Avant-propos
p. 9-12
Texte intégral
1Reconnue comme l’une des figures dominantes de la littérature d’expression anglaise, l’écrivain canadien Margaret Atwood a publié depuis l’explosion littéraire des années soixante au Canada, non seulement une dizaine de romans, mais également une douzaine de recueils de poésie, des recueils de nouvelles, des livres pour enfants, et de la critique littéraire. Parus dans 25 pays, ses livres ont été traduits dans une vingtaine de langues. Deux fois récipiendaire du Prix du Gouverneur-Général (Canada), du Premio Mondello (Italie), et finaliste à deux reprises pour le Booker Prize (Grande-Bretagne), M. Atwood est un écrivain engagé dans la promotion de la liberté d’expression et de l’égalité des droits, qui a toujours souligné les rapports étroits entre la littérature et le milieu social, politique et culturel dont elle est issue.
2Dans ses textes, Margaret Atwood cerne avec précision les différences qui distinguent la culture canadienne de celle des États-Unis, tout comme elle sait bien démontrer leurs ressemblances et leurs spécificités en tant que cultures nord-américaines. Ainsi d’un côté, dans un discours prononcé à Harvard, elle explique avec son ironie coutumière : « Les États-Unis ont des émeutes, le Canada a des colloques sur les émeutes. » D’un autre côté, la protagoniste de son roman Surfacing synthétise avec l’humour atwoodien une dimension culturelle et sociale partagée par les deux pays lorsqu’elle évoque l’ostracisme qu’elle a connu lorsqu’elle était une enfant culturellement atypique. Elle avoue : « C’était plus dur pour mon frère ; maman lui avait appris que c’était mal de se battre, alors il rentrait tous les soirs écrabouillé. »
3C’est la dimension de la critique sociale dans ses œuvres qui frappe au premier abord les critiques tout comme les lecteurs. The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate) notamment, a été l’un des plus grands succès littéraires des années 80 aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne : il a obtenu le Prix du Gouverneur-Général pour la meilleure œuvre de fiction de langue anglaise au Canada ; en Grande-Bretagne il a fait partie de la toute dernière sélection du Booker Prize, et a obtenu le Prix Arthur C. Clarke pour la meilleure œuvre de science-fiction (bien qu’il s’agisse en fait de la fiction spéculative, ou de cette branche de la science fiction que l’on appelle « near-future fiction » : fiction du futur proche). Aux États-Unis le roman a remporté le prix littéraire de la meilleure œuvre de fiction du Los Angeles Times, et le New York Times Book Review l’a proclamé une des deux meilleures œuvres de fiction de l’année 1985 (aux côtés de The Progress of Love de sa compatriote Alice Munro). Ce succès peut être attribué en partie au scénario que les lecteurs trouvaient à la fois terrifiant et par trop plausible : « Lisez-le tant qu’il est encore permis », proclamait le Houston Chronicle. En effet, comme toute œuvre appartenant au genre de l’utopie, The Handmaid’s Tale est une réflexion sur l’époque que nous vivons, et il reflète les dangers que représentent les groupes fondamentalistes aux États-Unis, mais aussi les dangers du fanatisme et de l’intégrisme religieux partout dans le monde, ainsi que des dogmatismes de toutes sortes. De plus, tout comme les contre-utopies du vingtième siècle, comme le fait remarquer Jean-Jacques Wunenburger dans L’Utopie ou la crise de l’imaginaire, il montre également les dangers inhérents dans le concept même d’utopie.
4Le roman, ainsi que les autres textes d’Atwood, est en fait bien plus qu’une peinture sociale ou une dénonciation de maux, de tendances sociales ou politiques. Et Margaret Atwood, malgré ses préoccupations de justice sociale, est bien plus qu’une féministe et une militante. Je dirais de cet écrivain ce qu’elle a dit elle-même au sujet d’un autre poète contemporain qui a marqué son temps : Adrienne Rich. Dans une critique parue dans le New York Times Book Review, Atwood disait de Rich que si celle-ci n’était pas bon poète, « il serait facile de la réduire à un membre de plus d’un mouvement de libération des femmes, qui substitue la polémique à la poésie, des messages simplistes aux significations complexes. Mais c’est un bon poète, et son livre n’est pas un manifeste, bien qu’il contienne des manifestes ; ce n’est pas non plus une proclamation, bien qu’il fasse des proclamations ». De la même manière, nous ferions bien de réfléchir à cette phrase de Margaret Atwood où une fois de plus elle prend des libertés avec la langue : « Il ne suffit pas d’énoncer la vérite, il faut l’imager, l’imaginer. » En effet, on ressent bien dans ses œuvres ce don poétique pour l’image insolite, saisissante.
5Enfin, en tant que lecteurs, ce que nous pouvons apprécier chez cet écrivain, c’est la place qu’elle nous accorde dans la construction de son œuvre. Nous sommes quasiment des partenaires dans le processus créateur pour cet artiste qui a déclaré : « L’écrivain et son auditoire sont des jumeaux siamois. Tuez l’un et vous risquez de tuer l’autre. »
6À l’occasion de l’inscription du roman The Handmaid’s Tale au programme du CAPES et de l’Agrégation d’anglais de 1999, le Centre d’Études Canadiennes de l’Université Rennes 2, avec l’aide des Services Culturels de l’Ambassade du Canada, de l’Association Française d’Études Canadiennes et de son président Jean-Michel Lacroix, a organisé des manifestations comportant une rencontre avec l’écrivain. Margaret Atwood en effet a interrompu la rédaction de son nouveau roman pour effectuer une tournée qui s’est limitée à Paris, à Rouen, et à Rennes, afin de rencontrer les spécialistes, les étudiants et le public en général. L’exposé qu’elle a présenté à Rennes devant 450 étudiants était centré sur le thème : « The Handmaid’s Tale : dystopie féministe ? » La transcription de cette intervention suivie d’un débat qui figure au tout début de cet ouvrage permettra à ceux qui n’ont pas pu assister à la rencontre avec l’auteur, qui s’est avéré être une merveilleuse conférencière, de bénéficier de ses propos analytiques et éclairants, et d’apprécier l’étendue de sa culture ainsi que son humour et sa chaleur, qui ont conquis son auditoire.
7 The Handmaid’s Tale s’inscrit dans la lignée des récits utopiques/ dystopiques, aux côtés d’œuvres de fiction spéculative comme 1984, La Ferme des animaux, Le Meilleur des mondes, ou Nous autres. Il appartient plus précisément peut-être à ce genre marginal d’utopie décrit par R. Muchieli dans Le mythe de la cité idéale, celui qui se contente de radicaliser des faits existants, de les amener à leur limite extrême, car comme M. Atwood l’a fait remarquer dans de nombreux interviews, il ne s’agit que d’une extension logique de tendances actuelles. Mais par la voix narrative, centrée non pas sur les grands qui fabriquent l’Histoire mais sur les petites gens qui la subissent, le roman s’insère dans une ligne de fictions u/dys-topiques écrites par des femmes, et qui redonnent la parole à des femmes, à des individus sur les marges du pouvoir, privés de voix. Dans son intervention à l’Université de Paris III le 14 novembre 1998, M. Atwood a justement souligné le fait que « les meilleures histoires viennent des marges ou des périphéries, car les versions officielles ont été aseptisées ».
8En même temps, The Handmaid’s Tale, tout comme les autres œuvres d’Atwood, s’inscrit à l’intérieur du courant postmoderne, caractérisé par la contestation des conventions et des contraintes de l’écriture. Récit spéculaire, métafictionnel, ce roman est remarquable par la fragmentation du schème narratif, les multiples mises en abyme, l’intertextualité ludique, et la connivence établie entre locuteur et allocutaire. Comme un certain nombre de ses contemporains, Margaret Atwood construit un univers textuel où le discours prime sur l’événement. Elle donne plus d’importance à l’énonciation qu’à l’énoncé, au processus qu’au produit. En créant un narrateur affaibli, au pouvoir et au savoir restreints, elle renforce le rôle du narrataire, et par extension, du lecteur.
9Cet ouvrage collectif rassemble des études de The Handmaid’s Tale qui ont été présentées le 5 décembre 1998 au colloque Margaret Atwood organisé par le Centre d’Études Canadiennes à Rennes. Les auteurs, enseignants-chercheurs français ou, pour l’un d’eux, canadien, analysent le roman sous différents éclairages. Les articles sont répartis en trois sections. La première partie intitulée « Texte et témoignage » pose un regard sur les rapports entre littérature et société, explore la dimension morale de l’activité narrative. La deuxième partie intitulée « Transgression et subversion » analyse les stratégies de détournement mises en œuvre par l’écrivain. Enfin, la troisième et dernière partie, intitulée « Discours et corps social », examine sous un autre angle les rapports entre les mots et le monde, le langage et l’organisation de la cité
Auteur
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