Chapitre VII. De la République à l’exil
p. 225-257
Texte intégral
Victor Hugo représentant du peuple
1La révolution de février 1848 cueille à froid le pair de France Victor Hugo (et contraint l’écrivain à interrompre la rédaction des Misères, « pour cause de révolution »). Non qu’elle le surprenne absolument. Plusieurs textes de ses carnets des années 1846-1847 laissent clairement entendre que, comme bien d’autres observateurs, il envisage l’éventualité d’une révolution qui jetterait bas l’édifice Juste-Milieu, à la fois statique et précocement vermoulu, échafaudé par Louis-Philippe et Guizot. La dimension sociale de cette révolution possible ne lui échappe pas1. Mais, alors que l’auteur d’Hernani avait accepté de bonne grâce, et même avec un certain enthousiasme, le bouleversement de juillet 1830, l’auteur du Rhin et des Burgraves n’éprouve d’abord qu’une sympathie fort limitée pour le mouvement révolutionnaire de 1848. Sensible à l’enthousiasme des premières semaines, approuvant certaines mesures du Gouvernement provisoire (l’abolition de l’esclavage, de la peine de mort en matière politique, et même l’instauration du suffrage universel), il est peu convaincu de la valeur du nouveau personnel politique constitué par les Républicains « de la veille », et il s’inquiète des menaces que, lui semble-t-il, font peser sur la liberté les groupuscules d’extrême gauche fort actifs dans la capitale durant tout le printemps, mais aussi les généraux matamores qui, très vite, offrent aux divers partis leurs services musclés pour combattre la chienlit.
2Élu aux élections complémentaires de juin représentant du peuple (c’est alors le titre officiel des députés) à l’Assemblée constituante, il siège à droite. Il fréquentera quelque temps, avec bien peu d’assiduité semble-t-il, le cercle de la rue de Poitiers, où se réunissent les anciens notables politiques des monarchies déchues. Si son influence sur l’action des Thiers, Dupin, Montalembert, Molé, Berryer et autres, a été négligeable, au moins leur a-t-il donné, sans le vouloir, un nom : la presse a tôt fait d’appeler ces vieilles illustrations politiques « les burgraves ». L’insurrection ouvrière de juin 1848 le voit sur les barricades, mais du côté de « l’ordre », mandaté par l’Assemblée avec cinquante-neuf autres représentants pour la tenir informée des événements, tenter de limiter l’effusion de sang et aussi pour contrôler les velléités d’autonomie du pouvoir militaire. Il conservera de cette expérience un souvenir mêlé, qu’il tentera de comprendre et d’exprimer, plus tard, dans Les Misérables2.
3Le deuxième semestre de 1848 voit le représentant Hugo s’opposer gouvernement autoritaire du général républicain Cavaignac, redouter un coup d’État « de gauche », et soutenir, avec son journal L’Événement, la candidature à la Présidence de la République de Louis Bonaparte, homme apparemment neuf et auquel on peut prêter des velléités sociales. Politique « de droite » donc, mais marquée déjà par la véhémence de la défense des libertés contre l’état de siège, et l’insistance avec laquelle sont demandées au futur Prince-Président « des garanties ». Dès 1849, quoiqu’à nouveau élu à droite en mai à la Législative, Hugo mêle de plus en plus souvent ses voix à la gauche, et prend de plus en plus nettement ses distances avec ces burgraves qui, majoritaires à la Législative et encore en phase avec l’Élysée, montrent de plus en plus clairement leur visage réactionnaire et répressif. En 1850, dès janvier avec son grand discours contre la loi Falloux sur la « liberté » de l’enseignement, il passe clairement dans les rangs de la gauche – « montagnards » ou « démocs-socs », comme on disait alors. « Incroyable métamorphose », comme on l’a prétendu ? Sans doute plutôt réaction d’un libéral sincère (au sens politique du temps), épris de civilisation et d’améliorations, face à la dérive droitière de notables prêts à toutes les régressions et répressions pour défendre leur ordre social. Retrouvailles, aussi, avec un ensemble de tendances profondément ancrées depuis les années vingt et trente, et qui trouveront enfin avec l’idéal de la République radicale un « débouché » politique possible, à tout le moins point trop décalé3. Et si les discours des années 1848 et 1849, par leur tonalité et certains de leurs arguments, peuvent rappeler les interventions de Hugo, au début de la décennie, à l’Académie française ou à la Chambre de pairs, ceux de 1850 et 1851 se souviennent, par leur véhémence indignée et volontiers satirique, de la plaidoirie du jeune auteur dramatique devant le Tribunal de commerce de Paris pour exiger la représentation du Roi s’amuse, ou de la préface ajoutée en cette même année 1832 au Dernier Jour d’un condamné.
4Reste que son expérience politique, et notamment parlementaire, sous la Seconde République, aura durablement marqué Hugo, relançant et approfondissant des dispositions antérieures que son « ralliement » des années 1840 n’avait fait que recouvrir sans les effacer, mais aussi provoquant, ou accélérant, des évolutions importantes de ces tendances profondes qui déterminent son appréhension du politique.
Vers l’État social
5Hugo évolue alors dans sa compréhension du rôle et de la valeur de l’État. Non que les fonctions régaliennes, les vecteurs traditionnels de la souveraineté étatique, lui deviennent plus sympathiques ou moins suspects. Certes, dans les premiers mois de la Seconde République, Hugo se présente comme un homme d’« ordre », soucieux d’éviter et de combattre l’« anarchie », jusqu’à refuser de comprendre, dans un premier temps, le caractère profondément partial, pour ne pas dire factieux, des poursuites et proscriptions décrétées par la droite contre les ténors de la gauche (Ledru-Rollin en tête), après la manifestation manquée du 13 juin 1849. Pourtant, même durant cette première phase, le représentant Hugo se montre très sensible aux empiétements du pouvoir d’État (judiciaire, policier, administratif) sur les libertés publiques (en particulier sur la liberté de la presse et des théâtres), réalisés à la faveur des troubles sociaux, réels ou supposés. Mais son passage à gauche, contemporain des grandes lois de compression votées par la Législative, lui permet sur ce sujet une véhémence nouvelle. Ainsi, lors de ce discours du 5 avril 1850, contre le projet de loi sur la déportation des prisonniers politiques :
[Selon] les grands politique, il faut s’en rapporter, selon l’occasion et la conjoncture, à ce que conseille la raison d’état. La raison d’état ! ah ! c’est là le grand mot ! […]
Messieurs, j’examine la raison d’état : je me rappelle tous les mauvais conseils qu’elle a déjà donnés. […] Marat l’invoquait aussi bien que Louis XI. […] Ah ! mon cœur se soulève ! Ah ! je ne veux, je ne veux, moi, ni de la politique de la guillotine, ni de la politique de la potence, ni de Marat, ni de Haynau, ni de votre loi de déportation ! (Bravos prolongés.) Et quoi qu’on fasse, quoi qu’il arrive, toutes les fois qu’il s’agira de chercher une inspiration ou un conseil, je suis de ceux qui n’hésiteront jamais entre cette vierge qu’on appelle la conscience et cette prostituée qu’on appelle la raison d’état. (Immense acclamation à gauche.)
Je ne suis qu’un poète, je le vois bien4 !
6Dans son dernier discours à la tribune de cette Assemblée, sur la révision de la constitution (17 juillet 1851), il dresse un bilan sinistre du fonctionnement de l’État pseudo-républicain des trois dernières années :
Toutes nos libertés prises au piège l’une après l’autre et garrottées ; le suffrage universel trahi, livré, mutilé ; les programmes socialistes aboutissant à une politique jésuite ; pour gouvernement, une immense intrigue (Mouvement), l’histoire dira peut-être un complot (Vive sensation.) […] qui fait de cinq cent mille fonctionnaires une sorte de franc-maçonnerie bonapartiste au milieu de la nation ! Toute réforme ajournée ou bafouée, les impôts improportionnels et onéreux au peuple maintenus ou rétablis, l’état de siège pesant sur cinq départements, Paris et Lyon mis sous surveillance, l’amnistie refusée, la transportation aggravée, la déportation votée, des gémissements à la kasbah de Bône, des tortures à Belle-Isle, des casemates où l’on ne veut pas laisser pourrir des matelas, mais où on laisse pourrir des hommes (Sensation) !. la presse traquée, le jury trié, pas assez de justice et beaucoup trop de police5 [.]
7L’attitude du pouvoir d’État et de ses Grands Corps sous le Second Empire ne fera rien pour diminuer cette méfiance.
8Mais durant ces années, et comme sous la pression des débats sociaux dramatisés par le mouvement de février 1848, l’État acquiert pour Hugo de nouvelles significations, et se pare de nouvelles vertus. Il tend à devenir, en principe, non plus seulement le conservatoire des barbaries souveraines du passé, mais aussi le laboratoire de l’avenir, l’instrument et le garant nécessaires du progrès social. C’est très net sur deux sujets, alors violemment débattus à l’Assemblée et dans le pays : l’assistance publique et l’enseignement.
9Dans ses nombreuses interventions consacrées à la lutte contre le paupérisme, à l’amélioration du sort des classes souffrantes (comme on disait alors), Hugo, même quand il siège encore à droite, assigne clairement à l’État l’essentiel de l’action sociale nécessaire. Il s’écarte ainsi du dogme libéral-économique déjà bien constitué, et ne répudie le « socialisme » radical (ou qu’il perçoit alors comme tel), que pour prôner un « socialisme » réformiste et progressif, indispensable à la fois pour œuvrer à la civilisation et pour conjurer les risques de révolution. Dans son discours sur la misère (9 juillet 1849), il défend la proposition du catholique Armand de Melun, qui demandait la mise en place d’une commission permanente de l’Assemblée visant à « préparer une législation qui organise la prévoyance et l’assistance publique ». Et il commence par dénoncer à la tribune l’obstruction sourde que ses collègues de droite opposent à une proposition qui leur semble inutile, et surtout dangereuse :
Messieurs, j’entends dire à tout instant, et j’ai entendu dire encore tout à l’heure autour de moi, au moment où j’allais monter à cette tribune, qu’il n’y a pas deux manières de rétablir l’ordre. On disait que dans les temps d’anarchie il n’y a de remède souverain que la force ; qu’en dehors de la force tout est vain et stérile, et que la proposition de l’honorable M. de Melun et toutes autres propositions analogues doivent être tenues à l’écart, parce qu’elles ne sont, je répète le mot dont on se servait, que du socialisme déguisé. (Interruptions à droite.)
[…] Ceux qui parlaient ainsi ajoutaient que « faire espérer au peuple un surcroît de bien-être et une diminution de malaise, c’est promettre l’impossible ; qu’il n’y a rien à faire, en un mot, que ce qui a déjà été fait par tous les gouvernements dans toutes les circonstances semblables ; que tout le reste est déclamation et chimère, et que la répression suffit pour le présent et la compression pour l’avenir. » (Violents murmures. – De nombreuses interpellations sont adressées à l’orateur par des membres de la droite et du centre […])
Je suis heureux, messieurs, que mes paroles aient fait éclater une telle unanimité de protestations6.
10On conçoit que de telles pratiques parlementaires aient valu à Hugo des haines durables parmi ses anciens « amis politiques ». Mais au-delà de cette grave entorse à la discipline et à l’hypocrisie de parti, Hugo dans son discours défend au moins deux idées force. La première, c’est que la loi doit avoir pour objectif non le soulagement, mais l’abolition de la misère. Cette abolition, insiste-t-il, est tout à fait possible :
Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. (Réclamations. – Violentes dénégations à droite.)
Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. (Nouveaux murmures à droite.) La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. (Oui ! oui ! à gauche.) Détruire la misère ! oui, cela est possible. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli. (Sensation universelle.)7
11La revendication sociale de Hugo reste en somme, d’un certain point de vue, limitée : « l’égalité réelle » ne lui semble pas envisageable, et son progressisme ne voit guère qu’améliorations, qui ne sauraient venir à bout de la souffrance, notamment sociale, ni même peut-être de la pauvreté – et, pour (se) consoler de ce déplorable état de fait, il lui arrive encore assez souvent d’invoquer l’argument chrétien de l’autre vie, seule dispensatrice de la vraie justice et du bonheur8. Mais si l’amélioration en général ne saurait qu’être progressive et toujours incomplète, en revanche, sur le cas-limite de la misère, elle doit et peut viser l’absolu de l’abolition.
12Qu’entend-il alors par ce mot, misère ? Les exemples qu’il en donne dans ce même discours (des familles n’ayant pour abri « que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange au coin des bornes », un homme de lettres mort de faim, « mort de faim à la lettre », une mère et ses enfants cherchant « leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon9 »), laissent entendre que cette misère désigne les situations de détresse extrême, celles qui rendent impossible la satisfaction des besoins vitaux : se nourrir, se vêtir, s’abriter. La dynamique de son œuvre invite à penser que ce mot recouvre pour Hugo une gamme plus large de situations ; pourtant, même ainsi restreint, l’objectif proclamé d’abolition de la misère avait en ce milieu du xixe siècle amplement matière à s’appliquer, et il suscita un tollé durable chez les notables bien-pensants.
13Autre idée-force de ce discours, la responsabilité de l’État dans ce qu’il faut bien appeler, malgré le caractère vague des mesures préconisées, un programme social. Hugo y insiste : il ne saurait être question de laisser le soin du soulagement des malheureux à la seule charité privée. Pour contrer l’effet néfaste des promesses du « socialisme », de ceux qu’il nomme encore les « démagogues », il faut « profiter de l’ordre reconquis pour relever le travail, pour créer sur une vaste échelle la prévoyance sociale ; pour substituer à l’aumône qui dégrade (Dénégations à droite) l’assistance qui fortifie ; pour fonder de toutes parts, et sous toutes les formes, des établissements de toute nature qui rassurent le malheureux et qui encouragent le travailleur ; pour donner cordialement, en améliorations de toutes sortes, aux classes souffrantes, plus, cent fois plus que leurs faux amis ne leur ont jamais promis10 ».
14Non seulement l’« assistance » doit être « publique », mais elle doit relever d’une politique générale et centralisée au plus haut sommet de l’État (et non pas, comme c’était alors le plus souvent le cas, laissée à la seule action locale et communale) : il faut « substituer une grande et unique commission de l’assistance et de la prévoyance publique à toutes les commissions secondaires qui ne voient que le détail et auxquelles l’ensemble échappe ; placer cette commission très-haut, de manière à ce qu’on l’aperçoive du pays entier (Mouvement) ; réunir les lumières éparses, les expériences disséminées, les efforts divergents, les dévouements, les documents, les recherches partielles, les enquêtes locales, toutes les bonnes volontés en travail, et leur créer ici un centre, un centre où aboutiront toutes les idées et d’où rayonneront toutes les solutions ; faire sortir pièce à pièce, loi à loi, mais avec ensemble, avec maturité, des travaux de la législature actuelle le code coordonné et complet, le grand code chrétien de la prévoyance et de l’assistance publique11 ».
15Enfin, l’État ne doit pas seulement, pour parvenir à ce but, assurer un minimum vital, mais créer du travail, et donc, si nécessaire, intervenir directement dans le processus de production. Le représentant Hugo ne cessera de réclamer, outre le retour au calme nécessaire à la restauration de la confiance et de l’activité économique, l’ouverture « d’ateliers », dont il ne précise aucunement la nature mais dont au moins l’initiative doit revenir à la puissance publique – si bien qu’il retrouve au fond la principale revendication sociale des socialistes quarante-huitards : le droit au travail. Ainsi, lors de son discours sur la révision de la constitution (17 juillet 1851), il précise les réformes constitutionnelles qu’il attend, et dont le « volet social » n’est pas négligeable :
J’aurais compris qu’on dît : Il faut proclamer plus complètement et développer plus logiquement que ne le fait la Constitution les quatre droits essentiels du peuple : le droit à la vie matérielle, c’est-à-dire, dans l’ordre économique, le travail assuré.
M. Greslan. – C’est le droit au travail !
M. Victor Hugo, continuant. – l’assistance organisée […].
La France ne sera tranquille que lorsque, par la puissance des institutions qui donneront du travail et du pain aux uns et qui ôteront l’espérance aux autres, nous aurons vu disparaître du milieu de nous tous ceux qui tendent la main, depuis les mendiants jusqu’aux prétendants. (Explosion d’applaudissements. – Cris et murmures à droite.)
[…]
L’assistance, le salaire, le crédit, l’impôt, le sort des classes laborieuses. – eh ! mon Dieu ! ce sont là des questions toujours négligées, toujours ajournées ! Souffrez qu’on vous en parle de temps en temps ! Il s’agit du peuple, messieurs ! Je continue. – Les souffrances des faibles, du pauvre, de la femme, de l’enfant ! l’éducation, la pénalité, la production, la consommation, la circulation, le travail, qui contient le pain de tous, le suffrage universel, qui contient le droit de tous, la solidarité entre hommes et entre peuples, l’aide aux nationalités opprimées, la fraternité française produisant par son rayonnement la fraternité européenne : voilà les questions vraies.
La légitimité, l’empire, la fusion, l’excellence de la monarchie sur la république, les thèses philosophiques qui sont grosses de barricades, le choix entre les prétendants : voilà les fausses questions12.
16Que Hugo n’ait jamais été, et surtout pas sous la Seconde République, un expert en questions économiques, c’est l’évidence. Qu’il soit toujours resté profondément attaché à la propriété privée, c’est bien connu. Mais il est tout aussi clair qu’il refuse, dès cette période, de laisser aux seules « lois » de l’économie libérale le soin de résoudre les questions sociales, et qu’il est convaincu de la nécessité d’une intervention de l’État dans le domaine économique pour remédier à la misère du peuple.
17Il est un autre domaine dans lequel, selon Hugo, l’État doit intervenir, et même occuper une position centrale, c’est l’enseignement. Sur la question, des lois importantes furent votées durant l’hiver 1849-1850, inspirées par le « parti clérical » et acceptées par les orléanistes « voltairiens », au nom de l’unité de la droite et de la mission de frein social attribuée à l’église catholique13. Ces lois purent être comprises comme une remise en cause radicale de la politique éducative héritée de la Révolution française. En effet, non seulement elles laissaient toute latitude aux congrégations religieuses d’ouvrir leurs propres établissements scolaires, mais elles installaient la hiérarchie catholique au cœur même du système de surveillance des établissements publics. Le discours que Hugo prononça contre ce projet de loi le 15 janvier 1850, et qui marque sa rupture claire et définitive avec la droite, s’ouvre par un exposé de son idéal en matière de politique éducative, qui insiste sur le rôle que doit jouer la puissance publique dans ce domaine :
Pour moi, l’idéal de cette question de l’enseignement, le voici : L’instruction gratuite et obligatoire. Obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés. (Murmures à droite. – Applaudissements à gauche.) L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant (Mouvement) qui, ne vous y trompez pas, est plus sacré encore que le droit du père et qui se confond avec le droit de l’État.
[…] Un grandiose enseignement public, donné et réglé par l’État, partant de l’école de village et montant de degré en degré jusqu’au Collège de France, plus haut encore, jusqu’à l’Institut de France. […] Pas une commune sans une école, pas une ville sans un collège, pas un chef-lieu sans une faculté. […] En un mot, l’échelle de la connaissance humaine dressée fermement par la main de l’État, posée dans l’ombre des masses les plus profondes et les plus obscures, et aboutissant à la lumière. Aucune solution de continuité : le cœur du peuple mis en communication avec le cerveau de la France. (Longs applaudissements.)
Voilà comme je comprendrais l’éducation publique nationale. Messieurs, à côté de cette magnifique instruction gratuite, sollicitant les esprits de tout ordre, offerte par l’État, donnant à tous, pour rien, les meilleurs maîtres et les meilleures méthodes […], je placerais sans hésiter la liberté d’enseignement, la liberté d’enseignement pour les instituteurs privés, la liberté d’enseignement pour les corporations religieuses, […] et je n’aurais pas besoin de lui donner le pouvoir inquiet de l’État pour surveillant, parce que je lui donnerais l’enseignement gratuit de l’État pour contrepoids. (Bravo ! à gauche. – Murmures à droite.)
Ceci, messieurs, je le répète, est l’idéal de la question. Ne vous en troublez pas, nous ne sommes pas près d’y atteindre, car la solution du problème contient une question financière considérable, comme tous les problèmes sociaux du temps présent.
[…]
[Au] point de vue restreint, mais pratique, de la situation actuelle, je veux, je le déclare, la liberté de l’enseignement ; mais je veux la surveillance de l’État, et comme je veux cette surveillance effective, je veux l’État laïque, purement laïque, exclusivement laïque. […]
Je veux, dis-je, la liberté de l’enseignement sous la surveillance de l’État, et je n’admets, pour personnifier l’État dans cette surveillance si délicate et si difficile, qui exige le concours de toutes les forces vives du pays, que des hommes appartenant sans doute aux carrières les plus graves, mais n’ayant aucun intérêt, soit de conscience, soit de politique, distinct de l’unité nationale. C’est vous dire que je n’introduis, soit dans le conseil supérieur de surveillance, soit dans les conseils secondaires, ni évêques, ni délégués d’évêques. J’entends maintenir, quant à moi, et au besoin faire plus profonde que jamais, cette antique et salutaire séparation de l’Église et de l’État, qui était l’utopie de nos pères, et cela dans l’intérêt de l’Église comme dans l’intérêt de l’État. (Acclamation à gauche. – Protestation à droite.)14
18Dans toute l’œuvre de Hugo, on trouverait sans doute peu de pages où le mot « État » apparaît si souvent, avec majuscule, et pris en bonne part.
19Sous la Seconde République, Hugo tend ainsi à contrebalancer (sans vraiment penser la contradiction latente) une méfiance durable, qui s’accentuera encore sous le Second Empire, à l’égard de l’État régalien, par un appel à l’émergence d’un État social moderne, dont à peu près tout restait alors, en France, à inventer.
Le suffrage universel et le peuple
20Sur ce point, il s’agit moins d’une évolution que de l’approfondissement d’une tendance de pensée déjà ancienne, mais que la nouvelle situation politique va préciser et dramatiser. Au début de la Monarchie de Juillet, Hugo se disait déjà favorable au principe du suffrage universel. Certes, il n’admettait alors ce principe qu’à la condition d’instruire préalablement le peuple, et il semble même avoir régressé sur cette question lors de son ralliement, autour de 1840, au régime de Juillet15. Il n’en reste pas moins que cette antériorité lui a permis d’accepter sans trop de réticence d’abord, avec enthousiasme ensuite, ce saut dans le vide que représentait la décision du Gouvernement provisoire de la République de faire passer, d’un coup, le corps électoral de 200 000 électeurs environ, à près de dix millions.
21Au-delà, cette radicalisation proprement révolutionnaire de la revendication d’élargissement du corps électoral qu’avait portée la campagne des Banquets, tendait à confirmer une idée perceptible très tôt dans les fictions hugoliennes : l’idée que le point stratégique de la question du peuple se situe non à la frange de la bourgeoisie, du « pays légal », mais à son opposé exact, dans les zones sombres de la misère et de l’exclusion absolue16. En somme, il s’agissait de figurer le collectif social non comme un cercle défini par son centre (le « pays légal » des régimes censitaires), mais comme une ellipse, dessinée par ses deux foyers symétriquement opposés : les notables et les misérables. En ce sens, l’élargissement du droit de suffrage était une méthode insuffisante et erronée : elle figurait une extension progressive du centre vers la périphérie. Seul le suffrage universel avait quelque chance de légitimité, précisément parce qu’il pouvait au moins faire croire qu’il se portait immédiatement aux extrêmes, qu’il portait la souveraineté jusqu’à ce point limite nécessaire à la représentation du collectif.
22C’est en tout cas en ces termes que Hugo le défend dans le discours qu’il prononce le 20 mai 1850 :
Oui, le merveilleux côté du suffrage universel, le côté efficace, le côté politique, le côté profond, ce ne fut pas de lever le bizarre interdit électoral qui pesait, sans qu’on pût deviner pourquoi, […] sur une partie de ce qu’on nommait la classe moyenne, et même de ce qu’on nommait la classe élevée ; ce ne fut pas de restituer son droit à l’homme qui était avocat, médecin, lettré, administrateur, officier, professeur, prêtre, magistrat, et qui n’était pas électeur ; […] non, le côté merveilleux, je le répète, le côté profond, efficace, politique, du suffrage universel, ce fut d’aller chercher dans les régions douloureuses de la société, dans les bas-fonds, comme vous dites, l’être courbé sous le poids des négations sociales, l’être froissé qui, jusqu’alors, n’avait eu d’autre espoir que la révolte, et de lui apporter l’espérance sous une autre forme (Très bien !), et de lui dire : Vote ! ne te bats plus ! (Mouvement.) Ce fut de rendre sa part de souveraineté à celui qui jusque-là n’avait eu que sa part de souffrance ! Ce fut d’aborder dans ses ténèbres matérielles et morales l’infortuné qui, dans les extrémités de sa détresse, n’avait d’autre arme, d’autre défense, d’autre ressource que la violence, de lui retirer la violence et de lui remettre dans les mains, à la place de la violence, le droit ! (Bravos prolongés.)17
23Hugo prononce ce discours contre le projet de loi (qui sera voté le 31 mai) visant précisément à restreindre le suffrage universel, à éviter sciemment que la sphère de la citoyenneté politique n’atteigne et n’englobe ce point limite du social dont Hugo fait ici le point névralgique du droit politique. Adolphe Thiers, un des principaux inspirateurs du projet, trouvera dans l’intervention de Hugo l’occasion d’une excellente définition du peuple des misérables, objectivement hugolienne (si l’on en excepte bien sûr les traits de cette hypocrisie bourgeoise qui pense toujours que les pauvres sont plus riches qu’ils ne le paraissent et que ceux qui ne sont pas « intégrés » restent dehors par choix et par vice) :
Il y a une quantité de vagabonds qui ont des salaires considérables, d’autres qui, par des moyens illicites, gagnent suffisamment pour avoir un domicile, qui n’en veulent pas avoir. Ce sont ces hommes qui forment, non pas le fond, mais la partie dangereuse des grandes populations agglomérées, ce sont ces hommes qui méritent ce titre, l’un des plus flétris de l’histoire, entendez-vous, le titre de multitude. La vile multitude qui a perdu toutes les Républiques. C’est la multitude, ce n’est pas le peuple, cette multitude de vagabonds dont on ne peut saisir ni le domicile, ni la famille, si remuante qu’on ne peut la saisir nulle part, qui n’ont pas su créer pour leur famille un asile appréciable : c’est cette multitude que la loi a pour but d’éloigner18.
24Multiple et remuant, insaisissable surtout, marquant les limites de la société et de l’État à organiser le collectif en un ensemble de territoires officiels, tel est en effet le peuple, le peuple des misérables. Faux peuple pour Thiers, mais « vrai » peuple hugolien, celui qui hante son œuvre sous diverses formes et divers noms, d’Hernani à Jean Valjean, de Zafari à Claquesous, de Giliatt à Ursus, d’Esmeralda à Cosette19…
25Car c’était peut-être surtout l’errance, le nomadisme populaire, qui inquiétait les notables. C’était en tous les cas l’une des principales caractérisations de « cette multitude que la loi a pour but d’éloigner », puisqu’on exigerait dorénavant de l’électeur qu’il fît la preuve de trois ans de domicile continu. Hugo, dont les personnages populaires sont systématiquement des déracinés, sans feu ni lieu, s’éleva violemment contre cette disposition de la loi :
À la simple résidence décrétée par la Constituante, elle substitue sournoisement le domicile. Au lieu de six mois, elle écrit trois ans, et elle dit : C’est la même chose. (Dénégations à droite.) À la place du principe de la permanence des listes, nécessaire à la sincérité de l’élection, elle met, sans avoir l’air d’y toucher (On rit), le principe de la permanence du domicile, attentatoire au droit de l’électeur. Sans en dire un mot, elle biffe l’article 104 du Code civil, qui n’exige pour la constatation du domicile qu’une simple déclaration, et elle remplace cet article 104 par le cens indirectement rétabli, et à défaut de cens, par une sorte d’assujettissement électoral mal déguisé de l’ouvrier au patron, du serviteur au maître, du fils au père. […]
Ce droit de suffrage, qui, je crois l’avoir démontré, fait partie de l’entité du citoyen, ce droit de suffrage, sans lequel le citoyen n’est pas ; ce droit, qui fait plus que le suivre, qui s’incorpore à lui, qui respire dans sa poitrine, qui coule dans ses veines avec son sang, qui va, vient et se meut avec lui, qui est libre avec lui, qui naît avec lui pour ne mourir qu’avec lui, ce droit imperdable, essentiel, personnel, vivant, sacré (On rit à droite), ce droit, qui est le souffle, la chair et l’âme d’un homme, votre loi le prend à l’homme et le transporte à quoi ? À la chose inanimée, au logis, au tas de pierres, au numéro de la maison ! Elle attache l’électeur à la glèbe ! (Bravos à gauche. – Murmures à droite.)20
26Mais la citoyenneté de multitudes nomades, était-ce concevable ?
27Au demeurant, Hugo reste méfiant à l’égard de la notion même de souveraineté, fût-elle authentiquement populaire et portée par le suffrage universel. Une remarque, apparemment incidente, dans son discours sur la révision de la constitution (17 juillet 1851), laisse transparaître cette méfiance : « Cessez donc, vous légitimistes, de nous adjurer au point de vue du droit. Vis-à-vis du droit du peuple, qui est la souveraineté, il n’y a pas d’autre droit que le droit de l’homme, qui est la liberté21. » Ainsi donc il y a autre chose, dans le Droit, que le droit du peuple souverain. La souveraineté, même populaire, n’a donc pas tous les droits, n’est donc pas tout le Droit. L’abrogation de la loi du 31 mai par le Prince-Président après son coup d’État du Deux Décembre, et l’usage plébiscitaire que fera l’Empire de la souveraineté populaire, donneront à cette remarque tout son poids. Et contraindront Hugo, avec les autres républicains, à rouvrir la question du suffrage universel – comme celle, lancinante, du peuple.
L'Adieu au Pape
28La période de la Seconde République marque pour Hugo une rupture nette dans son appréhension de l’Église catholique et de la papauté. Auparavant, on l’a vu plus haut (ch. VI), il reste très attaché (malgré ses critiques) à l’idée d’une puissance spirituelle et universelle incarnée par l’évêque de Rome. Outre sa sympathie pour l’Évangile et le symbole christique, c’est bien la dimension impériale, romaine, de l’Église catholique qui l’attire, et presque le fascine. En janvier 1848, à la tribune de la Chambre des pairs, il avait salué les mesures libérales prises par Pie IX dans ses États, et voulait voir dans cette acceptation des idées du siècle à la fois la promesse d’un regain d’influence universelle de la papauté et le premier acte du scénario « néo-guelfe » de l’unification italienne, le pape étant appelé à prendre en main les destinées temporelles de toute la péninsule. Mais dès les premières œuvres de l’exil, Napoléon-le-petit (1852) et surtout Châtiments (1853), le Pape devient avec l’Empereur le nom du mal absolu en politique, et l’un des principaux agents du martyre de l’Europe. Entre-temps, « l’affaire de Rome » et la montée en puissance du « parti clérical » expliquent, ou tout au moins précipitent, cette spectaculaire évolution.
29La timide libéralisation politique initiée par Pie IX n’avait pas empêché la révolution romaine, l’exil du pape, et la proclamation de la République dans la Ville éternelle. En 1848, l’Assemblée constituante française avait dépêché sur place un corps expéditionnaire pour dissuader l’Autriche de jouer comme à son habitude le rôle de restauratrice musclée de l’ordre dans la péninsule. L’année suivante, la Législative et le gouvernement des burgraves utilisaient ce corps expéditionnaire pour abattre la République romaine et restaurer le pape. Tactique comme toujours, le Président de la République Louis Bonaparte, qui ne s’était pas opposé formellement à cette politique, rendait publique une lettre à son aide de camp envoyé à Rome, dans laquelle il demandait qu’on obtînt du pape des réformes libérales et l’amnistie des républicains. Le gouvernement pontifical faisait des promesses qu’il s’empressait de ne pas tenir. Bref, la République française avait restauré purement et simplement le pouvoir temporel du pape, et le Second Empire continuerait de garantir militairement son intégrité.
30Hugo, pas encore nettement passé à gauche, opposé à la manifestation organisée le 13 juin par la Montagne contre cette violation de la Constitution22, et ayant même à peu près approuvé les arrestations et proscriptions des représentants « rouges » compromis dans l’affaire, Hugo monte à la tribune le 19 octobre 1849. Il y dénonce clairement le dévoiement de la politique française en Italie, condamne l’attitude réactionnaire du nouveau gouvernement romain, mais ménage encore la personne de Pie IX et surtout l’institution papale elle-même – comme s’il voulait encore croire possible la politique romaine qu’il appelait de ses vœux en janvier 1848 :
Messieurs, si vous voulez que la réconciliation si désirable de Rome avec la papauté se fasse, il faut que cet état de choses finisse ; il faut que le pontificat, je le répète, comprenne son peuple, comprenne son siècle ; il faut que l’esprit vivant de l’Évangile pénètre et brise la lettre morte de toutes ces institutions devenues barbares. Il faut que la papauté arbore ce double drapeau cher à l’Italie : Sécularisation et nationalité !
Il faut que la papauté, je ne dis pas prépare dès à présent, mais du moins ne se comporte pas de façon à repousser à jamais les hautes destinées qui l’attendent le jour, le jour inévitable de l’affranchissement et de l’unité de l’Italie. (Explosion de bravos.) Il faut enfin qu’elle se garde de son pire ennemi ; or, son pire ennemi, ce n’est pas l’esprit révolutionnaire, c’est l’esprit clérical. L’esprit révolutionnaire ne peut que la rudoyer, l’esprit clérical peut la tuer. (Rumeurs à droite. – Bravos à gauche.)23
31Beaucoup plus dure, et plus radicale, apparaît la critique de l’institution catholique dans son discours sur la liberté de l’enseignement, le 15 janvier 1850. Certes, prenant pour cible ses collègues du « parti clérical », Hugo semble encore ménager le catholicisme : « Ah ! je ne vous confonds pas avec l’Église, pas plus que je ne confonds le gui avec le chêne. Vous êtes les parasites de l’Église, vous êtes la maladie de l’Église24. » Mais en dénonçant l’interdiction par la papauté de la lecture de la Bible (ce « livre qui contient toute la sagesse humaine éclairée par toute la sagesse divine », « Quel étonnement pour les esprits sages, quelle épouvante pour les cœurs simples, de voir l’index de Rome posé sur le livre de Dieu ! »), en dressant un portrait catastrophique de l’état de décadence intellectuelle de l’Espagne et de l’Italie instruites par l’Église, en invoquant le souvenir terrible de « l’inquisition, qui a brûlé sur le bûcher ou étouffé dans les cachots cinq millions d’hommes ! », c’est bien le bilan historique de l’institution catholique (et non plus seulement les aléas actuels de la politique de Pie IX) qui vire au noir. Oublié le respect admiratif pour le pouvoir spirituel de la papauté, laquelle au contraire apparaît ici, à travers la litanie des grands hommes qu’elle a condamnés (Harvey, Galilée, Montaigne, Pascal…), comme l’ennemi traditionnel de l’esprit. « La pensée de Victor Hugo, remarque Michèle Fizaine, à partir de ce martyrologe des génies opprimés par la religion, en vient à s’évader des cadres où l’enferme encore son respect pour un pouvoir spirituel universel. Commence à se faire jour l’idée que l’action des penseurs, menée au nom de la “conscience humaine”, est, en elle-même, insurrectionnelle25 ».
32Comment croire désormais, comme le professait Hugo dans son discours de janvier 1848, qu’un pape, quel qu’il soit, que l’héritier d’une telle tradition, que le chef d’une telle institution puisse, un jour devenir l’auxiliaire de l’esprit de la Révolution française, et compléter celui-ci en le sanctifiant par son adhésion active, en lui conférant la dimension religieuse et universelle que seul l’évêque de Rome peut conférer ? Désormais il faudra penser que l’esprit de la Révolution est en lui-même universel et religieux (un peu comme l’affirme Michelet depuis sa préface de 1847 à l’Histoire de la Révolution). C’est bien ce que laisse entendre Hugo dans son discours sur la révision de la constitution (17 juillet 1851) :
Le premier peuple du monde a fait trois révolutions comme les dieux d’Homère faisaient trois pas ; ces trois révolutions qui n’en font qu’une, ce n’est pas une révolution locale, c’est la révolution humaine ; ce n’est pas le cri égoïste d’un peuple, c’est la revendication de la sainte équité universelle ; c’est la liquidation des griefs généraux de l’humanité depuis que l’histoire existe (Vive approbation à gauche. – Rires à droite) ; c’est, après les siècles de l’esclavage, du servage, de la théocratie, de la féodalité, de l’inquisition, du despotisme sous tous les noms, du supplice humai sous toutes les formes, la proclamation auguste des droits de l’homme ! (Acclamation.)
[…] Cette révolution, inouïe dans l’histoire, c’est l’idéal des grands philosophes réalisé par un grand peuple, c’est l’éducation des nations par l’exemple de la France. Son but, son but sacré, c’est le bien universel, c’est une sorte de rédemption humaine. C’est l’ère entrevue par Socrate, et pour laquelle il a bu la ciguë ; c’est l’œuvre faite par Jésus-Christ, et pour laquelle il a été mis en croix26 !
33On peut voir là, avec Michèle Fizaine, un « moment décisif de la pensée politique de Victor Hugo. La « révolution humaine » se substitue à la religion chrétienne, pour la première fois : le mot de « rédemption », arraché à son sens théologique, est rendu à sa signification originelle : rachat, affranchissement des esclaves27 ».
34Désormais, le pouvoir spirituel universel ne pourra plus d’aucune manière être délégué à l’Église catholique, pas plus qu’à aucune autre église. L’esprit évangélique et la figure du Christ pourront demeurer parmi les grandes références positives de Hugo, mais aucune religion instituée ne saurait leur être fidèle, et moins encore œuvrer à l’éclosion de l’avenir. Le Monseigneur Myriel des Misérables28 ne sera plus qu’une exception.
L’exil de la République
[…] on ne peut pas relater le Second Empire sans mettre en scène le plus illustre des proscrits. Victor Hugo en face de Napoléon III, c’est la République en face de l’Empire. On pourrait ne rien dire de plus de ces dix-huit années, tout est dans cette antithèse.
Maurice Agulhon29
35Au matin du 2 décembre 1851, à l’annonce du coup d’État bonapartiste, le représentant Victor Hugo passe de la tribune à la barricade. Il anime le petit groupe de députés de gauche qui appelle la capitale à se soulever contre la forfaiture du Président, et à défendre la République. Il écrit les proclamations au peuple l’appelant à prendre les armes, et celle à l’armée la conjurant de ne pas noyer son honneur dans la boue et le sang des coups d’État. Il va de barricades en réunions secrètes, s’obstine à « travailler » le populaire faubourg Saint-Antoine, échappe à la police venue l’arrêter, et comme son nom figure au bas de toutes les affiches républicaines, le bruit court que sa tête est mise à prix par Bonaparte (Alexandre Dumas l’en fait prévenir). Ce Bonaparte qu’il a déjà affublé, dans son dernier discours à l’Assemblée législative le 17 juillet 1851, de cette appellation drolatique et terriblement efficace : Napoléon-le-petit. Le 10 décembre, lorsqu’il est désormais acquis que toutes les résistances, à Paris comme en province, sont matées, il doit renoncer et, sous peine d’être pris, quitter la France, déguisé en ouvrier typographe et pourvu d’un faux passeport. Son arrivée à Bruxelles précède de quelques jours le décret officiel de proscription, où le nom de l’auteur d’Hernani figure avec celui de 65 autres députés. L’exil a commencé.
36Désormais et plus que jamais, l’instrument du combat sera la plume – et, dans une moindre mesure, la parole (discours aux proscrits, réunis pour tel ou tel anniversaire révolutionnaire, ou pour la mort de l’un ou l’une d’entre eux). L’exil va renouveler, et décupler, la puissance d’écriture de Victor Hugo, cette fécondité légendaire qui s’était sensiblement dégradée durant la décennie 1840. À peine arrivé à Bruxelles, il se lance dans la rédaction de l'Histoire d’un crime, celui du coup d’État du Deux Décembre. Mais les difficultés de cette histoire immédiate lui apparaissent vite, et alors qu’il croit pouvoir l’achever en peu de temps, il doit plusieurs fois reprendre l’ensemble, en refondre le plan, devant l’afflux régulier de nouveaux témoignages. Or il faut réagir vite : le nouvel homme fort et sa clique, comme la France et le monde, doivent savoir que les exilés (et surtout « celui-là ») ne se résignent pas, et qu’au-delà des frontières ils sauront faire retentir leur voix, quand la France est réduite au silence, contraint ou accepté. Il faut aussi prouver au nouveau pouvoir et à l’opinion que la protestation est radicale, et la rupture définitive. Hugo est certes officiellement proscrit, mais Louis Bonaparte aurait tout à gagner à le faire rentrer. Des signaux clairs lui sont adressés. En mars 1852, il reçoit à Bruxelles la visite d’un émissaire officieux, qui le sonde sur l’éventualité d’un ralliement discret30. Le 4 juin, la Comédie-française reprend Marion de Lorme, et le Prince-président y assiste, assurant à qui veut l’entendre que « Victor Hugo est vraiment un bien grand talent ». Il faut donc qu’un livre paraisse, et vite, qui mettra fin à toute ambiguïté.
37Alors Hugo remet à plus tard l’achèvement de cet interminable récit historico-criminel (il ne sera publié qu’en 1877, pour contrer la menace que le président monarchiste Mac-Mahon fait peser sur la jeune Troisième République, quand l’histoire, donc, menace de se répéter), et il rédige d’un jet, du 14 juin au 12 juillet 1852, un pamphlet vengeur et sinistre, mais aussi allègre et drôle : Napoléon-le-Petit. Il s’agit de décharger sa hargne et sa rogne, de crier au crime et à la tyrannie, de relever le drapeau abattu de la République et du Progrès. Il s’agit de dénoncer l’assassin (de telle manière qu’il fasse rire autant qu’horreur), de saluer les morts et les martyrs, mais aussi de réveiller les vivants, d’appeler à la résistance en clamant l’indignation et en donnant des raisons plausibles d’espérer et d’agir. Introduit clandestinement en France et rencontrant un succès réel, le livre remplira son contrat – au moins si l’on en croit ce jugement de Michelet (qui vient de refuser de prêter le serment exigé par le maître à tous les fonctionnaires, et qui commence son long exil intérieur) : « Je le lis. J’en suis saisi jusqu’aux entrailles. Je lui en garde une reconnaissance éternelle31. »
38Il s’agit aussi de faire le bilan des erreurs passées, et de préparer l’avenir de la République. De ce point de vue, Napoléon-le-petit s’inscrit dans la série d’ouvrages dans lesquels les républicains vaincus creusent leur (auto)critique, et élaborent leur programme32.
L’analyse républicaine de l’État et du suffrage
39Dès avant le coup d’État, mais plus encore après, une frange majeure des républicains analyse l’échec de la Seconde République comme la conséquence d’un dysfonctionnement profond de l’État et de la représentation politique. À cette critique radicale de l’État, Hugo participe, notamment dans Napoléon-le-Petit. Le huitième livre du pamphlet, intitulé « Le progrès inclus dans le coup d’État », reprenant et approfondissant certains points du discours du 17 juillet 1851 sur la révision de la Constitution, propose un programme de refonte en profondeur des institutions, et affirme que la République authentiquement républicaine devra en finir avec quatre piliers de l’État qui « s’opposent à l’avenir » :
L’armée permanente,
L’administration centralisée,
Le clergé fonctionnaire,
La magistrature inamovible33.
40Hugo défend ici un programme dont il n’est ni le seul auteur, ni le seul adhérent. Bien au contraire, il représente une tradition républicaine profonde et tenace – quoiqu’aujourd’hui bien oubliée. Ce programme est issu des plus radicaux (mais aussi des moins jacobins) des « démocs-socs » de la Seconde République. Il est approfondi et précisé après le coup d’État par les exilés, dont la critique de l’État centralisé s’appuie notamment sur une critique assez radicale de la représentation politique. En particulier, leur promotion du communalisme milite d’abord pour une sorte de démocratie directe, opposée à la représentation parlementaire issue de la tradition libérale, ou tout au moins la limitant. Complété par l’ambition maintenue de voir naître dans un proche avenir la Fédération européenne, ce projet de refonte radicale des pouvoirs publics visait bien à remettre profondément en cause l’édifice centralisé de l’État-nation.
41Ajoutons que ce programme peut alors constituer un terrain d’entente, au moins potentiel, entre Républicains et Socialistes : les proudhoniens (pour longtemps encore les plus représentatifs de la sensibilité ouvrière française, surtout à Paris) peuvent plus ou moins s’y retrouver ; et la critique radicale de l’État centralisé est conduite également, en des termes souvent proches de ceux de Hugo, par Marx, notamment dans le Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte.
42Décentralisation administrative au profit d’une fédération de communes largement autonomes ; substitution du jury populaire et des juges élus à la magistrature professionnelle et inamovible ; garde nationale citoyenne au lieu de l’armée permanente ; séparation totale de l’Église et de l’État – ces principes seront repris par la plupart des républicains de gauche durant l’Empire, non seulement par les vieilles barbes quarante-huitardes, mais par des représentants de la nouvelle génération, comme Gambetta ou Ferry.
43Le triomphe bonapartiste au plébiscite du 20 décembre 1851, qui approuve le coup d’État par 7 500 000 oui contre 640 000 non (et 1 500 000 abstentions), pose aux républicains une autre question, brûlante et apparemment désespérante, celle du suffrage.
44Hugo développe cette question dans le sixième livre de Napoléon-le-Petit, intitulé « L’absolution : les 7 500 000 voix ». Ainsi donc, le criminel d’État peut désormais se targuer de la légitimité populaire. L’ancien représentant du peuple ne peut pas ne pas s’interroger sur la signification de ce vote qui approuve massivement le coup de force bonapartiste. Les circonstances, répond-il, invalident le résultat : on ne vote pas un pistolet sur la tempe, on ne consulte pas valablement un pays soumis, sur un tiers de son territoire, à l’état de siège. Soutenable pour le plébiscite de décembre 1851, quand la France est encore sous le choc du coup d’État, des tentatives d’insurrection et de leur répression, cette explication deviendra un peu courte pour les consultations ultérieures – et Hugo comme les autres républicains devront admettre, pour s’en désoler ou s’en indigner, que le régime jouit d’un réel soutien populaire34.
45Le caractère plébiscitaire du Second Empire ne fait pas revenir les républicains sur le principe du suffrage universel, mais il les contraint à en préciser les conditions. Ce que fait Hugo au début de sa démonstration :
Pour qu’un scrutin politique soit valable, il faut trois conditions absolues : premièrement, que le vote soit libre ; deuxièmement, que le vote soit éclairé ; troisièmement, que le chiffre soit sincère. Si l’une de ces trois conditions manque, le scrutin est nul. Qu’est-il si les trois à la fois font défaut35 ?
46De ces trois conditions, la plus importante est peut-être la seconde :
Voici qui est élémentaire : là où il n’y a pas de liberté de la presse, il n’y a pas de vote. La liberté de la presse est la condition sine qua non du suffrage universel. Nullité radicale de tout scrutin fait en l’absence de la liberté de la presse. La liberté de la presse entraîne pour corollaires nécessaires la liberté de réunion, la liberté d’affichage, la liberté de colportage ; toutes les libertés qu’engendre le droit, préexistant à tout, de s’éclairer avant de voter. Voter, c’est gouverner ; voter, c’est juger. Se figure-t-on un pilote aveugle au gouvernail ? Se figure-t-on un juge les oreilles bouchées et les yeux crevés ? Liberté donc, liberté de s’éclairer par tous les moyens, par l’enquête, par la presse, par la parole, par la discussion. Ceci est la garantie expresse et la condition d’être du suffrage universel36.
47Au reste, même ainsi encadré, même remplissant ces trois conditions, le suffrage universel ne peut pas tout. Hugo, dans la suite de ce livre, envisage « le côté moral de la question », pour affirmer qu’un vote, aussi massif soit-il, ne peut aller contre certains principes relevant des droits imprescriptibles, perçus, défendus et portés par la conscience :
Il faut d’abord, M. Bonaparte, que vous sachiez un peu ce que c’est que la conscience humaine.
[…] on est despote, on est tout-puissant ; quelqu’un qui est perdu dans l’obscurité, un passant, un inconnu se dresse devant vous et vous dit : Tu ne feras pas cela.
Ce quelqu’un, cette bouche qui parle dans l’ombre, qu’on ne voit pas, mais qu’on entend, ce passant, cet inconnu, cet insolent, c’est la conscience humaine.
Voilà ce que c’est que la conscience humaine. C’est quelqu’un, je le répète, qu’on ne voit pas, et qui est plus fort qu’une armée, plus nombreux que sept millions cinq cent mille voix, plus haut qu’un sénat, plus religieux qu’un archevêque, plus savant en droit que M. Troplong, plus prompt à devancer n’importe quelle justice que M. Baroche, et qui tutoie Votre Majesté.
[…] On ne met pas la conscience humaine aux voix.
Comprenez-vous maintenant ?
Voyez cette lampe, cette petite lumière obscure oubliée dans un coin, perdue dans l’ombre. Regardez-la, admirez-la. Elle est à peine visible ; elle brûle solitairement.
Faites souffler dessus sept millions cinq cent mille bouches à la fois ; vous ne l’éteindrez pas. Vous ne ferez pas même broncher la flamme. Faites souffler l’ouragan. La flamme continue de monter droite et pure vers le ciel.
Cette lampe, c’est la conscience.
Cette flamme, c’est celle qui éclaire dans la nuit de l’exil le papier sur lequel j’écris en ce moment37.
48En héritiers des Lumières, Hugo et nombre de républicains défendront désormais l’idée que si le suffrage universel est au fondement du droit positif, il ne peut aller contre les principes du droit naturel. De cette idée naîtra une hantise républicaine : mettre la République au-dessus du suffrage. Hugo l’avait déjà affirmé dans son dernier discours à la tribune de la Législative : « la République […] est pour le peuple une sorte de droit naturel comme la liberté pour l’homme38. » Parce que la République à leurs yeux n’est pas un régime politique parmi d’autres, mais la forme unique et nécessaire de l’accomplissement du Droit.
49Cette double série de raisons justifie pour Hugo la stratégie des exilés, qui, au moins dans les premières années, refusent généralement toute légitimité aux consultations électorales organisées par le pouvoir. Ainsi, quand Louis Bonaparte soumet au vote des Français sa volonté de revêtir le manteau de son oncle et de restaurer l’empire (plébiscite des 21-22 novembre 1852), la position des « Jersiais », exprimée par Victor Hugo qui rédige la proclamation, est sans ambiguïté :
Depuis dix mois que ce malfaiteur règne, le droit à l’insurrection est en permanence et domine toute la situation. […] le Français, digne du nom de citoyen, ne sait pas, ne veut pas savoir s’il y a quelque part des semblants de scrutin, […] – en présence de M. Bonaparte et de son gouvernement, le citoyen, digne de ce nom ne fait qu’une chose et n’a qu’une chose à faire : charger son fusil et attendre l’heure39.
L’exil ou l’élargissement des horizons
50On l’a vu, la tendance de Hugo à penser au-delà, voire en dépit des frontières nationales, est ancienne et profonde. Mais c’est vraiment avec l’exil que Hugo se constitue en « conscience universelle », devient l’un des principaux symboles de ce mouvement plus ou moins diffus d’internationalisme démocratique et républicain, hérité du Printemps des Peuples de 1848. Certes, depuis 1830 au moins, la notoriété européenne de Hugo ne fait pas de doute – mais elle est littéraire et non pas politique. Même sous la Seconde République, il n’est encore que peu sollicité par les démocrates étrangers, et n’a que peu d’occasion d’entrer vraiment en relations avec eux40. Avant son engagement dans la résistance armée au coup d’État de Louis Bonaparte, avant la proscription qui résulte de cet engagement, avant les magistrales œuvres de combat qui marquent au début de cet exil à la fois la renaissance de l’écrivain et la ténacité de l’opposant, on n’imagine guère, par exemple, Mazzini, l’ancien triumvir de l’éphémère république romaine, écrivant à Hugo ces lettres de 1856 dans lesquelles l’exilé italien demande à l’exilé français d’intervenir en faveur de l’unité et de la république italiennes. Si l’on s’en tient aux interventions publiques de Hugo reprises dans Actes et Paroles, et sans parler des proclamations aux hôtes successifs de l’exilé (Bruxellois, Jersiais ou Guernesiais) on relève entre 1852 et 1870 trois textes adressés ou consacrés à la Pologne (et à la Russie), cinq à l’Italie, quatre à la Grèce, deux à la Belgique, un à la Suisse, trois à l’Irlande ou à l’Angleterre, un au Portugal, deux à l’Espagne, cinq aux États-Unis d’Amérique, un à la Chine, deux au Mexique, deux à Cuba, etc. Dans la plupart des cas, ces interventions de Hugo sont sollicitées par des correspondants étrangers, et sont liées à un événement dramatique : guerre, insurrection nationale, condamnation à mort…
51Certes, penser l’avenir de l’Europe, c’est d’abord poser la question des « nationalités ». Car loin d’être stabilisée par la Réaction, l’Europe d’après 1848 est toujours en travail, mais ce qui fermente dans le continent semble alors cristalliser autour de l’idée de nation. Hugo, contre les vieux Empires (turc et russe, autrichien et britannique) défend les nationalités en lutte pour leur indépendance : Hongrie, Pologne, Irlande, plus tard Serbie… De même, il soutient les aspirations à l’unité politique qui lèvent en Allemagne et en Italie. Mais il redoute plus que jamais l’autonomisation de ces revendications nationales. Car à ses yeux la nation ne saurait constituer une fin en soi : elle n’a de valeur et de sens que si elle est le vecteur de la démocratie républicaine, et si elle s’intègre immédiatement à un ensemble plus vaste qu’elle, une fédération continentale de peuples libres.
52Ainsi, à l’occasion de son départ d’Anvers pour l’Angleterre, le 1er août 1852, et alors que la Belgique craint une invasion française, Hugo appelle les Belges à préparer la résistance contre l’envahisseur et contre le despote (« Sonnez le tocsin, battez le rappel ; faites la guerre des plaines, faites la guerre des murailles, faites la guerre des buissons […] Si le Bonaparte vient, faites cela41 ! ») Mais il affirme aussitôt que cette défense nationale se justife par le caractère tyrannique de l’envahisseur, non par l’intangibilité de la nation souveraine. Le combat des nationalités n’a de sens que contre les ennemis de la République et de la Démocratie – lesquelles sont, par essence en quelque sorte, universelles, parce que fondées sur l’universalité et l’unité du Peuple :
Citoyens français et belges, en face des tyrans, levons haut les nationalités ; en présence de la Démocratie, inclinons-les. La Démocratie, c’est la grande Patrie. République universelle, c’est Patrie universelle. Au jour venu, contre les despotes, les nationalités et les patries devront pousser le cri de guerre ; l’œuvre faite, l’unité, la sainte unité humaine déposera au front de toutes les nations le baiser de paix. Montons d’échelon en échelon, d’initiation en initiation, de douleur en douleur, de misère en misère, aux grandes formules. Que chaque degré franchi élargisse l’horizon. Il y a quelque chose qui est au-dessus de l’Allemand, du Belge, de l’Italien, de l’Anglais, du Français, c’est le citoyen ; il y a quelque chose qui est au-dessus du citoyen, c’est l’homme. La fin des nations, c’est l’unité, comme la fin des racines, c’est l’arbre, comme la fin des vents, c’est le ciel, comme la fin des fleuves, c’est la mer. Peuples ! il n’y a qu’un Peuple. Vive la République universelle42 !
53L’Europe n’est donc pas alors une question particulière, plus ou moins marginale, de la pensée politique de Victor Hugo. Car la Fédération continentale, préfiguration de la République universelle, constitue le seul cadre où pourront enfin s’articuler libéralisme, démocratie et socialisme – articulation que le xixe siècle a tant de mal à réaliser et qui constitue le fond du désir politique hugolien.
54En outre, la République dans un seul pays a peu de chance de durer, ou, si elle dure, elle court tous les risques d’oublier bientôt l’idéal républicain et de dégénérer en simple forme de gouvernement parmi d’autres. Telle est l’une des principales leçons que Hugo (avec d’autres) tire de l’échec de la Seconde République. Et c’est pourquoi, dès le début de l’exil, il imagine la « Révolution future », qu’il salue à maintes reprises, comme une révolution européenne et non pas seulement française. C’est pourquoi le représentant du peuple, proscrit par le Président félon mais non pas déchu de son mandat, imagine que lorsqu’il retrouvera son banc de député, ce sera au sein d’une Assemblée non pas nationale, mais à la fois européenne et authentiquement républicaine. Espoir qu’il confie, peu après son arrivée à Jersey, au colonel Charras, républicain, député et proscrit, ancien compagnon de l’exil bruxellois : « Ayons foi, cher ami. J’ai l’idée que nous siégerons vous et moi, coude à coude, au parlement des États-Unis d’Europe. Nous nous retrouverons l’un à côté de l’autre, et nous n’aurons plus les Thiers, les Montalembert et les Dupin en face de nous43. » Espoir qu’il exprime encore à un républicain allemand qui lui demandait une préface, en précisant cette fois les différents aspects du travail politique à venir, leur solidarité intime et leur calendrier :
Je le pense comme vous, Monsieur, l’inévitable avenir de l’homme, c’est la liberté ; l’inévitable avenir des peuples, c’est la République ; l’inévitable avenir de l’Europe, c’est la fédération. Suffrage universel, république universelle, voilà ce que fondera le dix-neuvième siècle, voilà ce que recueillera le vingtième.
Avant peu, la royauté sera abolie en Europe […]
En attendant, comme tous les hommes sérieux et convaincus, vous méditez sur la révolution future. Dans des écrits et dans des discours antérieurs à décembre 1851, j’avais comme vous indiqué aux penseurs les deux premières phases nécessaires de cette révolution : premièrement, affranchissement de l’Europe, libération des nationalités, République continentale, unité ; deuxièmement, organisation de chaque état démocratique confédéré, selon son progrès relatif et selon le droit de sa souveraineté locale, souveraineté subordonnée à l’unité continentale pour toutes les questions de civilisation générale. Voilà l’avenir, entrevu par vous comme par moi. Ceci du reste n’est que la formule politique ; ensuite viendra la grande et épineuse élaboration de la formule sociale.
[…] Le moment est arrivé où la révolution française doit perdre son nom et s’appeler la révolution européenne44.
55La « libération des nationalités » appartient donc au même temps que l’« unité » fédérale européenne. Les « nouvelles » nations devront immédiatement faire partie de l’ensemble continental intégré, et leur lutte de libération doit d’emblée s’inscrire dans cette perspective.
56Resterait à établir en quoi l’expérience de l’exil a pu précipiter ou approfondir chez Hugo cette conscience européenne. Pour comprendre les aléas et les formes de l’exil hugolien, il faut d’abord se garder de tout finalisme. Parce qu’on ne peut aujourd’hui nommer Victor Hugo sans faire surgir immédiatement l’image d’un homme seul sur son rocher et l’océan autour, cet exil-là n’était pas pour autant prévu d’avance, et n’était pas le seul possible. Il a résulté d’un bizarre mélange de hasards, d’opportunités et de choix, qu’il faut restituer autant que faire se peut si l’on veut apprécier à sa juste mesure la spécificité de l’exil hugolien.
57Il ne fait pas de doute que l’exil a considérablement élargi l’espace de référence, la géographie personnelle de Victor Hugo. D’abord dans ses dimensions les plus concrètes : ce Parisien invétéré, dont les voyages n’avaient jamais duré plus de deux ou trois mois, se vit soudain lancé dans cette existence flottante où l’on ne sait trop de quoi le lendemain sera fait, ni quelle sera son adresse le mois suivant. À lire sa correspondance des premières années de l’exil, disons jusqu’à l’achat de Hauteville House à Guernesey en 1856, ce qui frappe d’abord, c’est ce sentiment d’instabilité, et la diversité un peu arbitraire des lieux d’asile envisagés. Le premier, Bruxelles, où Hugo réside d’abord (jusqu’en août 1852) est un passage obligé, tout simplement parce que la frontière belge est la plus proche de Paris (vingt ans plus tard, pour la même raison, la Belgique verra affluer les réfugiés de la Semaine sanglante). Mais la Belgique, petit pays, n’est pas sûre : on craint alors une invasion française, en tout cas des pressions du nouveau gouvernement sur les autorités belges, pour obtenir l’extradition des exilés, ou pour les réduire au silence (fin 1852, le vote de la loi Faider aura pour but d’obtenir ce silence). Aussi l’asile bruxellois est-il presque d’emblée considéré comme provisoire. Hugo songe alors à Londres, l’autre grand pôle de l’émigration politique. Mais d’autres destinations sont également possibles, et plus ou moins sérieusement envisagées. On évoque la Suisse, elle aussi bien pourvue en exilés de toutes origines. Et Angelo Brofferio (l’un des principaux leaders de la gauche démocratique au Parlement de Turin, infatigable adversaire de Cavour) lui offre à plusieurs reprises l’hospitalité, soit à Turin, soit dans une villa au bord du lac Majeur45.
58Napoléon-le-petit achevé, Hugo opte finalement pour Jersey. Mais là encore, rien de définitif. En 1854 Hugo apprend, d’abord par les journaux, que la Junte libérale qui vient de prendre le pouvoir en Espagne l’invite à s’installer dans la péninsule, et, au milieu de « l’été parjure » de l’archipel de la Manche, pluvieux et venteux, il caresse l’idée de retrouver le soleil de « [ses] Espagnes46 ». Puis, brutalement, vient l’expulsion de Jersey. À Marine-Terrace, on parle alors d’Amérique. Guernesey est plus proche, et sera l’ultime refuge. Mais qui pourrait alors le jurer ? L’expérience récente de la famille Hugo ne l’a pas habituée à considérer l’avenir autrement qu’incertain. Si Hugo s’empresse d’acheter Hauteville House avec les droits des Contemplations, de devenir ainsi un landlord comme il l’écrit plaisamment à Noël Parfait47 (lui qui jusqu’alors avait toujours été locataire), c’est bien pour conjurer cette instabilité de l’exil, sachant que la bourgeoise Angleterre y regarde à deux fois avant d’expulser un propriétaire. C’est là néanmoins un pari un peu risqué : sa femme Adèle s’en plaint. Parce que la perspective de s’enterrer durablement sur cet îlot – et d’y condamner sa fille – ne la réjouit guère ; mais aussi parce que, non sans raison, elle s’inquiète du capital ainsi immobilisé alors que les vicissitudes de la politique peuvent du jour au lendemain contraindre les Hugo à s’en aller ailleurs, plus loin.
59L’exil, c’est donc d’abord cela : la conscience forcée que, pour être né à Besançon et avoir presque toujours vécu à Paris, on n’en pourrait pas moins être demain, ou après-demain, bruxellois, londonien, jersiais, madrilène, genevois, guernesiais, turinois – ou new-yorkais. L’Europe, le monde, sont vastes. Plus ou moins accueillants, mais vastes.
60À cette ouverture géographique des lieux où vivre, s’ajoute celle des réseaux mobilisés pour exercer une activité d’écrivain. Le premier réflexe de l’exilé Hugo consiste à se remettre à écrire, et, parallèlement, à chercher les moyens de publier. Les réseaux d’édition et de diffusion habituels étant désormais fermés (du moins dans les premiers temps : ils se rouvriront plus tard, pour les œuvres point trop explicitement engagées dans le combat contre l’Empire), il faut trouver de nouveaux partenaires éditoriaux hors des frontières françaises : à Bruxelles, à Londres, en Suisse, voire en Hollande. Même ouverture, plus grande encore, des supports de médiatisation : les journaux français sont toujours sollicités mais, soumis comme ils le sont à la censure impériale, ils doivent être complétés par des organes belges, anglais, italiens (voire grecs, espagnols, américains, etc.), qui sont souvent les seuls susceptibles d’accueillir telle ou telle déclaration. L’audience européenne de l’écrivain Victor Hugo a précédé son exil – mais dans l’ensemble, elle était subie (et parfois non sans déplaisir : quand par exemple tel éditeur belge imprimait et vendait sans négocier de contrat ni payer de droits d’auteurs tel livre paru en France). Désormais, cette audience, indispensable, est directement sollicitée et entretenue par l’exilé. Quand bien même le public privilégié resterait le public français (c’est le plus souvent le cas), l’atteindre suppose de passer par l’Europe : de gré ou de force, l’univers culturel des exilés est européen.
61Enfin, avec l’exil, le cercle des correspondants, et, dans une moindre mesure, des intimes, s’internationalise. Hugo n’oublie pas ses amis et ses relations restés en France, qui constitueront toujours l’essentiel de ses correspondants et de ses visiteurs (ces derniers assez peu nombreux). Mais s’y ajoutent désormais les relations étrangères imposées par sa nouvelle situation éditoriale et politique, ainsi que des représentants des diverses communautés d’exilés. Car, conséquence de la dimension européenne du mouvement de 1848, l’exil est alors une réalité européenne, et Hugo entre en contact, au moins en correspondance, avec nombre d’exilés étrangers. Citons entre autres les Italiens Mazzini et Garibaldi, le Hongrois Teleki (un temps familier de Marine Terrace, à Jersey), ou le Russe Herzen, à qui il s’adresse toujours comme à un compatriote de cette nouvelle communauté supranationale qu’est l’exil (ainsi dans les premiers mots de sa réponse du 25 juillet 1855 : « Cher concitoyen – car il n’y a qu’une cité, et en attendant la république universelle, l’exil est une patrie commune48 »).
62Néanmoins, la connaissance concrète et détaillée de la situation européenne, même accrue par l’expérience de l’exil, reste chez Hugo limitée. Le poète ne relève pas de cette catégorie d’exilés cosmopolites, véritables vagabonds européens, illustrée par Mazzini, Marx, Herzen, etc. Signe de cette limite : la compétence linguistique. Malgré dix-neuf années passées sur le territoire de Sa Majesté Britannique, Hugo n’apprit jamais vraiment l’anglais. L’espagnol, seule langue vivante qu’il pratique, intervient davantage dans sa création littéraire que dans sa pratique sociale ou politique. Hugo n’écrit donc qu’en français, et ce à une époque où le monopole international de cette langue est déjà bien écorné : il est donc tributaire des traductions. Même si certains éditeurs londoniens, comme Jeffs, publiaient alors des ouvrages de Français en français, mieux valait cependant traiter avec des francophones, dont les débouchés éditoriaux étaient aussi, voire principalement, français. Le choix des lieux d’asile fut également en grande partie déterminé par la langue qu’on y parlait : après Bruxelles, l’archipel de la Manche, ces îles anglo-normandes où l’on parlait encore français à l’époque – certes un français un peu étrange, mais qui ne déplaisait pas à l’auteur des Travailleurs de la mer.
63L’exil de Hugo n’est donc pas un exil cosmopolite. Mais il n’est pas non plus celui, devenu vite étouffant et déprimant, des petites communautés politiques, chapelles essentiellement regroupées par origine nationale (malgré plusieurs tentatives infructueuses d’organisation plus vastes), et livrées bientôt au démon du ressassement et de la division. Communautés regroupées en Suisse, en Belgique, à Londres surtout, et que Herzen, qui les connut de près, décrit d’une plume acerbe dans ses souvenirs :
Il fut un temps où, dans un paroxysme d’irritation et d’ironie amère, je m’apprêtais à rédiger un pamphlet à la manière de Grandville : Les réfugiés peints par eux-mêmes. Je suis content de ne pas l’avoir fait. À présent je vois les choses avec plus de sérénité, je me moque moins souvent et ne m’indigne pas autant qu’autrefois. Au surplus, l’exil se prolonge trop longtemps et pèse trop lourd sur les uns et les autres…
Je n’en affirme pas moins, même maintenant, qu’un exil dont la décision a été prise non dans un but défini mais sous la pression du parti opposé freine toute évolution et, enlevant les hommes à leurs activités réelles, les pousse vers des occupations fantomatiques. Partis de leur patrie la rage au cœur, obsédés par la pensée d’y retourner demain, ils ne vont pas de l’avant et, au contraire, reviennent constamment au passé. L’espérance empêche qu’ils se fixent, qu’ils entreprennent un travail continu. L’irritation, les querelles vaines mais acharnées, ne leur permettent point de se dégager d’un certain nombre de questions, d’idées, de réminiscences, qui aboutissent à une tradition contraignante et accablante. […]
Tous les immigrés, coupés du milieu vivant auquel ils appartenaient, ferment les yeux pour ne pas voir les amères vérités et se cantonnent de plus en plus dans un cercle clos et irréel, formé de souvenirs stagnants et d’espoirs irréalisables. Si nous y ajoutons leur éloignement de ceux qui ne sont pas des émigrés, et une tendance à la méchanceté, à la suspicion, à l’exclusivité et à la jalousie, le nouvel Israël au cou raide deviendra parfaitement compréhensible49.
64On pourrait presque reprendre terme à terme les travers des exilés fustigés ici par Herzen, et constater que Hugo a construit son exil de manière à éviter d’y sombrer. De ce point de vue, l’essentiel de son attitude relève de ce qu’on pourrait nommer une stratégie de la solitude, à tout le moins du retrait. À Bruxelles, il est nécessairement plongé dans la communauté des proscrits du Deux Décembre. L’expérience lui vaut plusieurs amitiés solides, fruit du combat, des douleurs et des espoirs partagés. Il semble cependant que la présence constante (pour ne pas dire la pression) de ses compagnons d’exil, lui ait assez vite pesé – d’abord et avant tout parce qu’elle empiétait sur son temps de travail. Or, dès Bruxelles, l’exilé Hugo montre qu’il n’a pas l’intention de faire de l’exil un lieu qui l’enlèverait à ses « activités réelles », pour reprendre l’expression de Herzen. Tout au contraire, comme on le sait, l’exil sera pour lui l’occasion de se replonger dans la plus réelle de ses activités : l’écriture – y compris et d’abord celle qui pouvait servir son idéal politique. L’insistance avec laquelle, Napoléon-le-petit achevé et sous presse, il soutient contre ses compagnons d’exil sa volonté de quitter Bruxelles, se pare de considérations tactiques certes non dénuées de pertinence et de sincérité : le pamphlet antibonapartiste va déchaîner les foudres du pouvoir français, la loi Faider va être votée, l’expulsion de son auteur est à peu près inévitable. Autant prendre les devants, ne serait-ce que pour épargner aux autres proscrits une expulsion collective. Mais la décision de quitter Bruxelles révèle aussi chez Hugo un désir impérieux de prendre du champ, et elle lui permet de décliner poliment mais fermement le rôle de chef de chapelle que lui offraient ses compagnons d’exil. Les proscrits bruxellois le déléguèrent comme représentant de leur groupe auprès des chefs londoniens du Comité révolutionnaire européen, formé par Ledru-Rollin, Mazzini et Kossuth. Reconnaissant et flatté, Hugo s’acquitte de sa mission, mais en quelque sorte a minima : n’ayant pas l’intention de s’attarder à Londres, il ne saurait compter remplir auprès des émigrés londoniens un rôle majeur50.
65Sur la petite île de Jersey où il débarque le 5 août 1852, il y a certes des proscrits, et surtout des Français. Mais, à l’exception de Pierre Leroux, ce ne sont pas des « ténors » : les chefs sont à Londres ou à Bruxelles. En outre, pour la plupart, il s’agit non pas d’exilés du Coup d’État, mais de Républicains au drapeau rouge, proscrits dès 1849 par la République conservatrice. Hugo choisit donc une communauté d’exilés qui n’est pas exactement la sienne, ni en terme de doctrine politique, ni quant à l’expérience concrète de la proscription. Les risques de friction sont réels, acceptés, mais bien moindres en revanche les tentations de part et d’autre d’instituer Victor Hugo en chef de groupe.
66Qu’on ne s’y méprenne pas, cette tendance au retrait n’est pas dédain des compagnons de lutte, moins encore volonté d’abandonner le combat. À Bruxelles, à Londres, à Jersey, Hugo ne ménage ni son engagement ni sa solidarité. D’emblée, l’écrivain affirme qu’il doit rentrer en littérature d’abord sur le mode politique : à ce moment de l’exil, toute œuvre de « poésie pure » apparaîtrait comme un « désarmement ». Les Contemplations ne seront possibles qu’après Napoléon-le-petit et Châtiments51. Il prête sa plume aux proclamations collectives, et assume pleinement les positions définies en commun, par exemple celle des exilés jersiais prônant l’abstention au plébiscite de 1852, citée plus haut. Même quand il désapprouve, ce qui n’est pas rare, le radicalisme hautain des socialistes de Jersey, il s’abstient de toute prise de distance publique, se contentant du silence. Enfin son nom apparaît toujours en bonne place dans les souscriptions destinées à venir en aide aux exilés démunis (de loin les plus nombreux) – à la mesure de ses revenus, restreints et peu assurés avant les grands succès éditoriaux qui viendront plus tard.
67Pour autant, on est en droit de penser que l’isolement auxquels les événements vont bientôt le réduire n’est pas pour lui déplaire. L’expulsion collective de 1855, qui disperse les exilés de Jersey (lesquels ne prennent pas tous le chemin de Guernesey), puis surtout l’amnistie de 1859 (qui permet aux proscrits de rentrer en France sans avoir à solliciter leur grâce, et que la grande majorité d’entre eux accepte52), font enfin à Hugo l’exil qu’il avait sans doute plus ou moins secrètement désiré depuis 1852 : celui d’un fantôme hantant un rocher, d’un homme seul et libre, attentif à la rumeur du monde, disponible pour tous les appels au secours, exil d’un absent dont la voix était sans cesse portée par l’océan et amplifiée par ses échos.
68Quel effet d’approfondissement un tel exil a-t-il pu avoir sur la conscience européenne de Victor Hugo ? Se tenant à l’écart des grands centres de la politique, exilée ou pas, progressivement détaché de toute fréquentation régulière des communautés de proscrits politiquement organisées, son information et son action tendent à se limiter aux voies médiatiques du livre, de la presse et de la lettre, ouverte ou non. Sa connaissance des diverses situations nationales reste donc limitée, il le sait et ne s’en cache pas. Quand des correspondants étrangers, de plus en plus souvent au fil des années, sollicitent de lui une intervention dans telle ou telle question nationale, il évite le plus souvent d’entrer dans les détails de la tactique53. En revanche, il met sans difficulté sa plume au service de l’enthousiasme et de l’indignation, du rappel exaltant des principes généraux et généreux, et il sait très bien formuler et répéter les grandes lignes de la stratégie d’ensemble qui lui semble légitime et nécessaire. Les détails et détours de la tactique, il ne les évoque et ne les emprunte que lorsqu’il s’agit de la France.
69Au demeurant, il n’est pas certain qu’un exil davantage mêlé aux vicissitudes de la politique pratique et de la communauté internationale des proscrits, aurait conféré une plus grande vigueur et une plus grande efficacité à son engagement européen. Les témoignages des exilés de l’après 1848, les travaux qui leur sont consacrés, tendent à montrer combien, malgré l’internationalisme proclamé, les regroupements se faisaient d’abord sur des bases nationales, bien difficiles à articuler. Même à Londres, la plupart des proscrits fréquentaient essentiellement leurs compatriotes. Et ceux qui, parmi eux, peuvent vraiment être qualifiés de cosmopolites, tel Alexandre Herzen, montrent que leur expérience les conduisit plus souvent à accentuer leur perception des différences nationales, à grand renfort de généralisations hâtives et de clichés autorisés, plutôt qu’à dégager les formes et les mots d’une solidarité européenne et supranationale. Sur son rocher, le vieillard solitaire et tonitruant s’attacha sans cesse, lui, à mettre en avant et à glorifier ce qui réunissait l’Europe de ses vœux, les principes partagés, les souffrances communes, l’avenir rêvé par tous – plutôt que les divisions héritées de l’histoire et d’une hypothétique psychologie des peuples. Et tandis que, servi et porté par les prestiges du Verbe, par une gloire littéraire renouvelée et décuplée, par sa ténacité exemplaire, Hugo forgeait les symboles de la communauté européenne qu’il croyait en gestation, tandis qu’il chantait ses martyrs et ses héros (Garibaldi, la Pologne, les anonymes des barricades écrasées…), lui-même devenait un drapeau, un symbole vivant et parlant de cette Fédération continentale à venir, de cette République universelle de l’idéal. Le nombre croissant des appels qui lui parvenaient des quatre coins du continent et du monde, prouvait que, « chose publique54 », Hugo ne l’était pas seulement pour la France. Or qui n’admettra l’efficacité, ou pour mieux dire la nécessité, de symboles communs, dans l’émergence d’une communauté nouvelle ? Et n’est-ce pas là, entre autres choses, ce qui fait cruellement défaut à l’Europe d’aujourd’hui ?
70Hugo a construit son exil en fidélité exacte à cette trinité qui fait le fond de sa conception et de sa pratique de la politique : indépendance, solidarité, conscience. Ces trois termes dessinent en quelque sorte la subjectivité politique selon Hugo, la figure même du sujet humain en tant qu’il est sujet politique. Les deux premiers de ces termes se comprennent aisément ; le troisième est plus énigmatique, plus essentiel, et davantage susceptible de contresens. « Conscience » chez Hugo ne désigne pas une vague déontologie, une « éthique de la politique » comme on dirait aujourd’hui. « Conscience » est le nom du moteur même, du désir inextinguible de politique – sa source, alors que les deux autres termes de cette trinité définissent ses modes d’application. La conscience est ce qui dit à l’homme qu’il vaut mieux et plus que l’existence qu’il se fait et qu’on lui fait, qui dit au sujet politique que le genre humain est appelé à de plus hauts et plus heureux destins que ceux ménagés et aménagés par l’état présent de la collectivité. C’est en cela que la conscience est à la source de la seule politique qui vaille, celle qui tend à réduire le hiatus, celle qui pense, sent et agit en accord avec cette voix intérieure, celle qui œuvre à ce que Hugo, parmi d’autres, appelle le Progrès.
71Et l’on comprend alors que le grand exilé ait si souvent parlé de la proscription en terme de conscience, qu’il ait compris l’exil comme une expérience intimement et intensément adéquate à la conscience. Car tant que l’Histoire n’est pas achevée, tant que l’Homme n’est pas vraiment l’Homme, tant que la politique est nécessaire, la conscience parle toujours d’ailleurs, et pour autre chose. La conscience est toujours en exil.
Notes de bas de page
1 Voir ci-dessus, ch. VI, p. 223, note 64.
2 V, I, 1.
3 Sur la « conversion républicaine » de Hugo, voir les mises au point très précises de Guy Rosa : « Comment on devient républicain, ou Hugo représentant du peuple » (Revue des Sciences humaines, n° 156, 1974), « La République universelle, paroles et actes de Victor Hugo » (dans Révolution et République, l’exception française, Kimé, 1994), et « Hugo en 1848 : de quel côté de la barricade ? », 48-14, n° 8, printemps 1999.
4 Actes et paroles, I, vol. politique, p. 235-236.
5 Ibid., p. 288. Notons que cette dernière formule, un peu modifiée en « Police partout, Justice nulle part ! », a connu une nouvelle jeunesse dans les dernières années du dernier siècle. Ceux qui criaient ce slogan ou l’écrivaient sur les murs ne se doutaient pas de leur dette à l’égard de Victor Hugo. Plus explicite, la banderole d’une association de défense des « sans-droits » proclamait à la même époque « Vous voulez les misérables secourus, nous voulons la misère supprimée » et signait « Victor Hugo ». Mais, renseignement pris, les responsables de cette association ne savaient pas au juste qui avait eu l’idée d’user de cette phrase, ni d’où elle venait au juste (de Quatrevingt-treize, III, VII, 5, parole de Gauvain à la veille de son exécution, au moment de sa profession de foi républicaine adressée à un autre républicain, le jacobin, ancien prêtre défroqué, Cimourdain [le texte dit : «… moi je veux la misère supprimée »]). Il y aurait sans doute un livre à faire sur ces « paroles » de Hugo qui émergent parfois, jusqu’à nos jours et par des voies souvent assez mystérieuses, à la surface des luttes politiques et sociales.
6 Actes et Paroles, I, vol. Politique, p. 199-200.
7 Ibid., p. 204.
8 Par exemple dans ce passage du discours du 15 janvier 1850 sur la liberté de l’enseignement (loi dite Falloux) : « Il y a un malheur dans notre temps, je dirais presque qu’il n’y a qu’un malheur, c’est une certaine tendance à tout mettre dans cette vie. (Sensation.) En donnant à l’homme pour fin et pour but la vie terrestre et matérielle, on aggrave toutes les misères par la négation qui est au bout, on ajoute à l’accablement des malheureux le poids insupportable du néant ; et de ce qui n’était que la souffrance, c’est-à-dire la loi de Dieu, on fait le désespoir, c’est-à-dire la loi de l’enfer. (Long mouvement.) De là de profondes convulsions sociales. (Oui ! oui !) / Certes je suis de ceux qui veulent, et personne n’en doute dans cette enceinte, je suis de ceux qui veulent, je ne dis pas avec sincérité, le mot est trop faible, je veux avec une inexprimable ardeur, et par tous les moyens possibles, améliorer dans cette vie le sort matériel de ceux qui souffrent ; mais la première des améliorations, c’est de leur donner l’espérance. (Bravo ! à droite) Combien s’amoindrissent nos misères finies quand il s’y mêle une espérance infinie ! (Très-bien ! très-bien !) » (Actes et paroles, I, vol. politique, p. 219-220.)
9 Ibid., p. 204-205.
10 Ibid., p. 202.
11 Ibid., p. 203.
12 Ibid., p. 273 et p. 296-297.
13 Falloux, le principal initiateur et négociateur de ces lois (même si elles furent votées après son éviction du ministère) résume ainsi dans ses Mémoires son credo politique : « Dieu dans l’éducation. Le pape à la tête de l’Église. L’Église à la tête de la civilisation. Voilà le programme que je m’étais tracé dans ma courte carrière politique » (cité par Inès Murat, dans La IIe République, p. 421). Selon Armand de Melun, Thiers, durant les négociations préalables au sein du « parti de l’ordre », finit par accepter le principe de la surveillance de l’Église sur l’enseignement secondaire, en disant : « Soit, je ne m’oppose plus à l’article, seulement je demande que, le jour où il sera discuté devant l’assemblée, vous me laissiez me cacher sous une table ; car comment pourrai-je demander aujourd’hui la reconnaissance du droit des Jésuites à enseigner dans notre pays, après avoir demandé et obtenu, il y a si peu d’années, leur exclusion de la France ? » (voir Inès Murat, op. cit., p. 423).
14 Actes et Paroles – I, vol. Politique, p. 217-219.
15 Voir ici même, ch. V.
16 Voir ici même, ch. V.
17 Actes et Paroles, I, vol. Politique, p. 241.
18 Discours du 24 mai 1850. « L’électorat visé, écrit Maurice Agulhon, était l’électorat pauvre, puisqu’on mettait pour condition à l’inscription sur les listes l’inscription au rôle de la taxe personnelle (ce qui excluait l’indigent), l’absence de toute condamnation même infime (ce qui excluait toutes les petites gens en conflit perpétuel avec le garde champêtre et beaucoup de militants tracassés par le pouvoir) et trois ans de domicile continu (ce qui excluait le déraciné, le migrant, le chômeur quêtant l’emploi de ville en ville). […] La loi du 31 mai, une fois appliquée, réduisait le corps électoral de près d’un tiers, le nombre d’électeurs passant, en gros, de 9 600 000 à 6 800 000 » (1848 ou l’apprentissage de la république, p. 150-151).
19 Thiers en était sans doute conscient : son discours répondait à celui de Hugo en stigmatisant, autant que la démocratie absolue, le romantisme, « cette littérature naïve et déclamatoire née de la corruption des esprits et qui était très digne de devenir le langage de la démagogie » (cité par Inès Murat, op. cit., p. 428).
20 Actes et Paroles, I, vol. Politique, p. 247.
21 Ibid., p. 277.
22 L’article V du Préambule de la Constitution stipulait que la République française « respecte les nationalités étrangères comme elle entend faire respecter la sienne ; n’entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n’emploie jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ». L’intervention contre la République romaine pouvait à juste titre être considérée comme une entorse grave à l’esprit, sinon à la lettre, de la Constitution républicaine. D’autant que la question italienne (comme la question polonaise, qui avait fourni l’occasion, sinon le prétexte, de la manifestation d’extrême gauche du 15 mai 1848), était alors particulièrement populaire parmi les républicains. L’écrasement, par des troupes françaises, de cette jeune « république-sœur », produisit des réactions immédiates à Paris comme en Province. Ledru-Rollin y vit l’occasion de mobiliser la gauche, et de montrer sa force à la Législative nouvellement élue, dominée par la droite. Cette articulation de questions de droit constitutionnel, de politique étrangère et de rapports de forces sociopolitiques « internes », devenue aujourd’hui très exotique, était alors assez habituelle, et d’autant plus aisée qu’en 1849 le parti de l’ordre, sorti victorieux des élections (mais moins brillamment qu’il ne l’espérait) apparaissait dominé par les catholiques (le parti clérical), partisans inconditionnels de la puissance temporelle absolue du pape.
23 Actes et paroles, I, vol. politique, p. 212.
24 Ibid., p. 221.
25 Ibid., note 69, p. 1101.
26 Ibid., p. 274-275.
27 Ibid., note 91, p. 1103.
28 D’ailleurs inventé avant 1848, pour Les Misères, et, dans la réécriture de l’exil, à la fois dépassé et initié par la « lumière inconnue » (et supérieure) qui émane du Conventionnel agonisant (voir Les Misérables, I, I, 10).
29 « Hugo dans le débat politique et social », dans La Gloire de Victor Hugo (Pierre Georgel dir.), p. 206.
30 « Ces jours passés, j’ai eu la visite d’un élyséen, ancien ami à moi, ami actuel de Louis Bonaparte. Il passait par Bruxelles, m’a-t-il dit, et n’a pas voulu passer sans me serrer la main. Il m’a dit : Louis Bonaparte est désolé de la fatalité qui est entre vous. / Ce n’est pas de la fatalité, lui ai-je dit, c’est son crime. Et son crime est un abîme – Il a repris : Il sait toute la reconnaissance que sa famille vous doit. Il a hésité cinq jours avant de mettre votre nom sur la liste de proscription. – Ah ! Ai-je fait en éclatant de rire, il aurait mieux aimé me mettre sur la liste du Sénat, n’est-ce pas ? Eh bien, dites-lui ceci, que c’est la liste du Sénat qui est la liste de proscription. Être exilé de France, ce n’est rien. Être exilé de l’honneur, c’est la vraie misère. / Le pauvre homme va être sénateur un de ces jours. Il s’en est allé comme il a pu (lettre à Adèle Hugo du 26 mars 1852, Le Club Français du Livre, t. VIII, p. 990).
31 Lettre à Alfred Dumesnil, du 16 septembre 1852.
32 Voir les travaux de Sylvie Aprile, en particulier « « Qu’il est dur à monter et à descendre l’escalier d’autrui » – L’exil des proscrits français sous le Second Empire », Romantisme, n° 110, automne 2000, et « Écrits de proscrits au temps de l’exil de Hugo », communication au « Groupe Hugo » du 18 mai 2002.
33 VIII, 2, vol. Histoire, p. 125.
34 Soutien peut-être moins unanime cependant que ne le laissent entendre des chiffres triomphaux. D’abord parce que durant les « belles années » du régime l’abstention restera élevée (plus de 30 %), et qu’elle ne reculera sensiblement qu’avec le réveil de l’opposition républicaine ; ensuite parce que les grandes villes libérales et ouvrières seront toujours la lanterne rouge des votes gouvernementaux. À la fin de la période, l’éventualité se dessine d’une mise en minorité de l’empereur dans les urnes, ce qui provoquerait une crise radicale du régime. L’issue désastreuse de la guerre franco-prussienne en tint lieu.
35 Napoléon-le-petit, VI, 3, vol. Histoire, p. 98.
36 Ibid., p. 100.
37 VI, 6, p. 105 et 107 et VI, 8, p. 110.
38 « La révision de la constitution (17 juillet 1851) », Actes et Paroles, I, vol. Politique, p. 274-275.
39 « Déclaration à propos de l’Empire », 31 octobre 1852, Actes et Paroles, II, vol. Politique, p. 427.
40 L’une de ces occasions est le Congrès de la paix qui se tint à Paris en août 1849, et que Hugo présida. Lancée quelques années plus tôt par l’Anglais Cobden, partisan du libre-échange et du rapprochement entre les peuples, cette initiative privée réunit pour des délibérations informelles mais très médiatisées des illustrations intellectuelles de plusieurs pays d’Europe et d’Amérique. Ces Congrès, dont les résolutions demeurant évidemment platoniques, constituaient cependant un moyen original (et encore bien peu étudié) de faire émerger une opinion publique internationale, de tendance libérale et démocratique.
41 « En quittant la Belgique », Actes et Paroles, II, vol. Politique, p. 421-422
42 Ibid.
43 Lettre du 29 août 1852, Le Club Français du Livre, t. VIII, p. 1030.
44 Lettre à Gloss du 2 avril 1853, Le Club Français du Livre, t. VIII, p. 1053.
45 Voir notamment la réponse de Hugo datée du 2 février 1852, Le Club Français du Livre, t. VIII, p. 976.
46 Voir notamment la lettre à Louise Colet du 1er juin 1854 : « Où le vent va-t-il m’emporter ? Les journaux espagnols annoncent que le gouvernement d’Espagne m’offre l’hospitalité. Je suis bien tenté de ce beau soleil, moi qui suis citoyen du ciel bleu » (Le Club Français du Livre, tome IX, p. 1078).
47 Lettre du 24 mai 1856, Le Club Français du Livre, t. X, p. 1253.
48 Le Club Français du Livre, tome IX, p. 1096. Le révolutionnaire russe Alexandre Herzen, alors réfugié à Londres, lançait sa revue L’Etoile polaire et sollicitait le soutien et la participation de Hugo ; cette lettre sera reproduite dans le premier numéro de la revue.
49 Passé et méditation, tome II, ch. XXXVII, p. 335-336.
50 « Madier de Montjau et Charras m’ont prié, au nom de tous nos co-proscrits de Belgique, de voir ici Mazzini, Ledru-Rollin, Kossuth, pour régler avec eux les intérêts de la démocratie européenne. Ils m’ont dit : parlez comme notre chef. Ceci me retiendra à Londres jusqu’à mercredi » (lettre à Adèle Hugo du 2 août 1852 ; Club Français du Livre, tome VIII, p. 1026).
51 Voir notamment sa lettre à Hetzel, daté du 7 septembre 1852 (Le Club Français du Livre, t. VIII, p. 1032).
52 Hugo, lui, la refuse publiquement, non sans hauteur (voir « L’Amnistie » dans Actes et Paroles, II, vol. « Politique », p. 511).
53 Ainsi dans sa lettre à l’allemand Gloss, d’avril 1853, déjà citée : « Vous connaissez naturellement mieux que moi, monsieur, l’état actuel de la question intérieure allemande ; je ne puis donc qu’approuver de confiance la formation du comité allemand tel que vous l’entendez » (Le Club Français du Livre, t. VIII, p. 1052-1053).
54 Commentant sa décision de ne réclamer aucun droit d’auteur pour l’exploitation de ses œuvres à des fins patriotiques durant toute la durée de la guerre, Hugo écrivait dans ses carnets le 27 novembre 1870 : « Ce que j’écris n’est pas à moi. Je suis une chose publique » (Carnets de la guerre et de la commune, vol. Voyages, p. 1068).
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