Pathétique et « Grand Style » à Rome (premiers siècles avant et après J.-C.)
p. 21-35
Texte intégral
1Je ne surprendrai personne en soulignant le goût prononcé des Romains pour le pathétique. Il serait facile de montrer sa place dans les genres narratifs, épopée ou histoire, aussi bien que sur la scène. Les orientations du colloque m’ont conduit à concentrer le propos sur la théorie et la pratique de l’éloquence : mon projet est de montrer l’évolution de l’attitude romaine à l’égard du pathos durant les deux plus grands siècles de la littérature latine, en m’appuyant surtout sur trois témoins et acteurs essentiels, Cicéron, Salluste, Tacite. Mais comme il n’aurait jamais existé de culture latine sans la Grèce, je ne laisserai pas de côté les deux grands noms qui viennent clore la période grecque classique et qui, en même temps, montrent la voie à l’avenir (c’est-à-dire aux Latins), Aristote et Démosthène – le plus grand théoricien de la rhétorique (ainsi que de bien d’autres domaines) et le plus grand orateur de l’antiquité. À partir de leurs œuvres se développe à Rome une réflexion qui associe étroitement politique et morale, rhétorique et littérature et où le pathétique joue un rôle primordial.
Les pères grecs de l’éloquence et de la rhétorique latines
2Les dates de Démosthène et d’Aristote sont les mêmes, 384-322. Mais la double paternité que j’évoque ne va pas de soi, ce qui ne sera pas sans conséquences.
3Démosthène est l’homme d’une seule cause, celle de la liberté d’Athènes en face de Philippe de Macédoine. Pour faire court, je cite simplement J. de Romilly : « L’éloquence de Démosthène suppose une expérience consommée de l’art oratoire. Mais ces ressources sont ici fondues dans un élan intérieur auquel l’importance de la lutte engagée donne tout son prix. Le style de Démosthène correspond au caractère total et passionné de son engagement1. » À l’époque romaine, il tend à devenir l’Orateur par excellence, de même qu’Homère est le Poète2. Tous admirent, non moins que son art et son pathétique, son attachement à la liberté avec lequel communient les Romains et dont les Grecs conservent la nostalgie.
4Rien ne laisse prévoir une telle gloire dans la Rhétorique d’Aristote, où il n’est mentionné que trois fois (encore peut-il s’agir, dans un cas, d’un homonyme). Raisons politiques ? Aristote, lié à la cour de Macédoine, précepteur d’Alexandre, ne pouvait guère éprouver de sympathie pour lui. Cependant l’ennemi et le grand rival de Démosthène, l’orateur pro-macédonien Eschine n’est, lui, jamais nommé. En fait c’est surtout un certain type d’éloquence que désapprouve Aristote : « L’orateur éprouve toujours sympathie pour qui parle pathétiquement (pathêtikôs), ce qu’il dit n’eût-il aucune valeur. Aussi beaucoup d’orateurs frappent-ils de stupeur leurs auditeurs par leur vacarme3. » Ces orateurs pathétiques et tonitruants (thorubountes, le mot expressif est en relief en fin de phrase) sont-ils Démosthène et Eschine ? Il n’est en tout cas pas douteux que Démosthène soit visé quand Aristote examine l’action oratoire, hupokrisis, considérée comme un art commun à l’orateur et à l’acteur. Selon un mot souvent répété, Démosthène, comme on lui demandait quelle est la première qualité de l’orateur, répondit : l’action ; la seconde ? l’action ; la troisième ? l’action4. C’était là un élément essentiel de son pathétique et, selon Eschine, il « virevoltait » à la tribune. Aristote, lui, préconise la sobriété et déplore de telles pratiques : « De même qu’aujourd’hui, dans les concours les acteurs font plus pour le succès que les poètes, ainsi en est-il dans les débats de la cité, par suite de l’imperfection des constitutions5. »
5Dans une cité parfaite, selon Aristote, on ne ferait appel qu’à la raison pour convaincre auditeurs et juges. Mais dans notre monde sublunaire, il faut aussi tenir compte de leurs dispositions. Platon, dans le Phèdre (276 b-c), a comparé l’orateur qui parle sans tenir compte de la nature de son auditoire à un mauvais jardinier qui sèmerait sans tenir compte du climat, de la saison, de la nature du sol… et qui s’étonnerait de ne rien récolter. Aristote a magistralement analysé ces dispositions de l’auditoire dont l’orateur doit tenir compte. Mais il invite maintes fois à user avec modération des moyens qu’il étudie : il est sûr que Démosthène, à ses yeux, dépasse de loin le « juste milieu ».
6Quelle place accorde-t-il dès lors au pathos, de même qu’à son acolyte l’êthos, parmi les « moyens de persuasions », pisteis ? On sait qu’il n’y a pas une cohérence parfaite du système dans sa Rhétorique (quelle qu’en soit la raison6). Je veux insister sur un aspect qui n’apparaît pas toujours dans les lectures, parfois un peu schématiques, qu’on présente de la Rhétorique, mais auquel les Latins ont été très sensibles.
7L’orateur doit à la fois tenir compte des dispositions de l’auditoire et feindre des dispositions adaptées7. Ces dispositions sont de deux sortes :
8(i) L’êthos est défini dans le Dictionnaire étymologique de Chantraine : « manière d’être habituelle, coutume, caractère ». Traduit en latin par mores, le terme désigne donc le caractère habituel d’un homme, d’un groupe, d’une cité (voire d’animaux). Les êthê constituent un élément stable, constant, doté d’une sorte de force d’inertie, auquel il convient de s’adapter par un mouvement qu’on pourrait qualifier de centripète : tout en inspirant soi-même confiance, il faut tenir compte de l’âge, de la fortune, de la condition de ceux auxquels on s’adresse pour créer une communion de pensée8.
9(ii) Les pathê « sont les causes qui font varier les hommes dans les jugements et ont pour consécution la peine et le plaisir » (II, 1378 a 19-20). Le texte grec comporte en fait deux fois l’idée de modification : ce sont les causes par lesquelles, en changeant (metaballontes), ils sont différents (diapherousi). Partout les pathê sont instabilité, variation, changement : par un mouvement en quelque sorte centrifuge, l’orateur agit sur eux, les modifie sans chercher à « pervertir les juges » (I, 1354 a 24-26) – mais non sans les mimer :
Le style exprime les passions si, quand il y a outrage, le langage est celui d’un homme en colère ; quand il s’agit d’actes impies et honteux, celui d’un homme qui s’indigne et a scrupule même à les énoncer ; quand il s’agit d’actes louables, celui de l’admiration ; quand il s’agit d’actes pitoyables, celui de l’humilité, et pareillement du reste (III, 1408 a 16-19).
10Les passions sont présentées par couples opposés : colère/calme (ou placidité), crainte/confiance, obligeance/ingratitude… L’attitude saine se situe dans l’équilibre du juste milieu. C’est ainsi que le calme (praotês), qui du point de vue de l’éthique n’est pas une passion9, constitue, pour la rhétorique, un état transitoire sur lequel on peut agir : de même qu’il faut souvent calmer la colère, il faut parfois réveiller un peuple qui s’endort dans une sécurité trompeuse, comme Démosthène, qu’Aristote l’approuvât ou non, n’a cessé de le faire.
Le retour du pathétique au ier siècle av. J. -C.
11Sur l’éloquence et la rhétorique en Grèce aux iiie et iie siècle, on ne sait presque rien. Ce qu’en disent les Anciens est fortement romancé et les hypothèses modernes demeurent fragiles. L’influence de le Rhétorique d’Aristote paraît avoir été limitée10 et il semble qu’on s’est peu intéressé aux preuves « morales ». Vers 85, les adaptations latines de traités grecs, l’anonyme Rhétorique à Hérennius et le De inventione de Cicéron ne leur accordent pas de développements spéciaux. On le verra plus loin, le témoignage d’Antoine, dans le De oratore confirme cet effacement.
12À Rome, la tribune est bien plus favorable pour les développements passionnés. Les orateurs sont des hommes politiques importants, dotés d’une forte personnalité. Dans les tribunaux, au contraire de ce qui se passe en Grèce, on n’est pas obligé de se défendre soi-même : les termes de patronus, avocat, et cliens, conservé en français, reflètent l’organisation sociale et l’implication du puissant, protecteur de sa « clientèle ». Pourtant, pendant longtemps, on se défie des beaux parleurs (et des Grecs : les deux vont de pair). La définition de l’orateur par Caton, uir bonus dicendi peritus, « un homme de bien sachant parler », idéalise sans doute la réalité. Il demeure que la majorité de ces dirigeants qui prennent la parole dans toutes les occasions importantes sont possédés d’un sens très fort de leurs responsabilités. Mais la situation change à la fin du second siècle, quand Rome n’ayant plus d’ennemis au-dehors « retourne le fer contre ses propres entrailles11 ». À la suite des tentatives de réforme des Gracques, assassinés, Tibérius en 133, Caïus en 121, les passions se déchaînent dans la vie politique comme dans l’éloquence, situation dont témoigne le De oratore de Cicéron.
13Le De oratore, écrit en 55, est un dialogue qui est censé se dérouler en 91. Les principaux acteurs sont deux grands orateurs de l’époque, Crassus, plus « humaniste », et Antoine, plus pratique12. Cicéron, par leur bouche, tire parti des analyses d’Aristote, sans chercher à les reproduire13. Très conscient du fait que le latin est encore peu apte à exprimer l’abstraction par des substantifs, il transpose ceux-ci par des verbes : le trio des moyens de persuasion, logos, êthos, pathos, devient docere, conciliare (ou delectare), mouere. La modification la plus frappante est l’établissement d’une hiérarchie qui marque le triomphe de l’affectif. Le pathétique acquiert la prééminence dans un monde politique où l’efficacité, la capacité de mener l’auditoire où l’on veut, paraît seule compter. Très révélatrice, l’évocation du procès de Norbanus fournit des exemples frappants de cet emploi privilégié des passions.
14En 95, le tribun Norbanus, accusant Cépion et désespérant de le faire condamner, a suscité une émeute populaire contre lui : des magistrats ont été molestés, l’accusé a failli être lynché. Accusé à son tour en 94, il a été défendu victorieusement par Antoine. Crassus, qui a en particulier affirmé l’utilité d’une formation philosophique pour l’orateur, loue sans la moindre réserve ce succès : « Pour traiter ce sujet délicat, inouï, périlleux, nouveau s’il en fut, ne fallait-il pas une incroyable puissance de talent14 ? » En 91 comme en 55, les troubles civils menacent et vont bientôt éclater : Antoine en sera victime en 87. Tour de force ou pure démagogie ?
15Ainsi encouragé, il explique lui-même comment il a procédé. Pour réfuter l’accusation, il a commencé par docere, en s’appuyant sur des exemples, ces paradeigmata qui représentent, pour Aristote, la forme rhétorique de l’induction : à toutes époques, à Rome, certaines séditions « avaient été légitimes et en quelque sorte indispensables ». Tel est bien le cas actuel : « Or si jamais on avait reconnu que le peuple romain eût le droit de se soulever – chose souvent reconnue, je le prouvais (docebam) –, en aucun cas il n’en avait eu un plus juste motif que dans l’affaire en question » (199). La conclusion de l’enthymème s’impose naturellement.
16Le temps de mouere vient ensuite. L’accusation de Cépion par Norbanus reposait sur sa responsabilité dans une défaite subie en 106 contre les Cimbres. Les chevaliers (equites Romani), qui représentent le pouvoir économique en face du pouvoir politique des sénateurs, ont des raisons particulières de haïr Cépion : non seulement cette défaite a causé la ruine de nombre de leurs établissements en Italie du Nord, mais Cépion a voulu faire voter une loi qui leur retirait le droit exclusif de siéger dans les tribunaux, droit qui leur a été attribué par Caïus Gracchus. Passant de la refutatio à la confirmation (probatio), Antoine exploite à fond cette double rancune :
Puis, donnant un tout autre cours à ma plaidoirie et passant à l’attaque, je reprochai rudement sa fuite à Cépion, je déplorai le désastre qu’avait subi notre armée. Par ce moyen, je ravivais la douleur15 de ceux qui avaient à pleurer des parents, et je réveillais, je rallumais dans le cœur des chevaliers, juges de ce procès, leur haine contre Cépion, qui s’en était déjà fait des ennemis pour avoir voulu leur enlever les jugements (199).
17Les moyens du pathétique sont ceux que préconise Aristote : Antoine modifie les dispositions des auditeurs, ici en réveillant des passions passées (refricabam, renouabam, reuocabam). Une différence semble apparaître quand Antoine en vient à l’« éthique16 » (êthikon), qu’il a évoqué précédemment (182-184), mais dont, comme toujours, le caractère est plus clair si on part des exemples : « Alors je commençai à tempérer le ton véhément et inflexible (generi orationis uehementi atque atroci) de mon discours et j’usai de cette autre manière, toute de douceur et d’aménité (dulcedinis et mansuetudinis), dont je parlais tout à l’heure » (200). Une opposition entre pathétique et « éthique » se manifeste, qui semble être celle de la violence et de la douceur17. Si on s’en tient là, on ne voit plus la filiation avec Aristote et on perd de vue le sens d’êthos – alors que Cicéron a soin d’employer l’équivalent latin mores chaque fois qu’il est question de conciliare18. Il s’agit moins, chez lui, de « l’état habituel » d’un groupe que des sentiments naturels considérés comme universels dans le genre humain. On le voit bien dans la démarche spécieuse, mais efficace, d’Antoine, dans ce qui était clairement sa péroraison.
18Tout semblait contre lui, dit-il, dans le procès, les faits eux-mêmes et l’opinion des honnêtes gens. Pour défendre un individu indéfendable, il n’avait qu’un bien faible motif d’excuse (tenuis quaedam uenia excusationis, 198) : Norbanus avait été son questeur durant son consulat. Voici le parti qu’il en tire :
Je représentai qu’il y allait du sort de mon ancien questeur, que, selon les idées de nos ancêtres, je devais regarder comme un fils ; qu’il y allait presque de tout mon honneur et de ma fortune ; qu’il ne pouvait rien m’arriver de plus honteux, de plus funeste à ma réputation ou de plus cruel à mon cœur, que si, moi qui passais pour avoir sauvé des indifférents, dont le seul titre à mes yeux était d’être des concitoyens, je me montrais incapable de porter secours à un camarade < à qui m’unissaient des liens sacrés (sodali meo)> (200).
19Quel est le sentiment premier et le plus fondamental chez les hommes ? L’amour entre parents et enfants. Voici donc le questeur promu au rang de fils du consul19. Les juges risquent-ils de n’en être pas convaincus ? les maiores, ancêtres communs du peuple romain, apportent, par la bouche de l’orateur, un témoignage que nul n’oserait récuser. La religion de la cité n’est pas absente : sodalis, dont il a fallu donner une traduction glosée, désigne les membres d’une même confrérie religieuse. Au sein de cette grande famille qu’est la cité, sous la protection de ses dieux tutélaires et de leurs desservants, on contemple la douleur d’un père auquel on veut arracher son enfant20. Il ne s’agit plus de diviser, mais de réunir, de faire communier l’auditoire, au-delà des intérêts des différents groupes ou factions, dans les valeurs communes de l’humanitas. Effets « éthiques » pour Cicéron, mais qui relèveraient clairement pour nous du pathétique.
20C’est en exaltant ces moyens relevant de l’affectivité, négligés par les manuels depuis Aristote, qu’Antoine conclut l’évocation de son succès :
Ainsi, dans toute ma défense, je ne fis qu’effleurer et toucher en passant ce qui paraissait relever proprement de la technique rhétorique21, comme la question de la loi Apuleia, la définition du crime de lèse-majesté. Mais je m’attachai à ces deux parties de l’éloquence, dont l’une vise à susciter la sympathie, l’autre à entraîner les âmes, et sur lesquelles les traités des rhéteurs ne donnent pas de préceptes précis […] Et voilà comment, après avoir remué le cœur des juges bien plutôt qu’éclairé leurs esprits, je triomphai (201).
21Les réserves d’Aristote à l’égard de l’usage des passions sont, on le voit, complètement mises de côté : l’éthique même se trouve comme « pathétisé ». N’existe-t-il aucune limite ? Plus de dix ans plus tard, dans son dernier ouvrage, le traité Des devoirs, Cicéron s’interroge sur ce qu’on peut appeler la déontologie de l’orateur. Une seule réserve importante : « Il faut s’en tenir avec soin à cette règle d’action, de ne pas poursuivre un innocent devant les tribunaux quand il y va de sa tête. » D’autre part, « et bien que ce soit à éviter », on peut, aux dépens de la vérité et « pourvu que ce ne soit pas un abominable scélérat » défendre un coupable : « la foule l’exige, la coutume le permet, l’humanité même le demande »22. De fait, pour lui, l’essentiel n’est pas là. S’il admet maints écarts par rapport à la stricte justice dans les procès privés, c’est que, célébrant la toutepuissance de la parole, il l’oppose à la violence des armes, comme garantie de l’état de droit : cedant arma togae. L’image de Démosthène en face de Philippe lui sert de modèle et il ne l’oublie jamais quand il s’agit du haut intérêt de la république. S’il finit par mourir en martyr de la liberté, c’est pour avoir prononcé, lui aussi, ses Philippiques.
Salluste et la mise en cause du pathétique cicéronien
22Au temps du De oratore, Cicéron paraît le maître incontesté de l’éloquence politique et judiciaire. C’est vers cette époque pourtant que, dans des ouvrages aujourd’hui perdus, les critiques se déchaînent contre lui. Quintilien résume ainsi : « ses propres contemporains osaient le prendre à partie, le jugeant ampoulé, asiatique, redondant, abusant des répétitions, froid quelquefois dans la plaisanterie, avec un rythme de phrase maniéré, sautillant et presque (loin de moi cette idée !) trop relâché pour un homme23 ». Le premier fut Calvus, chef de l’école « attique », qui se réclamait lui aussi de Démosthène24, au nom du purisme littéraire. Brutus, guidé par un souci de rigueur morale venu du Stoïcisme, s’associa à ces attaques, critiquant une abondance verbale, copia ou ubertas, qui berce l’auditeur de rythmes mélodieux, mais manque de nerfs et de virilité. On survolera seulement ici une querelle littéraire, qui a fait couler beaucoup d’encre mais dont la portée exacte échappe souvent : retenons que Calvus en tout cas ne remet pas en cause la suprématie du pathos25.
23En 46, dans le Brutus, Cicéron reproche à Calvus la « maigreur » (exilitas) de son éloquence, « réduite par un excès de scrupule » (religione) (Br. 283). Dans l’Orator, il est conduit à approfondir ses analyses, ou plutôt à adapter la théorie rhétorique à sa propre pratique, en associant les trois « styles » et les fonctions de l’orateur26 : seul le style « abondant » (uber, grauis ; en grec, hadros, « bien en chair ») serait capable de mouere. Le pathétique est le propre de l’orateur « majestueux, abondant, grave, orné (amplus, copiosus, grauis, ornatus), dans lequel se trouve à coup sûr la plus grande puissance (maxima uis) […] C’est à cette éloquence qu’il appartient de remuer les cœurs, qu’il appartient de les émouvoir de toutes les façons. Elle se fraie un passage en nous tantôt par la force, tantôt en s’insinuant ; elle implante en nous de nouvelles manières de voir, elle arrache celles qui y étaient implantées27. »
24L’association dans ce beau texte de l’abondance et de la puissance, préparée par les savants détours d’un traité au plan déconcertant, est devenue canonique. Elle ne va pourtant pas de soi. Quand, dans un contexte qui n’est plus polémique, l’auteur du Traité du Sublime compare Démosthène et Cicéron, il attribue au premier l’hupsos, le sublime, image verticale de l’élévation ; au second la khusis, l’abondance, image horizontale du fleuve qui se répand largement (image présente dans l’Orator). Le Romain est comparé ensuite à l’incendie, le Grec, maître apparemment du pathétique le plus authentique, à la foudre28 (12, 3-4).
25Il est difficile de savoir ce que l’historien Salluste doit à Calvus et à son groupe. Mais son œuvre, au contraire des leurs, est conservée et permet d’analyser plus concrètement ce qui paraît une critique implicite du pathétique cicéronien et qui marque en tout cas, quelques années plus tard, une exigence nouvelle en ce domaine. Pour éviter la dispersion je citerai surtout ici Catilina, récit de la conjuration de 63, écrit vers 42, dans la période instable du second triumvirat. Rien de plus sommaire ni de plus arbitraire que les jugements longtemps portés sur les options politiques de Salluste par des critiques plus attentifs à ce qu’on croit savoir de sa biographie qu’à l’analyse de sa pensée. Ainsi a-t-on voulu faire de lui l’ennemi acharné de Cicéron. On est revenu à des vues plus mesurées29. Salluste mesure exactement ses mots (c’est, on va le voir, un de ses soucis constants), lorsqu’il parle de l’optimus consul, ou quand il qualifie la première Catilinaire d’orationem luculentam atque utilem rei publicae (31, 6) ; il situe l’orateur à une place certes éminente, mais qui n’est pas celle que le « Romulus d’Arpinum30 » a voulu lui-même s’attribuer. Seuls, dit-il, deux de ces hommes exceptionnels qui ont fait la grandeur de Rome ont vécu à son époque, Caton et César.
26C’est dans la bouche de ce dernier qu’il place, lors du procès des Catiliniens, une mise en garde contre l’inflation verbale et les effets faciles de l’hypotypose :
La plupart de ceux qui ont donné leur avis avant moi ont eu des accents d’un art admirable pour déplorer les malheurs de la république. Ils ont énuméré les horreurs de la guerre, le triste sort des vaincus : rapt des jeunes filles, des jeunes garçons, enfants arrachés aux bras de leurs parents, mères de famille soumises au caprice des vainqueurs, temples et maisons pillés, meurtres, incendies, enfin partout des armes, des cadavres, du sang, des deuils. Mais, par les dieux immortels, à quoi tendaient de tels propos ? À vous faire détester la conjuration ? Sans doute celui qu’une chose (res) aussi grave, aussi atroce n’a pu émouvoir, un discours (oratio) l’enflammera-t-il31 !
27L’avertissement s’accorde au contenu du lucide discours de César32, équivalent de la fameuse formule « ne touchez pas à la hache ». Elle s’accorde aussi à ce qu’on sait de ses idées littéraires. La formulation est cependant toute sallustéenne. La suite l’est plus encore, lorsqu’à la critique de la passion inconsidérée s’associe une analyse précise de l’usage qui est fait des mots : « Plus grande est la fortune, moins grande est la liberté. Toute préférence, toute haine doit être écartée, et plus que tout, la colère. Ce qu’on appelle emportement (iracundia) chez les autres, prend, quand on est au pouvoir, le nom d’orgueil et de cruauté (superbia atque crudelitas) » (Id. 13-14).
28Un texte, fort remarquable au demeurant, paraît avoir agi comme révélateur pour Salluste, car les échos en sont partout dans son œuvre, l’analyse par Thucydide des effets de la guerre civile :
Les hommes en vinrent, pour qualifier les actes, à modifier arbitrairement le sens habituel des mots. L’audace insensée passa pour du courage et du dévouement au parti, l’attentisme prudent, pour de la poltronnerie dissimulée sous des apparences honorables, et la modération, pour le masque de la lâcheté […]. Les précautions que certains voulaient prendre avant d’agir passaient pour de beaux prétextes dissimulant une dérobade. Chaque fois, c’était aux forcenés qu’on faisait confiance et l’on se défiait de ceux qui les contredisaient33.
29Sans cesse, Salluste scrute le sens des mots, et ce qui se cache en réalité derrière eux. Dans Catilina, c’est en 70, année du consulat de Pompée et de Crassus, que triomphe une hypocrisie générale : « tous ceux qui, depuis cette époque, ont jeté le trouble dans la république sous de beaux prétextes (honestis nominibus), les uns se posant en défenseurs du peuple, les autres pour donner toute sa force à l’autorité du sénat, tout en alléguant (simulantes) le bien public, travaillaient chacun pour leur propre puissance » (38, 3). Il prendra ensuite conscience que le mal remonte bien plus loin34.
30Salluste ne se contente pas de dénoncer. Il montre directement le pouvoir malfaisant des mots dans les propos de Catilina, maître manipulateur, à ses complices (mais l’Antoine du De oratore, avec sa désinvolture à l’égard de la légalité républicaine, ne lui indiquait-t-il pas le chemin ?) :
Si votre valeur et votre loyauté ne m’étaient bien connues, c’est en vain que l’occasion favorable se serait offerte ; en vain aurions-nous eu un grand espoir, le pouvoir absolu sous la main ; et moi-même je n’irais pas lâcher pour l’incertain le certain, si je n’avais pour appui que des esprits lâches ou frivoles. C’est parce qu’en de nombreuses et graves circonstances j’ai reconnu votre bravoure et votre fidélité envers moi que mon cœur a osé entreprendre la plus grande et la plus belle des tâches ; c’est aussi parce que j’ai compris que biens et maux étaient communs entre vous et moi ; car une communauté des aspirations et des refus, tel est le seul vrai fondement de l’amitié (20, 2).
31Quintilien se réfère à ce discours pour montrer qu’un homme, aussi méchant soit-il, cherche à ne pas le paraître (III, 8, 44-45). Il y a plus ici. Magnifique programme en effet que celui qu’annoncent d’emblée uirtus fidesque – deux des plus hautes vertus romaines. Virtus, dans la tradition romaine, désigne les qualités du uir, homme digne de ce nom, citoyen et soldat ; dans la langue philosophique le mot a fourni l’équivalent du grec aretê, « excellence morale ». Fides (à qui Numa avait dressé un temple, aux origines même de Rome) désigne en quelque sorte la transparence dans les rapports humains : à la loyauté de l’un répond la confiance de l’autre35. De même, à la fin de cet exorde, la notion du partage des mêmes valeurs comme fondement de l’amitié philosophique, répond aux idées qu’exprime Cicéron dans le De amicitia. Les honesta nomina, termes et formules les plus propres à exalter et à entraîner l’âme du Romain, accoutumé à les révérer dès l’enfance, fût-il un scélérat, sont mis au service du projet de Catilina.
32Qu’en est-il en réalité ? Comme l’indiquait Thucydide, tout contenu moral a disparu. Virtus s’oppose à ignauia, « lâcheté » : seul demeure le courage physique – incontestable chez des vétérans qui rêvent de reprendre les armes. Quant à fides, quand les deux substantifs sont repris par des adjectifs, fortis fidosque mihi, le pronom personnel indique de quelle fidélité il s’agit : la fidélité au chef de bande, qui s’appelle ailleurs loi du milieu ou omertà. Catilina et ses auditeurs ont en commun eadem bona malaque : on est passé du plan moral au plan le plus matériel. Les intérêts sont communs, parce que la situation actuelle est déplorable pour eux, ruinés et écrasés de dettes, tandis que la situation future sera bonne (spes magna), quand, en mettant le république à feu et à sang, on possèdera la dominatio, « pouvoir absolu » au sens de « tyrannie ». C’est bien là ce que recouvre idem uelle atque idem nolle. Voici les grands mots et les grands principes qui sont censés être les garants de l’état de droit, mais dont Cicéron a montré toutes les capacités d’adaptation, mis au service de sa destruction par la violence. Ce n’est pas sans ironie que l’historien fait utiliser par Catilina la célèbre formule qui ouvre la première Catilinaire : quae quousque tandem patiemini, o fortussimi uiri ? (20, 9).
33Salluste le proclame, la carrière politique a perdu toute signification et il n’est plus possible d’agir utilement par l’éloquence. C’est dans l’histoire que s’exprime le pathétique sallustéen36, qui évite les facilités de l’amplification, compagne de la certitude de l’avocat et/ou du démagogue. Cette conversion n’est pas renoncement. Historien engagé, il s’adresse à ses compatriotes et cherche à les convaincre. La fin de la monographie pose sobrement de terribles questions. Dans l’interaction qui s’est établie entre une cité pervertie et un chef criminel, mais supérieurement doué (5, 8 ; 14, 1), celui-ci apparaît en somme comme une « ruse de la raison37 ». Malgré sa défaite, le mal demeure et l’acharnement héroïque de Catilina et de ses partisans témoigne de la profondeur de ses racines :
Catilina, lui, fut trouvé loin des siens au milieu des cadavres ennemis ; il respirait encore un peu et conservait sur son visage cet air de violence et d’orgueil qu’il avait durant sa vie. Enfin de toute cette armée, ni dans le combat, ni dans la fuite, aucun citoyen de naissance libre ne fut fait prisonnier ; tous avaient aussi peu épargné leur vie que celle de leurs adversaires. Pourtant la victoire remportée par l’armée du peuple Romain n’était pas de celles qui ne coûtent ni larmes ni sang. Les plus braves étaient tombés en combattant ou s’étaient retirés grièvement blessés. En outre nombre de soldats, sortis du camp pour visiter ou pour piller le champ de bataille, découvraient en retournant les cadavres ennemis qui un ami, qui un hôte ou un parent ; quelques-uns aussi reconnaissaient des adversaires personnels. Ainsi par toute l’armée régnaient des sentiments divers, où se mêlaient allégresse et chagrin, deuil et joie (61, 4-9).
34Dans cette évocation finale du champ de bataille, la concision et l’extrême tension entre les mots s’accordent à l’angoisse que veut communiquer l’historien devant une situation apparemment sans issue. La parole du politique, qui est directement action, a fait place à une parole qui se veut à la fois diagnostic et invitation passionnée à réfléchir pour chercher des remèdes, mais il s’agit toujours de « faire varier les hommes dans leurs jugements ».
35C’est bien en fait dans la perversion du vocabulaire que Rome trouvera une solution. En 27, la république fait place à une monarchie, mais le vainqueur des guerres civiles, pour légitimer ce qui n’est en réalité que le droit des armes, préserve le vocabulaire républicain. Qualifié lui-même de princeps, il n’est pas un rex, titre honni, mais le premier des citoyens. Dans ses Res gestae, il se présente dès 44 comme le champion de la libertas. Saisissante illustration de ce que Salluste a dénoncé.
L’adieu au pathos
36Si les avertissements de Salluste n’eurent guère d’effet sur la politique romaine, l’admiration pour son œuvre fut vive et son influence importante. Au premier siècle de notre ère, l’ampleur cicéronienne a fait son temps, densité et concision triomphent, associées souvent au pathétique, dans les grands comme dans les petits genres : alors apparaît la « pointe » de l’épigramme. Sous l’hypocrisie du nouveau régime, la lucidité demeure : « Parmi les peuples qui supportent la royauté, notre sort est le pire », écrit Lucain, « car être esclaves nous fait honte » (VII, 444-445). Alors que le peuple ne joue plus aucun rôle dans la vie politique, que les élections des magistrats et les procès importants dépendent du prince, quelle place subsiste pour la « grande » éloquence ? Pourtant loin de se résigner, on ne cesse de s’interroger : pourquoi l’éloquence n’a-t-elle plus le même éclat que sous la république ? comment lui restituer toute sa force ?
37C’est à l’école, a-t-on dit, qu’elle se réfugie alors. De fait les maîtres de rhétorique, que nous connaissons surtout par le recueil de Sénèque le Père, fleurissent alors avec un grand succès. On a beaucoup critiqué leurs sujets « artificiels », leur recherche de la formule frappante, leur pathétique constant. On apprécie mieux aujourd’hui les beautés que leur doivent Sénèque, Lucain, Tacite – et bien d’autres38. Le risque est cependant de perdre le souci premier de l’efficacité.
38Tous ne le perdent pas. Sous les « mauvais princes », de Tibère à Néron, puis sous Domitien, brillent des orateurs qui, comme délateurs, acquièrent d’énormes fortunes grâce à ce que Tacite appelle « une éloquence de lucre et de sang » (Dial. 12). Retenons la formule de l’un des plus grands et des moins recommandables, Régulus : iugulum statim uideo, hunc premo, « je vois aussitôt la gorge et là, je serre » (Plin., Ep. I, 20, 14). Le maître vénéré du respectable Quintilien39, Domitius Afer, fut un délateur dépourvu de tout scrupule (Tac., Ann. IV, 52). Et Quintilien lui-même montre que l’élève doit dès l’école apprendre à « frapper les organes vitaux (ferire uitalia) de l’adversaire, et à protéger les siens » (V, 12, 22). – tout en proclamant toujours la vieille définition de l’orateur comme uir bonus dicendi peritus.
39Cette opiniâtreté ne peut être éternelle. Le verdict définitif apparaît vers 102 sous la plume de Tacite, dans le Dialogue des Orateurs : il n’y a plus de place, sous un régime absolu, pour cette éloquence qui, comme le disait Cicéron, « remue les cœurs et à qui il appartient de les émouvoir de toutes les façons ». Il faut lui dire adieu sans regrets :
Nous ne parlons pas d’une chose calme et tranquille, amie de l’honnêteté et de la modération. Non, cette grande et glorieuse éloquence d’autrefois est la fille de la licence, que des sots vont appelant liberté, la compagne des séditions, l’aiguillon d’un peuple sans frein ; ne connaissant l’obéissance ni le sérieux, opiniâtre, téméraire, arrogante, elle ne naît pas dans les États doués d’une sage constitution40.
40Terrible condamnation de ceux qui se sont voulus les émules de Démosthène. Tacite pense-t-il à Aristote, déclarant que ces orateurs n’ont le droit de parler pathêtikôs que « du fait de l’imperfection des constitutions » ? La mention de la Macédoine parmi les états qui doivent servir de modèles, invite à le penser. La condamnation des démocraties est sans appel : « Chez les Rhodiens, il y eut quelques orateurs, chez les Athéniens, il y en eut beaucoup, parce que tout était au pouvoir du peuple, au pouvoir de gens incompétents, et, pour ainsi dire, au pouvoir de tout le monde » (Id., 3). Celle de la république romaine, pire encore : « Pour la république, l’éloquence des Gracques ne valait pas qu’elle supportât aussi leurs lois et la renommée oratoire de Cicéron a été payée trop cher par sa fin » (Id., 3-4).
41Reniement ? Bien que, dans le Dialogue, celui qui s’exprime ici soit Maternus, le plus proche de l’auteur, on devine, dans l’outrance même, une profonde amertume. Alors que déjà, en 100, Pline le jeune, ami très proche de Tacite, a prononcé le Panégyrique de l’empereur, modèle pour ceux qui suivront, lui-même se tourne, comme Salluste, et sans doute à son exemple, vers l’histoire. Mais l’histoire de Salluste conservait des liens avec l’éloquence puisqu’elle visait, en dépit de son pessimisme, à une prise de conscience et à un sursaut. Selon Quintilien, l’histoire est « très proche de la poésie (proxima poetis) et, dans une certaine mesure, un poème en prose (carmen solutum) », car elle n’est pas composée « pour agir sur les événements ni pour un combat actuel » (X, 1, 31). Peignant avec prédilection des périodes de crimes et de violence, c’est sans projet d’agir sur un peuple avili ou sur des princes que le pouvoir risque à tout instant de corrompre, sans illusions sur l’humanité en général, que Tacite suscite pitié, horreur – et fascination41.
42Ainsi Rome en finit-elle avec une certaine idée de l’éloquence. Le modèle, pendant plus de deux siècles a été l’orateur à la fois charismatique et sage, maître et régulateur des passions. Cette éloquence généreuse implique un engagement total, engagement intellectuel et moral, mais également physique, car la parole est toujours en compétition avec la violence et les armes : de même que Démosthène a été contraint au suicide, pensons à la façon dont sont morts, pour s’en tenir à ceux que j’ai mentionnés, les Gracques, Antoine, César, Cicéron, Brutus… On est loin ici de la mesure que préconisait Aristote. Sa morale des passions modérées n’est guère mentionnée à Rome que pour être critiquée42. La tiédeur de la vie quotidienne ne paraît qu’un pis-aller, Rome aspire à l’exaltation, à l’excès, au bigger than life43. On ne paraît à l’aise que dans l’intensité. Quand Salluste et Tacite se convertissent à l’histoire, c’est pour peindre des monstres hors pairs, Catilina, Caligula ou Néron.
43Le rôle d’Aristote est autre. Les analyses de la Rhétorique satisfaisaient pleinement le besoin d’ordre et d’organisation qui est également un trait du génie latin. Grâce à lui ou à sa suite, l’orateur sait où il va, quand il déchaîne les passions ou, ce qu’il aime moins, les apaise. S’il compte peu sur le logos pour convaincre l’auditoire, c’est qu’il s’en réserve jalousement l’usage. Si la trajectoire qui s’achève avec Tacite peut apparaître comme exemplaire, c’est que jamais, me semble-t-il, on n’a vécu avec tant de ferveur l’union de la passion et de la lucidité.
Notes de bas de page
1 Littérature grecque, Paris, PUF, 1980, p. 147.
2 BOMPAIRE J., L’apothéose de Démosthène, de sa mort à la seconde sophistique, Bull. de l’Assoc. G. Budé, 1984, p. 17-26.
3 Rhet. III, 1408 a 23-25 ; trad. É. Dufour-Wartelle.
4 Cf. DELARUE F., Cicéron et l’invention du regard, L’Inf. Littéraire, 36, n°, 2004, p. 32-41.
5 Rhet. III, 1403 b 32-35 ; sur « L’imperfection des constitutions », cf. I, 1354 a 18-20.
6 Le problème est comparable pour la Poétique : voir sur ce point l’édition de CHIRON, P. (GF Flammarion, 2007), p. 43-55.
7 Aristote emploie le verbe diakeisthai, « être dans telles dispositions », II, 1377 b 27, 28 et 30
8 Six chapitres sont consacrés aux êthê des auditeurs (II, 12-17), moins de 25 lignes à l’êthos de l’orateur (I, 1356 a 4-13 ; II, 1378 a 6-19).
9 Mais l’incapacité à se mettre en colère quand il y a lieu est un défaut : Eth. Nic., IV, 1125 b-1126 a.
10 BARNES J., « Roman Aristotle », Philosophia togata II, Plato and Aristotle in Rome, in J. Barnes et M. Griffin (éd.), Oxford, 1999, p. 1-69.
11 Cf. Virg., Aen. VI, 833 ; Luc. I, 3.
12 Antoine (grand-père de l’amant de Cléopâtre) a été consul en 99, censeur en 97 ; Crassus, consul en 95, censeur en 92.
13 Sur la connaissance de la Rhétorique d’Aristote par Cicéron, J. Barnes, op. cit., p. 50-54.
14 De or. II, 124 ; trad. Courbaud modifiée.
15 Dolor est la traduction qu’a essayée Cicéron pour pathos (De or. III, 96).
16 Comme pour désespérer les esprits systématiques, les termes employés pour résumer l’effet obtenu par le développement pathétique sont ceux mêmes qui ailleurs caractérisent l’êthikon : populi beneuolentiam mihi conciliaram.
17 Ce sera le cas dans le Traité du Sublime (9, 15 ; 29, 2) ou chez Quintilien (VI, 2).
18 De or., II, 121, 182, 183, 184, 213 (cf. 241, 243, 327). Cf. Quint. VI, 2, 8-9 ; 13 ; 17 ; 26.
19 C’est ainsi qu’on a parfois dit chez nous que le colonel était le père du régiment. Les fonctions du questeur sont d’ordre financier.
20 Sans que l’idée soit explicite chez Cicéron, on rapproche éthique et comédie, pathétique et tragédie : dans la comédie, les familles finissent par se réconcilier ; dans la tragédie, elles s’entre-tuent.
21 Quod esse in arte positum uidebatur : ars (oratoria) traduit tekhnê rhêtorikê.
22 De officiis, II, 51 ; trad. Bréhier.
23 Quem tamen et suorum homines temporum incessere audebant ut tumidiorem et asianum et redundantem et in repetitionibus nimium et in salibus aliquando frigidum et in compositione fractum, exultantem ac paene (quo procul absit !) uiro molliorem (XII, 10, 12).
24 Cf. Sénèque le Père, Contr. VII, 4, 8. Tout porte à croire que la référence à Lysias (sans doute à propos de la pureté du vocabulaire) a été exploitée et systématisée par Cicéron.
25 On trouvera un résumé par A. VIDEAU (avec bibliographie) de ce qu’on sait sur ce sujet dans l’article « Atticisme, Asianisme » du récent Dictionnaire de l’Antiquité (Paris, PUF, 2005).
26 Cf. A. E. DOUGLAS, « A ciceronian contribution to rhetorical theory », Eranos, LV, 1957, p. 18-26. F. DELARUE, « Comment Cicéron adapte la théorie rhétorique à sa propre pratique », dans Le genre de travers, La Licorne (à paraître en 2008).
27 Orator, 97 ; trad. A. Yon.
28 Déjà Démétrios, dans son traité Du style (vers 100 av. J. -C. ?), distinguait le grand style (megaloprepês : magnifique, majestueux) et le style véhément (deinos), représenté par Démosthène.
29 Voir p. ex. R. SYME, Sallust, Cambridge, 1962, p. 105-111.
30 La formule Romulus Arpinas figure dans la brillante Invective contre Cicéron attribuée, sans doute à tort, à un Salluste plus jeune. Elle fait allusion à un poème de Cicéron à sa propre gloire.
31 Catilina, 51, 9-10 ; trad. ernout modifiée.
32 On est en revanche surpris de voir combien les critiques modernes, quasi unanimes à prendre le parti de Caton, sont assoiffés de sang.
33 Thucydide, III, 82, 4-5 ; trad. D. Roussel. – Sur Démosthène, très présent également, surtout dans les discours, P. PERROCHAT, Les modèles grecs de Salluste, Paris, Belles Lettres, 1949, p. 73-83.
34 Après la chute de Carthage (146) dans Jugurtha (41, 5) et les Histoires (I, 12 M.).
35 Cf. HELLEGOUARC’H J., Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Belles Lettres, 1963, en part. p. 244-245 (uirtus) et 27 (fides, « confiance mutuelle »).
36 Quintilien oppose Thucydide et Salluste, historiens pathétiques, à Hérodote et Tite-Live, historiens « éthiques » : voir II, 5, 19 ; X, 1, 73 et 101 (cf. 32).
37 Il en va de même pour Marius, dans Jugurtha.
38 Au-delà des fantaisies de Pascal Quignard, considérons cette controverse : un brave qui a perdu ses deux bras, est outragé (o acerbam mihi uirtutis meae recordationem ! o tristem uictoriae memoriam ! Ille onustus modo hostilibus spoliis uir militaris…) et fait appel à son fils : quid ridetis, inquam ? habeo manus. Vocaui filium (I, 4, 1). Il me paraît sûr que le Don Diègue de Corneille doit quelque chose à ce vieillard humilié.
39 Quintilien, qui écrit vers 95 l’Institution oratoire fut lui-même le maître de Pline le jeune et peut-être de Tacite.
40 Dial., 2 ; trad. Bornecque modifiée.
41 Une étude du pathétique relèverait ici de la Poétique, non de la Rhétorique : la situation du lecteur est celle du spectateur de théâtre.
42 Paradoxalement, chez Cicéron et chez Sénèque, en se référant au Stoïcisme qui, lui, condamne sans appel les passions. Il serait intéressant de considérer ici l’influence de Platon, non celui du Gorgias, mais celui du Phèdre, où sont intimement associés amour et éloquence. Les Anciens ont cru (à tort) que Démosthène avait été l’élève de Platon.
43 Qu’on lise par exemple dans le César de CARCOPINO J. la description des triomphes hollywoodiens de César.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Comparer l’étranger
Enjeux du comparatisme en littérature
Émilienne Baneth-Nouailhetas et Claire Joubert (dir.)
2007
Lignes et lignages dans la littérature arthurienne
Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe (dir.)
2007