Idéologie et morphologie de la ville, le cas des cités-jardins d’Ebenezer Howard : by Wisdom and Design
p. 53-63
Texte intégral
1Le présent article procède d’un intérêt naissant pour la géographie culturelle et humanistique (humanistic geography), cette nouvelle approche épistémologique au sein de la discipline qui se développe depuis une trentaine d’années sous l’impulsion de géographes proposant une nouvelle définition de l’espace.
2La géographie humanistique, sans toutefois nier la matérialité spatiale, met l’accent sur le caractère construit de l’espace, du paysage (urbain ou rural), ou bien encore du lieu, ces trois termes n’étant du reste pas interchangeables. D’après David Harvey, « les lieux ne se contentent pas d’exister. Ils sont toujours et en permanence construits socialement par les pouvoirs institutionnels de la société1 : » La géographie humanistique pose donc dès l’abord l’hypothèse de l’interpénétration du social et du spatial.
3Elle tend également vers une approche phénoménologique en privilégiant l’expérience humaine/vécue de l’espace comme le souligne par exemple Denis Cosgrove, l’un des spécialistes les plus éminents de la discipline. Dans l’introduction à l’une de ses premières publications consacrée à John Ruskin en 1979, Cosgrove écrit : « Les géographes se sont récemment éloignés des approches purement théoriques et quantitatives de l’organisation humaine de l’espace pour s’orienter vers un réexamen des dimensions qualitatives de notre expérience du paysage et du caractère unique du lieu2. » Renouant avec les thèses situationnistes, la géographie humanistique souligne la relation entre l’espace et l’imaginaire et révèle comment la dimension imaginaire prend forme dans l’espace construit des villes notamment, pour ensuite influencer la structuration de subjectivités individuelles ou collectives.
4Enfin, dans le prolongement des travaux d’Antonio Gramsci, cette géographie d’un nouveau type met au jour les rapports de force et rivalités qui sont à l’œuvre dans l’agencement spatial et la production de l’espace. Elle accorde une importance toute particulière à la notion d’hégémonie et à l’inscription dans la matérialité de l’espace ou du lieu des luttes de pouvoir pour sa conquête et sa domination. On peut alors parler de la territorialisation d’une vision du monde, d’une morpho-idéologie, pour employer un néologisme, constitutive d’une identité individuelle et collective.
5Dans cette optique, nous nous intéresserons ici aux cités-jardins, fruits de l’imagination fertile d’Ebenezer Howard, premiers exemples réellement aboutis de la volonté non seulement d’imaginer la cité idéale mais aussi de l’inscrire dans la topographie et l’architecture d’un espace urbain préconstruit. Il existe certes des tentatives antérieures au projet d’E. Howard, au xixe siècle notamment, qui sont le produit de la philanthropie, du paternalisme industriel ou bien encore d’un réformisme social balbutiant ; ces expériences sont toutefois restées d’assez faible ampleur et leur impact limité, même si certaines communautés ont essaimé sur l’autre rive de l’Atlantique.
6Les cités-jardins sont marquées du sceau de l’utopie officielle comme l’écrivent Ian Tod et Michael Wheeler dans l’ouvrage au titre éponyme qu’ils consacrent à l’Utopie3 ; elles sont également universellement reconnues comme ayant marqué les débuts d’une véritable politique d’urbanisme en Grande-Bretagne4. Nous étudierons donc les cités-jardins comme exemples de villes imaginées à partir d’une analyse des schémas et des plans d’urbanisme élaborés par Howard lui-même, ainsi que par les architectes-urbanistes Raymond Unwin et Barry Parker. Leurs traces sont inscrites dans l’espace urbain comme autant de témoignages de l’intérêt pour la forme urbaine au sein du mouvement réformiste de la fin de l’ère victorienne et du début de la période édouardienne ; enfin, nous essaierons de démontrer en quoi l’esthétique dominante de ces villes planifiées que sont les cités-jardins renvoie à la culture collective d’une « communauté imaginée » au sens où l’entend Benedict Anderson5.
Du naturel à l’artificiel... et inversement
7On associe rarement les villes anglaises à l’idée de planification et d’organisation de l’espace urbain à partir d’un plan d’urbanisme. Se repérer dans l’espace urbain anglais peut se révéler une expérience déconcertante pour un visiteur venu d’Europe continentale tant il est difficile de transférer les repères culturels acquis ; celui-ci est confronté à la difficulté de mettre en œuvre ses propres références et sa connaissance de l’espace urbain pour s’orienter dans une ville anglaise. L’expérience de la ville radiale, commune aux ressortissants des nations d’Europe continentale, se révèle inutile, inopérante, voire trompeuse, dans le contexte spatial de la ville anglaise, ville multipolaire et décentralisée, espace diffus par excellence, dont les itinéraires ne sont pas dictés par le principe de radialité ou de radiation à partir d’un centre clairement identifiable. Les pas du promeneur ne convergent pas vers le centre névralgique, mais conduisent vers d’autres lieux, suivent d’autres itinéraires et trajectoires qui offrent des perspectives différentes. C’est en cela que l’on peut parler d’une expérience de l’altérité. Certes, on objectera que toute généralisation comporte ses dangers et l’on aura raison. Toutefois, tout en n’ignorant pas l’importance des variations régionales notamment, il reste possible de tenter de modéliser la ville anglaise et de souligner la spécificité de sa topographie, la spécificité de la configuration de l’espace urbain anglais procédant du contexte institutionnel, économique et culturel qui a présidé à son développement.
8Dans son étude désormais classique de la ville victorienne Asa Briggs reprend à son compte le concept de ville « naturelle », vocable qui renvoie à l’idée d’un développement urbain non intentionnel, qui se met en place en l’absence d’une vision synthétique de la cité, notamment comme espace public, et qui précède l’apparition d’institutions capables de le maîtriser ou de le canaliser. La croissance urbaine y est décrite comme pragmatique et empirique, sorte de génération spontanée soumise à des impératifs d’ordre purement pratique qui relèvent de l’urgence, notamment sous la pression d’une démographie galopante ; la ville-agrégat reflète également les impératifs d’un développement économique conçu sur le modèle du capitalisme libéral. Les exemples abondent qui illustrent la réticence, voire l’hostilité, caractéristique des villes anglaises, à la planification et aux grands projets d’urbanisme. Certes, il existe des exemples de projets ponctuels, projets architecturaux assortis d’une ambition sociale, citons le Regent’s Park de Nash à Londres, ou bien le Royal Crescent de Bath. Toutefois, les projets d’envergure, à l’échelle de la cité, restent des exceptions, et le plus souvent des échecs : quelle meilleure illustration que l’échec du projet de Nash pour Trafalgar Square ou bien celui de Christopher Wren, qui imagina un plan de reconstruction de la capitale au lendemain du grand incendie de Londres dont on voit une représentation ci-dessous.
9Ce projet ne verra jamais le jour, principalement parce qu’il supposait de tels transferts de propriété qu’il suscita des oppositions insurmontables ; par ailleurs, sa conception de la cité, réplique des grandes villes européennes, s’avéra impraticable dans le contexte anglais pour des raisons qui relèvent en grande partie de l’anthropologie politique. La ville imaginée par Christopher Wren s’inscrit dans une tradition urbanistique que l’on peut qualifier d’ostentatoire, qui exalte la puissance temporelle et/ou célèbre la gloire des princes de l’Église. Au lendemain de la Révolution glorieuse, qui limite la prérogative royale et consacre le régime parlementaire, ainsi qu’en l’absence de toute réflexion sur la notion d’espace et de bien publics, la ville imaginée par Christopher Wren ne pouvait bien évidemment pas voir le jour.
10Le parallèle s’impose ici avec le jardin anglais ou jardin paysager ou bien encore avec la peinture de paysage, deux domaines artistiques qui voient l’émergence d’un génie national qui se libère pour l’un des contraintes géométriques du jardin à la française ou du goût pour l’ornementation des jardins à l’italienne, pour l’autre des exigences de la peinture de portrait. Le rapprochement avec le jardin anglais s’avère tout particulièrement intéressant et productif pour notre étude dans la mesure où il privilégie la forme « libre » et cultive l’ambiguïté d’un « naturel artificiel », au sens où l’artifice exalte le naturel. Il préfigure ainsi les efforts de naturalisation de la ville dans les travaux des architectes-urbanistes qui conçoivent les cités-jardins à la fois comme des espaces bivalents et comme la manifestation d’une identité nationale qu’elles contribuent à construire. Enfin, il est impossible de s’attarder sur l’importance de la peinture de paysage et du jardin paysager à l’anglaise dans le cadre d’un processus de construction identitaire sans rappeler qu’à leur manière tous deux témoignent d’une certaine méfiance, voire d’une hostilité toute britannique, envers l’espace urbain. Comme le souligne Asa Briggs, la ville anglaise n’est pas le lieu de l’urbanité ou de la civilisation. Par opposition à la ville monumentale ou aux projets pharaoniques, les cités-jardins se présentent comme des espaces hybrides d’un nouveau type, sortes de synthèses de l’urbain et du rural. Leur ambivalence, qui s’exprime de prime abord par le biais de l’onomastique, se prolonge dans la relation complexe qui semble lier intentionnalité et révélation d’une vérité organique dans la conception même de ce lieu qu’Ebenezer Howard qualifie de Philadelphia Rurisville.
Urbi et Orbi
11Le schéma de la ville radiale se retrouve dans les villes imaginées par les philanthropes et réformateurs du xixe siècle. Les utopies urbaines et sociales de la fin de l’ère victorienne s’inscrivent dans le prolongement des travaux de précurseurs tels Robert Owen, Titus Salt ou bien encore Feargus O’Connor. Ces premiers exemples de ville imaginée et planifiée sont autant de sources d’inspiration pour le Port Sunlight de Lever (1887) ou le Bournville de Cadbury (1895). Tous ces projets ont ceci en commun qu’ils tentent de pallier les multiples insuffisances de la ville médiévale dont le cadre étroit vole en éclats sous la pression démographique.
12L’ouvrage publié en 1898 par E. Howard, Tomorrow : a peace-ful path to real reform, marque un tournant dans l’histoire des villes anglaises, les débuts des politiques d’urbanisme visant à imposer un ordre à l’espace urbain. En rupture avec la ville « naturelle », les cités-jardins sont des villes intentionnelles, conçues par un auteur et réalisées par les architectes-urbanistes Barry Parker et Raymond Unwin. Les deux exemples les plus célèbres et aboutis de cités-jardins sont Letchworth (1902) et Welwyn (1920). L’étude des plans imaginés par Ebenezer Howard démontre que celui-ci renoue avec le schéma de la ville radiale, la sphère étant la figure géométrique par excellence de la forme parfaite. Ses dessins et diagrammes évoquent la morphologie de la cité idéale, les représentations graphiques de la Cité de Dieu de saint Augustin, de la Cité du Soleil de Tommaso Campanella (1623) ou bien encore de l’Utopie de Thomas More (1516), autant d’expressions de la perfection terrestre élaborées à l’image de la cité céleste.
13La cité idéale imaginée par Howard se veut avant tout un modèle de développement durable et un remède aux pathologies chroniques de la ville victorienne. Howard souhaite à la fois apporter une réponse à la crise économique et sociale qui ravage les campagnes anglaises depuis les années 1870 et trouver une solution à la crise urbaine qui en découle par le biais de l’exode rural. L’afflux des populations des campagnes constitue l’une des causes premières de la surpopulation, cette dernière contribuant largement à faire de la ville victorienne un environnement pathogène. Les cités-jardins visent donc dans un premier temps à apporter des réponses concrètes aux problèmes liés à la surpopulation : il s’agit en priorité de traiter les questions de salubrité et de santé publiques pour éviter la multiplication de foyers infectieux en améliorant la qualité de l’habitat et de l’environnement, en limitant les densités de population, en imaginant un système efficace d’évacuation des déchets et eaux usées. Aux yeux des concepteurs des cités-jardins, les pathologies de la ville victorienne ne se limitent pas à ces questions d’ordre technique mais revêtent également une dimension socioéconomique, politique, voire morale ; il s’agit de combattre l’exploitation, la pauvreté et la criminalité, de lutter contre la ségrégation sociale et géographique et de remédier à l’absence de lien social que favorise l’anonymat des grandes villes. Bref, il s’agit de transformer un espace perçu comme violent et délétère en un lieu de civilisation.
14Les solutions proposées par Howard relèvent essentiellement de la réglementation et de la régulation de l’espace urbain sur la base d’une analyse « scientifique » des critères indispensables à un développement durable et optimal. À l’évidence, et pour employer la métaphore biologique qui sous-tend la réflexion d’Ebenezer Howard, l’organisme de la ville victorienne n’est plus viable, faute d’avoir planifié et encadré son développement. Au cœur de cette réflexion, on trouve une volonté de s’attaquer prioritairement à la question du traitement de l’excédent et de l’accumulation sous toutes ses formes, excédent de population bien évidemment, mais aussi excédent de richesses et donc prolifération des inégalités ; les déséquilibres dans l’utilisation et la répartition de l’espace sont, à ses yeux, les symptômes des déséquilibres économiques, sociaux et politiques qui condamnent la ville victorienne à la dégénérescence puis à l’extinction.
15Les cités-jardins sont donc conçues dans le souci de proposer un modèle de développement durable. Howard imagine un écosystème, une biosphère, où rien n’est laissé au hasard : la superficie de la cité et la densité de population sont définies avec une rigoureuse précision ; la ville centrale essaime en déversant le surplus de population vers des villes satellites, reliées à la ville-mère par le cordon ombilical d’un réseau de communication exemplaire. L’insistance très visible sur les voies de communication et les transports en commun dénote à la fois un souci de désenclaver l’espace en assurant les échanges entre les différentes composantes de ce réseau urbain et une volonté d’éviter le phénomène d’urban sprawl, le développement de villes tentaculaires et inhumaines où toute excentration, tout déplacement vers les marges ou la périphérie, est synonyme de dévalorisation et de perte de sens.
16À la fois utopies urbaines et utopies sociales, les cités-jardins imaginent la Cité idéale, véritable modèle de société, où l’on retrouve les préoccupations des réformateurs sociaux. Cette interaction de l’espace physique de la cité et de son espace social et politique est particulièrement intéressante dans la perspective de la géographie humanistique et vient illustrer la thèse selon laquelle l’espace, le paysage, l’environnement existentiel sont constitutifs et consubstantiels d’une réalité sociale et politique. L’idéal de la cité-jardin est également un idéal de redistribution et de diffusion, par opposition à l’univers quasi-concentrationnaire de la ville victorienne. Les cités-jardins, telles Letchworth, mettent en œuvre le concept de propriété « collective » ; elles sont construites sur des terrains qui sont propriété de la communauté d’habitants réunie en une sorte d’association de propriétaires. Le principe de mutualisation de la terre fait écho aux travaux d’Henry George, notamment dans Progress and Poverty (1881), qui dénoncent le caractère inique de la rente terrienne et par conséquent le monopole dont jouissent les grands propriétaires fonciers6.
17Dans sa dimension sociale, la cité idéale est conçue comme une communauté dont les principes structurants sont la diversité, la coopération et la solidarité. Ces principes sont inscrits dans la topographie de la ville qui réserve des espaces aux déshérités et aux handicapés ; ceux-ci sont certes excentrés, mais dans le nouvel écosystème conçu par Howard, qui échappe à une modélisation de type core-periphery, ceci n’est pas tant un signe d’exclusion que de la prise en compte de besoins spécifiques dans l’organisation de l’espace social. Enfin, dernière caractéristique essentielle des cités-jardins et non des moindres, l’inscription dans l’espace urbain de la notion de bien collectif, avec au cœur de la cité, sa matérialisation par un espace public, le parc, lieu d’une socialisation privilégiée. Le soin avec lequel les espaces publics et les voies de communication sont traités dans les plans des architectes-urbanistes traduit l’importance d’un lien social conçu sur le mode réformiste et progressiste.
De l’anglicité des cités-jardins
18Dans son projet de construction de la cité idéale, Ebenezer Howard allie harmonieusement le souci du détail pratique et de la matérialité du projet d’édification à l’évocation d’une dimension identitaire et culturelle qui s’insinue jusque dans les plans d’urbanisme de Raymond Unwin. Si l’on s’attarde un instant sur l’iconographie à l’œuvre dans la représentation des cités-jardins et l’imagerie symbolique qui la domine, son caractère métaphorique et textuel ne peut échapper. Les éléments décoratifs et les motifs qui contribuent à l’esthétique de la représentation témoignent à la fois d’une réelle conscience de la dimension culturelle de l’espace et du paysage ainsi que d’une volonté d’inscrire l’espace dans une mémoire collective. Il s’agit d’assurer une transition de l’espace au lieu, de « space » à « place », le lieu étant défini par Cresswell7 comme un espace investi de significations qui le transforment en un lieu identitaire. L’esthétique des cités-jardins fait une large place à des marqueurs culturels constitutifs d’une communauté imaginée, participant ainsi à la création d’un espace identitaire et à la célébration d’une certaine conception de l’anglicité.
19D’un point de vue qui n’échappe pas à un certain prosaïsme, les gravures, affiches ou photographies des cités-jardins intègrent de manière quasi systématique une représentation de l’arbre emblématique de la nation anglaise, le chêne ; celui-ci voisine avec le cottage, symbole de l’habitat « vernaculaire » cher aux militants du mouvement arts and crafts avec lesquels Ebenezer Howard entretient des relations privilégiées.
20Les cités-jardins revendiquent également l’héritage du jardin anglais et de la peinture de paysage, même dans la version dégradée qu’en donnent certaines affiches publicitaires vantant les mérites de la banlieue londonienne. L’omniprésence d’une nature domestiquée avec discrétion évoque le naturel artificiel du jardin anglais en ménageant de subtiles transitions entre la nature « sauvage » et le jardin.
21Par ailleurs, le chêne anglais participe d’une esthétique de la clôture déjà perceptible dans les schémas et plans d’urbanisme des cités-jardins dont l’innovation pratique majeure reste la « ceinture verte ». Le motif de la clôture ne se limite pas à une simple évocation graphique de la green belt ou à une représentation de « l’écrin de verdure » des affiches publicitaires. On peut tout d’abord y voir une évocation discrète de l’insularité, du territoire singulier, et donc une référence à peine voilée à l’espace identitaire. On peut y lire aussi une confirmation de l’influence de la pensée distributiviste qui condamne la logique de déterritorialisation d’un capitalisme universaliste et libéral. Point de dépassement du cadre dans cette esthétique où la ligne d’horizon ne promet rien d’autre que la simple reproduction du même. Enfin, associé aux motifs floraux qui filent la métaphore cosmique de la sphère céleste et/ou microcosmique de la biologie cellulaire, l’effet de clôture vient appuyer la référence à une conception organiciste de la communauté, que celle-ci soit locale ou nationale. Indissociable du motif de la régénération et de l’élan vital, la dimension essentialiste de l’esthétique des cités-jardins participe à l’invention d’un sanctuaire où s’épanouit une certaine idée de la nation éternelle.
Conclusion
22La ville-microcosme ou ville-monde conçue par Ebenezer Howard constitue un exemple rare de matérialisation d’une utopie. Le succès de l’entreprise est à la fois relatif et partiel : le projet a parfois été dénaturé en banlieues-jardins, l’ambition réformiste de son auteur n’étant plus alors considérée comme une priorité mais plutôt comme un élément accessoire ; le succès le plus incontestable de Howard reste sa capacité à influencer les politiques d’urbanisme britanniques en imposant la ceinture verte comme un élément incontournable de la structuration de l’espace urbain, ce qui tend à limiter le projet à sa dimension environnementale. Toutefois, les cités-jardins constituent encore de nos jours un modèle de développement alternatif. La stratégie poursuivie par Howard d’ancrage de la réforme sociale dans un espace identitaire signifiant en a assuré la pérennité.
Notes de bas de page
1 « Places don’t just exist [...] they are always and continuously being socially constructed by powerful institutional forces in society » (David Harvey, Consciousness and the Urban Expérience, 1985).
2 « Geographers have recently been moving away from purely theoretical and quantitative examination of the human organisation of space toward reexamining the qualititative dimensions of our experience of landscape and the uniqueness of place » (Denis E. Cos-grove, « John Ruskin and the Geographical Imagination », Geographical Review, The American Geographical Society, janvier 1979, vol. 69, n° 5, p. 43-62).
3 Ian Tod et Michael Wheeler, Utopia, Londres, Orbis Publishing, 1978.
4 Voir à ce propos l’ouvrage de Gordon K. Cherry, Cities and Plans – The shaping of urban Britain in the nineteenth and twentieth centuries, Londres, Edward Arnold, 1988 et plus spécialement les pages 64-69.
5 Benedict Anderson, Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1991.
6 La proximité intellectuelle d’Ebenezer Howard avec les progressistes de la fin du xixe siècle mérite d’être soulignée. La logique de redistribution qui sous-tend sa réflexion le situe dans une nébuleuse doctrinale où il côtoie les théoriciens de la société Fabienne, mais aussi des Libéraux, tels T. A. Hobson qui, dans sa critique de l’impérialisme (Imperialism : A Study, Londres, 1902), dénonce la dérive centralisatrice et monopolistique d’un capitalisme dévoyé et débridé.
7 Tim Cresswell, In Place/Out of Place : Geography, Ideology and Transgression, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996.
Auteur
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