Images de Graz en littérature
p. 355-372
Texte intégral
Préambule
1Pourquoi, parmi les villes autrichiennes chantées et mises en scène dans la littérature germanophone contemporaine, retenir Graz (seconde ville d’Autriche, 250 000 habitants) et non Vienne (capitale, 1 600 000 habitants) ? C’est que dans l’espace littéraire germanophone, il n’y a pas que les capitales comme Vienne ou Berlin pour avoir leurs « prolongements oniriques » : Hambourg, l’Elbe, le port et ses espaces intermédiaires clandestins, la banlieue d’Altona si présents dans le dernier roman de Norbert Gstrein, Le Métier de tuer2, Francfort et ses quartiers d’affaires dans les polars de Jakob Arjouni, Salzbourg dans ceux de Wolf Haas... Si, parmi les villes autrichiennes de second plan, Graz retient notre attention, c’est sans doute parce qu’elle a su, mieux que d’autres, polir son image entre province et métropole, et tirer parti sur un plan littéraire de son histoire, récente ou plus ancienne, ainsi que de sa situation aux premières loges du conflit yougoslave. Située à deux cents kilomètres environ au sud de Vienne, capitale du Land de Styrie (Steiermark), Graz est un seuil qui ouvre sur l’Est et le Sud-Est de l’Europe. Le nom de la ville témoigne à lui seul de cette vocation orientale, le mot « Graz » vient du slave « gradec » qui signifie « petite forteresse » ou « fortin ».
2Dès le xiie siècle, Graz et son Schlossberg servent de rempart destiné à contenir les assauts slaves et hongrois venus de l’Est. Selon les aléas de l’Histoire, la vocation orientale de Graz se renforce ou s’estompe : quand menace le péril turc, Graz joue le rôle de rempart catholique ; quand il s’éloigne3, la ville redevient un nœud important d’échanges avec l’Est. L’envahisseur n’est pas toujours venu de l’Est, les Français occupèrent Graz par trois fois, en 1797, en 1805 et 1809. En 1938, lorsque Graz est rattachée aux territoires du IIIe Reich – événements sur lesquels nous reviendrons car ils trouvent maints échos dans la littérature – elle perd d’un coup son statut de passage vers les territoires de l’Est et du Sud-Est pour ne plus être que l’un des postes avancés de la marche sud-orientale du Reich. Après la Seconde Guerre mondiale, Graz tente de renouer avec le Sud-Est et les pays des Balkans mais la politique des blocs coupe la ville de son hinterland naturel. Il faut attendre l’effondrement du Mur, puis, quelque dix années plus tard, l’éclatement de la Yougoslavie pour que la ville retrouve pleinement sa fonction de seuil, de sas, de passage.
3Située sur la Mur qui scinde la ville en deux, Graz est enserrée entre les collines et reliefs boisés du Plabutsch à l’ouest, du Rosenberg et de la Lassnitzhöhe à l’est. Elle constitue un nœud routier et autoroutier important : par la A9, on gagne l’ouest de l’Autriche, Linz au nord et Salzburg plus au sud, par la A2 Vienne et la Haute-Autriche ; au sud, la A2 conduit en Carinthie, à Klagenfurt, puis en Italie, la A9 à Leibnitz et Marburg, nom allemand de Maribor, seconde ville de Slovénie. Le centre-ville reflète en plus petit les contraintes auxquelles doit répondre le développement de la ville : un relief, le Schlossberg, resté boisé et peu construit, une rivière, la Mur qui préserve à l’est la vieille ville et ses toits de tuile, tandis qu’au nord et au sud s’étendent les quartiers plus récents. Et déjà, la carte est matière à prolongement onirique. Ainsi Alfred Kolleritsch (né en 1931) retrace-t-il la topographie de Graz, où il vit depuis toujours, dans un essai poétique et littéraire en plusieurs tableaux paru en 1984, démontrant que la seule description d’une carte, pour peu qu’elle soit conduite avec minutie, est en elle-même poétique, et qu’elle fournit la matière d’une rêverie amoureuse, existentielle voire métaphysique :
« L’organisation de l’environnement est l’agencement des “choses” : les reliefs qui enserrent la ville par le nord, le flanc des montagnes à l’ouest, la vue dégagée sur le sud –, le cours du fleuve qui sépare la ville en deux, les linéaments des rues, la géométrie des pignons, les tours et les immeubles. Là vont les chemins, et l’on s’approprie le monde ; là, l’existence prend forme : la ville est le lieu prédestiné qui pourrait être objet d’amour, elle est le Connu5. »
4Ville de mélange, unique par son alliance des influences culturelles slave (slave du Sud, yougoslave) et latine (italienne), que se plaisent à souligner maints guides touristiques6, Graz exerce une forte attraction culturelle sur les Autrichiens eux-mêmes ainsi que sur les Allemands, les Italiens, les Slovènes et les Croates, ses voisins des Balkans. Au sud de Graz, en direction de la Slovénie, s’étend un paysage de douces collines, de coteaux couverts de vignes qui ont valu à cette région très prisée des artistes le surnom de « Toscane styrienne ». Des peintres (Gerald Brettschuh), des architectes (Friedensreich Hundertwasser) ont créé des œuvres qui exaltent la beauté de la Styrie et de sa capitale. Thomas Bernhard venait s’y reposer des turpitudes viennoises.
Graz, « capitale autrichienne des poètes »
5Sur le plan national et dans l’espace littéraire germanophone, Graz, où de nombreux auteurs ont étudié (Peter Handke par exemple), est souvent présentée comme un tremplin propice à la reconnaissance artistique. Pour Barbara Frischmuth (née en 1941), romancière très populaire dans son pays mais peu connue en France où elle n’est pas traduite, auteur d’un bref roman autobiographique (Die Klosterschule, 1979) et de nombreuses œuvres en prose, Graz a été la ville des découvertes culturelles et de l’initiation artistique :
« La première pièce que j’ai vue donnée régulièrement était En attendant Godot aux Kammerspiele de Graz, le premier opéra, Manon Lescaut à l’Opéra de Graz. À Graz, pour la première fois de ma vie je pouvais aller trois fois par jour au cinéma, et voir à chaque fois un film différent. J’avais commencé à découvrir cette culture qui se déroule en dehors des livres. Le ciné-club, la salle Urania, et plus tard le Forum Stadtpark. [...] C’était une époque d’accueil, mais aussi, déjà, de désir d’aller vers tout ce qui dépasse cette ville. Graz fut l’élan pour dépasser Graz7. »
6Si Gunter Falk, de son côté, voit en Graz une sorte de terminus social pour celui qui est d’origine paysanne, la bourgeoisie cherchant sa promotion plus loin, dans les métropoles de rang international, les cities telles que Vienne, Munich, Hambourg, Berlin8, cette ville n’en est pas moins consacrée « capitale autrichienne des poètes » par de nombreux écrivains germanophones contemporains9. Cette consécration, Graz la doit au foisonnement littéraire qu’elle a connu dans les années 1960-1970. Alfred Kolleritsch fonde en 160 la revue manuskripte ; poète et prosateur, président du Forum Stadtpark de 1968 à 1995, il contribue à la découverte de jeunes talents. Depuis, le Forum Stadtpark et le festival du Steirischer Herbst (« Automne styrien ») sont devenues des institutions dans la vie littéraire des pays germanophones. Curieusement, la ville a gardé sa réputation de créativité et de foisonnement littéraires, une réputation qu’elle mérite certainement moins aujourd’hui que dans les années soixante-dix. Mais les ténors de la vie littéraire autrichienne, à savoir les auteurs nés dans les années trente et quarante qui constituèrent l’avant-garde des années soixante-dix, polissent soigneusement, aujourd’hui encore, cette image mythique, un dogme qui n’est pratiquement pas remis en question. L’atmosphère de Graz est littéraire, déclare B. Frischmuth, la ville possède intrinsèquement un climat poétique :
« Il y a sans doute peu d’autres villes où l’on parle tant de littérature tout en soulignant qu’on ne souhaite pas parler de littérature. C’est justement dans cette contradiction que réside vraisemblablement l’atmosphère littéraire de Graz. Car l’atmosphère de Graz est littéraire, c’est ce que ressentent ceux qui n’y vivent pas. Pendant combien de temps une ville supporte-t-elle d’avoir une atmosphère littéraire, c’est là une autre question, surtout quand vient l’instant où commence déjà la légende10. »
Graz et sa situation géographique
7Si Graz est à ce point entrée en littérature, c’est peut-être surtout à la faveur de sa situation géographique. La littérature, qui est déploiement du temps par les mots mais aussi restitution de l’espace, cartographie, délimitation de lieux, tracés de routes et chemins de vie par et dans la langue, ne cesse de se mouvoir entre les points cardinaux qu’elle affecte de qualités et de valeurs précises. Le nord, le sud, l’est et l’ouest font partie de l’imaginaire spatial ou géographique des auteurs ; la perception littéraire de la latitude ou de la longitude est un phénomène subjectif et relatif lié au biographique et transmué par l’écriture. Pour Erich-Wolfgang Skwara, auteur autrichien né à Salzbourg en 1948, émigré aux États-Unis et établi outre-atlantique, Graz représente une tête de pont orientale. Graz, comme Vienne, se situe indubitablement à l’est. Ce sentiment s’enracine dans des souvenirs d’enfance, en particulier dans celui d’un voyage dans l’Autriche d’après guerre, périple au cours duquel l’enfant et sa mère traversent des zones contrôlées par l’armée soviétique. Le pays tout entier prend alors un air de Sibérie11. L’enfant assimile Graz à Vienne, ce sont deux villes pareillement grises, situées loin de Salzbourg, à l’est. Mais à l’arrivée, une surprise attend le jeune Skwara : Graz est gai, Graz n’a rien de sibérien, Graz est léger, pour ainsi dire délesté en comparaison d’un Salzbourg pétrifié dans sa gangue montagneuse. À Graz, il n’y a plus de hautes montagnes ! Skwara ressuscite le souvenir enthousiaste de cette ville en laquelle il voit un morceau de sud égaré en Autriche :
« La joie et la surprise se transformèrent en enchantement quand une fois entré dans la cour intérieure de l’Hôtel du Erzherzog Johann [l’un des plus beaux palais baroques de Graz] tu vis les belles arcades, la luxuriance tropicale le long des murs. Ce n’était pas seulement l’Italie, c’était la Sicile, te serais-tu écrié vingt ans plus tard, mais l’enfant déjà était là, ébahi devant tant de non-Autriche, il n’y a pas d’autre terme12. »
8Ainsi Graz se retrouve-t-elle agrégée à la « non-Autriche », rattachée à un imaginaire du sud, à tout un légendaire méridional, méditerranéen ; elle échappe comme miraculeusement à un déterminisme géographique qui la veut proche de l’Adriatique, ancrée en Europe centrale ou dans quelques confins de l’Est, une implantation géographique spontanément associée à quelque sinistre et barbare obscurité – presque déjà « Demi-Asie », pour reprendre l’expression de Karl Emil Franzos13.
Topographie et poétique grazoises
9Comme bien des villes, Graz peut être lue avec l’œil esthétique d’un Pierre Sansot. Car la ville est dotée d’une poétique et d’une organicité propres, « la ville parle14 », elle possède quelques grands lieux qui la dévoilent, la révèlent15. L’artère de Graz, c’est son fleuve, la Mur, un affluent de la Drave, dite Drau en allemand et Drava en serbo-croate, qui traverse la Carinthie et une partie du Tyrol avant de se jeter dans le Danube. Sur la signification du fleuve dans la ville, on relira avec bonheur les pages de P. Sansot :
« Le fleuve apparaît comme ce qui divise et ce qui unit à la fois les territoires d’une ville. Sans son existence, une cité se donnerait comme une masse un peu confuse. Grâce à lui, les axes directeurs se manifestent avec plus de clarté ; il est plus facile de s’orienter à partir du fleuve et de distribuer mentalement les quartiers d’une ville. Il existe une rive gauche et une rive droite et, très naturellement, chaque rive tendra à persévérer dans son originalité présumée, plus bourgeoise ou plus bohème, plus laïque ou plus religieuse16. »
10La Mur, qui tient davantage d’un torrent encaissé que d’un fleuve, est rarement décrite sous un jour aimable. Zoderer (né en 1935 à Meran), comme Loidolt (né en 1953) insistent sur ses eaux noires ou gris-brun17 et ses remous, incitation au suicide18. Le je-narrateur de Fils de putain, roman de Gabriel Loidolt, présente la Mur comme une ligne de démarcation sociale, une rivière cruelle où l’on jette les enfants19. Pour Barbara Frischmuth, elle est un repère intemporel, au cours immuable, qui lui permet de reconnaître enfin la ville qu’elle a connue dans les années cinquante, de relier (Sansot dit « d’unir ») et de relire une ville devenue depuis méconnaissable par endroits (que sont devenus les jardins ouvriers le long de la voie Graz-Köflach, et les prairies aux abords du cimetière de Steinfeld20 ?). Le cœur battant de Graz est double, il se compose de deux places, la Jakomini Platz et la Hauptplatz, vers lesquelles convergent pratiquement toutes les lignes de tramway ; ces places sont aussi des places de marché, couvertes de petits stands. Évoquées par de nombreux essayistes et écrivains, elles sont des lieux d’échange et de brassage social. Le ventre de Graz se trouve sous une montagne : il s’agit du souterrain du Schlossberg. Ce boyau fascinant qui servit pendant la Seconde Guerre mondiale d’abri anti-aérien – quand sonnaient les sirènes, les habitants traversaient en courant le pont sur la Mur pour s’y réfugier – reste gravé dans les mémoires, celle de Joseph Zoderer :
« Je connais le ventre du Schlossberg mieux que le ventre de ma mère. J’y ai passé des jours qui étaient comme des mois ou des années, une partie de mon enfance, dehors tombaient les bombes, et ici, sous la voûte rocheuse, il y avait une odeur de peur et d’excréments21. »
11Celle d’Alfred Kolleritsch :
« Lorsque après le grand bombardement du 1er novembre 44, mon frère et moi courûmes hors des galeries (pas encore sécurisées) malgré les bombes qui tombaient encore, nous vîmes devant nous le pensionnat en ruine, surmonté d’un nuage de poussière. La montagne protectrice contrastait avec le bâtiment détruit dont le directeur, un officier et professeur de lycée gravement blessé au front, nous avait éreintés comme si nous étions ses recrues. La montagne demeurait – la roche, la terre, le milieu à partir duquel les points cardinaux déterminaient proximité ou éloignement22. »
12Le poumon vert de Graz est le Stadtpark, hanté par les statues de grands écrivains autrichiens (Peter Rosegger, Anastasius Grûn, Robert Hamerling...) ; ce parc est aussi un haut lieu de la vie littéraire contemporaine, il abrite le Forum Stadtpark. Dans le roman Die Irische Geliebte de Gabriel Loidolt, il est dépeint comme un lieu de liberté oisive. Enfin, le symbole de Graz, sa tour Eiffel, c’est la tour de l’Horloge qui se dresse fièrement au sommet du Schlossberg. « Tant qu’on voit la tour de l’Horloge, on est sûr d’être à Graz23 » résume Helga Glantschnig, née en 1958 à Klagenfurt. Cette tour n’a rien d’un clocher d’église, elle ressemble plutôt à un donjon qui, au sommet de la colline, accueille le cadran géant de l’horloge ; le temps et lui seul paraît gouverner la ville. Cet édifice hissé au rang de symbole est sans doute trop chargé historiquement et trop assailli par les touristes pour se prêter encore à un traitement littéraire ; il apparaît peu dans les écrits biographiques ou fictionnels et semble se dérober à l’imaginaire24.
13Communément, les villes en littérature sont évoquées par une série d’impressions sensorielles, fortement visuelles chez Peter Handke qui nous propose des tableaux (les instantanés de Salzbourg et la fameuse boucle du trolleybus dans le Chinois de la douleur par exemple) ; les impressions auditives dominent souvent dans l’évocation des métropoles (bruits de rues, de marchés, de circulation), plus rares sont les sensations olfactives (le fameux Parfum de Süskind fait partie des rares livres de la littérature qui mettent l’odorat à l’honneur). En ce qui concerne Graz, la ville porte une empreinte sonore qui lui est propre ; sa signature, c’est son dialecte qu’on entend partout et que certains écrivains autrichiens promeuvent au rang de langue littéraire, rapprochant ainsi le périphérique ou minoritaire linguistique de la norme ou du canon. Wolfgang Bauer, auteur né à Graz en 1941 et mort tout récemment, en 2005, explore avec ardeur les possibilités littéraires offertes par le dialecte grazois et juxtapose avec bonheur, dans ses évocations de Graz, hochdeutsch et dialecte25. Friedrich Achleitner (écrivain autrichien et spécialiste d’architecture né à Schalchen en 1930) qualifie les sonorités grazoises (les Ou, Oj, Ej) d’« exotiques et archaïques à la fois26 ». De leur côté, les auteurs allemands en visite à Graz ne manquent pas de relever les particularismes du parler styrien. Yoko Tawada assimile d’ailleurs (abusivement) les austriacismes nombreux dans le domaine culinaire à des particularismes grazois27.
Graz, ville palimpseste
14Sous le Graz léger, méridional, voire exotique d’aujourd’hui se promènent les ombres du passé nazi, que la littérature ressuscite. L’Histoire, la vraie, infiltre et nourrit l’imaginaire littéraire. Pour les écrivains nés dans les années trente, l’imaginaire de la ville est impensable sans un retour constant au passé, il est résurgence, rémanence du passé, avènement du refoulé. Notons qu’en architecture, les manifestations de 2003, année où Graz fut capitale culturelle européenne, ont tout autant servi à promouvoir et à actualiser la ville du futur qu’à convoquer les fantômes du passé, certains monuments faisant resurgir sous la réécriture de la ville d’aujourd’hui, l’ancienne écriture (pour filer la métaphore du palimpseste), en l’occurrence celle de la ville nazifiée. Ainsi un édifice comme le double de la tour de l’Horloge (le Schattenobjekt, « objet-ombre », de Markus Wilfling), une réplique à l’identique revêtue de métal noir et accolée pour l’occasion à l’original, puis rasée quand la manifestation européenne fut terminée, a-t-elle matérialisé la funeste adhésion de la population grazoise au nazisme. Cette ombre jumelle a pendant quelques mois rappelé aux habitants et aux visiteurs, en un lieu de promenade et de contemplation très prisé des Grazois, à savoir le sommet du Schlossberg, le fameux « Soulèvement Populaire » du 24 février 1938, dit Volkserhebung : quinze jours avant que les troupes allemandes ne passent la frontière, la ville de Graz s’était spontanément ralliée au régime national-socialiste et avait pavoisé les bâtiments officiels de la croix gammée. En littérature, nombreuses sont les allusions à Graz ville de la Volkserhebung. Elle est évoquée par Alfred Kolleritsch :
« Graz n’avait été qu’un spectateur applaudissant avec ferveur, un spectateur d’autant plus zélé qu’il cherchait à se faire remarquer et à montrer sa dévotion. Ainsi l’idéologie fasciste prit-elle une forme provinciale, celle d’un entêtement régional et d’une spécificité locale interprétée comme phénomène naturel, et offerts en contribution à la nation entière – [...]28. »
15Dans Hurensohn de Gabriel Loidolt29, roman dont l’histoire se déroule à Graz, ce même « Soulèvement Populaire » est évoqué fugitivement par Ozren30, le jenarrateur, un handicapé mental, fils d’une prostituée croate, que certains traitent d’idiot mais qui se définit lui-même comme un « acrobate du cerveau ». Ozren nous montre l’envers de Graz ; ethnologue ou sociologue malgré lui, il brise la façade idyllique de cette capitale de la culture et du tourisme pour faire remonter l’image plus noire d’une ville divisée, hiérarchisée, marquée par son sinistre passé. Il juxtapose les signes, les met à plat ou plutôt en série, mais sur un mode incontrôlé, dépourvu de toute intention signifiante (de sa part à lui...) :
« Oncle Ante dit : “Même le dernier Kümmeltürke, même la plus p’tite tête de cumin venue de Turquie, peut lire en lettres edelweiss sur fond brun, qu’il fait le tour d’une ville de la culture, dans son tacot allemand de merde !” J’aime ma ville même si certains la haïssent comme la peste parce qu’elle est aussi la ville du Soulèvement Populaire, comme on peut lire dans le journal ; c’est en rapport avec monsieur Hitler. Mais moi, j’ai grandi dans un autre temps, sur la rive droite d’une rivière écumeuse que ma mère a toujours nommée du seul nom de Mura31. »
16D’autres auteurs évoquent volontiers la ville de leur enfance, le Graz de l’après-guerre encore hérissé de ruines, où se dressent timidement les palissades, signes visibles de la reconstruction et de la ville en mutation. Klaus Hoffer, dans un texte autobiographique intitulé « Graz von unten und innen », « Graz d’en bas et de l’intérieur », brosse des descriptions saisissantes de la ville d’alors. Ce qui n’est pas ruine, ce qui subsiste, surgit tel un mirage superbe ; dans le paysage bouleversé, littéralement retourné de la ville anéantie, l’irréel, l’exotique, le bizarre avoisinent le réel le plus sordide ; plus exactement, ils en sont l’émanation, la réalité dépassant ici, et de loin, la fiction :
« Sur notre trajet, dans la Brandhofgasse : un vide entre deux maisons, il en manquait une ; à hauteur du deuxième étage de cette maison manquante, comme dans une maison de poupée, il ne restait plus qu’un petit morceau de dalle qui portait la cuvette des toilettes. Le réservoir était encore suspendu au mur. Cette cuvette avait quelque chose d’aérien, elle nous défiait. Pendant un certain temps, presque tous les dimanches, nous allions à cinq chez mes grands-parents de Stifting en prenant un chemin désolé, éternellement le même, qui passait par la Leechgasse et la Schanzelgasse. Sur les berges du Kroisbach, les ordures brillaient entre les orties. Dans les cratères des bombardements du Rieswald, une forêt où nous jouions enfants, les orties poussaient entre les décombres et les bris de verre. – Dans mon souvenir, sur le chemin de la maison, l’édifice fortifié de l’Hôpital du Land se détachait, vestige exotique tel un palais tibétain contre le ciel du soir bleu acier32. »
17Ainsi la ville d’après-guerre se mue-t-elle en un fantastique désordre où la nature et la liberté reprennent leurs droits. Pour l’enfant, les terrains vagues, les carcasses de toutes sortes et les cratères laissés par les bombardements offrent un inépuisable espace de jeux ; le chaos favorise l’exploration buissonnière et la réinvention des lieux. L’auteur revit l’instabilité de cette période : les bombardements du printemps 19433 chassent la famille Hoffer de Graz (le père de Hoffer était un haut fonctionnaire nazi). Pendant quelque temps, l’ancien appartement des parents de l’auteur est occupé par un « communiste » et sa famille, puis Madame Hoffer et ses enfants s’y réinstallent et partent alors à la recherche de leurs meubles bradés par le squatteur, l’occupant communiste. Dans le souvenir de l’enfant, Graz se réduit à une carte d’état-major : les maisons et quartiers où les meubles de famille pourraient avoir atterri sont balisés en rouge, la mère de Klaus Hoffer procédant à des recherches systématiques. Les croix et repères portés sur le plan de Graz délimitent l’espace de l’enfance du je-narrateur, et c’est par cette cartographie familiale intime que le je-narrateur remonte le temps :
« Graz fut pendant quelque temps semblable à une carte d’état-major piquetée de petits drapeaux rouges qui marquaient les points stratégiques, ces intérieurs étrangers où se trouvaient nos meubles. Ma mère était sans arrêt à la recherche de nouveaux indices concernant notre mobilier disparu (à Wetzeldorf, il paraît qu’il y a quelque chose, dans la Bergmanngasse, dans la Humboldtstraße, et soi-disant dans la maison d’en face, chez un policier), et effectivement, elle retrouva certains meubles.
Le lampadaire avec l’abat-jour en parchemin dans la Sonnenstraße, je crois, cette rue qui me fait penser à un quartier de Heurigen à Vienne, et que j’aime aujourd’hui encore34. »
Graz et l’histoire récente
18Graz, voisine de la Slovénie où ont lieu les premiers échanges de tir lors du conflit yougoslave, est particulièrement sensible aux bouleversements de cette région d’Europe. Pour Yoko Tawada (née en 1960 à Tokyo, établie à Hambourg depuis 1982), dont les deux premières pièces en langue allemande furent créées à Graz et dont les œuvres paraissent en français aux éditions Verdier, Graz rime avec frontière, selon une amusante allitération en allemand que nous ne retrouvons pas en français (mais en français, nous avons les deux paronymes « grâce » et « Graz ») : « Les mots Graz et Grenze ont trois consonnes en commun. Graz est bien une ville-frontière35. » Le mot allemand Grenze est d’ailleurs un emprunt au slave grenize qui signifie marche. Cette situation frontalière expose la ville aux secousses des Balkans ; lors du conflit en ex-Yougoslavie, Graz est aux premières loges : une amie japonaise de Yoko Tawada lui écrit alors :
« “Tu ne peux pas aller à Graz, là-bas, c’est la guerre”. [...] Sur une carte mondiale, on ne voit pas bien si Graz est en Hongrie ou en Slovénie. “Non, ici, ce n’est pas la guerre”, lui répondis-je. Mais je ne pouvais expliquer comment une ligne qui traverse des vignobles pouvait séparer la guerre de la non-guerre36. »
19Cette ligne qui court à travers les vignes est la fameuse Weinstrasse ou « route des vins » ; appelée aussi « frontière verte », elle marque la limite sud-est de l’Autriche, le pays qui se trouve de l’autre côté n’est pas la Hongrie mais la Slovénie37. Certains écrivains, autrichiens davantage qu’allemands, ouverts aux influences littéraires de l’Europe du Sud-Est choisissent le conflit yougoslave comme toile de fond de leur œuvre, et ce faisant, évoquent Graz. C’est le cas de Norbert Gstrein dans Le Métier de tuer, un roman sur la guerre en ex-Yougoslavie où Graz est mentionné fugitivement, comme lieu de repos et presque de villégiature pour le reporter de guerre Allmayer. Dans le système du roman, la ville de Graz, juxtaposée à celles de Hambourg, de Vukovar, Dubrovnik, Zagreb ou Zadar, fait sens. Le seul lieu de Graz évoqué avec précision est le château d’Eggenberg (l’un des plus beaux châteaux de Styrie, édifié au xvie siècle par des architectes italiens, puis baroquisé) ; le motif est retenu pour son cadre paradisiaque, une bulle paisible en parfait contraste avec la brutalité du front ou la grisaille hambourgeoise.
20Avec davantage de continuité, Gabriel Loidolt fait de Graz la vedette anonyme de son roman Hurensohn/Fils de putain. La ville s’y dessine en filigrane, par touches successives : les clochers à bulbes des églises baroques, cliché touristique (« la ville de ma vie est petite, mais fière, avec ses coupoles d’église vert-de-gris, et ses cloches de bronze qui sonnent38 »), les quartiers chics (ceux des Styriens en costume vert, sur lequel figure le motif de l’edelweiss...) et moins chics, les portes cochères qui s’ouvrent telles des gueules où viennent s’abriter les filles, et la Mur, dite aussi Mura en croate, qui est une limite probatoire, la franchir pour aller dans les beaux quartiers constitue pour le je-narrateur une étape initiatique.
21Pour reprendre les notions mises en œuvre par Michel Foucault dans un article intitulé « Le langage de l’espace » paru dans la revue Critique, les déplacements du je-narrateur dans le roman Fils de putain obéissent à deux axes, « l’horizontale des abscisses » – le taxi qui parcourt les rues, transportant le je-narrateur à la recherche de sa mère invisible, la promenade à pied dans les quartiers chauds – et « la verticale des ordonnées39 » – la montée dans l’immeuble. Michel Foucault souligne que
« [...] la “description” [...] n’est pas reproduction, mais plutôt déchiffrement : entreprise méticuleuse pour déboîter ce fouillis de langages divers que sont les choses, pour remettre chacun en son lieu naturel, et faire du livre l’emplacement blanc où tous après déscription, peuvent retrouver un espace universel d’inscription40 ».
22Dans le roman de Loidolt, la description est plus que jamais déchiffrement, effort pour lire et ordonnancer le réel sans volonté d’appropriation ou de domination sociale. Ici, nul espoir d’ascension ou d’émancipation sociale pour le je-narrateur, nulle échappée par le haut : Ozren s’englue dans une déambulation urbaine assujettie à l’axe des abscisses évoqué ci-dessus, cet axe qui semble bien être « son lieu naturel », les rues, les places, le bordel du Mercedes Bar et la cour de son immeuble minable se referment sur lui, la seule ascension du livre (une montée dans une tour d’immeuble, à l’étage qu’occupe sa mère, prostituée de luxe) signifie la mort de cette dernière et une redescente plus brutale encore du je-narrateur dans l’enfer du réel. Les trajets urbains du personnage principal ne signifient pas, comme dans les romans de formation traditionnels, une métamorphose, une évolution ou une maturation du personnage ; Ozren, même en mouvement, reste figé dans l’enfance de son être et prisonnier des rets de la ville ; son projet de voyage en Croatie avorte, seule grandit, au cours d’une errance qui s’apparente à un piétinement, sa désespérance.
23Fait unique dans la littérature contemporaine de langue allemande, la ville de Graz, sa topographie et son organisation sociale, ainsi que la forte influence du conflit yougoslave sur la composition de la population locale, nous sont restitués ici du point de vue d’un immigré croate, un Candide d’une vingtaine d’années, qui mieux que quiconque décrypte le réel – parce qu’il se fie paradoxalement aux apparences, lit et repère les signes sans avoir pour intention première de les interpréter :
« Eh oui, il y a aussi beaucoup de Serbes dans ma ville ! Je les reconnais aussi à la langue qu’ils parlent, parce qu’ils parlent croate, mais à la manière serbe. Les vrais Autrichiens les prennent pour des Turcs parce que presque tous ont la moustache, mais prendre un Serbe pour un Turc, c’est aussi grave que prendre un Turc pour un mangeur de porc ou un buveur de slibo. Dans la ville de ma vie, personne ne tremble face aux Serbes. Ce sont eux qui tremblent avec leur marteau piqueur dans la tranchée de la rue, eux et les Slovènes, les Croates, les Macédoniens, les Albanais du Kosovo41. »
24Un peu plus loin, Ozren évoque son quartier, le quartier pauvre des prostituées (dites « demoiselles-putes ») situé sur la rive droite de la Mura, du côté de la Annenstrasse et de la gare, qu’il appelle aussi son « Grand Monde » (« Aller-weltsviertel »). Dans ce quartier bigarré où la xénophobie côtoie toutes les formes d’exploitation, l’oncle d’Ozren, Ante, un Tschusch (terme péjoratif désignant les Slaves du Sud), fait figure de sage respecté de tous, car il possède le code linguistique des dominants.
« Un protecteur de demoiselles au volant d’une Mercedes neuve l’a pris un jour pour un Turc parce qu’il parlait avec une demoiselle-pute sans mordre à l’hameçon. “Vole pas son temps à ma pouliche, abruti, Kümmeltürke !” a-t-il hurlé. Oncle Ante a découvert ses dents jaunes de tabac et répondu : “J’suis qu’un pauvre Tschusch, Chef ! Ich bin nur ein armer Tschusch, Herr Chef !” Et ça en allemand car les petits-fils de la race des Seigneurs ne savent aucune langue étrangère. Alors, le protecteur de demoiselles s’est mis à rire, oncle Ante a ri aussi et il a dit en croate : “J’me doutais bien qu’t’étais analphabète, pauv’ Teuton rabougri42 !” »
25L’allemand d’Ozren est un haut-allemand aux tournures bizarres et poétiques, qu’un véritable idiot n’utiliserait sans doute pas, mais qui est parfaitement vraisemblable dans l’économie du récit. Cette langue, par endroits créée de toutes pièces, est émaillée d’expressions dialectales, de termes serbo-croates (jurons) et de créations lexicales ; hybride et polymorphe, elle reflète et recrée ce qu’est la réalité sociale de Graz, ville d’autochtones (ceux qu’Ozren appelle les « Autrichiens d’ici »), d’immigrés et de poètes.
« J’aime toujours aller à Graz, mais aussi en repartir »
26« J’aime toujours aller à Graz, mais aussi en repartir43 » écrit Friedrich Achleitner. Helmut Eisendle, après un séjour à Trieste, rentre en Autriche ; il s’établit à Vienne, et non à Graz. Et il n’est qu’un exemple parmi d’autres. Comment expliquer que cette ville des poètes retienne si peu ses auteurs ? C’est qu’on y ressent à la longue un climat de fermeture, la vie littéraire y est vite autarcique, et suspendue à la contingence, au caractère fortuit, aléatoire et parfois arbitraire des relations. B. Frischmuth souligne combien la littérature à Graz naît des contacts44, des réseaux, avec tous les filtres qu’ils impliquent.
27Sans doute pour rester à Graz, pour s’accommoder et se satisfaire des limites de cette « capitale de province » faut-il toute la puissance de re-création du souvenir, ou le ferment de l’imagination, lui seul assurant la bonification, la fécondation toujours renouvelée du réel.
28Pour Klaus Hoffer, le passé, qui est moins le passé historique de la ville qu’un vécu personnel, occulte opportunément le présent et le lie indéfectiblement à la ville de son enfance :
« Le Graz d’aujourd’hui n’éveille rien en moi : c’est une belle ville (ce dont je ne me suis à dire vrai guère rendu compte) à la situation climatique désastreuse (ce dont je souffre souvent). Ce qui m’importe, c’est ce passé que j’ai en elle ; il s’accroche à moi – de sorte qu’être “dehors” signifiait toujours, comme au Far West, affronter l’adversaire, et qu’être “dedans” était synonyme de peur : peur du grincement incessant du parquet dans l’appartement devenu gigantesque, peur du martèlement des pas chez les propriétaires qui habitaient l’étage au-dessus, peur des fenêtres qui tremblaient sous ces mêmes pas, peur de la nuit, de cette mère si sévère qui se battait avec tant d’âpreté. Sans compter les éternelles allées venues des étrangers, l’état de siège permanent dans lequel nous plongeaient les voleurs et les squatteurs. [.] Cette époque a grandi avec moi, elle fait partie de moi, comme ce sixième doigt aux mains des enfants-troglodytes du couloir. C’est sans doute pourquoi je vis encore ici aujourd’hui45. »
29Pour Gabriel Loidolt, Graz est une muse docile, une ville du rêve qui invite à prendre le large. Par l’imagination, qu’il a vaste et prodigue, l’auteur arrache Graz à son emprise continentale, il la transplante au bord de la mer, il la projette finis terrae, une position géographique utopique que cette ville « de l’Est » occupe pourtant de facto pour nous, Français de l’Ouest. Lors d’un atterrissage à l’aéroport de Graz après deux années d’exil irlandais, l’auteur est frappé « par la présence écrasante des innombrables tonalités de verts – une mer calme, scintillante46 ». Puis il se lance dans une vraie déclaration d’amour à la « ville de sa vie » : « Graz est aussi bonne muse que Vienne, même s’il m’arrive de souffrir de l’étroitesse géographique de la ville de ma vie car j’adore prendre le métro47. » Et il nous rappelle cette banale vérité, magistralement illustrée par Emmanuel Bove dans son Bécon-les-Bruyères, Bove en qui Gabriel Loidolt et Peter Handke voient un auteur-phare : tout lieu, même le plus provincial, le plus morne, le plus plat, peut être matière à transcription, à transfiguration poétiques, car seul comptent le regard, la résonance du lieu en vous. « Celui qui n’a pas d’idée à Graz n’en aura pas non plus à Vienne ni à Paris48. » Voici la fin de Graz, meine Stadt am Meer/ Graz, ma ville au bord de la mer, un texte que Gabriel Loidolt a écrit pour la Neue Kronenzeitung à l’occasion des festivités de l’année 2003 :
« Graz fut aussi la ville de la sujétion empressée. Oui, certainement. Mais à ne montrer que la face noire du tableau de l’Histoire, on perd la vue d’ensemble et on ne tient compte ni des générations qui nous ont précédé ni de celles qui viendront. Graz est loin d’être aussi bornée que ce que bien des gens prétendent volontiers [...]. Il y a peu de temps, je flânais dans le centre-ville et je fus étonné du nombre de Grazois qui s’enthousiasmaient pour l’ombre de la Tour de l’horloge, l’ascenseur de Marie et l’île sur la Mur49.
La ville de ma vie n’a qu’un seul défaut : elle n’a pas réussi à persuader Dieu de faire commencer la mer au Schwarzl-Teich50. Mais dans mon imagination, cela fait longtemps que Graz est au bord de la mer – et moi, je suis son plongeur invisible51. »
Notes de bas de page
2 N. Gstrein, Le Métier de tuer, trad. V. de Daran, Paris, Editions Laurence Teper, 2005 (titre original : Das Handwerk des Totens, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2003).
3 En 1664 : victoire de St Gotthard. En 1529, puis 1683 : siège de Vienne. En 1697, le prince Eugène de Savoie et les troupes autrichiennes repoussent l’envahisseur turc à Zenta.
4 A. Kolleritsch, « Gegenliebe », Graz von innen. Eine Anthologie, Graz, Verlag Droschl, 1985.
5 « Die Gliederung der Umgebung ist der Zusammenhang der “Dinge” : die die Stadt von Norden her umgreifenden Berge, die Flanken der Berge im Westen, der offene Blick in den Sûde –, der Lauf des Flusses, der die Stadt in zwei Teile teilt, die Spuren der Straßen, die Geometrie der Giebel, die Tûrme und Hochhäuser. Hier gehen die Wege, und man eignet sich die Welt an, hier hat das Leben die Bewandtnis : der vorgesehene Ort, dem die Liebe gelten könnte : das Bekannte » (ibid., p. 22).
6 « Ils [les amoureux de Graz aujourd’hui] sont nombreux à jouir de son romantisme germanique et de sa chaude italianité » (Le Guide du routard, Autriche, Paris, Hachette Livre, 2001, p. 186).
7 « Das erste Theaterstück, das ich auf einer regelmäßig gespielten Bühne gesehen habe, war “Warten auf Godot” in den Grazer ammerspielen, die erste Oper, “Manon Lescaut”, in der Grazer Oper. In Graz war ich auf einmal in der Lage, dreimal am Tag ins Kino gehen zu können, jedes Mal in einen anderen Film. Ich hatte begonnen, die sogenannte Kultur, die sich außerhalb von Bûchern abspielt, zu entdecken. Der Film-Club, die Urania, später das Forum Stadtpark. [...] Es war eine Zeit des Aufnehmens, aber auch schon des Aufbrechens, des Aufbrechens zu allem, was über diese Stadt hinausgeht. Graz war der Anstoß, über Graz hinauszukommen » (Barbara Frischmuth, « Graz, wie es bleibt und sich bläht... », Gerhard Fuchs [éd.], Literatur und kleinformat. Österreichische Gegenwartsautoren in der « Neuen Kronen Zeitung” » 1972-1981, alzbourg/Vienne/ Francfort, Residenz Verlag, 2002, p. 75).
8 Ibid., p. 67.
9 Cf. E. W. Skwara, in K. Hoffer et A. Kolleritsch (éd.), Graz von aussen, Graz-Wien, Literaturverlag Droschl, 2003, p. 61. Ou encore Erica Pedretti, qui parle de « Dichterknotenpunkt » (« nœud, faisceau de poètes »). Ibid., p. 63.
10 « Es dürfte wenige andere Städte geben, in denen soviel ûber Literatur geredet und gleichzeitig betont wird, dass man nicht über Literatur reden möchte. Gerade dieser Zwiespalt macht wahrscheinlich die literarische Atmosphäre von Graz aus. Und Graz hat literarische Atmosphäre, das empfinden vor allem diejenigen, die nicht hier ansässig sind. Wie lange eine Stadt das ertràgt, literarische Atmosphàre zu haben, ist eine andere Frage, vor allem dann, wenn bereits die Legendenbildung einsetzt » (Barbara Frischmuth, in G. Fuchs [éd.], Literatur und kleinformat, op. cit., p. 76-77).
11 Cf. E. W. Skwara, in K. Hoffer et A. Kolleritsch (éd.), Graz von aussen, op. cit., p. 55.
12 « Freude und Überraschung wurden zur Verzauberung, als du erst im Erzherzog Johann Hotel den Innenhof, die schönen Arkaden, den Tropenwildwuchs entlang der Mauern vor Augen hattest. Das war nicht nur Italien, das war Sizilien, würdest du zwanzig Jahre später ausgerufen haben, aber schon das Kind stand überwältigt vor so viel – es gab kein anderes Wort – Nicht-Österreich » (E. W. Skwara, in K. Hoffer et A. Kolleritsch (éd.), Graz von aussen, op. cit., p. 57). La poétesse Friederike Mayröcker partage l’engouement de Skwara : « C’est comme dans le sud, Graz, cette ville du sud, cette douce ville, cette ville caressante, j’en pleurerais [...] » (« es ist wie im Sùden, Graz diese sùdliche Stadt, diese sanfte, liebkosende Stadt, zum Heulen [...] »). Ibid., p. 84.
13 Karl Emil Franzos est l’auteur d’un ouvrage intitulé Aus Halb-Asien. Culturbilder aus Galizien, der Bukowina, Südrussland und Rumänien, vol. II, Leipzig, 1876.
14 P. Sansot, Poétique de la ville, p. 606.
15 Selon P. Sansot, « les grands lieux urbains dévoilent, d’une façon irremplaçable, la ville » (ibid., p. 38).
16 Ibid., p. 107.
17 Cf. J. Zoderer, in K. Hoffer et A. Kolleritsch (éd.), Graz von aussen, op. cit., p. 72.
18 Ibid., p. 75. Ou encore G. Loidolt, Fils de putain, Paris, L’Esprit des Péninsules, p. 44.
19 G. Loidolt, ibid., p. 72 et 89.
20 Cf. B. Frischmuth, in G. Fuchs (éd.), Literatur und kleinformat, op. cit., p. 74.
21 « Ich kenne den Bauch dieses Schlossberges besser als den Bauch meiner Mutter. Tage, die wie Monate oder Jahre waren, habe ich dort verlebt – einen Teil meines Kindseins dort verbracht – draussen fielen die Bomben, hier unter dem Felsgewôlbe roch es nach Angst und Exkrementen » (J. Zoderer, in K. Hoffer et A. Kolleritsch [éd.], Graz von aussen, op. cit., p. 77).
22 « Als mein Bruder und ich nach dem großen Bombenangriff am 1. November 1944 aus dem noch nicht abgesicherten Stollen liefen, obwohl noch Bomben fielen, sahen wir vor uns das zerstôrte Schùlerheim und die Staubwolke darùber. Der Berg als Ort des Schutzes kontrastierte mit dem zerstôrten Haus, dessen Leiter, ein schwer kriegsverletzter Offizier und Gymnasiallehrer, uns wie Rekruten geschunden hatte. Der Berg blieb, das Gestein, die Erde, der Mittelpunkt, von dem aus die Weltrichtungen ùber Nähe und Ferne bestimmten » (A. Kollerisch, « Gegenliebe », Graz von innen, op. cit., p. 22).
23 « Solange man den Uhrturm vor Augen hat, ist man sicher, in Graz zu sein » (B. Frischmuth, in K. Hoffer et A. Kolleritsch [éd.], Graz von aussen, op. cit., p. 70).
24 La même remarque vaudrait pour le Landhaus, siège du gouvernement du Land dans la Herrengasse, chef-d’œuvre Renaissance doté d’une magnifique cour intérieure.
25 Cf. Wolfgang Bauer, « Herbstglosse », G. Fuchs (éd.), Literatur und kleinformat, op. cit., p. 28.
26 « Das steirische Ou, Oj, Ej exotisch und archaisch in einem [.] » (cf. Friedrich Achleitner, « Graz ohne Grazer », K. Hoffer et A. Kolleritsch [éd.], Graz von aussen, op. cit., p. 26).
27 Cf. Yoko Tawada, « Sporgasse », ibid., p. 24.
28 « Bis dahin war Graz ja nur der eifrig klatschende Zuschauer, der um so mehr klatschte, weil er sich auf sich und seine Hingabe aufmerksam machen wollte. So wurde auch die faschistische Ideologie provinziell verarbeitet, der regionale Eigensinn und die als Naturereignis gewertete Eigenart wurden als Leistungsbeitrag dem ganzen Volk geschenkt – [...] » (cf. A. Kolleritsch, « Gegenliebe », Graz von innen, op. cit., p. 21).
29 G. Loidolt, Hurensohn, Berlin, Alexander Fest, 1998/Fils de putain, trad. V. de Daran, Paris, L’Esprit des Péninsules, 2003.
30 Le prénom « Ozren » signifie l’« Eclairé » en croate.
31 G. Loidolt, Fils de putain, op. cit., p. 12. « Und Onkel Ante sagt : “Sogar der letzte Kümmeltürke darf in edelweißer Schrift auf braunem Hintergrund lesen, dass er mit seiner deutschen Schrottkarrosse eine Kulturstadt umfährt !” Ich liebe mein Stadt, obwohl manche sie wie die Pest hassen, weil sie auch die Stadt der Volkserhebung ist, wie manchmal in der Zeitung steht. Das hat mit Herrn Hitler zu tun. Doch ich bin in einer anderen Zeit aufgewachsen, am rechten Ufer eines schäumenden Flusses, den meine Mutter immer nur Mura nannte » (G. Loidolt, Hurensohn, Berlin, Alexander Fest Verlag, 1998, p. 9).
32 « Auf dem Weg dahin, in der Brandhofgasse : Zwischen zwei Häusern fehlte eines, von dem die Höhe des zweiten Stocks, wie von einem Puppenhaus, nur das kleine Stùck einer Zimmerdecke übriggeblieben war, auf dem eine Klomuschel stand. An der Wand hing noch der Hochspülkasten. Dieses Klo hatte etwas Luftiges, Störrisches. Fast jeden Sonntag marschierten wir eine Zeitlang zu fünft den ewiggleichen, trostlosen Weg durch die Leechgasse und Schanzelgasse zu den Großeltern nach Stifting. Auf den Bôschungen des Kroisbaches glitzerte zwischen Brennesseln der Unrat. In den Bombentrichtern im Rieswald, wo wir als Kinder spielten, wuchsen sie zwischen Glasscherben und Schutt heraus. – In der Erinnerung hob sich der Festungsbau des Landeskrankenhauses auf dem Heimweg fremd wie ein tibetanischer Palast vom stahlblauen Abendhimmel ab » (K. Hoffer, « Graz von unten und innen », Graz von innen, op. cit., p. 54).
33 Lors des bombardements par les alliés, Graz subit des dommages assez importants. Quelque 20 000 habitations sont détruites, on dénombre près de 2 000 victimes.
34 « Graz war eine Zeitlang gleichsam eine Generalstabkarte mit roten Fähnchen, die die Zielpunkte markierten : jene Stellen, an denen, in fremden Wohnungen, unsere Möbel standen. Laufend war meine Mutter auf der Suche nach neue Hinweisen auf verschollenes Mobiliar (in Wetzelsdorf, hieß es, sollte was stehen ; in der Bergmanngasse ; in der Humboldtstrasse ; im Haus gegenüber angeblich, bei einem Polizeibeamten), und einen Teil davon fand sie tatsächlich wieder. Die Stehlampe mit dem Pergamentschirm, glaube ich, in der Sonnestraie, die mich an ein Wiener Heurigenviertel erinnert und die ich heute noch mag » (K. Hoffer, Graz von innen, op. cit., p. 55).
35 « Die Wörter Graz und Grenze haben drei gemeinsame Konsonanten. Graz ist in der Tat eine Grenzstadt » (Y. Tawada, in Graz von aussen, op. cit. p. 24).
36 « Du kannst nicht nach Graz fahren, da ist Krieg ! schrieb mir 1997 eine Freundin aus Japan. Auf einer Weltkarte kann man nicht genau sehen, ob Graz in Ungarn liegt oder in Slowenien. “Nein, hier ist nicht Krieg”, schrieb ich ihr zurück. Aber ich konnte auch nicht erklären, warum eine Linie, die durch die Weinblätter zieht, Krieg von Nicht-Krieg trennen konnte » (Y. Tawada, in Graz von aussen, op. cit., p. 24).
37 En Allemagne, on ne sait jamais bien où se trouve Graz. D’après Hedwig Wingler, certains Allemands situent la ville en Tchéquie... Cf. H. Wingler, in Graz von aussen, op. cit., p. 37.
38 G. Loidolt, Fils de putain, op. cit., p. 11.
39 M. Foucault, « Le langage de l’espace », Critique, n° 203, avril 1964, p. 378-382, citations p. 381.
40 Idem.
41 « Und tatsächlich gibt es in meiner Stadt auch viele Serben. Ich erkenne sie sofort an ihrer Sprache, weil sie Kroatisch sprechen, aber auf serbische Art. Die echten Osterreicher halten sie fùr Tùrken, weil sie fast alle einen Schnauzbart tragen, doch einen Serben für einen Türken zu halten ist so schlimm wie einen Türken für einen Schweinefleischesser und Slibotrinker. In meiner Lebensstadt zittert niemand vor den Serben. Sie zittern mit dem Luftpreßhammer im Straßengraben, zusammen mit den Slowenen und Kroaten, den Mazedoniern, sogar mit den Albanern aus dem Kosovo » (G. Loidolt, Hurensohn, op. cit., p. 15).
42 « Ein Mädchenbeschützer in einem neuen Mercedessportauto hat ihn einmal für einen Türken gehalten, weil er mit einem Hurenmädchen sprach, ohne an ihre Angel zu beißen. “Stiehl meinem Pferdchen nicht die Zeit, blöder Kümmeltürke !” rief er. Onkel Ante bleckte die tabakgelben Zähne und rief zurück : “Ich bin nur ein armer Tschusch, Herr Chef !” Und das sagte er auf deutsch, weil die Enkel der Herrenmännerrasse ja keine Fremdsprachen sprechen. Da lachte der Mädchenbeschùtzer, und Onkel Ante lachte auch und sagte auf kroatisch : “Ich wuite gleich, dai du ein Analphabet bist, du Schrumpfgermane !” » (ibid., p. 16).
43 « Ich fahre immer wieder gerne nach Graz, aber auch gerne wieder weg » (F. Achleitner, in Graz von aussen, op. cit., p. 28).
44 « À Graz, la littérature était construite sur les contacts, des contacts qui s’élargissaient une fois qu’un livre était publié »/« In Graz war die Literatur auf Kontakt aufgebaut, Kontakt, der sich, wenn es dann zu einer Buchpublikation kam, erweiterte » (in G. Fuchs [éd.], Literatur und kleinformat, op. cit., p. 76).
45 « Zum heutigen Graz fällt mir nichts ein. Es ist eine schône Stadt (was mir allerdings kaum je zu Bewusstsein kam) mit einer katastrophalen klimatischen Lage (die ich häufig zu spüren bekomme). Von Bedeutung ist mir diese Vergangenheit in ihr ; sie hàngt mir nach – dass “draußen” (wie im Wilden Westen) immer Auftreten von Gegnern bedeutete und “drinnen” Angst hieß : vor dem unaufhörlichen Knistern des Bodens der unterdessen riesigen Wohnung, dem Poltern der Schritte der Hausbesitzer über uns und den unter diesen Schritten schütternden Fenstern, vor der Nacht, der Mutter, die so streng war und so verbissen kàmpfte. Dazu dieses ewige Ein und Aus von Fremden, der ständige Belagerungszustand, in dem wir zuerst wegen der Wohnungsdiebe und besetzer lebten [.]. – Diese Zeit ist mir angewachsen, wie einer jener sechsten Finger an den Händen der Troglodytenkinder im Gang » (K. Hoffer, in Graz von innen, op. cit., p. 60).
46 « Die Wucht der vielen Grüntöne – ein flimmerndes stilles Meer » (G. Loidolt, « Graz – meine Stadt am Meer », Grazer tagebuch. Die Stadt im Spiegel ihrer Literaten, Graz, Steirische Verlagsgesellschaft, 2004, p. 72.
47 « Als Muse halte ich Graz für genauso gut wie Wien, obwohl ich manchmal an der geographischen Enge meiner Lebensstadt leide, weil ich liebend gern U-Bahn fahre » (ibid., p. 73-74).
48 « Doch wem in Graz nichts einfällt, dem fällt auch in Wien oder Paris nichts ein » (ibid., p. 73).
49 Parmi les nouveaux bâtiments de Graz 2003, on compte l’île sur la Mur (Insel in der Mur), conçue par Robert Punkenhofer et réalisée par l’artiste new-yorkais Vito Acconci – c’est un coquillage ouvert dont les gradins relient la vieille ville à la Mariahilfer Platz – et le Grazer Kunsthaus dessiné par les architectes londoniens Peter Cook et Colin Fournier qui met un nouvel accent sur la rive droite.
50 Plan d’eau situé dans le sud de l’agglomération grazoise, non loin de l’aéroport.
51 « Graz war auch die Stadt des eilfertigen Gehorsams. Sicher. Doch wer einzig auf eine böse Epoche im Wandteppich der Geschichte zeigt, verliert den überblick und wird schon gar nicht vorausgehenden und nachfolgenden Generationen gerecht. Graz ist längst nicht so engstirnig, wie viele gern behaupten [...]. Als ich vor kurzem durch die Innenstadt schlenderte, war ich erstaunt, wie viele Grazer sich für den “Schatten des Uhrturms”, den “Marien-Lift” und die “Mur-Insel” begeisterten. Der einzige Fehler meiner Lebensstadt ist, dass sie es nicht geschafft hat, Gott zu überreden, das Meer bereits am Schwarzl-Teich beginnen zu lassen : In meiner Phantasie liegt Graz schon lange am Meer – und ich bin ein unsichtbarer Taucher » (ibid., p. 74).
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