Croc de boucher et Rose mystique – Enjeux présents du pathos sur l’extermination
p. 249-274
Texte intégral
Raison, sentiments et émotions
1Toute communication suppose une anthropologie, en premier lieu une théorie de l’âme : à quelle partie de l’âme s’adresse t-on? En tant que spectacle total, l’éloquence s’adressait à toutes. Elle avait pour but de « prouver la vérité de ce qu’on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause » (Cicéron, Orator, xv), et s’adressait ainsi à la raison, au sentiment et aux émotions1.
2Le pathos contemporain sur l’extermination détruit cette gradation pour susciter un mélange d’horreur et de jouissance, au moyen d’un éthos de séduction et de violence. Le démembrement procède en trois temps :
3i) On oppose la raison à la sphère affective pour l’y subordonner par une conception cynique de la rationalité : Schopenhauer, dans L’art d’avoir toujours raisonréduit ainsi la dialectique à une simple éristique. La mort de la raison devient un topos de l’extrême-droite : « La raison est morte en 14, novembre 14… après, c’est la fin, tout déconne… » (Céline, Nord, p. 23).
4Dès lors que les émotions sont utilisées comme une machine de guerre contre la raison, l’unité contradictoire de l’âme se voit minée par une guerre intérieure. On retrouve ainsi chez Carl Schmitt, Kronjurist de Hitler, le vieux thème gnostique de la guerre intérieure (cf. La notion de politique, III), redoublée dans la société par la guerre contre l’ennemi intérieur (les Juifs en premier lieu)2.
5ii) La raison destituée, on substitue ensuite les émotions aux sentiments : ils ne seraient qu’un affadissement culturel et sophistiqué, voire efféminé, des émotions qui nous commandent.
6iii) À leur tour, les émotions ne seraient qu’efflorescences conscientes de l’Instinct, qui nous rattache à la nature et donc à la vérité : ainsi, chez Schopenhauer, de la Volonté, sorte d’instinct de conservation de l’espèce, que Nietzsche spécifie en Volonté de puissance, source à la fois d’exaltation du Moi et de meurtre de l’Autre. Expression de la nature, l’Instinct dépend de la Race – ou comme l’affirme aujourd’hui la psychologie évolutionniste néo-darwienne, de l’Espèce.
7Cette simplication radicale participe du programme de naturalisation, déjà bien présent dans le scientisme de Schopenhauer. Aux sentiments, empreints de culture – on en a dénombré 164 dans le roman français du xixe –, se subtituent ainsi quelques émotions de base, témoignages de l’instinct (6 selon Ekman). Dans le pathos sur l’extermination dominent la peur, le dégoût et la haine : trois émotions qui participent, nous le verrons, de la violence qu’elle a mis en œuvre.
8Cette évolution de la métapsychologie commune explique en partie l’évolution sémantique du mot pathos : d’une anticipation de la réception, il est devenu une sorte de grandiloquence qui déploie devant l’auditeur ou le lecteur une violence séduisante. Dans la suite de cette étude, nous distinguerons, outre le pathémique, simple anticipation de la réception, le pathétique, qui s’adresse aux sentiments, et le pathos qui vise les émotions les plus instinctives.
9Chez les premiers romantiques, l’éloquence sentimentale, comme chez Schleiermacher dans sa pratique du sermon pastoral, a pu tenir un moment, au risque d’une fadeur pathétique, le milieu entre la raison et les émotions. Mais avec la radicalisation de l’idéalisme et son inversion en matérialisme positiviste, le dualisme entre l’esprit et le corps l’a emporté, en opposant l’argumentation conclusive de la science à l’émotion effusive de la poésie lyrique – et de la politique. On se repose désormais dans le sublime et le ton modéré paraîtrait modérantiste, platement bourgeois. Figé dans l’intensité lyrique, délaissant toute la gamme des sentiments moyens, le pathos privilégie l’extase et l’horreur, les deux émotions dominantes dans le monde apocalyptique qu’il annonce.
10Par l’émotion, le pathos vise la commotion et devient ainsi l’arme de la propagande. À la série rationaliste raisonnement – conclusion – conviction, se substitue ainsi une série sensationnaliste commotion – révolte – séduction (après captation). L’émotion remplace alors pour les contemporains les sentiments dont ils ne sont plus capables.
11Toutefois, ces considérations rudimentaires de métapsychologie ne peuvent suffire : il faudra montrer comment la raison, liée à la consécution des syntagmes et des phrases, à la coordination, à la linéarité d’un récit, voire à la téléologie de l’intrigue qui assure ce que Ricœur appelait l’intelligence narrative, se voit contestée par l’émotion liée au style coupé, aux actes de parole comminatoires, aux antithèses, aux ruptures thématiques, etc.
Le grand style de la théologie politique
12 Politique de l’apocalypse. – Dès ses premiers commencements chez Joachim de Flore, l’apocalyptisme moderne est d’emblée une lecture théologique du politique, tout événement historique étant interprété comme accomplissement de la prophétie apocalyptique. Dans son Expositio in Apocalypsim3, Joachim de Flore interprète ainsi la victoire de Saladin sur les Croisés, qui eut lieu alors même qu’il finissait son livre : « la sixième tête du Dragon, c’est celui dont il est parlé dans Daniel : “Un autre roi paraîtra après eux et il sera plus puissant que les premiers” (Daniel, VII, 24). La sixième tête a pris son essor avec ce roi des Turcs nommé Saladin qui naguère [1187] a soumis la « cité sainte [Jérusalem] » (1982, p. 144) ; et Joachim conclut alors que Les Rois sont là « pour ériger le blasphème de Mahomet » (1982, p. 133).
13Le prétendu « Axe du Mal » naissait alors et l’on comprend que Saddam Hussein se soit naguère décerné le titre de Nouveau Saladin : il n’est pas exclu que l’apocalyptisme occidental soit depuis huit siècles lié à l’affrontement avec l’Islam.
14À l’inverse de l’allégorèse patristique qui allait du sens historique au sens anagogique, Joachim, comme nos modernes théologiens politiques qui en dérivent, va du sens anagogique traitant des fins dernières au sens historique – d’ailleurs le plus immédiat – et politiquement orienté : la troisième croisade, commandée notamment par Frédéric II, allait partir deux ans après la prise de Jérusalem par Saladin.
15L’idée d’une troisième étape de l’histoire du Salut semble ainsi liée à l’histoire politique immédiate interprétée théologiquement. Déjà, Fra Dolcino de Novare, avant d’être condamné au bûcher par Bernardo Gui, en appelait à l’empereur Frédéric I, chef du premier Reich, deux fois excommunié, pour réformer radicalement le monde4.
16Saladin ou Frédéric II, comme plus tard Hitler pour Carl Schmitt, deviennent des opérateurs de l’histoire du Salut. Dès lors qu’on fait aujourd’hui du IIIe Reich et de l’extermination des événements théologiques et non pas seulement politiques, le pathos prophétique devient parfaitement licite.
17 L’archive prophétique.– Des deux inspirateurs majeurs du pathos théologique, l’Ecclésiaste et Isaïe, le premier déplore la déréliction, le second appelle la vengeance divine. De l’Ecclésiaste, occupé à la lamentation sur le monde et la détestation de soi, Renan dit : « L’auteur nous apparaît comme un Schopenhauer résigné5 », et Schopenhauer reconnaissait d’ailleurs : « Je me considère moi-même comme un pur produit naturel né dans le temps et destiné à la plus complète destruction, à peu près à la manière du Kohélet.6 » (i. e. l’Ecclésiaste). Isaïe complète le pessimisme par l’annonce de la vengeance apocalyptique, la parousie de Yahvé, détruisant « toutes les hautes tours7 ».
18Dans les sources chrétiennes, le pathos apocalyptique doit beaucoup à Saint Paul, et reste souvent marqué par l’hostilité aux Juifs car il s’agit de rompre définitivement avec le passé. Notamment dans II Thessaloniciens, 2, 3-9, Paul prophétise les troubles qui accompagnent la Parousie et le dévoilement de l’anomos (qui est l’Antéchrist ou Satan)8. Ce passage contesté est une source de la figure du Surhomme chez Nietzsche, « celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ». Plus subtilement, il devient chez Carl Schmitt le fondement de la théorie du katéchon, celui qui retarde la venue de l’Antéchrist – en fait le Führer, qui par l’extermination des juifs, retarde la Fin du Monde.
19Ce passage modèle aussi chez George Steiner une prophétie qu’il met dans la bouche d’un agent du Mossad : « À l’heure des ténèbres surgira sur terre un homme d’une éloquence sans pareille. Tout ce qui vient de Dieu, loué soit son nom, a toujours une seconde face, un revers de mal et de néant […]. [Dieu] créa sur la face nocturne du langage une parole infernale. Dont les mots vomissent la haine de la vie. Peu d’hommes sont capables d’apprendre cette parole ou d’en être longtemps porteurs. Elle les mène à la mort. Mais un homme viendra et sa bouche sera une fournaise et sa langue une épée destructrice. Il saura la grammaire de l’enfer et d’autres l’apprendront de lui. Il saura les sons de la folie, de l’abomination et ils deviendront musique dans sa bouche » (1981, p. 60).
20Les citations d’Isaïe et de saint Paul qu’Agamben place entre l’avantpropos et l’introduction de son livre Ce qui reste d’Auschwitz (p. 14) soulignent encore l’allusion à une théologie négative d’Israël9.
21Il faudrait ici distinguer deux attitudes complémentaires, qui s’unissent comme la destruction du monde ancien et la promotion du monde nouveau : le pessimisme eschatologique de tradition monacale et l’optimisme millénariste sécularisé en foi du progrès. Elles se sont réunies de façon novatrice dans le radicalisme contemporain.
22 Le style des prophètes contemporains. – Revenons aux premiers prophètes contemporains, auteurs-phares de Steiner, Schopenhauer et surtout Nietzsche, pour lui le modèle du « grand style ».
23 Le Monde comme volonté et comme représentation est le seul livre que le caporal Hitler lisait pendant la première guerre mondiale. Schopenhauer n’a, selon un de ses partisans, qu’« une seule pensée : la subordination des fonctions intellectuelles à l’affectivité » (Jaccard, 1989, p. 86.) Cet obscurantisme s’accompagne d’un programme stylistique exalté. Schopenhauer met en garde : « Défiez-vous des métaphysiciens douceâtres. Une philosophie où l’on n’entend pas bruire à travers les pages les pleurs, les gémissements, les grincements de dents et le cliquetis formidable du meurtre réciproque et universel, n’est pas une philosophie.10 » Par cette évocation grand-guignolesque, il se prononce ainsi pour une théologisation rampante de la philosophie : pleurs et grincements de dents est une formule canonique pour décrire l’Enfer (cf. Mat. 13.42)11.
24Nietzsche, qui trouvait Schopenhauer inégalable, met en œuvre ce programme philosophique – et stylistique – dans le célèbre monologue de l’insensé (Le gai savoir, III) :
Ne faut-il pas allumer les lanternes dès le matin? N’entendons-nous rien encore des fossoyeurs qui ont enseveli Dieu? Ne sentons-nous rien encore de la putréfaction divine? – Les dieux aussi se putréfient ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ! Ce que le monde avait possédé jusqu’alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux – qui essuiera ce sang de nos mains? (1961, p. 138).
25Marquée du sceau de la passion d’une âme, cette tirade12 de Nietzsche reprend, sur un mode qu’il serait charitable de croire parodique, la rhétorique exaltée des Schwärmer, ces piétistes du xviiie siècle, fervents adversaires des Lumières, dont le style rhapsodique s’inspirait des prophètes et dont les écrits meublaient la bibliothèque de son père pasteur. Ici, les émotions exprimées sont tout à la fois la peur fascinée du meurtre et l’horreur du crime, deux émotions fondamentales du pathos moderne. Cette exaltation ne s’oppose pas seulement à Dieu, mais à la raison. Héritier involontaire des piétistes, le Dyonisos nietzschéen affronte ainsi l’Apollon rabbinique.
26 Ainsi parlait Zarathoustra n’était pas seulement une rhapsodie poétique néo-babylonienne. Derrière le mélange kitsch de mièvrerie et de violence, cette prophétie visait à dépasser toute théologie judéo-chrétienne pour revenir à l’antique dualisme : Zarathoustra réformait l’ancienne religion perse pour accuser l’affrontement entre Bien en Mal, Lumière et Ténèbres, jusqu’à une Apocalypse dans le feu13. Aujourd’hui, plus subtilement, le combat du Bien et du Mal devient un dépassement des valeurs mêmes : Au-delà du Bien et du Mal14.
27Se prétendant dans la continuité de Nietzsche, à qui il fit élever des statues, Hitler lui-même emplit ses écrits, mais surtout ses discours15, justement sous-estimés, d’un pathos outré qui accuse les tics de la théologie politique contemporaine. L’exaltation du fanatisme terrasse selon lui la raison par la foi aveugle. Dans un discours de 1927, Hitler s’exclame : « Soyez-en sûrs, nous plaçons la foi (Glauben) au premier rang et non la connaissance ! On doit pouvoir croire en une cause. La foi (Glauben) seule crée l’État. Qu’est-ce qui pousse les hommes à aller se battre et mourir pour des idées religieuses? Non pas la connaissance, mais la foi aveugle.16 »
28On sait la valeur positive de fanatisch chez les nazis, notée par Kraus comme par Klemperer17. Le combat contre l’ennemi est en effet un combat contre la raison : « Les moyens de remporter la plus facile victoire sur la raison : la terreur et la force » (Hitler, 1924, p. 127). On sait moins la valeur positive de pathos : Erich Rothacker, idéologue nazi qui se plaignait d’avoir été plagié par Heidegger, écrit dans l’appendice de sa Philosophie de l’histoire que sous le IIIe Reich la formation et l’instruction doivent être « animées du plus grand pathos possible, aussi bien au sens hégelien qu’au sens antique, pour le plus grand bien de la formation et de la rigidification stylistiques18 ».
29Si le pathos vise la terreur, sa force d’expression vise aussi l’extase en usant des formes de la prédication exaltée. Goebbels, dans son journal du 10 février 1932, note sur Hitler au Palais des Sports : « À la fin, il entre dans un merveilleux et incroyable pathos oratoire, puis il conclut par ce mot : Amen !L’effet est si naturel que les gens en sont profondément bouleversés et émus… Au Palais des Sports, les gens sont pris d’une ivresse insensée » (in Klemperer, 1996, p. 155). À Würtzburg, en 1937, il s’exclame : « La Providence nous guide, nous agissons selon la volonté du Tout-Puissant. Personne ne peut faire l’histoire des peuples ni celle du monde, s’il n’a pas la bénédiction de cette Providence » (ibid., p. 154-155).
30Dans le style fanatique, le pathos de l’horreur et celui de l’adoration utilisent les mêmes formes. La Ligue nationale-socialiste des femmes s’exclamait ainsi à propos du Führer :
Quel homme béni des dieux !… Quel chéri des Dieux !… Et cet homme, le plus grand de tous les temps, passé, présent, et avenir, nous appartient, – à nous !!! N’est-ce pas trop de bonheur? L’avons-nous mérité? N’est-ce pas de la grâce pure? Peut-être allez-vous rire de moi, cela ne fait rien, riez donc ! Nous rions à notre tour, nous épanouissons et fleurissons dans la confiance que nous portons à cet homme unique, notre sauveur et notre libérateur – notre chancelier à nous, notre héros !19
31Le pathos redouble la mise en scène d’un éthos de l’exaltation, qui résume toute objectivité au monologue ravi ou horrifié de l’âme avec elle-même. Nous sommes à l’opposé de l’éthos du témoignage, qui demande un minimum de distance et d’intelligibilité pour pouvoir objectiver des faits.
32Il était tentant de dépeindre la guerre sur ce mode, la violence du pathos répondant à la violence de la guerre. Ainsi Nadeau note-t-il à propos du dernier livre de Céline, Nord, qui relate la fin du Reich :
Ici ses défauts le servent : l’incohérence de son débagoulage, ses images à l’emporte-pièce, son goût du bluff et de l’exagération, le désir d’en remettre à tout coup. Il nous plonge dans le tohu-bohu, la sarabande infernale, l’Apocalypse. On entend des cris, des lamentations, des rires hystériques entre les éclatements des bombes et le roulement de tonnerre incessant des forteresses volantes20.
33Mais cependant, l’extermination est subtilisée : par exemple, le début évoque « la plus pire archibombe H?… Z?… Y? » (quatrième ligne), « la bombe Z » (p. 13), « dix, vingt hiroshimas par jour » (p. 14) ; et la première section finit par l’évocation des croupiers de Baden-Baden, « tous soi-disant déportés… les mèches gominées, les mêmes… nez busqués, les mêmes » (p. 19). Bref, les juifs sont toujours là à compter l’argent, et nous vivons sous la menace atomique américaine21. Le pathos devient ainsi un instrument du double langage, utilisant l’exaltation mystifiante à des fins politiques.
34À la différence du discours politique ordinaire, qui fait fonds pour l’essentiel sur les préjugés moyens, et à la différence du discours proprement théologique, qui veut cerner par la raison ce qui lui échappe, le discours mystique s’adonne à toutes les formes de l’intensité. Arnauld d’Andilly écrivait par exemple : « Ceux qui consacrent leurs plumes à Dieu peuvent sans crainte déployer toutes les forces de leur esprit : rien ne saurait donner de bornes dans un champ qui n’en a point ; tout y est infini, éternel, adorable ; la perfection y consiste en l’excès.22 »
35Cela permet de caractériser assez bien le style exalté des tenants du pathos contemporain. Dans une première approximation scolaire, on peut l’aborder par le biais des figures. Fontanier, qui ne savait trop où classer les fausses figures que seraient selon lui la commination, l’imprécation, l’optation, la déprécation, le serment, la dubitation, propose de les regrouper sous le nom de figures de passion (p. 449). Ces figures prétendues sont des actes de langage, caractérisables par des formes syntaxiques et prosodiques, comme par ailleurs un régime mimétique qui appartient au réalisme transcendant. En témoignent les deux exemples caractéristiques que nous avons cités ; le discours ravi de la Ligue des femmes nazies use de même langage que le monologue de l’insensé nietzschéen : phrases coupées, ponctuations fortes, exclamations, comminations, interrogations rhétoriques de délibération, gradations par surenchère, confusion entre le propos et l’énonciation représentée, indistinction du récit et de la narration, présent perpétuel, thématique mystique.
36Un tel discours ne s’adresse à personne qu’à celui qui parle, comme si l’éthos et le pathos s’étaient définitivement confondus. En cela, il peut assumer des fonctions identitaires et s’accorde à merveille avec le narcissisme de masse du nationalisme agressif. Il emploie le nous : celui des meurtriers de Dieu et celui des adoratrices du Führer se confondent. Cette forme du pathos culmine ainsi dans l’horreur ou la jouissance, deux émotions indissociables (comme le bourreau et la victime) largement exploitées par le pathos sur l’extermination, forme dérivée de la théologie politique en acte.
Le Miroir des faussaires
37Quand il s’applique au thème de l’extermination, le pathos se lie étrangement à la théologie. Plus précisément, il procède d’une théologie politique, et se construit par l’imitation des prophètes de malheur, mêlant l’annonciation de l’Apocalyse à celle de ses conséquences politiques.
38 Les faux survivants. – L’imposture a beau témoigner d’une iconisation de la figure de la victime, elle nous intéresse ici par son langage. Enric Marco Batlle, Président d’une l’Association des déportés espagnols pendant plus de trente ans, déclarait en janvier 2005, lors d’un discours devant les députés du Congrès espagnol : « Lorsque nous arrivions dans ces trains de bétail infectés aux camps de concentration, ils nous dénudaient, leurs chiens nous mordaient, leurs lumières nous aveuglaient » (Le Monde, 13 mai 2005, p. 1). Or, c’était un imposteur qui n’avait pas été déporté mais avait compris combien le pathos était attendu : ne visant que l’émotion, il dispense de réflexion.
39Plus significatif encore, il faut rappeler le succès d’un faux : Fragments, de Binjamin Wilkomirski, publié en 1995, aussitôt traduit en neuf langues, narre l’enfance d’un enfant juif, dans les camps d’Auschwitz et Majdanek. Recueilli par une famille suisse, il témoigna tardivement, car il fallut une psychothérapie pour que la mémoire lui revienne. Ce témoignage, note un critique, est « très graphique : il montre le sang jaillissant du cou de son père, les rats grouillants sur les monceaux de cadavres23 ». Or ces détails attendus restent ambigus ; par exemple, Wilkomirski décrit des rats sortant du ventre de femmes enceintes, alors qu’aucun historien, rappelle Annette Wiewiorka, n’a relaté cela. En revanche, les rats appartiennent à la thématique antisémite : Goebbels en personne a exigé que Le juif Süss commence par un plan de rats sortant d’une bouche d’égout.
40Le titre Fragments annonce parfaitement la construction de l’ouvrage, suite de flashes censés mimer une anamnèse pénible et lacunaire. Or la composition fragmentaire interdit précisément d’assumer la dimension narrative propre au témoignage. En quelque sorte, aucune raison narrative ne vient balancer l’émotion grand-guignolesque des images : le pathos donne tout à voir et rien à comprendre. Le succès immédiat en dit long sur les attentes du public : « Le livre fut loué de manière extravagante par le The New York Times Book Review et ailleurs pour sa puissance descriptive » (Boyes, ibid.). Le livre de Wilkomirski a été primé, notamment par le National Jewish Book Award et le Jewish Quarterly-Wingate Award ; en 1997, Mme Mitterrand remit à l’auteur le Prix de la Mémoire de la Shoah.
41Par sa violence, l’ouvrage anesthésiait le jugement : c’est une enquête sur l’auteur qui a permis de déceler le faux, et non une analyse de l’ouvrage. Or une lecture attentive aurait sans doute permis de comprendre que le personnage de Wilkomirski enfant n’est qu’un avatar littéraire de Hurbinek, orphelin aphasique né à Auschwitz, dans le témoignage de Primo Levi, Si c’est un homme.
42 Les stylistes du double langage. – Bien qu’ommiprésent, le double langage est un phénomène mal décrit ; en l’occurrence, le pathos sur l’extermination en relève, nous allons le voir, quand il déplore les massacres en exonérant le nazisme.
43a) L’oracle heidéggerien. – Après la guerre, Heidegger fut pressé par ses partisans de se prononcer sur l’extermination, et, dans deux conférences de 194924, il l’aborda en quelques phrases interprétées favorablement tant par Hannah Arendt que par Theodor Adorno, et toujours mentionnées par ses partisans pour défendre sa mémoire – bien qu’il soit historiquement établi que son nazisme sans faille n’avait rien d’un égarement passager. Heidegger déclara :
Des centaines de milliers meurent en masse. Meurent-ils? Ils succombent. Ils sont abattus. Meurent-ils? Ils deviennent les pièces d’un stock de fabrication de cada-vres… Meurent-ils? Ils sont discrètement liquidés dans des camps d’extermination. […] Partout en masse les détresses d’innombrables morts, épouvantablement non mortes – et néanmoins l’essence de la mort est cachée aux hommes. L’homme n’est pas encore le mortel.25
44L’interrogation répétée Sterben sie ? peut mettre en doute la qualité de leur mort, au sens où leur trépas n’est pas un décès, n’est pas suivi de funérailles ni d’hommage des proches26. Mais une autre dénégation se profile obliquement : d’une part, l’interrogation ne reçoit aucune réponse directe ; d’autre part, il semble que la mort soit morte et non les victimes (l’homme n’est pas encore le mortel). L’allusion à saint Paul s’impose ici : « La mort a été engloutie dans la victoire. Mort où est ta victoire? Mort où est ton aiguillon? » (1 Corinthiens 15, 54s.).
45Une autre lecture, complémentaire, s’appuie sur l’intertexte heidéggerien. Elle apparaît dans un entretien inédit entre Alain Finkielkraut et Emmanuel Faye qui y retrouve la conception nazie de la mort comme,
sacrifice de l’individu à la communauté. On la trouve déjà annoncée dans Être et temps et célébrée par Heidegger en mai 1933 dans son discours qui exalte Schlageter, le héros des nazis27 mort fusillé par les Français en 1926 pour, dit Heidegger, « mourir pour le peuple allemand et son Reich ». C’est pour Heidegger mourir de la manière la plus dure et la plus grande. Mais ceux qui ont péri dans les camps d’anéantissement sont, dit-il, grausig Ungestorben, « horriblement non morts » : […] Ceux-là ne mourraient pas de la mort des héros, ils n’étaient pas par essence dans la « garde de l’Être ». […] celui-là ne meurt pas de la mort des héros, ne meurt pas vraiment… Il y a là une sorte de négationnisme ontologique absolument effroyable28. (Faye, 2005)
46Cette lecture se renforce par l’effacement grammatical des victimes, qui ne sont désignés que par un pronom (Sie), comme si ces innommés étaient innommables. Les bourreaux disparaissent, dissimulés dans des nominalisations (Fabrikation) et des tournures passives dont l’agent est ellipsé.
47Préparée par l’opacité hiératique-oraculaire du propos, litaniquement rythmée par la répétition, la fin du passage réaffirme la dimension théologique, en reprenant la question du Psaume 8, v. 5 : « Qu’est donc le mortel? ». Primo Levi répondit par Si c’est un homme29. Heidegger brouille le fait historique de l’extermination en concluant que l’homme n’est pas encore mortel.
48Le sens de ce brouillage s’éclaire par plusieurs expressions qui appartiennent au jargon nazi : liquidiert, Fabrikation von Leichen (expression caractéristique de l’humour nazi, due au S. S. Friedrich Entress) ; Stück (dans Bestandstück – au lieu de Bestandsteil : par l’emploi de Stück, inanimé, la déshumanisation a lieu, c’était d’ailleurs le terme habituel des gardiens pour compter les prisonniers).
49Dans l’autre conférence, l’image de l’industrialisation, devenue un topos avec Arendt, Steiner, Agamben et tant d’autres, revient à propos de la production agricole : « L’agriculture est à présent une industrie alimentaire motorisée, dans son essence c’est la même chose que la fabrication de cadavres dans les chambres à gaz et les camps d’extermination, la même chose que le blocus de régions afin de les affamer, la même chose que la fabrication de bombes à hydrogène30. »
50Tout s’inverse et en même temps tout se confond : on ne parle pas de la guerre mais de la paix, on ne parle pas de l’extermination mais de l’agriculture, on dit « fabrication de cadavres » au lieu d’extermination de vivants. Le blocus n’est pas celui du ghetto de Varsovie par les nazis, mais celui de Berlin-Ouest par les Russes, en 1948.
51L’extermination nazie devient essentiellement la même chose que la politique russe et américaine – les USA se préparaient à expérimenter la bombe H. Ce thème est resté florissant dans tous les radicalismes contemporains.
52Schématiquement, deux séries sont mises en parallèle :
[Guerre] | Industrie | [Nazis] | Camps | Chambres à gaz | [Juifs] |
[Paix] | Agriculture | [Américains/Russes] | Blocus | Bombe H | [Allemands] |
53Les fonds sémantiques de la guerre et de la paix sont implicites ; comme dans l’extrait précédent, les acteurs ne sont pas nommés (nous les avons donc explicités conventionnellement entre crochets). Des formes sémantiques contrastées, bien que non lexicalisées, américains-russes et allemands, nazis et juifs, bourreaux et victimes, sont assimilées ; des formes sans rapport sont homologuées : blocus de Berlin et camps d’extermination, chambres à gaz et bombe H. Ces procédés d’assimilation participent de la tradition antinomiste : on affirme l’identité des contraires pour conduire à une absurdité présentée comme une unité supérieure31. Mais ici une micro-dialectique va de la première ligne de notre tableau à la seconde, du passé allusif au présent et au futur affirmés, par une sorte d’allégorèse inversée ou le sens littéral, le sens historique, se trouve caché, et le sens figuré littéralisé dans l’allusion politique immédiate. Dans cette allégorèse qui rappelle celle de Joachim de Flore, mais qui s’accompagne en outre d’une inversion des valeurs, l’extermination des juifs joue le rôle des prophéties de l’ancienne loi, s’accomplissant dans les malheurs présents des Allemands, ce qui transmute la culpabilité du nazisme en victimisation du peuple.
54La structure oratoire du pathos demeure : répétitions, affirmations oraculaires, présent essentiel. Dans les deux conférences revient la même formule sur la fabrication des cadavres, caractéristiquement antinomiste, puisqu’elle désigne une destruction : pourtant complémentaire de la chambre à gaz, le crématoire est oublié, bien qu’il fasse disparaître en sortie de chaîne les produits de cette « industrie », affaiblissant ainsi l’antithèse.
55Alors que le principe de la pensée – et déjà de la dialectique selon Platon – consiste à distinguer pour articuler, il s’agit ici de confondre tant les fonds sémantiques que les formes et les moments, par l’intervention miraculeuse d’une identité métaphysique qui réside dans l’Être, im Wesen. L’essentialisation permet de sortir de l’histoire en créant de l’ontologie : l’effacement des agents, les nominalisations essentialisent la Mort, l’Homme, la Technique (jugée meurtrière par elle-même). Mais le message politique reste clair, bien qu’inaperçu : en 1949, les Allemands sont les victimes.
56La composition de formules scripturaires, de langage métaphysique et de jargon nazi, le tout lié dans la prosodie du « grand style », tout cela tend des leurres séduisants : chacun peut y lire la magnifique méditation qui lui plaît, et si dans ce double langage le sens reste celé en évidence (quel est le rôle de la bombe H dans une méditation sur l’Être?), qui osera le discerner risque fort de se voir stigmatisé par un chœur dévot ou à tout le moins d’indigner le monde académique.
57b) Enfer et Paradis. – Steiner et Agamben ont tous deux écrit un livre sur Heidegger (respectivement Martin Heidegger et Le langage et la mort) et un livre sur l’extermination (Dans le château de Barbe-bleue, et Ce qui reste d’Auschwitz)32.
58Dans des écrits qui ont fait de lui une référence augurale pour ce qui touche à l’extermination, Steiner accumule des détails horrifiants. C’est Langner « écorché vif, “le sang s’égouttant lentement de sa chevelure” » (1969, p. 177), ce sont les enfants et les « traces griffées sur les murs des fours par leurs petites mains » (p. 181 ; il n’y avait dans les fours ni traces griffées, ni enfants vivants). Ces exemples de ce que l’on a appelé « la pornographie de l’holocauste » ont fait beaucoup pour son succès33.
59Le pathos pointe vers une explication théologique :
Les camps de concentration, les camps de la mort au vingtième siècle, ont, dans tous les régimes politiques, l’immanence de l’enfer.Ils sont l’enfer transparaissant à la surface de la terre. […] parce qu’elle place l’enfer au centre de l’ordre occidental, La Divine Comédie demeure, littéralement, notre guide vers la fournaise et vers les étendues glacées, vers le crochet du boucher [remains our literal guide-book to the flames, to the ice fields, to the meat hooks]. Dans les camps a fleuri l’obscénité millénaire [millenary pornography] de la peur et de la vengeance, cultivée dans l’esprit occidental par les doctrines chrétiennes de la damnation. (1973, p. 65-66, je rétablis l’original où la traduction d’Emmanuel Dauzat édulcore).
60Bizarrement, cette mise en accusation du christianisme – et non du nazisme qui se prétendait païen – se double d’une explication biologique : « Les réflexes de génocide du vingtième siècle, la dimension implacable du massacre proviennent peut-être d’une ruade de l’âme asphyxiée » (p. 64) ; « L’holocauste est un réflexe, plus intense d’avoir été longtemps réprimé, de la sensibilité naturelle, des tendances animistes et polythéistes de l’instinct » (p. 52) ; « Sentant notre identité mise en cause par le suffocant marais de l’anonyme, nous sommes saisis d’accès meurtriers, du désir aveugle de foncer pour nous faire de la place. » (p. 62, je souligne).
61Sous le pathos et ses clichés (implacable, asphyxiée, intense, suffocant marais, désir aveugle, foncer) qui détournent l’attention, la responsabilité historique du nazisme est ainsi discrètement subtilisée. La biologie et la théologie sont en l’occurrence deux moyens de contourner l’histoire et de créér une double fatalité qui supprime toute responsabilité.
62Passant de l’Enfer au Paradis, Agamben écrit sur Auschwitz : « L’espace du camp […] se laisse même représenter comme une série de cercles concentriques, qui, telle une onde, frôlent continuellement un non-lieu central où se trouve le musulman […] Toute la population du camp n’est en fait qu’un immense tourbillon tournant obstinément autour d’un centre sans visage. Mais ce vortex anonyme, comme la rose mystique du Paradis de Dante, est “peint à notre image”34. » (p. 63).
63Ce passage réécrit en effet la célèbre vision de Dante. L’antinomisme est à son comble35, et l’inversion des valeurs appelée par Nietzsche se réalise ainsi dans une confusion provocante, l’image convenue de l’enfer devenant paradis. On retrouve dans cette inversion le langage des bourreaux : Laurence Rees, interrogeant l’ancien attaché personnel de Goebbels, Wilfred von Oven, lui demanda de résumer en un mot son expérience du IIIe Reich, et l’entendit répondre : Paradies36.
64La parousie kitsch du « Musulman », essentialisé par l’emploi du singulier, se place dans un temps absolu qui n’est plus celui de l’histoire (voir « frôlent continuellement », « tournant obstinément », etc.), où le « musulman », iconisé, prend la place de Dieu.
65Travestis en vérité mystique, des faits historiques perdent leur contexte, deviennent des symboles, pendant que d’autres disparaissent tout simplement de l’attention. On transforme Auschwitz en Enfer ou en Paradis37, alors qu’on exterminait tout aussi bien au camp de Belzec et dans mille bourgades de Galicie qui ne correspondent à aucun stéréotype théologique.
66 Théologie politique. – De l’emphase comme succédané essayiste du sublime, on passe ainsi au pathos comme succédané littéraire du sacré.
67Alors que la théologie tenta de concilier la raison et la foi, chez des auteurs comme Averroès, Moïse de Léon, Maïmonide ou Thomas d’Aquin, la prétendue théologie politique use de matériaux mystiques pour légitimer l’irruption du mythe dans l’Histoire : cette irruption, le nazisme l’a montré, se fait dans le sang.
68Détournant l’attention des responsabilités historiques, le double langage peut ainsi tenir le langage du dévoilement : le théologique cache le politique. Au-delà de sa grandiloquence convenue, le pathos sert d’organon pour passer du politique au théologique, de l’histoire à l’Apocalypse.
69La mise en abstraction théologique permet de glisser en même temps un message politique bien précis comme Berlin = Auschwitz chez Heidegger, ou chez Agamben musulmans des camps = palestiniens = prisonniers de Guantanamo, donc Israéliens et Américains = nazis.
70 L’inversion des valeurs et l’antinomisme apocalyptique. – Dans le passage du politique au théologique, le pathos exerce une fonction médiatrice, pour opérer et masquer une inversion des valeurs en sublimant l’horrible.
71L’antinomisme gnostique posait que l’accomplissement de la prophétie réside dans la trangression de la Loi. Il a influencé la théologie négative, chez le Pseudo-Denys quand il explique pourquoi les formes bestiales du tétramorphe sont des images fidèles du divin. Sa forme moderne est issue de la pensée messianique marrane, illustrée par le sabbatianisme. De fait, dans son cours au Collège de philosophie, fin 1997, Agamben a établi explicitement un lien entre le « musulman » d’Auschwitz et Sabbataï Zevi, ce messie prétendu qui finit, converti à l’islam, comme portier de harem. Agamben cite d’ailleurs ce propos de Sabbataï Zevi : « L’accomplissement de la Torah est sa transgression38. » (1995, p. 145)
72Largement inspiré par Heidegger, l’antinomisme contemporain a élaboré une herméneutique propre, célèbre sous le nom de déconstruction. Un de ses représentants les plus illustres, Paul de Man, posait dans Allegories of Reading que tout texte signifie le contraire de ce qu’il semble signifier ; ce dogme antinomiste s’éclaira toutefois d’un jour nouveau quand on découvrit le passé pro-nazi de son auteur, qui réécrivait ainsi sa propre histoire.
73L’antinomisme convient à la pensée apocalytique39 puisque les lois de l’époque où nous sommes, théologiquement sub gratia, y seraient subverties. Ironiquement, l’extermination elle-même, iconisée dans Auschwitz, aurait été le point de départ du Millenium où les valeurs sont inversées. Les deux cités, la Jérusalem terrestre et la Jérusalem céleste seraient enfin confondues, au sens où Auschwitz, paradis antinomiste, serait devenu, selon Agamben, le nomos de la Terre. La Loi ne serait plus que la Loi d’exception, dénégation légale de la légitimité. La politique disparaît ainsi au profit du politique – au sens de Carl Schmitt et du néo-radicalisme qui s’en inspire (Toni Negri, Giorgio Agamben).
74 De la fin des Temps à la fin du temps. – La sortie de l’histoire s’opère linguistiquement par les valeurs temporelles : plus d’intervalles de temps ordonnés par la consécution, plus de passé, plus d’aspect ponctuel propre au présent de narration, un présent imperfectif qui donne l’illusion de la perpétuité, créant un temps hiératique constitué par la destruction du temps humain.
75Avec la disparition des intervalles définis qui donneraient cohérence et succession, ce temps suppose le suspens de la rationalité. Fait d’une récurrence indéfinie de ravissements dans l’horreur ou dans l’extase, il permet une coïncidence fusionnelle du sujet et de l’objet, telle qu’ils s’imposent ensemble, sans qu’on puisse déterminer un point de vue. Or le récit testimonial demande une succession d’événements identifiés, localisés dans le temps comme dans l’espace, telle qu’il puisse être soumis à débat et devenir un document historique, voire une pièce à conviction40. Il est évidemment rendu impossible par cette fin du temps.
76 Intensité et déraison. – En posant l’unité des contraires, soit par des comparaisons antithétiques, soit par des affirmations contradictoires, le pathos sur l’extermination ruine toute légitimité de la raison et ne lui laisse aucune prise. Il suspend la raison historique, ou du moins l’effort de la raison pour relater l’histoire, en qualifier et en ordonner les événements.
77Parmi les entraves au raisonnement objectivant, nous avons relevé les phrases coupées, les répétitions anaphoriques, les ponctuations fortes en surnombre. En syntaxe comme en prosodie, tout concourt à dépasser les seuils évaluatifs. Il en va de même dans le lexique du pathos41. Mais l’intensité omniprésente interdit les évaluations : si les seuils évaluatifs sont partout outrepassés, l’évaluation elle-même, qui est comparative et différentielle devient impossible. Dans un monde où tout est extrême, les contrastes qui permettent l’appréhension différentielle du sens ne peuvent être perçus : aussi, dès lors qu’elle dépasse partout les seuils évaluatifs, l’intensité peut-elle sembler un succédané du transcendant, comme si par exemple le brûlant transcendait le chaud et le glacial le froid.
78Dans les extraits que nous avons cités, l’opérateur de l’intensité est le pathos, stylisation linguistique de la violence. Il y aurait lieu de s’interroger sur la violence qui se généralise comme substitut du sacré : on voit cela se déclarer chez des écrivains comme Artaud et Bataille aussi bien que chez des essayistes comme Walter Benjamin et Carl Schmitt. Ce lien semble même appeler l’iconisation et l’essentialisation hiératique de la victime, le Musulman par exemple.
79On sait que le témoin, dans l’Apocalypse même, est aussi une victime, littéralement un martyre (cf. 11, 7-10). Toutefois, le sacrifice, par le déplacement rituel qu’il opère, symbolise la violence pour en localiser et restreindre les effets. Il en va à l’inverse dans la théologie politique de la violence, puisqu’elle justifie le massacre de masse au nom de missions transcendantes, là où les argumentaires de la politique ordinaire n’y parviennent pas.
80 Une mimésis particulière. – Les théoriciens de la fin de l’Histoire instituent par l’usage du pathos un dispositif mimétique antinomiste. La sortie de l’histoire s’opère en déniant la mimésis empirique qui pourrait être celle d’un témoignage : rhapsodie de détails outrés42 qui deviennent des symboles, ou des icônes essentialisées dans un présent perpétuel. Isolés de leur terrain historique, sortis de l’histoire, ils deviennent emblématiques et relèvent alors du réalisme transcendant.
81Marsile Ficin (1433-1499) exposait brillamment la reconduction de ce monde à l’autre par un processus de suppression de la matérialité, des lieux, de la temporalité, de la multiplicité43. Si l’on veut bien considérer un instant ce processus de découverte comme un processus de création, et si l’on tient compte des techniques littéraires éprouvées pour supprimer le lieu, puis le temps, puis la multiplicité de la composition, cette abstraction progressive est une voie pour passer du réalisme empirique au réalisme transcendant et pour aller de la description des choses à la création du divin.
82Empruntant un chemin inverse, la voie antinomiste impose de détruire ce monde pour parvenir à l’autre. Elle condamne et détruit pour édifier, explicitement ou non (Mallarmé, Breton). Alors que la métaphore mesurée permettait par l’allégorèse ce que Ricœur appelait la promotion du sens, l’antinomisme apprécie la violence de l’antithèse, de l’hypallage, de l’oxymore, voire du zeugma ou de la paronomase.
83Si Joachim de Flore, par une allégorèse inversée, passait des prédictions de l’Apocalypse à la lecture de l’histoire politique immédiate, le pathos théologicopolitique contemporain va de la mimésis empirique de l’histoire à la mimésis transcendante de la mystique : la destruction du réalisme empirique accompagne alors la fin de la rationalité et la fin de la narrativité, au profit d’un essayisme exalté qui interdit en retour toute mimésis empirique et donc toute appréhension historique de l’événement.
84L’extermination, dans les textes que nous avons cités, se réduit en effet à des formes simplifiées, au relief accusé, dont tous les sèmes sont placés audelà des seuils d’acceptabilité. Isolées des autres formes qui leur confèreraient un sens par contraste, détachées de leur fond sémantique empirique, elles peuvent indéfiniment être transposées dans d’autres domaines que l’histoire.
85Au-delà de toute situation historique, le langage de la mort de dieu et de la mort de l’homme fait ainsi, par sa mimésis propre, appel à la violence inconditionnée car sacralisée : littéralement il fait violence, comme s’il accomplissait ce qu’il prétend dénoncer.
Le pathétique contre le pathos
86Borwicz notait à propos des camps : « Nulle part le sublime et le pathétique n’étaient aussi fréquents » (1993, p. 367). Les camps concrétisaient en effet à leur manière cette forme exaltée du romantisme tardif, restée utopique jusque-là, que Goebbels appelait un « romantisme d’acier » (eine stählerne Romantik). Elle pouvait engager les témoins eux-mêmes à un pathos de bonne foi. Par exemple, note Borwicz, dans un manuscrit écrit au camp de Lwow par un journaliste, la volonté de faire comprendre « l’immensité et la densité des crimes perpétrés provoque une telle avalanche de répétitions, d’apostrophes, de questions rhétoriques et de points d’exclamation que tout cela submerge le modeste exposé des faits eux-mêmes et en rend le compte-rendu extrêmement confus. Par suite, les résultats sont parfaitement contraires à l’intention » (1993, p. 375-376).
87Primo Levi a lucidement évité ce danger et s’en explique ainsi au lecteur dans l’appendice à Se questo è un uomo : « Lorsque j’ai écrit ce livre, j’ai délibérément eu recours au langage sobre et posé du témoin plutôt qu’au pathétique de la victime ou à la véhémence du vengeur : je pensais que mes paroles seraient d’autant plus crédibles et utiles qu’elles apparaîtraient objectives et dépassionnées ; c’est dans ces conditions seulement qu’un témoin appelé en justice remplit sa mission, qui est de préparer le terrain aux juges. Et les juges, c’est vous » (1958, p. 330). C’est dire la fonction tout à la fois esthétique et éthique de la simplicité.
88De façon concordante, Borwicz note que « les poètes connus avant la guerre par leur langage surchargé […], les auteurs difficiles à comprendre simplifient spontanément leurs moyens d’expression » (1993, p. 376). En effet, l’expressionnisme apparaît alors comme un piège : « Les prisonniers furent souvent assaillis non par des idées, mais par des débris de pensée et un chaos de sentiments […] Rendre directement ce charivari étrange ne serait que le prolonger et le propager. » (ibid.).On ne saurait mieux dire que le pathos sur l’extermination est pris dans le système des valeurs d’exaltation qui l’ont permise.
89Soulignant que l’inimaginable était devenu quotidien, Borwicz conclut : « S’y opposer, cela signifiait : tendre vers des formules claires et logiques, redonner une hiérarchie aux choses et aux notions » (p. 377). La fonction du témoignage suggère donc une règle esthétique de précision, par le choix des faits pertinents pour un juge ou un historien. Mais les essayistes, même de bonne foi, n’ont pas toujours fait preuve de cette réserve44.
90Érasme, dans son Ciceronianus, voulait fonder une éloquence morale « centrée sur le bien et sur le vrai plutôt que sur le beau » et il ajoutait : « Son sublime consistera dans l’emploi singulier et inimitable de la langue de tous45. » Cela pourrait convenir à une définition du pathétique dans le témoignage de l’extermination, chez des auteurs comme Antelme ou Levi. Ce mode du pathétique s’y trouve placé sous la rection de l’éthos, par la mission testimoniale qui incombe au survivant.
91Par l’acte du témoignage, le meurtre entre dans la catégorie du crime et peut être jugé comme tel. Or, rappelle Primo Levi, « un témoin est d’autant plus crédible qu’il n’exagère pas46 », et il ajoute : « Un témoignage fait avec retenue est plus efficace que s’il l’était avec indignation : l’indignation doit venir du lecteur, pas de l’auteur, car on n’est jamais certain que les sentiments du premier deviendront ceux du second. J’ai voulu fournir au lecteur la matière première de son indignation47. »
92Levi se forge ainsi un Décalogue privé qui révoque tout pathos : « Tu écriras de façon concise, clairement, correctement ; tu éviteras les volutes et les arabesques, tu sauras dire à propos de chacun de tes mots pourquoi tu as utilisé celui-ci plutôt qu’un autre ; tu aimeras et imiteras ceux qui suivent cette même voie ». Si la forme des commandements moraux souligne l’engagement éthique de l’écrivain (1981, p. 183) en formulant ce décalogue du témoignage, il esquive non sans humour l’engagement théologique, appelant à une éthique de la responsabilité et non de la culpabilité.
93Le refus du pathos permet aux sentiments de renouer avec la raison. Alors que la violence criminelle est redoublée par son absurdité, Levi s’insurge aussi au nom de la raison48. Jusqu’à son suicide, Levi tentera de réconcilier la raison et les sentiments, la prose et la poésie, qu’il présentait comme les deux moitiés de lui-même.
94Refusant toute grandiloquence, Levi prend le parti de l’exactitude. Peu de descriptions, de rares détails, pas de descriptions psychologiques, un usage restreint de l’adjectif descriptif, un monde de privation sensorielle réduit à la douleur : son écriture fait une critique définitive de la pose, de l’effusion et du sublime apocalyptique49.
95En refusant la violence, le témoignage gagne en force. Au sortir du train plombé qui les conduisait à Auschwitz, Levi dit adieu à une jeune fille, amie d’avant-guerre, membre de son groupe de partisans : « Ci dicemmo allora, nell’ora della decisione, cose che non si dicono fra i vivi50. » (1958, p. 16). Par cet adieu à celle qu’il ne nomme pas, et en même temps au monde des vivants où il ne reviendra plus qu’en apparence, il dit l’au-delà de la vie avec toute la gravité sans larmes que l’on trouve dans certains reliefs funéraires antiques51.
Le danger politique de l’idôlatrie
96Un publiciste dont je tairai le nom écrivait en 2003 dans La revue des deux mondes :
À sa façon aussi, rien moins qu’intuitive et zébrée de noires illuminations, George Steiner répète à chacun de ses livres qu’Auschwitz est le creuset bestial où la langue elle aussi, comme un immense corps vivant martyrisé, a plongé avec des millions de victimes réduites en cendres, sans doute parce que, dans un parallèle qui n’a pas manqué d’offusquer les petites âmes, le Verbe a sombré dans le gouffre du Golgotha52.
97Par le pathos, la théologisation tourne ici à la mystification plus qu’au mystère.
98Le symposium du 26 mars 1967 qui réunit à New York Emil L. Fackenheim, Richard H. Popkin, George Steiner et Elie Wiesel a promu ce que Bernstein appelle une idéologie monothéiste de la catastrophe. En faisant d’Auschwitz l’Evénement unique et en quelque sorte fondateur53, elle subordonne l’événement historique à un schéma d’interprétation religieux. Elle inspire de nos jours encore les discours dominants sur l’extermination, se prêtant à la critique de l’historien révisionniste Ernst Nolte, quand il laisse entendre que la Shoah serait plus une quasi-religion (Religionsersatz) qu’une vérité historique.
99De là vient aussi aujourd’hui la menace. Mahmoud Ahmadinejad, président de la République islamique d’Iran, déclarait dans son message du premier janvier 2006 : « Ils (les occidentaux) ont inventé le mythe du massacre des juifs, et le placent au-dessus de Dieu, des religions et des prophètes ». Ces propos, pour une fois, ne démentent aucunement l’extermination, puisque leur auteur affirme dans la suite : « Les Européens ont pratiqué le nettoyage ethnique contre les juifs en Europe » (Le Monde, 3.1.2006). Le mythe dépasse ici le mensonge. À cette date inaugurale, le Président iranien accuse les occidentaux d’idôlatrer l’extermination pour effacer leur responsabilité : il sait bien que l’idôlatrie reste une abomination pour toutes les religions abrahamiques. Le pathos sur l’extermination lui donne raison sur ce point, quand il empêche de discerner toute responsabilité historique.
100N. B. : J’ai plaisir à remercier ici Carola Hähnel, Philippe Mesnard, Werner Wögerbauer.
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Notes de bas de page
1 Une métapsychologie implicite informe une gradation (émotions, sentiments, raison) qui peut être lue dans un sens ou dans l’autre selon que l’on donne le primat à la raison ou aux émotions.
2 Par un mystère somme toute transparent, l’âme et la société se répondent, sans d’ailleurs que l’on puisse dire que le social configure la personnalité : du moins les théories de la personne obéissent-elles aux mêmes canons implicites que celles du monde social et du monde naturel. Dans l’imaginaire « État de nature » en témoignent aussi bien la guerre hobbesienne de tous contre tous que la compétition darwinienne. Aujourd’hui encore, la sociobiologie et la psychologie évolutionniste entendent fonder la politique en nature.
3 Rédigé en 1184-1187, publié en 1527 à Venise ; in Terreurs et prophéties au Moyen-Âge, traduit et préfacé par Claude Carozzi et Hughette Taviani-Carozzi, éd. 1982, p. 93-148.
4 Cf. op. cit., p. 158. Pour l’Église, il n’y a pas de millénium, mais un seul jour de colère ; point de nouveau Messie qui serait l’Antéchrist. Saint Augustin avait distingué radicalement la Jérusalem terrestre et la Jérusalem céleste.
5 Histoire du peuple d’Israël, 1887-93, t. V, IX, xv.
6 Sur la philosophie et la méthode, in Parerga et paralipomena, II, I, Sämtliche Werke, V, Stuttgart-Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1986, p. 9-28. Trad. Angèle Kremer-Marietti, in SCHOPEN-HAUER, 2001, § 13.
7 Isaïe, I, 2, 11-16. Par contraste, Job n’a rien d’un prophète, mais pour Primo Levi, sa figure commande toutes les autres (comme en témoigne le diagramme initial de son anthologie personnelle, 1981, p. 14). « Job incarne le juste opprimé par l’injustice » « Dieu créateur de merveilles et de monstres l’écrase de sa toute-puissance » (p. 15). Victime lucide sinon sereine, il ne se plaint pas et garde confiance en lui dans l’adversité. Levi a choisi dans son anthologie les passages de Job où apparaissent Léviathan et Béhémoth, les deux monstres qui figurent depuis Hobbes, et surtout chez Carl Schmitt, l’état totalitaire moderne.
8 Auparavant doit venir l’apostasie et se révéler l’Homme impie, l’Être perdu, l’Adversaire, celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. […] Sa venue, à lui, l’Impie, aura été marquée par l’influence de Satan, de tout espèce d’œuvres de puissance, de signes et de prodiges mensongers, comme de toutes les tromperies du mal. »
9 Isaïe 10, 20-22 ; Romains 11, 5-26. Agamben a écrit un livre sur Saint Paul.
10 Jaccard, 1989, p. 86-87.
11 Cf. Roland Jaccard, à propos de l’assasinat d’Élisabeth d’Autriche dite Sissi, par un anarchiste italien, sur un quai de Genève : « L’anarchiste contribua à la délivrance d’un fantôme sur les rives du néant en attendant de s’y jeter ; il tua une suicidée en sursis, qui végétait, étouffée par les germes de la tristesse qui dévastaient son corps et envahissaient son cerveau. Ce fut la Mélancolie qui assassina Elisabeth d’Autriche. » (1989, p. 140). Anodin et boursouflé, le pathos fait ici de l’histoire une sorte épiphanie allégorique.
12 Amplement commentée par Heidegger, elle est un des textes clés du pathos sur l’extermination : elle est reprise et commentée in extenso dans l’essai de Steiner Dans le château de Barbe- Bleue.
13 L’apocalyptique manichéenne en dérive ; elle sera reprise par toutes les sectes gnostiques, jusqu’aux plus tardives, celles du New Âge contemporain.
14 On comprend pourquoi le chapitre VIII de Se questo è un uomo s’intitule « Al di qua il bene e il male » (« En deçà du bien et du mal ») ; Améry dériva de cette formule le titre de son principal ouvrage Jenseits von Schuld und Sühne, 1966.
15 Tous les grands mouvements que l’histoire a enregistrés ont dû beaucoup plus aux orateurs qu’aux écrivains » (1924, préface).
16 Dans Tal, 1978, p. 30.
17 Rousseau, L’Émile (Garnier-Flammarion, Paris, 1966, p. 408) : « Le fanatisme, quoique sanguinaire et cruel, est pourtant une passion grande et forte, qui élève le cœur de l’homme, qui lui fait mépriser la mort, qui lui donne un ressort prodigieux, et qu’il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus sublimes vertus. » Érigeant le fanatisme en valeur, le citoyen de Genève légitimait innocemment un tout autre langage, ordinaire dans les extrême-droites des années 1930 ; ainsi chez Cioran : « Ils m’écœurent, tous ces jeunes francisés, fins, subtils, impuissants quand ils sont modernes, sans messianisme quand ils donnent dans la tradition. Ils m’écœurent, parce qu’ils n’ont pas de fanatisme ni de vision de l’avenir, pas de volonté d’affirmation impériale et de sacrifice illimité » (1994, Solitude et destin, Paris, Gallimard, p. 325). Hitler avait fait du fanatisme une valeur philosophique : « Toute violence qui ne prend pas naissance dans une solide base spirituelle, sera hésitante et peu sûre. Il lui manque la stabilité qui ne peut reposer que sur des conceptions philosophiques empreintes de fanatisme. » (Mein Kampf, p. 172).
18 Cf. FAYE (2005, 44) : « um der stylistischen Formung und Straffung willen, im Hegelschen wie im antiken ne mit Grösstem Pathos zu beseelen »
19 In KRAUS, 2005, p. 388.
20 NADEAU M., « Céline et l’Apocalypse », in France Observateur, 9 juin 1960.
21 Cf. infra III, la juxtaposition chez Heidegger de l’extermination et de la bombe H.
22 Préface du Poème sur la vie de Jésus-Christ, in Œuvres chrétiennes, Paris, Pierre le Petit, 1654, p. 3.
23 BOYES R., London Times, 8 septembre 1998.
24 L’histoire de ces textes est complexe. Ils ont circulé sous forme de dactylographies, ont été commentés, mais ne sont parus en allemand qu’en 1994 et restent inédits en français.
25 Hunderttausende sterben in Massen. Sterben Sie? Sie kommen um. Sie werden umgelegt. Sterben sie? Sie werden Bestandstücke eines Bestandes der Fabrikation von Leichen. Sterben sie? Sie werden in Vernichtungslagern unauffällig liquidiert. […] Massenhafte Nöte zahlloser, grausig ungestorbener Tode überall – und gleichwohl ist das Wesen des Todes dem Menschen verstellt. Der Mensch ist noch nicht der Sterbliche. » (Die Gefahr, HGA, vol. 79, p. 56). En réponse à Emmanuel Faye, Alain Finkielkraut voyait dans ces lignes une magnifique réflexion sur la mort.
26 Ce passage répond sans doute au début des Carnets de Malte Laurids Brigge, avec la mort de Christoph Detlev Brigge, les réflexions sur le savoir-mourir et des phrases comme : « Sie alle haben einen eigenen Tod gehabt » (RILKE, Werke, éd. Zinn, vol. VI, p. 720 sq.).
27 Alain Finkielkraut s’écrie ici : « Ah ! Mon Dieu ! ».
28 On sait que l’égalité devant la mort est un topos antique. Mais pour la pensée raciale, elle devient insupportablement égalitaire : impossible de mettre sur le même plan la mort glorieuse du héros et la crevaison des sous-hommes. Dans son essai Sur Ernst Jünger (Tome 90 de la Gesamtausgabe) Heidegger écrit que « la force de l’essence non encore purifiée des allemands est capable de préparer dans ses fondements une nouvelle vérité de l’Être. Telle est, dit-il, notre croyance [Glaube]. » Et il se recommande de la Rassegedanke, cette pensée de la race qui, dit-il, « jaillit de l’expérience et de l’Être comme subjectivité » (cf. FAYE, loc. cit.).
29 Sur l’histoire de la formule, cf. l’auteur, 2005, p. 40. On sait que Heidegger se destinait d’abord à la prêtrise.
30 Ackerbau ist jetzt motorisierte Ernährungsindustrie, im Wesen das Selbe wie die Fabrikation von Leichen in Gaskammern und Vernichtungslagern, das Selbe wie die Blockade und Aushungerung von Ländern, das Selbe wie die Fabrikation von Wasserstoffbomben. » (Das Ge-Stell, HGA [Heidegger Gesamtausgabe], vol. 79, p. 27).
31 Heidegger s’appuie ici sur un topos invétéré qui oppose l’agriculture et la paix aux massacres et à la guerre. La littérature antique pullule de figures qui concrétisent cette opposition : l’histoire de Cincinnatus, les Géorgiques de Virgile (et curvae rigidum falces conflantur in ensem, I, v. 508), les Métamorphoses d’Ovide (I, 95 sq.) sur le passage de l’âge d’argent (marqué par les débuts de l’agriculture) à l’âge de fer (où commence la guerre).
32 Sur ces deux auteurs, nous nous permettrons de renvoyer au ch. XII de Ulysse à Auschwitz.
33 Quand Wilkomirski a été démasqué, Steiner, classé deuxième ex-aequo, a reçu une partie du prix Jewish Quarterly-Wingate.
34 Lo spazio del campo […] può anzi essere efficacemente rappresentato come una serie di cerchi concentrici che, simili a onde, continuamente lambiscono un non-luogo centrale, dove abita il musulmano. […] » « Tutta la popolazione del campo non è, anzi, che un immenso gorgo che ossessivamente ruota intorno a un centro senza volto. Ma quel vortice anonimo, come la mistica rosa del paradiso dantesco, era “ pinta della nostra effige ”, portava impressa la vera immagine dell’uomo. »
35 Tout italien a en tête les vers de Dante qui décrivent ce séjour des élus, devenu ici Auschwitz : « Questo sicuro e gaudïoso regno. » « Ce tranquille et joyeux royaume », Paradis, XXXI, v. 25 ; voir aussi XXXII, v. 54 sq. : « Dans l’espace de ce royaume,/un point fortuit n’a pas de place ;/non plus que tristesse, ou soif, ou faim […] Aussi cette foule venue précocement/À la vraie vie n’a pas été sans cause/Placée ici de façon plus ou moins excellente » (v. 52-60).
36 Auschwitz, les nazis et la « solution finale », Paris, Albin Michel, 2004.
37 Pour un développement, cf. l’auteur, 2005, ch. XII.
38 Voir aussi la pénétrante étude de Jeffrey Mehlman : « Steiner l’antinomiste », dans DAUZAT (éd.), 2003, p. 77-88.
39 Steiner se réfère aux prédictions de Soloviev (théoricien fin-de-siècle de la théocratie universelle, qui prédisait la fin de l’Histoire et la lutte finale entre le Christ et l’Antéchrist), à la bataille d’Armageddon dans l’Ève de Péguy (1973, p. 41), enfin à « l’apocalypse rationnelle » de Spengler (p. 75) ; Agamben relit l’apocalyptique juive et met en scène la Parousie (celle du « musulman »).
40 C’est évidemment la compréhension historique qui est en jeu ; Hans-Robert Jauss affirmait par exemple : « On ne peut pas comprendre le génocide commis par les nazis parce que le comprendre serait une manière de l’approuver : s’il faut donc continuer à recenser et à étudier les faits pour montrer jusqu’où ont pu conduire les mécanismes du Reich nazi, il faut refuser de les comprendre » (Le Monde, 6 septembre 1996). Peu de temps après cette déclaration noblement antirationaliste, on découvrait que Jauss avait eu dans les S. S. le même grade que Eichmann.
41 On sait que le lexique des langues est structuré, et que dans toute langue les classes lexicales sont traversées par des seuils d’acceptabilité. Si aucune métrique objective ne sépare le froid du glacial, le petit du minuscule ou le grand de l’immense, le franchissement d’un seuil d’acceptabilité modifie voire inverse les évaluations positives ou négatives (par exemple, froid est neutre, mais glacial est péjoratif).
42 Chez Agamben, par exemple, les « cadavres mouchetés de rose et de vert » (1999, p. 29).
43 Évidemment, tu vois la beauté du corps. Veux-tu voir aussi la beauté de l’âme? Enlève à la forme corporelle le poids de la matière, et les limites du lieu, garde le reste, tu as alors la beauté de l’âme. Veux-tu voir aussi celle de l’ange? Retire, je t’en prie, non seulement l’étendue du lieu, mais aussi la marche du temps, retiens la multiplicité de la composition, tu la trouveras aussitôt. Veux-tu saisir la beauté de Dieu? Supprime en outre cette composition multiple des formes, garde la forme absolument simple, et immédiatement tu atteindras la beauté de Dieu » (1956, p. 233-234).
44 Alors surgirent, dès les années cinquante, de toutes part à travers le monde, mais unies par un même lien de haine, des formes nouvelles de la négation. […] Le poison fut dissimulé, mais mal, dans la capsule de la science. […] Ce mensonge revêtit tant de masques, présenta des arguments d’une telle abjection que leur recension provoque la nausée. Empêtrés dans ce fleuve de boue, les historiens eurent besoin d’un certain temps d’adaptation pour construire leur réplique. » TERNON Y., L’innocence des victimes. Au siècle des génocides, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, p. 120-121.
45 LECOINTE J., L’idéal et la différence, Genève, Droz, 1993, p. 383.
46 P. LEVI, 1998, p. 211-212.
47 Id., ibid.
48 Si l’horreur morale se double d’un scandale pour la raison, celle-ci ne renonce pas pour autant. Dans le processus même de l’extermination, Levi oppose la rationalité apparente des moyens à l’irrationnalité des buts : quelle raison utilitariste justifierait l’improductivité absolue de la Buna ou le transport, sur de longues distances, de mourants pour les mettre à mort? Le propos de Levi va ainsi à l’encontre du topos ordinaire qui rejette sur la Raison la responsabilité de l’extermination (voir par exemple : « Penser la souffrance, la cruauté, la violence, sans les réduire ni à leurs fatalités, ni à leurs évidences, c’est chercher à comprendre les dispositifs et les mécanismes de rationalité qui les ont fait naître. » (FARGE A., Quel bruit ferons-nous ? Entretiens avec Jean-Christophe Marti, Paris, Les prairies ordinaires, 2005).
49 De même, Perec, remarquant qu’il n’y a pas, dans L’Espèce humaine d’Antelme, une seule « vision d’épouvante » (1992, p. 96), voyait-il lucidement sa force dans « son refus du gigantesque et de l’apocalyptique » (p. 94).
50 Nous nous sommes dit alors, à l’heure de la séparation, des choses qui ne se disent pas entre vivants ».
51 Dans la poésie de Levi, l’exigence éthique se traduit par une critique radicale du lyrisme et retrouve des formes d’antiques genres gnomiques. Par de tout autres voies, et de l’intérieur même de la tradition allemande, Celan a détruit la prétention lyrique, compromise avec les valeurs d’exaltation.
52 Le même auteur, à la sortie d’Ulysse à Auschwitz, publia une étude copieuse qui s’achève ainsi : « Mon Dieu me suis-je répété, consterné, […] pourvu que jamais un de ces barbares […] ne s’avise de contraindre le fragile François Rastier, adorateur du cosmopolitisme sans visage, pourvu que jamais un de ces barbares ou une horde d’entre eux ne contraignent le pacifique professeur, comme le firent tant de fois les criminels nazis avec des rabbins, à nettoyer avec sa langue les égouts où ils rêvent, eux, de conduire l’humanité. » Cette prose qui fait de moi un rabbin outragé accuse par son absurdité menaçante les attendus politiques d’un certain pathos.
53 Pour l’histoire, tous les événements sont uniques.
Auteur
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