Sale temps pour la lyrique ? La poésie espagnole actuelle : défense d’un luxe « nécessaire1 »
p. 65-90
Texte intégral
1Un poète espagnol de la génération des années 1980, José María Parreño, réfléchissait, il y a quelque temps sur l’esprit de sa propre génération et risquait avec ironie que l’étiquette qui méritait de rester pour le définir pourrait être le vers bien connu du groupe de rock Coups bas qu’allait utiliser par la suite Bertold Brecht : « Sale temps pour la lyrique ». Ainsi expliquait-il :
Ma génération a été, presque depuis sa naissance, marquée par le pessimisme obsédant de ce refrain : la-poésie-ne-sert-à-rien. On-lit-de-moins-en-moins-de-poésie2.
2Sans doute, le relativisme et la condition sceptique qui singularisent notre pensée postmoderne ne favorisent-ils pas les enthousiasmes excessifs ni n’encouragent la formulation d’affirmations péremptoires sur les possibilités de la poésie en tant qu’instrument utile au corps social. Cependant, il importe de signaler que la dernière génération reconnue de poètes espagnols a commencé à s’interroger sur son sens dans le système social qui de plus en plus semble pouvoir se passer des poètes et a exprimé à diverses reprises sa préoccupation face au divorce aigu que, à en juger sur le faible nombre de consommateurs, l’écriture montre vis-à-vis du monde contemporain. C’était un point de divergence au regard de l’attitude des novissimes, que ne semblaient pas inquiétés par un tel divorce : si leur poésie délibérément « festive, sans transcendance, divertissante et inutile3 » montrait avec orgueil sa nature gratuite, élitiste et marginale, la fournée des poètes suivante a montré, en revanche, une véritable volonté de récupérer l’intérêt du public lecteur, de souder la fracture instaurée entre poésie et société et de travailler à la recherche d’une réponse aux besoins et aux demandes que celle-ci semblait appeler.
3De fait, le discours sur l’utilité commence à se forger presque en même temps qu’entrent en discrédit l’esthétisme radical et le désir de rupture qui avaient caractérisé les pratiques les plus canoniques des novissimes : lorsque, comme Luis García Montero le répétait avec insistance, la poésie espagnole accuse enfin un processus de « normalisation » qui permet, entre autres choses ou principalement, une récupération de la meilleure tradition réaliste de l’après-guerre, dont les succès avaient été systématiquement dénigrés à partir des attitudes iconoclastes des novissimes4. Quelques maillons de cette tradition conduisaient précisément à porter un éclairage sur l’ancienne distinction polémique entre poésie utile et poésie considérée comme inutile, un sujet que l’indifférence sociale des novissimes avait soulevé de nouveau, bien qu’a contrario, et qui se révélait maintenant comme une priorité fondamentale parmi les préoccupations d’un secteur des jeunes poètes5. La recherche d’une réponse à ce problème devait être envisagée à partir d’une position de refus de l’esthétisme d’avant-garde, en se fondant toutefois sur des principes très différents de l’ancienne poésie sociale.
4La dite « poésie de l’expérience », qui à partir du second lustre des années 1980 s’imposait désormais comme tendance dominante (où se détachait comme principal mentor Luis García Montero), nourrissait une conception de l’écriture comme artefact socialement utile, même si la fonction de la poésie n’avait pas à être mesurée à l’aune d’un profit matériel. Ce courant poétique faisait résider son utilité dans la recréation esthétique des expériences qui pouvaient intéresser et impliquer les lecteurs : il s’agissait d’écrire une poésie « vraisemblable en relation avec l’expérience esthétique de la réalité », c’est-à-dire une poésie en relation avec la vie et, par conséquent, nécessaire, qui abandonnait son ambition d’éternité pour servir à l’élaboration d’un argument lyrique contemporain. La poésie de l’expérience cherchait avec véhémence la récupération du lecteur – ce n’est pas en vain que la notion de complicité constitue une autre des instances capitales sur lesquelles se construit ce courant ; or, loin de s’appuyer sur une quelconque concession populiste, elle fondait une telle aspiration sur la conception du sujet qui parle dans le poème comme une personne normale (« des êtres dans une ville quelconque, au cours d’une matinée de bureau ou d’une nocturne tournée de bars »), en mesure de représenter la capacité à sentir de n’importe quel citadin et susceptible en conséquence, de procurer à celui qui lirait, une problématisation de son monde personnel6. C’est ainsi que dans le prologue à l’œuvre poétique de l’un de ses compagnons de voyage, Felipe Benítez Reyes, Luis García Montero rendait le jugement suivant : « Démontrer que la poésie est utile pour penser et sentir doit être une des tâches principales des poètes et l’unique façon de justifier les poèmes et de les sentir comme nécessaires7 ».
5Dans le discours théorique de García Montero, à qui revient en propre la mise en circulation de la notion d’utilité comme l’une des composantes de l’argumentaire de l’expérience, cette catégorie est indissociable d’une volonté d’engagement idéologique qui, en revanche, ne peut être extrapolé au sens plein du gros des troupes de la poésie de l’expérience. Dérivée de la proposition marxiste de « l’autre sentimentalité », le poète grenadin redéfinit cette notion éclairée en même temps qu’il l’arrache à toute identification avec l’utilitarisme capitaliste, pour nous proposer « une utilité artistique et idéologique, située à mi-chemin entre le concept éclairé de morale privée et le concept matérialiste de conscience civique8 ». Il est bien connu qu’à la base de la pratique matérialiste de la poésie que propose « l’autre sentimentalité », se trouve la ferme conviction, alimentée par les réflexions du professeur Juan Carlos Rodríguez, de ce que la littérature est un discours idéologique et radicalement historique, la langue poétique un signe de l’idéologie dominante (c’est-à-dire un symptôme de l’histoire), mais aussi une forme de production d’idéologie, et les sentiments des constructions historiques, produit de réalités sociales et d’un horizon idéologique précis. Alors reconnaître l’entité idéologique de la littérature, la concevoir comme une forme – radicalement historique – de production idéologique a des conséquences décisives au moment de juger la poésie comme un discours utile : « l’autre sentimentalité » nous rappelle l’importance de la lutte idéologique susceptible d’être menée avec les armes de la poésie, puisqu’elle configure et moule notre inconscient et, « bien qu’elle ne serve pas directement à donner de quoi manger aux maçons, c’est une lutte réelle, concrète […], parce qu’au cœur de la pensée existe aussi la domination9 ». Finalement, transformer le monde signifierait avant tout la possibilité de transformer notre propre inconscient idéologique. Ainsi donc, la poésie sera utile dans la mesure où elle nous invitera à réfléchir sur nous-mêmes et notre monde et à connaître les possibilités de changement, dans la mesure où elle nous apprendra à interpréter de façon critique l’idéologie et nous permettra de nous rendre compte que nous vivons dans une réalité construite et que nous pouvons la transformer à notre gré, que l’histoire peut – et doit – rester sous notre contrôle. Grâce à la production d’un discours matérialiste capable de se mettre en question, de plonger aux racines mêmes de son idéologie à travers une analyse distanciée des sentiments que sa raison historique dévoilera, le projet de « l’autre sentimentalité » est, finalement, de faire de la poésie un ensemble de paroles capables de nous octroyer une conscience morale autre. La pensée du professeur Rodríguez imprime ainsi un fléchissement à l’ancienne notion d’utilité comme « rentabilisation immédiate » propre à la tradition mentale de la bourgeoisie : la poésie n’est pas inutile parce qu’elle est un outil idéologique ; démonter les circuits idéologiques du discours poétique, découvrir et faire éclater ses contradictions : voilà en quoi réside la véritable utilité10.
6Comme on voit, la notion d’utilité redéfinie par García Montero dans le sillage de la pensée de Juan Carlos Rodríguez entend s’éloigner de l’acception maniée par la poésie du réalisme social de l’après-guerre et synthétisée à travers l’assertion maintes fois citée de Gabriel Celaya – « La poésie est une arme chargée de futur » –, qui considérait l’écriture comme un outil révolutionnaire dans un sens immédiatement opératoire sur la réalité sociale. Une fois disparu l’alibi de la dictature, où il revenait au poète de proposer des conditions de vie qui n’étaient pas à la portée de la bataille politique, il n’est plus possible de soutenir le « vieil idéal positiviste d’un art utile, avec une mission à accomplir11 » : l’utilité prêchée par Luis García Montero doit s’entendre non pas tant dans sa dimension politique que dans sa dimension éthique, ou dans sa dimension idéologique dans le sens althussérien. Contre la « politisation thématique » décalée du réalisme socialiste (et aussi contre d’autres options anciennes : l’esthétisme, l’avant-gardisme), García Montero postule la nécessité d’une forte rupture théorique qui passe, une fois de plus, par l’acceptation du caractère matérialiste de la poésie, son entité idéologique et sa nature radicalement historique : en corrigeant Machado et Celaya, la poésie n’est pas « parole dans le temps », mais « dans un temps », et « elle n’est pas une arme chargée de futur mais de présent12 ». La poésie devient un genre utile si elle sait participer à l’élaboration d’une réponse à l’échec de nos contrats sociaux, mais non « comme œuvre édifiante ou pamphlétaire d’idées sociales, mais comme mise en forme adéquate d’une expérience esthétique contemporaine13 ».
7Si d’aucuns se sont méfiés de la restauration pour la lyrique de la notion d’utilité, à cause de ses connotations au service d’intérêts extra-poétiques, en rapport avec la subordination de l’esthétique à des instances politiques, ils furent plus nombreux ceux qui ont cru voir dans cette catégorie une association implicite avec le pragmatisme capitaliste. Luis García Montero coupe court à ce préjugé qui donne un caractère négatif à l’idée d’utilité, dont est responsable « le côté économique qui définit nos coutumes sociales » et qui trouve sa justification dans le dommage que « l’utilitarisme marchand des sociétés industrielles » a infligé à la « gratuité » des manifestations artistiques. En se révoltant contre cette imposition historique du sens du terme, García Montero revendique un autre concept plus large d’utilité, en marge des implications des habitudes bourgeoises : « Est-il utile de se connaître, de s’entendre avec soi-même, de disposer de plus de données sur les règles du jeu de notre propre existence? Est-il utile d’être informé sur notre histoire, sur notre cœur, sur d’autres raisons possibles? » En s’appuyant sur les arguments du Kant qui dénonce dans ses Observations sur le sens du beau et du sublime la déformation qui nous pousse à penser comme utile seul ce qui satisfait nos besoins les plus grossiers et les plus matériels, « un sens plus digne et plus poétique de l’utile » est posé. Et ainsi il se dresse comme une proposition lyrique qui affronte la position traditionnellement adoptée par le sujet de la modernité : l’artiste qui, en réagissant contre le pragmatisme grossier de nos sociétés, qui le brident, se voue avec orgueil à l’exercice de l’inutilité, en choisissant par ce geste l’autoexclusion du système et le renoncement consécutif à toute participation aux clauses des contrats sociaux14.
8Après le début de la normalisation démocratique, le discours de « l’autre sentimentalité » fut le premier à relancer le débat idéologique dans l’arène de la lyrique, associé à une notion rajeunie de l’utilité. Mais la dynamique cyclique des processus culturels a fait entendre rapidement d’autres voix qui ont contribué à compléter, nuancer ou discuter les positionnements du groupe de Grenade (et ses dérivations quant au type d’expérience dont parle Luis García Montero) et à revitaliser la discussion autour de la question de la responsabilité de la poésie, consacrant la fin d’un tabou après une longue période de discrédit de toute tentative de positionnement « responsable ». Vers 1990, alors que la poésie de l’expérience est solidement installée au cœur du panorama lyrique, la voix dissidente de Jorge Riechmann lance la proposition d’une « poésie praticable », à la définition de laquelle il consacre un livre de réflexion théorique. Poesía practicable ne veut pas dire poésie instrumentale, malgré les connotations trompeuses du terme15, mais poésie nécessaire qui accompagne l’être humain, maintenu par des liens de domination dans la difficile tâche de son existence et de sa résistance quotidiennes ; il est évident que cette compagnie exigerait, par ces temps ardus, une vocation interventionniste et révolutionnaire. Pour cette raison, Riechmann défend une écriture qui promeut la rupture de l’illusion esthétique, avec pour objet de boycotter la réconciliation avec un monde où la beauté est absente et de provoquer chez le lecteur un désir de transformation : « poésie du désarroi » sera le label pour nommer cette volonté programmatique – qu’on a parfois confondu avec le culte de la laideur – de « deuil pour l’état actuel des choses sans se résigner à l’actuel état de choses16 ». Voici la recette pour rendre impossible l’inique réalité, l’une des tâches les plus dignes de l’art. Malgré tout, Riechmann relativise ce qu’il a reconnu ailleurs comme impératifs quotidiens pour sa génération : « changer la vie (Rimbaud) et transformer le monde (Marx17) ». Malgré le souffle révolutionnaire qui anime son écriture, le poète nous prévient contre la volonté aussi chimérique que dangereuse de racheter le monde : les attitudes messianiques accusent des traits de totalitarisme, en plus d’engager la poésie dans une mission impossible18. Dans ce sens, le poème « Otro ritmo posible » qui clôture Poesía practicable réfléchit sur la portée et les limites de l’utilité sociale de la poésie et de sa valeur comme outil de transformation. Si le poète est conscient de ce qu’un vers n’a pas de pouvoir d’intervention immédiate et concrète sur les réalités matérielles (« il ne calme pas la faim », « il ne construit pas un jardin », « il ne renverse pas le tyran ».), il est confiant dans sa capacité à émouvoir (« dans le meilleur des cas il réussit/à te couper le souffle ») et dans sa portée idéologique et dans les effets à long terme de la formation de la conscience : « son rythme insinue un autre rythme possible/pour ton sang et pour les planètes19 ». La poésie agit donc modestement sur la réalité en formulant une proposition d’aménagement du monde ; d’où sa nature essentiellement dangereuse, car s’il n’y a pas de poème capable de racheter le monde et si la poésie n’est pas une arme chargée de future, il n’y a pas non plus de mots innocents ni de poème qui ne laisse le monde indemne20 ».
9Comme l’a écrit Miguel Casado, la proposition de Jorge Riechmann est celle d’un utopisme tempéré : le poème ne transforme rien, mais à travers l’intense émotion qu’il suscite, il agit comme un noyau de résistance21. Quoi qu’il en soit, le poète avance une opinion tranchante quand il parle du rôle qui revient à l’écrivain face aux conflits de son époque, et il n’hésite pas à affirmer, avec Walter Benjamin, que l’art pour l’art mène tout droit au fascisme22. L’histoire – déclare Riechmann dans un parallèle rigoureux avec Juan Carlos Rodríguez – est entre nos mains, et elle ne prendra pas une autre direction que celle que nous finirons par lui donner23. Dans cette tâche éthique, la nécessité de la poésie accomplit sa destinée à partir de sa capacité à mener une recherche : à partir de cet élan de recherche que comporte toute écriture et qui n’accepte pas de contraintes préalables (« elle s’engage, mais n’accepte pas de compromis24 »), la poésie s’affirme comme proposition de dévoilement de la falsification de l’existence, elle fait tomber le masque des impostures servies par le langage, et elle s’attache à désarticuler le regard institué sur le monde et à contempler les mystères du réel sous un éclairage libre des dogmatismes aveugles et des a priori réducteurs. C’est en cela que réside, en dernière instance, l’utilité. Les propositions de Jorge Riechmann et de Luis García Montero semblent partager un assez grand nombre de présupposés idéologiques de départ. Cependant, il s’agit de choix poétiquement engagés qui vont au-delà des positionnements sociaux et qui prennent en compte un rapport avec les posi-tions face au langage qui influence de façon définitive l’élaboration rhétorique du poème. C’est ici, dans le codage poétique particulier où chaque auteur place l’utilité de la poésie et de ses potentialités que leurs options divergent d’une façon radicale. D’un côté, les dérives du groupe de « l’autre sentimentalité », qui concède aux sentiments – en tant que constructions historiques susceptibles de transformations – une potentialité révolutionnaire, ne discutent pas les thèmes mais la façon de les traiter ; de telle sorte que Luis García Montero peut écrire, exceptionnellement, poussé par l’urgence d’événements immédiats, sur un ton d’engagement explicite ; mais plutôt que d’emphatiser un positionnement politique, il préfère s’adonner à une critique avec une tonalité morale et autorréflèxive, qui plonge aux racines mêmes de la sentimentalité en travaillant sur le matériau même de l’expérience quotidienne, avec la conviction que la politique est un élément indissoluble de la réalité quotidienne et que la transgression y trouve le chemin vers une nouvelle morale. En revanche, Jorge Riechmann, a beau avoir défendu l’assimilation discursive d’un système de pensée sans la nécessité de son énonciation directe (« Il ne s’agit pas de dire la révolution. Mais de faire la révolution//surtout si nous parlons depuis l’intérieur du poème25 »), il n’éprouve aucune gêne à écrire une poésie qui « véhicule des révoltes ou une critique de l’inacceptable », dans la ligne la plus canonique de la poésie politique26. Pour Riechmann, l’important dans un poème est son pouvoir de révélation, non pas son thème, même s’il se livre à une joute théorique à propos de la poésie de témoignage, aussi nécessaire que la poésie d’investigation dans la mesure où « elle lave notre regard ou élargit notre connaissance ou interpelle notre conscience critique ou nous découvre des aspects de la réalité ». De fait, la vocation résistante de Jorge Riechmann s’organise dans une très large mesure à partir de la volonté de témoigner sur la souffrance humaine, – il affirme donc avec Théodore Adorno – que laisser parler la souffrance « est le principe de toute vérité27 ».
10Par ailleurs, en parfaite cohérence avec les positionnements de « l’autre sentimentalité », la poésie de l’expérience de Luis García Montero s’accroche à la peau d’un personnage moral aux contours autobiographiques simulés, qui, bien qu’il puisse se référer à un argument singulier, se situe dans l’espace de l’Histoire et aspire à nommer une réalité collective (ce serait là la base de ce que Juan Carlos Rodríguez a appelé une écriture du moi objectivé, ou une nouvelle épique subjective, fondée sur une projection de la sphère privée sur la sphère publique28 »). Parce que sur ce terrain – « que l’on parle de notre vie, […] que l’on nomme notre réalité29 » – García Montero résumant ainsi l’utilité de la poésie, son option poétique se résout dans ce qu’il a convenu d’appeler une « poésie pour les êtres normaux ». Cette proposition est indissociable d’un éloignement prémédité de la rupture avant-gardiste ; une décision qui affecte non seulement la configuration d’un personnage lyrique « normal », mais le choix du langage et d’un ton adéquat. Ainsi, de la même manière qu’il rejette le malditisme du sujet marginal ou marginalisé, campé dans sa singularité, et dédaigneusement étranger à la participation responsable dans le dessein de nos contrats sociaux, le poète grenadin s’oppose à la création d’un espace d’autonomie esthétique qui ne prendrait pas en compte le dialogue avec les autres et avec l’Histoire, un espace fondé sur la rupture du langage, l’irrationalisme et le refus et en définitive, sur l’invention d’un dialecte poétique séparé de la langue sociale. Au contraire, García Montero opte pour l’élaboration « d’un personnage avec des traits civiques » qui raconte des expériences ordinaires en employant les « mots de la tribu30 ».
11En abondant dans le sens de l’utilité de la poésie, Luis García Montero s’est efforcé d’expliquer les raisons éthiques et politiques (d’implication avec la polis) qui interviennent dans sa proposition de « normalité » et le progressif éloignement des tonalités avant-gardistes. Pour le poète grenadin, le sujet sacralisé des avant-gardes ne représente que « l’autre face de la monnaie du bon bourgeois en pantoufles » ; ainsi donc l’éloignement des poses avant-gardistes signifie « le désir de creuser à nouveau […] dans l’horizon éthique symbolisé par le contrat social ». Autrement dit : face au choix de l’abandon de tout espace public comme réaction à la dégradation de l’Histoire, face au renoncement de toute articulation avec la société pour s’installer dans un lieu autonome à l’abri de la corruption, « dans les frontières rebelles d’une île » en marge des autres, le poète mise sur la défense des mots comme lien et de la poésie comme dialogue, mais pas comme métaphore de la marginalité ; car l’artiste qui agit de cette façon – tel que l’entend García Montero – « rappelle beaucoup l’individu disposé à se convertir en citoyen pour cohabiter avec les autres et participer aux affaires de la république ». Faire de la littérature le territoire artificiel d’un projet en commun, un espace légitime d’individus liés à la société, oblige à respecter les pactes linguistiques qui rendent possible la communication. D’où la défense de la représentation, de la parole poétique figurative, comme façon de maintenir ouvert le dialogue avec l’autre, face à la perte des liens sociaux31.
12L’option esthétique de Jorge Riechmann, au contraire, se profile de plus en plus comme une poétique rupturiste qui ne refuse pas d’abandonner les moules du réalisme traditionnel – la fonction référentielle de l’art et son esthétique de la représentation – pour assumer la potentialité libératrice de la parole avantgardiste. Néanmoins, depuis les débuts de sa recherche poétique, Riechmann ne cesse de montrer une sympathie non dissimulée vers ce type de propositions (il suffit de rappeler le chapitre « Surréalisme et esthétique du matériau » intégré à Poesía practicable32), et pendant un temps son souci de fidélité au réel a défini les accords théoriques en faveur d’une volonté de transparence qui pouvait garantir la véracité et en faveur d’une transitivité expressive qui garantissait la communication. Or, ce poète qui a commencé par entrer en lice pour « une poétique antisymboliste du réalisme souple33 » combat aujourd’hui, avec une vigueur théorique de plus en plus audacieuse, le modèle réaliste de la « poétique de la normalité », la convention réaliste de la représentation, pour arriver à cette étape qu’il nomme « réalisme d’investigation », après s’être défait de l’illusion d’un langage transparent. Ce réalisme d’investigation s’oppose au regard unidimensionnel qui instaure un réalisme mimétique, appliqué à la prétendue représentation digne de foi de la réalité, pour promouvoir un réalisme perspectiviste et intégrateur susceptible de prendre en compte toutes les facettes du réel. Si le monde extérieur, selon Riechmann, n’est pas une réalité préexistante et univoque, le poème se conçoit comme un espace ouvert qui permet à son auteur non pas tant de refléter la réalité mais de dévoiler le monde, l’explorer « ouvrir des pistes dans le vaste continent de la réalité » et à y intervenir (« changer quelque chose ») : « En poésie, le réalisme n’a rien à voir avec la représentation. Il est création de présence et non évocation de cette présence même. Un bon poème n’est pas une photographie mais une source de lumière ». De telle sorte que le réalisme vise, dans la conception de Riechmann et dans la plus pure ligne brechtienne une attitude morale et non pas un répertoire de procédés. C’est ainsi que Jorge Riechmann décoche ses flèches contre la poésie de l’expérience et son principal prévôt, Luis García Montero, en mettant en question l’utilité proclamée d’une poésie qui, au nom de ce catalogue étriqué de procédés (la convention figurative), ampute des pans entiers du réel :
Je suis aussi favorable à la poésie utile (bien que le qualificatif praticable me semble embrasser davantage de choses). Mais quand on parle de poésie utile, il faut se demander immédiatement : utile à qui? La poésie doit être mesurée à la réalité entière, sans amputations. Avec d’autant plus de raison face à la salle de torture, à la société scindée, à la planète qui agonise. Quand la poésie ne regarde plus en face la lutte des classes – et le reste des luttes sociales où se décide le sort de notre monde –, elle finit par perdre la face34.
13La fidélité au réel passe par l’attention à une réalité sans exclusive, et cela exige de se soustraire à la mystification de l’idéologie dominante. Pour cette raison, cette nouvelle conception du réalisme implique la volonté de combattre les processus de simplification et de typification du réel, la volonté de ne pas exclure « ce qui ne cadre pas avec nos catégories idéalisées et préconçues : autrement dit de nier leur version idéologiquement établie ou – avec les mots de Antonio Ortega – socialement consensuel35 ». Mais une telle volonté demande de se libérer de la rigidité référentielle du langage (puisque les sens véhiculés appartiennent au discours du pouvoir et ils ne peuvent sanctionner des certitudes ni des structures établies) et de s’installer dans une parole expérimentale qui offre comme solde un produit esthétique ouvert, radicalement polysémique, réfractaire à toute lecture univoque, et dont la fonction de décodage rend au lecteur un rôle actif. C’est sur ce point que Jorge Riechmann met à nouveau en question la poésie de l’expérience, car dans cet espace trop étroit pour la coproduction ou la paternité collective – qui en fin de compte n’implique qu’une « socialisation » du produit – le poète trouve un composant beaucoup plus profondément démocratique que dans « l’anti-élitiste » prurit de la transparence de la figuration de l’expérience, qui, en orientant l’interprétation du poème, en clôturant son sens, ne fait qu’imposer une réalité amputée, étroite et à sens unique36.
14En conséquence, Jorge Riechmann se méfie des « mots de familles douillettement usés » invoqués par l’expression et invalidés par le travail d’investigation. Face à cette monnaie sémantique frelatée, le poète promeut la quête d’un langage vierge, qui s’étonne devant ce qui est donné et s’interroge lui-même avec des questions élémentaires préalables à la révolte, qui doit nous racheter de « ce monde pitoyable de la pensée unique, de la monnaie unique, du marché unique et de l’empire unique auxquels on prétend nous réduire37 ». Ainsi Riechmann se prononce avec insistance en faveur de ce que l’on appelle une « dialectique de la fragmentation38 », avec la conviction que le fragment exprime mieux les fractures qui couvrent le réel ; et surtout – en détournant le discours de Carlos Edmundo de Ory (« la parole fragmentaire déboussole le monde […] et met tout sans dessus dessous39 ») – la parole fragmentaire est une parole de transgression apte à démasquer l’apparence des choses, car dans sa nature non pactisée, elle échapperait à la dictature du langage-pensée exercée depuis le pouvoir. En d’autres termes, le poète cherche dans la dislocation du langage l’effet d’étrangeté nécessaire pour opérer le miracle de la révélation poétique, susceptible d’éliminer des parcelles du réel que ne peut exprimer un langage contaminé et affaibli par l’usage.
15En résumé, la proposition de Jorge Riechmann s’oriente vers un art révolutionnaire réinventé à la lumière des discours d’avant-garde, confiant dans leur résistance éprouvée à être utilisés comme langage de pouvoir : c’est un travail de subversion linguistique comme voie de subversion idéologique. Evidemment, cette subversion linguistique n’aide en rien la lutte de classes – encore le refus du rendement immédiat de la poésie dans l’ordre social –, mais celui-ci n’est pas le prétexte à la complicité du rien dire ni une raison pour la résignation ou le nihilisme : l’engagement se joue dans l’honnêteté à dire non, dans la résistance où nous pousse la tension gramscienne de la volonté, qui nous soutient – sans espérance, avec conviction – dans le bref espace qui sépare le rien et le peu, unique espace qui revient à la révolte de la poésie40.
16Le paradoxe où se trouve emporté un discours qui choisit la rupture linguistique comme canalisation de la dissidence n’est pas celui de l’impuissance sociale, mais le risque assumé de son opacité. Riechmann n’hésite pas à sacrifier la transitivité communicative si la vérité se dit avec des mots incompréhensibles, et cela, bien que communiant avec la conception montérienne des mots comme lien, la poésie est aussi pour lui « besoin de liens » : un espace qui repousse la tour d’ivoire dans la mesure où elle place le poète hors de ses responsabilités vis-à-vis de la communauté, mais qui abomine aussi toute autre forme de narcissisme. Il conçoit ainsi le langage comme « la première et la forme la plus fondamentale de lien », à travers laquelle préserver et alimenter les liens avec « l’autre » et avec le monde41. Et dans la mise en pratique de ce réalisme expérimental, en marge des pactes linguistiques, le douloureux contresens que suppose un tel projet n’échappe pas à Riechmann : essayer une poésie qui, conçue comme forme essentielle de lien (animé par un engagement moral avec les voix chassées de la photographie officielle de la réalité), se trouvera enfin, inévitablement et plus qu’aucune autre, à la limite du non-sens, condamnée à cause de cela au soliloque et à la marginalité. Il n’est pas facile, certainement, de concilier cette révolte solipsiste avec la vocation d’auxiliaire que le poète lui-même exige de l’écriture, tel qu’il le réitère dans un de ses derniers textes théoriques :
Quel est selon moi l’ultime critère pour évaluer la poésie – ou d’autres formes d’écriture? Qu’elle apporte une aide. Qu’elle donne un coup de main aux êtres les plus fragiles, discontinus et vulnérables que nous sommes : une main ou une corde pour sortir du puits, de la fosse, de la difficulté. Il ne s’agit pas de poésie utile : tel que je le pense, l’anthropologie supposée est celle de la nécessité, pas celle de l’instrumentalisation. Une poésie qui aide l’être démuni que nous sommes : parfois grâce à son utilité, parfois pour d’autres caractéristiques.
Hier j’ai dit poésie praticable, aujourd’hui je dirais peut-être poésie auxiliaire, ou adjuvante42.
17A partir de sa proposition pour une poésie des êtres normaux, qui suppose, enfin un appel à l’intégration contraire à toute révolte autoexcluante, une invitation à s’installer au centre des pactes sociaux (et par conséquent, linguistiques) pour participer comme citoyen à une redéfinition des espaces publics, Luis García Montero ne cesse pas d’avertir contre les dangers d’un langage disposé à renoncer à sa capacité de dialogue, et interprète l’hermétisme ou la destruction linguistique comme symbole d’un contrat social qui a échoué43. En revanche Jorge Riechmann, qui a vu dans la défense de la normalité un geste d’assentiment, propose sa « poéti-que de l’étrangeté » comme un refus d’accepter moralement la réalité44. Il se refuse à comprendre la « poétique de la normalité » comme une autre forme de réponse à la dégradation de l’Histoire, qui cherche une articulation avec la société pour livrer, dans la négociation de pactes sociaux, la bataille pour un nouvel espace public ; et confiant dans la révolte libératrice du langage et défiant le danger de sa marginalité, il choisit la désarticulation de la convention linguistique comme méthode d’affrontement avec la colonisation idéologique du Pouvoir.
18D’autres projets lyriques du panorama espagnol actuel pourraient être mis en concordance avec l’un ou l’autre des positionnements. La poétique montérienne des êtres normaux emblématise la posture de ceux qui trouvent dans le souci des liens et des formes de complicité la clé ultime de l’utilité de la poésie : en général, c’est l’inclination vers le modèle communicatif des poétiques de l’expérience, qui dans leur volonté d’adéquation à la réalité immédiate, dérivent assez souvent vers un discours d’irisations civiques, qui dépasse l’introspection sentimentale proposée dans les premières manifestations de cette tendance et qui favorise la réflexion et la critique sur certains aspects de l’arène publique45. D’un autre côté, la proposition de Jorge Riechmann illustre les paradoxes de ceux qui optent pour la rupture linguistique comme formule de subversion qui accompagnera la pratique sociale dans le travail de sape de l’ordre régnant : c’est à cela que tendent le Collectif « Alicia bajo Cero » et ceux qui gravitent autour de la revue El signo del gorrión, en comprenant que se soustraire à l’emploi strictement instrumental du langage est l’unique façon pour atteindre une parole libre capable d’échapper aux desseins du pouvoir, de contester une conception de la réalité qui tend à se reproduire grâce à l’entremise d’un langage dont les significations appartiennent au discours établi46. Si les deux positionnements, différents par les choix rhétoriques opérés, convergent dans l’affirmation sans réserve de l’utilité de la poésie, le contrepoint théorique est donné dans le panorama lyrique actuel par ce qu’il est convenu d’appeler le « réalisme sale ». En laissant de côté d’autres options plus conventionnelles47, je souhaiterais m’attarder sur l’ambiguïté controversée de cette proposition qui d’emblée résiste à accorder un sens particulier à l’écriture, sans qu’elle paraisse pour autant se dérober à l’exercice de l’inutilité. Roger Wolfe représente sans doute la position la plus canonique d’une alternative poétique qui, sans concéder à la parole aucune sorte d’opérativité sociale, condense sa force dissolvante dans la pratique d’un témoignage cru qui se transforme en une méthode corrosive et critique de la réalité.
19Le franc refus de la « syllabe du oui » – pour utiliser les mots de Juan Carlos Rodríguez48 – et la proscription inhérente de la beauté, constitue le signe d’identité le plus authentique d’une tendance dont la matière poétique spécifique est le récit de l’alignement et de la marginalité sociale. Sous le signe du scepticisme et d’une désillusion bien enracinée, les auteurs qui souscrivent au réalisme sale s’appliquent à décrire avec une imperturbable crudité la réalité enfouie dans les bas-fonds de la vie sociale et personnelle. Comme l’a écrit Juan Miguel López à propos de la poésie de Roger Wolfe, son travail « consiste à décrire ce qu’il y a, constater l’évident et ne pas chanter le possible49 ». Ainsi donc, il n’y a pas chez eux une volonté d’articuler dans l’espace du poème un projet politique de transformation du monde ni de proposer des alternatives sociales. Mais, l’insistante focalisation d’un regard sur l’infra-monde périphérique, et son obstination à nous offrir – à travers une galerie d’épisodes de l’échec – le témoignage décharné du sordide, finit par mettre en pleine lumière toutes les plaies de la dite « société du bien-être ». Sur ce geste se solde, pour le moment, la dimension critique de ces discours, dénonciations implicites qui frappent le lecteur en agissant comme une implacable méthode de conscientisation face à la réalité ; c’est en cela que réside son utilité potentielle.
20Roger Wolfe, en revanche, s’obstine à proclamer de temps à autre l’inutilité de la poésie, conviction qui se profile comme un prolongement de la conscience absolue de l’inutilité vitale, d’un souffle nihiliste qui pénètre tous les secteurs de l’existence. C’est ainsi que l’explicite le poète dans son essai-fiction Hay una guerra : « Mon œuvre personnelle n’est qu’un effort répété et désespéré pour constater notre totale inutilité. L’inutilité de tout effort humain. L’absurdité de toutes nos entreprises50. » Et en effet, la poésie de Roger Wolfe distille un esprit sceptique qui transcende la propre conception du travail de création et souligne ainsi son essentielle inutilité : « J’écris parce que c’est une façon de tuer le temps, de meubler l’attente51 »? De fait, le non-sens de l’écriture est une des questions primordiales que l’auteur lui-même examine dans sa poésie qui se transforme en motif récurrent de sa réflexion métapoétique. Les titres en soi de quelques recueils – en particulier, Parler de peinture avec un aveugle (1993) et Messages dans des bouteilles brisées (1996) – souligne de façon nette cette conscience d’inanité ; et par ailleurs la proclamation de l’inutilité de l’écriture est l’argument de pièces comme « Approche, touche et taille-toi » de Arde Babilonia (1994) – « Es inútil, le dije. /Escribir. /Escribir es inútil/[…] carece por completo de sentido52 » –, ou du poème qui clôt l’anthologie El invierno :
Les mots – bien qu’ici, après la désacralisation que suppose non seulement l’affirmation de leur inutilité (« Les mots sont inutiles, têtus et retors/comme les vis qui n’entrent pas droit ») mais, surtout, le refus de leur beauté (« ils gisent éventrés » comme « les jouets d’un enfant pauvre »), alors que le sujet s’agrippe à eux comme à une planche de salut face à la précarité vitale : « Mais ils sont – je l’ai dit et je le répète – l’unique chose que je possède53 ».
21Au-delà de ceci, le poème ne manque pas d’être une sorte de sauf-conduit « pour nulle part », tel que le suggéraient deux des vers de Parler de peinture avec un aveugle54 et que le poète réitère de façon définitive dans l’un des fragments de Hay una guerra : « Qu’est-ce que la littérature? Une longue lettre adressée à un non lieu55 ».
22Ce scepticisme, cependant, ne semble pas interférer dans la verve communicative que Wolfe donne à ses vers, comme il l’a manifesté en diverses occasions : parce que la littérature est, en effet une série de lettres adressées au vide – ces messages dans des bouteilles brisées –, mais celles-ci trouveraient vite leur sens si elles venaient à être reçues par quelqu’un à qui elles disent des choses56. Enfin, il semble que l’inutilité de la poésie resterait relativisée dans sa communion potentielle avec un lecteur dont elle parviendrait à entraîner l’esprit. Par ailleurs, le réalisme sale de Roger Wolfe montre une part de provocation qui consciemment agit comme un dispositif qui brise les conventions et les schémas mentaux établis57, ce qui met aussi entre parenthèses la conscience proclamée de l’inutilité ; quelque chose qui, enfin, contribue également à mettre en cause un exercice occasionnel de critique directe – au-delà du simple témoignage – des différents aspects de la réalité collective, bien que cette critique apparaisse médiatisée par une ironie transgressive qui l’éloigne soigneusement de toute volonté militante et de toute véhémence prosélyte58.
23En étroite relation avec la notion d’utilité, Roger Wolfe montre une posture non moins controversée à propos de la question de l’engagement en littérature, qui théoriquement semble tranchée dans quelques poèmes métadiscursifs, mais qui de nouveau contredisent, et assez considérablement, sa pratique de la poésie. Ainsi dans le poème « Compromiso » de Arde Babilonia, la position wolfienne semble se résumer au scepticisme que distille l’épigraphe qui sert d’en-tête : « – Es-tu politique, Lou?/– Politique? Par rapport à quoi? Donne-moi un thème,/je te donnerai un mouchoir, et tu me torcheras le cul. » ; bien que par ailleurs, le corps de la composition en arrive à nous suggérer qu’une telle perte de confiance n’affecte pas tant l’engagement en soi que la façon de l’exercer, elle se résout dans une critique de la volonté aussi prétentieuse que vaine de s’impliquer dans une autre réalité différente de celle qui colle à la peau du sujet qui écrit, l’ici et le maintenant de la quotidienneté même, unique scène susceptible d’impliquer le poète :
Il y a des écrivains
qui s’entêtent
à ce que leurs livres
se situent
toujours ailleurs.
Somalie
Nicaragua
Mongolie
Pernambuco
Sarajevo
peu importe.
Et si tu veux bien
y réflechir
cela est amusant
parce que au bout,
ils font mouche
sans le savoir :
n’importe quel
foutu recoin
sauf l’endroit où ils
seront59.
24Une désillusion encore plus forte montre le raccourci ironique qu’introduit la conclusion d’une célèbre assertion de Gabriel Celaya dans Cinco años de cama (1998) :
La poésie
est une arme
chargée de futur.
Et le futur
appartient à la Banque
de Santander60.
25« Et le futur/appartient à la Banque/de Santander » clôture le poème sur la proclamation implacable de l’absence de perspectives sociales dans notre monde pragmatique et postmoderne, et au passage, il démystifie et démasque la démagogie du discours social-réaliste. Parce que, – de la même façon que les poétiques de Riechmann et de García Montero –, le réalisme sale dessine un sujet lyrique qui diffère à nouveau radicalement du sujet héroïque du réalisme social, sa condition désabusée et marginale oppose une lucidité désolée à la naïve vocation messianique et prophétique de l’ancienne rhétorique ouvriériste.
26Malgré tout, bien que Wolfe persiste à exhiber une posture sceptique ou d’égotisme exaspéré, ses poétiques ne manquent pas de faire apparaître, par moments, une révolte qui masque à peine la volonté combative, même si l’ironie en vient à neutraliser – comme dans sa « Poética negra » – toute velléité naïve ou dogmatique :
Une plume est toujours préférable
à l’idée de dépoussiérer
un magnum 4461.
27Quoi qu’il en soit, cette révolte nous conduit vers les points nodaux qui établissent une connexion entre l’exercice de création de Wolfe et les poétiques de l’engagement. Dans les épisodes dispersés consacrés à la réflexion sur le métier qui jalonnent son essai-fiction Hay una guerra, Wolfe revendique – comme Riechmann, comme García Montero – une expérience responsable et sensible aux stimulations du monde, qui le mène à supporter chaque jour « la douleur – et le bonheur de la réalité » et qui lui rend impossible un repli sur soi « alors que le monde s’écroule là dehors62 ». Il est évident que l’engagement naît dans la poésie de Wolfe de son empathie avec la réalité qui l’entoure et c’est là qu’il prend fin ; car au-delà de « constater l’évidence63 », l’écriture lui semble un travail socialement inutile et, tout au plus, étant donné l’ultime exercice de sincérité que cela suppose pour le sujet – une sorte de purification personnelle64. Dans les pages de ce livre, Wolfe explicite à maintes reprises le nihilisme et la conscience de l’inutilité suggérés à travers les titres de ses recueils. Et cependant, la dédicace qui ferme le recueil révèle de façon incontestable le moteur solidaire qui anime la poésie wolfienne – cette « préoccupation pour la vie » qui, selon les propres paroles de l’auteur, aussi inattendues que définitives, constituent d’une certaine manière la mission de l’écrivain65 :
Ce livre est dédié à la mémoire de ma mère.
Je le dédie également à tous les malades, les aveugles, les mutilés, les torturés, les marginaux et les prisonniers de la planète ; aux enfants, aux animaux, aux grands-mères, aux prostituées ; à ceux qui dorment sous les ponts, à ceux qui n’ont pas la parole, ni le droit de vote, ni de statistique pour les protéger, ni couverture ni corps pour se réchauffer la nuit ; à Jésus-Christ, à Bouda, à Léon Trotski et à son geôlier, à Laurel & Hardy, à Raymond Chandler, à Hank, au docteur Destouches, à Charles Baudelaire et à toi66.
28 Hay una guerra et le sujet qui la raconte – bien qu’il s’interdise presque toujours un regard compassé – jette des ponts sans équivoque du côté des vaincus. Il le fait avec une dose suffisante de désillusion pour se permettre à peine un vague geste nerveux de révolte et un vague espoir dans la rédemption. Mais il est clair que la passivité fondée sur le désenchantement n’est pas en réalité le fruit de l’indifférence, que l’observateur du chaos ne peut pas taire ce qu’il voit, et peutêtre a-t-il fini par s’impliquer dans une sorte de régulation. En fait, cette singulière forme d’engagement qui silencieusement sous-tend la proposition du réalisme sale intervient dans la condamnation wolfienne des productions esthétiques de ses contemporains, qu’il censure sans ménagements dans les pages de Hay una guerra pour leur inhibition face à la problématique quotidienne : si pour Wolfe la tâche de l’écrivain passe par « la fidélité à soi-même et au monde où il vit avec la plus grande honnêteté et générosité dont il soit capable », il considère ses collègues comme « une conjuration de sots qui pourraient bien vivre sur Mars, parce qu’ils ne se rendent compte absolument de rien67 ». En revanche, la désolation du quotidien captée dans ses vers se transforme finalement en appel inexorable à la conscience du lecteur, en geste pour démasquer ses cauchemars et ses passions les plus malsaines, qui sont aussi celles de la société dans laquelle il vit.
29Au programme poétique du réalisme sale correspond également une élaboration rhétorique très spécifique. L’exigence de communication, comme je l’ai déjà indiqué, commande le travail de création de Roger Wolfe, exige une référentialité réaliste qui puisse garantir la transitivité directe. Mais, maintenant face au modèle linguistique de la poésie de l’expérience, respectueux des conventions du langage poétique et – selon les paroles de Wolfe – engoncé « dans le corset rhétorique de la littérature68 », aussi bien la vocation d’honnêteté vis-à-vis du réel que le désir de provocation sur lequel se fonde cette proposition conduit ses adeptes à la transgression des paramètres les plus conventionnels du genre, et au choix d’un langage situé aux confins de la poésie. D’un côté si le poème se conçoit comme un récit décharné d’épisodes de désolation, le poète ne lésine pas sur la crudité, l’horreur ou la dose d’esperpento nécessaires pour provoquer la déstabilisation du lecteur. Par ailleurs, en consonance avec l’univers narratif, le style sera délibérément prosaïque, négligé et frustre, aux antipodes de l’esthétisme et – parce que la vie l’est aussi – radicalement anti-poétique ; le registre conversationnel, voire vulgaire, apparaît émaillé de termes issus des argots de la rue, des blasphèmes, ou de mots qui renvoient à la scatologie, qu’on suppose légitimés par le contexte où ils s’inscrivent – le « climat » de l’histoire – et par la subordination aux normes de la bienséance (car, face à la vocation de « normalité » du moi lyrique de l’expérience, le réalisme sale ébauche une subjectivité marginale et problématique plus proche du malditisme que du simple citoyen). En résumé, l’agressivité de l’expression est le miroir de la violence même du monde de celui qui parle69, et les procédés qui façonnent cette poésie apparemment vide d’artifice convergent vers une même volonté d’intensifier la laideur de la vie. Ainsi, cette moue d’humour et d’ironie qui affleure souvent dans la poésie de Wolfe est parfois une lentille déformante qui en vient à ébranler avec encore plus de violence, avec la vertu de la provocation banalisée du discours scabreux, la sensibilité du lecteur. Et l’ironie drôle ou le sarcasme caustique d’ascendance bukowskienne (comme dans le poème « Democracia » : « Des agneaux sur le chemin de l’abattoir/qui laissent au boucher le choix des armes70 ») agissent au bénéfice de la virulence critique et soulignent en dernière instance le scepticisme radical avec lequel sont affrontés la vie, le nihilisme, le non-sens de toutes choses.
30La proposition du réalisme sale est assignée, finalement, en un lieu mobile et changeant entre la réticence individuelle et la préoccupation collective. Mais, à tout le moins, et en marge du positionnement arboré par ses adeptes (qui peuvent brandir l’inhibition civique comme un geste supplémentaire de malditisme et de révolte contre les bonnes manières ), on ne peut nier à cette rhétorique de la dégradation quotidienne sa valeur opératoire comme instrument de dénonciation sociale. Par ailleurs, l’ambiguïté théorique qui définit cette proposition, entre l’inhibition et l’engagement, entre le malditisme et la responsabilité, pourra être illustrée et à la fois résolue grâce au contrepoint de deux formulations, moins opposées que complémentaires, du même Roger Wolfe. Dans la première, en payant le tribut à la vocation transgressive, on le voit charger avec rudesse contre la correction politique de ceux qui présentent l’écriture comme un exercice de responsabilité civique : « Tous ces blancs-becs […] gorgés de “responsabilité”. Comme si l’écrivain n’avait d’autre responsabilité que celle d’écrire bien71 ». Cependant, le juste crédit que l’on doit concéder à cette position est encore signalé par une autre sentence non moins contendante, par laquelle Wolfe n’hésite pas à assigner une fonction morale à la poésie (en parallèle avec cette préoccupation pour la vie qu’il avait déjà signalé de longue date comme la tâche de l’écrivain) : « Procurer un plaisir intellectuel ; donner à voir ; donner à penser72 ». Il semble ainsi que le fléau de la balance penche, au-delà du scepticisme et contre ce qu’une telle attitude implique, du côté d’une révolte qui aspire à se résoudre dans une espèce de rentabilité sociale.
31Les positions défendues par les voix représentatives de Luis García Montero, Jorge Riechmann et Roger Wolfe, situées dans des lieux aussi différents de la scène lyrique, suffisent pour mettre en question le pronostic de José María Parreño et offrent un témoignage convaincant sur le fait que le temps n’est pas aussi pitoyable pour la lyrique et que ne soufflent pas sur elle des vents contraires à la confiance en l’utilité potentielle du genre. Une fois closes les expériences d’évasion artistique et de la prétendue indifférence éthique que supposèrent les discours novissimes73, on décèle à nouveau dans la génération des années quatre-vingts une revendication de l’essentielle utilité de la poésie, moins en tant qu’instrument idéologique qui façonne notre inconscient et qui est en conséquence susceptible de le transformer, mais par la création dans le poème d’un personnage responsable et réfléchi, qui donne forme à une vision du monde capable de dire « une autre morale » ou d’insinuer « un autre rythme possible ». Le poète de notre temps sait que celle qui se place sur le terrain de l’idéologie est l’unique lutte à la portée de la poésie, et c’est précisément dans cette condition d’outil idéologique que réside sa potentialié révolutionnaire. Avec les mots de Jorge Riechmann, un poème réussi constitue au moins une incitation à « se débarrasser des œillères, sortir du rail, se dételer de la noria, s’arrêter au bord de l’autoroute et respirer74 » : c’est-à-dire, à nous soustraire à la tyrannie de la pensée établie pour nous inviter à re-penser la réalité. Ce qui s’écroule dans la conception de cette poésie comme instrument de la lutte idéologique c’est le sens positiviste de la notion d’utilité embrassée par le social-réalisme : le poème n’aspire pas à la solution des crises et des conflits, mais seulement à l’entraînement à « l’usage de la raison critique et du cœur libre75 », à la résistance face à la morale instituée et au contrôle des messages exercé depuis le pouvoir. À cette étape de l’histoire littéraire, la croyance romantique dans l’immédiateté instrumentale de la parole est naïve, mais pas la croyance dans la fécondité lente du discours qui, disposé à démasquer les mirages de la réalité et à s’édifier en proposition éthique, éveille la conscience critique du lecteur face aux lois de la pensée unique.
32Je conclurai ces considérations avec deux témoignages dissemblables, dont je voudrais qu’ils puissent servir à sanctionner à leur tour le déplacement et la validité de cette nouvelle foi dans l’utilité de la poésie. Contre l’ancienne notion positiviste d’utilité, et contre les connotations pragmatiques qui associent le terme à l’utilitarisme mercantile, se révoltent ces paroles de Fernando Beltrán, un poète, qui depuis ses débuts dans sa démarche créative, a montré une préoccupation obsessionnelle pour récupérer les lecteurs, qui souhaite aussi une poésie utile – nécessaire et « praticable » – pour ceux qui la lisent, et qui situe en fin de compte cette utilité dans la capacité du poème à porter un regard autre sur le monde, dans un travail de subversion idéologique76 :
Entre temps, et malgré d’autres ombres et abandons, nous suivrons les poètes, et toutes tendances mises à part, comme Cocteau, en pensant que notre travail est indispensable, bien que nous ne sachions pas à quoi. Peut-être ne sert-il à rien. Peut-être nous permet-il de suivre dans les sentiers battus du jour ce vers émouvant qui nous fera nous réconcilier avec nous-mêmes, même si tous les paramètres économiques nous classeront avec un zéro pointé, parmi les écritures sans cotation et comme une curieuse espèce qui échappe à l’extinction à cause de l’obstination têtue et involontaire de ses individus aussi stériles vis-à-vis de leurs proches que fidèles et utiles à l’époque à laquelle ils appartiennent77.
33Jorge Riechmann, toujours plus tranchant, semble trouver précisément dans un genre sous-estimé dans nos sociétés postmodernes et pragmatiques un capital d’utilité qui dépasse celui de n’importe quelle autre forme d’expression ou de communication. C’est ce que l’on peut déduire de « L’existence luxueuse », poème discursif intégré dans son essai déjà cité Poesía practicable, où l’auteur réfléchit sur les conséquences du déplacement de la poésie comme lieu central de la culture et de la perte de centralité dans les structures de pouvoir. L’« existence luxueuse » s’appuie sur un jeu conceptuel pour proclamer les valeurs d’un genre qui trouve dans la perte de son lieu social une prérogative de sa gratuité – s’il existe un consensus sur la marginalité de la poésie, celle-ci pourra se permettre tous les luxes – et dans une habile pirouette, il termine en contestant son caractère superflu. De cette façon, Riechmann exalte une poésie qui s’accomplit dans sa vocation perturbatrice : « nous allons nous permettre d’être des taons », « des racines écorchées » ; dans sa volonté d’honnêteté : « nous allons nous permettre d’être honnêtes » ; dans son caractère rebelle et transgresseur : « contredire et même nous contredire » ; dans sa physionomie impure : « ce mot qui tâche » ; dans son désir révolutionnaire et – en déjouant les attentes du titre – dans le luxe de sa nécessité sociale :
Puisque – le mot a déjà fait grand bruit – la poésie
n’a aucune importance,
nous allons nous permettre d’être des taons.
Nous allons nous permettre d’être des racines écorchées
parmi celles qui parfois éclatent sourdement dans les cerveaux.
Nous allons nous permettre d’être honnêtes
(sans renoncer pour cela à l’honnête plaisir
de nous déguiser de temps à autre).
Nous allons nous offrir le plaisir
de ne pas plaire à tout le monde.
Nous allons nous permettre des rigueurs inouïes :
contredire
et même nous contredire.
Nous allons nous permettre de vouloir être
ce mot qui tâche :
avec toute la modestie et toute la douleur du monde
révolutionnaires.
Puisque nous sommes – il y a consensus – superflus,
Nous allons nous permettre le luxe d’être
peut-être nécessaires78.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Ce travail a été réalisé grâce à l’appui du Programme Ramón y Cajal de recherche (Ministerio de Educación y Ciencia) et d’une aide octroyée par le développement du projet « Edition de poétiques et de matériaux pour l’étude de la réception de la poésie espagnole entre 1939 et 2000. »
2 José María Parreño, « Mi generación vista desde dentro », in Revista de Occidente, 143 (abril 1993), p. 141. Dans sa poétique, Jorge Riechmann niait en revanche la validité de l’affirmation brechtienne, bien que, en explicitant l’ironie latente de la boutade de Parreño, il ajoutât qu’une position non exempte d’élitisme culturel pouvait souscrire à cette sentence, à partir du moment où la majorité de ceux qui la liront « penseront que cette petite phrase provient d’une chanson de Coups bas – alors qu’en réalité celui qui en a la paternité, depuis plusieurs décennies, est le poète et dramaturge allemand Bertold Brecht ». (Dans Canciones allende lo humano, Madrid, Hiperión, 1998, p. 17-18).
3 Ce sont les paroles de Luis Alberto de Cuenca dans « La generación del lenguaje », in Poesía, 5-6 (invierno 1979-1980), p. 250.
4 Consulter « La poesía de la experiencia », in Luis García Montero. Complicidades, Litoral, 217-218 (1998), p. 14.
5 Cf. Luis García Montero, « Poética », in Confesiones poéticas, Granada, Diputación Provincial (Col. Maillot Amarillo), 1993, p. 205-206 (Publié antérieurement dans Luis Antonio de Villena, ed., Postnovísimos, Madrid, Visor, 1986, p. 74-76).
6 Voir Luis García Montero, « Prólogo » à Ramiro Fonte, Escolma poética, Granada, Diputación Provincial (Col. Maillot amarillo), 1990, p. 9.
7 Luis García Montero, « Felipe Benítez Reyes : la poesía después de la poesía », dans Felipe Benítez Reyes, Poesía (1979-1987), Madrid, Hiperión, 1992, p. 24.
8 Cf. Luis Bagué Quílez, Poesía española en el final del milenio. Nuevos modos del compromiso : géneros, tópica, tendencias (tesis doctoral inédita), Universidad de Alicante, 2005, p. 108.
9 Luis García Montero, « La libertad de los poetas », in Confesiones poéticas, op. cit., p. 37-38.
10 Les idées glosées dans ce paragraphe sont développées dans différents travaux repris dans les livres de Luis García Montero, Confesiones poéticas, et de Juan Carlos Rodríguez, Dichos y escritos. Sobre « La otra sentimentalidad » y otros textos fechados de poética (Madrid, Hiperión, 1999).
11 Luis García Montero, « Contra la poesía », in Confesiones poéticas, op. cit., p. 201.
12 Ibid., p. 203-204.
13 Luis García Montero, « Pourquoi la poésie ne sert à rien? (Observations pour la défense d’une poésie au serrvice des être normaux) », in Luis García Montero y Antonio Muñoz Molina, ¿Por qué no es útil la literatura? Madrid, Hiperión, 1993, p. 34
14 Ibid., p. 31-33.
15 A diverses occasions, le poète a nié naturellement la nature instrumentale de son écriture, en revendiquant comme une conquête définitive l’autonomie de l’art (et non son autarcie) et en essayant de préserver la poésie de toute sorte d’assujettissement ou d’imposition venue de l’extérieur : soutenir la légitimité et même l’opportunité d’une poésie politique « ne signifie pas mettre l’esthétique au service de la lutte sociale », mais défendre l’idée que « esthétique et moral vont de pair », (Voir les textes « Una poética de la vinculación [Interview avec Yaiza Martínez] », in Canciones allende lo humano, op. cit., p. 89-90 ; et « Crecer hasta la altura de la tarea propia », in Cántico de la erosión, Madrid, Hiperión, 1987, p. 38).
16 Jorge Riechmann, Poesía practicable, Madrid, Hiperión, 1990, p. 19.
17 Cf. « Poética » in El último tercio del siglo (1968-1998). Antología consultada de la poesía española, Madrid, Visor, 1999, p. 759.
18 Si Luis García Montero et, en général, la poésie de l’expérience dessinaient l’image du poète comme une personne normale, Jorge Riechmann a montré à plusieurs reprises sa méfiance face à la condition du poète visionnaire et prophète, avec des arguments qui mettent en question l’aura d’un sujet qui s’arroge des pouvoirs gnoséologiques particuliers et qui défende une humilité à la hauteur des êtres normaux, et qui protège l’audace combative contre les envolées héroïques et les rêves rédempteurs.
19 Jorge Riechmann, « Otro ritmo posible », in Poesía practicable, op. cit., p. 179.
20 Cf. Jorge Riechmann, « El derrotado duerme en el campo de batalla », op. cit., p. 11-24. La démystification du fameux dictum celayen s’exprimait par la voie de l’ironie et de la parodie, dans le poème « Trafic d’armes » de Poesía practicable (op. cit., p. 166) : « La poésie est une arme/chargée de futur?/Peut-être a-t-elle utilisé/beaucoup de poudre en salves/Peut-être la mèche a-t-elle fait long feu./Peut-être personne n’a su/faire feu intelligemment/Peutêtre était-elle chargée/avec de la poudre mouillée… »
21 Miguel Casado, « Jorge Riechmann : poesía del desconsuelo », in Ínsula, 534 (novembre 1991), p. .
22 J. Riechmann, « La tierra leve », in Desandar lo andado, Madrid, Hiperión, 2001, p. 31.
23 J. Riechmann, « Del inacabamiento, la libertad », in Desandar lo andado, op. cit., p. 43-44.
24 J. Riechmann, « No te acostumbres a las excepciones », in Poesía practicable, op. cit., p. 147.
25 Jorge Riechmann, Muro con inscripciones/Todas las cosas pronuncian nombres, Barcelona, DVD, 2000, p. 29.
26 Jorge Riechmann, « Poesía que no cede a la hipnosis (sobre los tres mundos, los cuatro riesgos y la fractura interior de las palabras) », in Resistencia de materiales. Ensayos sobre el mundo y la poesía y el mundo (1998-2004), Barcelona, Montesinos, 2006, p. 132.
27 Voir Jorge Riechmann, « Empeños », in Zurgai [Poesía de la conciencia], décembre de 2003, p. 18-23.
28 Juan Carlos Rodríguez, op. cit., p. 286.
29 Luis García Montero, « La poesía sigue siendo útil (a modo de presentación) », in Confesiones poéticas, op. cit., p. 10.
30 Luis García Montero, « El oficio como ética », in José Romera Castillo y Francisco Gutiérrez Carbajo (eds.), Poesía histórica y (auto) biográfica (1975-1999), Madrid, Visor, 2000, p. 89.
31 Ibid., p. 89-102, et « Poética, política, ideología », in Ínsula [Los compromisos de la poesía], 671-672, novembre-décembre 2002, p. 37.
32 Voir Jorge Riechmann, Poesía practicable, op. cit., p. 86-87. Par ailleurs sa pratique poétique se montre solidaire avec ces mêmes propositions, puisqu’il accueille de manière plus qu’occasionnelle la diction symboliste, et surtout ; il s’approprie d’un langage irrationnel et des mécanismes propres au discours surréaliste, en quête de la perception de l’absurde et de l’expression du chaos du monde contemporain.
33 Ibid., p. 159.
34 Jorge Riechmann, « Por un realismo de indagación (Homenaje a Joan Brossa) », in Canciones allende lo humano, op. cit., p. 129-134.
35 Antonio Ortega, Introduction à La prueba del nueve (Antología poética), Madrid, Cátedra, 1994, p. 10
36 Voir Jorge Riechmann, « Por un realismo de indagación (Homenaje a Joan Brossa) », op. cit., et « Empeños », op. cit., p. 22.
37 Jorge Riechmann, « Sin exclusiones », in Canciones allende lo humano, op. cit., p. 171.
38 Dialectique de la fragmentation » est le titre d’une prose de Poesía practicable, reprise par le poète dans sa récente anthologie Un zumbido cercano (Madrid, Calambur, 2003, p. 170-172).
39 Epigraphe qui sert d’en-tête à la prose citée dans la version de Un zumbido cercano.
40 Voir Jorge Riechmann, « Sin exclusiones », op. cit., p. 171-172.
41 Jorge Riechmann, « Una poética de la vinculación (Interview avec Yaiza Martínez) », op. cit., p. 89-93.
42 Jorge Riechmann, Una morada en el aire. Diario de trabajo, 18 de agosto de 2002 a 18 de agosto de 2003, Barcelona, El viejo topo, 2003, p. 297.
43 Luis García Montero, « Poetas políticos y ejecutivos bohemios », prologue à José M. Mariscal y Carlos Pardo (eds.), Hace falta estar ciego. Poéticas del compromiso para el siglo XXI, Madrid, Visor, 2003, p. 20.
44 Jorge Riechmann, « Empeños », op. cit., p. 19.
45 Cf. la thèse de doctorat déjà citée de Luis Bagué Quílez, dont les pages démontrent avec force que, déjà à la fin de la décennie des années 1980, « de nombreux aspects de l’engagement (neocostumbrismo, satire sociopolitique, ironie marginale et encanaillée), étaient une conséquence de la poésie de l’expérience » (p. 500). Il conviendrait de mettre en exergue, tout particulièrement, la « poésie indiscrète » de Fernando Beltrán, proposition qui proclame sa volonté indiscrète de vagabondage dans la conscience de la société actuelle et réclame une écriture depuis l’expérience, avec pour vocation de dépasser les horizons d’une œuvre qui s’expose à convertir les effusions subjectives et le recueil d’anecdotes de la vie personnelle en un lieu étroit d’aboutissement.
46 Voir, par exemple, Colectivo Alicia Bajo Cero, Poesía y Poder, Valencia, Ediciones Bajo Cero, 1997.
47 Je pense, par exemple à l’« esthétique de la résistance » du groupe de Huelva, voix de l’extrême, qui très proches de l’ancienne poésie sociale, s’emploient à la dénonciation incisive et explicite du capitalisme et de ses formes de représentation et de reproduction, à travers un usage rebelle du langage qui ne fuit pas l’énonciation réaliste, mais fonde son caractère transgresseur dans la culture d’une expression antipoétique. Citons comme exemples les deux volumes collectifs de poésie et théorie Voces del Extremo [Las voces de la poesía española al otro extremo de la centuria], Moguer, Fundación Juan Ramón Jiménez, 1999, et Voces del Extremo : poesía y conciencia, Moguer, Fundación Juan Ramón Jiménez, 2000.
48 Voir Juan Carlos Rodríguez, « La poesía y la sílaba del no (Notas para una aproximación a la poética de la experiencia) », epilogue à Dichos y escritos. Sobre “La otra sentimentalidad” y otros textos fechados de poética, op. cit., p. 245-290.
49 Juan Miguel López, « Prólogo » à Roger Wolfe, Días perdidos en los transportes públicos suivi de Hablando de pintura con un ciego, Madrid, Ayuntamiento de San Sebastián de los Reyes/Universidad Popular José Hierro, 2004, p. 34.
50 Roger Wolfe, Hay una guerra, Madrid, Huerga y Fierro, 1997, p. 80.
51 Voir Santiago Martínez, « El vértigo de lo cotidiano. Roger Wolfe » (Entretien), in Ajoblanco, 69 (décembre 1994), p. 63.
52 Roger Wolfe, Arde Babilonia, Madrid, Visor, 1994, p. 84
53 Roger Wolfe, El invento. Antología poética (Selección de Aurora Luque y Emilio Carrasco), Málaga, Miguel Gómez Ediciones (Col. Cuadernos de Trinacria), 2001, p. 92.
54 Roger Wolfe, Hablando de pintura con un ciego, Sevilla, Renacimiento, 1993.
55 Roger Wolfe, Hay una guerra, op. cit. p. 87.
56 Voir Santiago Martínez, « El vértigo de lo cotidiano. Roger Wolfe », op. cit., p. 63.
57 Ibid., p. 62.
58 Ce glissement depuis la froideur individuelle jusqu’à la préoccupation collective qui affleure dans une réflexion sur le social et même le politique (formulée en termes d’un évident scepticisme) est reconnaissable dans Arde Balinonia : qu’on lise les poèmes comme « Democracia », « Revolución », o la série « 8 poemas en forma de artefacto ».
59 Roger Wolfe, Arde Babilonia, op. cit., p. 59-60.
60 Roger Wolfe, Cinco años de cama, Zaragoza, Prames, 1998, p. 28
61 Roger Wolfe, Días perdidos en los transportes públicos seguido de Hablando de pintura con un ciego, op. cit., p. 96.
62 Roger Wolfe, Hay una guerra, op. cit., p. 78 y 128.
63 Ibid., p. 85.
64 Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser – explique-t-il – mettre mon cœur à nu en public ne m’est absolument pas agréable ; cela m’horrifie, me rend littéralement malade. Mais en même temps, chaque nouveau livre me lave, me purge, me ressource et me donne des forces pour continuer à brûler les étapes, changer de peau et alléger mes bagages dans cette pénible traversée vers la mort. » (ibid., p. 130).
65 Ibid., p. 161
66 Ibid, p. 187
67 Ibid., p. 78
68 Ibid., p. 136.
69 Dans ce sens, le proverbe de Lao Tse avec lequel David González introduit son livre Sparrings (Ribadesella, Línea de Fuego, 2000) – « Les paroles qui disent la vérité ne sont pas belles? les belles paroles ne disent pas la vérité » – énonce clairement que la laideur expressive est au service de l’effet de réalité de ce qui est raconté.
70 Roger Wolfe, Arde Babilonia, op. cit., p. 33
71 Roger Wolfe, Hay una guerra, op. cit., p. 88.
72 Roger Wolfe, « Encuesta a poetas, críticos y editores », Ínsula [Los compromisos de la poesía], op. cit., p. 30.
73 Pour la révision de ce thème controversé, voir l’étude de Juan José Lanz « “Himnos del tiempo de las barricadas” : sobre el compromiso en los poetas novísimos », in Ínsula [Los compromisos de la poesía], op. cit., p. 8-13.
74 Jorge Riechmann, « El derrotado duerme en el campo de batalla », op. cit., p. 12.
75 Luis García Montero, « Los argumentos de la realidad », in Confesiones poéticas, op. cit., p. 236
76 Voir sa « Poética » dans Zurgai [Poesía de la conciencia], op. cit., p. 88-89
77 F. Beltrán, « Hacia una poesía entrometida (Manifiesto fugaz) », in Leer (1989), p. 33.
78 Jorge Riechmann, Poesía practicable, op. cit., p. 177.
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