Introduction
p. 9-13
Texte intégral
1. Les concepts de métatextualité et de métafiction
1Un inventaire non exhaustif des termes se rapportant au domaine de la métatextualité – dont on dira simplement pour le moment qu'elle traduit le renvoi d'un texte à son artifice littéraire - donnera une idée de la variété lexicale en la matière. Réflexivité ou auto-réflexivité (Boyd1, Siegle2, Ashmore3), mise en abyme, écriture en miroir, spécularité (Ricardou4, Rose5, Dällenbach6, Bal7), récit narcissique ou fiction auto-référentielle (Alter8, Hutcheon9, Waugh10), antifiction, non-fiction, récit anti-mimétique (Zavarzadeh11, Hume12), surfiction, même parfois nouveau roman ou fiction post-moderne (Thiher13, Newman14) Ces termes ne sont pas à mettre sur le même plan, certains renvoyant à des procédés, d'autres à la nature du phénomène métatextuel lui-même, d'autres encore au contexte historique et culturel de leur production.
2Ce sont tout de même les concepts de métatextualité et de métafiction qui sont le plus largement utilisés dans la critique contemporaine. La tradition française optera souvent pour le terme de métatextualité alors que l'anglo-saxonne choisira celui de métafiction (« metafiction »). On aurait tort cependant de les confondre et il importe d'en donner dès ce stade une définition opératoire afin de déterminer l'objet d'étude sans toutefois anticiper sur le débat ni sur ses conclusions.
3Dans Palimpsestes, Gérard Genette nomme métatextualité un des cinq types de transtextualité ou de transcendance textuelle du texte que sont l'intertextualité, le paratexte, la métatextualité, l'hypertextualité et l'architextualité. Il définit la métatextualité comme « (...) la relation, on dit plus couramment de “commentaire”, qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer), voire, à la limite, sans le nommer (...) C'est par excellence la relation critique. »15 Pour Genette, cette définition caractérise essentiellement un texte vis-à-vis d'un autre (une préface, une note, un ouvrage critique, etc.). Il déclare même que la métatextualité « n'est jamais en principe de l'ordre de la fiction narrative ou dramatique (...) Le métatexte, lui, est non fictionnel par essence. »16 Le critique reconnaît cependant une valeur métatextuelle à l'hypertexte : « D'autre part, nous l'avons constamment observé, l'hypertexte a toujours peu ou prou valeur de métatexte : le pastiche ou la charge sont toujours de la “critique en acte”, Vendredi est évidemment (entre autres) un commentaire de Robinson Crusoé. »17 Cette affirmation contredit tout de même la précédente et appelle une définition plus large de la métatextualité, que l'on pourrait distinguer du métatexte proprement dit, c'est-à-dire du texte non-fictionnel. L'hypertexte n'est d'ailleurs qu'un des procédés métatextuels de la fiction, comme on le verra plus loin. Il convient donc d'inclure dans la définition de la métatextualité la relation d'un texte vis-à-vis de lui-même ou de son architexte, c'est-à-dire « des catégories générales, ou transcendantes – types de discours, modes d’énonciation, genres littéraires, etc- dont relève chaque texte singulier. »18 Le paratexte (titres, préfaces, notes, etc.) n'est certes pas à négliger et sa fonction métatextuelle n'est pas à prouver. Notre projet concernera donc essentiellement la fiction elle-même et nous nous intéresserons à la métatextualité comme relation inscrite dans le texte littéraire.
4Il importe de proposer ici une définition opératoire du concept de métatextualité de manière à cerner l'objet d'étude. Dans Metafictions ?, Wenche Ommundsen adopte une définition pragmatique de la métafiction19. Nous en retiendrons l'approche pragmatique qui a l'avantage de prendre en compte l'effet de lecture, sans toutefois restreindre cette définition à la métafiction, car nous y voyons les caractéristiques du phénomène métatextuel lui-même :
5Le texte de fiction sera métatextuel s'il invite à une prise de conscience critique de lui-même ou d'autres textes. La métatextualité appelle l'attention du lecteur sur le fonctionnement de l'artifice de la fiction, sa création, sa réception et sa participation aux systèmes de signification de la culture.
6Il s'agira de caractériser les invariants de la métatextualité en tant qu'à la fois mode et objet de connaissance.
7Le terme de « metafiction » a été inventé par William Gass en 1971 pour caractériser les récits de fiction de Jorge Luis Borges, John Barth et Flann O'Brien : « Indeed, many of the so-called anti-novels are really metafictions. »20 Roland Barthes avait repéré dès 1959, dans « Littérature et métalangage », cette double conscience de la littérature contemporaine, « littérature-objet et méta-littérature »21. Sans le limiter à la fiction post-moderne, on conviendra d'appeler « métafiction » tout texte de fiction comportant une dimension métatextuelle importante. On le voit, le concept de métatextualité sera utilisé comme caractérisant le phénomène élémentaire déclencheur de prise de conscience critique du texte, il s'agit donc d'un principe fondamental, alors que celui de métafiction se rapportera à une caractéristique d'un texte littéraire dans son ensemble.
2. Problématique
8Cette étude se situe au cœur d'un débat critique autour de la question : tout texte fictionnel est-il nécessairement métafictionnel ? Dans Metafictions ? Wenche Ommundsen en fait état.
9Après avoir distingué le pôle mimétique (la représentation en tant que produit) et le pôle réflexif de la fiction (le renvoi aux modes de représentation), elle envisage trois modèles :
- 1er modèle : la métafiction est un genre particulier (anti-mimétique) dans lequel la dimension réflexive serait le mode dominant.
- 2ème modèle : toute fiction se centre nécessairement sur les processus de réflexivité et la fabrication de la fiction.
- 3ème modèle : la métafiction est le produit d'une pratique de lecture (selon les théories de la réception). Elle dépend d'une compétence, d'une attente, d'un intérêt. Si le lecteur joue un rôle fondamental, c'est en lien avec les procédés textuels qui guident son interprétation. La métafiction peut donc se concevoir comme une interaction entre texte et lecture.
10Si le caractère métafictionnel – et donc le statut et la signification d'un texte de fiction – fait débat, d'autres questions se posent sur le statut de la métatextualité et son importance dans une œuvre, mais aussi son fonctionnement lui-même et sa portée. Une réflexion sur la métatextualité comme principe fondamental s'impose donc avant d'envisager une étude de la métafiction.
11On a trop souvent eu tendance à réserver le terme de « métafiction » à des fictions post-modernes parce qu'elles mettent en relief le questionnement sur les modes de représentation et la médiation culturelle. Doit-on pour autant exclure les romans du xviiième siècle, par exemple, du champ de cette réflexion ? Il importe donc de se pencher, dans cette partie théorique, sur ce qui fait précisément la nature de la métatextualité en regard de l'ensemble de la littérature de langue anglaise.
3 - Hypothèse
12Affirmer d'emblée que tout texte littéraire est métatextuel risquerait de dissoudre l'objet d'étude. On ne pourrait alors que reposer le problème à un autre niveau, qui impliquerait une distinction entre une métatextualité explicite fonctionnant selon des procédés textuels repérables et une métatextualité implicite difficilement analysable. D'autre part, situer le phénomène métatextuel uniquement au niveau du lecteur risquerait de déplacer le problème sur un plan purement cognitif et de focaliser le débat sur les capacités du lecteur, substituant ainsi à une problématique littéraire une problématique psychologique.
13Pour à la fois cerner un objet qui soit analysable et prendre en compte le rôle de la lecture, notre hypothèse sera la suivante : la métatextualité tient à la fois de stratégies textuelles et de modes de lecture (surcodage/décodage du cadre fictif). Elle a notamment pour effet d'orienter le lecteur vers un aspect de l'acte narratif : un indice textuel centre l'attention du lecteur sur le caractère fabriqué de l'illusion référentielle ; une stratégie textuelle est ainsi mise en œuvre, portant le plus souvent sur une donnée narrative ; un décodage de cette stratégie intervient, dont le lecteur est l'artisan.
4 - Définition des axes de recherche
14Il s'agira donc de considérer le phénomène métatextuel avant d'aborder la métafiction post-moderne et la spécificité des nouvelles d'Angela Carter qui font l'objet des articles où la métatextualité sera montrée « à l'œuvre ». Il importera d'examiner tout d'abord quels sont les domaines concernés par la métatextualité. C'est pourquoi le premier chapitre sera consacré aux champs d'exploration de la réflexion métatextuelle.. Dans le deuxième chapitre on envisagera le fonctionnement de la métatextualité et on analysera les procédés textuels et les processus cognitifs impliqués dans le phénomène métatextuel. Poétique métatextuelle et prise en compte de l'acte de lecture iront de pair. La question des fonctions de la métatextualité sera l'objet du troisième chapitre. Le quatrième chapitre envisagera métatextualité et métafiction d'un point de vue diachronique et débattra de la question du contexte historique de l'apparition et des résurgences du phénomène métafictionnel. On verra ensuite ce qui caractérise plus particulièrement la métafiction postmoderne. Un dernier chapitre sera consacré à une présentation générale des nouvelles métafictionnelles d'Angela Carter.
Notes de bas de page
1 M.Boyd, The Reflexive Novel : Fiction as Critique, London : Associated Presses, 1983.
2 R. Siegle, The Politics of Reflexivity, Baltimore & London : Johns Hopkins University Press, 1986.
3 M. Ashmore, The Reflexive Thesis : Wrighting Sociology of Scientific Knowledge, Chicago & London : University of Chicago Press, 1989.
4 Jean Ricardou, Problèmes du nouveau roman, Paris : Seuil, 1967.
5 M.A. Rose, Parody/Metafiction : An Analysis of Parody as a Critical Mirror to the Writing and Reception of Fiction, London : Croom Helm, 1979.
6 Lucien Dâllenbach, Le Récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme. Paris : Seuil, 1977.
7 Mieke Bal, « Mise en abyme et iconicité », Littérature, 29, 116-123.
8 R. Alter, Partial Magic : The Novel as a Self-conscious Genre, Berkeley : University of California Press, 1975.
9 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The Metafictional Paradox, New York & London : Methuen, 1984.
10 Patricia Waugh, Metafiction : The Theory and Practice of Self-Conscious Fiction, London & New York : Routledge, New Accents, 1985.
11 M. Zavarzadeh, The Mythopoeic Reality : The Postwar American Nonfiction Novel, Urbana : University of Illinois Press, 1976.
12 K. Hume, Fantasy and Mimesis : Responses to Reality in Western Literature, New York & London : Methuen, 1984.
13 A. Thiher, Words in Reflection : Modern Language Theory and Postmodern Fiction, Chicago & London : University of Chicago Press, 1984.
14 C. Newman, The Postmodern Aura : The Act of Fiction in an Age of Inflation, Evanston : Northwestern University Press, 1985.
15 Gérard Genette, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris : Seuil, Essais, 1982, 11.
16 Gérard Genette, op. cit., 554.
17 Gérard Genette, op. cit., 554.
18 Gérard Genette, op. cit., 7.
19 “Metafiction presents its readers with allegories of the fictional experience, calling our attention to the functioning of the fictional artefact, its creation and reception, its participation in the meaning-making systems of our culture.” Wenche Ommundsen, Metafictions ?, Melbourne : Melbourne University Press, Interpretations, 1993,12.
20 William Gass, Fiction and the Figures of Life, Boston : Nonpareil Books, 1971, 25.
21 Roland Barthes, “Littérature et métalangage”, (1959), Essais critiques, Paris : Seuil, Points, 1964, 106.
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