Au nord-est du Brésil
p. 211-217
Texte intégral
Jorge Amado, le vieux marin de Bahia
1Si toute l’œuvre de Jorge Amado nous ramène au Nordeste brésilien et à sa capitale, cette Bahia de tous les saints (1935) dont il est, sans nul doute, le chantre souverain, si Tereza Batista (1972) – la petite pute qui ne trouvera le bonheur qu’entre les bras d’un honnête cangaceio –, ou Dona Flor et ses deux maris (1966) – celle qui, dans son désir et son délire, couche à la fois avec son second mari et avec le fantôme du premier – nous font approcher la rude misère de cette région déshéritée sans rien retrancher à la truculence et à l’érotisme qui sont chez cet écrivain l’expression d’un insatiable appétit de vivre, nous voulons ici privilégier un roman un peu à part, quoique majeur dans sa production : Le vieux marin (1961).
2Le livre nous transporte au faubourg de Bahia, Periperi, lieu de villégiature où survit et s’ennuie tout ce que la cité produit de petits retraités de classe moyenne. Le thème en est la vérité, la vérité au fonds du puits, la vérité toute nue, la vérité qui a son heure, si difficile à deviner, à reconnaître dans l’écheveau des divers récits qui la dessinent. Il y a donc ce capitaine au long cours, Vasco Moscoso de Aragon, qui débarque un beau jour avec ses coffres, sa boussole, son gouvernail, son télescope, son chronographe et cette pipe exotique des plus « kitsch » dont « le tuyau représentait des jambes et des cuisses nues de femme, le fourreau lui modelant le buste et la tête »… Le commandant Vasco porte une veste qui ressemble à « celle qui ornait la couverture d’un roman d’aventures, sur l’océan, l’histoire d’un fragile voilier perdu sur une mer de bourrasques et de sargasses ». Oui, vraiment, il a tout pour être le parfait navigateur qui a bourlingué de par le vaste globe et qui raconte inlassablement et à tout propos à la galerie ébaubie ses aventures fantastiques : ici l’iceberg glissant vers son bateau menacé du même sort que le Titanic, là les requins de la mer Rouge qu’il tua avec ce couteau accroché au mur de sa chambre, et son pauvre Giovanni, l’ami fidèle, pour lequel il a fait un détour de quarante-huit heures afin de balancer son cadavre dans les eaux italiennes, « défendant le droit de ses matelots à être jetés dans la mer de leur patrie, à être dévorés par des poissons aux noms familiers », et pour ce faire bravant Menéndez, le tyrannique armateur espagnol. A-t-il aimé, le vieux capitaine ? Ah ! les mauresques, les plus ardentes de par le monde ! mais surtout cette femme dont il porte le nom tatoué sur l’avant-bras, Dorothy, une passagère mariée à un négociant imprévenant nommé Robert ; une femme divine pour laquelle il renonce à son commandement et à la marine et, se faisant débarquer au port de Makassar, il vit l’amour fou jusqu’à ce que les fièvres aient raison de la pauvre Dorothy… Avec tous ces fabuleux récits, à la verve jumelle de celle de García Márquez, voilà nos retraités sauvés de l’ennui, et leurs longs après-midi peuplés de merveilleux. Notre vieux marin devient le roi du faubourg et, sanglé dans son bel uniforme, suprême consécration publique, le parrain de la fête annuelle.
3Oui, mais voilà l’envie qui se manifeste à travers l’antipathique Chico Pacheco, éternel chicaneur en procès permanents contre l’administration, qui passe son temps à abreuver ses voisins des péripéties rabâcheuses d’inlassables procédures. Lui, le prosaïque, le bureaucrate, il sait, il sent que la vérité est, peut-être, au plus bas, il veut crever les belles bulles multicolores des rêves d’évasion, dégonfler les baudruches de l’illusion. Sa vérité à lui c’est, bien sûr, que Vasco Moscoso de Aragon n’a de vieux marin que le prénom – évoquant, certes, l’illustre Vasco de Gama, le navigateur portugais – et qu’il a tout à fait une tête de négociant en morue. Voilà, dès lors, le récit embarqué sur l’autre versant, la voie d’un Walter Mitty1 brésilien qui, dans la médiocrité de sa condition d’héritier d’une firme de morue en gros, se projette en de multiples héros : médecin, marin, etc. Giovanni, justement, fut marin et bavard avec le petit Aragonzinho, et il n’est, bien sûr, que ce pauvre Noir, portefaix ignominieusement chassé de la boutique par Menéndez, l’odieux comptable – « La maison m’a mangé les chairs, maintenant on veut jeter les os dehors », s’écrie-t-il en une phrase truculente et terrible, bien dans la manière d’Amado… Et Dorothy n’est qu’une fille entretenue par Robert, un brutal ami, etc. Mais quoi, le « vieux marin » serait-il un imposteur, et seulement cela ? Un événement fortuit en fournira le démenti (en fait, la preuve !) et servira de couronnement glorieux à cette histoire : un bateau entre dans le port, mais son capitaine a disparu ; qui va se charger de le manœuvrer, dans l’urgence et le secours ? Tout le monde se tourne vers ce capitaine si averti et qui affiche si hautement sa compétence sur toutes les mers du monde. Le voilà donc hissé à la dunette et donnant ses ordres : combien de câbles pour amarrer le navire ? Tous les câbles et toutes les cordes et tous les ris…, oui les rires des compères qui voient bien que le marin n’en est pas un et pour cela exagère des précautions jugées ridicules dans le port de Bahia. Sauf que… un cyclone vient à passer qui emporte toutes les embarcations et drosse tous les bateaux, à l’exception de la glorieuse nef si fortement ligotée par le vieux capitaine. Applaudissons-le, oui, c’est bien le roi des navigateurs et le nouvel Amiral de la Mer Océane. On aura compris que ce livre est de tendresse et de chaleur. Un des plus beaux d’Amado, le plus émouvant assurément. Car c’est le livre d’un vieil homme, et le regard qu’il porte sur les êtres et les choses satisfait « une vieille faim à rassasier » de plaisir des sens. Dans un univers de menaces, d’injustice et de guerre – dont portent témoignage les écrivains qui suivent –, au crépuscule de Bahia, laque d’or sous soleil d’agonie, la vérité c’est toujours « le rêve qu’il nous est donné de rêver pour fuir notre triste condition ». Pour en finir avec la lèpre bureaucratique, avec l’avanie politique, pour décrasser la monotonie des yeux de solitude et conjurer le malheur, ah ! qu’il nous parle, qu’il nous en raconte encore, ce vieux marin de Jorge Amado, et que s’ouvrent grandes les portes de la fable !
Les angoisses de Graciliano Ramos
4Sertanejo par la naissance, en familiarité avec le Nordeste brésilien génialement mis en coupe et analysé par Euclides da Cunha dans Le Sertan [Os Sertões], cet immense désert où la faim le partage à l’aridité – il en donnera une inoubliable vision dans son chef-d’œuvre Sécheresse (1938), plus tard porté à l’écran, avec ces misérables retirantes (les paysans fuyant vers la côte) du sertan, pris dans la spirale infinie de la fuite en rond –, Graciliano Ramos est aussi, est d’abord l’écrivain de l’âme tourmentée, de cette angoisse existentielle, de ce vertige de l’échec qui le poussent à une introspection douloureuse qui n’est jamais repli dans les abysses intérieurs, mais paupière ouverte sur les problèmes de crise et de société. N’oublions pas que cet homme fut engagé politiquement et incarcéré un an pour ses idées communistes – on publiera à sa mort ses Mémoires de prison (Memórias do cárcere, 1953). Écrivain de l’économie et de la retenue, son style est d’un dépouillement total. Saluons, donc la publication en 1998, en France (Gallimard), d’un recueil de nouvelles paru au Brésil en 1947 et intitulé sobrement Insomnie.
5L’insomnie, en effet, habite le premier des treize récits. Comment faire pour ne penser à rien, pour éluder la question primordiale – « Oui ou non ? » –, pour oublier le « une deux » d’une horloge martelant une réalité excessive ? Quelle est cette présence dans l’ombre de la chambre où le gisant se paralyse au lit, incapable d’échapper à ces créatures de nuit qui le harcèlent ? « Le silence est un brouhaha confus », confesse-t-il quand le rien s’envahit du tout en secouant les os du malheureux dormeur. On sent bien de quels liens ce dernier livre se rattache au précédent, Angoisse (1936). L’angoisse c’est justement celle de ce voleur qui tourne en rond dans la maison où ronflent les bienheureux et qui ne sait où donner du crochet, mais qui finira par succomber à la tentation d’un sein nu d’une belle endormie, et ce baiser volé entraînera – on le devine – sa chute au cachot des frauduleux. Que de vies dévastées ! Tiens, ce malheureux médecin de quartier qui retrouve son ami d’enfance – ils étaient comme deux doigts de la main – devenu gouverneur et qui vient, non pas quêter une faveur (même si c’est finalement le seul mot qui sortira de ses lèvres pétrifiées), mais regretter seulement ce saut de vingt années et toute cette malheureuse distance entre deux destins. Tiens, ce piètre écrivain qui méconnaît son lecteur, tout grisé par le seul mot d’« intellectuel », si flatteur, et dont les pattes de mouche ne sont, finalement, que des chiures d’encre. Admirable, oui, Gracialiano Ramos, qu’on peut lire dans la rangée des chefs-d’œuvre, entre Kafka et Italo Svevo, chantre d’un moi décomposé, dans un décor qui n’a que peu à voir avec le fameux « Brésil, ô pays tropical » chanté dans quelque samba de pacotille, avec en dernier lieu l’admirable image d’ultimes affres où le malade perçoit la part de son corps pourri comme un autre détestable « au sourire répugnant et visqueux », et au regard « sans yeux », tandis que « le poignard tourne dans la plaie qui [le] tue ». C’est au fond de ce gouffre d’insomnie, d’angoisse et d’agonie que Gracialiano Ramos touche aux cimes de l’écriture.
João Ubaldo Ribeiro, le dernier homme du Sertan
6Deux romans exceptionnels retiennent ici notre attention, Sergent Getulio, paru en France en 1978, et Vila Real, en 1986, tous deux chez Gallimard. Nous avons fait jusqu’ici la part du romanesque dans l’écriture latino-américain et tracé le destin de l’héritage du xixe siècle – siècle du roman – et pouvons d’autant mieux souligner ce qui s’en sépare le plus. L’écrivain qui s’installe à sa table et campe des personnages, brosse des décors, construit une histoire, voilà qui ne saurait ici convenir. Ni la rationalité du fil narratif, ni sa progression, son dramatisme, ni toutes ces catégories esthétiques qui nous viennent – lointainement – d’Aristote n’ont vraiment droit de cité dans l’écriture qui nous préoccupe. Est-ce la folie caraïbe ? la touffeur tropicale ? voyez le jaillissement verbal d’un Cabrera Infante. Et ce Sergent Getulio de l’alors jeune romancier brésilien Ubaldo Ribeiro peut être accueilli comme une révélation, à l’instar de cette autre grande œuvre, inclassable, d’Osman Lins, Avalovara (découverte en France par Maurice Nadeau en 1975).
7L’intrigue nous est donnée par l’auteur en exergue : « Dans cette histoire, le sergent Getulio conduit un prisonnier de Paulo Alfonso à Barra dos Coqueiros. C’est une histoire de vertu. » L’argument et aussi la perspective du récit : comment s’en débarrasser ? Mais l’histoire, comme tant d’autres titres latino-américains examinés, n’est ici que prétexte à l’écriture. La langue peut alors, dans une incroyable libération de toute entrave – situation, description, psychologie, progression dramatique et autres oripeaux voués ici à la corbeille à papiers –, rendre compte de tout ce qui échappe à notre vestiaire – bestiaire ? – habituel : le flux bousculé des mots, les mythes et croyances d’un peuple venu d’ailleurs, le débridement de l’imaginaire.
8Le personnage du titre est un affreux, un homme de main au service d’un parti politique dans le Brésil des années cinquante, qui s’empare d’un leader rival pour le conduire à son « employeur ». En fait, Getulio ne comprend pas bien qu’on n’élimine pas radicalement ce gêneur : « Pour moi, c’était tout vu, la tête dans une gibecière, remise bien emballée avec des papillotes », déclare-t-il à celui qu’il nomme « la peste », alors que, lui dit-il, « ta chance c’est qu’ils vont vouloir un jugement, il y a des journalistes en ta faveur, c’est un système ». Un système où il n’entre pas, celui de la politique et ses enjeux, un système propre à un autre monde, la ville, le lieu – malgré tout – de la civilisation, alors qu’il n’est lui, qu’un homme du sertan, ce sertan qu’on a appris à connaître à travers le film de Glauber Rocha2 et ses Cangaceiros, à travers ce cinema nôvo des années soixante.
9« Je vis errant, c’est tout », déclare Getulio dans le soliloque ininterrompu qui constitue ce livre. Qu’attendre d’un être qui s’est nourri de boue (oui, de tout temps on a mangé de la terre au Brésil) et a passé son enfance à s’enduire de soufre pour lutter contre la vermine, guettant les urubus, ces charognards « claquant du bec et ufeufant des ailes » qui, lorsqu’ils s’éveillent à la dure loi du sertan et découvrent leur nécessité de dévorer les cadavres humains, vomissent de dégoût (« Eux ils nous dégoûtent, nous on les dégoûte ») ? La philosophie de la vie – si l’on peut dire – se ramène pour Getulio à cette extravagante proposition : « La mort naturelle est laide et fait pitié, parce qu’elle vient lentement, elle n’est pas pacifique. »
10Dire que ce livre est de violence c’est-à-dire fort peu. Tout ici est animé d’une débauche de brutalité qui, à force d’excès, devient très exactement tellurique, c’est s’inscrit naturellement dans le cycle infernal des éléments. Homme, urubu, mouche ou piranha, un même comportement précipite tout être vers la destruction, le viol et la déchirure. Entre poussière et chemins cotonneux, cactus et chardons géants, parcourant le territoire de Sergipe au nord-est de Bahia, ce fameux Nordeste brésilien, dans une vieille guimbarde conduite par une sorte de débile mental, notre sbire du Sertan conduira son prisonnier envers et contre tous, selon son propre code de l’honneur (on comprendra qu’on est ici fort loin de ces westerns justiciers et pétris de bons sentiments où le sergent Getulio d’Amérique du Nord avait les traits d’un Gary Cooper ou d’un Kirk Douglas). En vain le « système » auquel il reste fermé essaie-t-il d’annuler l’ordre donné initialement. Getulio n’en démordra pas. Soumis à la terrible loi du sertan, fasciné par les farouches Hommes de cuir des légendes (édulcorées et magnifiées par Segio Leone dans Il était une fois dans l’Ouest), il ira jusqu’au bout, mutilant par lambeaux sa victime avec une absence totale de passion, et à la limite sans sadisme, tuant, éventrant, décapitant tout ce qui s’oppose à lui, pour finir par tomber sous les balles des mercenaires de son propre chef. Y a-t-il geste plus absurde que celle de ce sous-homme qui revit le naïf héroïsme et la cruelle légende des Cangaceiros, pour qui l’implacable Lampião (ressuscité par Vargas Llosa dans son roman brésilien) reste le modèle de référence ? Homme de main, bourreau et victime, affreux et pitoyable, tel est ce sergent Getulio, réincarnation des légendaires Sertanejos dont il illustre une ultime fois la vertu. Eh bien ! ce livre a une force incantatoire et désespérée. L’injure y atteint des proportions épiques et rabelaisiennes – « frigailleur sans vergogne, crevure de radasse, vérolé varioleux suceur du diable de la goutte de la grande peste, pissard chouineux » (bravo à Alice Raillard, la traductrice), ainsi s’adresse Getulio à son prisonnier – ; dans le délire visionnaire, il est proche de la manière de García Márquez, comme à l’évocation de cet étonnant combat de légende où le capitaine Geraldo, héros du Sertan, met en fuite rien de moins que saint Georges dont il brise la lance en vingt-trois morceaux de sorte que « le saint finit par se cacher derrière un nuage ». Le langage, enfin, puise dans sa graphie même une violence telle qu’elle débouche forcément sur l’aphasie : « ja maisvaismou rirjamais jesuis moi aïe un bœuf de boue aïeunbœuf aïeunbœufde boueaê aê aïeunpa nierplein de boue et vieje suis moi et jamais etoù monor angerfan éaïe et je vais je tiens et fais et ». Ce sont les derniers mots de cet ahurissant monologue…
11À qui trouverait les images du cinema nôvo trop flatteuses encore, ou infidèle cette Guerre de la fin du monde du romancier péruvien, Ubaldo Ribeiro nous ressert, quelques années plus tard, dans Vila Real cette même parole syncopée, cette écriture hachée, en rupture totale avec le pittoresque et la couleur locale. Car le propos de cet écrivain n’est pas, là non plus, de construire un récit à partir d’une histoire, mais, dans l’héritage bien compris de Guimarães Rosa et son Diadorim, d’inventer un langage et une écriture miraculeusement surgis de cette même terre du Sertan. La parole du désert ne peut être que feu prophétique. Elle jaillit de la bouche du scribe comme ces flammes que les artistes byzantins peignaient sur les lèvres des Apôtres. Le sous-titre de ce livre : « Ceci est un conte militaire » dit bien qu’il s’agît d’une sorte de parabole. Par ailleurs, le nom de la cité – Vila Real – signifie que cette parole est enracinée dans la vérité. Au demeurant, quoi de plus immédiat et de plus réel au Brésil que l’Évangile et la vie de Jésus ? Qu’on revoie les images fortes du film O pagador das promessas [Le payeur de promesses] où le protagoniste promène sa croix à travers le désert jusqu’à ce que ce qu’il a promis à Dieu soit accompli. Et d’ailleurs le Brésil n’a-t-il pas été tout récemment une terre propice à la « théologie de la Libération » qui a donné tant de cheveux blancs à notre pape pèlerin ? Tout comme le dernier livre du Vénézuélien Miguel Otero Silva, La pierre qui était le Christ, ici la parole de Jésus souffle le feu de la révolte. Le prêtre « qui ne s’habillait pas en prêtre mais avec des vêtements qui ne le distinguaient pas des autres » ne se tient pas à l’écart de la population, il s’immerge dans la misère des Sertanejos conduits sur la voie de la résistance en sentant, comme les Hébreux au désert, « Dieu à leur côté ». Cette théologie « nouvelle » nous vaut un terrible réquisitoire contre les « forces de civilisation » qui envahissent « le Ventre de la Mère », et le discours n’est pas sans marquer un retour aux prédicateurs laïques du xixe siècle, Zola, certes, ou cet Auguste Comte qui au Brésil a sa statue : « Un papier ne pourrait donner à personne le droit de la terre… Le papier n’a rien à voir avec la terre… car la racine s’enfonce là où l’on travaille ». Contre la « Race du Chien », Jésus ordonne de déterrer le glaive, qui est ici plomb fondu, éperons de fer passés au venin et calebasses de frelons lancés sur l’ennemi. On songe, évidemment, aux armes peu conventionnelles mais tout aussi terribles des partisans du Conseiller dans la révolte de Canudos évoquée quelques années plus tôt par Mario Vargas Llosa. En vérité « l’un de nous mange trop », accuse l’auteur qui souffle sur le Sertan la même voix messianique que le Péruvien : « Rappelle-toi que le Conseiller n’est mort ni hier ni aujourd’hui, ni n’est morte sa conscience. »
12Tel est ce livre, sans récit apparent, mais tout imprégné de la geste historique du peuple du sertan, avec ses luttes pour la justice et le droit et ses imprécations, sa résistance diffuse, profuse, multiple, toujours anéantie et toujours ressuscitée. L’auteur, comme son porte-parole, nourrit « dans l’âme six cents haines puissantes » et, chevalier du désespoir, il sait comme lui « passer toute la nuit droit comme une fontaine, versant le sang de tous par la bouche, à gros bouillons sonores ». Livre d’enfer, livre de lumière – un même feu –, légendaire et parabolique, peuplé qu’il est de prophètes et de libérateurs, Vila Real boucle bien la courbe de ce siècle où le Nordeste brésilien a émergé dans la littérature par le titre primordial et fondateur d’Euclides da Cunha : Le Sertan.
Notes de bas de page
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