Sens commun et effets de discours : note sur la contribution de la théorie du speech act à l’analyse des normes sémiotiques (linguistique, pragmatique, praxéologie)
p. 65-79
Texte intégral
Théorie de l’effet de discours
1L’une des questions les plus saillantes de la théorie du langage est de savoir à quelles conditions il serait possible d’intégrer au nombre de ses objets la problématique des effets de discours. Sans doute cette question est-elle aussi ancienne que la codification et la description des normes de l’art oratoire, puisque dans la Rhétorique, Aristote entend y répondre de manière définitive. La question de l’effet de discours peut être tenue pour le problème central de l’énonciation en ce que celle-ci véhicule plusieurs recherches d’effets1.
2Mais quand la néo-rhétorique et la pragmatique contemporaines reprennent à leur compte l’antique questionnement, il semble bien qu’elles fassent subir à cette notion d’effet une restriction d’envergure, au point peut être de constituer en dénomination d’un plan de réalité marginal, une dimension de l’agir humain situé en excès du discours.
3Les perspectives ouvertes par l’art oratoire ont ainsi permis d’identifier et de thématiser des niveaux de construction du discours à l’horizon desquels se situerait le monde ouvert des conduites non verbales. Tout porte à penser qu’avec l’émergence des sciences herméneutiques, l’analyse de l’agir humain a été catégorisée sinon répartie en diverses disciplines connexes dont la particularité consiste notamment à éclairer sous un rapport chaque fois spécifique un aspect de ce tout : linguistique, sociologie, psychologie, etc.
4Un tel découpage, pour ne pas dire un tel découplage, préside aux divisions intellectuelles que l’on sait ; il tend in fine à scinder en plusieurs pôles distincts la description de l’agir : la pragmatique prenant en charge d’éclairer les mécanismes de l’acte de parole, la praxéologie assumant quant à elle de rendre compte des logiques de l’action sociale2.
5Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de décrire et de « comprendre » deux modes d’expression et de symbolisation des mêmes agents – à la fois sujets de discours et acteurs sociaux.
6En dépit de cette distinction, la polarité pragmatique/praxéologie laisse pendante la question de l’effet de discours, alors qu’examinée sous le rapport d’une compréhension exigeante de l’entier du cours d’action, la reprise critique de cette question aiderait à mieux saisir le lien qui unit l’un à l’autre le plan de l’acte de parole à celui de l’action sociale.
7Avec un point de départ qui accorde toute priorité à l’analyse du langage ordinaire, c’est précisément à une telle reprise – même si elle reste partielle – qu’est consacrée la réflexion de J. -L. Austin. On se rappelle que la patiente analyse qu’il développe au sujet de faits de langage en apparence insignifiants se justifie au regard d’une finalité théorique ambitieuse : la constitution d’une « phénoménologie linguistique », c’est-à-dire d’une analytique du langage en vue de connaître les phénomènes. L’un des enjeux demeuré tacite de cette méthode d’analyse serait précisément de relier le phénomène linguistique à la phénoménalité sociale, en définissant avec précision le biais par lequel ces deux dimensions constitutives de l’agir humain entrent en rapport.
8Dans les développements qu’il a consacrés à l’acte de parole, Austin ne semble jamais assurer ses résultats, mais toujours les soumettre à une critique inlassable, au point de produire l’impression d’un mouvement constant de dissolution/recomposition de son objet. L’organisation même de sa pensée consiste à parcourir une question jusqu’au bout, puis à s’en dessaisir pour la retrouver ensuite, au terme d’un déplacement de perspective qui permet moins de nier les acquis du premier moment que de les redéployer au bénéfice d’un renouvellement de la réflexion. En l’espace de douze analyses concises dont le phrasé simple porte même à l’écrit la tonalité imprévisible de l’oral, Austin ne produit pas moins de trois théories : la première relative à l’hypothèse performative, la seconde à l’acte de parole, quand la troisième esquisse une typologie des valeurs énonciatives. Il est manifeste que cette triple théorisation dont aucun des moments n’annule le précédent, mais tout au plus le dépasse en vue d’une intégration plus précise de ses apports, cherche dans son instabilité même à faire place à un nouvel objet, et, plus précisément, à établir un rapport, à nouer un lien.
9L’inquiétude heuristique dont témoignent les analyses consignées par Austin n’a jamais été appréhendée pour ce qu’elle est : non seulement un effort constant pour délimiter un nouveau domaine de recherche, mais encore une tentative forte pour aboutir dans l’espace théorique contemporain la reprise du problème d’Aristote. Les strates théoriques successives de How to do things with words 3 parachèvent le mouvement de remembrement de la théorie du langage au sein de la philosophie analytique d’inspiration logiciste, tout en s’y opposant.
10Avant toute autre considération, la philosophie du langage ordinaire ainsi requise établit sur des bases conceptuelles originales la perspective communicationnelle ouverte par le « second » Wittgenstein4. Cette accentuation offre le cadre propice d’une réflexion neuve sur la véritable nature de l’acte de parole. Avant toute élaboration, ce choix théorique introduit en philosophie du langage - et, par suite, en sciences du langage - le primat de l’aspect pragmatique, et, incidemment celui de l’interaction5.
11Il en résulte une minoration de la conception classique du langage – conception selon laquelle le langage et les langues seraient d’abord des représentations de la pensée et, corrélativement, du monde. Le primat accordé à l’option pragmatique ouvre dès lors la problématique de l’emploi du langage – fort différent de celle de l’usage linguistique-à la double thématisation d’une parole active qui se comprend simultanément comme facteur d’interaction et d’inter réaction. Dès lors l’élaboration théorique du concept de speech act vise à envisager par degrés toujours croissants la question des rapports, ou des liens d’immanence et de mutualité, qu’elle est susceptible de nouer avec une « théorie générale de l’action ».
- Le premier mouvement théorique consacre la pertinence relative de l’hypothèse performative, à partir d’une critique radicale de ce que Austin appelle « l’illusion descriptive ». À ce stade, les premières analyses portent sur la spécificité d’un type d’énoncé dont l’énonciation coïncide avec l’accomplissement d’un certain acte. L’opposition constatif/performatif permet de soustraire l’énonciation performative à la juridiction séculaire de la sémantique vériconditionnelle, et lui fait correspondre de nouveaux critères (échec vs réussite) ;
- Le deuxième mouvement théorique procède des nombreuses objections que l’analyse bien menée est en droit de déduire de la critique de l’hypothèse performative. L’absence de critères stables (grammaticaux, lexicologiques, voire lexicographiques) détermine la recherche d’un « nouveau point de départ ». C’est dans ce contexte que Austin reprend à nouveau frais la question de savoir « en quel sens dire une chose c’est la faire ». Il s’agit d’un moment crucial qui conduit Austin à examiner de manière serrée les notions d’acte et d’action ;
- Le troisième et dernier mouvement théorique donne à la théorie du speech act sa forme canonique, même si Austin admet qu’il s’est arrêté sur un état « provisoire » de la recherche. Cette dernière contribution est l’occasion d’une nouvelle élaboration de son objet : Austin cherche à identifier les grands types d’actes de parole, en esquissant, selon des principes qui rappellent la méthode de classement des dictionnaires idéologiques, un classement de ceux-ci selon cinq entrées6.
Le speech act comme sens commun
12La reprise de la question de savoir « en quel sens dire une chose c’est la faire » est l’occasion d’un renouvellement de la problématique d’ensemble, et, incidemment de la mise en œuvre de nouvelles distinctions. Au-delà du rappel, nous ne nous étendrons pas sur ce moment théorique bien connu. Il nous suffira de restituer ici les principales thèses avancées par Austin à cet endroit de manière à permettre leur réexamen.
13Ce moment occupe trois des douze conférences de HDTWW 7. Il est principalement consacré à trois points de discussion :
- Tout d’abord, Austin pose une définition de l’acte de parole, compris comme un complexe intégrateur de micro-actes. Il répond aux caractéristiques suivantes :
- L’entier de l’acte de parole est un procès tripartite, puisqu’il admet trois aspects constitutifs qu’il s’agit d’identifier sans confusion de leurs registres fonctionnels : il faut « comparer actes illocutoires et illocutoires à un troisième type d’acte », « dire quelque chose provoque souvent […] certains effets sur les sentiments, les pensées, les actes de l’auditoire, ou de celui qui parle ou d’autres personnes encore » (§. 101)
- l’acte de parole admet en outre une disjonction entre deux types d’effets : « Il y a donc une coupure dans la chaîne, une coupure naturelle et normale qu’on ne trouve pas dans le cas de l’acte physique et qui est liée à la classe particulière des mots qui désignent les actes illocutoires. » (§ 112)
- Ensuite, Austin établit un critère de démarcation décisif entre l’aspect illocutoire et l’aspect perlocutoire de l’acte de parole :
- le trait de conventionnalité permet de fonder cette démarcation : « les effets suscités par les perlocutions sont de vraies conséquences dénuées de tout élément conventionnel ». (§ 102)
- la distinction illocutoire/perlocutoire relève de deux ordres d’effets qui seraient radicalement hétérogènes : « il ne saurait y avoir d’acte illocutoire si les moyens employés ne sont pas conventionnels, et les moyens de réussite non assortis de parole devrait donc être conventionnels ». (§ 118)
- Enfin, sur la base des précédentes spécifications, Austin précise le statut de l’aspect illocutoire de l’acte de parole. Ce moment fixe les éléments principaux d’une théorie dominante de l’illocutoire, puisque dès lors la réflexion va porter sur la construction du concept d’effet dont la caractérisation tient compte des différentes sortes « d’emplois du langage » :
- L’aspect illocutoire de l’acte de parole est crédité de trois types d’effets : « nous avons relevé trois sens selon lesquels les actes illocutoires eux-mêmes peuvent induire des effets : 1. s’assurer d’avoir été bien compris (“securing uptake”), 2. prendre effet, 3. inviter à répondre. […] Les actes illocutoires sont conventionnels, les actes perlocutoires ne le sont pas ». (§ 120)
- L’analyse des effets de l’illocutoire donne lieu à une justification ultime qui consiste à recourir à la confirmation de la thèse avancée en alléguant la pertinence d’un critère lexical : « par l’emploi du lexique de l’illocutoire, nous faisons référence non aux conséquences (du moins au sens ordinaire) du locutoire, mais aux conventions des valeurs illocutoires-lesquelles concernent les circonstances particulières de l’énonciation ». (§ 114)
14En somme, la théorie développée par Austin éclaire d’un jour nouveau la problématique philosophico-linguistique du sens commun. Mais dans l’optique de l’acte de parole, c’est le procès d’énonciation qui instancie la possibilité d’une mise en commun du sens. Toutefois, sur l’ensemble du procès, Austin suggère que ce qui est effectivement commun à l’énonciateur et au co-énonciateur porte exclusivement sur la dimension illocutoire. Seuls les « effets » conventionnels induits par les mécanismes de l’illocutoire seraient de nature à définir un espace de sens commun. Ce qui relève de l’ordre de la « conséquence » perlocutoire ne saurait participer d’une communauté de sens. On conçoit alors que la distinction illocutoire/perlocutoire, selon nous analogue de la distinction pragmatique/praxéologie culmine dans une limitation de taille qui consiste à rejeter hors de la théorie du speech act la question des effets pratiques du discours.
Éléments de discussion
15Les distinctions introduites par Austin sont d’un grand intérêt théorique. Leur portée est encore plus grande quand on en apprécie la fécondité pour penser dans une perspective descriptive la question des normes langagières, en tant qu’elles définissent entre protagonistes d’une situation de communication la possibilité d’un espace de sens commun. La distinction argumentée des trois paliers de l’acte de parole – locutoire, illocutoire, perlocutoire – permet d’aborder avec davantage de rigueur la question des effets du discours. Or, comme nous venons de le voir, selon Austin le rapport entre le plan de l’illocution et le plan de la perlocution définit une zone d’indécidabilité qui est, selon les cas, absolue ou relative. Il semble pourtant qu’Austin ait fait bien plus que pressentir l’enjeu cardinal qui se logeait là, puisque la définition ternaire de l’acte de parole aboutit, quelques réserves qu’il ait pu émettre par la suite, à la double mise en perspective de la théorie de l’activité linguistique et de la théorie de l’action. La problématique des effets de discours, y compris abordée d’une façon restrictive porte désormais la théorie du langage à s’interroger sur les liens de contiguïtés qui l’unissent à la théorie de l’action. Les trois dimensions « pratiques » qu’Austin délimite à partir de la caractérisation du speech act touchent à trois ordres normatifs parfaitement intégrés par les sujets de la communication selon les situations sociodiscursives dont ils sont quotidiennement amenés à faire l’épreuve. Du moins est-ce l’interprétation que l’on serait tenté de donner aux concepts austiniens, au vu de leur domaine de juridiction : locutoire, illocutoire, perlocutoire se donnent toujours dans la simultanéité de l’activité de parole. Or, les normes communicatives relèvent simultanément de trois plans de structuration du sens : elles sont linguistiques, mais aussi pragmatiques et praxéologiques. Le parallélisme est trop apparent pour ne pas être souligné par-là même puisque ces trois plans de structuration intéressent trois dimensions du sens commun.
Locutoire - normes linguistiques
Illocutoire - normes pragmatiques
Perlocutoire - normes praxéologiques
16Les distinctions posées par Austin ont le grand mérite de différencier nettement entre trois plans de structuration du sens, et par conséquent entre trois conditions de possibilité de mise en commun du sens : le plan strictement linguistique des normes locutoires (phonétique, phatique, rhétique), le plan pragmatique des normes illocutoires (valeurs énonciatives conventionnellement corrélées aux précédentes), le plan praxéologique des normes perlocutoires (induites par le bloc locutoire/illocutoire selon des contraintes discursives chaque fois spécifiques).
17Austin en vient à caractériser en les dissociant des normes linguistiques et pragmatiques le palier des normes praxéologiques « responsables » de la structuration de l’agir humain. Pour ce faire, il suggère que l’acte de parole est extérieur à l’action, ou, pour dire les choses autrement que le cours d’action est un dehors de l’activité linguistique. Cette option se trouve renforcée par son souci premier qui est de caractériser prioritairement l’illocutoire8.
18Toutefois deux objections peuvent être adressées à cette restriction :
- Les actes illocutoires et les effets qui en résultent ne sont jamais déliés de toute situation de discours spécifiques ;
- Les actes illocutoires se relient entre eux selon les situations de discours.
19Compte tenu de l’explicitation de ces deux remarques, plusieurs perspectives théoriques peuvent être tirées :
- Si la relation entre illocution et perlocution n’est pas conventionnelle, cela ne suppose ni n’implique pas que le rapport des deux plans soit entièrement inconditionné ;
- En effet, le rapport causatif (illocutoire/perlocutoire) permet de penser le lien d’incitation éventuel entre l’un et l’autre, puisque dans une situation de discours donnée les conséquences perlocutoires des actes illocutoires ne sont ni entièrement indéfinies, ni totalement aléatoires.
20Mais le paradoxe de la procédure d’analyse engagée par Austin est qu’elle prétend identifier de considérables enjeux théorico-pratiques à partir d’une base empirique extrêmement fragile. C’est sans doute la contrepartie d’un choix méthodologique minimaliste sans lequel des distinctions aussi importantes n’auraient par ailleurs pas vu le jour.
21Nous sommes toutefois amenés à penser que loin de s’exclure ou de se dissocier sans entretenir le moindre lien de solidarité « logique » ou « formel », le plan de l’illocution et celui de la perlocution s’interpénètrent et interfèrent, précisément dans le cours d’action lui-même saturé par les variables contextuelles. La question qui se pose est toutefois de savoir s’il faut purement et simplement abandonner la perspective perlocutoire, après avoir conclu à l’impossibilité d’une articulation théorique avec la théorie des actes illocutoires. La perspective un temps ouverte par Austin, et très vite refermée, n’emporte-t-elle aucun élément de pertinence ?
22On pourrait penser que l’hypothèse perlocutoire tient le rôle d’un artefact à vocation heuristique, tout juste bon, en somme, à préciser le statut du rapport locution/illocution ; au-delà de quoi, ce concept, déclaré sans avenir, n’aura fonctionné qu’à la façon d’un repoussoir théorique, son seul mérite étant d’autoriser le tracé d’une délimitation nette entre le palier de l’acte de parole et le domaine étendu de l’action sociale9. La principale raison de cet « abandon » programmé, Austin l’a donnée à plusieurs reprises au cours des développements qu’il consacre à ce problème : aucun lien de nature conventionnel ne permet de le rattacher d’une quelconque façon à l’aspect illocutoire de l’acte de parole. Si l’illocution est un effet – complexe certes, mais prédictible –, la perlocution n’est qu’une conséquence imprévisible, foncièrement aléatoire, de sorte que son éventuelle dépendance à l’égard de l’illocution est bien trop ténue et fragile pour que la théorisation envisage d’assigner une place fixe à tous les événements que sa dénomination recouvre.
23L’autre orientation, qui impliquerait que soit réaffirmée la validité de l’hypothèse perlocutoire, consisterait à sauver celle-ci du naufrage théorique en recourant à une nouvelle interprétation de son statut dans le cadre même de la théorie du speech act, en proposant notamment de penser de manière moins stricte le point de jonction des normes linguistique (moment locutoire), des normes pragmatiques (moment illocutoire) et du moment praxéologique (moment perlocutoire). En se fondant sur une lecture intentionnaliste de la reconnaissance des éléments inducteurs d’effet de parole, on pourrait par exemple assigner une autre compréhension à la notion de « reconnaissance » (« securing uptake ») avancée par Austin à l’endroit le plus délicat de la définition de l’illocution. Il s’agit, encore une fois, d’avancer ici une solution théorique, qui serait de nature à maintenir dans le cadre d’une conception de la théorie de l’acte de parole ouverte à une théorie générale de l’action la prise en compte non aléatoire de la perlocution.
24L’idée alors privilégiée, consisterait à réinterpréter de manière radicale le moment véritablement « opératif » de la saisie de l’acte (« securing uptake ») au vu du rapport illocutoire/perlocutoire, et par conséquent au vu de la contiguïté pragmatique/praxéologie de manière à justifier l’inscription d’une théorie des effets étendus du discours à l’horizon d’une théorie pragmatique de l’acte de parole. Il semble que la relecture gricéenne de la saisie de l’acte ait eu pour but une telle rectification. En avançant le concept de signification non intentionnelle (Snn), Grice suggère de faire dépendre la réussite de la communication d’un jeu spécifique de reconnaissance d’intention de signifier.
25Plus directement transposée à la question qui nous occupe, on pourrait ici faire de la surenchère à partir du modèle de Grice en introduisant ce type de précision. Ainsi, la reconnaissance de l’intention de donner à reconnaître l’intention que le locuteur a de signifier telle ou telle valeur illocutoire de son énoncé pourrait être amendée en énonçant plus simplement que pour un locuteur donné, communiquer consiste à faire reconnaître l’ensemble des effets visés par la reconnaissance de son intention de communiquer. Dans cette optique, on admettrait le caractère d’emblée plus complexe mais aussi plus direct de l’intention de signification, celle-ci incluant par avance un calcul relatif à la reconnaissance d’une double visée – illocutoire et perlocutoire.
26L’ennui avec ce type d’interprétation est qu’elle ne permet pas de limiter le risque de régression à l’infini, mais surtout qu’elle manque entièrement de précision en ce qui concerne la dimension symbolique du langage, c’est-à-dire la matérialité même de l’énoncé, puisqu’elle repose entièrement sur une conception mentaliste-intentionaliste de la communication. Elle pêche donc par sa trop grande puissance explicative, l’abstraction de ses postulats et son trop grand degré de généralité n’étant pas les moindres de ses défauts. D’autant qu’Austin lui-même a d’emblée prévenu l’interprétation intentionnaliste de la théorie10.
27 Il existe pourtant une autre solution. Elle consiste à conserver du point de vue théorique l’essentiel de l’apport austinien, tout en orientant les attendus de cette réflexion sur un autre terrain méthodologique, au risque de lui choisir un nouveau point de départ qu’Austin lui-même désavouerait peut être. Mais cela reste à prouver. Nombre de développements de HTDTWW nous laissent supposer le contraire. À savoir que la seconde interprétation que nous allons maintenant avancer trouve dans les analyses d’Austin un grand nombre de ses justifications et de ses motifs théoriques.
28 La formidable intuition d’Austin demande à être mise en forme dans un cadre théorique où aucun des aspects du normatif ne serait sacrifié. Dans la conceptualisation initiale, la scansion locutoire/illocutoire/perlocutoire ne permet pas d’assigner au perlocutoire un statut fonctionnel rigoureusement déterminé. Plus exactement, le statut théorique du perloctoire ne permet pas de lui reconnaître un degré de prédictivité suffisant pour prétendre au statut d’objet théorique. Tout au plus ce concept désigne-t-il un horizon de la théorie. Commençons par éclaircir cette intuition. En considérant à nouveau frais « l’acte de langage total » situé dans les circonstances qui le rendent possible, une autre interprétation de ses constituants s’impose.
29Au palier locutoire correspondrait l’ensemble des normes linguistiques sélectionnées par une situation générique et agencées dans une forme générique. Le palier illocutoire coïncide quant à lui avec la ou les normes pragmatiques afférentes à une situation de discours donnée, normes elles-mêmes construites et contraintes par le genre11.
30Le palier perlocutoire ne serait pas seulement une « conséquence » non calculable d’une situation d’énonciation donnée, mais sa condition même, identique au rapport que la situation d’énonciation entretient d’emblée avec les différents constituants d’un cours d’action. Autrement dit, le perlocutoire correspond à l’ensemble des normes praxéologiques qui permettent d’appréhender ensemble l’acte de langage total et l’action sociale au sein de laquelle il se justifie. Dans cette optique, le perlocutoire cesse d’être défini comme un appendice gênant de l’acte de langage. Il occupe dès lors la place de garant ou de point d’articulation d’une situation d’énonciation donnée et d’une situation de discours comprise comme visée véridictoire globale, préadaptée à produire un certain type d’effet. Sans doute cette relecture des concepts austiniens ainsi que la réévaluation de leur statut théorique appelle-t-elle une ou deux autres spécifications.
31Les voici. Plutôt que de situer la perlocution au terme de l’acte de langage, comme un espace de conséquence lointaine, inaccessible à la description, il convient selon nous de l’envisager au principe de la situation de discours, comme l’une des conditions de sa genèse, la situation de discours étant elle-même comprise comme moment d’un cours d’action.
32Austin entend donc rendre compte de « l’acte de langage total ». Selon nous ce programme sert d’autant mieux une meilleure connaissance de l’agir humain que l’acte de langage est examiné en rapport avec le type de situation dans lequel il se formule. Du moins est-ce dans cette perspective que se justifieraient les distinctions proposées (locutoire/illocutoire/perlocutoire). Nous avons avancé plus haut que la production de l’acte de langage coïncide avec la mise en jeu d’un sens commun.
33Pour mieux saisir l’interprétation proposée, il convient de raisonner à partir de la définition du sens commun linguistique. Par sens commun il faut entendre de manière générale la sémiotisation des normes de la praxis, et, plus particulièrement, l’ensemble des normes investies par les sujets (acteurs sociaux – énonciateurs) dans les pratiques, et, plus spécifiquement, les pratiques discursives (l’auteur, 1996). Cette définition suppose que l’instanciation des normes dans les pratiques consiste dans un procès graduel de sélection des normes instanciées à partir d’un ensemble de possibles. Ce procès se déroule en quatre étapes auxquelles correspondent les quatre paliers fondamentaux de détermination des normes engagées dans une performance sémiotique donnée : le premier palier est celui de la topique sociale, il recouvre l’entier des possibles normatifs admis dans une formation sociale donnée ; le deuxième palier désigne la topique configurationnelle à laquelle peut être rapporté le dispositif normatif d’une pratique sociale déterminée. Le troisième palier, celui de la topique discursive définit les normes d’une communauté de discours donnée, c’est-à-dire l’ensemble des manières de signifier et des savoirs propres aux acteurs de cette communauté. Le quatrième palier est celui de la topique textuelle afférente à une topique générique particulière. Ces dernières mettent en œuvre les normes retenues par une performance sémiotique singulière (topique textuelle) à partir d’un ensemble de contraintes formelles spécifiques (topique générique).
34Selon cette conception, la situation langagière prime l’expression linguistique, de sorte que le sens commun se conçoit comme un continuum sémiotique, de type sociodiscursif, et, plus exactement, praxéologico-pragmatique. Aussi, la problématique de l’acte de langage total doit être réévaluée dans cette perspective si l’on veut « tenir ensemble » le statut également légitime des concepts avancés par Austin pour le caractériser en détail. Précisions davantage les enjeux de ce cadre interprétatif :
35(1). Le palier de la topique sociale recouvre encore l’espace des normes de l’agir, c’est-à-dire des motifs praxéologiques dont la réquisition suppose l’espace des normes générales (« stock de connaissances », « allant de soi »). Ce palier est à proprement parler le lieu des normes praxéologiques12. Les normes de la topique sociale ont pour particularité foncière d’être des normes incitatives. Les usages du langage qu’elles déterminent anticipent sa dimension perlocutoire ;
362). Le palier de la topique configurationnelle recouvre l’espace des normes d’une pratique, c’est-à-dire l’ensemble des situations génériques afférentes à cette pratique13. Les normes de la topique configurationnelle ont pour propriété fondamentale d’être modalisantes à l’égard des sujets dont l’activité relève de cette même pratique ;
37(3). Le palier de la topique discursive recouvre l’espace des normes d’un discours produit dans le cadre d’une pratique, compte tenue de sa visée véridictoire, c’est-à-dire de sa prétention à la validité14. Elles ont pour propriété d’être inductrices d’effets perlocutoires 15.
38Ensemble les normes sélectionnées par la conjoncture d’une topique configurationnelle et d’une topique discursive définissent le domaine des normes praxiques. À ce titre on peut encore les appeler normes procédurales dans la mesure où elle typifient l’expérience sémiotique des différentes situations de discours, comprises comme institutions de sens et comme sphères délimitées de sens16.
39Précisons encore.
40(4). Le palier de la topique générique recouvre l’espace des normes de la praxis sémiotisées selon les contraintes imposées par les normes linguistiques. Les normes de la topique générique ont pour particularité de « filtrer » les normes de la praxis tout en conférant à la performance sémiotique sa forme singulière stabilisée ;
415). Le palier de la topique textuelle recouvre quant à lui l’espace des normes linguistiques17. Ces dernières, compte tenu du rapport que la performance sémiotique entretient avec les normes praxiques, définissent le profil doxal de celleci. Relativement aux variations sémiotiques d’un sens commun donné, la topique textuelle, avec les topiques génériques qu’elle suppose, inscrit la performance sémiotique en position de canon, de vulgate ou de doxa (l’auteur, 2006).
42Ensemble les dispositifs normatifs de la topique générique et de la topique textuelle définissent l’espace des normes pragmatiques. Dans cette optique, les normes de la praxis sont sémiotisées selon un scénario d’énonciation particularisé. La mise en perspective de la performance sémiotique à l’aune d’une normativité praxéologique forte indique que l’instanciation toujours singulière des normes du sens commun reste sous la dépendance des normes processuelles (praxiques et pragmatiques). C’est donc par la médiation d’un procès d’intégration et de sélection graduel que les normes du sens commun sont instanciées.
***
43La distinction posée par Austin entre locutoire-illocutoire-perlocutoire conditionne ici l’analyse de ce procès d’instanciation complexe qui suppose, pour aboutir à son terme, le concours de deux ensembles normatifs :
- l’ensemble des normes procédurales (praxéologiques) situées en amont, avec une pesée incitative forte ;
- l’ensemble des normes processuelles, d’abord praxiques (normes d’une pratique), ensuite pragmatiques (normes d’une performance singulière).
44Dans cette relecture, la « conséquence perlocutoire » de l’agir verbal est réinterprétée au vu de la fonction modalisante des pratiques dont il est une dimension opératoire discursive. Quant à l’effet illocutoire il relève entièrement des normes linguistiques qu’il vient spécifier au titre des contraintes de genre. Le locutoire se répartit entre les différents seuils de la normativité linguistique.
45En guise de conclusion tout ceci peut être représenté par le schéma suivant :
Normes du sens commun |
||
Niveaux de structuration des effets de discours |
Types et effets normatifs |
|
Normes |
« stock de connaissances »/« allants de soi » |
Normes d’action |
- Topique sociale |
- possibles génériques |
- incitatives |
Normes |
institutions/sphères délimitées de sens |
Normes d’une pratique |
- Topique configurationnelle |
- situation générique |
-modalisantes |
- Topique discursive |
- visée véridictoire |
- perlocutoires |
Normes |
spécifiées en scénario d’énonciation |
Normes linguistiques |
- Topique générique |
- forme génériques |
- sémiotisées |
Topique textuelle |
- performance |
profil doxal |
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Rappelons ici que les trois fonctions traditionnelles de l’art oratoire sont d’instruire, de plaire, d’émouvoir.
2 Cette perspective est notamment développée par le courant de l’individualisme méthodologique.
3 Désormais : HDTWW
4 La hâte théorique dont a fait preuve la linguistique d’inspiration saussurienne à l’endroit de cette perspective n’a eu d’égale que sa propension à instrumentaliser, sinon à réinterpréter en les adaptant à des cadres méthodologiques congruents, les concepts forgés par Austin. Cette intervention à la fois relativement précoce, et régulièrement réitérée, n’a pas peu contribué à « refermer » nombre de questions ouvertes par le philosophe. La délimitation puis la stabilisation d’un domaine d’étude précis tel que la pragmatique linguistique a eu pour effet théorique durable de figer dans le cadre de la linguistique des perspectives d’étude empruntées qui ont trouvé là le contexte de leur limitation en même temps que l’occasion de leur nivellement. Tout au plus, la linguistique a-t-elle admis d’ouvrir le spectre de ses préoccupations en alliant au programme d’une linguistique de la langue celui d’une linguistique de la parole. Mais en tant que telle, la question de l’effet de discours, et celle du double rapport que sa compréhension permet d’entrevoir entre l’acte de parole et l’activité sociale des énonciateurs/acteurs n’a pu être réexaminée compte tenu de choix épistémologiques et méthodologiques initiaux.
5 On pourrait toujours gloser sur cette dénomination absente du vocabulaire d’Austin, mais qui s’impose quand on considère la double orientation de sa pensée : l’acte de parole relève d’un examen spécifique d’une dimension de l’agir humain, mais la théorisation qui en résulte paraît le situer au plus près d’une conception utilitariste du langage (les « emplois du langage » tels que Austin les envisage relèvent d’une conception utilitariste-pragmatiste).
6 De fait, les développements ultimes de la théorie du speech act ont entériné nombre de décisions et d’orientations légitimées par Austin (cf. notamment les travaux de J. -R. Searle).
7 Respectivement : les conférences 8, 9, 10. On pourrait y inclure la dernière du recueil de textes, tant il est vrai qu’elle constitue un point d’aboutissement avéré des précédentes.
8 Il faut ici prévenir une objection, et souligner une fois de plus l’importance de la conceptualisation austinienne. Le souci d’Austin est en effet de faire droit à une théorie de l’acte de parole à un moment où existe déjà une, voire, plusieurs théories sociologiques de l’action. Le souci de notre contribution est d’articuler à bon droit les deux, ou du moins d’en indiquer certaines possibilités.
9 Austin écrit ceci : « La notion d’acte même n’est pas claire. […] L’acte est généralement tenu pour un événement physique précis, effectué par nous, et distinct à la fois des conventions et des conséquences. » Et encore ceci : « L’acte, en réalité, entraîne toujours des conséquences plus ou moins conventionnelles et certaines d’entre elles peuvent être imprévues. Il n’y a pas de limite à l’acte physique minimum. Que l’acte lui-même comporte la série indéfiniment longue de ses “conséquences”, c’est là – ou ce devrait être – un lieu commun essentiel de la théorie du langage qui touche à l’action en général. » (§ 107).
10 La précision et la moralité sont toutes deux du côté de celui qui dit tout simplement : notre parole, c’est notre engagement. » (§) Autrement dit avoir l’intention de s’engager n’est pas s’engager.
11 De sorte que les normes pragmatiques seraient bel et bien des normes linguistiques spécifiques, ce qui laisse intacte la thèse soutenue par Austin du rapport intrinsèquement conventionnel entre locutoire et illocutoire.
12 En termes de constituants normatifs, la topique sociale peut se ramener à l’équation suivante. Topique sociale = normes générales + normes praxéologiques. Les possibles normatifs de la topique sociale sont susceptibles d’être investis et sémiotisés par les sujets (à la fois acteurs sociaux et énonciateurs). Insistons ici sur le fait que les sujets sont sujets de plusieurs pratiques. À cet égard, il est intéressant de suivre en sciences du langage les développements successifs de la théorie du sujet parlant. Du Cours de linguistique générale à l’analyse du discours, en passant par la sémiotique, le sujet a gagné en extension. Il a d’abord été sujet-de-la-langue (système) et finalement postulé comme sujet d’archive.
13 Modalisation : ce point fait appel à une conception praxéologique de la modalité, comprise ici comme occasion de détermination de la conduite des sujets. Les modalités ici retenues sont celles qui ont été notamment caractérisées par Greimas ; elles définissent avant tout des régimes actoriels. S’agissant de lier cette conception de la modalisation à l’orientation modale de la théorie du speech act, précisons encore que le concept est ici requis pour rendre compte non de la « représentation » textuelle des actions, mais de la constitution situationnelle des conduites à partir de l’activité linguistique.
14 Visée véridictoire : dans la mesure où un discours sémiotise les normes d’une pratique sociale, il délimite un domaine de référence dont la validité est présumée. La visée véridictoire inclut les différents types de validité (vérité, pertinence, véridicité, etc.).
15 D’effet et non pas de « conséquences » comme le suggère Austin. Selon nous, les effets perlocutoires sont conventionnellement appelés par la fonction modalisante des pratiques. En ce sens, l’acte de langage – ou la performance sémiotique-est avant tout un effet perlocutoire induit par le déjà dit constitutif de tout domaine de pratique. La perlocution est un effet prévisible de doxa, à son tour inducteur d’autres effets de même nature. Une relecture attentive des analyses d’Austin montre que la perlocution se mesure à trois types d’incidences : cognitive, kinésique, verbale. La conception modale de la perlocution défendue ici suppose que les pratiques sont efficientes à l’égard des conduites, dans la mesure où elles constituent des institutions de sens, à ce titre dotées de visées thymiques-esthésiques qui sont autant de parcours d’anticipation des thématiques investies par les situations de discours et par conséquent de l’attitude adoptées par les sujets qui en participent. La théorie des normes du sens commun défendue ici rencontre la réflexion sur les formes sémantiques (Cadiot-Visetti).
16 Avec la doctrine des échecs, Austin donne une caractérisation très précise du type de rapport qui existe entre les différents paramètres d’une situation de discours. En posant comme conjointe et interdépendante les déférentes conditions de réussite d’un acte de parole, il dessine les perspectives d’une conception praxéologique des genres de discours. C’est en effet la « situation » déterminée d’une pratique définie qui contraint la prise de parole (mariage, inauguration, etc.). De même, chaque situation de discours, selon son appartenance à telle ou telle sphère délimitée de sens, se caractérise par un style cognitif particulier. Il y a lieu ici de solliciter la théorie du speech act (J. -L. Austin) dans la perspective de la phénoménologie du monde naturel (A. Schütz).
17 À la suite de Hjelmslev et de Cosériu, les normes linguistiques ont été magistralement caractérisées par F. Rastier selon les distinctions suivantes : normes fonctionnelles, normes sociolectales, normes idiolectales. Dans la perspective développée ici, les normes linguistiques permettent la sémiotisation des normes de la praxis sans se confondre avec elles.
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