De l’état de nature à la sagesse libertine : le parcours insolite d’Imirce, « fille de la nature »
p. 109-122
Texte intégral
1Dans les années 1760, la mode des robinsonnades voit paraître une « variante philosophique1 » de la mise en scène traditionnelle du naufragé échoué sur une île déserte. Les expériences relatées sont menées à partir de l’enfermement dans un lieu clos – cage, grotte ou prison – d’un garçon seul ou bien d’un couple d’enfants – fille et garçon2. Imirce ou la Fille de la Nature, publiée par l’abbé Dulaurens en 17653, appartient à cette veine littéraire, mais rappelle bien d’autres genres : indépendamment des récits qui l’encadrent, l’histoire d’Imirce proprement dite, racontée à la première personne, tient à la fois du récit-mémoires, du conte philosophique, de la fiction des origines et du roman exotique.
2Une jeune femme devenue châtelaine raconte sa vie : jusqu’à l’âge de vingtdeux ans, elle est enfermée dans une cave en compagnie d’un garçon au nom évocateur, Émilor4. L’expérimentateur Ariste les observe à travers une lucarne, jusqu’au jour où il décide de faire sortir Imirce de la cave. Il y laisse Émilor et se consacre à l’éducation de sa nouvelle compagne à qui il prête toutes les vertus de l’innocence. Il s’agit pour Dulaurens de montrer l’étroite parenté qui unit le postulat de l’innocence originelle de l’humanité à l’idée de nature, dans un rapport qui exclut d’emblée toute interprétation dogmatique : les notions religieuses de péché originel, de chute et de concupiscence sont balayées en faveur d’un idéal de sagesse libertine dont les tenants et les aboutissants ne sont pas moins discutables.
3La construction gigogne de ce texte inclassable permet à Dulaurens de recourir à une plurivocalité narrative dans le but de renforcer sa démonstration. Xang-Xung – c’est le pseudonyme qu’il se donne dans le récit –, Ariste et surtout Imirce, Émilor et leurs deux filles, Lucrèce et Babet, ont ceci en commun qu’ils revendiquent la liberté de n’écouter que la « voix de la nature ». À partir de cette ligne de conduite, l’auteur reprend à son compte les grands principes du libertinage. Imirce ou la Fille de la Nature lui vaut d’ailleurs d’être poursuivi et finalement arrêté le 31 décembre 1765, alors qu’il est en fuite.
4L’abbé se range volontiers du côté des philosophes persécutés quand il énonce les conditions dans lesquelles son ouvrage a été composé : « La faim m’oblige d’aller vite », déclare-t-il à la fin de sa préface intitulée Mon éducation et celle de ma cousine Sophie (p. 70). Et il termine le dernier récit emboîté dans Imirce par cette plainte : « J’ai trop à gémir de l’injustice d’un magistrat que les Jésuites ont indisposé contre moi ; mon crime est d’avoir offensé leur Ordre » (p. 194). Entre ces deux mentions se déploie la pensée exubérante et controversée d’un homme qui, en proie aux brimades et aux difficultés d’écrire, délègue sa parole à un personnage féminin, Imirce, figure centrale érigée contre toutes les formes d’oppression sociale.
5Avant de donner la parole à Imirce, Dulaurens développe son credo philosophique dans Mon éducation et celle de ma cousine Sophie, où il envisage le rapport originel de l’homme à Dieu comme une relation privilégiée appartenant à un âge d’or révolu dans l’histoire humaine. Il essaie de comprendre en quoi l’homme a pu « manquer » pour ainsi déroger à sa nature première, déchoir de sa perfection originelle, rompre l’équilibre initial entre le cœur, le corps et l’esprit, et perdre l’usage de ses capacités raisonnables au profit de la seule jouissance physique. Dulaurens rêve un recommencement depuis les origines afin de soustraire l’humain à ses erreurs passées et lui donner une nouvelle chance d’être également intelligent, vertueux et attentif aux besoins de son corps5.
6C’est dans cette perspective qu’Ariste prend en main l’éducation d’Imirce. Il est animé d’un semblable désir de perfection ou du moins d’équilibre entre les aspirations antagonistes de la nature humaine. Imirce, qui a l’esprit formé selon ces vues, est censée illustrer l’harmonie retrouvée entre l’« intelligence » et la « matière ». Pourtant, on verra que son « organisation », « l’économie de [sa] machine » (p. 68) la conduisent à subordonner les facultés de la tête aux exigences de la sensualité. La plupart de ses raisonnements, toujours très incisifs, ont pour but de cautionner le libertinage des femmes. Si Imirce pense et agit en fonction de ses désirs, elle n’est cependant pas indifférente à la vertu qui parle en elle. Elle représente tout le contraire de ce que Dulaurens désigne par « l’homme d’aujourd’hui », dominé par ses sensations, possédant une intelligence « affaiblie » et « n’[ayant] plus cette pratique du bien » (p. 69).
7Dans La Momie de mon grand-père, le troisième des quatre récits qui suivent celui d’Imirce, le surgissement d’Éphigénie dans la vie de Xang-Xung apporte la preuve miraculeuse et éphémère que la perfection humaine est toujours possible aux yeux de l’auteur. L’amante sublime réunit idéalement les qualités attendues chez une femme : « c’était plutôt une divinité qu’une mortelle ; un esprit cultivé, une raison solide, un cœur tendre et sensible, une constance immuable formait le caractère et l’âme d’Éphigénie » (p. 173). Étrangère à la médiocrité du siècle, inconnue à Paris, puis adulée de par le monde, Éphigénie ressemble beaucoup à Imirce. La mort sera la rançon de son succès (Histoire du merveilleux Dressant, p. 188-190). Imirce paie également de sa personne, mais n’y laisse pas la vie. Sa longévité est nécessaire au projet d’Ariste : l’élève doit survivre à son maître afin de promouvoir le fruit de son existence expérimentale.
8Imirce rapporte comment le philosophe-expérimentateur, le « maître de la cave », ainsi qu’elle le nomme, a tenté de reconstituer les conditions de « l’état de nature » de l’humanité originaire en transformant la cave de son château en laboratoire. Telle une nouvelle Ève condillacienne dotée de la parole, elle retrace les différentes étapes de son développement sensoriel et cognitif. L’idée de nature qui sous-tend l’accomplissement de son expérience est pour le moins équivoque. D’une part, son apprentissage illustre idéalement les théories sensualistes de l’époque, que Dulaurens prend au pied de la lettre : à partir des premières impressions sensorielles suscitées par Ariste, Imirce développe une faculté de jugement hors du commun, ce qui est difficilement concevable, même en acceptant l’idée de l’équivalence entre sensation et pensée établie par les théoriciens du sensualisme.
9D’autre part, loin de considérer l’état de nature comme une hypothèse dans la reconstitution de l’histoire du genre humain depuis ses origines6, Dulaurens y voit un état de fait appartenant au passé, un paradis perdu qu’il faut chercher à rétablir. À l’instar de Rousseau, il pense que l’humain est naturellement, c’est-à-dire originellement, innocent parce qu’ignorant du bien et du mal. Et c’est ce qu’il veut prouver par l’expérience de la cave. Or les conditions mêmes de cette expérience sont sujettes à caution. Par exemple, Ariste maintient ses jeunes cobayes dans un état d’assujettissement très peu comparable aux cas d’« ensauvagement » rapportés par ailleurs7. Imirce est montrée comme une enfant livrée à ses instincts et à ceux d’Émilor, alors que son évolution cognitive est entièrement contrôlée par le maître invisible de la cave, qui, en plus, la nourrit et la soigne. Imirce estelle l’élève de la nature ou bien celle d’Ariste ? Faut-il attribuer le développement de son exceptionnelle faculté de jugement à un heureux don de la nature ou bien y voir un effet de l’éducation reçue de son maître ? Cette faculté est-elle aussi naturelle que la beauté ou l’instinct ? Autant de questions qui posent problème et que l’auteur se contente d’éluder.
10À travers l’expérimentation d’Ariste, Dulaurens cherche à prouver que la nature humaine se définit par la nécessité de satisfaire des besoins fondamentaux. L’instinct sexuel est tenu pour un besoin inné aussi naturel et légitime que le besoin de nourriture et le besoin de sociabilité8. Le récit de l’enfance sacrifiée devient alors un prétexte pour poser le primat de l’instinct sexuel en tant que « fondement d’une morale “naturelle” anti-religieuse9 ». À cet égard, Imirce rejoint certains des personnages féminins qu’on voit plus ou moins s’émanciper dans les récits libertins les plus connus : par exemple, Agnès et Angélique, dans Vénus dans le cloître de l’abbé Du Prat (1672), Thérèse, dans Thérèse philosophe de Boyer d’Argens (1748), et Laure, dans Le Rideau levé de Mirabeau (1786), apprennent de leurs maîtresses et maîtres respectifs que « la loi naturelle est d’institution divine10 » et qu’il importe seulement de pourvoir à ses besoins sans troubler l’ordre social. Ces récits féminins s’articulent autour de la découverte de la sensualité, étape fondamentale dans l’initiation conjointe aux plaisirs et à l’art de la dissimulation.
11Si Imirce donne libre cours à son instinct sexuel, elle le fait sans crainte des lois sociales, puisqu’elle les ignore. Pareillement à Thérèse et aux autres libertines, elle décrit les premiers attouchements, les « petites polissonneries » de l’enfance : « Nous ne cessions de nous toucher, de nous examiner ; nos cœurs purs comme le jour et nos mains innocentes ne trouvaient point déshonnêtes ces caresses naturelles » (p. 72). À l’adolescence, elle voit sa gorge croître, selon ses propres termes : « Cet objet captivait [Émilor] ; il la caressait sans cesse : je me fâchais quelquefois ; ses grands ongles me blessaient ; Émilor apprit insensiblement à la toucher moins rudement ; j’en fus aise » (ibid.). Puis, les jeux enfantins font place chez les adolescents à un besoin sexuel impérieux : ils l’assouvissent promptement, écartant ainsi le danger de se ruiner la santé11. Imirce raconte qu’à cette époque de leur vie, « il manquait quelque chose à [leur] bonheur ». Elle ajoute : « je devenais pâle, mon amant était triste, nous étions tourmentés, nous cherchions du soulagement. Une nuit, il s’approcha plus de moi, nous nous accouplâmes sans le savoir » (ibid.).
12La naissance puis la mort de leur premier enfant donnent l’occasion à Imirce et Émilor de faire de grands progrès intellectuels. Tout en possédant peu de mots, selon Imirce, ils commencent, dans le langage de la cave, à s’interroger sur la vie et la mort, à construire des raisonnements sur les motifs de leur présence dans la cave, bref à philosopher. On se souvient que, d’après l’hypothèse de Rousseau, l’état de nature précède l’état de raisonnement et que le passage de l’un à l’autre fait perdre à l’homme son humanité la plus profonde, c’est-à-dire son sens de la pitié12 : il en va tout autrement chez Dulaurens, qui souhaite voir réconcilier dans l’être humain l’innocence « naturelle », le penchant au plaisir et la volonté de faire le bien d’autrui.
13Après vingt-deux ans d’emprisonnement, Imirce doit sa libération – très relative, car elle reste sous la tutelle d’Ariste – à sa beauté, qui ne laisse pas le philosophe indifférent. Émilor, lui, reste dans la cave, et, contre toute vraisemblance, son ancienne compagne ne semble plus se soucier de lui, jusqu’au jour où Ariste le fait sortir de son antre. Imirce se rappelle avoir été semblable à un petit animal effarouché par la première tentative d’approche de son maître déguisé en Indien :
Je vis paraître Ariste, la tête couverte d’un chapeau orné de grosses plumes rouges ; une jupe comme les Américains lui tombait sur les genoux ; il tenait un pain à la main, je fuis à son aspect, il me fit signe de prendre son pain […]. Je me hasardai de [le] prendre, et aussitôt je me cachai sous le lit. (p. 75)
14Outre l’engouement de l’époque pour les déguisements, pourquoi Ariste imaginet-il une telle mise en scène ? Pense-t-il apprivoiser plus facilement celle qu’il a réduite à l’état de sauvageonne ? Le procédé ne fonctionne pas, puisque Imirce prend peur, elle qui ne connaît que la nudité. On est tenté de croire que l’auteur a amalgamé le mythe des origines et celui de l’Indien d’Amérique, ce qui revient à confondre la reconstitution d’un état de nature idéalisé avec l’existence – bien réelle, celle-ci – de cultures primitives attestées par le témoignage des voyageurs européens. Quelle que soit la signification de ce déguisement, la mise en scène d’Ariste reflète l’ambiguïté qui entoure l’idée de nature chez Dulaurens.
15L’attitude d’Imirce face à Ariste s’explique par l’introduction au sein du récit d’un paradigme de l’innocence dans lequel l’auteur procède à une série de substitutions significatives : tour à tour, Imirce fait figure de sauvageonne, de provinciale mal dégrossie, de femme exotique. Ces figurations féminines s’entrecroisent et correspondent à diverses incarnations de l’état de nature que l’auteur décline comme autant de modalités de la différence ressentie par Imirce au contact du monde. Ces modalités trouvent leur justification après coup, une fois qu’Imirce se met à observer son entourage et à se comparer à lui. Dans le récit de sa jeunesse expérimentale, elle s’identifie volontiers à tout ce qui s’apparente de près ou de loin à sa cave originelle. En ce qui concerne l’épisode du miroir, voici comment elle interprète rétrospectivement les premiers signes d’une coquetterie qui passe pour « naturelle » :
Cent fois le jour, je m’examinais dans les morceaux de cette glace, je souriais à ma figure, je m’applaudissais d’être jolie. Les jours que je trouvais mon teint battu, je m’enfonçais dans la cave […], j’affectais des migraines ; j’avais déjà le bon ton des femmes de condition : je n’en avais pas les termes, j’étais encore trop provinciale. (p. 74)
16Plus tard, elle critiquera lesdites femmes de condition (bien qu’elle en devienne une, finalement) et leur préférera les provinciales. Une relative progression est aménagée entre les représentations féminines, qui renvoient peu ou prou aux étapes successives de la maturation intellectuelle d’Imirce : sauvageonne au départ, elle est progressivement éduquée, métamorphosée en amante de la « vérité », sans compter qu’elle devient celle d’Ariste. Le personnage d’Imirce constitue un moyen terme entre la provinciale naïve, vivant loin des séductions de la ville, et la citadine effectivement corrompue. Elle possède les qualités de cœur de l’une et les avantages matériels de l’autre, tout en faisant preuve d’un sens critique exacerbé par les injustices dont elle est témoin.
17À sa sortie de la cave, elle entre dans le monde, et cette seconde naissance est entérinée par une mise en scène symbolique : « Deux heures après [sa première apparition], [Ariste] reparut ; je dansai autour de lui. Ces marques de joie lui firent plaisir ; il me donna une pomme, en mangea une, je l’imitai ; je trouvai ce fruit délicieux », dira-t-elle (p. 76). Cette inversion parodique de la Genèse a pour fonction d’assurer la cohérence de la démonstration de Dulaurens. Imirce est originellement dépourvue de préjugés religieux : étrangère à la notion de péché originel, elle est affranchie du dualisme entre le bien et le mal, et doit le rester. Pourtant, elle se transforme peu à peu en femme de bien, en philosophe altruiste, et quitte sa prétendue neutralité au nom, justement, de la pitié.
18Dulaurens propose une version non canonique de l’histoire humaine en en changeant les prémisses : au Dieu de l’Ancien Testament il substitue un nouveau maître, un « amant-Dieu13 » qui tombe amoureux de sa créature et entend la sortir de l’ignorance à laquelle il l’a condamnée au départ. Ce Pygmalion d’un nouveau genre initie la jeune femme à la science du monde en l’invitant d’abord à goûter au fruit de la connaissance. Le fait qu’il la connaisse sexuellement concourt à l’éloigner de la cave et d’Émilor pour l’introduire dans la société humaine.
19Le passage de l’obscurité de la cave à la lumière du jour marque symboliquement la transition entre l’ignorance dans laquelle Imirce a été maintenue pendant vingt-deux ans et l’accès à la science du monde14. L’union sexuelle des nouveaux amants est suivie de la découverte par la jeune femme d’un savoir jusque-là insoupçonné. La logique libertine veut que l’entendement soit une faculté révélée à l’humain à la suite d’une première expérience sensuelle. Même si elle a déjà franchi cette étape, Imirce a encore tout à apprendre des pratiques auxquelles s’adonnent ses congénères. L’initiation à venir ne peut qu’être propice à l’ouverture des replis du corps et de l’intelligence15. C’est peut-être pourquoi – là encore, contre toute vraisemblance épistémologique – Imirce apprend à lire, à écrire et à parler français en si peu de temps à sa sortie de la cave. Exposée par Ariste à diverses manifestations de la vie sociale qui lui sont totalement inconnues, elle exerce sa faculté de jugement fraîchement développée en réagissant avec vigueur à tous les signes d’aliénation culturelle et en soulignant les moindres contradictions de la société. À l’injustice des lois sociales elle opposera toujours un code de conduite dicté par sa bonté « naturelle ».
20À ce stade de son évolution, après les périodes de « séquestration » et d’« acculturation16 », Imirce tient lieu d’« outil polémique » mis au service des idées de son créateur, selon l’artifice fictionnel éprouvé qui consiste à faire sortir la vérité de la bouche d’un personnage étranger. Celui-ci, plongé dans un monde qu’il ignore, a la possibilité d’en dénoncer les travers en toute impunité, ou presque. Toutes les situations et tous les personnages qu’Imirce rencontre sont jugés à l’aune de son bon sens « naturel ».
21En cela, elle rappelle ses consœurs exotiques qui, dans un autre registre romanesque, ont pour rôle de relever les dysfonctionnements de la société étrangère à leurs coutumes : Zilia, l’épistolière péruvienne imaginée par Françoise de Graffigny (1747), en est un exemple. Ariste présente Imirce aux visiteurs comme « une fille nouvellement arrivée des terres australes ». « On me courut comme le rhinocéros » (p. 89), ajoute-t-elle, sans pitié et sans ménagement pour ceux qu’elle nomme avec Zilia « les Sauvages ». La gent féminine n’est pas épargnée : aux femmes de condition qui viennent la voir pour lui « dire cent niaiseries » et lui « faire mille questions ridicules », elle dit préférer la fermière qui « a soin de ses enfants et de ses vaches » (ibid.). Puis, Imirce, tout comme Zilia, se lance dans une diatribe au sujet de l’inégalité des sexes face au libertinage, à cette différence près (et elle est de taille !) que Zilia condamne les mœurs libertines. Ici s’arrête la comparaison.
22Imirce, elle, fait l’apologie du libertinage des femmes, dans l’affranchissement de toute autorité morale. Lors de la visite d’un capucin, elle entreprend de vérifier s’il est conformé de la même manière qu’Ariste et Émilor : « Le capucin parut honteux, ou fit semblant de l’être ; mon Mentor me gronda de ce que j’avais troussé la jaquette de ce sauvage » (p. 87). Il s’ensuit une discussion acharnée sur la notion de pudeur. Une fois à Paris, elle s’identifie spontanément aux trois filles qu’elle voit se faire caresser par « six grands garçons » : « elles se moquaient de la pudeur, tenaient des propos, embrassaient leurs amants et se laissaient chiffonner aussi naturellement que je faisais dans ma prison » (p. 93). Par l’emploi de l’adverbe « naturellement », Imirce traduit de nouveau son souci constant de sanctionner positivement la conduite de femmes à la recherche, selon elle, de leur bon plaisir. Ignorant tout du monde de la prostitution, elle valorise l’attitude féminine qu’elle observe sans rien soupçonner de la vénalité qui peut la motiver. Après une nouvelle discussion où Ariste lui explique que ces femmes sont souvent arrêtées, Imirce contre-attaque :
Quand ces filles sont attrapées à donner la puanteur, que leur fait-on ? Rien, il faudrait punir trop d’honnêtes femmes ; on les châtie parce qu’elles manquent contre la décence ; on les enferme à cause que les curés ne leur ont pas permis de coucher avec ces soldats ; nous les méprisons, nous les traitons de coquines. À ce compte, je suis donc une coquine dans ta cave ? Les hommes qui font les coquins avec ces filles, les enferme-t-on aussi ? Non. Eh bien ! explique tes contradictions ; dis-moi, mon ami, ne sont-ce pas les hommes qui font les coquines ? Oui. Si cela est, as-tu l’ombre du bon sens ? Tu empêches les gens de se caresser, tu veux que les filles soient plus sages que ceux qui les tentent (p. 94).
23Babet, l’une des deux filles d’Imirce, ne dira pas autre chose : « Il sera permis aux hommes de faire des maîtresses ; nous ne pourrons faire des amants ! » (p. 127), s’exclame-t-elle, outrée par les reproches d’inconstance de son amant en titre. Plus tard, Imirce se fera raconter par Xang-Xung l’histoire de Lucrèce, son autre fille ; le personnage-narrateur regrettera par la suite d’avoir dévoilé son aventure avec la jeune fille, ce à quoi Imirce répliquera : « Les préjugés sont ici méprisés : ce que les sots appellent faiblesse, est la nature ; et ce qu’on nomme putain, est une fille qui obéit plus particulièrement à son instinct. Crois-moi, toutes les femmes obéissent à cette voix. Tu peux me croire : je suis femme » (p. 146). Imirce n’est pas seulement l’« amante de la nature » (p. 77) ; elle en est le témoignage vivant, la manifestation éclatante, un phénomène surgi au milieu de la société pour en démasquer l’absurdité et s’indigner de l’abîme qui se creuse entre les lois sociales et les lois de la nature.
24Par sa nature phénoménale que justifient sa rayonnante beauté et son étrangeté au monde, Imirce tient de la merveille, du prodige, de la bête rare autour de laquelle vient papillonner le cercle des curieux qui défilent chez Ariste : « Est-ce là le bijou étranger ? » demande-t-on à l’hôte de la maison (p. 90), tandis qu’un « doucereux » assure à la jeune femme qu’« un minois comme le [sien] est fait pour parer l’Olympe, éclipser la vieille cour de Jupiter » (p. 91). Tous sont attirés par la lumière de sa science inconnue. On vient lui demander son opinion sur la mode, les mœurs françaises, l’actualité littéraire. À la fois dans le monde et hors du monde, elle est parée de vertus quasi divinatoires qui l’autorisent à se taire ou bien à répondre avec franchise. Elle a vocation d’éclairer ce qu’elle nomme la « cave du monde », qui est de son point de vue une prison à ciel ouvert obscurcie par les maux humains.
25Toutefois, si elle est à l’abri de beaucoup de préjugés sociaux et religieux, Imirce n’est pas exempte de contradictions personnelles. Sa peur de déplaire avec un teint noiraud et son goût pour les toilettes vont à l’encontre de l’éloge de la simplicité vantée ailleurs dans le récit par Zéphire qui, allant retrouver son amant Xang-Xung à la campagne, se dépouille de toute parure superflue (Épître dédicatoire à Zéphire, p. 54). Séduite par la blancheur éclatante de son visage – comme dans l’épisode du miroir de la cave –, Imirce rejette les effets du soleil sur sa peau au retour d’une promenade et se montre incommodée par la vue d’une paysanne au teint « brouillé » (p. 80). Serait-elle à son insu victime d’un préjugé aristocratique ? À la fin du récit, Émilor devenu philosophe mettra la notion de beauté physique sur le compte des conventions humaines, « vari [ables] selon les climats » (p. 108), et lui opposera la réalité universelle de l’instinct sexuel, plus fort que tous les canons esthétiques du monde.
26En fait, le refus de la noirceur et de l’obscurité, au sens propre comme au figuré, signifie plus largement le refus de la mort (« la puanteur », dans le langage de la cave). Imirce se souvient de l’expérience du décès de son premier enfant et de ses conséquences sur la vie dans la cave :
Comme nous jouissions d’un peu de clarté, nous avions donné au jour le nom de l’œil du maître, à la nuit l’œil de la puanteur. Quand la dernière venait ensevelir notre prison, nous nous couchions pour signifier que la puanteur voulait que nous fussions dans l’attitude où elle nous mettait lorsqu’elle nous attaquait ; quand le jour paraissait, nous nous tenions debout pour montrer que l’œil du maître voulait nous regarder (p. 73).
27Les deux enfants de la nature – là encore proches de Zilia – vouent très tôt un culte au soleil. À sa sortie de la cave, Imirce assiste au spectacle de l’aurore, qui provoque son étonnement et son admiration. Idolâtre de la lumière du soleil, contemplatrice de la voûte céleste, elle sert de relais épistémologique entre le monde et les hommes. Elle rayonne physiquement et intellectuellement dans la société d’Ariste, concentre et diffuse la sagesse du monde, consacre « l’épiphanie symbolique de la Raison17 ». Ainsi la nature phénoménale d’Imirce n’est-elle pas sans rapport avec le symbolisme de la lumière ou des lumières au xviiie siècle.
28Dans une étude consacrée à l’histoire de l’évolution sémantique de cette métaphore, Roland Mortier affirme que « l’idée de lumière a pris très tôt une connotation religieuse, qu’elle gardera d’ailleurs très longtemps et qui ne disparaîtra même pas au siècle de la raison18 ». L’antithèse formée par le mot « lumières » et son contraire (« les ténèbres ») est calquée sur celles qui opposent des notions abstraites (par exemple, le bien et le mal, la vérité et l’erreur, le savoir et l’ignorance), précise R. Mortier, avant d’évoquer la distinction faite progressivement entre « lumière divine » et « lumière naturelle ». Par « lumière naturelle », il faut entendre « l’ensemble des vérités directement accessibles à l’esprit humain par l’usage de la seule raison19 ». De ce point de vue, la figure d’Imirce est ambivalente.
29D’un côté, elle apparaît auréolée d’une lumière divine, et, dans ce sens, on peut comparer sa venue dans le monde à l’apparition de la « Reine Marie » dans La Chandelle d’Arras, « poème héroïque » que Dulaurens écrit également en 1765 :
Son vaste chef, orné de sept étoiles,
Jette un éclat qui fait pâlir le jour.
À ses genoux est sa brillante cour20.
30De l’autre, elle actualise « tout un potentiel anticlérical [et] antireligieux21 », qui, sans pour autant remettre en cause les fondements du christianisme, la fait douter du bien-fondé des pratiques dont elle est témoin dans l’église où Ariste l’emmène. La description naïve qu’elle donne du rituel de la messe se transforme vite en une bouffonnerie extrêmement comique :
Le prêtre monta dans une grande boîte suspendue en l’air, d’où l’on ne voyait que la moitié de son corps ; il parla longtemps sur la puanteur ; il assura que les hommes de sa belle cave étaient sortis de son sein ; il dit des injures à tout le monde. Pères et mères, s’écria-t-il, vos filles sont libertines ; elles vont avec les garçons dans les bois ! Pourquoi cet homme voulait-il que les filles allassent dans les bois sans leurs Émilors ? Je trouvai ce morceau impertinent. […] Deux choses me surprirent dans cette cérémonie : la peine que cet homme se donnait de crier contre […] des filles qui aimaient les garçons ; et la modération du peuple qui écoutait patiemment, sans répondre, les injures qu’on lui disait (p. 83).
31Reste à savoir de quelle nature est l’attitude d’Imirce face au monde. Agit-elle en philosophe ? Dans l’Encyclopédie, l’article « Antédiluvienne (Philosophie) », attribué à Diderot, fournit des éléments de réponse. Diderot préfère recourir au terme de « sagesse » quand il évoque le stade des connaissances que l’humain possède au début de son histoire :
Cette sagesse est sans doute la véritable philosophie ; mais elle est fort différente de celle que l’esprit enfante, et à l’accroissement de laquelle tous les siècles ont concouru. Si Adam dans l’état d’innocence n’a point eu de philosophie, que devient celle qu’on lui attribue après sa chute, et qui n’était qu’un faible écoulement de la première22 ?
32Comment qualifier le cheminement intellectuel et cognitif d’Imirce en regard de l’expérience adamique censée illustrer les balbutiements de l’expérience humaine ? En fait, les deux situations ne sont guère comparables : non seulement Imirce reste innocente après avoir connu intimement Émilor et Ariste, mais ses expériences sexuelles lui servent de tremplin vers de nouveaux progrès dans la science du monde. L’évolution d’Imirce se présente comme un raccourci saisissant de celle que l’humanité aurait dû suivre si elle n’avait pas failli à sa nature supposément indivisible.
33Néanmoins, le télescopage des étapes obligées de l’apprentissage de la philosophie fondée, d’après Diderot, sur « la curiosité & l’admiration filles de l’ignorance », « qui ne s’acquiert que par le pénible travail des réflexions, & qui ne se perfectionne que par le conflit des opinions23 », peut difficilement être pris au sérieux. Certes, Ariste fait en sorte de créer les conditions favorables à l’épanouissement du génie d’Imirce. Elle fait l’expérience de la beauté de la nature, réagit négativement aux manifestations de la cruauté humaine, ne cesse d’être étonnée devant le spectacle du monde. Ariste la soumet à une série d’épreuves au terme desquelles elle se révèle apte à porter des jugements conformes à ce qu’il attend d’elle.
34Douée d’un sens de l’argumentation percutant, elle fait la guerre à tout ce qui s’oppose à sa nature profonde. C’est une championne de la réplique qui fait mouche ; elle a l’esprit d’à-propos et ne manque pas de spontanéité ni d’énergie verbale. Quand Imirce tempête, Ariste n’intervient que pour attiser le débat, provoquer artificiellement la controverse ; en somme, il joue le rôle de faire-valoir. Imirce a la repartie facile quand il s’agit de défendre les valeurs du libertinage contre les règles imposées par la religion à la vie civile. C’est dans ces moments-là qu’elle fait preuve de « sagesse libertine ». Il n’en demeure pas moins qu’elle est avant tout un instrument de propagande, un jouet didactique au service des idées d’un philosophe, plutôt que philosophe elle-même.
35Lasse d’être toujours obligée de légitimer sa nature, lasse de dénoncer les travers de la société, les inégalités entre les hommes, et entre les hommes et les femmes, Imirce en vient à regretter sa cave originelle, sa prison d’autrefois, autrement dit son ignorance du début. L’arrivée d’Émilor – qui s’habitue très vite à sa nouvelle vie et devient un raisonneur invétéré – permet à Imirce de passer le flambeau à plus philosophe qu’elle. À la mort d’Ariste, Émilor prend la place du maîtrephilosophe. La sagesse d’Imirce est éclipsée par la culture encyclopédique que son compagnon acquiert en un temps record dans la bibliothèque d’Ariste. Les deux personnages, mûs par leur « instinct éclairé », entendent poursuivre l’œuvre du maître. L’ignorance absolue du bien et du mal a depuis longtemps cédé le pas à la critique des turpitudes sociales et à la pratique assidue de la charité chrétienne.
36Les plaisirs familiaux qu’Imirce s’apprête à goûter aux côtés d’Émilor et de leurs deux filles retrouvées l’éloignent insensiblement de ceux que la nature lui a enseignés. La stabilité conjugale menace de mettre fin aux jouissances capricieuses. L’attachement amoureux exclusif qu’Imirce dénonce âprement (p. 108-109) contre les délices de l’inconstance, contre le plaisir brut et sans cérémonie, ressemble fort aux relations maritales qu’elle noue successivement avec Ariste et Émilor à l’extérieur de la cave. Dulaurens donne un second souffle aux expériences voluptueuses dans le récit suivant, l’Histoire de Babet. Sensualité et vertu y sont dissociées en faveur de ce que Babet nomme dans une formule redondante « l’instinct naturel du plaisir » (p. 119).
37Force est de constater que le personnage d’Imirce, tout en étant riche et protéiforme, pâtit des incohérences relevées dans son récit. Même si le mélange des tons, l’humour et la fantaisie, justifient en grande partie qu’on ne prenne pas complètement au sérieux les faiblesses de la démonstration philosophique, la pertinence de l’expérience relatée est compromise par les contradictions et les invraisemblances contenues dans les idées qui la sous-tendent. Sous prétexte de défendre la nature humaine contre les tyrannies sociale et religieuse, Dulaurens en défie les lois les plus élémentaires. Parce qu’elle est réglée comme du papier à musique, l’évolution d’Imirce n’a finalement plus rien de « naturel ». L’héroïne séduit par sa beauté et intrigue par son allure et ses propos étranges, mais son rayonnement n’atteint jamais le cœur hermétiquement fermé des êtres qu’elle côtoie. Cette étoile solitaire ne brille que pour Ariste.
38Imirce est à son zénith jusqu’au moment où Émilor entre en scène. Impatiente du monde tel qu’il est, elle s’en remet à son nouvel amant-mari, ce qui revient à dire qu’elle tombe sous la coupe d’une nouvelle autorité masculine. À la fin de son apprentissage, elle ne semble pas pleinement maîtresse de ses moyens ni de son destin. Elle devient une épouse fidèle alors que, tout au long de son récit, elle ne cesse de prêcher la liberté individuelle. Imirce pourrait-elle mener son existence suivant les principes libertins qu’elle défend, en méconnaissant ou en méprisant les règles du jeu social ? Ne se heurterait-elle pas tôt ou tard à la vilénie de ceux et celles qui font profession de vivre du libertinage ? En somme, ne serait-elle pas victime de son innocence ? La question reste en suspens. C’est peut-être à cause de toutes ces ambiguïtés qu’on a dit de Dulaurens qu’il était « un philosophe manqué24 ».
Notes de bas de page
1 Jean-Michel Racault, « Le motif de “l’enfant de la nature” dans la littérature du xviiie siècle, ou la recréation expérimentale de l’origine », dans Primitivisme et mythes des origines dans la France des Lumières, 1680-1820, Actes du colloque tenu en Sorbonne les 24 et 25 mai 1988, dir. Chantal Grell et Christian Michel, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1989, p. 103.
2 Ibid. À titre d’exemple, signalons L’Élève de la nature (1763) de Guillard de Beaurieu ou encore L’Homme sauvage (1767) de Louis-Sébastien Mercier.
3 Les passages cités en cours d’article renvoient à l’édition d’Annie Rivara (Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. « Lire le Dix-huitième siècle », 1993) et sont suivis du numéro de la page.
4 Les références à Jean-Jacques Rousseau, explicites ou déguisées, sont très nombreuses dans Imirce. Sur la question plus générale de l’intertextualité chez Dulaurens, voir A. Rivara, « Préface », p. 11-33.
5 Selon A. Rivara, « Imirce est le concept de nature saisi dans un des mythes de l’origine dont Xang-Xung, auteur représenté, pense qu’il révèle la vérité fondatrice universelle, fait et norme qui peut ramener l’harmonie perdue » (ibid., p. 11).
6 Voir J. -J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité, dans Œuvres complètes, éd. Jean Starobinski, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1964, vol. III, p. 132-133.
7 Voir J. -M. Racault, op. cit., p. 102.
8 Voir Paul Vernière, Lumières ou clair-obscur ?, Paris, PUF, 1987, p. 226.
9 Imirce, note 8, p. 201.
10 C’est ce que déclare Monsieur T*** à Thérèse (Thérèse philosophe, dans Romans libertins du xviiie siècle, éd. Raymond Trousson, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, p. 603). Par ailleurs, il est intéressant de noter que le récit de Boyer d’Argens est qualifié par Dulaurens de « mauvaise rapsodie fort mal écrite » (Histoire de Babet, p. 124), mais qu’il fait partie des lectures de Babet, l’une des deux filles d’Imirce.
11 Pensons encore à Thérèse, ainsi qu’aux religieuses languissant à force de contraindre la fougue de leur tempérament sensuel : Dosithée, compagne d’Agnès et Angélique dans Vénus dans le cloître ou La Religieuse en chemise (1672) de l’abbé Du Prat (Arles, Actes Sud, coll. « Babel », 1994, p. 90-96), les religieuses évoquées par l’éducateur de Laure (Mirabeau, Le Rideau levé ou L’Éducation de Laure (1786), Arles, Actes Sud, coll. « Babel », 1994, p. 44-45) et la supérieure du couvent de Sainte-Eutrope d’Arpajon dans La Religieuse de Diderot (Œuvres romanesques, éd. Henri Bénac, Paris, Garnier, 1962, p. 328-387), pour ne citer que quelques exemples.
12 Voir J. -J. Rousseau, op. cit., p. 155-156.
13 P. Vernière, op. cit., p. 227.
14 J. -M. Racault évoque le mythe platonicien de la caverne, présent chez Guillard de Beaurieu et ses successeurs, dont Dulaurens fait partie (op. cit., p. 106).
15 Voici ce que dit Laure après s’être pâmée pour la première fois dans les bras de son « aimable papa » : « Depuis ce temps, tout fut pour moi une source de lumières ; ce que je n’avais pas conçu jusqu’alors se développa dans l’instant. Mon imagination s’ouvrit entièrement ; elle saisissait tout ; il semblait que l’instrument que je touchais fût la clé merveilleuse qui ouvrit tout à coup mon entendement » (Le Rideau levé, op. cit., p. 35). Il en va de même pour Dosithée à qui saint Alexis n’accorde pas le « don de continence », malgré les prières répétées et les exercices de piété de la religieuse : « Sitôt que Dosithée fut revenue de cette syncope, son esprit, qui n’était auparavant enseveli que dans d’épaisses ténèbres, se trouva à l’instant développé de toute son obscurité, ses yeux furent ouverts, et, réfléchissant sur ce qu’elle avait fait et sur le peu de vertu de son saint qu’elle avait tant invoqué, elle connut qu’elle avait été dans l’erreur, et s’élevant ainsi de sa propre force, par une métamorphose surprenante, au-dessus de toutes les choses qu’elle n’osait auparavant regarder, elle n’eut plus que du mépris pour celles qui avaient fait son grand attachement » (Vénus dans le cloître, op. cit., p. 96).
16 P. Vernière, op. cit., p. 225.
17 J. -M. Racault, op. cit., p. 106.
18 Roland Mortier, Clartés et ombres du siècle des Lumières, Genève, Droz, 1969, p. 15.
19 Ibid., p. 16.
20 La Chandelle d’Arras, poëme en xviii chants (1765), Paris, Égasse Frères éditeurs, 1807, p. 43.
21 R. Mortier, op. cit., p. 37. D’après lui, « c’est entre 1750 et 1760 que se place [la] mutation qui va charger le mot prestigieux [« lumières »], la “métaphore délectable”, de tout un potentiel anticlérical, antichrétien, parfois même antireligieux » (ibid.). Il ajoute plus loin qu’« entre 1760 et 1770, la rupture entre “lumières” et christianisme est donc définitivement consommée pour certains esprits qui comptent parmi les plus exigeants en matière de philosophie » (ibid., p. 43).
22 Denis Diderot, Encyclopédie, dans Œuvres complètes, éd. John Lough et Jacques Proust, Paris, Hermann, 1976, t. v, p. 404-405.
23 Ibid., p. 404.
24 A. Rivara, « Préface », p. 12.
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