Conclusion
p. 287-288
Texte intégral
1Cette typologie des Moyen Âges nous a permis de répertorier les traits essentiels que revêt cette période historique dans les écrits romantiques, aussi divers soient-ils. Cette diversité ne doit pas nous faire perdre de vue l’existence d’un Moyen Âge romantique, dont les différents aspects se mêlent en général au sein des œuvres. Le Moyen Âge romantique se teinte bien souvent des multiples colorations issues des images qu’il convoque : gothique, fabuleux, grotesque, idyllique voire lénifiant, il constitue un réservoir de motifs et d’idées propre à exprimer les aspects essentiels de la sensibilité romantique. Au-delà de cette diversité apparente, il nous semble essentiel de souligner un point de rencontre entre ces différents Moyen Âges. En effet, ce qui constitue l’unité de la quête médiévale entreprise par les romantiques, c’est sans doute le désir de fonder sur un passé fantasmé les bases de leur propre présent. Il semble que la notion de primitif, d’Ur-, puisse fournir une clé de lecture permettant de résoudre ces apparentes contradictions. Que l’on envisage le Moyen Âge comme une époque barbare marquée par la violence irrationnelle, ou qu’on y lise les traces d’une civilisation marquée par la pureté originelle, le processus est le même. Il s’agit à chaque fois de plonger au cœur des origines de l’homme et de la société, de retrouver les traces perdues d’une enfance dont l’expression, radicalement autre, rejoint également les aspirations ou les fantasmes les plus profonds. L’étrangeté de l’architecture perçue comme grotesque apparaît bien souvent comme une forme d’art primitif ; la religiosité et l’harmonie sociale si souvent célébrées sont également, aux yeux des romantiques, le résultat d’une naïveté primitive impossible à retrouver ; quant aux images surnaturelles ou terrifiantes, elles sont également associées à la représentation d’un univers chaotique, parce qu’encore désorganisé, non civilisé, primitif et même, dans ce cas, primaire. La quête du primitif, que celui-ci prenne la forme terrifiante du fantastique, celle, dépaysante, du grotesque, ou celle d’un âge d’or harmonieux, se retrouve dans toutes les tentatives de réexploitation littéraire du Moyen Âge. L’Antiquité, trop policée, trop civilisée et surtout trop annexée par la littérature classique et les Lumières, n’est plus capable de remplir cet office. De plus, cette Antiquité grecque ou latine ne peut constituer qu’un maigre palliatif cosmopolite au désir d’identité, d’abord nationale, qui anime la génération romantique. Le Moyen Âge offre à l’imaginaire une époque encore méconnue, perçue comme fondatrice à plusieurs point de vue. Sur le plan esthétique, elle offre aux créateurs des formes artistiques et littéraires, qu’il s’agisse des figures étranges de l’architecture ou de la poésie prétendument naïve et spontanée, dont ils s’inspirent pour renouveler leur production. Dans le domaine des mœurs, le Moyen Âge représente un temps suffisamment éloigné pour que l’on puisse y projeter les représentations les plus diverses et les plus inattendues : tour à tour berceau d’une société idéale, fondée sur les vertus pures de la chevalerie, ou règne du vice et de la barbarie la plus inouïe, le Moyen Âge entre de toute manière dans la vaste catégorie de l’ailleurs, de l’inconnu, de l’étrange et du rêve.
2Cette façon de concevoir et de représenter le passé, notamment le passé national, est à l’évidence révélatrice d’une conception particulière du présent. Ébranlée dans ses bases par la Révolution et ses conséquences, la société du xixe siècle cherche de nouvelles règles et une nouvelle stabilité. Face à un présent fuyant, disqualifié, une génération cherche dans le passé médiéval non seulement l’oubli, mais une identité perdue. Tonnant comme bien d’autres contre l’éclectisme de son siècle, Musset résume bien l’état d’esprit qui s’empare d’une génération, bien au-delà d’ailleurs des frontières nationales : l’insatisfaction produite par le présent touche globalement l’ensemble des romantiques européens :
« Notre siècle n’a point de formes. Nous n’avons donné le cachet de notre temps ni à nos maisons, ni à nos jardins, ni à quoi que ce soit. […] nous avons de tous les siècles, hors du nôtre, chose qui n’a jamais été vue à une autre époque ; l’éclectisme est notre goût […] en sorte que nous ne vivons que de débris, comme si la fin du monde était proche. »1
3L’impossibilité d’écrire un présent insaisissable conduit ainsi à la présence littéraire hypertrophiée d’un passé tout aussi fluctuant, mais bénéficiant des prestiges de l’histoire et de la légende. Face aux « débris », à la « fin du monde », il semble nécessaire de se tourner vers un passé des origines, unitaire, identitaire, et fondateur : vers ce Moyen Âge mythifié plus apte qu’aucune autre époque, en raison même de sa plasticité, à assumer cet emploi.
Notes de bas de page
1 A. de Musset, La confession d’un enfant du siècle, Paris, G F, 1993, [1re éd. 1836], p. 56.
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