Le féminin et la jouissance esthétique
p. 61-74
Texte intégral
1On remarque sans peine la présence appuyée, dans la fiction de Wharton, d’un intertexte pictural, littéraire, musical, mythologique. La référence est constante à l’Autre de la culture qui clignote dans l’espace diégétique saturé de références aux arts plastiques traditionnels (peinture et sculpture) ou à celui de la photographie, ce pur produit de la révolution industrielle, « tourmentée par le fantôme de la peinture 1 », ou encore aux arts musicaux (opéra), littéraires (théâtre, littérature). Tous ont pour particularité de solliciter les pulsions scopique et invoquante et donc, de placer l’objet partiel (regard ou voix) au cœur d’une économie de la jouissance esthétique. L’art, ce grand pourvoyeur d’images, a totalement investi la scène ficionnelle à travers l’objet ou la représentation artistique, mais également via les lieux de l’échange codifié et de l’émotion visuelle ou auditive que sont l’opéra, le théâtre, les galeries de peinture, les musées, posant, dans le même temps et d’une manière centrale pour Wharton, le rapport problématique, conflictuel parfois, du sujet moderne à un idéal classique.
2C’est dire qu’indirectement, s’y déploie la « dimension du faire-voir de l’art », en même temps que s’impose dans les récits, une réflexion sur tout le champ des productions humaines, sur leur rôle dans la formation d’une identité culturelle et nationale, sur la fabrication des icônes culturelles et de leur pouvoir. Le problème concerne donc autant une histoire de l’art, de ses mouvements, de ses particularités, que l’affaire de la figuration, de la représentation à travers la relation qu’entretiennent le singulier et le collectif avec la Beauté esthétique, idéalement sœur du Bien, du Vrai, du Juste, et surtout, écran sur lequel se déploie le fantasme. Il serait fastidieux de dresser la liste des tableaux qui ornent les murs des lieux diégétiques, comme de répertorier toutes les références à la mythologie, aux jalons de la musique occidentale, à la poésie qui parcourent la fiction en filigrane. Le propos serait davantage d’évoquer les effets produits par cette « ‘spécifique’ présence 2 » de l’objet de l’art, de la culture, de ses modes représentationnels, en gardant à l’esprit ses dimensions performative et illocutoire, pour reprendre la terminologie adoptée par le linguiste J.-L. Austin et sa théorie des actes de langage ou « speech act theory 3 ».
3L’art, c’est avant tout une performance qui implique les coordonnées corporelles du sujet qui est aussi sujet d’un corps social où il s’inscrit comme trace, comme acte qui s’énonce dans un espace-temps tout en produisant des effets. L’art est le fruit d’un geste sublimé, les œuvres de l’art ayant pour vocation, non seulement, comme le souligne Gérard Wajcman dans l’Objet du siècle, de « faire jouir l’œil et le corps qui va avec, et réjouir l’âme aussi, bien sûr », mais de faire surgir l’objet dans son irréductible présence-absence :
Et si les œuvres de l’art étaient des lunettes ? Je les traitais de longues-vues. Faire jouir et faire voir. Voilà l’acte de l’objet qui pointe. […] Tâche de l’œuvre, faire voir, c’est-à-dire donner à voir par elle-même au-delà d’elle-même 4.
4Autrement dit, bien loin de pouvoir se résumer à l’objet qu’on regarde, l’art est cet objet qui nous regarde, au sens où l’on dit « ça nous concerne », « ça nous parle » et « ça parle de nous », nous, les récepteurs de l’œuvre confrontés à l’image visuelle ou sonore indexée au champ du sublime qui « étonne, touche et fait mouche 5 ».
1. La « ‘spécifique’ présence » de l’art et l’Autre féminin culturisé
5Pour revenir à la formulation de Georges Didi-Huberman concernant la « ‘spécifique’ présence » de l’art, on pourrait suggérer pour commencer, qu’elle s’impose sur la scène romanesque à travers la représentation de lieux singuliers, la mise en abyme du geste artistique, la densité des figures auctoriales, les commentaires métafictionnels, bref, de tout un dispositif narratif qui fait de l’Opéra, de la galerie d’art, du théâtre, du studio du peintre, du salon bourgeois, des lieux où il se passe quelque chose, des espaces qui mobilisent une économie pulsionnelle et une disposition fantasmatique.
6Pour s’en tenir à l’exemple de l’Opéra, un genre leitmotiv de l’œuvre 6, ou à la peinture qui met principalement en scène le corps féminin, on retiendra avant tout que l’art du chant, l’art pictural, viennent nouer la voix, le regard, le corps tout entier au langage, à la matière linguistique ou plastique, sollicitant les portes sensorielles du corps, ses seuils métaphoriques (yeux, oreilles, bouche, peau), ces zones érogènes d’où s’origine le trajet de la pulsion.
7Précisément, dans l’univers de la fiction, la pulsion scopique circule à l’intérieur d’un espace (public ou privé) dans lequel se contredisent les principes classiques chers à la tradition de la Vieille Europe, et la décoration néo-baroque qui « réjouit l’œil » sur le mode de la profusion. Rien ne semble pouvoir se perdre de cette énergie visuelle appelée à se dépenser dans le quadrillage géométrique des pièces, des habitations, des quartiers de la ville, des lieux de l’art. Aucun regard ne saurait échapper non plus à l’objet de la culture posé, suspendu, exhibé, mis en scène, pris dans un dédale d’images, un labyrinthe de reflets ; le regard s’y cogne, s’y dépose, trouvant parfois en la voix son relais, laissant entre-voir, ou bien encore « ent (r)-endre » à travers la présence de ces productions imaginaires, de ces choses de l’art, la dimension de la Chose.
8Dans les lieux de l’art surtout, les regards des protagonistes se font ainsi lignes verticales, horizontales ou obliques, découpes venant à la rencontre d’autres découpes : escaliers, portes, scène, coulisses, salle, balcon, ou loge. Chaque lieu se voit investi d’une fonction sociale puisque l’argent-roi y déploie son langage. La configuration particulière de la loge, à la fois contenant et contenu, ses formes incurvées qui semblent dupliquer la silhouette des femmes, ses miroirs qui captent les lumières, les reflets, les regards, est le lieu qui met en marche le fantasme et nourrit la pulsion scopique, liant une économie visuelle et la dimension de manque. Qu’elle soit pleine ou vide, la loge reste un lieu diégétique important dans l’économie narrative du Temps de l’innocence ou dans celle des Beaux mariages. Dans ce dernier roman, elle décrit l’investigation visuelle d’Ondine qui se livre à « une inspection détaillée et avide des lieux » après avoir remarqué « le vide persistant de celle qui se trouvait juste en face [d’elle] » (p. 50). Dans cette séquence, rien ne se passe vraiment sur la scène : le déplacement du foyer focal se fait au profit de la salle traversée par une série de procès visuels : « Elle avait plongé sur eux un regard envieux, du balcon. […] elle avait levé vers eux des yeux pleins de révération » (p. 49) ; « Ondine parcourait la salle avec ses jumelles, cherchant des visages familiers » (p. 50) ; « le regard d’Ondine vola vers la loge de Mme Van Degen » (p. 53) ; « Elle se plaça de façon à voir la porte du coin de l’œil » (p. 53).
9Au fur et à mesure que se remplit la salle, se vide la scène et s’estompent les contours. L’espace de l’opéra censé être avant tout chambre d’échos, caisse de résonance pour les voix, n’est pour Ondine, qu’un lieu où s’inscrit la ronde des regards autour d’un vide central. C’est un peu comme si la voix de la diva, l’objet sonore, inscrite dans le blanc de cette « éclipse vocale », était « récupérée » par le ballet des regards qui institue un espace fantasmatique où se rencontrent et le personnage de la fiction et le lecteur. Cet espace cadré par le dispositif scopique se construit, en outre et par analogie avec la chambre obscure du photographe, sur un contraste entre le sombre et l’éclairé, la scène et la salle, le rideau y jouant le rôle du diaphragme de l’appareil photographique. Comme dans la mise en spectacle qui préside aux tableaux vivants dans Chez les heureux du monde, les scènes qui se déroulent au théâtre ou à l’opéra sont rythmées par l’apparition et la disparition des acteurs, le déplacement des spectateurs (dedans/dehors ; en haut/en bas), l’alternance des actes et des entractes :
Le rideau se leva […] Quand le rideau tomba sur le premier acte […] Mais l’entracte était là […] Le rideau tomba de nouveau […] L’entracte s’achevait quand la porte s’ouvrit […] Quand le dernier entracte commença… (BM, p. 49-55)
10Le spectacle déroule ainsi un espace-temps structuré autour de la notion de « scène », un signifiant à entendre dans ses multiples acceptions, spatiale, picturale, théâtrale, analytique aussi. Ces scènes sont littéralement « encadrées » par les mouvements du rideau qui scandent le jeu du cacher/montrer, de l’absence/présence. Le rideau appartient au paradigme des objets susceptibles de faire advenir l’acte de la re-présentation dans l’intervalle temporel, dans l’intermittence du voir, tout comme la bobine autour de laquelle gravite le Fort-da de la théorie freudienne et qui
ne ‘vit’ ou ne ‘vaut’ que sur fond de ruine. […] Cet objet a été mort, et il le sera : toute son efficacité pulsative, pulsionnelle, tient à l’intervalle rythmique qu’il maintient encore sous le regard du petit enfant. Le petit objet lui-même, la bobine, tend à se soutenir d’une image visuelle. […] visuelle, encore, sa disparition même, comme un éclair de ficelle ; visuelle, bien sûr, sa réapparition, comme un toujours fragile reste7.
11Le rideau devient écran, surface de séparation et de projection, lieu d’une saisie visuelle singulière. L’œuvre de Wharton propose, dans le champ de la représentation artistique, une dramatisation de l’acte visuel, un battement érotique entre ce qui se donne à voir et ce qui se dérobe à l’ordre de la vision ; une scission véritable entre ce que le sujet croit percevoir et le mystère qu’il ne peut, ne sait pas percer. Il semble bien que l’on se situe là précisément dans ce que Georges Didi-Huberman définit comme une « dialectique indiscrète, toujours imprévisible, de l’apparition (épiphasis) et de la disparition (aphanisis) 8 ». Comme on le verra plus loin, l’isotopie du voile se déploie pareillement sur le vêtement féminin, révélant la marge ouverte entre « ce qui nous regarde dans ce que nous voyons ». (G. Didi-Huberman)
12La disposition artistique interroge également la manière dont l’autre féminin est constitué en un Autre culturisé ; on pourrait d’ailleurs aller jusqu’à parler de l’utopie de la beauté faite femme. Le corps féminin esthétisé est le lieu d’un savoir, d’un « ça-voir » indexé au désir et à la jouissance, le lieu des identifications imaginaires à l’Autre de l’Âge classique, une image idéale en somme, totalement décrochée de la réalité.
13La référence à la peinture se fait en premier lieu à travers la surdétermination du cadre, du cadrage, la circulation du regard opérant le plus souvent selon une topographie particulière : l’embrasure d’une porte, d’une fenêtre, les pièces en enfilade, les élements du décor venant comme redoubler les cadres des tableaux, instaurant à chaque fois toute une isotopie qui elle-même mobilise l’« interminable seuil du regard » (G. Didi-Huberman). L’économie visuelle semble sans cesse s’inspirer de cette découpe dans le monde sensible qu’opèrent le tableau et son cadre, (mais également l’œil et le procès du voir), le personnage, féminin le plus souvent, s’inscrivant toujours dans le champ de vision comme l’objet dans l’espace délimité de la toile du peintre. Avec une différence : chez Wharton, le féminin n’est pas seulement motif dans le tableau, il est tout entier constitué comme tableau. Les deux exemples qui suivent ne sont pas uniques :
Il scruta les motifs qu’ils traçaient jusqu’à ce que ses yeux brûlent de l’excès de lumière ; puis il se retourna et regarda sa femme. Tout près de là, Ondine s’adossait à un arbre noueux de l’air un peu contraint d’une personne peu habituée aux abandons champêtres. Son dos ravissant ne pouvait s’adapter aux irrégularités du tronc, et elle bougeait un peu de temps en temps, à la recherche d’une meilleure position. Mais elle gardait une expression sereine, et Ralph, malgré ses paupières lourdes, trouvait le visage de sa femme plus éblouissant que jamais. (BM, p. 106-107)
Madame Olenska, appuyée au rebord du bateau, buvait la fraîcheur par ses lèvres entrouvertes. Elle avait roulé un grand voile autour de son chapeau, mais le visage restait découvert, et Archer fut frappé par son expression de tranquille gaieté. (TI, p. 210)
14Bien loin de se contenter de modifier l’expérience empirique, l’art bien souvent la précède, comme ici dans ce court extrait du Temps de l’innocence : « Ils ne s’étaient pas rendus aux Lacs du nord de l’Italie : réflexion faite, Archer s’était trouvé dans l’incapacité la plus totale de se représenter sa femme dans ce cadre singulier 9. » Ainsi, tout en ouvrant sans cesse sur l’espace de l’imaginaire pictural ou fantasmatique, le féminin perd bien souvent de sa présence « réelle », prosaïque, pour devenir image, icône, l’Autre idéalisé de la culture, toujours référée à la figure de l’art : « Pauvre Ondine ! Elle était ce que les Dieux l’avaient faite – créature aux réactions épidermiques, grain de poussière dans le rayonnement du plaisir. » (BM, p. 165) Elle devient du même coup l’élément essentiel d’une chaîne signifiante fantasmée comme un tout par une culture soucieuse de reconstituer ou de préserver un roman ethnique, historique, familial, culturel. Ceci vaut pour les de Chelles qui souhaiteraient voir Undine intégrer cet autre semblant qu’est la famille, « un tout puissant et indivisible, l’énorme et vorace fétiche qu’elles [les dames de Chelles] nommaient La Famille » (BM, p. 365), autrement dit, devenir l’un des fils ou des motifs de la tapisserie ancestrale. Ceci est vrai aussi pour Elmer Moffatt dont le circuit des acquisitions transite par Ondine. Sous couvert d’esthétisme, elle est bel et bien son objet de désir, potentiellement l’objet érotique à collectionner, comme Lily Bart pour Lawrence Selden. Support de la jouissance esthétique, le féminin devient artefact historique et culturel identifiable, déterminé par les discours du symbolique, celui de l’art notamment. Dans la société américaine décrite dans la fiction de Wharton, le féminin occupe une position singulière : femme-objet, objet de consommation esthétique, comme Lily Bart au centre des tableaux vivants dans Chez les heureux du monde.
15Que ce soit à l’Opéra, au théâtre, au bal ; qu’il s’agisse de Lily Bart et de ses « possibilités plastiques » (CHM, p. 271), d’Ondine Spragg vêtue comme l’Impératrice Joséphine sur le tableau de Prud’hon, d’Ellen Olenska dont chacun s’accorde à penser qu’elle a elle aussi « une allure Joséphine » (TI, p. 26), et qu’elle a tout pour faire un beau portrait, de May Welland jugée « statuesque », pleine « d’une grâce classique » qui la rend digne de figurer sur une frise grecque (p. 149), le sujet féminin s’inscrit dans une représentation dont il est à la fois le centre et le signifié manquant.
16Très précisément, Ondine, dans Les Beaux mariages, est un signe esthétique en puissance pour Popple : « Quand M. Popple avait fixé ses yeux noirs sur Ondine, et murmuré ‘ quelque chose d’artiste’sur la couleur de ses cheveux, elle s’était sentie tout en émoi. » (p. 23) ; pour Van Degen : « Qu’en dites-vous, au fait ? c’est vous qu’on devrait peindre – non, sérieusement – vous devriez demander ça à Popp. Il ferait vos cheveux d’une façon épatante. » (p. 53) ; pour Moffatt, et pour Ralph bien sûr, tous lecteurs fascinés de ses attributs déclinant l’image mythifiée – et mystificatrice – de l’éternel féminin. Tantôt référée à « une de ces créatures de légende qui habitent un rayon de lumière » (p. 22), à « une ravissante Andromède liée à son rocher » (p. 65), à Vénus (p. 69), à une néréide (« ses yeux s’adoucirent en buvant d’un dernier regard la lumière aquatique de ce bois antique où flottait au-dessus de lui, telle une néréide, la silhouette d’Ondine » p. 108-109), à la reine de Saba (p. 112), à Ariel (p. 114), à Narcisse (p. 118), à une Madonne à l’Enfant (p. 195), à Desdémone (p. 382), Ondine, « diverse et ondoyante », est le site d’une multiplicité subversive, d’une identité à déchiffrer. Le modèle pictural ou littéraire fonctionne pourtant comme un miroir faussé. Selden y perdra son idéal (« La République de l’Esprit »), et Ralph la vie, après s’être heurtés tous deux à la réalité de l’éros féminin que la société réprime, et qui déborde du cadre de la représentation : c’est Persée, le sujet héroïque face à la nudité érotique d’Andromède.
Assis dans son fauteuil, les poings pressés sur les tempes, il lui semblait la voir, ravissante Andromède liée à son rocher, avec la Société, sous forme de monstre dévorant, en train de ramper vers elle pour n’en faire qu’une bouchée ; et lui accou-rait sur son cheval ailé – Pégase devenu Rossinante pour l’occasion – pour briser ses liens, se saisir d’elle et l’emporter dans l’azur… (BM, p. 65-66)
2. Le tableau vivant ou « le piège à regard »
17En référence avec l’univers diégétique du roman de Henry James, The Portrait of a Lady, on peut suggérer que celui de Lily Bart finit par se peindre, mais sur le mode du creux et du faux : il n’est plus que le portrait d’un portrait, la vision à la fois idéalisée, décalée et réifiée d’un sujet féminin pris dans le miroir aux alouettes de la représentation, autant dire, une image muette de femme. À travers l’épisode pivotal des tableaux vivants dans Chez les heureux du monde, Wharton décrit une pratique sociale qui trouve son origine dans les fêtes rituelles de la Renaissance, le xviiie siècle des peintres et leur goût pour les arts visuels. Au xixe siècle, l’époque victorienne fascinée par la femme et la nature-morte et marquée par l’influence de l’art gréco-latin et du style classique, avait adopté le tableau vivant. La source des « Fantaisies photographiques » de Julia Cameron, était un « art de salon » prisé des riches familles londoniennes, puis new yorkaises 10.
18Le tableau vivant est, en effet, un genre artistique lié à la société bourgeoise et au pouvoir de l’argent, un divertissement 11 susceptible, lorqu’il est accompagné d’une certaine « qualité » de musique (onéreuse, de préférence) de favoriser les « jeux de la séduction » : « des tableaux vivants et de la musique coûteuse étaient les deux appâts les plus susceptibles d’attirer la proie désirée », lit-on à un moment. (p. 160) Il s’y noue un lien étroit entre une modalité visuelle liée au narcissisme, la dimension du montrer, et la métaphore financière. Le tableau vivant est en fait un (pseudo)-objet de la culture soumis à la demande du marché, une consommation visuelle, un mode de représentation inscrit dans la praxis de la structure mercantile, un prisme où miroitent les habillages de l’objet partiel dans l’économie du désir dont la beauté féminine est porteuse :
Lily en pareil cas était dans son élément. Sous la direction de Morpeth, son sens plastique très vif, à qui, jusqu’à présent, on n’avait donné en pâture que des problèmes de toilette et d’ameublement, trouva à s’exprimer dans l’arrangement des draperies, l’étude des postures, le jeu des lumières et des ombres. Son instinct dramatique s’éveilla au choix des sujets, et les fastueuses reproductions de costumes historiques remuèrent une imagination que seules les impressions visuelles pouvaient atteindre. (p. 160)
19Le tableau vivant est un « art » de la copie qui exalte la beauté de Lily :
Mais par-dessus tout, c’était la griserie de déployer sa beauté sous un aspect nouveau, de montrer que son charme n’était pas une puissance figée, qu’il pouvait modeler toutes les émotions humaines en formes nouvelles de grâce. (p. 160)
20Il se déroule selon un scénario convenu : en amont, le choix d’un tableau original identifiable, puis la pose, enfin l’effacement du « motif », « une image évanescente » :
Il ne manquait aux tableaux de Mrs. Bry aucune des qualités qui contribuent à des illusions de ce genre, et, sous la direction de Morpeth, ils se succédaient avec la marche rythmée de quelque frise splendide, où les courbes fugitives de la chair animée et les feux errants des yeux juvéniles avaient été soumis à l’harmonie plastique sans perdre le charme de la vie. (p. 162)
21Les questions soulevées par ce rituel qui excite « l’appétit de l’œil 12 » sont, entre autres, celles-ci : dans le tableau vivant, qui est le peintre ? Qui en est le principe organisateur, « le metteur-en-chair 13 » ? L’argent ? Le regard ? A en croire Lawrence Selden, la vérité est autant affaire de l’un que de l’autre :
Mais il goûtait les beaux spectacles et il n’était pas insensible au rôle que l’argent peut jouer dans leur apprêt : tout ce qu’il demandait aux gens très riches, c’était qu’ils fussent à la hauteur de leur métier d’impresario, et qu’ils ne dépensassent pas leur argent, d’une manière ennuyeuse. (p. 160)
22Il faudrait sans doute aussi parler de la collusion entre le sujet et l’objet puisqu’aussi bien le tableau fait défiler une série de miroirs où chaque instance en duplique une autre : la source énonciative à l’origine du roman qui épie les sujets de l’énoncé, les « spectateurs-voyeurs » en train d’observer les « actrices » de ce jeu de mime se mirant à leur tour dans le regard des spectateurs, sans oublier le lecteur sollicité lui aussi. Le corps féminin, situé à la fois en dedans et en dehors du cadre mouvant, à peine esquissé, ou le plus souvent absent, s’inscrit donc sans s’inscrire tout à fait dans l’espace-temps intangible d’une représentation singulière, un arrêt-sur-image en quelque sorte. Il l’affranchit de toute lecture traditionnellement supportée par l’œuvre picturale. Le tableau vivant est bel et bien un « art » du faux, du toc, un artifice prisé des « connoisseurs », une performance qui n’évalue pas seulement la qualité esthétique : il est avant tout événement social où nul n’est dupe, où il y a un/des regardant (s) et un/des regardé (s), un/des consommateur (s) et un/des objet (s) de consommation. Surtout, il utilise l’Art, le vrai, comme hypotexte chargé de valider les prérogatives de l’argent14.
23Tout le travail de la mimésis picturale, de ses codes de représentation, de leur spécificité vole en éclats ; l’essentiel est désormais d’afficher sa fortune dans un flot de taffetas, de mousselines et autres étoffes (autres fétiches ! 15), d’assurer aux participants et aux spectateurs une jouissance sans restes, l’exact contrepoint de ce qu’accomplit « l’œuvre de l’art », celle qui, précisément, est appelée à faire trace dans l’histoire des cultures, dans l’histoire du sujet dont elle est censée « inquiéter le voir » :
ce que serait l’œuvre d’art : un objet qui, à la différence de tout objet à consommer, plutôt que de combler, de satisfaire notre libido vivendi, viendrait au contraire, ôter, entamer, diviser, forer en nous un peu d’envie de voir vraiment, du réveil 16.
24Dans l’univers du roman, rien de tout cela. Plusieurs tableaux se succèdent. Des groupes, représentations allégoriques des vertus classiques incarnées par des jeunes filles disparaissant sous des drapés diaphanes, « un groupe de nymphes dansant sur une pelouse émaillée de fleurs, dans les poses rythmiques du Printemps de Botticelli » (p. 162) ; des portraits, « un Goya typique », « les courbes somptueuses de ‘ la fille du Titien’ », suivis d’« un Van Dyck caractéristique », de « nymphes de Kauffmann enguirlandant l’autel de l’Amour » ; d’un « souper de Véronèse », ainsi que « d’un groupe de Watteau, des comédiens jouant du luth », soit le théâtre et la fête emblématiques d’un âge de l’illusion et de l’incertitude. L’autre spécificité de ces tableaux est de présenter le ou les personnages dans une posture qui place le regard au centre de l’espace picural, dirigé tantôt vers le spectateur, tantôt hors-champ. Cette caractéristique prévaut également dans le portrait choisi par Lily Bart : elle figure Mrs Lloyd, peinte par Sir Joshua Reynolds en 1776 d’après un motif inspiré de la pièce de Shakespeare As You Like It (Comme Il Vous Plaira ) et repris ultérieurement par le peintre Ariosto dans son Orlando.Le portrait représente une bourgeoise adossée à un arbre, appliquée dans un geste d’écriture. Là encore, le décor, la pose, le vêtement, magnifient le corps de Lily :
Ses draperies pâles, et le fond de feuillage contre lequel elle se tenait debout, ne servaient qu’à mettre en relief les longues courbes de dryade qui remontaient de son pied balancé jusqu’à son bras levé. Le noble élan de son attitude, la suggestion d’une grâce qui prenait son essor, révélaient ce caractère poétique de sa beauté que Selden sentait toujours en sa présence, mais dont il perdait la notion dès qu’il n’était plus auprès d’elle. (p. 163-164)
25Au centre de ces simulacres (« theatrical mascarades 17 ») cautionnés par le pouvoir financier d’un petit nombre et la promesse d’une réjouissance collective, s’inscrit pour tous la rassurante adéquation du signe et de la chose, du signifiant et du signifié doublée de la nostalgie de l’universelle beauté référée à l’Autre de la culture classique, européenne. Mais le détour obligé par le corps de la femme devenu objet esthétisé, signe a contrario l’« ontologie du féminin inapprochable » (G. Didi-Huberman). Le corps de l’autre sexuel s’exhibe, certes, mais surtout il se donne à voir comme castré, se fait reconnaître comme lieu du manque. Les courbures et autres lignes généreuses appréciées des connaisseurs (« C’est bigrement hardi de se montrer dans ce costume ; mais, parbleu, la ligne n’a pas encore bronché, et je suppose qu’elle voulait nous le faire savoir ! » p. 164) ; les voiles, les plis et les replis du tissu sont là pour indexer un irreprésentable, pour phalliciser le « rien » du féminin, rendant compte de la beauté comme imposture, comme artifice chargé de dissimuler la vérité insupportable de la castration féminine, l’objet manquant dissimulé sous le vêtement 18.
26Au fil de cette mascarade qui « réalise une mise-en-scène imaginaire du pastout 19 », dans l’entrecroisement des postures, des regards, le corps féminin troué, en représentation, se fait « foyer pulsionnel ». Il devient aussi un signifiant qui se soumet à des lectures multiples, ou plutôt, un texte qui tente de s’écrire sous la dictée de la vision modulée par le réajustement, non pas seulement à la distance ou à l’éclairage, mais au fantasme de chacun :
L’effet des tableaux vivants dépend non seulement de l’heureuse disposition des lumières et de l’illusion produite par les couches de gaze interposées, mais aussi de la correspondance établie entre la vision mentale et l’objet : pour les esprits peu meublés, ils demeurent, malgré tout le rehaussement de l’art, comme des figures de cire supérieures ; mais pour l’imagination qui sait leur répondre, ils permettent de magiques coups d’œil sur le monde intermédiaire entre le réel et l’idéal. (p. 162)
27Dans l’entre-deux du visible et du lisible, aucun sens, aucune vérité fixe et stable ne se dégagera du tableau ; la phrase lâchée par Gerty Farish, « Elle ressemble ainsi à la vraie Lily… la Lily que je connais. » (p. 164), dit assez bien la vanité qui se construit dans la vision. Dans la fluctuation de l’acte du voir, chacun viendra chercher une « lichette de jouissance ». La femme, muette, chosifiée, prise dans « l’équivoque du corpus et de l’opus20 », à la fois objet singulier et élément d’un tout codifié, ne se supporte, elle, que d’une seule injonction : être regardée. « Art » de l’illusion, du trompe-l’œil, le tableau vivant se fait « ‘ réser-voir’ », (Gérard Wacjman), soit une réserve pour le voir, plaçant devant l’organe de la vision, l’objectum, l’objet interdit du voir et du savoir, non pas une femme en particulier, mais une figure de femme, une construction fantasmatique « [qui] éveillait chez Selden le don de fantaisie, l’entraînant si loin en des perspectives imaginaires que même les commentaires continuels de Gerty Farish […] ne parvenaient pas à rompre l’illusion ». (p. 163) : en somme, un produit du regard, de « gaze 21 ». Dans la schize de l’œil et du regard, « en vertu de quoi l’on ne peut regarder rien ni personne pour ce qu’il est, ni où, ni d’où il est 22 », se dessine une figuration de l’éros féminin « cadré », récupéré par le code culturel, par un système sémiotique, chargés, en fin de compte, de tenir l’Autre abject, inquiétant, à distance, hors scène. Ainsi le tableau vivant permet l’accrochage fantasmatique de l’objet partiel dans les objets de la culture à travers le déroulement répétitif du même scénario, soit, chaque fois que le regard du voyeur
s’évertue à transformer le trou du regard en un bouchon, […] à s’accaparer ce ‘ moins’du regard pour en faire un ‘ plus’à sa merci, utilisable à tout moment23.
28Le corps féminin devient ainsi topos présentifiant l’objet regard quand le sujet vient à la recherche d’un corps total et finit par se leurrer avec un éclat de l’objet cause de son désir.
29À l’intérieur de ce « cadre », « réel » ou fictif où surgit l’illusion de l’unité et l’homogénéité du sens, l’interprète et son modèle ne sont déjà plus que naturesmortes, effigies figurant au grand mausolée des beautés de l’art classique qui ne peuvent revivre qu’à travers les représentations de leurs représentations dont les hommes sont les initiateurs et les consommateurs. Mais qu’importe : la femme y trouve la confirmation narcissique de sa beauté (« la plénitude de son triomphe lui donna une sensation enivrante de pouvoir reconquis », p 165 ; « Elle lut aussi dans ses yeux, à lui, la délicieuse confirmation de son triomphe », p. 166) en donnant littéralement corps au fantasme masculin, et ce corps-là est un corps érotisé par la vision, mis en spectacle pour servir d’accrochage au travail des pulsions, légitimé par un réseau de références culturelles. C’est un corps qui se dévoile comme contenant vide se remplissant des regards posés sur lui. Au-delà de l’habillage imaginaire, c’est une fois de plus le statut paradoxal de l’objet phallique qui est en jeu : non pas en tant qu’il serait « une donnée sexuelle, ni […] la détermination empirique d’un des sexes », mais en tant qu’il est
l’organe symbolique qui fonde la sexualité tout entière comme système ou structure, et par rapport auquel se distribuent les places occupées de façon variable par les hommes et les femmes, et aussi les séries d’images et de réalités 24.
30Enfin, comme le rideau, le voile de la féminité se fait support du fantasme, « sur lui peut se peindre quelque chose qui dit – l’objet est au-delà 25 ».
31Pour Selden tout particulièrement, la prestation de Lily Bart constitue le moment où se met en place le bouchon obturant, le fétiche, conférant à l’image un pouvoir de captation totale. C’est l’instant d’une touche, d’un ravissement dont il consent à regret à se déprendre. Littéralement « sous le charme », il hésite à rejoindre Lily, une fois la représentation terminée, « le charme eût été rompu, s’il l’eût aperçue trop vite dans le milieu où cet épisode l’avait si heureusement détachée » (p. 165), différant la chute de ce leurre qu’est le corps féminin phallicisé dans les tableaux vivants, et qui, l’espace d’un moment, neutralise l’image du manque.
32Le « piège à regard » se referme également sur Lily qui parvient à se convaincre sans peine qu’elle est Mrs Lloyd :
Elle avait montré son intelligence artistique en choisissant un type si semblable au sien qu’elle pouvait incarner la personne représentée sans cesser d’être elle-même.
C’était comme si, au lieu d’en sortir, elle était entrée dans le panneau de Reynolds, bannissant le fantôme de la beauté morte par tout l’éclat de sa grâce vivante. (p. 163)
33À travers l’identification imaginaire, la forme primaire, archaïque du lien objectal, Lily se place dans les griffes de l’Autre, et presque sans surprise, d’autres séquences narratives viennent confirmer cette impossibilité de combler le vide structural.
34L’autre tableau vivant du roman, suit cette logique de recouvrement imaginaire. Vers la fin de son parcours social qui la mène au dénuement matériel, Lily est accueillie par Nettie Strether. Telle une Madonne à l’Enfant, une image sublimée de l’Autre maternel renvoyée par la culture, elle apparaît avec son bébé, cadrée dans l’espace de l’intimité domestique où même le trivial assume une fonction esthétisante – en l’occurrence, le jeu du clair-obscur dans la pièce et ses recoins 26. Cette figure idéalisée de femme-mère érigée en « tout » initie chez Lily, un autre fantasme, celui d’incorporation ; un autre objet, l’objet oral. Sur un mode très régressif, le biberon, (puis le flacon de somnifère plus tard, « a bottle of chloral »), lui apparaissent comme images fantasmées du sein maternel :
Tout d’abord le fardeau qu’elle portait dans ses bras lui sembla aussi léger qu’un nuage rose ou qu’une boule de duvet ; mais, comme elle continuait à le tenir, le poids augmenta, s’enfonça plus profond, et la pénétra d’une étrange faiblesse, comme si l’enfant entrait en elle et devenait une partie d’elle-même. (p. 354-355)
35Ils s’avèrent pourvoyeurs d’une jouissance immédiate quand Lily « entre » une fois de plus dans l’espace pictural où elle retrouve la présence fantasmatique du bébé venant faire bouchon à son incomplétude :
Elle remua, une fois, et se tourna sur le côté : alors elle comprit pourquoi elle ne se sentait plus seule. C’était bizarre… mais l’enfant de Nettie Struther était couché sur son bras : elle sentait la pression de la petite tête contre son épaule. Elle ne savait pas comment l’enfant se trouvait là, mais elle n’en n’était pas autrement surprise ; elle n’éprouvait qu’un doux et pénétrant frémissement de chaleur et de plaisir. (p. 362)
36L’histoire de Lily Bart suggère qu’entre le fantasme originaire et mortifère de fusion qui abolit le jeu différentiel entre sujet et objet, et celui non moins coercitif véhiculé par les images de la culture, l’être-femme ne peut s’inscrire dans l’imaginaire collectif et dans le symbolique que sur le mode de la méprise et du leurre.
Notes de bas de page
1 Roland Barthes, « La chambre claire », Œuvres complètes, op. cit., p. 1128.
2 L’art est quelque chose qui se voit, se donne simplement à voir, et, à ce titre même, impose sa ‘spécifique’ présence », Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons. Ce qui nous regarde, Minuit/Critique, 1992, p. 37.
3 J. -L. Austin, How To Do Things With Words, Oxford UP, 1962.
4 Gérard Wajcman, L’Objet du siècle, op. cit., p. 35-36 pour les deux citations.
5 Jacques Lacan, Le Séminaire VII. L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 118, 342.
6 Voir l’article de Pierre Degott, « À la recherche du sens : l’art lyrique dans la fiction d’Edith Wharton », qui, à travers une démarche critique différente de celle-ci, analyse les mutations génériques et les critères de goût mis en scène dans la fiction de Wharton, The Custom of the Country. Lectures plurielles, Éditions du temps, 2001, p. 42-57.
7 Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons. Ce qui nous regarde, op. cit., p. 56-57.
8 Georges Didi-Huberman, La peinture incarnée, op. cit., p. 25. Liliane Louvel reprend cette dichotomie dans son étude des tableaux vivants dans The House of Mirth, plus précisément dans les pages où elle interroge « L’entre-deux du rideau : suture et fêlure », The Custom of the Country. Lectures plurielles, op. cit., p. 69-71.
9 Ceci est ma propre traduction du passage : « They had not gone to the Italian Lakes : on reflection, Archer had not been able to picture his wife in that particular setting. », AI, p. 159.
10 Consulter sur ce point, l’article très bien documenté de Judith Fryer, « Reading Mrs Lloyd », Edith Wharton. New Critical Essays, Garland Publishing, Inc., 1992, pp. 27-55, mais également de Quentin Bajac, Tableaux vivants. Fantaisies photographiques victoriennes (1840-1880), RMN, 1999, ou bien encore l’ouvrage de Joanne Lukish, Julia Cameron, Phaidon, 2001.
11 Etymologiquement, le « divertissement » détourne, cache, fait illusion, masque ; c’est un jeu de rôles, de places, de postures.
12 Jacques Lacan, Le Séminaire XI. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 105.
13 Liliane Louvel, « ‘La peinture incarnée’ », op. cit., p. 66.
14 Tel est l’argument avancé par Margot Norris : « What must be added to the money, in order to transform it into symbolic social value, is precisely the surplus or excess of art in its own most profitable and transactional form – as classic », « Death by Speculation : Deconstructing The House of Mirth », op. cit., p. 442.
15 Ce que le psychiatre Clérambault (1872-1934) appelait « la passion des étoffes ».
16 Gérard Wajcman, L’Objet du siècle, op. cit., p. 219.
17 Une fois de plus, la notion de « masque » s’impose à travers le signifiant « mascarades ».
18 Les vêtements ne sont pas seulement faits pour cacher ce qu’on a, au sens de en avoir ou pas, mais aussi précisément ce qu’on n’en a pas. […] Il ne s’agit pas, essentiellement et toujours, de cacher l’objet (les pudenda), mais aussi bien de cacher le manque d’objet », Jacques Lacan, « La fonction du voile », Le Séminaire IV. La relation d’objet, Seuil, 1994, p. 166. En repensant au principe de l’anamorphose telle que Lacan le définit dans Le Séminaire XI, op. cit., p. 75, « une espère de construction faite de telle sorte que par une transposition optique, une certaine forme qui n’est pas perceptible surgit dans ce qui est d’abord indéchiffrable », il semble que l’« indéchiffrable » du féminin se situe précisément là où le vêtement rend « l’image en creux » de la castration visible.
19 Serge André, Que veut une femme ?, op. cit., p. 293.
20 Georges Didi-Huberman, La Peinture incarnée, op. cit., p. 73.
21 Sur la dialectique entre le voir et le savoir, consulter Peter Brooks, Body Work. Objects of Desire in Modern Narrative, op. cit., en particulier les pages sur « The Body in the Field of Vision », p. 88-122.
22 Georges Didi-Huberman, La Peinture incarnée, op. cit., p. 63.
23 Hervé Castanet, Le Regard à la lettre, Anthropos, 1996, p. 121.
24 Gilles Deleuze, L’île déserte et autres textes. Textes et entretiens 1953-1974, op. cit., p. 263. Lacan et Deleuze se rejoignent sur la double dimension de perte et d’absence assignée au phallus. Là où Lacan affirme que l’objet a est « quelque chose dont le sujet, pour se constituer, s’est séparé comme organe. Ça vaut comme symbole du manque, c’est-à-dire du phallus, non pas en tant que tel, mais en tant qu’il fait manque », (Jacques Lacan, Le Séminaire XI. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 95), Deleuze parle de « l’objet = x », soit « l’objet perpétuel d’une devinette, le perpetuum mobile [qui] est ce qui manque à sa propre identité, toujours trouvé là où il n’est pas puisqu’il n’est pas là où on le cherche, toujours déplacé par rapport à soi, du côté de la mère », ibidem, p. 263.
25 Jacques Lacan, « La fonction du voile », Le Séminaire IV. La relation d’objet, op. cit., p. 156.
26 Il faisait chaud, en effet, dans la cuisine, qui apparut aux yeux de Lily, quand l’allumette de Nettie stuther eut fait flamber le gaz au-dessus de la table, comme extraordinairement petite et miraculeusement propre », p. 352.
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