Statut et figures de la voix satirique dans le théâtre polémique français (xve-xvie siècles)
p. 15-31
Texte intégral
1Quid ita reprehendis ? Cette interrogation qui forme le leitmotiv des médiévales Glosae in Iuvenalem pose la question du dessein de l’écriture satirique, de ses moyens et peut-être de ses limites. Depuis l’étude ancienne de Charles Lenient, La satire en France au Moyen Âge1, la critique n’a cessé de se pencher sur ce registre, à la fois si présent qu’il semble être illustré par tous les styles et s’offrant difficilement à une définition synthétique2. Le développement, aux xve et xvie siècles, d’un théâtre « polémique » incite à rechercher les liens particuliers qui existeraient entre cette écriture et l’héritage satirique de l’époque médiévale.
2Au contraire de l’ironie, qui s’appuie sur un phénomène lexical, ou de la parodie qui porte sur un texte antérieur, la satire fonde son existence sur une réalité extra-textuelle, ce qui peut la rendre difficile à saisir, puisque cette réalité s’est souvent estompée au fil du temps. L’aspect « immédiat » de la satire ne signifie pas que son discours soit au présent. Le contemporain, où le texte satirique prend sa source, est dénoncé et déplacé : vers le passé, âge d’or révolu et regretté ; vers le futur où la roue de Fortune se retournera. Ce double mouvement articule ainsi le Roman de Fauvel au début du xive siècle, et se résume, presque schématiquement, dans sa conclusion : nostalgie de l’ordre et de la paix régnant autrefois au « jardin de France », discorde et ruine présentes, espérance d’un retournement à venir que le texte appelle de ses vœux.
Tel jardin fu a bon jour né
Quant de telz flours fu aourné :
C’est le jardin de douce France. […]
Hé las ! France com ta beauté
Va au jour d’hui a grant ruine
Par la mesnie fauveline
Qui en tout mal met ses delis. […]
Ferrant fina, aussi fera
Fauvel, ja si grant ne sera,
Car il ne puet pas tous jours vivre3.
3Plus qu’une figure littéraire, la satire est un èthos, pour reprendre un terme aristotélicien, une position de parole critique face au monde.
4Les rares théorisations qui nous sont parvenues sur l’écriture théâtrale à la fin du Moyen Âge soulignent parfois les relations qui unissent le drame et la tonalité satirique, telle l’assimilation tardive, sous la plume de Jean Bouchet, de la sottie et de la satire dans l’Epistre XIII des Epistres Morales et Familieres :
Mais parautant que de detraction
Usent souvent par folle affection,
Nommans aucuns & faisans du scandalle.
On dit Satyre estre une chose malle ;
En France elle a de la sotie le nom4.
5Ce célèbre parallèle est cependant nuancé. Jean Bouchet oppose en effet les comédies antiques, gouvernées par un castigat ridendo mores moraliste, aux dénonciations de la sottie française qui, sous des « paroles polies », peut attaquer ad hominem. Le théâtre polémique vernaculaire peut alors déséquilibrer les relations entre réalité et fiction sur scène et remettre en cause la stabilité de l’éloge et du blâme. Héritière parfois dévoyée de Térence, la scène française ne répond pas toujours, d’autre part, aux exigences éthiques de la satire narrative médiévale. Ainsi affirmés, les liens entre satire et écritures théâtrales apparaissent donc à la fois comme évidents et problématiques.
6Dans les premières décennies du xvie siècle, le terme « satyre » s’inscrit plus fréquemment au fronton des œuvres. Certaines occurrences se trouvent sous la plume de dramaturges : Roger de Collerye propose une Satyre pour les habitants d’Auxerre pour la Joyeuse Entrée de François Ier dans la ville en 1530 ; en 1542, Barthélémy Aneau met apparemment en scène, au collège de La Trinité à Lyon, une chronique allégorique par personnages intitulée Le Lion marchant, satyre françoise. Ces titres, contemporains de l’Epistre de Jean Bouchet, indiquent-ils une nouvelle réflexion sur le fonctionnement de la satire au théâtre ? Rien n’est moins sûr : dans les deux exemples cités, l’appellation exprime moins le ton polémique des pièces que la polyphonie de leurs personnages et de leurs interprétations. Les « satyres » de Collerye et Aneau indiquent sans doute davantage une écriture de la « bigarrure » qu’une véritable intention critique.
7Y a-t-il donc héritage, ou au contraire rupture, entre la position satirique définie par les textes narratifs médiévaux et son fonctionnement dans le théâtre polémique des xve et xvie siècles ?
8Au Moyen Âge, la satire appartient aux lois du genre démonstratif et ne s’ancre pas tant dans le comique que dans l’éthique. Elle suppose un ordre de la louange, qui justifie que la polémique entre dans l’écriture pour combattre le désordre du monde contemporain. Cette visée moralisante, toujours alléguée puisque la satire se défend d’être partisane, implique que l’individu attaqué le soit comme incarnation d’un vice, et non comme une personne. Pareil impératif est rappelé dans la majorité des textes dramatiques à visée polémique. L’Instructif de Seconde Rhétorique, dans le chapitre qu’il consacre aux « moralités », insiste sur le fait que leur dimension critique doit s’inscrire dans un équilibre général des couleurs de l’éloge et du blâme.
Item que l’on blasme et desprise
Les vices fort en general
Sans ce qu’on particularise
Sur aucun suppost parcial
En cas infame especial ;
L’on doit donc les vertus priser
Et des vices dire le mal
Puis les vertus auctoriser5.
9Les premières répliques d’une moralité politique comme Excellence, Science, Paris et Peuple, dans la seconde moitié du xve siècle, reflètent ce point de vue. Si le Jardin de France est ravagé par les guerres, la question de la responsabilité (« Le pecher/De qui ? ») est à la fois posée et esquivée.
Excellence :
Je parle a tous et en commun
Particulier n’y est touché,
Mais generalement chascun6.
10Sauvegarder l’équilibre du démonstratif n’est cependant pas, dans cette pièce, un pur souci rhétorique. Tout indique que la censure rôde et que la dénonciation des particuliers coupables est bien un désir qui articule les messages implicites des personnages.
11Le mouvement satirique qui fait circuler la polémique du particulier au général et du général au particulier n’est pas sans conséquences sur l’écriture de la scène aux xve et xvie siècles. Le théâtre est en lui-même un excellent moyen d’exploiter efficacement ce double ancrage de la satire : telle expression orale, tel jeu de scène peuvent rendre claire une allusion à un personnage ou à un événement, alors que le texte y fait une référence plus générale. Ceci explique sans doute que l’attaque satirique, dans les pièces de théâtre, nous apparaisse souvent, à la lecture, indirecte et peu agressive. La répartition de la polémique entre le jeu de scène et les paroles, puis entre les paroles dites et les copies, manuscrites ou imprimées qui nous sont parvenues, est une source d’écarts que les dramaturges n’ont sans doute pas manqué d’exploiter. Au cours de la période, les procès sont nombreux qui opposent des acteurs à des autorités se jugeant attaquées ou critiquées : l’argument de défense est dans l’imprécision des paroles véritablement prononcées, dans les gestes qui les accompagnaient, et que nul texte ne peut être certain d’avoir conservé. La représentation implique donc une première caractéristique dans le statut de la satire théâtrale : elle est avant tout voix satirique, et possède une souplesse d’utilisation considérable.
12D’autre part, le double ancrage de la satire a fait de l’allégorie l’arme la mieux adaptée à son fonctionnement narratif. La personnification allégorique possède en effet une présence à double foyer, à la fois persona fictive et senefiance, dénonçant un abus contemporain tout en le généralisant suffisamment pour l’inscrire dans un horizon moraliste. Sous le masque de Fauvel ou de Renart le Contrefait, la satire narrative de la fin du Moyen Âge attaque à la fois des personnes parfaitement reconnaissables et des vices communs à toute société civile - ce qui permet aux auteurs d’échapper aux accusations et aux œuvres de s’ouvrir vers une éventuelle réutilisation, dans un autre contexte historique. Les personnifications peuvent être, cas le plus fréquent, des actrices de la fiction, incarnant l’objet de la critique, tel le cheval roux et vicieux de Gervais du Bus. Elles peuvent également représenter des commentatrices intra-diégétiques, en charge des couleurs encomiastiques. Ainsi de Fortune, dans le même roman, s’opposant aux désirs de Fauvel : le discours de la « sœur de Sapience7 » dénonce les agissements de son solliciteur en des termes qui annoncent le jugement final du narrateur. Cependant les auteurs de satire narrative savent que, pour fonctionner, l’èthos ne peut s’ancrer uniquement dans l’allégorique. L’éloge et le blâme doivent se stabiliser dans un « je » qui assure à la fois le passage du particulier (le témoin) au général (le moraliste), mais aussi le retour au particulier (le procureur des fautes contemporaines). La voix encadrante d’un acteur est essentielle au fonctionnement satirique, puisque toute parole dénonçant le désordre doit assurer son authenticité dans le témoignage de l’instant (j’ai vu) et dans une herméneutique morale (j’ai jugé). Il est évident qu’au théâtre, la voix encadrante, garante de l’enracinement de la rhétorique démonstrative dans un testimonium authentique, manque – ou ne se présente que très rarement8. N’y a-t-il pas alors péril que l’équilibre de l’éloge et du blâme, tel qu’il est défini dans les textes narratifs, vacille ?
13Des moralités aux sotties, la plupart des pièces que l’on peut considérer comme « polémiques » aux xve et xvie siècles utilisent l’héritage des personnifications – soit que la scène soit entièrement peuplée d’allégories, soit, cas le plus fréquent, que celles-ci se mêlent à d’autres figures, sots, personnages historiques, formant alors ce que l’on nomme « la scène mixte ». De son origine narrative, la personnification allégorique garde la nécessaire convenentia entre son être et ses discours, rappelée par l'Instructif de Seconde Rhétorique.
S’en personnaiges l’on veult faire
L’on doit penser et minuter
Quels personnaiges il fault traire
Sans superfluite porter
Ne diminucions traicter
Puis considerer quelle forme
A chascun convient assorter
Selon quel peult estre conforme9.
14Or ce qui apparaît comme un simple élément nécessaire au fonctionnement de la personnification peut être, sur le théâtre, l’occasion de nouvelles voies pour la satire. La moralité Excellence, Science, Paris et Peuple, précédemment citée, est une pièce anonyme rédigée probablement vers 1461. Issue d’un contexte parisien, peut-être parlementaire, elle déplore les conséquences des troubles civils dans la capitale. La moralité offre au lecteur moderne un exemple de la déception souvent engendrée par le théâtre polémique médiéval : les discours portent davantage sur la possibilité du blâme qu’ils n’attaquent des personnes ou des faits concrets. La répartition du jeu dramatique s’articule selon l’évidente hiérarchie des rôles. Excellence et Science, allégories conceptuelles, en sont les meneuses. Incarnations du savoir et du pouvoir, auctoritates soumises aux attaques des envieux, elles semblent les seules à pouvoir argumenter la solution aux problèmes contemporains.
Paris :
Science, dame de valeur
Haultement avez expousé
Et le propousé expousé,
Si bien qu’il n’est mieux proposer10.
15Cette solution n’est pas politique, mais éthique. Il s’agit de répondre aux maux qui frappent le royaume par une quête intérieure. « Soi congnoistre et bien Dieu servir » est le refrain des ballades qui ferment la pièce. Cependant le discours autoritaire des allégories conceptuelles n’existe que dans un dialogue avec deux autres personnifications, Peuple et Paris. Peuple campe le rôle du naïf, imperméable aux sentences latines et aux allusions mythologiques des autres personnages. Ses interventions comiques, reposant sur des jeux de mots et des erreurs de langage, ne sont pas insignifiantes. Quand, interrogées sur le fauteur des troubles présents, Excellence et Science évitent toute dénonciation directe en nommant Atropos, Peuple ne comprend pas cette réponse.
Peuple :
Atropos ? comment l’enctend on ?
« A trois pots », pour aller au vin11 ?
16Naïveté culturelle qui n’est pas sans souligner le caractère allusif des autres discours. Paris occupe une place plus ambiguë. Personnage complice des allégories conceptuelles, il semble être le seul à utiliser des jeux de scène liés à son costume. Certaines répliques indiquent qu’il se coiffe d’un bonnet ou d’un chaperon, pourvu d’oreilles.
Science :
Dea, Paris, mais a quel propos
Avez vous mis couvrechief ?
Excellence :
Avez vous mal aux dens ?
Science :
Quel grief !
Avez vous mal en ceste oreille ?
17Paris est frappé d’une curieuse amnésie, liée à une surdité soudaine, lorsque les questions des autres personnages se font précises sur les causes de ses récents malheurs.
Science :
Je te supposeoie estre faiz
Sourt.
Paris :
Sourt ? A cela ne pensez !
La Dieu merci, j’os cler assez
Aussi ay je belles oreilles12.
18La Sottie des Béguins de Genève exprimera, un demi-siècle plus tard, par le bonnet à une seule oreille des Sots, l’impossibilité d’une critique politique face à la censure. Le chaperon défectueux des personnages permet d’exprimer par le costume la dénonciation que la parole ne peut énoncer. Peut-on ici voir une mise en scène identique, déplaçant la polémique des discours au jeu ? Nous serions encline à le croire. L’essentiel demeure dans la répartition du dialogue entre les différentes allégories : les sentences morales et la parole « convenable » de Science et Excellence, le comique de Peuple, l’ambiguïté de Paris permettent de créer un cheminement satirique, fait de paroles autant que de gestes. Avec la perte du témoin moraliste de la tradition narrative, la scène se voit forcée d’exploiter ses propres moyens, c’est-à-dire de reporter sur les diverses circulations de la parole l’efficacité polémique. La voix satirique doit devenir polyphonie, et l’insistance du xvie siècle sur le double sens de « satyre », bigarrure et critique, peut s’éclairer dans ce contexte.
19La mise en scène satirique emprunte également un certain nombre de modèles d’écriture aux œuvres narratives. La satire médiévale cherche traditionnellement sa légitimité dans une forme de transcendance du discours : on n’attaque pas seulement le prix du pain en hausse, mais le désordre contemporain des âmes et des mœurs que ce fait indique. Il est donc fréquent que la voix encadrante des traités satiriques joue un rôle de transformateur de la fiction par l’usage de tonalités bibliques et/ou prophétiques, dénonçant l’Apocalypse derrière un geste politique mal reçu ou un nouvel impôt. Conscientes de cet héritage, de nombreuses pièces polémiques utilisent ces tonalités. En 1492, l’Université de Caen, fondée par le duc de Bedford au cours de la Guerre de Cent Ans et rattachée depuis peu au corps universitaire français, se voit attaquée dans sa spécificité par le pouvoir central et menacée d’être privée de certains de ses privilèges, notamment en matière d’exemption fiscale13. Les représentants du corps universitaire protestent de façon violente contre cette décision. Pendant quelques mois, des pamphlets sont affichés aux portes des églises de la ville, des excommunications échangées entre les évêques locaux, divisés entre les deux camps. Les « escoliers » vont jusqu’à assiéger la demeure du bailli royal Girard Buriau, devant laquelle Pierre de Lesnauderie, l’un des meneurs et futur recteur de l’Université, fait jouer la farce de Pattes- Ouaintes14. Lesnauderie y campe Pattes-Ouaintes, caricature bredouillante du bailli, adversaire non d’une personnification d’Université, comme on pouvait s’y attendre, mais d’une Mère, qui pourrait également être Église. L’instabilité référentielle de ce personnage est voulue. Elle aggrave la faute commise et donc la violence de la critique. La querelle se métamorphose en viol de l’Église, brebis livrée aux loups, Mère déchirée par ses enfants ingrats, Princesse déshéritée dont le seul appui est le Christ.
La Mère, nommée l’Université ou l’Eglise :
Christ, cher espoux, lesra tu ton espouze
Estre en ce point par force violee ?
Pourquoi veux tu que aultre que toy m’espouze,
Sinistrement par qui suis deffoulee.
De mes enfans deusse estre consolee,
Mes l’ung d’eulx m’est anemye capital.
Quand de son filz la mere est engoulee,
Au Dieux, helas ! bien lui doit faire mal15.
20Cet appel dramatique au secours divin ménage les oscillations du discours entre le problème particulier (les privilèges universitaires) et des références transcendantes : car si l’Eglise est l’Epouse souffrante soumise aux attaques diaboliques et hérétiques, l’Université est aussi fille épouse du pouvoir royal. Caen se défend donc ainsi d’être, comme l’Université de Paris, la compagne du roi de France, et appelle à son secours son véritable maître et fondateur, le roi d’Angleterre16. Dans ces quelques vers17, Lesnauderie exploite au maximum la polyphonie du discours satirique : par le geste et la voix, la Mère, figuration de l’Université, porte aussi revendication politique et sens religieux.
21Les références « transcendantes » sont fréquentes sur la scène satirique, religieuse comme profane, qu’elles s’esquissent dans les chants qui scandent les représentations18, qu’elles apparaissent au détour d’une métaphore. Il faut cependant se demander si tous les types de théâtre polémique aux xve et xvie siècles connaissent ces artifices rhétoriques. La critique moderne considère généralement que certains genres théâtraux, comme la sottie, se détachent précisément de cet horizon transcendant, sous l’influence des mutations théologiques de la fin du Moyen Âge19. Il semble que cette affirmation, globalement juste, soit à nuancer : ces modèles d’écriture appartiennent à un fonctionnement de la satire auquel la sottie ne demeure pas étrangère, mais sous une forme détournée. Cependant sur la scène, les divers types de discours, moraliste et prophétique, politique et historique, ne sont plus répartis entre différents acteurs, comme cela pouvait être le cas dans la tradition narrative. Ils se métamorphosent en jeux et se diffractent à travers les personnages.
22Le statut théâtral de la satire peut donc être défini comme un assouplissement et une complexification des moyens légués par le narratif : passage d’une écriture à une polyphonie verbale ; héritage des personnifications allégoriques ; disparition de l’ancrage stable du discours démonstratif, par la suppression de la voix encadrante, ce qui signifie une redistribution de l’éloge et du blâme ; conservation d’un certain nombre de modèles d’écriture ; jeux de mots et jeux de corps. Mais l’assurance de l’héritage ne signifie pas absence de mutations importantes dans la dynamique de la satire.
23La première mutation trouve sa source dans l’instabilité idéologique qui frappe les figures satiriques. Peut-on opposer les sotties où les personnifications allégoriques seraient les objets de la critique, et des pièces, comme les moralités, où elle seraient des voix herméneutiques dénonçant le désordre ? À cette question, nulle réponse n’est définitive, ni peut-être même possible, puisque les relations entre les types de personnages et les « genres » dramatiques sont complexes. Dans la sottie elle-même, il n’est pas sûr que les sots soient toujours les porteurs de la critique, endossant la fonction de l’ancienne voix encadrante, face à des allégories sources de désordre et de blâmes. Puisque l’extra-diégétique manque par définition sur le théâtre, les personnages doivent assumer le double rôle d’incarner le triomphe du mal en une fiction révélatrice et d’attester ce désordre, devenant le point d’émission du discours démonstratif. Cela conduit donc les dramaturges à des choix : l’allégorie peut porter la parole moralisatrice et vertueuse, tout en participant à la logomachie contre d’autres personnages, allégoriques ou non ; elle peut incarner l’action vicieuse, et le discours du vitupere se diffracte auprès des autres personnages, voire du spectateur. Il se produit, dans tous les cas, une déstabilisation de la rhétorique démonstrative.
24À cette instabilité s’ajoute la complexification référentielle des personnages. En effet, en montant sur scène et en se soumettant au fonctionnement polyphonique de la satire, les personnifications se détachent du système herméneutique stable qui fonde encore leur emploi dans les pièces religieuses. Parole incarnée renvoyant par ses actes à un sens spirituel, la personnification est, dans les mystères ou les moralités non polémiques, une adjuvante de l’homme sur le chemin du salut ou une compagne divine, comme Justice ou Miséricorde, filles de Dieu. Qu’advient-il lorsque ces figures sont utilisées sur une scène polémique ? L’une des dernières pièces satiriques que l’on puisse qualifier de « médiévale », Mars et Justice, présente ce type de réemploi. En 1563, la guerre qui fait rage entre Catholiques et Protestants au sujet des édits de tolérance semble s’apaiser par le traité d’Amboise. Mais les passions restent vives dans le milieu parisien, violemment anti-protestant. Lorsque, parallèlement, les marchands obtiennent la création d’un tribunal de commerce qui empiète sur les attributions du Parlement, un auteur anonyme, certainement parlementaire, fait jouer en janvier 1564 cette œuvre. On y voit le belliqueux Mars y rencontrer un Ministre protestant, et s’aboucher avec lui pour lui assurer la possibilité de prêches, puis trouver la compagnie d’un Marchand avide de pouvoir. Grâce à ces acolytes, Mars attaque Justice. Bien que celle-ci soit défendue par les Sots Bec Affilé, Rouge Affiné et Declicquetout, elle est finalement blessée et dépouillée de son manteau. Bon Droict ne peut que constater le larcin et promettre une réparation future. Utiliser des allégories conceptuelles relève ici d’un usage volontairement biaisé de la référence. Car ce n’est pas Justice qui est attaquée, mais bien évidemment le Parlement de 1564. La superposition non transparente de l’allégorie et de sa senefiance implique une contextualisation précise de la part du spectateur. La figure renvoie non au sens transcendant attendu (le concept de Justice), mais à un sens immanent, un corps social et politique déterminé. La généralisation qu’apporte l’allégorie est donc une arme partisane, qui à la fois cache le véritable référent et dévoile au spectateur ce qu’il faut en penser, blâme et louange, ce qui est une façon de déplacer la rhétorique démonstrative dans la réception.
25La difficulté est que l’indispensable contexte a souvent disparu pour les lecteurs modernes. Ainsi Excellence, Science, Paris et Peuple est-elle une pièce où la référence des allégories est moins que certaine. Excellence se définit une pourvoyeuse de « sentences » philosophiques et chrétiennes, ce qui a conduit ses éditeurs à penser qu’elle pourrait incarner la Faculté des Arts ou peut-être le pouvoir religieux ; de même Science, maîtresse des « mots de poids » pourrait être à la fois la Faculté de Droit et le Parlement. On est loin ici de l’évidence herméneutique des Mystères, loin même du jeu du général et du particulier qui fonde habituellement l’allégorie. Celle-ci sur la scène polémique apprend à ne plus renvoyer à un sens, aliud verbis, aliudsensu, mais est utilisée comme métaphore d’une signification autre que celle qu’elle fait habituellement attendre.
26À ce fait général s’ajoute des mutations cette fois liées à des écritures dramatiques spécifiques. Ainsi dans le théâtre des sotties, les personnifications sont de moins en moins des allégories conceptuelles, et de plus en plus des instances neutres, portant une référence sociale indifférenciée : Tout le Monde, Chacun, les Gens. De tels personnages ne sont pas inconnus des moralités, mais la personnification, encadrante ou encadrée par d’autres discours, est alors toujours orientée par un mouvement herméneutique. Au contraire, les allégories des sotties ne sont plus qu’apparemment le miroir de tous puisque leur portée didactique, non dirigée, explose dans des directions diverses. Les personnages eux-mêmes avouent leur embarras devant cette identité vide. Dans la Sottie nouvelle et fort joyeuse des sots triomphants qui trompent Chascun, les sots Teste Verte et Fine Mine hésitent à reconnaître Chascun comme leur parent et à le faire entrer sur la scène20.
Teste Verte :
Quel est vostre nom ?
Chascun :
Chascun !
Teste Verte :
Chascun, dea !
Fine Mine :
C’est tres commun.
Teste Verte :
Chascun, ce sont beaucoup de gens…
27De plus, la dramatisation de la métaphore qui est au fondement de l’allégorie retrouve, dans ce type de pièces, une efficacité nouvelle, même si le fonctionnement en est inversé : c’est la personnification qui rejoue son origine métaphorique. Le Temps-qui-court fait de son corps le dévoilement de son sens, que la parole ne fait que répéter.
Le Temps qui court, vient et est vestu de diverses couleurs et marche quoy enmy
la salle et dict :
Qu’esse qu’on dict du Temps qui court ?
Parle en de moy en ce cartier ?
Hon, qui, quoi ? Je ne suys pas sourt !
Qu’esse qu’on dit du Temps qui court21 ?
28Toute signification ne disparaît pas pour autant de ces personnages, ce qui contreviendrait à la portée satirique des pièces. Le Temps-qui-court incarne le plus souvent la nouveauté péjorative de la société contemporaine, l’ascension des parvenus, le mensonge reflété par ses costumes bigarrés. Mais il peut être aussi assimilé, de façon plus ou moins erronée, au pôle positif et regretté de Bon Temps. C’est dans l’espoir que ce soit Bon Temps que Chacun et Plusieurs prennent au piège le Temps-qui-court, dans la Moralité à quatre personnages. Les allégories des sotties tendent donc vers une certaine neutralité conceptuelle, liée à l’instabilité de leur référence ; leurs rôles se définissent peu à peu dans la relation aux autres acteurs de la scène. Avec ces allégories déplacées, renouvelées dialoguent des personnages dont la parole satirique remplace l’équilibre de la rhétorique démonstrative par les mouvements de la folie : badins naïfs, mais plus encore sots.
29La dernière mutation concerne le rôle du déguisement dans l’expression du message satirique. Si le thème du déguisement appartient là encore à l’héritage de la satire narrative en tant que signe du bestournement du monde, son utilisation se complexifie considérablement avec la scène polémique. Masques et déguisements n’appartiennent plus de plein droit au pôle de ce que l’on dénonce. La sottie apparaît comme l’espace où la complexification des références et donc l’indécision des couleurs démonstratives sont les plus grandes. Folie, Mère Sotte et ses suppôts sont souvent des personnages déguisés. Le costume du fou ou du sot est rarement donné sans mise en scène. C’est ainsi que dans la Sottie des Béguins de 1523, à l’annonce que son amant Bon Temps est toujours en vie, Folie convoque ses sots pour qu’ils jouent une pièce en l’hommage de celui-ci. Mais le manque de costumes rend la chose difficile, même si Folie confectionne elle-même, de sa chemise, les chaperons à oreilles des Béguins.
Folie :
Vous jouerez donc car j’en feray
Plutost du bout de ma chemise.
Pettremand :
Trop courte est.
Folie :
Je l’allongeray ;
D’un fol que pour ce enfanteray ;
Puis sera bien longue a ma guise22.
30Malgré les efforts de Folie, les costumes des sots restent pourtant défectueux. Leur chapeau n’a qu’une oreille, le manque s’inscrit dans le masque et on refuse de jouer.
Gaudefroy :
Ha ! sans la droitte
Aureille nous ne jouerons rien !
31Ce costume inachevé du sot a, nous l’avons dit, un sens satirique. La liberté de dévoiler les tares de la société étant symboliquement équivalente à l’intégrité du déguisement, la perte de l’oreille exprime donc la présence de la censure. Claude Rousset, l’un des sots de la compagnie, ajoute :
L’aureille qu’avons interprette
En mal ce que disons pour bien23
32Sans masque, pas de révélation ; au mauvais déguisement répond une parole masquée, imparfaite, à double entente. Ôter ou mettre le masque, on le voit, est un moteur spectaculaire comme idéologique des sotties24.
33Mais si les sots se masquent d’un costume reconnaissable, il en va différemment de leurs partenaires. Le déguisement contredit le fonctionnement herméneutique de la personnification allégorique. On sait que l’allégorie traditionnelle exhibe par son apparence son sens et assure la transparence de sa parole. Les sots entrent dans la même logique, mais en la déplaçant vers un déguisement – vérité. Les allégories des sotties se placent donc dans un système où leur fonctionnement propre est déjà assumé par d’autres personnages, ce qui nécessite de leur part un complet changement de point de vue. Voilà sans doute pourquoi, à la différence des sots qui partent à la recherche de leur habit pour compléter par leur apparence leur identité théâtrale, les allégories disjoignent au contraire une essence incertaine de la stabilité du vêtement. Le masque des personnifications est alors d’une analyse complexe. Lorsqu’elles incarnent un public anonyme, elles sont en général les victimes plus ou moins résignées d’un déguisement qui les fait entrer dans l’univers du mensonge. Lorsque l’allégorie possède déjà une personnalité, qu’elle soit Église ou Royauté, la fonction du déguisement s’inverse. La personnification se dévoile un suppôt de Folie, voire Mère Sotte elle-même chez Gringore. Enfin, l’allégorie peut incarner le pouvoir social. Temps qui court, Monde, elle fait face à d’autres persona indifférenciées comme Chacun, Plusieurs ou à des Sots timides. Elle est alors meneur de jeu ; le « faux visage » devient son unique identité. Dans ces divers jeux, le message critique se trouble. Les couleurs de l’éloge et du blâme, liées aux relations entre les personnages, abandonnent leur stabilité originelle, se dessinent et évoluent au fil de l’intrigue.
34La polyphonie propre à la satire théâtrale ne se réalise donc pas par l’invention de nouvelles figures de la critique, propres au drame, mais par l’assouplissement du fonctionnement de personnages hérités, les personnifications allégoriques, et leur mise en relation avec d’autres voix, celles des sots sur la scène mixte, polyphonie qui permet une autre circulation du message satirique. C’est aussi l’occasion d’explorer certaines limites de l’héritage médiéval, en privilégiant l’instabilité des références, l’indécision des identités, le brouillage des couleurs de rhétorique.
35Ces quelques réflexions générales ne peuvent cependant occulter la question de la diversité du théâtre polémique aux xve et xvie siècles, et l’interrogation sur d’éventuels critères d’analyse des voix satiriques sur scène.
36Les divers fonctionnements de la satire suivent-ils les répartitions génériques habituelles, sotties, moralités, farces ? On sait que ces désignations sont sujettes à caution et doivent susciter la plus grande prudence. Le corpus traditionnellement appelé « sottie » par l’analyse critique peut varier, selon que l’on se fonde sur l’appellation originelle des pièces qui nous sont parvenues, ou sur leurs caractéristiques dramatiques. Ainsi la sottie étant le domaine des sots, tout sot pourrait transformer en sottie une pièce d’autre part nommée farce, moralité, ou mystère dans les imprimés ou les manuscrits. Pour éviter cet écueil, nous proposons de ne pas fonder sur une éventuelle qualification « générique » la réflexion sur les critères du satirique, mais de la soumettre à trois interrogations : l’unité ou la mixité du personnel dramatique des pièces, impliquant une relation plus ou moins forte avec l’héritage narratif et particulièrement avec le legs de la rhétorique démonstrative ; le rapport des pièces avec le pouvoir et la censure ; enfin, la question de la réception des œuvres, telle que l’on peut la reconstituer par le fonctionnement du texte comme par les témoignages extra-textuels (manuscrits, imprimés, archives).
37Le premier critère, d’inspiration rhétorique, permettrait de cerner la spécificité du personnel dramatique. Il semble exister des différences pertinentes, comme nous l’avons souligné dans l’analyse précédente, entre la scène mixte et la scène entièrement allégorique. Les moralités polémiques, notamment religieuses, paraissent plus proches du fonctionnement de la satire narrative, dans leur rapport à la rhétorique démonstrative, alors que les sotties introduisent une instabilité générale des couleurs de louange et de blâme. Si l’horizon de la généralisation morale est plus présente chez les premières, cela ne signifie pas que les attaques satiriques des secondes soient plus directes ou plus claires. Ce qui est en jeu, c’est le but éthique plus ou moins affiché de la pièce.
38Le second critère pourrait analyser la position sociale des œuvres. Par « position sociale », nous n’entendons pas origine socio-professionnelle, puisque l’étude a rassemblé des pièces universitaires comme celle de Pierre de Lesnauderie, basochiennes ou liées au milieu parlementaire – et que les différences ne semblent guère significatives25. Il s’agit plutôt du rapport de la voix satirique au pouvoir, central ou régional – et par extension ses relations avec la censure. Les pièces d’écrivains en position officielle, comme Pierre Gringore en 1511 ou Roger de Collerye en 1530, proposent une satire particulière. Dans des ouvrages qualifiés de « sottie » comme la Sottie du prince des Sots, les couleurs de la louange et du blâme sont beaucoup stables et la polémique plus assurée, puisqu’elles ne portent pas sur l’autorité régissante, mais sur un ennemi neutralisé par l’éloignement, soit spatial, la papauté, soit temporel, les rois précédents. De la Sottie des Chroniqueurs au Jeu du Prince des Sots, Gringore met en scène son statut de Rhétoriqueur au service des rois de France. Les relations que ces dramaturges tissent avec l’écriture théâtrale subsument donc largement le problème de la satire26.
39Toute satire implique enfin réception. Sur scène, c’est au public que semble être dévolu le double rôle autrefois donné à la voix encadrante dans la satire narrative : testimonium et judicium. L’instabilité interne de la référence, les identités indécises des personnages ne peuvent être efficaces que si les spectateurs suppléent à l’information souvent volontairement déficiente. Le rapport de la personnification à sa référence peut alors être une pierre de touche pour examiner la position des satiristes face à leur public. Les témoignages extra-textuels, recueil manuscrit ou imprimé, documents d’archives, peuvent également éclairer la question de la référence, comme nous l’avons vu pour Pattes-Ouaintes. Malheureusement peu de pièces sont, pour l’instant, aussi riches en éléments contextuels ; ceux-ci sont, d’autre part, à manier avec prudence car ils peuvent également entraîner le critique sur des chemins herméneutiques hasardeux.
40C’est peut-être un lieu commun que de rappeler qu’une grande partie du théâtre rédigé de 1450 à 1550 est généralement considérée comme « satirique », terme que les critiques, au cours des xixe et xxe siècles, ont mis en parallèle avec le supposé caractère « populaire », « comique », « carnavalesque » de ces manifestations. Ces désignations traditionnelles sont, comme on le sait, abusives. Tout comique n’est pas satire et il est plus que douteux que la satire soit toujours comique, encore moins populaire.
41Aborder l’étude de la scène des xve et xvie siècles, en subsumant les classifications génériques (sotties, moralités, farces) et en remplaçant les cadres d’études précédents (populaire, profane, comique) par l’idée de « polémique » incite à se re-pencher sur la définition de l’écriture satirique en scène. Cette enquête, amorcée par des fondements théoriques, a souhaité souligner les liens qui unissent satire narrative médiévale et satire théâtrale des xve et xvie siècles – soutenant l’idée d’un héritage, travaillé, assoupli, décalé, plutôt que d’une rupture entre les deux types d’écriture. En passant sur scène, la satire conserve ses personnages essentiels, son dessein éthique, les couleurs fondamentales de l’éloge et du blâme. Mais quittant le fonctionnement stable des traités, abandonnant l’encadrement du narrateur, l’écriture devient voix plurielle, engageant à une circulation du message critique, entre divers types de personnages ; entre divers modèles d’écriture ; entre la parole et le corps ; entre l’acteur et le spectateur. Les figures satiriques ne se contentent plus du double sens (général/particulier) propre à ce discours, mais étendent le mouvement à leur propre fonctionnement : instabilité des identités, complexification des références qui rendent l’attaque à la fois plus violente et plus masquée.
42Depuis le xive siècle, les auteurs français mènent une profonde réflexion sur le statut d’écrivain, nouveau clerc dans une société en changement. Si nombre d’entre eux choisissent l’écriture polémique au fil du xve siècle, ce n’est pas simplement pour faire face à des situations particulièrement difficiles, mais parce que l’engagement est le meilleur moyen de prouver l’efficacité publique de la littérature, de souligner son rôle d’arbitre civil, de fonder, hors du triangle féodal, ce quatrième état auxquels rêvent les écrivains27. À partir de 1450, la scène théâtrale leur offre un medium de communication sans précédent dans la littérature vernaculaire. La polémique narrative s’y transporte alors, en s’adaptant aux nouvelles possibilités de l’écriture. La satire sur scène nous semble donc bien plus qu’une réaction anecdotique à des problèmes de société effacés par le passage du temps. Qu’elle soit issue de plumes basochiennes ou universitaires, qu’elle soit sottie, farce, moralité religieuse ou profane, la guerre des mots au théâtre est toujours, d’une certaine façon, une conquête de la parole.
Notes de bas de page
1 Ch. Lenient, La satire en France au Moyen Âge, Paris, 1859.
2 La portée problématique des notions de « satire » et de « parodie » au Moyen Âge a été soulignée notamment dans le récent ouvrage Formes de la critique : parodie et satire dans la France et l’Italie médiévales, éd. J.-C. Mühlethaler, A. Corbellari et B. Wahlen, Paris, 2003 (introduction, p. 1314).
3 Gervais du Bus, Le Roman de Fauvel, éd. A. Langfors, Paris, 1914-1919, p. 116-117. Ce texte de 1310 sera choisi, dans l’analyse qui suit, comme l’un des modèles du fonctionnement traditionnel de la satire narrative médiévale (cf. J.-C. Mühlethaler, Fauvel au pouvoir, lire la satire médiévale, Paris, 1994). Nous soulignons ici les termes-clefs du décrochement temporel qui fonde cette écriture.
4 Jean Bouchet, Epistres morales et familieres du Traverseur, Poitiers, Jacques Bouchet, 1545, introduction par J. Beard, Mouton, 1969, Epistre XIII, P2v.
5 L’Instructif de Seconde Rhétorique dans Le Jardin de Plaisance et Fleur de Rhétorique, fac-similé de l’éd. Vérard en 1501, Paris, 1910, Slatkine Reprints, 1978, c2r, colonne gauche.
6 Excellence, Science, Paris et Peuple dans Deux Moralités de la fin du Moyen Âge et du temps des Guerres de Religion, éd. J.-C. Aubailly et B. Roy, Genève, 1990, p. 28.
7 Gervais du Bus, Le Roman de Fauvel, livre II, v. 2190-2191, p. 80-81.
8 La présence de l’acteur, commentateur récitant les prologues et épilogues, est alors une survivance de l’origine narrative des pièces. Rare, elle intervient notamment dans le théâtre de cour d’un Rhétoriqueur bourguignon comme George Chastelain (Les Épitaphes d’Hector, 1454). Nous nous permettons de renvoyer à ce sujet à notre article : Aux frontières du prosimètre : George Chastelain et le théâtre », Le prosimètre, Cahiers Verdun-Louis Saulnier, Paris, 2005, p. 21-50.
9 L’Instructif de Seconde Rhétorique, c2v (colonne droite).
10 Excellence, Science, Paris et Peuple, p. 60.
11 Idem, p. 50.
12 Id., p. 44.
13 Cf. J. Koopmans : « Les universités contre le roi : Caen 1492, Toulouse 1507 », dans Das Theater Mittelalters undder frühen Neuzcit als Ort und Medium sozialer und symbolischer kommunikation, éd. C. Meyer et C. Spanily, Münster, Rhoma, 2004, p. 229-236.
14 L’édition de la farce est ancienne et fort rare : Pierre de Lesnauderie, la Farce de Pattes-Ouaintes, éd. T. Bonnet, Evreux, 1843. La pièce a été recueillie, non dans un manuscrit de textes littéraires, mais dans le Matrologue de l’Université de Caen (Caen, Musée des Beaux-Arts, coll. Mancel 69), avec les pièces d’archives afférant au scandale de 1492.
15 Pierre de Lesnauderie, la Farce de Pattes-Ouaintes, p. 26.
16 Au discours apocalyptique dénonçant le viol d’une Mère-Église, Lesnauderie ajoute une référence à la théorie célèbre qui fait, depuis le xive siècle, de l’Université de Paris l’épouse du pouvoir royal. Cf. S. Lusignan, Vérité garde le roy. La construction d’une identité universitaire en France, xiiie-xve siècles, Paris, 1999. Le fait que l’Université de Caen ait été créée précisément en 1436 pour contrecarrer l’influence parisienne renforce l’ironie de la référence.
17 Ils sont inspirés des pamphlets précédents, comme le montre la consultation du Matrologue de Caen. L’origine narrative de la référence insiste sur l’héritage de la satire traditionnelle, reçu et transformé par la scène.
18 Dans une moralité rouennaise du début du xvie siècle, Hérésie, Procès, Scandalle, Force, Symonie et Eglise, les adversaires de l’Eglise, qui souhaitent forcer ses portes, chantent ironiquement les paroles du psaume XXIII : « Attolite portas… » Vaine tentative et ironie à double tranchant car les portes leur resteront fermées. Cf. pour l’édition de cette pièce, Théâtre et propagande au début de la Réforme, six pièces polémiques du recueil La Vallière, éd J. Beck, Genève, 1986, p. 179-203. Nous nous permettons de renvoyer à ce sujet à notre article : « Les clefs de l’Eglise : herméneutique et mise en scène d’une métaphore-accessoire dans une moralité rouennaise au début du xvie siècle », Les Clefs des textes médiévaux. Pouvoir, savoir et interprétation, sous la dir. de F. Pomel, Rennes, PUR, 2006, p. 83-95.
19 Cf. O. A. Dull, Folie et rhétorique dans la sottie, Genève, 1994, p. 87 ; H. Arden, Fool’s Plays : A study of Satire in the « sottie », Cambridge, 1980, p. 23-25.
20 Sottie nouvelle et fort joyeuse des sots triomphants qui trompent chascun a cinq personnages, c'est assavoir Sotie, Teste Verte, Fine Mine, Chascun, Le Temps qui court, éd. E. Droz, Le Recueil Trepperel, Paris-Genève, 1935, tome I, p. 31-50, citation p. 33.
21 « Farce morale a cinq personnages, c’est assavoir Mestier, Marchandise, le Berger, le Temps et les Gens », éd. A. Leroux de Lincy et F. Michel, dans Recueil de farces, moralités et sermons joyeux, Paris, 1837, 4 vol. (Genève, Slatkine Reprints, 1977, en 2 vol.), IV, p. 13-45, citation p. 19.
22 Sottie des Béguins, Recueil général des sotties, éd. E. Picot, pièce XV, p. 291.
23 Sottie des Béguins, p. 296.
24 J-C. Aubailly, « Les masques de la communication dramatique à la fin du Moyen Âge », Les Cahiers de Varsovie, 19, 1992, p. 87-98 ; sur les jeux de costumes des fous et sots, H. Arden, Fool’s Plays, p. 50 sqq.
25 Si l’on en croit les exemples analysés ici, il est clair que certaines armes rhétoriques, comme l’appel à la transcendance ou à un discours religieux, sont plus utilisées dans le cas des pièces universitaires. Mais cette remarque ne peut peut-être valoir que pour l’écriture de Pierre de Lesnauderie et nous resterons prudente sur ce point. Les thèmes du procès, par exemple, ne définissent en rien une pièce de la Basoche, même si on peut penser que le thème était particulièrement prisé dans ce milieu. Cf. Marie Bouhaïk-Gironès, Les clercs de la Baroche et le théâtre comique (Paris, 1420-1550), Paris, Champion, 2007.
26 Ces relations sont d’autre part problématiques, puisqu’un dramaturge « Rhétoriqueur », comme Gringore, peut exercer son activité théâtrale dans d’autres espaces que ceux que son statut laisse attendre. Monter à Seurre un Mystère de saint Martin est-il encore dans les attributions de Rhétoriqueur d’André de la Vigne ? Si la production de ces écrivains, de Chastelain à Gringore, tend donc incontestablement vers le théâtre, l’analyse de leur statut officiel et de son rôle face à la diversité de leur écriture dramatique reste à conduire.
27 L’idée du « quatrième état », celui de juge de la société médiévale, subsumant les trois autres et contrôlant leur vertu, parcourt le xve siècle français. Il trouve l’une de ses expressions les plus achevées dans le texte de George Chastelain, Les Expositions sur Vérité mal prise (1459), éd. J.- C. Delclos, Paris, 2005, p. 177-178.
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