. Molinié, Dictionnaire de rhétorique, Livre de poche, article « métaphore », p. 213 : « la métaphore est un trope, c’est-à-dire une figure de type microstructural ».
10 La première expression est de Ricœur, la deuxième est consacrée par la rhétorique : « Une figure, essentiellement microstructurale (un trope notamment) est dite continuée lorsque la même idée centrale se trouve exprimée par plusieurs termes figurés qui en étoffent l’illustration », Molinié, op. cit., p. 92. Il faut remarquer que la valeur interprétative se lit alors essentiellement sur un plan macrostructural.
11 La métaphore vive, p. 323. Le même élargissement, qui suppose d’analyser la métaphore en rapport avec les figures qui lui sont contiguës, est entériné par J. Molino, F. Soublin et J. Tamine dans « Présentation : problèmes de la métaphore », Langages, n ° 54, juin 1979, p. 6-7.
12 Ibid., p. 10.
13 J’emploie ce terme, à la suite de M. Le Guern au sens de « représentation mentale qui correspond au sens habituel du mot utilisé », Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Larousse université, 1973, p. 43.
14 Op. cit., p. 46.
15 Rappelons avec M. Le Guern que « le mécanisme de la métaphore s’explique au niveau de la communication logique par la suppression, ou plus exactement par la mise entre parenthèses, d’une partie des sèmes constitutifs du lexème employé », op. cit., p. et que « la particularité de la métaphore consiste à unir une dénotation marquée par un processus de sélection sémique à une connotation psychologique qui reste obligée, même dans un contexte restreint », ibid., p. 21.
16 M. Le Guern, op. cit., p. 45.
17 Models and metaphors, Ithaca, Cornell University Press, 1962, p. 40, cité par Ricœur, op. cit., p. 109.
18 Marie Pinel, La mer et le sacré chez Chateaubriand, Claude Alzieu éditeur, Albertville, 1993.
19 Voir M. Pinel, op. cit., ch. II : De la vision païenne à la vision chrétienne de la mer, ch. III : La vision chrétienne de la mer.
20 Robert de La Croix, Les Ecrivains de la mer, Christian de Bartillat éditeur, Etrépilly, 1986. Cette expression est le titre du premier chapitre, qui couvre en 28 pages une période allant de Rabelais à Bougainville.
21 Le Territoire du vide, l’Occident et le désir du rivage, 1750-1840, Aubier, collection historique, Paris, 1988. Je m’appuierai largement, pour poser ici un cadre socio-historique, sur la première partie, « L’ignorance et les balbutiements du désir », p. 9-68.
22 Op. cit., p. 16.
23 Enéide I, vers 85 sq.
24 A. Corbin, op. cit., p. 27.
25 Ibid., p. 35.
26 Editions d’origine : Etudes de la nature, Didot jeune, 1784, 3 volumes ; Harmonies de la nature, L. Aimé-Martin, Paris, Méquignon-Marvis, 1815.
27 Etudes de la nature, Paris, Didot jeune, 1809, 4e édition, t. III, p. 107.
28 Ibid., t. I, p. 200.
29 1re partie, livre V. Mon édition de référence sera celle de la Pléiade, établie par M. Regard en 1978.
30 Son ouvrage, L’existence de Dieu démontrée par les merveilles de la nature paraît en 1715 à Amsterdam et est traduit par Noguez, chez V. Vincent, Paris, en 1725.
31 Génie du christianisme, op. cit., p. 558.
32 Ibid., p. 564 : « Ce n’est point dans une ménagerie où l’on tient en cage les secrets de Dieu, qu’on apprend à connaître la Sagesse divine : il faut l’avoir surprise, cette sagesse, dans les déserts, pour ne plus douter de son existence ; on ne revient point impie des royaumes de la solitude [...]. Nous l’avons visitée au milieu de la nuit […] »
33 2e partie, livre IV, chapitre I. L’exagération même du propos en révèle la portée polémique.
34 1re partie, livre V, chapitre XII.
35 Voir en particulier op. cit., p. 297-308 et « Marines et paysages marins », in Enfance et voyages de Chateaubriand, Actes du colloque de Brest, sept. 1998, réunis par J. Balcou, Champion, 2001, p. 35-46.
36 Ce mécanisme induit par l’écriture de la sensibilité vaut évidemment pour tous les éléments, l’élection de la mer incombant ici à l’auteur.
37 A. Henry, Métonymie et métaphore, Klincksieck, 1971, p. 59 et M. Le Guern, op. cit, p. 22.
38 Je ne citerai ici que quelques ouvrages généraux de référence : Paul Bénichou, Le temps des Prophètes, Gallimard, 1977 ; Brian Juden, Tendances orphiques et tendances mystiques dans le romantisme français, 1800-1855, Klincksieck, 1977 ; Franck-Paul Bowman, Le Christ des barricades, 1789-1848, Les éditions du Cerf, 1987.
39 Rappelons qu’une pensée a-religieuse est à peu près inconcevable dans la génération roman, dont les membres, quelle que soit leur position au regard du christianisme, se situent toujours dans la perspective d’un mode de foi, d’une quête de la transcendance.
40 Il va de soi qu’il ne s’agit pas de jugements de valeur sur ces auteurs en général, mais d’un constat sur l’usage métaphorique de la mer dans leurs œuvres.
41 Voir à ce propos la définition de Ruth Amossy, Les idées reçues, sémiologie du stéréotype, Nathan, Le texte à l’œuvre, 1991, p. 33 : « Voisin de la locution figée, le cliché se donne comme un groupe de mots qu’il est possible de dégager matériellement du texte, alors que le stéréotype constitue un schème toujours variable dans sa formulation que le destinataire doit reconstruire pour qu’il accède à son existence ».
42 Sur ce renversement de valeur du cliché, voir la thèse d’Anne-Marie Perrin-Naffakh, Le cliché de style en français moderne, nature linguistique et rhétorique, fonction littéraire, Atelier national de reproduction des thèses, Lille III, 1985, p. 25 et 285, ainsi que CAIEF, n ° 49, 1re partie : « Lieux communs et littérature », « Les Belles Lettres », mai 1997, Volker Kapp, Introduction à la journée consacrée aux lieux communs, p. 15-22, et Antoine Compagnon, « Théorie du lieu commun », p. 23-37.
43 Voir l’épigramme XXXI qui résume bien son opinion :
J’étais père, et je meurs victime de naufrage,
Adieu ma femme, adieu mes chers enfants. O toi,
Nautonier, de retour, si tu tiens le rivage,
Reste avec tes enfants, sois plus sage que moi.
Œuvres complètes, édition Gérard Walter, La Pléiade, 1958, p. 88.
44 Bucoliques, IX, « La Jeune Tarentine », op. cit., p. 12.
45 Ibid., XI, « Amymone », p. 13.
46 Les Amours, « D’. Z. N. », p. 109.
47 Epîtres, III, « A Le Brun et à Brazais », p. 141.
48 Ibid., V, « Aux frères Trudaine », p. 149.
49 Bucoliques, VI, p. 8. Voir aussi Epigrammes, XXIX, p. 87.
50 Elégies, p. 72-73.
51 Bucoliques, IX, p. 11-12.
52 Ces remarques n’enlèvent rien à la force pathétique de Chénier, consacré comme précurseur par les Romantiques en tant que poète du sentiment : je ne m’attache ici qu’au traitement de la mer dont la stylisation néo-classique prend appui sur le cliché.
53 « Langage poétique et poétique du langage », in Figures II, Seuil, 1969, p. 138. Voir aussi M. Le Guern : « On peut dire qu’une métaphore est usée lorsque le mot désigne une réalité d’un autre ordre d’une manière si habituelle que le sens propre n’est plus perçu et que la représentation qu’elle évoquait à l’origine n’affleure plus à la conscience de celui qui parle et qui écrit que comme une résonance affective et vague », Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Larousse, 1973, p. 18-19.
54 Essai sur l’imagination de la matière, Paris, Corti, 1942, p. 7-10.
55 Paul Ricœur, op. cit., p. 57.
56 C’est ainsi qu’Anne-Marie Perrin-Naffakh prend l’exemple de V. Hugo pour montrer qu’une expression clichée, mais très récurrente dans l’œuvre, perd sa dimension conventionnelle pour devenir l’expression d’une obsession intime, op. cit., p. 42-43.
57 Nous verrons dans notre dernière partie que ce n’est pas nécessairement le cas ultérieurement.
58 Harmonies, L. III, VI, p. 417. Voir aussi « le flot grondant sur l’écueil », Nouvelles Méditations poétiques, VI, p. 131, « les flots épouvantés », ibid., VIII, p. 137… Toutes les références sont empruntées aux Œuvres poétiques complètes, édition M. -Fr. Guyard, La Pléiade, 1963.
59 Harmonies, L. II, XII, p. 380.
60 Ibid., L. IV, XI, p. 484. Voir aussi p. 318, 1088, 1157, 1776, 1780.
61 Ibid., L. III, VI, p. 418. Voir p. 125, 144, 529…
62 Méditations poétiques, XXV, p. 66-67.
63 Voir par exemple p. 12, 143, 335, 459, 542…
64 P. 38, 67, 68, 380…
65 La Chute d’un ange, p. 808, 809, 811 ; Première Vision, p. 411, 420 ; Méditations poétiques, VIII, p. 26.
66 Harmonies, L. I, II, p. 296. Voir dans l’esprit de la physico-théologie p. 300, 301, 320, 321, 443, 465.
67 Titre de la pièce IX, p. 1236-1238.
68 Harmonies, L. I, II, p. 342. Voir le passage précédemment commenté, Génie, p. 721.
69 Mémoires de jeunesse (1790-1815), édition M. -R. Morin, Paris, Taillandier, in-texte, 1990, p. 131-158. Dans un domaine analogue, le Christophe Colomb de la Vie des grands hommes n’évoque pas davantage la mer.
70 Graziella, édition J. M. Gardair, Folio, p. 187-192, Œuvres poétiques complètes, p. 468 sq.
71 Pièces ajoutées aux Méditations poétiques, I, p. 1193-1194.
72 Ibid., III, « Le Pasteur et le pêcheur », p. 1195-1197.
73 « Edition des souscripteurs », XVI, p. 1224-1225.
74 Poèmes du cours familier de littérature, VII, p. 1500 sq.
75 L’esthétique du vaporeux, si bien analysée par Georges Poulet, interdit à l’élément de prendre corps.
76 Nouvelles Méditations poétiques, VII, p. 134.
77 Méditations poétiques, XXI, p. 60.
78 Notons en outre que Le Voyage en Orient, dont la relation est elle-même très pauvre en allusions maritimes, ne laisse guère de traces que dans La Chute d’un ange, à travers des allusions souvent rapides.
79 Voyage en Orient, in Œuvres complètes, Paris, Gosselin et Furne, 1836, t. VIII, p. 156. Il s’agit bien sûr du paysage du Liban.
80 S. Moussa, « La mer dans le Voyage en Orient de Lamartine », in Les Cahiers du S. E. L., séminaire espace et littérature, n ° 4, 1999, « Espace marin I », Université de Nantes, 1999, p. 50.
81 A ce qui vient d’être exploré, il convient d’ajouter deux emprunts littéraires : à Byron dans Le dernier chant du pèlerinage d’Harold et à la légende de Tristan et Iseult dans la Seconde vision : Les Chevaliers.
82 Voir à ce propos Alain-Michel Boyer, « Pour une typologie du roman maritime », in Les Cahiers du S. E. L., séminaire espace et littérature, n ° 5, 2001, « Rêveries marines et formes littéraires », Pleins feux, Nantes, et, pour un état du roman maritime en France au début du xixe siècle, l’introduction de François Roudaut à son édition du Négrier d’Edouard Corbière, Klincksieck, 1990, p. XVII-LXV ainsi que la bibliographie, p. 405. Le domaine anglo-saxon, beaucoup plus développé à cette époque, a été étudié par Jeanne-Marie Santraud, Les Chantres passionnés du grand Océan, Presses universitaires de la Sorbonne, 1988, 171 p.
83 C’est dans cette perspective seulement que l’aspect biographique peut s’avérer intéressant pour donner un éclairage. Je ne m’y suis arrêtée que rapidement et pour les auteurs mal connus.
84 La perspective diachronique comparative induit ainsi un quatrième champ d’application de la métaphore que P. Ricoeur ne refuserait me semble-t-il pas : après le mot, la phrase et le poème ou l’œuvre dans son ensemble, un rapport intertextuel.
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