Les amours adultères dans la satire I, 2 d’Horace1 : exagérations comiques et réalités socio-politiques
p. 45-68
Texte intégral
1L’adultère est un thème qui revient à plusieurs reprises dans les Satires d’Horace2, mais c’est dans la satire i, 2 qu’il occupe la plus large place. Comme l’impose le code générique de la satire, la représentation de l’adultère est subordonnée à une visée didactique et morale : il s’agit à la fois de condamner l’adultère et de dissuader les jeunes gens de s’y adonner, en montrant toutes les conséquences effroyables qu’il peut entraîner. Le réalisme sociologique importe moins que l’efficacité didactique, et il ne faut pas chercher, dans la satire I, 2, un témoignage fidèle sur les amours illégitimes à Rome. Mais il ne faut pas davantage réduire cette satire à un discours moral attendu. Nous voudrions montrer ici que la représentation satirique de l’adultère est plus complexe et moins topique qu’il n’y paraît, et qu’elle n’est pas dépourvue d’ancrage dans le réel.
Les châtiments de l’adultère : réalité sociologique et représentation topique
2Pour dissuader les jeunes gens de pratiquer l’adultère, le satiriste commence par établir la liste des châtiments qu’ils encourent. Les premiers sont les dégâts collatéraux de la fuite : la chute d’un toit ou la rencontre inopportune d’une bande de voleurs. Les seconds sont infligés par le mari furieux, qui fouette l’amant, le contraint à donner de l’argent, l’abandonne aux mains de valets d’écurie qui le compissent, ou le castre3. Ces châtiments sont loin d’avoir tous la même sévérité et il semble régner un certain arbitraire dans leur application. Cela s’explique aisément si l’on veut bien admettre qu’ils ne relèvent pas d’une véritable juridiction, mais plutôt d’un usage plus ou moins toléré. Selon le satiriste, ils emportent l’approbation quasi-générale : « iure », acquiescent tous ceux qui l’écoutent, à l’exception du seul Galba. François Villeneuve traduit iure par « le droit le permet » et s’appuie sur Aulu-Gelle, X, 23, 4 pour affirmer que l’ancien droit familial conférait au mari le droit de vie et de mort sur l’amant en cas de flagrant délit4. Mais aucun texte ne permet d’inférer l’existence d’une loi sur l’adultère avant la lex Iulia de adulteriis coercendis. Comme l’a très bien montré Susan Treggiari5, le texte d’Aulu-Gelle implique seulement qu’un mari ayant assassiné sa femme à l’occasion d’un flagrant délit bénéficiait d’une certaine indulgence. Aulu-Gelle rapporte les propos de Caton sur le sujet :
De iure autem occidendi ita scriptum est : « in adulterio uxorem tuam si prehendisses, sine iudicio impune necares ; illa te, si adulterares siue tu adulterare, digito non audet contingere, neque ius est »6.
3Caton emploie le terme de ius pour refuser à la femme tout secours juridique lorsque son mari la trompe. Mais pour le mari trompé, il n’utilise pas ce terme, autrement dit il n’affirme pas que le mari peut s’appuyer sur le droit pour châtier sa femme : il se contente de constater que le mari n’est pas poursuivi en justice lorsqu’il tue sa femme surprise en flagrant délit d’adultère. Il fait donc état d’un usage, d’une tolérance de fait, mais non d’une loi. Son propos étant cependant de souligner et d’approuver la différence de statut entre le mari et l’épouse, il a habilement recours au terme de ius pour l’épouse : le lecteur a tôt fait, dans la logique de contraste du passage, de déduire qu’un tel ius existe pour le mari. Et c’est bien ce que fait Aulu-Gelle lorsqu’il introduit la citation de Caton par un de iure occidendi. Mais cela ne prouve évidemment pas l’existence d’une loi. Il faut donc donner à iure dans la satire I, 2 le sens que proposent C. Carena, qui traduit par « ben fatto », ou O. H. Schônberger, qui traduit par « Ganz mit Recht ». Le mari qui châtie l’adultère agit « à bon droit » : aucune loi ne l’y autorise, mais les tribunaux, dans leur bon sens, lui donneront raison, le flagrant délit constituant une circonstance atténuante, puisque c’est une colère bien légitime qui aura motivé son acte.
4Dès lors, la liste des châtiments proposée par Horace n’est pas dépourvue de vraisemblance. Si l’on peut être acquitté pour le meurtre de l’épouse adultère dans la société romaine, on doit pouvoir, sans craindre grand-chose, faire battre l’amant pris en flagrant délit. Si l’on en croit Aulu-Gelle XVII, 18, c’est d’ailleurs le sort que subit Salluste, battu à coups d’étrivière par Milon qui le surprit avec son épouse Fausta. La variété des châtiments s’explique précisément par l’absence de loi : l’amant est soumis à l’arbitraire de la réaction du mari. Est-ce à dire que le satiriste se fait ici scrupuleusement l’écho des pratiques de son temps face aux amours illégitimes ? Rien n’est moins sûr. Il faut d’abord noter que tous les témoignages dont nous disposons sur ces châtiments de l’adultère renvoient à l’époque républicaine. Pour avoir une idée de la manière dont l’adultère était accueilli au moment où Horace écrit Les Satires, il est sans doute plus juste de se pencher sur la lex Iulia de adulteriis coercendis, promulguée en 18 av. J.-C. : une loi naît dans un contexte singulier et peut être lue comme la conséquence d’une situation qui précède sa promulgation. En ce sens, la lex Iulia est tout à fait éclairante sur le contexte sociologique dans lequel écrit Horace. Or, comme cela a été montré7, le contenu de cette loi suggère que l’indulgence des maris à l’égard de leur épouse infidèle était de plus en plus grande et que les châtiments évoqués par le satiriste étaient de moins en moins en usage. La loi substitue en effet au châtiment capital un châtiment beaucoup plus réaliste : en cas de flagrant délit, l’amant peut être relégué et perdre la moitié de sa fortune, et la femme la moitié de sa dot et les deux tiers de sa fortune personnelle. La loi oblige par ailleurs le mari à répudier sa femme, qui ne pourra pas se remarier. Si la loi comporte de telles dispositions, qui visent d’une part à rendre l’application du châtiment facile, d’autre part à interdire toute forme d’indulgence à l’égard de la femme adultère, c’est qu’elle cherche à lutter contre une certaine complaisance des maris, c’est qu’elle arrive dans un contexte où l’adultère a fini par être toléré par les époux eux-mêmes, ou du moins par ne plus susciter de réaction vraiment radicale. C’est dire si les châtiments évoqués par Horace sont tombés en désuétude.
5Il ne faut pourtant pas voir dans la liste des châtiments de la satire I, 2 un goût du satiriste pour l’anachronisme ou un refus obstiné de prendre en compte l’évolution des mœurs, mais plutôt le recours à une représentation topique de l’adultère, héritée à la fois de la tradition comique et de la tradition morale. L’évocation du châtiment de la castration est à cet égard tout à fait significative. Si l’on peut en effet sans trop de mal imaginer un époux en proie à la fureur tuer les deux amants, il est difficile de se le figurer se livrant à la castration du coupable. Et de fait, aucun témoignage ne permet d’affirmer qu’un tel usage ait jamais eu cours. Mais la force symbolique de ce châtiment a fait son succès, puisque l’amant est alors puni par où il a péché, et le motif de la castration est récurrent dans la littérature comique et morale lorsqu’il s’agit de condamner l’adultère. Ainsi le trouve-t-on à la fin du Miles Gloriosus de Plaute. La manière même dont il est traité atteste la difficulté que les Romains eux-mêmes avaient à se représenter son application effective. Pour punir Pyrgopolynice de sa vanité, Palestrion a organisé un faux adultère : le soldat croit avoir séduit sa voisine, qui n’est en réalité qu’une courtisane jouant la comédie de l’amour orchestrée par Palestrion et se faisant passer pour l’épouse de Périplectomène. Il croit être surpris en flagrant délit d’adultère et le comique de la scène finale tient notamment au fait qu’il est réellement effrayé par la menace de castration que brandit le faux mari Périplectomène, alors que le spectateur sait qu’il n’y aura pas castration, puisqu’il s’agit seulement de châtier une excessive vanité, ce que la peur et la honte suffisent à faire8. Lorsque Plaute met en scène un adultère, il retient donc le motif de la castration, parce qu’il frappe les esprits et est devenu topique. Mais il choisit de mettre en scène un faux adultère, de manière à ce que la castration ne heurte pas et conserve toute sa force comique.
6C’est à cette tradition comique qu’il convient de rattacher la liste des châtiments de la satire I, 2, bien plus qu’à une quelconque réalité sociologique. On le retrouve d’ailleurs à l’identique chez Valère-Maxime, qui se soucie sans doute moins encore que le satiriste de refléter la réalité romaine :
Sed ut eos quoque, qui in uindicanda pudicitia dolore suo pro publica lege usi sunt, strictim percurram, Sempronius Musca C. Gellium deprehensum in adulterio flagel-lis cecidit, C. Memmius L. Octauium similiter deprehensum pernis contudit, Carbo Attienus a Vibieno, item Pontius a P. Cer<en>nio deprehensi castrati sunt. Cn. etiam Furium Brocchum qui deprehenderatfamiliae stuprandum obiecit. Quibus irae suae indulsisse fraudi non fuit9.
7Valère-Maxime confirme que les violences subies par les adultères ne relevaient pas d’un véritable droit du mari, mais étaient simplement tolérées lorsqu’elles étaient commises sous l’impulsion de la colère. Il reprend la trilogie d’Horace, les coups, l’outrage infligé par les esclaves, et la castration. C’est la représentation topique des châtiments de l’adultère.
Primauté de la visée didactique
8Si la représentation de l’adultère dans la satire I, 2 est topique, c’est qu’elle se propose avant tout une visée didactique. Il s’agit de montrer aux jeunes gens tous les risques qu’ils encourent en recherchant les matrones. Les jeunes gens savent bien que les châtiments énoncés n’ont plus cours, et Horace joue moins ici sur le ressort de la crainte que sur celui du rire. Il fait subir poétiquement aux adultères de sa satire les châtiments qu’ils ne subissent plus dans la réalité, et le transfert du réel au poétique, parce qu’il annule la souffrance, libère le rire10. Le personnage battu ou castré est un personnage grotesque, et non pathétique. Il doit dissuader l’interlocuteur autant que l’aurait fait dans la réalité un siècle plus tôt le spectacle d’un adultère effectivement battu. Mais alors que dans le passé, c’est la crainte de la souffrance qui devait empêcher le jeune homme de passer à l’acte, c’est ici la crainte du ridicule qui doit l’en dissuader.
9C’est d’abord la liste des châtiments elle-même qui est construite de manière à faire rire. Elle commence ainsi :
Audirest operae pretium, procedere recte
qui moechis rem uoltis, ut omni parte laborarent
utque illis multo corrupta dolore uoluptas,
atque haec rara, cadat dura inter saepe pericla11.
10Horace reprend ici les vers d’Ennius :
Audire est operae pretium, procedere recte
qui rem romanam Latiumque augescere uoltis12.
11La liste des châtiments est annoncée avec une grande solennité, et la question de l’adultère implicitement considérée comme une question aussi capitale que celle des conquêtes romaines. L’évocation des dura pericla vient prolonger cette analogie militaire. Or, si l’on excepte le dernier châtiment, l’énumération qui suit semble construite de manière à dégonfler l’emphase de l’introduction. L’adultère risque successivement d’être jeté du toit, d’être fouetté à mort, de tomber sur une bande de voleurs en s’enfuyant, de devoir payer le mari, d’être compissé par des valets d’écurie. Les deux premiers châtiments provoquent une véritable douleur, voire la mort. Les deux suivants, qui tiennent pour l’un à la malchance de l’amant, pour l’autre à la malhonnêteté du mari, font sombrer l’adultère dans le sordide. Avec le dernier la liste culmine dans le grotesque : sa dimension scatologique, qui vise à humilier l’amant, fait de lui un personnage ridicule. On est loin du registre héroïque des vers introducteurs. Dès lors, l’ultime châtiment d’usage ne suscite pas l’effroi qu’il devrait :
Quin etiam illud
accidit ut quidam testis caudamque salacem
demeteret ferro13.
12L’information est très floue : l’époque est indéterminée (accidit ut), l’identité de l’exécutant ne l’est pas moins (quidam), et le coupable est syntaxiquement élidé, puisque la cauda, en l’absence de génitif, est privée de propriétaire. Chez Plaute, le fait que l’adultère soit faux permet d’éviter le sordide et de doter le motif de la castration d’une véritable force comique. Dans la satire I, 2, c’est l’indétermination de la scène qui atténue le caractère effroyable de l’acte et libère le rire. Par ailleurs, l’expression caudam salacem constitue à la fois une hypallage et une personnification : c’est évidemment le coupable qui est salax et sa cauda, soudain dotée d’immoralité, semble prendre vie juste avant d’être coupée, ce qui tire l’effroyable du côté du grotesque. Enfin, le décalage entre la crudité de l’acte et le choix du verbe demetere, qui signifie « moissonner, cueillir » est comique. Lorsqu’il construit sa liste de châtiments, le satiriste cherche donc moins à effrayer qu’à faire rire aux dépens de l’amant adultère, le rire visant à la fois à punir le coupable sur le plan poétique, et à dissuader les jeunes gens en leur inspirant la crainte du ridicule.
13On retrouve le même rire avec la même fonction appliqué au cas particulier de Villius. Villius est l’amant de Fausta. Il est mis à la porte et battu. Il dialogue alors avec son sexe, qui lui reproche d’avoir recherché une matrone alors que n’importe quelle femme eût été capable de le satisfaire. En prêtant la parole au sexe de Villius, Horace rend le personnage grotesque, à la fois parce qu’il suggère qu’il se retrouve nu en pleine rue et parce qu’il focalise l’attention sur son sexe, qui prend vie par le truchement de la personnification, et devient encombrant et risible. Si Villius a recherché Fausta, une femme mariée, ce n’est pas comme d’autres pour sa beauté ou le luxe de ses parures, mais pour son nom : c’est la fille de Sylla, et Villius a cru tirer quelque gloire d’un tel père. Le satiriste raille cette aspiration à la gloire par l’adultère en qualifiant ironiquement Villius de Sullae gener, et en le faisant chasser et punir par un amant, et non par un mari. D’une certaine manière, il continue à occuper la position du mari de Fausta qu’il rêvait d’être, puisqu’il est à l’extérieur pendant que l’amant est à l’intérieur. Mais au lieu de jouir des avantages de cette position, au lieu d’être le mari qui tire gloire des ascendances illustres de sa femme, il subit les inconvénients du rôle, il se trouve dans la position du mari trompé. Et Longarenus, en ne se contentant pas de l’exclure, mais en le faisant battre alors qu’il n’est pas lui-même le mari et que rien ne l’y autorise, signifie à Villius que sa prétention à tirer gloire d’une relation adultère est vaine, qu’il n’est pas le gener qu’il rêve d’être, mais seulement un amant digne d’être battu. Les coups dont Villius est frappé suscitent le rire et non la pitié, parce que, s’ils sont donnés pugnis ferroque, c’est seulement poétiquement, donc sans douleur. Le rire vaut ici comme double châtiment : châtiment de l’adultère et châtiment de la vanité de Villius.
14L’évocation de châtiments qui n’ont plus cours et qui relèvent davantage d’une topique comique que d’une réalité sociologique a donc avant tout une fonction didactique : il s’agit de susciter le rire, de châtier poétiquement le coupable fictif et de dissuader les adultères potentiels. Et c’est à la lumière de cette visée didactique que l’on peut lire l’ensemble de la satire I, 2, et notamment les scènes de flagrant délit, dans lesquelles les allusions au mime sont évidentes.
Adultère et mime dans la satire I, 2 : détournement didactique du rire
15Le succès grandissant du mime est incontestable à Rome dès la fin de la République et l’importance qu’y prend le thème de l’adultère est telle que certains spécialistes considèrent le mime d’adultère comme un genre à part entière14. Or c’est précisément à ce type de mimes qu’Horace semble se référer dans deux passages de la satire I, 2 : aux vers 68-72 et aux vers 127-133. Le premier passage est celui que nous venons d’évoquer, celui du châtiment de Villius.
16Villius, amant de Fausta, est mis à la porte par Longarenus. Plusieurs éléments autorisent à rapprocher ce passage d’une scène de mime d’adultère. Il s’agit d’abord d’une scène de flagrant délit. Or le flagrant délit constituait le morceau de bravoure du mime d’adultère15. Nous avons dit par ailleurs que la personnification confère ici au sexe du personnage une fonction de tout premier plan. Or les acteurs de mime, contrairement aux autres acteurs romains, portaient le phallus16, qui devait permettre, en particulier dans les mimes d’adultère, de multiples jeux scéniques, d’autant que le caractère volontiers licencieux du genre s’y prêtait aisément17. La personnification du sexe de Villius, dans la mesure où elle s’inscrit dans une scène d’adultère, devait évoquer aussitôt aux lecteurs d’Horace son équivalent scénique, les jeux avec le phallus du mime d’adultère. L’introduction du mime permet ainsi au satiriste de redoubler le grotesque du passage, autrement dit d’en augmenter la force dissuasive.
17Le second passage visiblement inspiré du mime d’adultère se situe à la fin de la satire, et comme dans le premier passage, l’arrière-plan du mime d’adultère renforce le comique, et donc l’efficacité didactique :
Nec uereor ne, dum futuo, uir rure recurrat,
ianua frangatur, latret canis, undique magno
pulsa domus strepitu resonet, uepallida lecto
desiliat mulier, miseram se conscia clamet,
cruribus haec metuat, doti deprensa, egomet mi.
Discincta tunica fugiendumst et pede nudo,
ne nummipereant autpuga aut denique fama18.
18Le satiriste évoque ce que risque l’amant s’il est surpris : nous nous trouvons à nouveau face à une scène de flagrant délit. On retrouve le grotesque de l’amant qui sort à demi-nu dans la rue, mais ce n’est plus le postiche qui évoque le mime, mais plutôt le rythme du passage : l’accumulation de complétives brèves, parfois réduites à deux mots, les enjambements des vers 128-129 et 129-131, et l’ellipse du verbe au vers 131, en conférant un rythme rapide à la phrase, évoquent l’agitation que les acteurs s’employaient à faire régner sur la scène du mime d’adultère à l’arrivée du mari et dont le flagrant délit tirait toute sa force comique. La superposition des différents bruits, avec latret, strepitu, clamet, participe du même effet.
19Lorsqu’il met en scène le flagrant délit, Horace cherche donc à évoquer le mime d’adultère et joue sur les mêmes ressorts comiques que lui. Comme lorsqu’il dresse la liste des châtiments, sa visée est didactique : il cherche à dissuader les jeunes gens de s’adonner à l’adultère en leur montrant tout le ridicule auquel ils s’exposent. Il y a là un détournement moral du genre : le mime en effet ne se préoccupe absolument pas de l’immoralité de l’adultère, voire s’en réjouit. Ovide, qu’il est difficile de considérer comme un austère censeur moral, l’atteste lorsqu’il s’en émeut dans les Tristes :
Quid, si scripsissem mimos obscenas iocantes
Qui semper uetiti crimen amoris habent
In quibus adsidue cultus procedit adulter
Verbaque dat stulto callida nupta uiro ?
Nubilis hoc uirgo matronaque uirquepuerque
Spectat, et ex magna parte senatus adest.
Nec satis incestis termerari uocibus aures,
Adsuescunt oculi multa pudenda pati.
Cum fefellit amans aliqua nouitate maritum,
Plauditur et magno palma fauore datur.
Quoque minus prodest, scena est lucrosa poetae,
Tantaque non paruo crimina praetor emit19.
20Ovide émet certes cette critique alors qu’il prend la pose du poète repentant et qu’il cherche à défendre sa propre production élégiaque. Mais quel que soit leur degré de sincérité, ses protestations témoignent d’une part du grand succès du mime d’adultère, d’autre part de l’indifférence du genre à la question morale. Car dans le mime d’adultère, on rit surtout du mari. Ainsi la scène de flagrant délit du mime tirait-elle vraisemblablement sa dimension comique de la capacité de l’amant à se cacher et de l’incapacité du mari à le trouver. Rire du mari, ce n’est pas bien sûr approuver l’action de l’amant, et le principal ressort de ce rire, tout à fait universel, est sans doute la crainte qui réside en chacun d’être un jour le mari trompé. Mais le fait que l’objet du rire puisse être le mari prouve que dans le mime, le rire n’a absolument pas valeur de châtiment.
21Lorsqu’il use du mime pour susciter un rire qui vaut pour châtiment, Horace est donc contraint de modifier la situation qu’il importe dans la satire. Toute son habileté consiste alors à modifier la situation du mime de telle sorte qu’elle devienne morale tout en demeurant facilement identifiable par le lecteur. C’est la fonction de la situation inédite qu’Horace imagine avec Longarenus et Villius, le premier amant mettant à la porte le second. Nous avons vu qu’elle permet de railler la prétention de Villius à être le Sullae gener. Elle permet également de concilier les exigences didactiques de la satire et les principales caractéristiques de la situation du mime. Villius incarne d’une certaine manière le mari benêt du mime, puisqu’il se croit Sullae gener et qu’au lieu de jouir de la beauté de Fausta, il s’enorgueillit de la gloire de son nom, laissant le champ libre aux amants. Longarenus est alors l’amant triomphant du mime, qui profite de la stupidité du mari et la situation du mime est parfaitement identifiable. Mais Villius, malgré sa prétention à être le gener, n’est en réalité que l’amant, et le châtiment qu’il subit satisfait à la morale satirique. Dans le second passage, pour concilier situation mimique et morale satirique, Horace joue sur une sorte de suspension de l’action. Tout le passage est au potentiel, puisqu’il s’agit d’envisager ce qui se passerait si le locuteur se laissait aller à l’adultère. À l’intérieur de ce passage au potentiel, le flagrant délit lui-même n’a pas lieu : l’arrivée du mari est envisagée, ainsi que la panique qu’elle déclenche et la fuite, mais rien n’est dit de l’issue de la fuite ; le châtiment de l’amant reste donc une crainte et non une réalité, et qui plus est une crainte exprimée au potentiel. La dimension morale est omniprésente, mais l’indétermination de l’issue rattache la scène à un moment précis du mime, celui de l’arrivée du mari qui déclenche une panique comique dans la maison, sans préjuger du dénouement. Horace parvient ainsi à mettre le mime, par nature immoral, au service de ses visées morales et didactiques, en modifiant la situation mimique de façon à ce que le mime demeure un intertexte parfaitement reconnaissable et qu’il ne perde rien de sa puissance comique.
22Une première analyse de la représentation de l’adultère dans la satire I, 2 semble donc confirmer l’idée que nous nous trouvons face à une représentation topique à visée morale, qui ne dit pas grand-chose de la réalité des amours illégitimes à Rome : les châtiments sont empruntés à la tradition littéraire, et leur force comique permet de dissuader les jeunes gens de s’adonner à l’adultère, en jouant sur leur crainte du ridicule ; les scènes de flagrant délit évoquent le mime d’adultère, auquel Horace parvient à conférer une dimension morale sans le dénaturer, et là encore, elles doivent inspirer aux jeunes candidats à l’adultère une crainte du ridicule dissuasive. Cette analyse demeure cependant insuffisante, et de nombreux éléments invitent à penser que la représentation de l’adultère dans la satire I, 2 ne doit pas à la seule visée didactique du satiriste.
La visée didactique en question
23Dans la satire I, 2, Horace se situe d’emblée sur le plan philosophique. Il introduit en effet la question de l’adultère comme une illustration de la morale du juste-milieu, selon laquelle la vertu est un moyen terme entre deux excès contraires. Il commence par opposer les avares et les prodigues, puis les pudibonds et les impudiques, ceux qui se parfument trop et ceux qui ne se lavent pas assez, enfin les amateurs de matrones et les amateurs de prostituées :
Nil medium est. Sunt qui nolint tetigisse nisi illas
quarum subsuta talos tegat instita ueste ;
contra alius nullam nisi olenti in fornice stantem20.
24La morale du medium est supposée assurer la cohérence de la satire. De même qu’il ne faut tomber ni dans la prodigalité ni dans l’avarice, il ne faut rechercher ni les matrones trop raffinées et inaccessibles, ni les prostituées trop sordides et offertes à tous. Mais si l’opposition entre prodigalité et avarice est parfaitement attendue, l’opposition entre matrones et prostituées l’est beaucoup moins et l’analogie a souvent dérouté21. Il existe effectivement un moyen terme entre la prodigalité et l’avarice et l’on en comprend facilement les vertus. Il est difficile en revanche de définir le moyen terme entre la matrone et la prostituée. Horace propose l’affranchie, mais c’est évidemment un moyen terme social, et non moral, et dans les vers qui suivent, le satiriste abandonne lui-même cette idée en précisant que l’on peut être aussi peu vertueux dans son commerce avec les affranchies que dans son commerce avec les matrones, la relation avec l’affranchie risquant de conduire à tous les excès aussi bien que la relation avec la matrone. Il est impossible de trouver un juste-milieu vertueux entre le goût de l’adultère et celui du lupanar, et l’analogie prodigalité/passion pour les matrones et avarice/passion pour les prostituées ne tient pas. La morale du medium ne saurait constituer un arrière-plan philosophique sérieux pour interdire l’adultère. Il reste à comprendre pourquoi Horace choisit d’y inscrire sa condamnation de l’adultère.
25Un autre arrière-plan philosophique, sans doute plus convaincant, surgit à la fin de la satire : c’est celui de l’épicurisme. Comme souvent, Horace superpose philosophie savante et sagesse populaire, l’une venant étayer l’autre. Il propose ainsi une analogie entre le désir sexuel, la faim et la soif :
Nonne, cupidinibus statuât natura modum quem,
Quid latura, sibi quid sit dolitura negatum,
Quaerereplusprodest et inane abscindere soldo ?
Num tibi cum fauces urit sitis, aurea quaeris
Pocula ? num esuriens fastidis omniapraeter
Pauonem rhombumque ? tument tibi cum inguina, num, si
Ancilla aut uerna est praesto puer, impetus in quem
Continuo fiat, malis tentigine rumpi22 ?
26La notion de « désir vain » lorsqu’il s’agit de mettre un terme au désir renvoie bien sûr à la doctrine épicurienne, et le terme ddinane, qui signifie « vide », puis « sans fondement », est l’exacte traduction latine du terme grec kenos qu’Épicure emploie lorsqu’il oppose les désirs naturels et les désirs qui ne le sont pas23. Les exemples de la soif et de la faim sont les exemples que l’on retrouve dans les scholies à Épicure lorsqu’il s’agit d’illustrer les différents types de plaisirs : boire quand on a soif fait partie des plaisirs naturels et nécessaires, c’est-à-dire des plaisirs qui délivrent de la douleur ; rechercher des nourritures coûteuses quand on a faim fait partie des plaisirs naturels et non nécessaires ; ériger des statues fait partie des plaisirs non naturels, des plaisirs vains24. Avec le paon et le turbot, c’est la réalité quotidienne romaine qui fait irruption et Horace s’adresse alors moins à l’élite au fait des théories épicuriennes qu’à tout romain doué de bon sens. Epicurisme et sagesse populaire s’accordent à donner la priorité au nécessaire sur l’accessoire.
27Horace se réfère ensuite explicitement à Philodème de Gadara, philosophe épicurien qui vécut longtemps auprès de L. Calpurnius Pison, qui lui ménagea une place importante dans sa bibliothèque d’Herculanum. Il lui donne la parole en ces termes :
Illam « Postpaulo », « Sed pluris », « Si exierit uir »,
Gallis, hanc Philodemus ait sibi, quae neque magno
Stet pretio neque cunctetur, cum est iussa, uenire25.
28Philodème est bien sûr ici convoqué comme philosophe épicurien, qui s’applique à lui-même ses propres préceptes et se refuse à satisfaire le besoin naturel et nécessaire qu’est le désir sexuel en recherchant une femme mariée, car le plaisir du raffinement de la matrone relève du plaisir non nécessaire. L’exclamation de Philodème, par trop personnelle, ne trouverait évidemment sa place dans aucun de ses ouvrages de philosophie ou de rhétorique, et si elle est authentique, si Horace ne l’a pas inventée de toutes pièces, elle devait figurer dans l’une de ses épigrammes qui ne sont pas arrivées jusqu’à nous. On sait que l’épigramme se fait volontiers le réceptacle de la sagesse populaire, qu’Horace superpose là encore à la philosophie savante.
29L’argument épicurien se confond donc avec celui de la sagesse populaire et il n’en convainc que davantage. Mais il arrive en fin de satire, alors que c’est le discours le plus pragmatique qui a prévalu du vers 47 au vers 105. Or l’argument pragmatique vient ruiner a priori l’argument philosophique. Le satiriste s’emploie en effet à prouver aux jeunes gens que sur le terrain du désir sexuel, il faut se méfier de la matrone, qui cache souvent ses défauts physiques sous de beaux atours, quand l’affranchie et la prostituée s’offrent sans fard et ne ménagent pas de mauvaises surprises à l’amant. Le postulat est donc que le jeune homme recherche avant tout, pour combler son désir, un corps beau. Dès lors l’analogie épicurienne entre la soif et le désir sexuel est difficile à maintenir. Car si on l’analyse terme à terme, le désir est comparé à la soif, la matrone à la coupe d’or, et la première femme ou le premier esclave venu au premier récipient venu. L’idée épicurienne est alors que le désir existe en lui-même, indépendamment de l’objet qui le satisfera, autrement dit que les objets sont interchangeables et que le désir n’a pas besoin, pour exister et pour être assouvi, d’un corps désirable. C’est précisément sur l’idée inverse que repose tout l’argumentaire pragmatique précédent, qui condamne les atours mensongers des matrones. Les exemples choisis par le satiriste pour établir l’analogie avec le premier récipient venu relèvent d’ailleurs d’une forme de mauvaise foi : l’ancilla et le puer sont des êtres jeunes, donc dotés d’une certaine beauté ; le désir ne pourrait pas se contenter d’une femme vieille ou particulièrement laide, et au lieu de se satisfaire, il s’éteindrait aussitôt. Le désir sexuel, en ce qu’il naît de la beauté de l’objet auquel il s’adresse, ne peut donc pas tout à fait être traité comme un besoin naturel et nécessaire : s’il n’exige pas l’inaccessible, il exige une forme de beauté.
30Pour condamner l’adultère, Horace commence donc par situer la question sur un plan philosophique qui ne tient pas : celui de la morale du juste-milieu. Il ne propose un véritable argument philosophique qu’à la fin de sa satire, mais après avoir développé un discours pragmatique qui en montre par avance les limites. L’arrière-plan philosophique apparaît dès lors bien fragile. Et le début de la satire, avec cette analogie bancale, ce faux juste-milieu de l’affranchie, et ce retour du satiriste sur ses propres propos, vise sans doute à souligner cette fragilité. Horace avance des arguments philosophiques pour condamner l’adultère, mais il les avance sans y croire, et en cherchant à ce que son lecteur n’y croie pas davantage. Il invite implicitement son lecteur à se rendre sur un autre terrain, terrain qu’il ne veut pas ouvertement indiquer : le terrain politique. Car lorsqu’il est question d’adultère, la leçon de morale devrait être, autant qu’une leçon de morale philosophique, une leçon de morale politique, au sens étymologique du terme. Si l’adultère pose un problème moral, c’est d’abord et avant tout parce qu’il introduit un certain désordre social, et notamment parce qu’il constitue une forme de contestation de la manus du mari. On a même pu voir, dans le fait que les châtiments de l’adultère soient toujours associés à un flagrant délit dans la maison du mari ou du père de l’épouse coupable, une preuve que l’adultère était condamnable aux yeux des Romains moins parce qu’il trahissait le lien conjugal que parce qu’il bafouait le caractère sacro-saint de la domus26. Qu’il conteste la manus du mari, ou qu’il vienne s’attaquer à la sacro-sainte domus, il est évident, même à nos yeux de modernes, que l’adultère constitue un désordre social. L’argument est de taille, et l’on s’étonne de ne pas le trouver dans la satire I, 2. On s’en étonne d’autant plus qu’au moment où Horace écrit les Satires, la question est d’une brûlante actualité politique.
Actualité politique de l’adultère
31Lorsqu’il instaure le principat, Auguste le légitime en le donnant comme le seul régime capable de restaurer l’ordre que la république a fini par être incapable de maintenir. L’ordre est avant tout politique : il s’agit de rétablir la paix, intérieure et extérieure. Mais il est aussi moral et social : il faut à la fois retrouver l’étanchéité des classes sociales, restaurer les cultes religieux des ancêtres, et redonner à la famille toute sa place. Le discours officiel repose sur l’idée bien romaine de la grandeur passée de l’Vrbs : en se proposant de redonner vie au mos maiorum, Auguste réussit la prouesse de faire du principat, qui enterre définitivement la république, le régime qui lui redonne vie. Derrière le discours politique, il y a parfois des préoccupations plus concrètes. Pour ce qui est de la famille, Auguste s’inquiète de la baisse de la natalité et la lex Iulia de maritandis ordinibus, promulguée en 18 av. J.-C., impose notamment des sanctions pécuniaires aux célibataires ou aux hommes mariés sans enfant. Mais il y a aussi un véritable projet de restauration des mœurs et de contrôle des femmes : Auguste cherche à exclure les femmes des spectacles, qui sont des lieux de rencontres, les contraint à s’asseoir seules sur les gradins supérieurs pour assister aux combats de gladiateurs et leur interdit d’assister aux luttes d’athlètes27. Quelle que soit la véritable motivation du prince, volonté d’afficher un retour au mos maiorum ou réprobation véritable, il est certain que tout est mis en œuvre pour lutter contre l’émancipation des femmes et l’évolution des mœurs en cette fin de Ier siècle. Et c’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la lex Iulia de adulteriis coercendis, promulguée en même temps que la lex Iulia de maritandis ordinibus.
32Mais au moment où Horace écrit les Satires, Octave n’est pas encore Auguste et la question du principat n’est pas encore posée, du moins officiellement. L’adultère est pourtant déjà une question d’actualité, car c’est l’un des terrains sur lesquels s’affrontent Octave et Antoine. Leur lutte d’influence trouve son expression dans une véritable guerre de propagande, qui passe entre autres par des échanges de libelli, dans lesquels chacun tente de discréditer l’autre. La stratégie d’Octave consiste à discréditer Antoine en s’appuyant sur ses amours avec Cléopâtre : Antoine aime Cléopâtre, qui est une étrangère, et qui plus est une orientale ; elle le débauche, elle le domine, il lui cède tout l’empire, il cesse d’être romain, il n’est même plus un homme. Pour faire contraste, Octave aime à se présenter en Romain courageux et vertueux, aux mœurs irréprochables, digne de ses ancêtres et défenseur du mos maiorum. Et finalement, le discours moral avec lequel il réussira à imposer le principat ne sera que la continuité du discours moral qu’il aura développé pour discréditer Antoine.
33La riposte de celui-ci se fait bien sûr sur le même terrain : il cherche à montrer qu’Octave est plus débauché que lui. Il ne peut s’attaquer à l’identité de la femme aimée, car Cléopâtre, comme orientale, est fatalement objet de défiance pour les Romains. Mais il peut se targuer de la légitimité de son amour et c’est alors le thème des relations adultères d’Octave qui s’impose à lui. Ainsi écrit-il dans un libelle à Octave :
Quid te mutauit ? quod reginam ineo ? uxor mea est. Nunc coepi an abhinc annos nouem ? tu deinde solam Drusillam inis ? ita ualeas, uti tu, in hanc epistulam cum leges, non inieris Tertullam aut Terentillam aut Rufillam aut Saluiam Titiseniam aut omnes28.
34De même il reproche à Octave son mariage précipité avec Livie et prétend qu’il est son amant depuis longtemps. Il l’accuse d’avoir un jour conduit l’épouse d’un consulaire dans sa chambre et de l’avoir ramenée les oreilles rouges et la chevelure en désordre, ou encore d’avoir contraint des matres familiae à se dévêtir devant lui. Or les allégations d’Antoine sont en partie fondées. Octave-Auguste, si l’on en croit Suétone qui ne lui est pourtant pas défavorable, semble avoir toujours été doté d’un appétit sexuel certain et ne s’est pas appliqué à lui-même les préceptes de vertu qu’il entendait imposer aux Romains29. Suétone lui reconnaît des relations adultères, tout en cherchant à les excuser :
sane non libidine, sed ratione commissa, quo facilius consilia aduersariorum per cuiusque mulieres exquireret30.
35La justification est évidemment peu crédible : on sait qu’Auguste fut notamment l’amant de Terentia, la femme de Mécène, et l’on voit mal quelle raison d’état eût pu l’y pousser31.
36La lutte contre Antoine se termine avec la bataille d’Actium, qui constitue précisément le terminus antequam des Satires. Il est difficile de dater la composition des satires. La satire I, 2 est souvent considérée comme l’une des plus anciennes, en raison notamment de sa construction maladroite. Mais nous venons de voir que cette maladresse permet à Horace de souligner la fragilité de l’argument philosophique et ne saurait être considérée comme un défaut de jeunesse. De plus, rien n’interdit de penser qu’Horace ait remanié certaines satires, notamment les plus anciennes, au moment de la publication. En l’absence d’éléments précis sur la composition, c’est donc à la date de publication qu’il convient de s’attacher. Le livre I a été publié avant 34 av. J.-C., puisqu’il n’est fait aucune allusion au domaine de Sabine que Mécène offrit à Horace cette année-là, et après 38 puisque la satire 6 raconte la rencontre d’Horace et de Mécène qui eut lieu alors. Le conflit avec Antoine, s’il n’éclate qu’en 32 avec la répudiation d’Octavie, est larvé au moins depuis 34, puisque c’est en 34 qu’Antoine fait décerner le titre de roi à ses fils, leur donne certaines provinces orientales et nomme Cléopâtre reine d’Égypte. Or l’échange de libelles a lieu précisément tant que le conflit est larvé : lorsqu’il éclate, cette propagande dépourvue de caractère officiel et qui permet d’éviter l’attaque frontale n’a évidemment plus lieu d’être. Lorsque Horace publie le livre I, l’adultère fait donc partie de l’actualité politique et pour un proche de Mécène, la question est délicate, puisqu’elle peut être à tout moment retournée contre Octave. C’est sans doute pourquoi Horace privilégie l’argument philosophique, tout en montrant sa fragilité et ses limites. Mais la dimension politique n’est absolument pas absente, si l’on procède à une analyse un peu précise de la satire.
Présence du politique : Caton et le poète élégiaque
37Caton, qui est nommé dès le vers 32, c’est-à-dire dès que le thème de l’adultère est introduit, apparaît comme une sorte de double du satiriste, puisqu’il est placé dans la même situation d’énonciation que lui. Comme le satiriste, il s’adresse à un jeune interlocuteur et lui donne une leçon de morale amoureuse :
Quidam notus homo cum exiret fornice : « Macte
uirtute esto », inquit sententia dia Catonis ;
« Nam simul ac uenas inflauit taetra libido,
huc iuuenes aequom est descendere, non alienas
permolere uxores32. »
38Caton ne cherche pas à justifier l’interdit de l’adultère, mais l’expression alienas uxores suffit à indiquer que l’interdit repose sur la manus de l’époux, que nul ne doit contester. Or, si l’on en croit le Pseudo-Acron, l’anecdote avait une suite. Voyant quelques jours plus tard le même jeune homme revenir au même endroit, Caton se serait écrié : Adulescens, ego te laudaui tanquam huc interdum uenires, non tanquam hic habitares33. Si la suite rapportée par le Pseudo-Acron a véritablement existé, Horace devait la connaître et le fait qu’il se soit abstenu de la rapporter est tout à fait significatif. Cette suite aurait parfaitement illustré la morale du juste-milieu à laquelle il cherche à rattacher la question de l’adultère dans les vers qui précèdent et qui suivent et aurait permis de rendre plus convaincant l’argument philosophique. Si Horace a tronqué l’anecdote, c’est qu’il ne tient pas à donner la priorité à l’argument philosophique : dans la bouche de Caton, le véritable argument contre l’adultère doit être celui de l’ordre social. Horace adopte le masque du philosophe, parce que la question de l’adultère est devenue délicate en raison de l’actualité. Il place dans la bouche de Caton l’argument qu’il ne peut pas prendre ouvertement à son compte, mais qui est pourtant l’argument principal lorsqu’il s’agit d’adultère : l’argument politique.
39Caton est évidemment une figure très connotée. Il apparaît comme le défenseur du mos maiorum, de la vieille identité nationale, hostile à toute influence étrangère, notamment hellénistique. On a bien sûr nuancé cette image, et la réalité historique de Caton était sans doute un peu différente34. Mais ce n’est pas le personnage historique qu’utilise ici Horace, mais bien la figure retenue par la tradition. Et cette figure, parce qu’elle est donnée comme un double du satiriste, situe d’emblée ce dernier du côté du mos maiorum et de la restauration morale. Dès lors, la question de l’adultère, bien que majoritairement traitée d’un point de vue philosophique, se dessine sur un arrière-plan politique.
40À la figure de Caton comme double du poète s’oppose le poète élégiaque comme double du jeune homme auquel le satiriste fait la leçon. Aux vers 105-110, le satiriste prête la parole à son interlocuteur et imagine les objections qu’il pourrait faire pour défendre son goût des amours adultères :
Leporem uenator ut alta
in niue sectetur, positum sic tangere nolit,
cantat, et apponit : « Meus est amor huic similis ; nam
transuolat in medio posita et fugientia captat. »
Hiscine uersiculis speras tibi posse dolores
atque aestus curasque grauis e pectore pelli35 ?
41Horace réécrit ici les vers d’une épigramme de Callimaque36. Callimaque est le modèle des poetae noui en général, et des élégiaques en particulier, et le thème callimaqué en choisi ici suggère que ce sont bien les seconds qui sont visés. Le code métrique de la satire oblige Horace à user de l’hexamètre dactylique pour ce passage comme pour les autres, mais les termes de cantat et de uersiculis lui confèrent un statut particulier : les mots prononcés par le jeune homme doivent être entendus comme un poème dans le poème, comme des vers élégiaques au milieu d’hexamètres dactyliques. Le jeune interlocuteur du satiriste prend ici la figure d’un amant-poète qui recherche la difficulté en amour parce que c’est elle qui alimente à la fois sa passion et sa production poétique, comme le suggère l’évocation du dolor qui suit.
42Cette citation illustre fort mal ce qui suit et ce qui précède. Ce qui précède, c’est l’idée que la matrone cache ses défauts physiques sous la stole, tandis que l’affranchie se laisse contempler telle qu’elle est sous les soies transparentes de Cos. Or si la puella du poète élégiaque est inaccessible, ce n’est évidemment pas parce qu’elle refuse de se présenter à lui dévêtue, mais parce qu’elle est indécise et changeante, et qu’elle se fait tantôt maîtresse énamourée et fidèle, tantôt dura puella, indifférente et prête à toutes les traîtrises. L’exemple élégiaque est donc fort mal choisi pour illustrer le caractère trompeur des atours de la matrone. Il n’illustre pas davantage ce qui suit : l’idée épicurienne selon laquelle les raffinements de la matrone constituent un besoin non nécessaire dont il faut savoir se passer. Le thème des parures de la puella est présent dans l’élégie, mais l’amant-poète, loin de les rechercher, s’en plaint volontiers, car il craint que cet excès de coquetterie ne lui attire trop de rivaux37. Enfin, l’adultère n’est pas un thème très représenté dans l’élégie et l’on peut se demander pourquoi le satiriste convoque ici ce genre, à travers la parodie des vers de Callimaque.
43Lorsqu’il raille le poète-amant, le satiriste raille moins une figure d’amant adultère, ce que l’amant élégiaque n’est que rarement, qu’une figure de poète. C’est en effet un type de poésie qu’il vise lorsqu’il écrit :
Hiscine uersiculis speras tibi posse dolores
atque aestus curasque grauis e pectore pelli38 ?
44Il faut conférer au diminutif uersiculis toute sa valeur péjorative. Si les vers du jeune amoureux sont de « petits vers », ce n’est pas seulement parce l’élégie s’inscrit du côté de l’esthétique alexandrine de la breuitas. C’est parce que le satiriste les regarde comme des vers sans importance. Ce n’est évidemment pas le point de vue réel d’Horace sur l’élégie qui importe ici, mais les connotations du genre élégiaque qu’il choisit de convoquer. Si le satiriste raille les « petits vers » élégiaques, c’est moins pour leur forme que pour leur contenu. Or s’attacher aux thèmes élégiaques, c’est envisager l’élégie pour ce qu’elle dit de l’amour, autrement dit c’est convoquer l’élégie pour sa dimension morale, ou plutôt son défaut de dimension morale. L’élégie est un genre complexe et chacun sait qu’il ne faut pas y voir trop hâtivement l’expression d’une jeunesse qui rejetterait le modèle vieux romain de ses aînés. Mais on a assez montré que les poètes élégiaques se faisaient l’écho de l’évolution des mœurs de la société romaine et d’une certaine émancipation féminine39, et il est certain qu’en raillant l’élégie pour son goût des amours impossibles, Horace convoque ici un genre connoté : le genre d’un certain désordre social. La satire se fait à l’inverse le genre du retour à l’ordre social. Ces deux vers sont d’ailleurs susceptibles d’être interprétés de deux manières. Si tibi est entendu comme un véritable datif, il faut alors donner à grauis un sens ironique, car aux yeux du satiriste, les souffrances de l’amant-poète ne sauraient être grauis, puisqu’elles sont ridicules. Et l’accumulation de dolores, aestus, curas a également une valeur ironique. Si tibi est entendu, comme c’est souvent le cas en poésie, comme un datif à valeur de complément d’agent, l’épithète et l’accumulation perdent leur valeur ironique, car ce sont les souffrances et les troubles qui affectent Rome. Il faut alors comprendre : est-ce avec tes petits vers élégiaques que tu entends pouvoir ôter à Rome ses souffrances, que tu entends pouvoir sauver Rome ? La satire se pose alors en anti-élégie : elle participe à la restauration morale, au retour à l’ordre social, et en ce sens, elle soulage Rome de ses maux.
45Si l’argument politique du désordre social n’est jamais énoncé pour condamner l’adultère, il n’est donc pas absent de la satire I, 2. Le satiriste se donne pour double Caton, figure de censeur moral qui condamne l’adultère parce qu’il est une contestation de la manus du mari. À l’opposé, il fait de son jeune interlocuteur rétif une figure de poète élégiaque, qui chante l’amour et l’émancipation féminine. L’adultère s’inscrit dans un débat plus large sur les mœurs, et le dialogue entre le satiriste et le jeune homme prêt à l’adultère est, en arrière-plan, un dialogue entre un partisan du retour au mos maiorum et un chantre des nouvelles mœurs. Mais la présence des figures de Caton et du poète élégiaque, si elles suffisent à introduire le politique, ne suffisent pas à introduire la politique, et à travers ces deux figures, Horace pourrait se contenter de conférer à la question de l’adultère sa dimension sociale sans pour autant avoir à l’esprit l’actualité et le conflit entre Octave et Antoine. Le fait que le satiriste n’explicite pas l’argument du désordre social, alors même qu’il s’impose dès qu’il est question d’adultère, suggère cependant qu’il a cette actualité à l’esprit : il sait que l’argument est piégé, car il peut à la fois servir Octave, qui se présente précisément comme un Romain vertueux et respectueux des valeurs ancestrales, et le desservir, puisqu’Antoine se fait fort de rappeler ses aventures extra-conjugales. D’autres éléments plus décisifs attestent cet ancrage de la représentation de l’adultère dans l’actualité politique.
Présence de la politique dans la satire I, 2 : les nomina
46La question des noms propres dans Les Satires fait l’objet de polémiques : les uns considèrent que le contexte juridico-politique romain rendait impossible l’attaque nominative et que tous les noms propres cités sont fictifs ; d’autres considèrent que certains noms sont fictifs, que d’autres ne le sont pas et qu’Horace joue habilement avec les limites de ce qui est possible en ce domaine40. Dans la satire I, 2, il est certain que Villius et Fausta ne sont pas des noms imaginés par Horace et que le satiriste vise, à travers eux, des personnes ayant vraiment existé. Fausta est réellement la fille de Sylla. Au moment où Horace écrit la satire, elle ne peut pas avoir plus de 47 ans41. L’espérance de vie est en moyenne de 20 ans à Rome, mais cette moyenne tient évidemment compte de la forte mortalité infantile. En tout état de cause, il est impossible de savoir si Fausta est encore vivante au moment où Horace écrit la satire. Mais c’est bien elle qui est visée, et Horace, avec la précision de Sullae gener, entend qu’elle soit clairement identifiée par son lecteur. Villius, aux côtés de Fausta, évoque inévitablement au lecteur la personne de Sextus Villius Annalis, familier de T. Annius Milo, l’époux de Fausta42. Rien ne permet de savoir si Sextus Villius Annalis a été effectivement l’amant de Fausta, mais la question importe peu. Il s’agit en revanche de comprendre pourquoi Horace a choisi cet exemple-là plutôt qu’un autre. La clef se situe sans doute du côté du mari, resté célèbre en raison du procès dans lequel Cicéron le défendit sans succès. Milon fut accusé du meurtre de Clodius, essentiellement à l’instigation de Pompée, qui cherchait à se débarrasser de tous les hommes politiques gênants avant d’être nommé consul unique. Il fut condamné à la peine capitale. Nous savons que Salluste s’opposa vivement à Cicéron dans le procès contre Milon, allant jusqu’à insinuer que Cicéron était à l’origine de l’assassinat de Clodius. Or Salluste est nommé dans la satire I, 2 juste avant Villius. Horace ne condamne pas en lui un adultère, mais un amateur d’affranchies, prêt à dilapider son patrimoine. Nous ne savons rien de ce goût de Salluste pour les affranchies, mais nous savons en revanche qu’il fut lui aussi l’amant de Fausta, qu’il fut surpris par T. Annius Milo et battu à coups d’étrivière43. On peut s’étonner du fait qu’Horace n’en fasse pas mention, alors même qu’il nomme Fausta quelques vers plus loin. Nous tenterons de donner une explication. Nous voulons ici simplement souligner le fait que la présence de Salluste juste avant celle de Fausta ne saurait être le fruit du hasard : le satiriste invite son lecteur à décrypter l’arrière-plan politique de l’adultère. Quand Villius est l’amant de Fausta, le procès de Milon est en cours ou a eu lieu : l’adultère ne peut en effet se situer avant 54, puisque Fausta est encore mariée à C. Memmius44. La trahison de Milon prend donc une couleur politique : en Milon, Villius ne trahit pas seulement un mari quelconque, il trahit un ennemi de Pompée. On sait par ailleurs que César réprouva la condamnation de Milon45. De plus Sextus Villius Annalis est le frère de L. Villius Annalis, qui fut proscrit par César46. La présence, dans le même passage, des noms de Villius, Fausta et Salluste devait évoquer aussitôt dans l’esprit des contemporains d’Horace l’histoire encore récente du procès de Milon. Ce procès avait cristallisé toute la violence des conflits d’intérêt qui déchiraient alors Rome, et l’on avait même assisté à des combats de rue. C’est l’opposition des pompéiens et des césariens qui était déjà en jeu, et Salluste, Villius et Fausta, chacun à leur manière, apparaissent comme des pompéiens, autrement dit comme des anti-césariens.
47Il faut ajouter que Macrobe rapporte un bon mot du frère de Fausta qui ajoute encore à la connotation politique du passage :
Faustus Sullae filius cum soror eius eodem tempore duo moechos haberet, Fuluium fullonis filium et Pompeium cognomine Maculam, « miror, inquit, sororem meam habere maculam cum fullonem habeat47. »
48On sait le goût des Romains pour les bons mots, et si Macrobe rapporte celui-là, c’est qu’il devait être connu. Horace l’avait peut-être à l’esprit en choisissant Fausta comme figure de la matrone infidèle. Fausta est finalement pompéienne à plus d’un titre : elle trahit Milon au moment où Pompée cherche à obtenir sa condamnation ; comble d’ironie, elle a eu un amant nommé Pompée.
49Il reste à comprendre pourquoi Horace a choisi d’introduire une affaire hautement politique certes, mais de la génération précédente. L’explication réside dans un autre aspect de l’actualité politique. Au moment où Horace écrit les Satires, Octave se bat en effet sur deux fronts : il cherche à discréditer Antoine, comme nous l’avons vu ; il mène également une véritable campagne militaire contre Sextus Pompée. Ce dernier est le fils de Grand Pompée et, avec l’aide des républicains qui ont survécu à Philippes et se sont réfugiés auprès de lui, il reprend l’offensive contre les césariens, dont Octave est l’héritier. Il finit par contrôler la Sicile, la Corse et la Sardaigne, et s’attaque aux côtes de l’Italie, empêchant notamment le ravitaillement de Rome. En 39, le traité de Misène règle provisoirement la situation. Mais dès le départ d’Antoine pour l’Orient, en 38, le conflit reprend, et Octave n’obtient définitivement la victoire qu’en 36. Le conflit d’hier entre César et Pompée trouve donc un prolongement dans le conflit d’aujourd’hui entre Octave et Sextus Pompée. Lorsque Horace publie les Satires en 34, ce conflit est encore très récent. En attaquant Fausta, Villius et Salluste comme des pompéiens d’hier, Horace attaque indirectement les pompéiens d’aujourd’hui. Et c’est peut-être son ralliement tardif à César qui a valu à Salluste de ne pas être stigmatisé comme l’amant de Fausta qu’il a été48.
Conclusion
50Il ne faut donc pas réduire la représentation de l’adultère dans la satire I, 2 à une représentation topique à visée didactique. Si la visée didactique est réelle et explique notamment le recours au motif de la castration ou la place particulière faite au mime, elle n’exclut pas un certain ancrage dans la réalité socio-politique romaine. Il y a chez Horace, à travers le thème de l’adultère, la volonté de se faire l’écho d’une certaine image du césarisme : un proche de Mécène, donc indirectement d’Octave, est nécessairement vertueux et prêcheur de vertu, il est même un double de Caton ; à l’inverse, les ennemis d’Octave, qu’il s’agisse des amis d’Antoine ou de ceux de Sextus Pompée, sont des acteurs de la débauche et du désordre social romain. Mais cet arrière-plan politique est seulement suggéré, à travers le jeu sur les nomina, car la prudence d’Horace doit être grande, dans un contexte politique aussi délicat que celui qui précède l’explosion du conflit contre Antoine. C’est pourquoi c’est le discours philosophique qui domine. Horace veille cependant à souligner lui-même les faiblesses de l’argument philosophique, ce qui est une manière d’inviter son lecteur à rechercher un autre argument, l’argument politique.
Notes de bas de page
1 Le texte de la satire I, 2 d’Horace (voir infra, « Abécédaire anthologique », s. v. « Adultère ») pose assez peu de problèmes d’établissement. Nous signalons toutefois que pour le vers 33, nous avons retenu la leçon mineure tecta libido (B) plutôt que taetra libido (cett.), car taetra suggère une répulsion des sens, assez peu en accord avec l’idée du passage selon laquelle le désir sexuel est un phénomène naturel qu’il convient de satisfaire le plus simplement possible. Au vers 36, nous avons retenu la leçon cunni alti (Markland) plutôt que cunni albi (codd. P), qui est beaucoup plus obscure. Au vers 38, nous avons retenu la leçon moechis rem uoltis (Clericus) plutôt que moechis non uoltis (codd. P), d’une part parce que la parodie d’Ennius est ainsi plus complète, d’autre part parce que ce sont bien les amateurs d’adultère qu’il convient d’effrayer en leur infligeant la liste des châtiments. Enfin, aux vers 48-49, nous avons préféré la ponctuation proposée par Teubner (ed. D.R. Shackleton Bailey, Lipsiae, 2001) plutôt que celle de la « CUF » (ed. F. Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 1980), qui rend le passage plus cohérent en imaginant l’objection d’un interlocuteur, comme cela arrive à plusieurs reprises dans cette satire. C’est d’ailleurs la forte présence, au sein du texte, de cet interlocuteur anonyme qui nous a conduit à traduire toutes les deuxièmes personnes du singulier comme telles, y compris lorsqu’elles pouvaient également être comprises comme un équivalent de notre tournure indéfinie.
2 Horace, Satires, I, 4, 113-115 ; II, 7, 46-72.
3 Horace, Satires, I, 2, 37-46.
4 Horace, Satires, texte établi et traduit par F. Villeneuve, Paris, Belles Lettres, « CUF », 1932, ad loc.
5 Sur ces questions, voir S. Treggiari, Roman Marriage, Oxford, 1991, p. 262-275 ; ID., « Caught in the act », Festschrift E. Courtney, 2002, p. 243-249.
6 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, X, 23, 4 : « Sur le droit de tuer, voici ce qui est écrit : "Si tu surprenais ta femme en flagrant délit d’adultère, tu pourrais la tuer impunément sans craindre de poursuite j’udiciaire ; mais elle, si tu commettais l’adultère ou si tu te laissais séduire, elle n’oserait pas toucher un seul de tes cheveux, et elle n’en aurait pas le droit". » Sauf mention contraire, les traductions sont les nôtres.
7 Sur la lex Iulia de adulteriis coercendis, voir G. Rotondi, Leges publicae populi Romani, Hildesheim, Georg Olms, « Olms Paperbacks », 25, 1962, p. 445 et 507 ; G. Ville, « L’ordre moral », dans J.-L. Laugier, C. Nicolet, P. Petit et al., Rome au temps d’Auguste, Paris, Hachette, « Âges d’or et Réalités », 1967, p. 138-142 ; Giunio Rizzeli, « Stuprum e adulterium nella cultura augustea e la lex Iulia de adulteriis », Bulletino dell’Istuto di Diritto Romano, 1987, XC, p. 355-388 ; Patricia Panero Oria, « lus occidendi et ius accusandi en la lex Iulia de adulteriis coercendis », Labeo, 48, 2002, p. 127-131.
8 Plaute, Miles Gloriosus, 1394-1427. Il faut noter que Pyrgopolynice porte alors le somatium, autrement dit le costume d’homme nu, ce qui augmente évidemment la force comique du motif de la castration. Voir aussi Curculio, 25-38 et Poenulus, 862-863.
9 Valère-Maxime, VI, 1, 13 : « Mais énumérons aussi rapidement ceux qui pour venger la pudeur outragée n’ont écouté que leur indignation sans recourir aux moyens légaux. Sempronius Musca fit mourir sous le fouet C. Gellius qu’il avait surpris en adultère ; C. Memmius assomma à coups de poings L. Octavius, pris aussi en flagrant délit ; Carbon Attiénus, pris en flagrant délit, fut castré par Vibiénus, et de la même manière Pontius le fut par P. Cérennius. Celui qui prit sur le fait Cn. Furius Brocchus le livra aux outrages de ses esclaves. Tous ces hommes offensés suivirent l’impulsion de leur colère et on ne leur en fit pas un crime » (trad. CUF).
10 Sur l’idée que le rire naît de la représentation d’une laideur dépourvue de souffrance, voir Aristote, Poétique, 1448 b, 35.
11 Horace, Satires, I, 2, 37-40 : « Il vaut la peine d’écouter, ô vous qui souhaitez bon succès/ aux adultères, quels tourments les assaillent/ comme leur jouissance, gâchée par la souffrance,/ et d’ailleurs bien rare, les précipite souvent en de cruels dangers. »
12 Ennius, Annales, XVI, 477 Müller : « Il vaut la peine d’écouter, vous qui souhaitez le bon succès de la puissance romaine et l’accroissement du Latium. »
13 Horace, Satires, I, 2, 44-46 : « à celui-là/ il est arrivé pire encore : ses testicules et son membre lubrique/ on les a cueillis par le fer. »
14 Sur le succès du mime, voir Plutarque, Sylla, 2 et 36 ; J.C. McKeown, « Augustean elegy and mime », Proceedings of the Cambridge Philological Society, 205, 1979, 71-84 ; M.-H. Garelli, Danser le mythe. La pantomime et sa réception dans la culture antique, Louvain ; Paris ; Dudley (Ma.) : Peeters, 2007, p. 173-176. Sur le mime d’adultère, voir H. Reich, DerMimus. Ein litterat Entwickelungs geschichtli-cherversug, Berlin, 1903, p. 89-91 ; R. W. Reynolds, « The adultery mime », Classical Quaterly, 40, 1946, p. 77-84 ; P.H. Kehoe, « The adultery mime reconsidered », Classical texts and their tradition. Studies in honor of C.R.. Trahman, ed. D.F. Bright, E.S. Ramage, Chico, California, 1984, p. 89-106.
15 Voir Juvénal VI, 41-44 pour la scène classique de l’amant contraint de se cacher dans un coffre à l’arrivée inopinée du mari.
16 Juvénal, VI, 66 : penem, ut habent in mimo : « un pénis, comme on en porte dans les mimes ».
17 Pour avoir une idée de ces jeux scéniques, il suffit de se tourner vers la comédie ancienne, dans laquelle les acteurs portaient également le phallos, qui renforçait le comique de certaines scènes. Voir par exemple la scène finale de la Lysistrata d’Aristophane.
18 Horace, Satires, I, 2, 127-131 : « et je ne crains pas, tandis que je la possède, que le mari accoure de la campagne,/ qu’on enfonce la porte, que le chien aboie, qu’ébranlée de toutes parts,/ la maison retentisse d’un grand vacarme, que toute pâle/ la femme saute du lit, que la servante complice crie son malheur,/ qu’elle ait peur pour ses jambes, l’épouse surprise pour sa dot, et moi pour moi-même./ Il faut fuir, la tunique ouverte et les pieds nus,/ pour que ne périssent ni ma fortune, ni mon derrière, ni en fin de compte ma réputation ».
19 Ovide, Tristes, II, 505-508 : « Qu’eût-ce été si j’avais écrit des mimes aux plaisanteries obscènes, auxquels on peut toujours reprocher la peinture d’un amour interdit, où un élégant amant ne cesse de se pavaner, une rouée de conter des sornettes à un sot de mari ? C’est le spectacle des jeunes filles, des dames, des hommes et des enfants, et une grande partie du sénat y assiste. C’est peu des paroles indécentes qui souillent les oreilles ; les yeux s’y familiarisent avec beaucoup d’impudicités. Et quand par quelque tour nouveau l’amant a trompé le mari, on applaudit et on lui décerne la palme avec de grands bravos. C’est par son côté le moins moral que le théâtre enrichit le poète, et le préteur paie cher ces pièces scandaleuses » (trad. CUF).
20 Horace, Satires, I, 2, 28-30 : « Nul ne tient le juste-milieu. Il en est qui ne veulent toucher qu’aux femmes/ dont la robe, bordée de broderies, couvre les talons ; mais à un autre, il faut celle-là seulement qui attend dans un lupanar empesté. »
21 Voir E. Fraenkel, Horace, Oxford, Oxford University Press (OUP), 1957, p. 78 ; N. Rudd, The Satires of Horace: a Study, Cambridge University Press (CUP), 1966, p. 10 ; K. Freudenburg, The WalkingMuse: Horace on the Theory of Satire, Princeton university Press, 1993, p. 25.
22 Horace, Satires, I, 2, 111-118 : « Quelle mesure la nature fixe aux désirs,/ ce qui peut, ce qui ne peut pas lui être refusé sans qu’elle souffre,/ n’est-il pas plus utile de chercher à le savoir et de séparer le superflu de l’essentiel ?/ Vraiment, lorsque la soif te brûle le gosier, cherches-tu une coupe/ d’or ? Et lorsque tu es affamé, repousses-tu avec dégoût tous les mets exceptés/ le paon et le turbot ?/ Et lorsque ton membre de gonfle, si/ tu as sous la main une servante ou un petit esclave domestique à l’assaut duquel/ te lancer aussitôt, préfèrerais-tu rester érigé à en éclater ? »
23 Épicure, Lettre à Ménécée, 127-132.
24 Scholie à Epicure, Doctrines capitales, 29.
25 Horace, Satires, I, 2, 120-122 : « Et celle-ci : “Un peu plus tard”, “Je vaux davantage”, “Si mon mari sort”.../ aux Galles ! Philodème dit qu’il en veut une qui ne fixe pas un prix/ élevé et qui ne tarde pas quand on lui ordonne de venir. »
26 C’est l’hypothèse de S. Treggiari, Roman SocialHistory, Londres ; New York, Routledge, 2002, p. 82-83.
27 Suétone, Augustus, XLIX, 2-5.
28 Suétone, Augustus, LXIX, 3 : « Pourquoi as-tu changé à mon égard ? parce que je besogne une reine ? c’est ma femme. Est-ce d’aujourd’hui ou d’il y a neuf ans ? Et toi, besognes-tu la seule Drusilla ? Porte-toi bien si, au moment où tu liras cette lettre, te ne viens pas de prendre Terulla, Terentilla, Rufilla, Salvia Titsenia, ou n’importe quelle autre. »
29 Suétone, Augustus, LXVI, 2-6.
30 Suétone, Augustus, LXI X, 1 : « Il les commit à coup sûr non point poussé par le désir, mais par calcul, pour découvrir plus facilement les desseins de ses adversaires en questionnant leur femme. »
31 Suétone, Augustus, LXVI, 6.
32 Horace, Satires, I, 2, 31-35 : « Comme un jeune homme d’une certaine notoriété sortait du lupanar : “Bravo,/ courage !”, lui dit la divine sentence de Caton,/ “car lorsqu’un désir intime gonfle leurs veines,/ il est bon que les jeunes gens descendent ici, plutôt que de/ besogner les femmes d’autrui”. »
33 Pseudo-Acron, ad loc : « Jeune homme, je t’ai loué en pensant que tu venais ici de temps en temps, non que tu y vivais à demeure. »
34 On a pu montrer ainsi que Caton était familier de la langue grecque et de la culture grecque, toute son œuvre dépendait des modèles grecs, que sa critique du modèle grec visait moins à le prohiber à Rome qu’à montrer la supériorité du modèle romain qui, se l’appropriant, savait le dépasser. Voir E.S. Gruen, Culture and National Identity in Republican Rome, Ithaca (New York), Cornell University Press, 1992, 52-83.
35 Horace, Satires, I, 2, 105-110 : « L’histoire du chasseur/ qui poursuit dans la haute neige un lièvre qu’il refuserait de toucher s’il lui était offert,/ voici ce qu’il chante, et il ajoute : "Mon amour lui ressemble ; car/ dans son vol il néglige ce qui s’offre à lui et veut s’emparer de ce qui le fuit." Et c’est avec ces petits vers que tu espères chasser de ton cœur/ les souffrances, les agitations de la passion et les soucis pesants ? »
36 Callimaque, Epigrammes, XXI : « Le chasseur, Epicydès, sur la montagne, se plaît dans le gel et la neige, il cherche à la trace lièvres et chevreuils. Et qu’on lui dise : "Là, tiens, une bête de tuée !", il ne la ramasse même pas. Ainsi va mon amour ; qui fuit, il court après ; qui est là, à sa prise, il passe à côté » (trad. CUF).
37 Voir par exemple Properce, Elégies, I, 2.
38 Horace, Satires, I, 2, 109-110 : « Et c’est avec ces petits vers que tu espères chasser de ton cœur/ les souffrances, les agitations de la passion et les soucis pesants ? »
39 S. Laigneau, La femme chez Catulle et les élégiaques latins, Bruxelles, Latomus, 1999, considère que l’élégie se fait l’écho d’une émancipation féminine en germe depuis la fin de la république. C’était déjà l’idée de R.O.A.M. LYNE, The Latin Love Poets from Catullus to Horace, OUP, 1980. C. Rambaux, Properce ou les difficultés de l’émancipation féminine, Bruxelles, Latomus, 2001, nuance en montrant que l’élégie se fait également l’écho des difficultés qu’une telle émancipation pose à la société romaine.
40 Pour défendre l’idée de noms fictifs, on trouve E. Fraenkel, Horace, op. cit., p. 145-153 ; J. M. André, Le siècle d’Auguste, Paris, 1974, Presses universitaires de France, p. 38-42 ; F. MueckE, « Law, rhetoric and genre in Horace, Satires 2.1 », Homage to Horace, ed. S.J. Harrison, OUP, 1995, p. 203-218. Pour R.A. Lafleur, « Horace and Onomasti komodein : the law of satire », Aufstieg und Niedergang der romischer Welt, 1981, p. 1825-1826, les victimes d’Horace sont ou bien fictives ou bien mortes. Pour W. Reissinger, Formen derPolemik in der romischen Satire, Erlangen, 1975, p. 123, Horace se protège en mettant ces attaques dans la bouche d’autres personnages.
41 Cicéron, Lettres à Atticus, IX, 15, 3
42 CiCéoénoiEpistulae ad familiares, II, 6,1. La plupart des commentateurs admettent cette identification. Seul Mùnzer, RealEncyclopedie, VIII (2), col. 2165, nr 8, considère que Villius est le pseudonyme de T. Annius Milo, le mari mis à la porte parce que l’amant est à l’intéreieur. Mais cette hypothèse ne tient absolument pas compte du contexte : avec Villius, Horace veut illustrer les dangers que court l’amant adultère, et non les dangers que court le mari. C’est bien sûr l’expression de Sullae gener qui est à l’origine de la proposition de Mùller, mais nous avons vu qu’elle a un sens figuré ironique.
43 Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVII, 18, 1 dont la source est Varron, Pius.
44 Cicéron, Lettres àAtticus, IV, 13, 1.
45 Cicéron, Lettres à Atticus, IX, 14, 2.
46 Valère-Maxime, IX, 11, 6.
47 MaMoibeo bSat. II, 2, 9 : « Faustus, fils de Sylla, dont la sœur avait en même temps deux amants, Fulvius fils d’un foulon et Pompeius surnommé Macula dit : “je m’étonne que ma sœur conserve une tache alors qu’elle dispose d’un foulon”. »
48 César lui confiera une mission en Adriatique et il l’accompagnera en Espagne en 47 (Orose, VI,
15, 8).
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