Chapitre VI. L’Impersonnel en langue1
p. 155-177
Texte intégral
1À regarder l’ensemble des contributions réuni ici, il apparaît que la mienne fait de moi un intrus. En mai 1990 s’est tenu à Grenoble un colloque sur L’impersonnel, Mécanismes linguistiques et fonctionnements littéraires. Parmi les intervenants s’y trouvaient deux littéraires qui s’étaient interrogés sur l’opportunité de leur présence parmi des linguistes. Michel Maillard, organisateur du colloque de dire alors dans son introduction :
[…] aux yeux de certains linguistes, la participation de littéraires à ce colloque « transversal » n’allait pas sans poser quelques petits problèmes. Aurions-nous le même langage ? La conscience métalinguistique des uns et le sens épilinguistique des autres allaient-ils coïncider ? (Maillard, 1991a, p. 8.)
2Aujourd’hui donc, il convient d’admettre que c’est la situation inverse qui se produit et il se glisse un linguiste dans un colloque sur l’impersonnel en littérature.
3Mon intervention ici se bornera à des faits essentiellement linguistiques pour tenter de mettre l’accent sur l’opacité même du terme « impersonnel ».
4Associé au préfixe im-, on est amené à le définir négativement par rapport à « personnel », et aussi à chercher à saisir ce qui est relatif aux personnes, sans ignorer ce qui se rapporte ou non au sujet.
5Cette « complexité » et cette opacité de l’impersonnel vs personnel impliquent également que l’on ne puisse les res6treindre/réserver, bien que les fréquences soient plus élevées dans certains types de discours spécialisés (administratif, juridique…), à un type de texte/discours particulier, tant les formes et constructions sont entremêlées, difficilement « cernables ».
6En témoignent ces quatre extraits des Exercices de style de Raymond Queneau2, dans lesquels une même histoire est « racontée » de 99 manières différentes. En voici, pour ici quatre de ces manières : Notations, Récit, Le côté subjectif, Autre subjectivité :
Notations | Récit |
Dans l’S, a une heure d’affluence. Un type dans les vingt-six ans, chapeau mou avec cordon remplaçant le ruban, cou trop long comme si on lui avait tiré dessus. Les gens descendent. Le type en question s’irrite contre un voisin. Il lui reproche de le bousculer chaque fois qu’il passe quelqu’un. Ton pleurnichard qui se veut méchant. Comme il voit une place libre, se précipite dessus. | Un jour vers midi du cote du parc Monceau, sur la plate-forme arrière d’un autobus à peu près complet de la ligne S (aujourd’hui 84), j’aperçus un personnage au cou fort long qui portait un feutre mou entoure d’un galon tresse au lieu de ruban. Cet individu interpella tout à coup son voisin en prétendant que celui-ci faisait exprès de lui marcher sur les pieds chaque fois qu’il montait ou descendait des voyageurs. Il abandonna d’ailleurs rapidement la discussion pour se jeter sur une place devenue libre. |
Le côté subjectif | Autre subjectivité |
Je n’étais pas mécontent de ma vêture, ce aujourd’hui. J’inaugurai un nouveau chapeau, assez coquin, et un pardessus dont je pensai grand bien. Rencontre X devant la gare Saint-Lazare qui essaye de gâcher mon plaisir en essayant de me démontrer que ce pardessus est trop échancre et que j’y devrais rajouter un bouton supplémentaire. Il n’a tout de même pas ose s’attaquer à mon couvre-chef. | Il y avait aujourd’hui dans l’autobus a cote de moi, sur la plate-forme, un de ces morveux comme on n’en fait guère, heureusement, sans ça je finirais par en tuer un. Celui-là, un gamin dans les vingt-six, trente ans, m’irritait tout spécialement non pas tant à cause de son grand cou de dindon déplume que par la nature du ruban de son chapeau, ruban réduit a une sorte de ficelle de teinte aubergine. Ah ! le salaud ! Ce qu’il me dégoûtait ! comme il y avait beaucoup de monde dans notre autobus à cette heure-là, je profitais des bousculades qui ont lieu à la montée ou à la descente pour lui enfoncer mon coude entre les côtelettes. Il finit par s’esbigner lâchement avant que je me décide à lui marcher un peu sur les arpions pour lui faire les pieds. Je lui aurais dit aussi, afin de le vexer, qu’il manquait un bouton a son pardessus trop échancre. |
7Sans parler de la spécificité des récits (avec les passés simples entre autres), on y rencontre aussi bien des constructions impersonnelles
(1) Notations : |
... chaque fois qu’il passe quelqu’un, |
Récit : |
chaque fois qu’il montait ou descendait des voyageurs |
Le côté subjectif : |
chaque fois qu’il passait du monde |
Autre subjectivité : |
comme il y avait beaucoup de monde dans notre autobus à cette heure-là, je profitais des bousculades qui ont lieu à la montée ou à la descente |
8que personnelles (aussi bien la troisième personne que les deux autres, le présentatif, l’exclamation, les séries verbales, les expressions endophorique ou exophoriques…)3.
9Cette mise en « miroir », qui me sert aussi de prétexte, semble, pour ce que je veux illustrer, significative de la complexité des faits et conditions d’emploi de ce que l’on appelle ordinairement « impersonnel ». Bien évidemment, il m’est impossible de vouloir prétendre ici à en déterminer précisément l’ensemble et toutes les valeurs. Aussi me contenterai-je de me limiter à en retracer quelques unes qui couvrent le champ de l’impersonnel avec un détour par ce qu’est le sujet pour revenir aux constructions impersonnelles tout en recourant à des langues appartenant ou non à des « familles » différentes.
champ de l’impersonnel : domaine et faits concernés
10En langue, l’impersonnel couvre des faits, catégories et constructions fort divers : on l’associe au mode verbal, à la construction verbale, aux formes pronominales, à la construction de la phrase.
11 a) Impersonnel et mode verbal : car dans les langues à conjugaison verbale, les modes se répartissent en personnel et impersonnel selon les variations. Les modes où le verbe est soumis à la variation selon la personne grammaticale sont dit personnels (indicatif, subjonctif, impératif), par opposition à ceux qui n’en présentent aucune, et qui sont dits impersonnels (infinitif, participe, gérondif).
12 b) Impersonnel et construction verbale : car les verbes qui se présentent essentiellement (type il pleut/faut) ou occasionnellement (type il arrive que) à la 3e personne sont dit impersonnels (ou pour certains « unipersonnels ») par opposition à ceux dits personnels qui se présentent à toutes les « personnes ».
13c) Impersonnel et formes pronominales : car selon qu’ils sont ou non en rapport avec une personne grammaticale, on oppose les pronoms personnels (ainsi que les possessifs) aux autres. À cette répartition s’ajoutant celle interne aux pronoms personnels qui dissocie les locutifs4/allocutifs (les deux premières personnes) aux délocutifs (la troisième personne), la « non-personne » de Benveniste. En français, c’est cette troisième personne qui prête sa forme aux constructions impersonnelles (il, voire il y a)5.
14 d) Impersonnel et construction de la phrase : car le sujet de la phrase peut être ou non sémantiquement plein. Le sujet (actant, argument ou constituant nominal) de la phrase personnelle est sémantiquement plein ; et cette fonction peut être exercée par tous les types de SN (syntagme nominal) :
15 (2) Notre invité est arrivé.
16 (3) Il est arrivé.
17 (4) Ce qu’il m’a dit m’a fait vraiment plaisir.
18En revanche, le sujet « il » de la phrase impersonnelle n’est qu’un simple outil grammatical. Il est sémantiquement vide, n’a pas de référent ; et ne peut de ce fait commuter ni avec un nom propre ni avec un autre type de constituant nominal (SN).
19 (5) Il est arrivé trois invités.
20 (6) Il a été abattu trois arbres.
21(6a) *Pierre est arrivé trois invités.
22(7a) *Le bûcheron a été abattu trois arbres.
23Le verbe, figé à la troisième personne du singulier, peut être essentiellement impersonnel - unipersonnel (cf. « il faut »), ou accidentellement impersonnel (voir ex. 5-6).
24Quel que soit le fait considéré, on observe que les critères sont fondés sur la personne, le sujet.
Détour par le sujet
25Du fait de se rencontrer aussi bien dans des constructions personnelles qu’impersonnelles, le terme même de sujet est difficile à cerner, d’autant plus qu’il n’existe pas de critères suffisants.
26Qu’est-ce un sujet ? En tentant d’en donner une définition, on se heurte à des critères qui relèvent de domaines variés. Sont-ils fondés sur des fonctions structurelles ou sur des critères sémantiques (ex : il pleut/ » qui » pleut ?). S’agit-il de la syntaxe, du lexique, de la sémantique, de la pragmatique… ?
27Cette diversité de critères n’est pas sans rapport avec la diversité des approches.
28Pour Denis Creissels (1991, p. 52), on peut s’appuyer sur le fait que le verbe porte l’indice6 personnel mais, signale-t-il aussi, le cas des langues où il y a plusieurs indices incorporés au verbe (Creissels, 1991, p. 53), pour considérer un critère plus général, à savoir la relation de présupposition entre le sujet et le prédicat (Creissels, 1991, p. 53), et de dire :
La définition du sujet comme unique terme nominal nécessaire dans un schéma de prédication implique d’admettre que la notion de sujet n’est pas universelle, et même qu’elle est absente de bien des langues où son existence est usuellement reconnue. (Creissels, 1991, p. 54)
29Pour Gilbert Lazard (2003, p. 16-17), tout en admettant qu’elles ne sont pas exclusives, le sujet se définit de par ses relations morphosyntaxiques grâce à trois types de propriétés : « de codage », « coréférentielles », et « transformationnelles ».
30Les propriétés de codage permettent de dire qu’il est « obligatoire » dans une phrase verbale, qu’il commande l’accord du verbe, qu’il se place devant le verbe et « généralement en tête de phrase », sauf lorsque l’on a affaire à la thématisation ou à la présence de circonstants, et enfin qu’« il n’est marqué par aucun morphème indicateur de fonction » alors que certains compléments peuvent être prépositionnels.
31Les propriétés coréférentielles permettent de dire qu’« il commande le réfléchi, qu’il « peut être omis » lorsque « plusieurs propositions coordonnées ont des sujets » identiques, et qu’il peut modifier le type de phrase lorsqu’il est coréfé- rent au sujet d’une proposition principale (« je veux que tu viennes, je veux venir, *je veux que je vienne ».)
32Les propriétés transformationnelles permettant de dire qu’il « disparaît obligatoirement » devant l’infinitif, et qu’il peut devenir le complément d’agent du verbe au passif.
33À ces propriétés, on peut en ajouter d’autres, spécifiques à certaines langues ou familles de langues : telle l’indonésien dont seul le sujet peut être l’antécédent d’une relative, et constituer l’antécédent de la particule yang (« qui ») invariable (autrement dit pas de relatives introduites par que… etc.)7 :
(7) a. |
mahasiswa |
yang |
mem-baca |
buku |
itu… |
étudiant |
qui |
act-lire |
livre |
ce |
« L’étudiant qui lit ce livre… »
(8) b. |
.buku |
yang |
di-baca (oleh) |
mahasiswa |
itu… |
livre |
qui |
pass-lire par |
étudiant |
ce |
« le livre qui est lu par cet étudiant »
« Le livre que lit cet étudiant… »
(Cartier, 1991, p. 1508, d’après Lazard, 2003, p. 16-17)
34Aussi, il est des langues qui ne répondent pas nécessairement toujours à toutes les propriétés précédentes d’autant plus que parfois le constituant nominal sujet n’est pas exprimé, ou encore ce sont des cas autres que nominatifs (ergatif, datif, expérient) qui se présentent comme sujets.
35Dans certaines langues (indo-européennes ou non) l’indice verbal étant suffisant, hormis les constructions emphatiques, il n’est pas indispensable d’avoir un sujet pronominal.
36Tel est le cas en persan et en turc, où les indices – am (ex. 9), -um (ex. 10, turc) suffisent à l’expression du sujet, alors que l’emploi du pronom man (« moi », ex. 9a) pourrait marquer l’emphase :
(9) sib-hā |
rā |
pust-kandam. |
pomme-Plur |
Relateur |
peau-enlever + Passé+1sg 1sg |
« J’ai épluché les pommes. »
sib-hā |
pust-kandam. |
pomme-Plur |
peau-enlever + Passé + 1sg |
« J’ai épluché des pommes. »
(10) ekmek |
yiyorum |
pain |
manger-Présent-lsg |
« Je mange du pain. »
(9a) Man |
sib-hā |
rapust-kandam. |
moi+ 1sg |
pomme-Plur |
R elateur peau-enlever + P asse |
« J’ai épluché les pommes. »
37En breton, il n’y a ni « sujet impersonnel ni accord sujet-verbe » (Bottineau9). En japonais (Creissels, 1991, p. 54), il n’y a pas d’accord de verbe avec un constituant nominal, et le sujet est identifiable grâce à la postposition de la particule ga. Mais le japonais a cette autre particularité « d’autoriser qu’il [sujet] disparaisse sans laisser de trace lorsqu’il est à la fois thématique et non-emphatique » (Creissels, 1991, p. 55) :
(11) sensei |
ga |
sakubun |
o |
kakimashita |
professeur |
s |
texte |
o |
avoir écrit |
« Le professeur a écrit un texte. »
(12) kinô |
sensei |
ga |
kokuban |
ni |
sakubun |
o |
kakimashita |
hier |
professeur |
s |
tableau |
au |
texte |
o |
avoir écrit |
« Hier le professeur a écrit un texte au tableau. »
(Garnier, 2001)
38En birman, le verbe invariable est associé à une particule assertive, et le référent du sujet, identifiable en contexte ou en situation, peut être aussi bien personnel qu’impersonnel :
(13) pu |
tε |
être chaud |
ass |
« Il fait chaud/J’ai chaud »
(Bernot, 1992-93 p. 15610, 168, d’après Lazard 2003, p. 22)
39En russe (Hagège, 82, p. 311, d’après Feuillet, 2006, p. 411), le sujet peut se présenter à un cas non-nominatif :
(14) Menja |
znobit |
me : acc |
avoir la fièvre : 3sg |
« J’ai de la fièvre. »
(15) Emu |
povezlo |
lui : dat |
eut de la chance : nt |
lui : dat |
eut de la chance : nt |
« Il a eu de la chance. »
(16) V |
les-u |
šumit |
dans |
forêt-loc |
bruit |
« Ça bruit dans la forêt12. »
(17) S |
den’g-ami |
tugo |
avec |
argent-instr |
pénible |
« Il y a pénurie. »
40En islandais (Feuillet, 2006, p. 412-413), les critères définitoires de la fonction sujet sont remplis par un datif dans le cas des verbes d’expériences (sentiment, perception). Le trait pertinent reste l’accord avec le verbe :
41– accord en nombre :
(18) mér |
líka/líkar Þeit |
|
moi : dat |
aimer (3pl/3 sg) |
eux : nom |
« Je les aime. »(p. 412)
42– position tête : un datif en position sujet comme en (20) vs (19)
(19) Hann |
drap |
hest-inn |
il |
battit |
cheval-le : acc |
« Il battit le cheval. »
(20) Henni |
likaDi |
bókin |
sín |
elle : dat |
aimait |
le livre : nom |
son |
« Elle aimait son livre/Son livre lui plaisait. »
43– C’est le datif qui commande le réfléchi :
(21) honum |
keiD-ist |
kona-n |
sin |
elle : dat |
ennuyer-3 sg |
femme : art |
sa (réfl) |
« Sa femme l’ennuie. »
44– et c’est toujours le constituant au datif qui s’efface dans la coordination et devant l’infinitif :
(22) Þeim |
líkar |
maturinn |
og |
borDa |
mikiD |
leur : dat |
aime |
la nourriture : nom |
et |
mangent |
|
beaucoup |
« Ils aiment la nourriture et mangent beaucoup. »(p. 412)
(23) hann |
von-ast |
tíl |
aD |
vanta |
ekki |
|
pening-a |
||||||
il |
espérer-3sg |
vers |
à |
manquer |
nég |
argent-acc |
« Il espère ne pas maquer d’argent. »
(Feuillet, 2006, p. 412-413)
45En hindi, le datif subjectif est le 1er actant (Montaut, 1999, p. 212, d’après Feuillet, 2006, p. 413). C’est ainsi qu’en (27) « c’est l’actant au datif qui fournit l’antécédent du réfléchi » :
(24) siitaa |
ko |
apne |
par |
krodh |
aane |
lagaa |
Sitasg |
dat |
réfl |
sur |
colère |
venir |
inceptif : masc |
« Sita se mit en colère contre elle-même. »
46et en (28) « c’est lui qui fournit le sujet du participe conjonctif sunkar “entendant” » :
(25) yah |
sunkar |
mujhe |
sab |
kuch |
yaad |
aayaa |
ceci |
entendant |
je : dat |
tout |
qqch |
souvenir |
vint : 3 masc sg |
« En entendant ceci, je me souvins de tout. »
(Montaut, 1999, p. 212, d’après Feuillet, 2006, p. 413)
47En basque, la construction uniactancielle (ex. 26) présente son actant unique et sujet au cas absolutif (cas zéro), alors qu’en constructions respectivement biac- tancielle (ex. 27) et triactancielle (ex. 28), c’est l’actant au cas ergatif qui désigne le sujet :
(26) txoria |
hil |
d-a |
oiseau |
tuer |
aux |
« L’oiseau est mort. »
(27) Jon-ek |
txoria |
hil |
d-u-Ø |
np-erg |
oiseau |
tuer |
aux-3sg |
« Jean a tué l’oiseau. »
(Rotaetxe, 199813, d’après Lazard 2003, p. 25)
(28) Senarrak |
emazteari |
loreak |
eman |
dizkio |
|
Mari-le-erg |
épouse-la-dat |
fleurs-abs |
donné |
les-lui-il |
« Le mari a donné des fleurs à sa femme. » (Bottineau & Roulland, 2006)
48Tous ces faits illustrent les difficultés qu’il y a à retenir les critères de départ et à vouloir proposer des traits définitoires tant les langues les apprécient différemment, et comme le dit Lazard : « il vaut mieux renoncer à désigner un sujet et un seul » et tout en insistant sur l’impossibilité de proposer une « définition interlinguistique du sujet », il privilégie la notion de « configuration subjectale » et en donne la définition suivante :
Nous appelons configuration subjectale un faisceau de propriétés morphosyntaxiques de consistance variable, de contenu variable, affectant un seul actant ou se répartissant sur plus d’un. (Lazard, 2003, p. 20.)
49Ces constructions subjectales le conduisent en outre à distinguer deux types de sujet : sujet de prédication et sujet de référence. Ces deux sujets présentant respectivement des propriétés « en rapport avec la prédication : présence obligatoire, cas zéro, accord verbal, et peut-être d’autres », et des « propriétés coréféren- tielles », définies par « la position initiale… et peut-être d’autres » (Lazard, 2003, p. 26-27).
50En quelque sorte, ce point de vue est également partagé par Creissels :
En grammaire générale, le sujet ne peut être défini que comme terme initial de la relation prédicative. Cela signifie qu’il ne faut pas chercher de constante au niveau de la caractérisation morphologique du sujet, et que ses propriétés syntaxiques peuvent varier dans le détail, mais que son comportement transformationnel pris globalement doit impliquer une hiérarchie des constituants nominaux dont le sujet occupe le sommet. (Creissels, 1991, p. 55.)
51Les critères retenus pour cette « position hiérarchique supérieure du sujet » étant pour Creissels : le réfléchi, le réciproque, l’impératif, la réduction dans des subordonnées, l’infinitif, la relativisation, le passif, le causatif, l’incidence de la négation et de la quantification. Et Creissels de préciser la possibilité que certaines langues ne remplissent pas tous ces critères :
Il semble toutefois raisonnable de penser que, même s’il n’existe pas de caractérisation universelle du contraste entre sujet et compléments, chaque langue doit organiser les propriétés syntaxiques dans différents types formels d’arguments nominaux du prédicat verbal selon une hiérarchie qui permet de voir dans l’un de ces arguments le terme initial de la relation prédicative. (Creissels, 1991, p. 55.)
52Par exemple, certaines langues n’ont pas de réfléchis spécifiques (comme en persan, en breton).
Retour aux constructions impersonnelles
53Ainsi, en désignant les constructions personnelles comme subjectales, celles impersonnelles se présentent donc comme asubjectales. Pour Creissels :
Abstraction faite d’inévitables dérapages dus au terme qui les désigne, il est clair que les manipulations utilisées pour cerner l’originalité des constructions dites impersonnelles tournent toutes autour du sujet : le propre de ces constructions est l’absence de constituant nominal sujet au niveau structurel (et pas seulement au niveau de la phrase réalisée). En les désignant comme asubjectales, on évitera de compliquer encore, par une terminologie prêtant à confusion, une question suffisamment délicate par elle-même. (Creissels, 1991, p. 48.)
54Certes cette terminologie pourrait convenir et permettre d’éviter les confusions, mais cela n’en facilite pas, pour autant, la définition, tant encore délicat est d’en proposer une générale pour toutes les constructions asubjectales/ impersonnelles.
Tentatives de définition
55À suivre Jacques Feuillet, on est amené à « distinguer » les « phénomènes » suivants :
- Verbes qui ne s’emploient qu’aux 3es personnes, singulier ou pluriel
- Verbes bloqués à la 3e personne du singulier à sujet fixe, non commutable et non référentiable, du type fr. il pleut, allem. es regnet, angl. it rains.
- Verbes sans sujet possible (mais toujours avec indice actanciel obligatoire), bloqué à la 3e personne du singulier, comme le passif dit « impersonnel » : allem. Gestern worde getrunken « hier, on a bu », lat. itur « on va ».
- Verbes qui ont un membre obligatoire au non-nominatif, du type allem. mich freirt « j’ai froid », mir graut « je suis saisi d’effroi », russe mne dumaestja « je suis d’avis », s’opposant à ja dumaju « je pense ».
(Feuillet, 2006, p. 410.)
56Mais là aussi, on a des difficultés à cerner précisément les faits. En Peul (Creissels, 1991, p. 56) : l’indice sujet du verbe suffit [comme en persan ou en en turc (cf. ex. 9-10)], et l’impersonnel se remarque par l’absence des deux éléments14.
un indice affixé au verbe représente sans ambiguïté un sujet sous-entendu, la construction asubjectale se signalant par l’absence simultanée de constituant sujet et d’affixe verbal susceptible de s’interpréter comme indice de sujet. Mais souvent, la question est de déterminer si, en l’absence de constituant sujet, l’indice présent dans la forme verbale représente bien toujours un sujet thématique non explicité. (Creissels, 1991, p. 56.)
57Et Creissels de signaler que cela ressemble au français et au russe, mais est différent de l’allemand de es ou das et de l’anglais it qui seraient des « nominaux aptes à occuper la position sujet, et non pas comme préfixes verbaux ».
58En persan encore, alors que le verbe s’accorde en nombre au pluriel lorsque le sujet est un animé/humain (ex. 29), dans l’impersonnel c’est l’absence de cet accord (en plus de l’intonation) qui en est l’indice (ex. 30) :
(29) ketāb-hā |
oftād-and |
livre-Plur |
tomber-Passé-3Plur |
« Les livres sont tombés. »
(30) ketāb-hā |
oftād |
livre-Plur |
tomber-Passé-3Sg |
« Il en est tombé des livres. »
Détour par la valeur de l’impersonnel en français
59L’impersonnel français, hormis le cas des verbes essentiellement impersonnels, participe à l’organisation thématique de l’énoncé et relève de la diathèse au même titre que le passif (simple ou pronominal) en ce sens qu’il consiste en un déplacement des actants autour du verbe.
60L’actant qui est placé derrière le verbe impersonnel est appelé « séquence », de l’impersonnel, ce qui évite de recourir à la notion de « sujet réel » opposée celle de « sujet apparent », ou encore celle de l’extraposition du sujet. On analyse donc ainsi les constructions impersonnelles :
(31) IL |
Verbe |
SN |
Indice |
Figé à la 3e personne du singulier |
Séquence |
61Ces transformations présentent des contraintes aussi bien sur le verbe que sur le constituant nominal séquence :
62 Contraintes sur le verbe : Certains verbes bivalents prépositionnels prennent une forme de passif (être + participe passé). Comme cette forme de passif n’existe pas en construction personnelle, certains de parler de « pseudo-passif » (procéder à, faire mention de, etc.).
63(32) Il sera tenu compte de ces informations.
64 Contraintes sur le syntagme nominal : Les pronoms renvoyant à un référent défini sont exclus :
65(33) *Il les arrive.
66(34) Il en arrive.
67(35) Il n’est venu personne.
68Le prédéterminant défini et le générique sont exclus. Seul est admis le prédéterminant qui est défini dans la séquence elle-même (= groupe nominal avec expansion ou modifieur) :
69(36) Il arrive les invités que tu attendais.
70(37)*Il se conserve un bon vin en cave. (générique)
71(38) Il se conserve un bon vin dans notre cave. (spécifique)
72Le prédéterminant du substantif est soit un indéfini (un, des), soit un quantificateur (deux, beaucoup de, pas de…) :
73(39) Il y régnait une forte odeur de pipe. (Mauriac, la pharisienne)
74(40) Bien qu’il ne vînt à moi aucun éclat. (Mauriac, la pharisienne)
75(41) Il ne se trouve point de suite ni d’ensemble dans ses affections. (Senancour, Oberman).
76Le groupe substantival est exclu derrière « il est + adj » :
77(42) *Il est souhaitable une promenade.
78Remarquons enfin que le nom propre est exclu, sauf derrière il manque et il reste :
79(43) *Il arrive Marie.
80(44) Il manque/reste Marie.
81Quelles que soient ces contraintes, voire exceptions, on s’interroge sur la valeur de ces constructions. Est-ce le verbe qui est mis en valeur, en première position dans l’énoncé ? ou bien est-ce la séquence qui prend plus de relief ?
82Pour certains [comme Robert Martin, 1970], on note que les constructions impersonnelles soulignent souvent la survenance d’un fait, l’existence d’un phénomène, ce qui explique la présence fréquente de circonstants spécifiant les modalités qui entourent le phénomène. Il s’agit le plus souvent d’un événement ou d’un changement (type processus) :
83(45) Il existe…, il se trouve…, il se passait…
84Cela est proche des valeurs de Il y a (présentatif existentiel impersonnel). Il y a sert à poser l’existence d’un fait ou d’un objet (ou la non-existence), d’où la compatibilité de Il y a avec la négation, et à les situer dans le temps grâce aux variations morphologiques de avoir 15.
85(46) Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
86Il y a une horloge qui ne sonne pas.
87Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
88Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
89Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis ou qui descend le sentier en courant, enrubannée.
90Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois.
91Il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse.
92(Rimbaud, Les Illuminations, Enfance, III)
93On remarque également que les verbes dans les constructions impersonnelles (surtout dans les textes littéraires) expriment une modalité (le « modus », au sens de Charles Bally). Il s’agit souvent d’un verbe introducteur d’une proposition et qui spécifie :
94(47) soit un jugement de valeur ou une opinion (il est vrai que, il est fort/ délicat de…),
95(48) soit une éventualité ou une probabilité (il est vraisemblable que, il suffit de…, il se peut que…).
96Le groupe verbal impersonnel modal renferme souvent un pronom complément de le personne, ou parfois de 2e personne, qui renforce sa valeur modale.
97(49) il ne me reste qu’à…, il me semble que…, il m’est impossible de…, il te sied bien de…, il était dangereux pour vous de…
98Ces constructions à « support modal » pronominal exprimé rappellent aussi celles du latin, avec le datif :
(50) Licet |
nemini |
contra |
partiam |
ducere |
exercitum |
Il est permis |
personne : dat |
contre |
partie : acc |
conduire |
armée : acc |
« Personne ne peut conduire une armée contre sa patrie. »
(Feuillet, 2006 p. 414.)
99Dans certains cas enfin, la construction impersonnelle peut avec les verbe ; de dire et de modalité déontique renforcer la valeur indéterminée de l’agent (pronominal passif ou passif avec être) soit qu’il soit réellement indéterminé, soit qu’on ne veuille pas l’exprimer.
100(51) il n’est point dit que…, il lui fut répondu que…, il est interdit de…
101c’est une façon d’occulter l’agent, mais qui reste néanmoins repérable en contexte ou en situation.
102De plus on observera la possibilité :
103 a) de n’avoir pas de il : Certaines locutions archaïques, figées, s’emploient sans il. L’ordre des mots est remarquable et contraint (par ex : « peu importe » vs « il importe peu qu… », peu s’en fallut, mieux vaut, si bon me semble n’importe… »
104En français contemporain, dans certains cas de verbes très usuels, il fait défaut (ex : Faut, n’empêche, reste, suffit), Reste est figé à la 3e personne du singulier (ex. : Reste trois appartements à louer)16.
105Les emplois sans il à l’oral s’observent avec les déontiques et les existentiels :
106(52) faut du pain, y a du monde, ça fait 8 jours qu’il est parti
(Maillard, 1991b, p. 230.)
Y a de la joie
Y en a qui ont essayé !!
107 b) ou d’avoir recours à un démonstratif, dans le présentatif « c’est », qui suppose un consensus entre le locuteur et son allocutaire sur le référent concerné par la prédication (Morel, 1992.) :
(53) Il est vrai que… |
/ C’est vrai que… |
Il est étonnant de… |
/ C’est étonnant de |
108(54) La semaine prochaine, c’est (il y a) la fête des mères
109Au bac, ça a cartonné
110Aux week-end, ça bouchonne, sur l’autoroute de l’Ouest (Maillard, 1991b, p. 230.)
111Ceci revient à remettre en cause la définition même de ces constructions impersonnelles/asubjectables, à sujet sémantiquement vide certes, mais non dépourvues de sujet énonciateur.
112Par conséquent, sont à revoir les critères définitoires. D’où de nouveau, nécessité de recourir à des critères autres qu’essentiellement syntaxiques. C’est ce que propose Creissels (2006) en distinguant les impersonnels sémantiques et pragmatiques 17.
Impersonnels sémantiques
113Ils concernent « essentiellement des “impersonnels météorologiques” », et accessoirement les phrases existentielles18.
114 a) Les météorologiques sont diversement appréciés selon les langues :
115– Soit on a affaire à un « phénomène météorologique signifié par un construit comme sujet d’un verbe pouvant par ailleurs signifier des événements auxquels participent des entités cognitivement évidentes » (Creissels, 2006, p. 329.) :
(55) la pluie vient/la pluie tombe |
il pleut |
la clarté est sortie |
il fait jour |
le froid est entré/le froid s’est installé |
il fait froid |
le vent éclate/le vent souffle |
il fait du vent |
le tonnerre gronde |
il tonne |
116Le persan de nouveau est une langue qui en est représentative :
(56) bārān |
mi-āyad |
||
pluie |
prés-venir |
« il pleut » |
|
(57) barf |
mi-bārad |
||
neige |
prés-pleuvoir |
« il neige » |
|
(58) barf |
mi- āyad |
||
neige |
prés-venir |
« il neige » |
|
(59) bād |
mi- āyad |
/ |
bād mi-vazad |
vent |
prés-venir |
/ |
vent prés-souffler |
117« il vente »
(60) āftāb |
šod |
|
soleil |
devenir-parf |
« le soleil parut » |
(61) šab |
šod |
|
nuit |
devenir-parf |
« le soleil tomba » |
(62) ruz |
šod |
|
jour |
devenir-parf |
« le jour se leva » |
(63) bāridan |
pleuvoir |
|
tagarg |
bāridan |
|
grêl |
pleuvoir |
grêle |
nam-nam |
bāridan |
|
peu-peu |
pleuvoir |
pleuvoter, pleuvasser |
ašk |
bāridan |
|
larme |
pleuvoir |
pleurer à chaudes larmes |
118– Soit on a affaire à des « verbes météorologiques qui ne peuvent avoir comme sujet que le nom d’un phénomène météorologique », par exemple en tswana19, le « sujet étant un prolongement du verbe » (comme « la pluie pleut »), une sorte de sujet interne (au même titre que ce que l’on appelle « objet interne ») (Creissels, 2006, p. 329), comme en persan :
(64) bārān |
mi-bārad |
|
pluie |
prés-pleuvoir |
« il pleut » |
119ou ce que Jacqueline Pichon avait déjà signalé :
L’autre possibilité [lorsqu’il ne s’agit pas de la séquence Des feuilles tombent/Il tombe des feuilles] consiste, en quelque sorte, à « remplir » le pronom il soit en prêtant au verbe un agent, force naturelle ou surnaturelle : Dieu (le ciel) pleut, soit en lui donnant pour sujet le substantif expression de l’élément naturel, sorte de sujet « interne » : On ne peut empêcher le vent de venter. (Pinchon, 1986, p. 217.)
120 b) Quant aux phrases existentielles, Creissels signale qu’elles
établissent entre une entité concrète (être animé ou objet concret) et un lieu une relation dans laquelle le lieu est posé comme terme initial : étant donné un lieu x, on peut y reconnaître la présence d’une entité y. (Creissels, 2006, p. 330.)
121Et de relever la difficulté d’y reconnaître une articulation sujet-verbe (Creissels, 2006 p. 331). Ainsi, en peul (Creissels, 2006, p. 331) une même forme verbale, placée à l’initiale de la phrase, dépourvue de constituant nominal sujet ainsi que de l’indice affixe sujet signifie l’existence20 :
(65) Woodi |
gorko |
avoir. acp |
homme |
« Il y a un homme »
122et la même base verbale construite avec un sujet et un objet signifie « avoir »21 :
(66) O |
Woodi |
gorko |
S3.CL |
avoir. acp homme |
« Elle a un mari »
Impersonnels pragmatiques
123Pour Creissels, ce terme
se réfère aux cas où un même verbe permet de construire des couples de phrases équivalentes en termes de valeur de vérité dont l’une relève d’une construction ordinaire avec un constituant sujet facile à identifier, alors que dans l’autre aucun terme ne présente l’ensemble des propriétés syntaxiques qui définissent le prototype du sujet dans la langue en question. (Creissels, 2006, p. 334-335.)
124Ce sont donc les cas, comme en français, qui acceptent la postposition du sujet, tels que : Trois personnes sont venues/Il est venu trois personnes… que l’on rencontre également en tswana (langue à S V O X) (Creissels, 2006, p. 336), où l’on remarque la présence d’un élément dit explétif « go » à l’initiale de la structure :
(67) Mosadi |
o |
tsile |
/ |
1femme |
s3 : 1 |
venir. parf expl |
« La femme est venue »
Go |
tsile |
mosadi |
venir |
1femme |
« Il est venu une/la femme »
(68) Lekau |
le |
tsile |
/ |
5garçon |
s3 : 5 |
venir parf expl |
« Le garçon est venu »
Go |
tsile |
lekau |
venir |
5garçon |
« Il est venu un/le garçon »
(69) (Nna) |
ke |
tsile |
/ |
pro 1s |
s1s |
venir. parf |
« (Moi) je suis venue »
Go |
tsile |
nna |
expl |
venir. parf |
pro 1s |
« Il est venu moi »
125(Creissels, 2006, p. 336.)
126Pour Creissels, cela est en conformité avec la valeur topicale du sujet, qui explique l’impossibilité d’avoir comme sujet le pronom interrogatif (mang ? qui ?), ou des proformes négatives (op. personne) (Creissels, 2006, p. 337). Et pour pallier cette impossibilité le tswana a recours à des constructions impersonnelles, qui permettent de placer le pronom interrogatif à la suite du verbe :
(70) Kitso |
o |
buile |
1 Kitso |
s3 : 1 |
parler. parf |
« Kitso a parlé »
(71) *Mang |
o |
buile |
1qui ? |
s3 :1 |
parler. parf |
(72) Go |
buile |
Kitso |
expl |
parler. parf |
1Kitso |
« C’est Kitso qui a parlé »
(73) Go |
buile |
mang ? |
expl |
parler. parf |
1qui |
« Qui est-ce qui a parlé ? »
127(Creissels, 2006, p. 337.)
Pour ne pas conclure
128Je considère donc, comme Creissels (2006), que les impersonnels pragmatiques sont « le résultat de la grammaticalisation d’un procédé consistant à détopicaliser le sujet en le plaçant après le verbe » (p. 335) ; ce qui correspond à l’interprétation « traditionnelle » qui considère l’impersonnel comme relevant de la voix et de l’organisation thématique de l’énoncé au même titre que le passif. Mais l’impersonnel présentant cette particularité de construire une phrase sans thème, du moins apparent, et de permettre la rhématisation de l’ensemble de la phrase.
129On pourrait donc admettre que les impersonnelles linguistiques se présentent comme des constructions à « sujet » non-référentiel (« il »), et surtout comme n’ayant pas de thème apparent.
130Cela dit, il reste encore à voir comment se manifeste le sujet énonciateur, support de la modalité et de la prise en charge (comme le laisse voir le recours à des adjectifs, verbes, pronoms, pour x…).
131En outre, certaines constructions mettent explicitement en jeu des stratégies, des positions énonciatives ; le recours à l’impersonnel étant une manière de présenter une consensualité acquise, qui ne peut être remise en question. Ainsi, en énonçant « il est clair que, il est évident que tous les faits n’ont pas été pleinement abordés », je suppose qu’est établi une sorte de consensus très général, qui englobe aussi le lecteur (cf. Leeman, 2006).
132Enfin, si l’on considère l’impersonnel comme une façon de dépersonnaliser le discours, il faut parallèlement considérer, comme le signale M. Maillard (1991b, p. 243), la possibilité de personnaliser l’impersonnel (qu’il s’agisse de l’oral, ou du registre poétique, ou des chansons) :
133(74) « Asseyons-nous : ce pin, comme le chevrier des Abruzzes, déploie son ombrelle parmi des ruines. La lune neige sa lumière sur la couronne gothique de la tour du tombeau de Metella et sur les festons de marbre enchaînés aux cornes des bucranes ; pompe élégante qui nous invite à jouir de la vie, sitôt écoulée. »
134Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, IV, 5,5 Chapitre 5, 1er juin au soir, 1833, Journal de Carlsbad à Paris-Cynthie-Egra.-Wallenstein
135ou de réaliser des néologismes grammaticaux en forgeant des constructions impersonnelles à partir d’un nom (automne) ou de constituants qui ne sont pas lexicalisés dans un emploi impersonnel (il fait rouge/il fait du soleil) :
136(75) Il automne, à pas furtifs,
Il automne à pas feutrés,
Il automne à pas craquants
Sous un ciel pourpre et doré.
Sur les jardins dénudés
Se reflètent. en transparence
Les brumes d’automne rouillées,
Rouillées
Dans la forêt de tes cheveux
Aux senteurs de poivres mêlés
Et sur nos nuits de mi-novembre,
Il automne miraculeux,
Il automne miraculeux.
137Il automne, il automne des chrysanthèmes
Sur leurs deux cœurs endeuillés.
Ilautomne des sanglots longs
Sous un ciel gris délavé
[…]
(Barbara, Il automne)
138(76) Il fait beau, il fait bon
La vie coule comme une chanson
Aussitôt qu’une fille est aimée d’un garçon
Il fait rouge, il fait bleu
Il fait du soleil au fond des yeux
Quand on vit dans la vie
Comme des amoureux
Tu prends des nuages, petits ou gros
Tu les déchires en morceaux
Tu mets les orages au fond d’une cage
Et puis tu les jettes à l’eau
Tu attrapes au piège
Des flocons de neige
Qui ont fait des arcs-en-ciel
Tu passe sur la brume
Des rayons de lune
Des oranges et puis du miel […]
139(Claude François, Il fait beau, il fait bon)
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Je tiens à remercier vivement Mary-Annick Morel pour ses multiples et précieux remarques, commentaires et corrections proposées.
2 Gallimard, collection Folio, Notations (p. 7), Récit (p. 27), Le côté subjectif (p. 24), Autre subjectivité (p. 25-26).
3 NB : à remarquer que je ne mets en gras/soulignés que quelques termes ou constructions, et que bien évidemment il est possible d’en relever bien d’autres comme indices spécifiques de ces textes.
4 « élocutif » chez M. Maillard.
5 On n’ignorera pas les cas de : on, il y a (présentatif existentiel impersonnel vs celui personnel : j’ai, tu as…), voici/voilà, ou encore l’emploi impersonnel de certains démonstratifs.
6 Pour Creissels (1991, p. 49-50), les pronoms je/tu/il ne sont que des indices pronominaux de sujet, par opposition à moi/toi/lui qui eux sont de véritables pronoms : constituants nominaux sujets. Pour justifier cela, il procède à des commutations entre ces formes et un NP sujet afin de dégager des paradigmes distincts.
7 Liste des abréviations particulières : acp (accompli), cl (marque de classe nominale), erg (ergatif), expl (explétif), nt (neutre), parf (parfait), post (postposition), sgn (singulier neutre).
8 Cartier A., « Les actants dans les propositions relatives », Actances 5, 1991, p. 145-166.
9 Bottineau D., « Questionnaire du colloque international », La personne, le verbe, la voix : du partage des fonctions dans les structures impersonnelles et leur sémantisme, 8-9 décembre 2006, Université d’Angers.
10 Bernot D., « Économie d’actants et de marques en birman », Modèles linguistiques, XIV/2 (=28), 1992-1993, p. 155-178.
11 Hagège C., La structure des langues, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1982.
12 Chez C. Hagège, « La forêt est bruissante ».
13 Rotaetxe K., « L’actance en basque », in J. Feuillet (ed.), Actance et valence dans les langues de l’Europe, Berlin – New York, Mouton de Gruyter, 1998, p. 849-876.
14 Le seul « indice de sujet dans la forme verbale autorise l’absence du constituant nominal sujet ». (Creissels 1991, 56).
15 À côté de la forme impersonnelle il y a, le présentatif existentiel présente des formes personnelles à toutes les personnes : j’ai, tu as, il/elle a, on a, nous avons, vous avez, ils/elles ont. Chacune de ces formes permet de spécifier la façon dont l’énonciateur définit le support de l’information qu’il apporte. Il peut se contenter de la localiser dans la situation sans plus (c’est là le rôle de l’impersonnel il et de y dans il y a). Il peut aussi préciser le support personnel de la localisation (c’est là le rôle des formes personnelles du verbe et des clitiques sujets). Cf. Morel M.-A., « Les présentatifs en français », in M.-A. Morel et L. Danon-Boileau (dir.), La deixis. Colloque en Sorbonne, Paris, PUF, 1992, p. 507-818.
16 Danielle Leeman (2006), tout en notant « la faible fréquence de l’omission du sujet » en français, considère que « la présence du sujet grammatical manifeste un engagement du locuteur et son absence au contraire son non-engagement (ou désengagement) ».
17 Je n’aborde pas ici la distinction qu’établit Creissels (2006, p. 337-341) entre les constructions impersonnelles et anti-impersonnelles. Rapidement dit, les premières se rencontrent dans des « langues à alignement accusatif prédominant », les secondes dans des « langues à alignement ergatif prédominant » (p. 337), et trouveraient une origine dans « la coalescence objet-verbe dans les constructions transitives à verbe support » (p. 338).
18 Auxquelles s’ajoutent aussi les « phrases d’identification » comme « Ton ami est coupable/Le coupable, c’est ton ami » (p. 331) que je n’aborde pas non plus ici.
19 Langue du groupe Bantou : 4.407.174 de locuteurs, parlée dans divers pays (Botswana, Namibie, Afrique du Sud, Zimbabwe).
20 « L’existence s’exprime au moyen d’une base verbale wood- qui dans cette signification ne demande ni constituant nominal sujet, ni indice de sujet affixé. » (Creissels, 2006, p. 331).
21 Cela rappelle le français il y a vs j’ai, tu as. (cf. plus haut, note 15).
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2007
Lignes et lignages dans la littérature arthurienne
Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe (dir.)
2007