Amours virgiliennes. L’invocation à Érato (Enéide 7, 37)
p. 27-44
Texte intégral
1Le choix de la Muse Érato pour présider au second proème de l’Enéide constitue depuis longtemps une quaestio virgilienne, et une quaestio qui reste en partie débattue sauf pour qui se satisfait résolument de l’idée, déjà exprimée dans le commentaire de Servius que, à travers Érato, le poète en appelle simplement à une des Muses. Il peut en effet être rassurant de penser que la spécialisation d’Érato ne s’imposait pas à Virgile et qu’elle n’entre pas ici en ligne de compte ; sans que cela altère la signification du passage, le poète aurait aussi bien pu introduire en ce lieu le nom de Calliope, comme il le fera, en effet, au chant 9 (v. 525)2.
2Se contenter de cette idée revient néanmoins en grande partie à ignorer la tradition dans laquelle s’inscrit l’Enéide et la tradition dans laquelle s’inscrit ce proème en particulier, en raison de sa place même : « dans le milieu3 ». Virgile n’est pas seulement le premier poète épique à choisir Érato comme nom de Muse à invoquer, mais il suit d’assez près le poète qui avait fait ce choix avant lui pour associer également cette Muse à la charnière centrale de son œuvre : Apollonios de Rhodes, au début du chant 3 des Argonautiques.
Allons, Érato, viens m’assister et conte-moi comment, de là-bas, Jason rapporta à Iôlcos la toison grâce à l’amour de Médée. Toi, en effet, tu as aussi ta part de l’apanage de Cypris et tu charmes les vierges ignorantes du joug par les soucis que tu leur causes : de là vient le nom aimable attaché à ta personne4
3La nouvelle impulsion donnée à l’épopée et le programme poétique défini dans les vers de l’Enéide rendent cependant la sollicitation de ce modèle difficile à comprendre au premier abord : c’est au chant 4 du poème que l’ouverture du « chant de Médée » aurait pu être rappelée de manière pertinente5. Une des scènes (et, surtout, une des figures) décrites en amont du proème d’Enéide 7 semble, de plus, avoir comme but de signifier que l’Enéide et son héros se tiendront désormais à bonne distance des tourments du désir ou de la passion érotiques : à travers ces derniers ou leurs conséquences « monstrueuses », il semble aussi que, lors de ce fameux évitement de Circé (En. 7, v. 10-24), le poème virgilien prenne plus généralement ses distances par rapport à son modèle odysséen, comme par rapport à son modèle argonautique6. De fait, le proème renforce et justifie à la fois l’attente de cette « Iliade » que devait rejouer la deuxième partie du poème (cf. Én. 6, 88-947), une « œuvre plus grande » que ces épopées dont les arma n’étaient pas l’élément le plus caractéristique : l’Odyssée8, mais aussi, vraisemblablement à nouveau, les Argonautiques.
4L’étude décisive consacrée par D. Nelis à la présence des Argonautiques dans l’Énéide9peut pourtant contribuer à raviver le débat concernant le « signal » apollonien que constitue Érato, dans la mesure où elle montre comment l’importance de ce modèle est sensible dans la quasi-totalité de l’épopée de Virgile, autrement dit, non seulement du côté des errores de « l’homme », mais aussi du côté des labores associés aux « armes ». Des « traces » du chant 3 des Argonautiques et de l’intervention d’Éros au début de celui-ci (v. 275 sq.) se manifestent, en particulier, de manière récurrente dans la séquence dédiée aux primae exordia pugnae, dominée par le personnage d’Allecto10.
5Un des buts de la présente analyse est, précisément, de mieux cerner le lien entre Érato et cette Allecto qui, de façon relativement paradoxale, par les gestes qu’elle accomplit sur chacune de ses trois « victimes » (amata, Turnus, le cerf), est allusivement assimilée à Eros blessant d’amour Médée. Mais il convient d’abord de rappeler les différentes possibilités que fournit le proème dans son contexte, d’associer à l’amour la Muse qui y est invoquée, comme Apollonios l’avait précisé et avant qu’Ovide ne le clame11.
Amours virgiliennes
6Il semble en fait que plusieurs formes d’amour soient en cause. La place remarquable du proème (pas tout à fait dans le milieu), entre les deux premiers éléments du récit des gesta d’Enée au Latium (l’arrivée à l’embouchure du Tibre, la situation du Latium et, plus précisément, de la maison royale de Latinus)12 invite à observer le possible « rayonnement » d’Érato sur ces passages qui servent de cadre ou d’écrin à la déclaration poétique.
Amour et mariage
7C’est dans le passage qui suit cette dernière que l’amour auquel on s’attend le plus, « érotique », affleure dans le texte et encore, sous une forme spécifique. Plus exactement que d’amour13, il s’agit en effet du thème du mariage, directement évoqué dès que le personnage de la fille du roi est introduit, et implicitement souligné par des échos au carmen 62 de Catulle :
Iam matura uiro, iamplenis nubilis annis... (Én. 7, 53.)
Iam ueniet uirgo, iam dicetur hymenaeus14. (Catulle 62, 4.)
Multi illam magno e Latio... petebant... (Én. 7, 54.)
Multi illumpueri, multae optauerepuellae... (Catulle 62, 42.)
Multi illam agricolae, nulli accoluere iuuenci15. (Catulle, 62, 55.)
8En se faisant ainsi épithalame, le récit peut d’abord illustrer une des principales fonctions de la Muse auparavant invoquée : dans les scholies aux v. 1-5 du chant 3 des Argonautiques, Érato n’est pas présentée comme la Muse de l’amour mais, surtout, comme l’inventrice de la danse telle qu’elle intervient dans les mariages16.
9À l’expérience « néotérique » que, pour C. Monteleone relevant les échos à Catulle, Virgile a ici, comme ailleurs, intégrée à son projet épique, il faudrait associer plus largement une expérience alexandrine en vertu de laquelle le poète est aussi commentateur – et lecteur de commentateurs dont les « leçons » nourrissent ses ré-élaborations poétiques17.
Amour et connaissance
10La possibilité qu’Érato soit liée au programme d’érudition alexandrine qui sous-tend le projet épique de Virgile peut s’appuyer sur la dimension intellectuelle qui était associée à l’amour dont, par l’intermédiaire de « Cypris », cette Muse « a aussi une part de l’apanage » (Arg. 3, 3-4). C’est en relation à cette dimension18que S. Kyriakidis19a récemment relancé l’enquête sur l’adoption d’Érato par Virgile, en commençant par rappeler ce témoignage de L. Annaeus Cornutus (Ch. 14 p. 16 Lang = Ch. 14, 16, l. 16-9, p. 200 Ramelli) :
ή δέ Ερατώ πότερον από τοΰ έρωτος λαβοΰσα τήν ονομασίαν τήν περί παν είδος φιλοσοφίας έπιστροφήν παρίστησιν ή τής περι τό έρεσθαι και άποκρίνεσθαι δυνάμεως επίσκοπός έστιν, ώς δή διαλεκτικών όντων τών σπουδαίων20.
11Une nouvelle étymologie du nom de la Muse pourrait être suggérée dans ce passage, d’après le verbe consacré pour désigner l’action de « demander, interroger » dans les discussions dialectiques, έρωτάω. Après avoir rappelé que le terme complémentaire de la dialectique est le verbe αμείβομαι ou ses composés, S. Kyriakidis désigne comme précédent théorique de la proposition de Cornutus le fr. SH 238 des Aitia de Callimaque21.
12Le v. 8 de ce fragment contribue à illustrer le type particulier de relation que le poète des Aitia instaure avec les Muses et la technique narrative par laquelle elle se manifeste dans les deux premiers livres de l’œuvre : l’organisation du contenude ces derniers au rythme des questions adressées par le poète aux divinités et des réponses de ces dernières. Mais l’intérêt de ce vers est pour nous décuplé par le nom de la Muse qui y est mentionnée et le type d’activité qui lui est prêtée :
…….]Ερατώ δ’ άνταπάμειπτο τά [δε
13Pour S. Kyriakidis, le choix fait par Virgile d’invoquer Érato rappellerait donc ce vers, l’œuvre dans laquelle il s’inscrit, mais surtout la technique narrative et la représentation de la création poétique qu’il symbolise : elle servirait à valoriser encore plus le rôle du poète dans ladite création, un rôle déjà accentué par la multiplication des verbes à la première personne dans le proème. Cela est si vrai que, non seulement, dans ce dernier, Érato peut apparaître comme un vestige ou un substitut de la question qui n’est pas directement posée à la Muse, mais que, en outre, dans les vers suivant le proème, une des premières données relatives à ce rex dont le « je » épique a auparavant fait attendre le portrait, Latinus, est présentée par le biais d’une « formule » qui déroge en partie à la règle de l’omniscience épique, reflétant plutôt la posture du poète érudit alexandrin dont la « Muse » siège surtout dans des livres22 (En. 7, 47-9).
Hunc Fauno et nympha genitum Laurente Marica
accipimus ; Fauno Picuspater, isqueparentem
te, Saturne, refert23...
14Si accipimus apparaît néanmoins comme une forme atténuée de la « mise en scène » callimachéenne de la réponse de la Muse, l’idée de jugement que le verbe peut intégrer24et son emploi à la première personne contribuent encore à accroître le rôle du poète dans cette partie décisive de la création que constitue le choix, entre différentes traditions ou variantes, de celle que « je » va suivre – comme souvent, la plus rare ou la plus neuve25.
Amor patriae
15La troisième forme d’amour qu’Érato peut incarner, telle qu’elle a déjà pu être mentionnée par les commentateurs, ne se fonde pas sur un élément précis du texte ou de son contexte immédiat, mais tient plutôt à la perception globale, dans ce premier chant de l’Italie, de l’attachement profond du poète à sa terre natale. S. Mack écrit ainsi :
Obviously Erato’s name suggests love or desire, and it makes a kind of sense for her to head a book which is infused from beginning to end with Vergil’s love for his native land, expressed again and again as he gives one area after another its moment in the sun26.
16Encore une fois, la place singulière du proème autorise néanmoins à se demander si ce sentiment ne peut pas être précisé par la considération des séquences du récit qui encadrent la déclaration du « je » et, désormais, de celle qui la précède : la description du paysage que les Troyens découvrent à l’embouchure du Tibre.
17Empruntant à une topique bien connue, cette description tend néanmoins à renouveler cette dernière en présentant un locus amoenus dont l’élément principal est un fleuve27. C’est en effet le cours de ce fleuve, Tiberinus, qui est qualifié par l’adjectif – amoenus – régulièrement associé à amor dans les étymologies données par les anciens à son propos28 (En. 7, 30-2) :
...Hunc inter fluuio Tiberinusamoeno
uerticibus rapidis et multa flauos harena
in mare prorumpit29...
18L’expression fluuio Tiberinus amoeno est reprise au chant 8 (v. 31), où l’« aménité » de Tibérinus est encore accrue par l’accumulation de traits évoquant l’univers bucolique. Là, le Songe dans lequel le dieu-fleuve se manifeste à Ènée (v. 26 sq.) rappelle d’autres songes célèbres pour leur valeur d’« initiations », voire de manifestes poétiques30. Au chant 7, on peut se demander si le placement (/déplacement) de l’invocation proémiale après la description du locus amoenus ne favorise pas l’établissement d’un lien étroit entre les deux, autrement dit, d’une analyse du locus comme partie intégrante du proème : ce serait le lieu « idéal » où le poète recevrait l’initiation poétique préalable à l’entreprise de l’« œuvre plus grande », et le caractère « aimable » du lieu contribuerait à son tour au choix de la Muse [quae] nomen amoris habet31, Érato.
19Une ultime considération sur la place de l’invocation même, c’est-à-dire de l’apostrophe à la Muse, nous servira de transition. L’on sait en effet que si l’art des poètes latins intègre la recherche, par exemple, d’équilibres numériques, l’art de l’allusion pratiqué par ces mêmes poètes prend parfois son essor à partir de telles considérations de place32. De fait, la position de l’appel à Érato, au v. 37 duchant 7 de l’Enéide, peut apparaître comme étant plus recherchée et significative encore : comme le remarque D. Nelis33, le v. 37 est le vers où, au chant I, Junon commence son premier monologue, un monologue qui, par plusieurs aspects, se présente comme un double du proème intégré à la narration. Un de ces aspects tient à ce que les deux premiers mots que la déesse prononce, mene incepto, contiennent un écho remarquable au premier mot de l’Iliade, μηνιν34.
20Avant de réfléchir plus avant aux implications de la relation ainsi établie, l’on mentionnera un autre parallèle, qui engage le regard porté sur le proème d’Enéide 7 par un des successeurs de Virgile. Quelque « rebelle » qu’il soit dans son imitation du poète, on sait que Lucain est assez soucieux de cette dernière pour tisser des liens entre certains chants du Bellum ciuile et les chants correspondants de l’Enéide35. Le chant 7 du Bellum ciuile fournit un exemple de ce procédé36. Ouvert par le songe dans lequel Pompée se revoit acclamé, dans son théâtre, par le peuple de Rome, il accueille, aux v. 29 sq., ces commentaires du narrateur :
O felix, si te uel sic tua Roma uideret.
Donassent utinam superi patriaeque tibique
unum, Magne, diem, quo fati certus uterque
extremum tanti fructum raperetis amoris37.
21Certes, la place de l’apostrophe ne correspond pas exactement à celle de l’invocation à Érato au chant 7 de l’Enéide. Mais le développement du nexus Roma/amor est si imposant, en des vers qui « correspondent », en tout cas, à la description du paysage « aimable » qui accueille les Troyens en Italie chez Virgile, que l’hypothèse d’une explicitation par Lucain de l’eros en jeu dans le second proème de l’Enéide reste probable. D’ailleurs, l’invocation « complémentaire » de celle que le « je » épique adresse à Érato, celle de Junon à Allecto (cf. infra), est également réélaboréeun peu plus loin dans le même chant du Bellum ciuile lorsque le narrateur, s’adres-sant alors à César, demande (B.C. 7, 168-71) :
At tu, quos scelerum superos, quas rite uocasti Eumenidas, Caesar ? Stygii quae numina regni infernumque nefas et mersos nocte furores, impia tam saeue gesturus bella, litasti38 ?
D’Érato à Allecto
22Erato, μηνιν – le poète, Junon : la pertinence de l’écho détecté entre les vers 37 des chants 1 et 7 de l’Enéide peut tenir à ce qu’il fait signe en direction d’une lecture érotique de l’Iliade qui était tout sauf inconnue de Virgile, ne serait-ce que parce que son autre grand modèle grec, Apollonios, l’avait développée39. En faisant présider par Érato l’annonce d’un maius opus qui devrait renouer avec le poème de la colère et des « armes », Virgile pourrait même manifester sa connaissance du fait que le modèle iliadique n’était pas ignoré dans les Argonautiques et que cette « Iliade » se trouve précisément au chant 3 de l’épopée d’Apollonios40. Par ailleurs, le renforcement du lien entre le « je » épique de l’Enéide et Junon incite à considérer de plus près la seconde intervention inaugurale (digne d’un prologue41) que la déesse accomplit au chant 7. Le fait que le couple Junon/Allecto formé à cet endroit tend à se superposer au couple poète/Muse rappelé dans le proème permet en outre de cerner le sens de l’eros (et de l’eros dans Erato) repris à Apollonios par Virgile, ainsi que la vraie nature de l’amour que lui-même entend développer dans sa poétique épique guerrière.
Le « proème dans le milieu » de Junon et l’« invocation » à Allecto
23Comme au chant I, l’intervention de Junon au chant 7 se présente comme un double, intégré à la narration, du proème. Un des liens majeurs unissant le « proème » de la déesse à ce dernier réside dans le remploi d’un verbe qui conforte d’ailleurs la place de Jupiter au nombre des figures auctoriales identifiables dans l’épopée (cf. En. 1, 262, fatorum arcana mouebo).
24Après avoir constaté la vanité des ressources traditionnelles et bien qu’ayant affirmé avoir tout tenté (nil linquere inausum, En. 7, 308), Junon envisage la possibilité de frapper plus fort, en assumant, paradoxalement, son impuissance, et en se tournant vers une ressource inédite : les forces de l’Achéron (v. 312).
Flectere si nequeo superos, Acheronta mouebo.
25L’écho au v. 44 du proème (maius opus moueo) est évident et il conduit à s’interroger sur la possibilité que ce soit dans ce recours, inédit pour l’œuvre mais aussi pour le genre, aux forces d’en bas et, concrètement, à une Furie « tragique », que réside le principe du « surpassement » annoncé par le poète. Une des raisons de la supériorité reconnue par les anciens à l’Iliade tenait précisément à sa dimension tragique, au fait qu’y était en germe le genre de la tragédie. Dans l’épisode d’Allecto, Virgile pratique en fait une telle inclusion de la tragédie dans l’épopée qu’il semble même vouloir s’élever encore plus haut qu’Homère en illustrant le genre que ce dernier n’avait, malgré tout, pu qu’« esquisser » dans son propre maius opus42.
26En tout cas, la nature métapoétique des propos de Junon est renforcée par le rappel que la déesse fait ensuite – de la façon dont s’écrit une épopée (En., 7, 313-316) :
Non dabitur regnis, esto, prohibere Latinis,
atque immota manet fatis Lauinia coniunx :
at trahere atque moras tantis licet addere rebus,
at licet amborum populos exscindere regum43.
27Une ressemblance notable unit le v. 315 à l’explication donnée par Aristote à propos de la « composition de l’histoire » dans la tragédie et l’épopée (Poet. ch. 17, 55b) :
que les sujets soient déjà formés ou que le poète les forme lui-même, il faut esquisser d’abord un schéma général, ensuite introduire des épisodes et développer (έπεισοδιοΰν και παρατείνειν)44.
28« Introduire des épisodes » pour « étirer » la matière de la seconde partie du poème est précisément ce que Junon va faire et ce qu’il est d’ailleurs devenu urgent de faire, après que la première séquence narrative développée par le « je » épique s’est paradoxalement achevée sur le mot « paix » (En. 7, 285, pacemque reportant).
29Le second parallèle important avec le proème du début du chant se situe dans cette même seconde scène, où Junon évoque Allecto. Il est fourni par la façon dont elle le fait dans ses tout premiers mots (En. 7, 331) :
« Hunc mihi daproprium, uirgo sata Nocte, laborem »....
30Plus qu’une évocation, ces mots composent une « invocation », dans la mesure où ils rappellent clairement une invocation, qui plus est liminaire, du corpus virgilien. Celle-ci n’est, certes, pas adressée à une véritable Muse, mais à une Nymphe promue au rang de Muse en tant que garante d’une certaine expérience poétique : Aréthuse, au v. 1 de la 10e Bucolique.
Extremum hunc, Arethusa, mihi concedelaborem.
31L’ensemble du discours que Junon adresse à la Furie se prête en fait assez bien à une lecture qui y reconnaîtrait un appel du poète à sa Muse. L’ordre qu’elle intime à Allecto dans la première partie du v. 329 (disice compositam pacem) indique que ce que Junon-poète lui demande de faire est, précisément, de défaire ce que le poète a accompli, « composé » jusqu’ici, peut-être sous la conduite d’Érato : une épopée de la « paix ».
Érato et Allecto, eros et eris
32L’invocation de Junon à Allecto « redouble », en quelque sorte, l’invocation du poète à la Muse dans le proème du chant 7. Ce faisant, elle tend à correspondre à la seconde invocation que le poète des Argonautiques adresse, au début du chant 4, à une Muse qui est peut-être encore Érato45, mais pour un eros qui n’a résolument plus d’érotique que ce que ce dernier comporte d’« éristique » (Arg. 4, 1-5) :
Αύτη νυν καματον γε, θεα, και δηνεα κούρης
Κολχίδος εννεπε, Μούσα, Διος τεκος · η γαρ εμοιγε
αμφασιη νοος ενδον ελίσσεται, ορμαινοντι
ήε μιν ατης πημα δύσιμερον η το γ’ ενισπω
φύζαν αεικελιην η καλλιπεν εθνεα Κολχων46.
33La première explication avancée de la fuite de Médée a un air de déjà-vu : elle rappelle la représentation particulière dont l’amour a été l’objet, au chant 3, lors de la première rencontre entre Jason et la jeune fille (Arg. 3, 956 sq.). Le souvenir de ce passage (v. 960-961, 971-974 en particulier47) pèse sur l’invocation du chant 4 au point de pouvoir donner provisoirement l’avantage à la première des deux explications entre lesquelles le poète dit hésiter. C’est cette explication qui s’impose en tout cas, lorsque vient le moment de dire le fratricide auquel l’amour a conduit Médée. La face sombre d’Eros est alors pleinement révélée (Arg. 4, 445-449) :
Σχετλι’ "Ερως, μεγα πημα, μεγα στύγος
ανθρωποισιν, εκ σεθεν ούλομεναι τ’ εριδες στοναχαι τε,
πονοι τε, αλγεα τ’ αλλ’ επι τοισιν απειρονα τετρηχασι
δύσμενεων επι παισι κορύσσεο, δαιμον, αερθεις,
οιος Μηδειη στύγερην φρεσιν εμβαλες ατην48.
34Si la Muse invoquée au début de ce chant est encore Érato, l’eros auquel elle est liée aurait pu conduire le poète, pour ainsi dire, à lui substituer ou à la renommer Allecto. Tel est en tout cas ce que fait Virgile au sein de son propre poème, dès lors qu’eros y cède résolument la place à eris. Mais de cette manière, il contribue aussi à expliciter le texte d’Apollonios : avec Allecto, il tend d’abord à résoudre le problème potentiellement posé par le poète grec quand, dans l’incipit du chant 4, il tait le nom de la Muse49. Plus généralement, il attire l’attention sur le fait que l’eros qui occupe une place si importante dans les Argonautiques ne consiste assurément pas qu’en un élément « ludique », d’une légèreté nuisible à la grauitas de l’épique50.Pareille « explicitation » ne va certes pas sans une forme d’interprétation ou d’« appropriation » du texte-modèle, dans la mesure où Virgile ressent ailleurs la nécessité de corriger son prédécesseur en remilitarisant les scènes guerrières homériques que ce dernier avait érotisées51. Elle présuppose de fait un dépassement de ce modèle, dans la mesure où ce n’est pas l’amour en tant que tel, ni même seulement l’amour en tant que source de discordes, mais l’amour de la discorde même et du fer qui est appelé à prévaloir dans le récit proprement guerrier de l’Enéide52 : c’est l’amor ferri qui, à l’issue de sa confrontation avec Allecto, s’est résolument installé dans le cœur de Turnus (En. 7, 461, saeuit amor ferri et scelerata insania belli)53.
Insanus Martis amor
35L’on évoquera, pour finir, la possibilité que, dans la même séquence du chant 7, le genre érotique par excellence, l’élégie romaine, soit l’objet d’une « interprétation » similaire à celle qui est faite de l’eros apollonien54. Les réserves de Virgile à l’endroitde ce genre ne l’empêchent pas de l’illustrer en plusieurs endroits de son œuvre ou, en l’occurrence, d’en sélectionner et d’en adopter les traits susceptibles de servir le traitement des thèmes centraux de l’épopée. Ce fait est en particulier sensible à la fin de l’intervention d’Allecto, à commencer par l’action menée par cette dernière auprès d’Ascagne.
36La « ruse nouvelle » conçue par Allecto55 s’accompagne d’un changement d’« inspiration » poétique et générique, l’épopée renonçant visiblement à l’élan tragique insufflé par Junon et la Furie en faveur d’un registre différent, qui mêle bucolique et élégie. Des échos à des pièces écrites dans les deux genres ont, en effet, été relevés dans l’ekphrasis du cerf56. Il est cependant une pièce des Bucoliques de Virgile qui problématise le rapport entre ces deux genres et vers laquelle ces échos peuvent en venir à converger. Il s’agit de la dixième Bucolique, celle-là même que l’invocation de Junon à Allecto a contribué à rappeler.
37Quand, embrasé par un amor eximiae laudis (En. 7, 496), Ascagne décoche ses flèches contre le cerf, il en vient certes à occuper le rôle joué, au chant 3 des Argonautiques, par le dieu de l’Amour, Cupidon57. Mais l’expression adoptée pour désigner le geste d’Ascagne, derexit spicula cornu, place également le fils d’Enée dans le rôle de Gallus proclamant dans la dixième Eglogue (v. 59-60) :
...libet Partho torquere Cydonia cornu
spicula…
38Chassant le cerf, il semble alors que, à la manière de Gallus, Ascagne chasse résolument l’amor érotique de l’épopée guerrière en train de naître.
39Les échos à la dixième Bucolique ne s’arrêtent pas ici. Lorsqu’Allecto se présente devant Junon pour lui rendre compte de sa mission, elle est si satisfaite qu’elle se propose de la prolonger. Ses propos rappellent de nouveau certaines paroles de Gallus dans la dernière Bucolique :
Hoc etiam his addam, tua si mihi certa uoluntas :
finitimas in bella feram rumoribus urbis
accendamque animos insani Martis amore
undique ut auxilio ueniant58... (Én. 7, 548-551.)
nunc insanus amor duri me Martis in armis
tela inter media atque aduersosdetinethostis59... (Buc. 10, 44-45.)
40Par ces mots, Allecto consacre l’identité du seul amor qu’elle-même puisse incarner et que l’Érato dont elle a pris la place sera elle-même forcée d’incarner, dans une épopée qui ne saurait se soustraire à son sujet guerrier. Lorsqu’elle a été invoquée par Junon, c’est aussi à Aréthuse qu’Allecto s’est substituée : de la Nymphe bucolique, elle ne saurait être que la « perversion », au même titre qu’elle pervertit l’univers bucolique que la description du cerf de Silvia fait fugitivement renaître, en le livrant au déchaînement de la violence guerrière. Elle fait, ainsi, précisément le contraire de ce qu’Aréthuse avait été chargée de faire : préserver l’univers et la poésie bucoliques d’une contagion qui pouvait lui être fatale (cf. Buc. 10, 4-5 : sic tibi, cum fluctus subterlabere Sicanos,/Doris amara suam non intermisceat undam). Cette contagion qui, dans le cadre de l’églogue, pouvait être plutôt liée à l’intrusion, au sein de celle-ci, de l’amertume de la passion élégiaque, peut ici venir directement de la « haute mer » de l’épopée60 : mais les termes sont presque les mêmes, et l’amor Martis de l’épique paraît se nourrir d’un amor élégiaque qui, en vertu d’une de ses « contradictions » essentielles61, tend, en effet, à lui ressembler.
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41Dans le contexte du proème où cette Muse paraît, l’amour présent dans Érato se laisse appréhender de plusieurs manières : à côté du mariage de Lavinia, ailleurs identifiée à la cause de ce « mal » qu’est la guerre, amour de la connaissance et amour de la patrie rappellent d’authentiques « amours virgiliennes »62. Comme le proème lui-même, l’invocation à Érato demande cependant à être mise en relation avec la séquence du récit où les primae exordia pugnae sont effectivement exposés : l’intervention de Junon et d’Allecto. Le redoublement de l’invocation à Érato par l’« invocation » de Junon à Allecto établit, à première vue, une opposition selon laquelle, face à cette incarnation de la Haine qui surgit pour occuper sa place, Érato pourrait incarner un amour non limité à la passion érotique, mais l’amour entre les hommes ou les peuples, Amour qui eût peut-être suffi à « inspirer » le poète s’il avait pu se contenter de composer une œuvre de « paix ». Toutefois, comme entre le proème du « je » et celui de Junon, le rapport entre Érato et Allecto tient peut-être plutôt de l’explication. Si le mouere de Junon laissant entrer dans l’épopée les forces de l’Achéron « explique » en quelque manière le mouere aucto-rial et, surtout, la grandeur singulière revendiquée pour l’opus, Allecto explique parallèlement que l’amour symbolisé par Érato est, au moins, l’amour en tant que source de discorde, et surtout, l’amour même de la discorde – cet amor ferri ou Martis dont se repaît la « Furie » et dont elle infecte les hommes. La spécificité d’Allecto tient au lien qu’elle entretient avec la discorde civile ou fratricide, mais cette explication ne concerne pas moins l’amour tel qu’il avait été « mis en œuvre » par Apollonios de Rhodes dans son épopée63. Elle donne également lieu à l’appropriation de cet amor Romanus qu’est l’amour élégiaque : la contradiction qui l’unit à l’amour de la guerre le mène à contribuer, sans doute malgré lui, à la naissance du maius opus.
Notes de bas de page
2 Le commentaire de Servius (ad Aen. 7, 37) est le suivant : « Sane Erato uel pro Calliope, uelpro qualicumque musa posuit. »
3 Cf. G.B. Conte, « Proems in the middle », Yale Classical Studies (YClS), 29, 1992, p. 147-159. Le savant souligne que les « proèmes dans le milieu » sont spécifiquement voués à abriter des déclarations de poétique programmatiques, à la différence des proèmes des débuts d’œuvres subordonnés à la fonction rhétorique d’exposition et de délimitation du sujet.
4 El δ’ αγε νυν, Ερατώ, παρά θ’ ’ίστασο καί μοι ενισπε/ ένθεν όπως ές Ίωλκον ανήγαγε κώας Ίήσων/ Μήδείής υπ’ ερωτι. Συ γαρ καί Κυπριδος αίσαν/ εμμορες, αδμήτας δε τεοίς μελεδήμασι θέλγεις/ παρθενίκας · τω καί τοί επήρατον ουνομ’ ανήπταί (Arg. 3, 1-5). La traduction des passages cités d’Apollonios est celle d’E. Delage.
5 Servius (ad Aen. 4, 1) atteste le lien étroit perçu par les anciens entre le chant 4 de l’Enéide et le chant 3 d’Apollonios. Malgré le refus apparent de la passion érotique et de ses conséquences « monstrueuses », sensible dans l’évitement de Circé (voir infra), le souvenir de Didon est loin d’être entièrement effacé dans la seconde moitié de l’Énéide. Bien connue est la part de Didon présente en Amata ; le cerf de Silvia qu’Allecto fait tuer par Ascagne « réincarne » aussi la biche à laquelle Didon saucia cura est comparée en Én. 4, 69-73. Pour M. Fernandelli, « Il compito della Musa (Eneide, VII, 37) », Quaderni di Filologia Classica (Università di Trieste), V, 1986, p. 85-104, l’invocation à Erato fait effectivement allusion à l’incipit du chant 3 des Argonautiques, mais aussi au chant de l’Énéide dans lequel ce modèle a particulièrement été retraité, le chant de Didon, dont l’histoire fournit « le modèle narratif et éthique de la guerre » (p. 103).
6 Dans sa présentation de Circé, Virgile combine des traits de la Calypso homérique, et l’évitement de Circé rappelle notamment l’évitement de Calypso dans les Argonautiques (Arg. 4, 572-575 ; cf. D. Nelis, Vergil’s Aeneid and the Argonautica of Apollonius Rhodius, Leeds, Francis Cairns publications, “ARCA, Classical and Médiéval Texts, Papers and Monographs”, 39, 2001, p. 260). Par ailleurs, en désignant par monstra les animaux de Circé (En. 7, 21), Virgile fait probablement allusion à « l’explication philosophique cosmogonique des pouvoirs érotiques de Circé » offerte par Apollonios (Arg. 4, 676-681 ; la citation vient de P. Kyriakou, « Empedoclean Echoes in Apollonius Rhodius’ Argonautica », Hermes, 122,1994, p. 309-319, qui commente, p. 317-318, l’interprétation d’Empédocle suivie par Apollonios). Cette allusion s’accompagne néanmoins d’une mise à distance du modèle argonautique, rendue particulièrement sensible par la qualification des Troyens par pii, employé, dans le même vers, immédiatement après monstra (quae ne monstra pii paterentur Troiani). La présence du même adjectif au v. 5, où il est dit qu’Énée a rendu, selon le rite, les derniers devoirs à sa nourrice, peut faire penser que c’est en rapport avec cette pieuse exécution des rites funéraires que pius réapparaît ici. Mais pius peut surtout souligner la différence entre Jason et Médée, dont le séjour chez Circé - où ils doivent voir de tels « monstres » - est lié à l’impiété qu’ils ont commise - en tuant Apsyrtos -, et les Troyens, auxquels Neptune épargne cette rencontre en considération de leur pietas. Pour S. Kyriakidis (Narrative structure and Poetics in the Aeneid. The frame of Book, 6, Bari, Levante Editori, 1998, p. 90-117), le contournement de Circé « fonctionne comme une refutatio métalittéraire, non seulement d’éléments poétiques et thématiques homériques et apolloniens, mais aussi du débat poétique alexandrin » tel que notamment reflété dans le prologue des Aitia de Callimaque dont la description de la magicienne par Virgile reprend plusieurs termes essentiels (citation p. 117).
7 Sur ce passage, cf. infra n. 13.
8 Cette interprétation doit toujours s’accompagner de la nuance que, de même qu’il y a de l’iliadique dans la partie odysséenne de l’Énéide (cf. notamment les Jeux au chant 5), il y a de l’odysséen dans sa partie iliadique (cf. le chant 8). Le dialogue avec le modèle apollonien se poursuit lui-même au-delà du chant 6 (cf. infra). Par ailleurs, aussi vif que soit le sens dune refutatio à l’œuvre dans l’évitement de Circé, il faut rappeler que, dans la suite du récit, le personnage de l’enchanteresse est fermement ancré dans la terre italienne, notamment à travers son association à l’histoire de la famille royale latine. Qui plus est, les monstra d’abord évités, en même temps que Circé, ne tardent pas à resurgir, en premier lieu sous la forme décisive de cet être également caractérisé par un immense talent en matière de métamorphoses, Allecto (cf. Én., 7, 328-329), symbole du plus odieux des monstres, la guerre dans sa version civile ou fratricide (cf. Én., 7, 335).
9 D. Nelis, op. cit. [n. 6].
10 Ibid., p. 288-295.
11 Cf. Ars amatoria, 2, v. 15-18 avec les remarques de S. Casali, « Erato et Medea, Talia e Pasifae nellArs Amatoria », Materiali e discussioni per l’analisi dei testi classici (MD), 34, 1995, p. 199-205 (p. 200).
12 Pour un examen détaillé des raisons qui ont pu pousser Virgile à (dé)placer le proème à cet endroit précis, voir J. Blänsdorf, « Unepische Szenenfolgen in der Aeneis », Wûrzburger Jahrbûcher fur die Altertumswissenschaft (WJA), 8, 1982, p. 83-103
13 La mention du mirus amor avec lequel Amata cherche à s’attacher Turnus comme gendre (v. 57) peut stimuler un questionnement sur la nature réelle des sentiments qui lient la reine au chef rutule. Le mariage attendu de Turnus et Lavinia puis le mariage prédit de la même Lavinia avec Énée donnent, quant à eux, usuellement lieu à une interrogation sur l’amour existant dans ces couples et sur le rôle, plus ou moins décisif, que Virgile donne à l’amour dans une guerre censée réitérer celle de Troie. On ne peut certes ignorer que, dans la prophétie que le « je » épique reprend partiellement dans le proème, la Sibylle avait annoncé qu’une épouse étrangère serait une seconde fois la cause d’un si grand malheur, causa mali tanti (En. 6, 93 ; cf. 9, 480). Mais, précisément, cette notion n’est pas explicite dans le proème en tant que tel et Virgile ne développera pas, dans ses livres de la guerre, une histoire d’amour semblable à celle de Didon et d’Énée ou de Jason et de Médée. L’amour qui les domine est l’amour de la guerre, et s’il est vrai que le poète rappelle bien le rôle topique de la femme comme cause et enjeu des combats, il semble aller plus loin en faisant de la femme l’« esprit » même de la guerre, ou en développant les personnifications de cette dernière comme un être féminin. (À côté d’Allecto – et de Fama, voir infra – on peut aussi penser aux Harpyes dont le portrait en En. 3, 216-8 a été lu comme une perversion du portrait de lapuella élégiaque : voir H. Akbar Khan, « The Harpies episode in Aeneid III », Prometheus 22, 1996, p. 131-144 et137-138.) Le rôle de l’amour peut cependant être accru en considération des liens que le récit établit entre la guerre au Latium et l’eris suscitée par l’union même – avant même la rupture – dÉnée et Didon : Allecto, incarnation de la Discorde, est une « sœur » de Fama qui surgit au chant 4 aussitôt après l’union des deux protagonistes, et dont la description procède notamment d’une réélaboration de la mention d’Eris au chant 4 de l’Iliade (v. 442-3) ; lamor ferri qu’Allecto stimule en Turnus s’inscrit aussi dans la lignée de l’amor de la reine carthaginoise (cf. infra n. 53).
14 Cf. C. Monteleone, « Eneide, 7, 37. L’invocazione ad Erato come segnale », L’Antiquité Classique (AC), 46, 1977, p. 184-191 (p. 185), qui ajoute les v. 57-58 du poème de Catulle : cumpar conubium maturo tempore adeptast/cara uiro magis et minus est inuisaparenti. M. Campbell, Studies in the third book of Apollonius’ Argonautica (Hildesheim ; Zurich ; New York, Olms, 1983, p. 4-5) considère également le v. 53 de Virgile comme une explicitation d’Érato en rapport avec le mariage, sans mentionner Catulle mais en tenant compte des scholies aux v. 1-5 du chant 3 des Argonautiques (cf. infra et n. 17).
15 C. Monteleone (op. cit. [n. 14]) précise (p. 186) que l’« incipit » multum illum/ multum illam n’est repris qu’en un seul autre endroit par Virgile dans l’Énéide, à propos de Camille au chant 11 (581-582 : multae illam frustra Tyrrhena per oppida matres/ optauere nurum...) ; l’allusion au carmen de Catulle se trouve ainsi « divisée » entre les deux passages (sur le procédé, voir J. Wills, « Divided allusion : Virgil and the Coma Berenices», Harvard Studies in ClassicalPhilology (HSPh), 98, 1998, p. 277-305).
16 Avant que le point de vue de Rhianos, pour qui toutes les Muses se valent, ne soit rapporté, l’accent est mis, dans les scholies, sur cette explication en vertu de laquelle Apollonios, entreprenant le récit du « mariage » de Médée, a choisi d’invoquer la Muse appropriée. Une autre explication est aussi mentionnée, qui gomme elle-même la spécificité d’Érato, en ce qu’elle consiste à dire que les Muses président aux banquets qui ont à voir avec les mariages.
17 M. Campbell (op. cit. [n. 14]) exploite le témoignage des scholies (originellement dues à Théon d’Alexandrie, Ier s. av. J.-C.) et, en mentionnant le passage de Virgile, il développe précisément l’idée que, dans le proème et les vers qui le suivent immédiatement, le poète latin rend compte du débat présent dans ces scholies : « Virgil reflects the dispute. First Erato without explanation (Rhianus). Presently Lavinia, ripe for marriage, causa mali tanti » (p. 4-5). Les deux emplois que Stace fait d’Érato dans les Silves reprennent, d’une certaine manière, les deux positions : la Muse est d’abord mentionnée dans un contexte d’épithalame (Silu. 1, 2, 49). Puis, invoquée pour présider à l’ode lyrique à Vibius Maximus (Silu. 4, 7, 1-4), elle est étroitement associée à l’ingens opus de la Thébaïde (où sont effectivement invoquées les Muses Calliope et Clio) : le poète dit y avoir cette Muse « courageuse » (fortis), pour « alliée » (sociata). Sur les scholies à Apollonios et leur emploi par Valerius Flaccus, voir F. Bessone, « Valerio Flacco e l’Apollonio commentato : proposte », MD, 26, 1991, p. 31-46. Sur la question de l’incorporation par Virgile des commentaires aux œuvres qu’il imite (celles d’Homère en premier lieu) à cette imitation même, voir dernièrement J.-C. Jolivet, En cor Zenodoti, en iecur Cratetis. Recherches sur les études homériques à Rome et leur influence sur la poésie augustéenne, thèse d’habilitation, Lille 3, 2004.
18 Voir par exemple Diodore de Sicile 4, 7, 4, où il est dit qu’Érato a reçu ce nom « parce qu’elle rend désirables et aimables ceux qui ont reçu l’éducation ».
19 S. Kyriakidis, op. cit. [n. 6], p. 168-175.
20 « Quant à Érato, ou bien elle a tiré son nom d’eros (l’amour), auquel cas, elle est celle qui inspire le désir de se tourner vers toute forme de philosophie, ou bien elle gouverne la faculté de eresthai (interroger) et de répondre, puisque les sujets sérieux sont propres à susciter la discussion » (« in quanto le persone serie e virtuose hanno, appunto, capacità dialettiche », traduit I. Ramelli).
21 S. Kyriakidis, op. cit. [n. 6], p. 170-171.Romam, sicuti ego accepi, condidere atque habuere Troiani). Pour certains commentateurs modernes, accipimus s’inscrit dans la lignée d’un proème dont la teneur historiographique a par ailleurs été souvent soulignée.
22 Les références à la tradition comme « on-dit » (phasi) sont évitées par Homère où elles apparaissent, du moins, de préférence dans les discours des personnages. Elles pénètrent abondamment le discours du narrateur dans les Argonautiques. Un tournant supplémentaire semble se produire dans l’Enéide, où Virgile associe systématiquement aux invocations aux Muses de telles formules qui, prises à la lettre, semblent ignorer le rôle de ces dernières dans la donation au poète épique d’un savoir immense, qui se distingue des connaissances approximatives (acquises par ouï-dire) des autres hommes. Ovide franchit le pas décisif en faisant de la fama la première source d’« inspiration » de l’épopée. D’Apollonios à Virgile, cette fama sert souvent de « masque » à une source livresque d’informations érudites, ou bien à l’ingéniosité du poète qui renouvelle la tradition en y ajoutant des informations qui sont en réalité de son cru.
23 « Nous apprenons que ce roi était né de Faunus et de la Nymphe laurente Marica. Faunus est le fils de Picus et c’est toi, Saturne, que celui-ci revendique pour père. »
24 Cf. C. Lewis, C. Short, E.A Andrews [e.a.], A Latin Dictionary, Oxford University Press, 1975, s.u. « Accipio», § II. A. 3, où est fait état de l’idée « accessoire » de jugement que le verbe véhicule dans certains contextes, acquérant le sens de « prendre une chose dans tel ou tel sens, interpréter, expliquer ». Servius commentant ce vers est sensible à la nécessité du choix qu’a fait le poète : « propter uarias opiniones hoc adiecit ». Servius cite aussitôt l’exemple de Salluste (Conj. Cat. 6 : Vrbem Romam, sicuti ego accepi, condidere atque habuere Troiani). Pour certains commentateurs modernes, accipimus s’inscrit dans la lignée d’un proème dont la teneur historiographique a par ailleurs été souvent soulignée.
25 La prise en compte des autres membra de la généalogie de Latinus fournis plus loin dans le poème tend à faire de accipimus l’équivalent, certes moins polémique, du « nous n’avons pas ouï-dire » employé par le narrateur des Argonautiques intégrant, contre d’autres, Héraklès à la troupe des héros dénombrée dans le catalogue (Arg. 1, 122-3). Le sens latent de ce « nous apprenons par la tradition » serait en l’occurrence : « nous n’entendons pas que Latinus était le fils d’Ulysse et de Circé ». En admettant qu’il ne relève pas d’une invention véritable, le choix de Marica comme mère de Latinus s’accompagne au moins d’une autre manifestation de la « licence poétique », l’imprécision géographique commentée par Servius ad loc.
26 S. Mack, « The birth of war. A reading of Aeneid7 » dans C. Perkell (ed.), Reading Vergil’s Aeneid. An interpretive guide, University of Oklahoma Press, 1999, p. 128-147 et 324-325 (citation p. 129). L’auteur précise en note (1 p. 324) que, si comme eros, eratos évoque d’abord l’« amour érotique », Archiloque emploie l’adjectif pour décrire ce que sa patrie, Thasos, n’est pas.
27 Un fleuve dont Virgile reconnaît seulement ici qu’il s’écoule « en tourbillons rapides » (uerticibus rapidis) et « qu’il est blond d’un sable abondant » (multa flauos harena), peut-être pour éviter d’en faire le fleuve turbidus et bourbeux d’une épopée qui se voudrait trop grande. Pour une analyse métapoétique approfondie du passage, voir S. KyriakidiS, op. cit., [n. 6], p. 121-158.
28 Cf. notamment Servius ad Aen. 6, 638 : « amoena [...] quae solum amorem praestant, uel, ut supra diximus [ad Aen. 5, 734], quasi amunia, hoc est sine fructu, ut Varro et Carminius docent ».
29 « Au milieu de ce bois, Tiberinus à l’aimable cours, de ses tourbillons rapides, blond d’un sable abondant, s’élance dans la mer. »
30 Il s’agit, en premier lieu, du Songe du début des Aitia. Cf. M.A. Tueller, « Well-Read Heroes : quoting the Aetia in Aeneid 8 », HSPh, 100, 2000, p. 360-380.
31 Ovide, Fast. 4, 196.
32 La place dans le vers du mot ou du groupe de mots repris par un poète à un autre fait partie des critères fondamentaux de repérage de l’allusion littéraire. Mais il peut aussi s’agir de la place d’un mot dans un vers occupant une place précise dans un chant ou dans un livre. Un cas connu est celui de l’Euphrate, mentionné par Virgile six vers avant la fin de la Géorgique 1, de la Géorgique 4 et du chant 8 de l’Enéide, en relation à Callimaque, Hymne à Apollon, où le « fleuve assyrien » est aussi mentionné six vers avant la fin : cf. R. S. Scodel et R. Thomas, « Virgil and the Euphrates », American Journal of Philology (AJP), 105 (3), 1984, p. 339 ; R. Jenkyns, « Virgil and the Euphrates », AJP, 114, 1993, p. 115-121 précise la signification de cette symétrie virgilienne et les limites de l’allusion à Callimaque. J. Wills (op. cit. [n. 15] p. 279 et n. 5) évoque cet exemple en traitant du cas de l’« allusion divisée » que, dans les trois discours de Didon dans l’Enéide (comportant chacun une occurrence deperfidus), Virgile fait à Catulle 64 et au discours d’Ariane (où perfidus apparaît trois fois) ; J. Wills note que les trois discours de Didon mis bout à bout totalisent soixante-dix vers, autant que le discours d’Ariane chez Catulle.
33 D. Nelis, « Et maintenant, Erato... : à propos d’Enéide 7, 37 », Revue des études anciennes (REA), 109 (1), 2007, p. 269-271.
34 D. Nelis relevant le parallélisme entre En. 1, 37 et 7, 37 dans l’article précédemment cité entend d’abord apporter un argument supplémentaire en faveur de cette hypothèse, originellement avancée par W. Levitan (W. Levitan, « Give up the Beginning ? Juno’s mindful wrath : Aen. 1. 37 », Liverpool ClassicalMonthly (LCM), 18, 1993, p. 14) : en faisant débuter son Iliade au v. 37 du chant 7, Virgile conforterait l’allusion à l’Iliade du mene incepto de Junon au v. 37 du chant 1.
35 S. Casali (« Mercurio a Ilerda : Pharsalia 4 ed Eneide 4 », dans P. Esposito e L. Nicastri (ed.), Interpretare Lucano : miscellanea di studi, Napoli, 1999, p. 223-236, p. 227-228) rappelle ce fait, avant de fournir une illustration des liens entre les chants 4 des deux épopées.
36 L’écho fameux que le chant 7 du Bellum ciuile fait au chant 7 de l’Enéide est la reprise d’aduenisse diem au v. 131 (cf. En. 7, 145).
37 « Heureuse Rome si elle ne te voyait même qu’ainsi ! Ah, si les dieux vous avaient accordé à tous deux, la patrie et toi, un seul jour, Magnus, où, sûrs l’un et l’autre de votre destinée, vous auriez pu cueillir le dernier fruit d’un si grand amour ! »
38 « Mais toi, quels dieux des crimes, quelles Euménides as-tu appelés selon le rite, César ? À quelles puissances du royaume stygien, à quelle abomination infernale, à quelles fureurs plongées dans la nuit as-tu sacrifié, au moment de mener, de manière si cruelle, des guerres impies ? »
39 Cf. D. Nelis, op. cit., [n. 6], p. 332-333, où il souligne que l’érotisation de l’épopée homérique accomplie par Apollonios se fonde sur des éléments érotiques dont la présence chez Homère ne doit pas, en effet, être négligée.
40 Cette Iliade argonautique est composée, en premier lieu, par les exploits accomplis par Jason dans la plaine d’Arès (cf. R. Hunter, Apollonius of Rhodes : Argonautica Book III, edited with an introduction and commentary, Cambridge University Press, 1989, p. 240, ad Arg. 3, 1278-1407). La stratégie intertextuelle mise en œuvre par Apollonios dans le traitement des scènes majeures pour le développement de la relation entre Jason et Médée conduit cependant à observer la part d’Iliade inhérente à cette relation même, telle qu’elle se découvre dans les « exploits érotiques » du héros. Ainsi, la rencontre des deux protagonistes dans le temple d’Hécate, une scène « à la saveur subtile, érotique » ne repose pas moins sur « la structure d’un duel iliadique » (R. Hunter, ibid., p. 30) et même, sur le suprême duel iliadique, celui d’Achille et d’Hector (R. Hunter, ibid,, ad Arg. 3, 956-961, p. 202, ad v. 964-965, p. 203-204, ad v. 1105, p. 219-220).
41 Les deux interventions de Junon tiennent si bien de prologues – tragiques – que Sénèque en a comme naturellement fait usage dans les prologues d’Hercule Furieux et de Thyeste notamment.
42 Pour cette interprétation de maius opus, je renvoie à ma thèse de doctorat : S. Clement-Tarantino, Fama ou la renommée du genre. Recherches sur la représentation de la tradition dans /Enéide, Lille 3, 2006, p. 450 sq.
43 « Il ne me sera pas donné de l’éloigner du royaume latin, soit ! Et en vertu des destins, Lavinia reste immuablement sa femme. Mais on peut étirer, en y ajoutant des retards, de si grands événements, mais on peut exterminer les peuples des deux rois. »
44 La traduction est de R. Dupont-Roc et J. Lallot (Aristote, La Poétique, Paris, Le Seuil, 1980).
45 C’est l’avis, notamment, de G. Zanker, « The Love Theme in Apollonius Rhodius’ Argonautica », Wiener Studien. Zeitschrift fur die klassische Philologie (WS), 13, 1979, p. 52-75 (n. 35, p. 64) et de R. Hunter, « Medea’s flight : the 4th Book of the Argonautica », Classical Quarterly (CQ), 37 (1), 1987, p. 129-139 (p. 134).
46 « Dis maintenant toi-même, déesse, les tourments et les pensées de la jeune Colque, ô Muse, fille de Zeus ; car, en vérité, mon esprit, réduit au silence, se tourne et retourne en moi, quand je me demande si j’e dois parler de l’égarement du funeste passion ou si ce fut plutôt une épouvante pitoyable qui lui fit quitter les nations de Colchide. »
47 Ces vers comportent les termes καματος, δύσιμερος (v. 961) et ατη (v. 973), que l’invocation du chant 4 réunit.
48 « Funeste amour, grand fléau, grand objet de haine pour les hommes, c’est de toi que naissent mortelles discordes, gémissements, épreuves et puis encore d’autres malheurs sans fin, mer de tourment. Contre les fils de mes ennemis, lève-toi, ô dieu, arme-toi, ainsi que tu jetas dans l’âme de Médée cet odieux égarement ». L’apostrophe à Eros est reprise par Virgile au chant 4 (v. 417) sous une forme réduite : Improbe Amor, quid non mortaliapectora cogis !
49 Ovide fait peut-être de même avec Virgile quand, au chant 4 des Fastes, il confie à Erato (« auquel le mois de Vénus est passé, parce qu’elle a le nom du tendre amour », v. 195-196) la narration des aitia relatifs à la déesse Cybèle, « personnalisant » ainsi l’invocation d’Enéide 9, 77 sq. où les Muses sont globalement invoquées (Quis deus, o Musae...) avant le récit du sauvetage et de la métamorphose des vaisseaux troyens.
50 M. Campbell (op. cit., [n. 14], p. 2), souligne que, dès le proème du chant 3, l’eros et le « charme » exercé par Erato sont présentés comme des forces inquiétantes. La « gravité » de l’eros apollonien peut être renforcée par le traitement philosophique du thème dans les Argonautiques. Un des apports centraux de l’étude que P. Kyriakou (op. cit., [n. 6]) a consacrée aux échos empédocléens dans le poème réside dans le constat du renversement auquel Apollonios soumet, sous l’influence de l’interprétation aristotélicienne de la cosmologie d’Empédocle, les rôles respectifs que Φιλότης et Νείκος jouaient dans cette dernière. Ce renversement est sensible dans l’usage que le poète fait des mêmes notions, mais aussi dans le traitement qu’il réserve aux termes et notions voisins que sont eros et eris : ainsi, l’apostrophe considérée du poète à Eros rappelle l’apostrophe que, dans les Katharmoi (fr. 114 (124) Wright), Empédocle adresse aux hommes qui ont eu le malheur de naître sous la domination de Νείκος.
51 Sur ce procédé, cf. D. Nelis, op. cit. [n. 6], p. 331 sq. (e.g.), à propos de la comparaison d’En. 8, 18-25.
52 La présence des thèmes guerriers véritables reste évidemment restreinte dans les Argonautiques. En redonnant à ceux-ci une place de premier plan, Virgile intègre néanmoins l’expérience apollonienne d’une épopée érotique au sein de laquelle l’eros peut en fait apparaître comme aussi redoutable et destructeur que l’eris : un tel amour peut en fait sous-tendre et alimenter l’« amour du fer ». Même s’il peut être recommandé par l’amour de Rome (amor Roma), l’amor Martis s’approche ce faisant de l’amor mortis, deux entités (Amor et Mors) d’ailleurs étroitement liées par Virgile dans la troisième Géorgique.
53 Sur le passage et cette expression, voir D. Nelis, op. cit. [n. 6], p. 293 et 333-335 ; voir également N. Horsfall, Virgil, Aeneid 7. A commentary, Mnemosyne Suppl. 198, Leiden ; Boston ; Kôln, Brill, p. 309-310 (ad loc.), qui souligne que les expressions employées sont caractéristiques du langage des guerres civiles. Saeuit amor (ferri) en tête de vers produit un écho très net à saeuit amor en tête du v. 532 d’En. 4, à propos de Didon (cf. supra, n. 13).
54 L’élégie est d’abord présente dans le récit de l’action d’Allecto auprès d’Amata : la lecture que, en ce sens, O. Lyne (Further voices in Vergil’s Aeneid, Oxford, Clarendon Press, 1987, p. 13-14) fait du v. 343 en particulier (celsa petit, tacitumque obsedit limen Amatae), où la signification du nom de la reine (« aimée ») contribuerait à une allusion au thème de l’exclusus amator (obsedit limen), ne me semble pas aussi improbable qu’elle a pu être jugée, dans la mesure où la présence de l’élégie ne se réduit pas à ce seul éventuel jeu de mots. La transformation d’Amata par Allecto peut être partiellement lue en termes génériques comme une élévation de l’élégie à la hauteur de la tragédie : l’écho que la comparaison d’Amata possédée à une toupie (v. 378 sq.) fait à Tibulle (1, 5, 3-4) précède la représentation de la reine en « Bacchante » à laquelle sont associés un nefas et un furor aussi grands (parce que « plus grands », maius adorta nefas maioremque orsa furorem, En., v. 386) que ceux d’un héros tragique comme l’Atrée d’Accius (fr. II Dangel, v. 3 : maior mihi moles, maius miscendum est malum, cf. maior et maius dans le proème d’En. 7). Plus loin, lorsque, après les premiers meurtres, les Latins se rassemblent pour la guerre, l’influence d’Amata « bacchante » est présentée comme déterminante, et le narrateur ajoute le commentaire que son nom n’est pas, en effet, « sans poids » : neque enim leue nomen Amatae (v. 581). En alimentant l’ardeur belliqueuse, Amata et l’amour contenu dans son nom ne dérogent pas, en effet, à la grauitas épique.
55 Arte noua, au v. 475 fait qu’Allecto rappelle Vénus s’apprêtant à dépêcher Cupidon auprès de Didon (at Cytherea nouas artis, En. 1, 657).
56 Voir en particulier M.C.J. Putnam, Virgil’s epic designs. Ekphrasis in the Aeneid, Yale University Press, 1998, p. 106 sq. et notes.
57 Cf. D. Nelis, op. cit., [n. 6], p. 295 qui insiste plutôt sur le parallèle entre Allecto (« insufflant » – obicit – la rage aux chiennes de la meute d’Ascagne) et Cupidon en Arg. 3, 284, et sur le rapport entre le cerf et la biche à laquelle Didon est comparée au chant 4.
58 « J’y ajouterai encore ceci, si je suis sûre de ta volonté ; par des rumeurs, j’entraînerai les villes voisines dans la guerre et j’embraserai les cœurs de l’amour insensé de Mars pour qu’on vienne en renfort de tous côtés. »
59 « Mais en réalité l’amour insensé de l’impitoyable Mars me retient sous les armes, au milieu des traits, face à l’ennemi. »
60 Les v. 4-5 de la Bucolique 10 ont donné lieu à ces deux interprétations ; du point de vue de l’Énéide, les deux paraissent compatibles : cf. S. Clément-Tarantino, « Quanto maioraparauit. Pastoral et épopée, les Bucoliques et l’Énéide », dans C. Filoche (dir.), L’intertexte virgilien et sa réception, Université de Bourgogne, 2007, p. 87-131 (p. 89 et n. 169, p. 124).
61 Voir l’analyse des v. 44 sq. de Buc. 10 par G.B. Conte, Il genere e i suoi confini. Modelli del senso, modello della forma in una poesia colta e sentimentale, Milano, 1984, p. 23-24 et 27 sq. pour les v. 59-60 cités précédemment.
62 On pense aux deux laudes célèbres de la 2e Géorgique, laudes Italiae et laus ruris.
63 C’est d’ailleurs bien un fratricide qui suscite l’apostrophe du narrateur à Éros en Arg. 4, 445-449.
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