Sur les préfaces des premières éditions commentées de Racine, de Luneau de Boisjermain (1768) à Étienne Aignan (1824)
p. 251-267
Texte intégral
1C’est, une fois de plus, la faute à Voltaire : quand Luneau de Boisjermain (1732-1802) publie, en 1768, sous le titre stratégique d’Œuvres de Jean Racine avec des commentaires1, avec la collaboration de Blin de Sainmore (1733-1807) et du mystérieux ex-jésuite Roger (mort en 18102), la première véritable édition savante de Racine, luxueux ensemble doré sur tranches en 7 volumes in-8° diffusé — c’est alors une nouveauté — en reliure d’éditeur, c’est d’abord pour faire pendant, avec une évidente intention polémique — il y a même un portrait de Corneille (par Gaucher) dans le 1er volume, à côté de celui de Racine, et les gravures somptueuses sont dues au crayon de Gravelot —, au Théâtre de P. Corneille avec des commentaires, donné par le patriarche de Ferney en 1764. Il faut dire que Voltaire, au moins à un examen superficiel, pouvait sembler s’être acharné, à grands coups de remarques grammaticales et stylistiques myopes, contre le père de la tragédie française et avoir, de manière vraiment excessive, prôné Jean contre Pierre, que l’entreprenant éditeur entend, en partie, venger en montrant, dans ses propres commentaires, aussi bien les beautés que les faiblesses de l’auteur d’Andromaque et d’Athalie. Décrié violemment et taxé d’incompétence par tout le camp philosophique, le téméraire Luneau, engagé du reste dans un fameux procès contre les Libraires associés, mené avec l’aide de l’avocat Linguet, au nom des souscripteurs de l’Encyclopédie, qu’il perdit en 1771, n’en occupa pas moins seul très longuement le créneau éditorial, alors tout neuf, de l’édition commentée de Racine : son travail fut même réimprimé, gravures comprises mais avec moins de faste, à l’époque thermidorienne, en 17963.
2C’est peut-être, d’ailleurs, cette réimpression qui engagea La Harpe (17391803), dans les marges de son cours du Lycée et en s’appuyant sur ses travaux antérieurs (il avait rédigé, dès 1774, un Éloge de Racine), à entreprendre à son tour un commentaire de Racine, largement consacré à déprimer le précédent, que sa mort, en 1803, ne lui permit pas de mettre au jour et qui fut publié, en 1807, sous de titre de Théâtre complet de Jean Racine avec le commentaire de M. de La Harpe4, en 5 volumes in-8°, ornés d’un portrait et de gravures de Moreau le jeune, par Germain Garnier (1754-1821). Cette édition, dont il doit exister un avatar au petit format5, connut un bon succès et fut réimprimée, dans une version « revue et corrigée », en 18176 : si La Harpe, au moment où il y travaille, ne peut plus passer pour le « nourrisson de Voltaire » qu’il était dans les années 1760-1770, il n’en demeure pas moins, dans le rôle d’argus des Lettres qu’il a conquis de haute lutte et de « professeur unique » (Le Brun, dans une épigramme7) que lui a valu sa chaire du Lycée, le propagateur des doctrines littéraires de son premier mentor et le tenant d’une histoire du genre tragique — fort contestable, car à bien des égards Voltaire est plutôt un singe de Corneille —, qui n’hésite pas à se demander si l’auteur de Mérope, considéré comme l’unique successeur de Racine, n’est pas même supérieur à son modèle prétendu. On comprend alors assez aisément pourquoi le critique dramatique du Journal de l’Empire, l’anti-voltairien viscéral8 Geoffroy (1743-1814), s’empressa de publier, dès 1808, pour contrer feu La Harpe et, accessoirement, réhabiliter parfois feu Luneau de Boisjermain, son impressionnante série d’Œuvres de Jean Racine avec des commentaires9, en 7 épais volumes in-8°, avec portraits10 et gravures (de Stéphane-Barthélemy Garnier), constituant un ensemble homogène avec les Œuvres de Louis Racine (en 6 volumes, quant à elles), sorties des mêmes presses. L’érudition, ici, est plus ostensible encore que dans les éditions précédentes, notamment dans le domaine des sources grecques, Geoffroy offrant par exemple au lecteur curieux des traductions nouvelles de l’Iphigénie ou de l’Hippolyte d’Euripide.
3La publication, en 1820, par Louis Aimé-Martin (1782-1847), en 6 volumes in-8°, des Œuvres complètes de J. Racine avec les notes de tous les commentateurs11, marque un changement d’ère : l’éditeur de cette série, fréquemment réimprimée (avec de menues améliorations) dans des géométries très variables (Œuvres complètes, Théâtre seul, avec ou sans les notes, Théâtre choisi), contrairement à tous ses prédécesseurs qui imprimaient délibérément leur marque personnelle à leur travail, choisit de s’effacer au maximum en évitant les polémiques, reproduisant l’annotation des éditions antérieures et ne rajoutant la sienne propre, la plupart du temps, que pour des compléments érudits d’allure objective. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’à sa date ce travail — qui dominera seul le marché éditorial jusqu’à l’édition Mesnard de la collection des Grands Écrivains de la France (1865, réimpressions jusqu’en 1932), qui n’a pas encore été vraiment remplacée —, luxueusement illustré (différents illustrateurs) et orné d’un frontispice de Proudhon représentant Melpomène couronnant Racine, n’était pas absolument sans lien circonstanciel avec le contexte littéraire général, qui voyait le camp des Classiques commencer à s’affronter avec celui des novateurs. Cela donne une valeur toute particulière à l’édition, généralement ignorée même des spécialistes très pointus, donnée l’année de sa mort, en 1824, en 5 volumes in-8° illustrés (portrait, gravures de Moreau le jeune12), par Etienne Aignan (1773-1824), sous le titre interminable d’Œuvres complètes de J. Racine avec les notes de tous les commentateurs auxquelles ont été jointes de nouvelles notes et des études sur Racine13 : le commentateur, dont l’appartenance à l’Académie française est inscrite sur la page de titre, joue à la fois le jeu de la compilation exhaustive et objective, à la manière « moderne » de Louis Aimé-Martin, et celui de l’édition personnalisée, à la manière « ancienne » de La Harpe ou de Geoffroy et ses parti-pris esthétiques, majoritairement « classiques », sont cependant assez conciliants, le plaçant plutôt du côté de Népomucène Lemercier ou de Casimir Delavigne, auteurs souvent ouverts à la nouveauté, que de celui des conservateurs rigides.
4Toutes ces séries, que je ne puis malheureusement pas présenter de manière plus approfondie14, entretiennent entre elles des liens qui ne sont pas que de surface, notamment les trois premières, malgré le long espace de temps entre 1768 et 1807-1808 : La Harpe pourfend Luneau, qui égratignait Voltaire, à partir de matériaux qui remontent parfois aux années 1770, ce qui le rend à peu près contemporain de sa cible, et Geoffroy, qui ferraille contre La Harpe, s’acharne en réalité souvent contre le disciple préféré de Voltaire qu’était encore l’auteur du Lycée à l’époque où lui-même était un des principaux successeurs de l’ennemi attitré du philosophe (Fréron) dans les pages de l’Année littéraire. Le commentaire de Racine a donc bien d’autres enjeux que Racine lui-même, bien d’autres objectifs que de prôner ou de contester la supériorité de l’auteur d’Athalie sur Corneille : il est à situer sur un fond de polémiques personnelles, de débats esthétiques complexes à une période essentielle de l’histoire du genre tragique (les années 1760-178015), qui se prolongent bien au-delà de la Révolution et sont loin d’être éteints quand commencent à s’y greffer les manœuvres jamais sérieusement étudiées engagées par la politique culturelle et scolaire de Napoléon en vue de la constitution du corpus de la littérature classique (1805-1810), puis les préparatifs — un peu moins mal connus — des nouvelles batailles (autour de 1820).
5Cela posé, qui impose la plus grande prudence16, je vous propose de comparer rapidement les déclarations d’intention des cinq commentateurs dans leurs différents textes préfaciels. Pour faire aussi clair et aussi simple que possible, j’interrogerai successivement les stratégies respectives des éditeurs, les images de Racine qu’ils entendent valoriser, les « positionnements » historiques et esthétiques de leur discours.
Stratégies
6L’édition de Luneau de Boisjermain est dotée d’une Préface générale (p. I à XX) qui entend d’une part délimiter la part personnelle du signataire dans le travail — fruit d’une collaboration, on l’a dit — qu’il publie17, d’autre part — ce qui nous intéresse ici — définir la nature et l’étendue de son commentaire. Il avertit donc d’emblée que chaque pièce de Racine sera précédée d’une « préface historique » sur sa genèse et sur les circonstances de sa création et d’un « examen » de synthèse destiné à réunir « sous un seul point de vue, les observations différentes dont elle [a] été l’objet » (p. II) sous le rapport du plan, des caractères et de « l’ensemble ». L’édition, qui se veut une synthèse des approches antérieures, s’annonce donc comme orientée, notamment, vers l’analyse poétique (au sens de la poétique descriptive), conformément à un modèle pédagogique et critique largement pratiqué à l’époque, notamment dans le Cours de belles-lettres de l’abbé Batteux : elle s’exhibe comme un travail de professeur. La Préface générale avertit aussi de sa propre démultiplication : elle sera accompagné d’un « discours préliminaire », d’une « vie de Racine » et d’un « examen général » de son théâtre, qui bien entendu donnera lieu à un grand nombre de « notes ». Elle établit encore un protocole éditorial, qui expose une conception déjà scientifique de la fidélité au texte de Racine : c’est l’édition de 1687 qui servira de base, mais accompagnée des variantes « recueillies dans les éditions faites du temps de ce célèbre auteur » (p. VII). Les préfaces du dramaturge seront reproduites dans les différents états successifs qu’elles ont connus. La démarche poéticienne et didactique s’accompagne donc d’un état d’esprit philologique déjà très moderne, que l’on peut du reste considérer comme une critique indirecte de l’attitude de Voltaire, dont la désinvolture à l’égard des corrections successives du texte de Corneille fut souvent relevée. Voltaire, au demeurant, est brièvement évoqué par allusion (« le seul poète tragique » qui pourrait « être comparé à Racine »), mais dans un contexte dépréciatif, alors même que Luneau vient d’annoncer qu’il pense à réaliser une édition de Crébillon le père, « le plus tragique de nos poètes » (p. XV), ce qui en 1768 est évidemment l’indication d’une hiérarchie peu favorable à l’éditeur du Théâtre de Corneille.
7Chez La Harpe, la Préface du nouvel éditeur (p. 1 à 9) se place d’abord sous le signe de la « correction typographique » (p. 1) : le ton est déjà violemment polémique et s’attaque à ceux qui osent présenter à un lecteur « qui lit pour apprendre » un texte « altéré et corrompu », ce qui témoigne des « progrès de l’ignorance et de la barbarie ». Cette formule amène immédiatement un développement sur la dégénérescence du langage et sur la « confusion » qui s’est répandue « sur les arts d’imagination et sur les ouvrages de l’esprit » (p. 5), notamment à cause de la Révolution française18. Éditer Racine avec un « commentaire raisonné » et une fidélité scrupuleuse est donc une entreprise de salubrité publique : c’est faire barrage à la décadence de la littérature et du langage ; c’est rappeler « aux jeunes auteurs qui ont de véritables disposition pour écrire » que le respect des « règles éternelles » et « l’application des principes de l’art » (p. 6) sont la seule voie d’une saine pratique de la littérature. La posture magistrale revendiquée est donc celle d’un restaurateur réactionnaire, qui fait de son commentaire un « préservatif » — pour reprendre un mot du lexique de la polémique littéraire des Lumières — contre la licence outrancière que les belles-lettres connaissent pour cause de perte des repères politiques : l’ex-thuriféraire de Voltaire est devenu, au temps du Directoire et du Consulat, le plus fanatique des adversaires de tous les libéralismes. Et la Préface du nouvel éditeur n’hésite même pas, avec une perfidie réjouissante, à faire de l’édition de Luneau l’avant-courrière de cette décadence contre laquelle il est urgent de vacciner les lecteurs des temps nouveaux : elle n’a eu de succès que pour de mauvaises raisons (« le choix du papier et des caractères », p. 7) ; le commentaire est « extrêmement défectueux sous tous les rapports », Racine étant constamment « outragé par les reproches les plus injustes » (p. 8). Bref, La Harpe veut « venger l’honneur de la littérature française » et effacer la tâche immonde causée par « le monstrueux alliage des chefs-d’œuvre du génie et des inepties de l’ignorance19 » (p. 8).
8Réactionnaire, Geoffroy ne l’est pas moins que La Harpe, mais sans l’agressivité de l’auteur du Lycée. Sa Préface générale (p. I à VIII) est précédée d’un Avis de l’éditeur (p. 1-4), qui annonce la géométrie de l’édition et revendique sa spécificité : il s’agit de « faire mieux connaître la personne et les écrits de Racine » (p. 1) — notamment en donnant une « vie de Racine plus complète et plus exacte » —, de le situer dans l’histoire du genre tragique en montrant ce qu’il doit aux Anciens et ce que différents modernes (dont l’Italien Alfieri20) lui ont emprunté et en fournissant un « discours préliminaire sur l’état de la tragédie en France » (p. 2) à l’époque des débuts du dramaturge, de donner, pour chaque pièce une « préface particulière » et un « jugement à la fin », de donner des renseignements sur les acteurs qui ont créé les pièces de Racine et de présenter les critiques dont elles ont été l’objet, d’annoter les vers pour en relever, d’abord, les beautés et, rarement, les « quelques fautes » qui s’y sont glissés, de fournir le texte le plus correct possible à partir de « toutes les anciennes éditions » et d’un relevé exhaustif des « variantes21 » (p. 2). Les Œuvres diverses et la Correspondance feront l’objet d’un effort tout particulier22. Dans sa Préface générale, après avoir égratigné Voltaire23 et polémiqué contre Luneau de Boisjermain, « un spéculateur en librairie plutôt qu’un littérateur24 », Geoffroy se décerne à lui-même le titre de premier commentateur de Racine et dessine les contours de son entreprise : elle sera sévèrement critique, ce qui est la seule manière d’assurer la validité du panégyrique d’un poète chez lequel les faiblesses sont rarissimes. Elle sera une critique des beautés, une critique de plaisir, destinée à augmenter « les jouissances des amateurs de spectacles en étendant leurs lumières » (p. V). Elle sera, comme chez La Harpe, un « préservatif » contre le mauvais goût répandu par « la nouvelle école », à destination surtout des « jeunes élèves », c’est-à-dire des auteurs débutants. Elle sera, enfin, un vrai cours de poétique, palliant ainsi le défaut du Lycée de La Harpe qui néglige d’indiquer « les règles fixes et invariables dont aucun auteur français ne doit s’écarter » (p. VII) et dont Racine fournit tous les exemples possibles. Bref, l’édition commentée d’un glorieux poète fournira à son auteur, jusqu’ici effacé, la gloire de survivre dans l’ombre de son idole, « le plus harmonieux, le plus sage et le plus touchant des tragiques modernes » (p. VIII).
9Dans l’édition de Louis Aimé-Martin, la case de la préface est occupée par un long Avis de l’éditeur (p. I-XV). Le commentateur y souligne « la nécessité d’un guide qui nous révèle les secrets » (p. I) de Racine et endosse bien évidemment lui-même ce rôle, lisant, « un crayon à la main », non seulement les ouvrages du poète, mais aussi « ses commentateurs » et les « auteurs anciens » (p. II) dans lesquels il a puisé. Le résultat voudrait être « le premier essai d’un Variorum français », que le hardi pionnier imagine à la tête d’une longue série qui embrasserait « tous les classiques français » (p. XV). On se dirige donc vers une compilation des remarques des huit critiques, selon le compte du nouvel éditeur25, « qui ont embrassé la presque totalité » (p. II) du legs racinien et qui, estime très diplomatiquement Aimé-Martin, se complètent admirablement : même Luneau de Boisjermain n’est pas « sans mérite » et le seul reproche qu’on puisse faire à La Harpe, auteur du « meilleur commentaire », est d’avoir perdu du temps à tenter de le déprécier, comme du reste Geoffroy s’est égaré en s’acharnant à « contredire » (p. IV) son prédécesseur immédiat, d’où la nécessité, pour un éditeur objectif, d’« adopter les critiques » et de « repousser les injures » (p. X). Pour le reste, Aimé-Martin déclare avoir limité autant que possible ses propres remarques, fait confiance à Geoffroy pour les traductions du Grec et revu systématiquement lui-même tous celles du Latin, en en accroissant significativement le nombre. Il indique aussi ses principes d’établissement du texte : il a suivi son prédécesseur Geoffroy, mais après avoir collationné sa version sur les éditions originales, sur celles de 1676, 1687, 1697 et 1743.
10L’Avis de l’éditeur (p. I-IV), en tête de l’édition d’Aignan, est d’une extrême concision. Le commentateur nouveau — ou son éditeur Dupont — y rend un hommage appuyé à tous ses prédécesseurs, notamment le « célèbre critique » (p. I) La Harpe et le scrupuleux Aimé-Martin, mais estime qu’il y a encore place pour un nouveau « monument » à la gloire de Racine. Pour l’édifier, il a choisi d’améliorer encore l’établissement du texte (une longue liste est fournie), de reproduire — en les discutant si nécessaire — les notes des éditeurs précédents, de choisir chez Marmontel et Népomucène Lemercier26 de nouvelles annotations, de rédiger une série d’Études « à la suite de chaque pièce » (p. II), de soigner « l’exécution typographique » (p. IV). Le volume s’ouvre immédiatement ensuite sur les Mémoires de Louis Racine et il faut aller chercher la véritable préface d’Aignan à leur suite, avant le texte de La Thébaïde, sous l’aspect d’une Étude première (p. 145 à 151), consacrée à l’« influence du génie de Racine sur la tragédie française ».
Images de Racine
11C’est bien, en effet, l’image de Racine qui est le premier enjeu de chacune des entreprises éditoriales considérées. Luneau de Boisjermain, de manière originale, souhaite la débarrasser de la légende biographique édifiée par Louis, le fils trop pieux : « Un fils, remarque-t-il, n’est point fait pour écrire la vie de son père ; il n’a ni la liberté de dire ce qu’il pense, ni la vue assez nette pour en bien juger » (p. XVIII-XIX). Il donnera donc une « vie de Racine » limitée aux faits avérés et centrée plutôt sur « les sociétés » (p. XVIII) du poète que sur son cercle familial : un homme de lettres, estime judicieusement le commentateur, se définit surtout par ses relations avec les milieux mondains et littéraires. Autre audace du discret Luneau, il se refuse à une critique uniquement louangeuse ou apologétique, souhaitant par exemple faire entendre aussi bien les remarques grammaticales sévères de l’abbé d’Olivet que leur réfutation par l’abbé Desfontaines (p. VIII) : nul doute, ici, que ce petit pas en direction de la construction d’une image nuancée de l’écrivain Racine, érigé par Voltaire27 en modèle de perfection face à un Corneille encore barbare et mal dégrossi, n’ait un sens prudemment polémique. Mais ce refus de l’hagiographie, même s’il n’est pas aussi tranché qu’il pourrait l’être (Luneau, par exemple, ne remet pas du tout en cause la légende d’un Racine totalement empli des chefs-d’œuvre grecs antiques, dès ses débuts, et écrit que le poète « savait Homère, Eschyle, Euripide et Sophocle par cœur » au point que « leurs idées sublimes se fondaient comme naturellement avec les siennes28 »), le conduit à adopter une attitude prudente envers les Remarques sur les tragédies de Racine du fils du dramaturge (p. IX), dont le caractère de plaidoyerpro familia et les rapprochements érudits souvent spécieux méritent au moins la suspicion.
12Est-ce sa volonté systématique de polémiquer contre « l’ancien commentateur » qui conduit La Harpe à adopter à son tour une position originale à propos de l’image d’un Racine totalement inspiré par la Grèce antique ? C’est possible. Sans prononcer le mot, l’auteur du Lycée suggère que l’innutrition, plutôt que l’imitation, caractérise le rapport du poète à ses modèles et à ses sources : « c’est la manière qu’il a imitée, bien plus que les ouvrages ; et c’est ainsi qu’imite le génie », de sorte qu’il se trouve « peu d’imitations textuelles des Anciens » (p. 7) dans les tragédies et que beaucoup de celles qu’on attribue à Racine ne sont que « des rapprochements assez éloignés, quelquefois même forcés » (p. 8). Cette posture relativement critique n’empêche pas La Harpe de se déclarer le « panégyriste » (p. 8) du « grand homme » (p. 6, p. 8) dont il va commenter l’œuvre en y remarquant « l’application des principes de l’art » et « l’usage heureux » (p. 6) de la langue. On pourrait être quelque peu surpris de la réserve, dans un lieu pourtant propice aux hyperboles laudatives, du grand critique… Mais c’est qu’il reproduira, après avoir donné, comme Luneau, une « vie de Racine » de son cru, l’Éloge qu’il avait rédigé en 1772 en réponse à un concours de l’Académie de Marseille (p. 99 à 146), en le privant d’ailleurs des notes abondantes qui faisaient son principal intérêt, mais qui sont passées dans le Lycée et, justement, dans les pieds de page du Théâtre complet de Racine avec le commentaire.
13Geoffroy, quant à lui, en posture de « panégyriste » (p. II), oriente sans restrictions le discours vers l’hagiographie. J’ai déjà cité plus haut la conclusion en fanfare de sa Préface générale : pour lui, Racine est « le plus parfait de nos poètes tragiques » (p. I), le plus incontestable des grands écrivains, « le plus pur, le plus élégant » (p. IV) aux yeux des « connaisseurs », une réserve de « trésors » cachés « sous le voile du naturel et de la simplicité » (p. II), une sorte de réincarnation d’Orphée, qui a « perfectionné la langue et l’harmonie poétique » et même « ajouté quelques cordes à la lyre française » (p. IV-V), ce qui lui mérite l’immortalité. Tout le texte préfaciel est gagné par un enthousiasme vraiment lyrique de professeur s’échauffant tout seul dans sa chaire.
14Le couplet de louange n’est pas beaucoup plus sobre chez Aimé-Martin, qui considère — la remarque est loin d’être sotte — que la grandeur de Racine provient de sa proximité ou de sa facilité à être compris : il joint, dans une poésie « riche » et « hardie », la simplicité et le « sublime », de sorte qu’on l’admire sans être écrasé par lui. Et de vanter encore « la conception de ses plans », « le développement de ses caractères » (p. I), qualités qui font des œuvres du poète une lecture à laquelle on revient toujours, qu’on n’épuise jamais et qui justifie l’« enthousiasme » de Voltaire qui « voulait qu’on écrivît au bas de chaque page : Beau ! pathétique ! harmonieux ! sublime ! » (p. XI). C’est donc comme un hommage admiratif au « premier poète des temps modernes » que se définit le travail de l’éditeur, qui se voit en scholiaste respectueux de son auteur à la manière dont Virgile eut, autrefois, les siens.
15Aignan ne pouvait guère surenchérir sur Geoffroy et Aimé-Martin. Il suggère cependant que « la gloire du grand législateur et du modèle admirable » de la scène tragique est due, essentiellement, à « l’avide empressement du public » (p. I) : ce sont ses lecteurs, « des hommes de goût » (p. II), qui justifient que des éditeurs s’emploient avec constance à dresser au dramaturge de nouveaux « monuments » (p. I).
Positionnements esthétiques
16C’est que, pour Aignan, contemporain des premières escarmouches romantiques, l’enjeu esthétique d’actualité vient se mêler à la question de l’admiration pour le poète dramatique, plus visiblement que chez ses quatre prédécesseurs, chez lesquels il n’était pas absent, mais plus difficile, parfois, à déchiffrer. Luneau de Boisjermain, qui écrit au couchant de l’ère de la rhétorique, avant que le Lycée de La Harpe n’ouvre celle de la littérature, c’est-à-dire avant que le regard analytique ne le cède au regard de l’admiration, fait preuve d’un très réel esprit critique, dont j’ai déjà donné quelques exemples, mais il est encore très grammairien et s’attache souvent à montrer que Racine n’est pas plus exempt de fautes à ses yeux que Corneille malmené par Voltaire : de là son attention particulière à « la langue » (p. IV). De là aussi, sans doute, son désir d’être aussi précis que possible dans les comparaisons entre Racine et ses modèles, ce qui passe par une traduction fidèle des fragments imités par le poète et justifie la critique, relativement violente, contre Le Théâtre des Grecs du Père Brumoy, accusé de trahir les auteurs qu’il prétend traduire. Mais ce sont ses intentions de philologue et d’historien qui semblent avoir une résonance vraiment moderne : c’est une vision, toutes proportions gardées, « génétique » du texte racinien qu’il défend, en considérant les variantes comme significatives du perfectionnement progressif du style du poète et les différentes versions de ses préfaces comme dignes d’être reproduites… L’œuvre de Racine apparaît ainsi comme une œuvre en mouvement : elle doit être l’objet non d’une lecture hagiographique, mais d’une admiration critique.
17Grand pontife de la critique d’admiration, mais formé à l’école de la grammaire et de la rhétorique, La Harpe — ou son interprète Germain Garnier — a une position naturellement très différente, qu’il n’est pas facile d’analyser en raison de la double polémique qu’il conduit, tant contre Luneau que contre ses anciens amis les Philosophes. Les Lumières, en enfantant la Révolution, ont causé « une nouvelle irruption de Barbares » (p. 3), et cette barbarie a tout corrompu, depuis « les œuvres de nos classiques », que les imprimeurs ignorants défigurent honteusement, jusqu’à la langue elle-même, livrée à « cette diction si grossièrement vicieuse et si follement néologique » (p. 4) qui la métamorphose en un jargon incompréhensible. C’est donc dans le contexte de l’entreprise de restauration nationale — déjà ! — engagée par Bonaparte qu’il convient de situer le travail du commentateur de Racine : la tyrannie révolutionnaire a traité « la république des lettres comme la république française » (p. 5), détruisant sur son passage tous les principes esthétiques et toutes les règles de l’art ; il faut donc, pour renverser la vapeur, rendre Racine à sa gloire mise à mal et le proposer comme modèle — du vrai talent, du respect des règles, du bon usage linguistique — « aux jeunes auteurs qui ont de véritables dispositions pour écrire » (p. 6). Dira-t-on que les tentatives néo-classiques d’un Lemercier à ses débuts (Agamemnon, 1797) ou d’un Legouvé (Étéocle, 1799) donnent à penser que La Harpe n’était pas le seul de son avis et que, peut-être, il a pris le train en marche une fois qu’il a été sûr que le vent avait définitivement tourné ? Quoi qu’il en soit, dans une lignée ouverte par Voltaire, que son ancien disciple converti au christianisme renie pourtant à ce moment, c’est à une étape essentielle de la constitution même de l’idée de classicisme que l’on assiste ici : en pourfendant Luneau, qui a parfois été trop critique à l’égard de Racine, en s’attaquant à la décadence, le « nouvel éditeur » a pour but de le restituer à son statut d’auteur du tout premier rang, de louer ses beautés, de s’extasier sur la perfection exemplaire qui lui mérite le titre d’auteur classique, c’est-à-dire, à cette époque comme à d’autres plus proches de nous29, de le dresser en rempart contre la barbarie.
18Quoique ennemi juré de La Harpe, Geoffroy édifie le même mur avec la même truelle. Pour lui aussi, Racine c’est la France éternelle, en voie de régénération sous le sceptre impérial. Chantre — ou bedeau — de la cérémonie de louange, il entend conduire le chœur des interprètes — aux multiples sens du terme — du poète, de lui faire rejoindre le groupe « des auteurs qui nous appartiennent », qui constituent « notre propre richesse ». Il s’agit « d’apprendre à la nation à jouir de ce qu’elle possède ». Voilà donc l’auteur d’Athalie inscrit dans le patrimoine littéraire national :
C’est un auteur classique, c’est le plus grand maître de cette belle école fondée par Boileau, et que nos rimeurs n’ont abandonnée que par impuissance. Depuis sa mort, l’art des vers et l’art tragique n’ont pas fait un pas (p. V).
19Racine est donc l’incarnation d’une littérature à son sommet, un pic atteint avant une dégringolade ou une décadence, qui offre « la règle et le modèle que tous doivent se proposer d’imiter » (p. V). Des pierres du rempart se construira donc l’édifice restauré de la littérature régénérée, les « jeunes élèves » retrouvant à l’entendre célébré par le commentateur inspiré « la bonne route »… On croirait entendre un Inspecteur général de l’ancienne Instruction publique ! Certes, Geoffroy fait l’économie de la diatribe contre la néologie et la barbarie, mais — il est critique dramatique de métier — il s’emploie, en profitant du moment de retour à l’ordre que Napoléon tente d’imposer dans les arts comme en politique, à rendre la tragédie — classique — à l’une de ses fonctions les plus évidentes : refléter l’équilibre et l’harmonie retrouvés. Il le dit, d’ailleurs, et même pas entre les lignes :
C’est […] parce que les chefs-d’œuvre de Racine ont été composés dans le temps où le théâtre, le goût et la langue étaient parvenus au plus haut degré, qu’un commentaire sur Racine peut être vraiment utile à toutes les classes de lecteurs ; c’est là qu’on peut exposer et fixer la nature et la véritable constitution de la tragédie en France. […] Aujourd’hui, en littérature comme en politique, tous les esprits tendent à l’ordre : on revient à la tragédie de Racine comme à la seule parfaite, à la seule qui convienne à l’esprit, aux mœurs et au caractère français (p. VI-VII).
20On aimerait assez savoir comment l’Empereur, zélé partisan de Corneille, reçut ces déclarations, sans doute tout à fait sincères, qui s’inscrivent dans la Préface générale après un portrait de l’auteur du Cid comme un écrivain sublime, certes, mais inégal ! Pour moi, je retiendrai seulement que Geoffroy, finalement, conçoit d’assez vibrante manière le commentaire comme un acte de foi et comme une œuvre de combat : interpréter Racine, c’est un peu comme paraphraser un psaume, ad majorem dei gloriam, pour l’édification des fidèles et le bien de l’Église.
21Dans le contexte politique très différent de la Restauration, Aimé-Martin, dont le talent de plume ne peut se comparer à celui d’un Geoffroy ou d’un La Harpe, n’a plus à ferrailler contre les barbares ou à apporter sa pierre à l’entreprise de remise en ordre du monde des lettres. Si les premières escarmouches romantiques sont déjà en train de se dérouler, ce ne sont encore que vétilles qui ne peuvent remettre en cause la certitude de détenir les clefs du Temple du Beau : si Racine, le classique des classiques, doit s’inscrire en tête d’une série monumentale des chefs-d’œuvre de la période d’équilibre de la littérature française, c’est parce que « le jugement de la postérité » (p. IX) en a décidé ainsi. On peut donc désormais éditer scientifiquement, sans emboucher la trompette martiale, un auteur reconnu et incontesté — Stendhal ne viendra que trois ans plus tard et le commentateur ne prête aucune attention aux attaques des étrangers — que « des hommes qui avaient fait une profonde étude de la langue et de la poésie » (p. IX) ont considéré comme le plus grand.
22Entre 1820 et 1824, les choses ont considérablement changé : la première version de Racine et Shakespeare, par exemple, est parue (1823), et le drame de Schiller a été l’objet d’une timide imitation, avec la Marie Stuart (1820) de Lebrun, le Cours de littérature dramatique (1809, traduit en 1813) de Schlegel ne peut plus être ignoré30, tandis que La Muse française, animée par Victor Hugo, fédère les énergies des jeunes novateurs. Commenter Racine devient donc, pour Étienne Aignan, auteur tragique assez conservateur et académicien français, une tâche militante : il s’agit cette fois de dresser un rempart, non plus contre la barbarie ou la décadence révolutionnaire, mais contre l’étranger. Dans son Étude première, qui est — je l’ai indiqué plus haut — la véritable préface d’une édition qu’il n’a visiblement pas eu le temps, étant décédé en 1824, de peaufiner, le survol de l’histoire du genre tragique, malgré l’influence évidente des théories staëliennes31, oppose « les drames gigantesques de Shakespeare » ou les « compositions désordonnées » des Espagnols (p. 146), « la Melpomène monstrueuse des étrangers » (p. 147) aux formes régulières et proportionnées inventées, dans « notre belle France » (p. 146), par Corneille et perfectionnées par Racine, qui au lieu de suivre son aîné sur la voie de l’histoire et de la peinture des monstres, employa son « génie réformateur » à humaniser la tragédie, en créant des personnages qui « n’excèdent pas la dimension de la nature » (p. 148). Le modèle racinien, adapté à « la nation française », est constitué « d’une savante régularité dans sa marche, d’une admirable beauté dans ses proportions, et d’une pompe harmonieuse dans ses accents » (p. 148) : on s’attendrait presque à lire à cet endroit une comparaison avec les jardins de Le Nôtre et la musique de Charpentier ! Ce discours, appelé à faire florès dans la littérature critique et pédagogique hexagonale, édifie une barrière contre les novateurs germanophiles ou anglomanes, mais Aignan, qui est en somme un modéré, ne l’utilise pas pour rejeter systématiquement les théâtres étrangers dans les ténèbres extérieures : il peut être légitime d’étudier Schiller32, par exemple, pour lui emprunter ce qu’il y a de naturalisable chez lui. Ce qui est exclu, seulement, c’est de remplacer « nos législateurs et nos maîtres » (p. 150) par des modèles opposés à l’esprit français, qui véhiculent un « pathétique bourgeois » et « une philosophie nébuleuse » au détriment de l’équilibre et de la clarté, qui conduisent à confondre les genres entre eux sans que cela produise de beautés nouvelles :
Honneur sans doute au génie ardent et vigoureux d’un Goethe ou d’un Schiller, pourvu qu’on se borne à nous les présenter comme de grands esprits, et non comme nos législateurs et nos maîtres. Honneur à la tragédie allemande, école quelquefois sublime de philanthropie et de tolérance, pourvu qu’en l’offrant comme une étude qui peut nous être profitable, on lui interdise de faire irruption sur notre théâtre, avec son immense bagage de pathos, de métaphysique et de froides atrocités (p. 150).
23On l’aura compris : à fleurets mouchetés et sans agressivité excessive, en tentant d’adopter une position médiane, Aignan s’engage, sous la bannière de Racine, dans le combat, désormais inévitable, entre les Classiques et les Romantiques : ce poète, au « génie suave et mesurément hardi », a donné à la tragédie française « sa législation éternelle » (p. 151) et le rôle d’un commentaire de son œuvre est, d’abord, d’y montrer la source de toute véritable poétique dramatique, même si les « améliorations » et les « importations utiles » (p. 150) ne peuvent être écartées.
24Quelle lecture d’ensemble donner de ces cinq préfaces aux premières éditions commentées de Racine ? On aura vu, si je n’ai pas été trop maladroit, qu’elles ne se contentent pas de fonctionner comme un groupe autonome de productions liées par un rapport vertical ou chronologique, mais qu’elles renvoient aussi, de manière parfois insistante, à une situation horizontale, au temps précis où elles ont été rédigées. Pour simplifier et faire court, je dirai que Luneau de Boisjermain, en 1768, entendait probablement rendre un hommage critique à Racine pour ne pas laisser impuni le crime de lèse-Corneille récemment commis par Voltaire ; que La Harpe, couronnant ainsi son entreprise de description de l’histoire de la littérature française — genre dont, tout bien pesé, il est l’inventeur —, cherchait à ériger un monument au plus parfait des écrivains de la période parfaite, tout en fustigeant le crime de lèse-Voltaire perpétré par son prédécesseur et tout en s’inscrivant dans une démarche de restauration de la langue et des arts conforme à l’idéologie politique du Consulat ; que Geoffroy, épousant sur ce point les positions impériales, voulait montrer en Racine le modèle de l’ordre et de la clarté française et célébrer dignement l’écrivain emblématique du Grand Siècle à l’aurore d’un nouvel âge d’or sous le sceptre d’un souverain, enfin, digne de Louis le Grand ; qu’Aimé-Martin, au moment du « retour à la normale » de la Restauration, pouvait faire mine de restituer la démarche éditoriale à sa vocation d’érudition et d’exhaustivité, tandis qu’Aignan, peu de temps après, se voyait contraint par les débats littéraires et esthétiques en train de s’amplifier, de transformer son intervention de commentateur en un combat, prudent mais ferme, pour la préservation de l’esprit français contre une littérature venue de l’étranger.
25C’est sans doute simplifier outrageusement les choses… Mais ce qui est incontestable, c’est que Racine, en devenant un auteur classique, est devenu le lieu problématique d’enjeux variés, esthétiques et politiques, qui débordent largement la question factuelle de l’édition de son œuvre et que l’examen des préfaces des commentateurs permet, en partie, d’éclairer.
Annexe
Annexe
Je donne ici une description sommaire des premiers tomes respectifs de chacune des éditions utilisées. En gras ceux des éléments de l’ensemble préfaciel que j’ai pris en compte dans l’exposé : on verra tout ce qu’il m’a fallu négliger, qui n’est d’ailleurs qu’une partie des péritextes éditoriaux qu’il convient d’examiner globalement.
Luneau, 1768 : Œuvres de Jean Racine avec des commentaires, par M. Luneau de Boisjermain (Paris, Cellot, 1768, 5 vol. in-8° [+ 2 vol. d’Œuvres diverses, Londres, s.e., 1768])
T. 1 : Préface générale ; Vie de Jean Racine ; Discours préliminaire ; préface des éditeurs sur La Thébaïde ; La Thébaïde ; examen de La Thébaïde ; préface des éditeurs sur Alexandre ; Alexandre ; examen d’Alexandre
La Harpe, 1807 : Théâtre complet de Jean Racine, avec le commentaire de M. de La Harpe, édition revue, corrigée […] (Paris, Verdière, 1817, 5 vol. In-8° [1re éd. en 1807])
T. 1 : Avis du libraire ; Préface du nouvel éditeur ; Vie de Racine ; Observations sur la Vie de Racine insérée dans l’ancien commentaire ; Eloge de Jean Racine ; préface du nouvel éditeur sur La Thébaïde ; La Thébaïde ; préface du nouvel éditeur sur Alexandre ; Alexandre
Geoffroy, 1808 : Œuvres de Jean Racine avec des commentaires, par J. L. Geoffroy (Paris, Genets jeune, 1808, 7 vol. in-8°)
T. 1 : Avis de l’éditeur ; Préface générale ; Vie de Jean Racine ; Réflexions préliminaires sur l’esprit public et l’état du théâtre avant Racine ; La Thébaïde ; jugement ; préface du commentateur sur la tragédie d’Alexandre ; Alexandre ; jugement sur l’Alexandre de Racine et sur les auteurs qui ont traité le même sujet
Aimé-Martin, 1820 : Œuvres complètes de J. Racine avec les notes de tous les commentateurs, deuxième édition publiée par L. Aimé-Martin [1re édition en 1820] (Paris, Lefèvre, 1822, 6 vol. in-8°)
T. 1 : Avertissement de l’Éditeur ; Mémoires sur la vie et les ouvrages de Jean Racine par Louis Racine ; La Thébaïde ; traduction des passages d’Euripide, de Sénèque et de Stace imités par Racine ; Alexandre ; Andromaque ; traduction d’un fragment d’Euripide
Aignan, 1824 : Œuvres complètes de J. Racine, avec les notes de tous les commentateurs, auxquelles ont été jointes de nouvelles notes, et des études sur Racine, par M. Aignan, de l’Académie française (Paris, Dupont, 1824 [t. 1 et t. 2], Dupont et Lheureux [t. 3 à 5], 5 vol. in-8°)
T. 1 : Avis de l’éditeur ; Mémoires sur la vie et les ouvrages de Jean Racine par Louis Racine ; Études sur Racine (Étude première) ; La Thébaïde ; Étude seconde ; Alexandre ; Étude troisième ; Andromaque ; Étude quatrième.
Notes de bas de page
1 Ce titre est celui des 5 premiers volumes (Paris, imprimerie de Louis Cellot, 1768) ; les 2 derniers tomes portent le titre d’Œuvres diverses de Jean Racine enrichies de notes et de préfaces (Londres, 1768). C’est l’édition (t. 1, cela va de soi) que je citerai désormais. L’ensemble sort visiblement des mêmes presses parisiennes et il est diffusé par Panckoucke (dont on connaît les rapports compliqués — plus tard — avec Voltaire), installé à Paris depuis 1764. Pierre-Joseph-François Luneau de Boisjermain fut un professeur renommé, ardent propagateur de la méthode d’enseignement des langues mise au point par Dumarsais, actif défenseur de la cause des écrivains contre les libraires qui les exploitaient. Son collaborateur le plus notable, Adrien-Michel-Hyacinthe Blin de Sainmore, censeur royal en 1776, bibliothécaire de l’Arsenal en 1805, est connu comme un bon poète, auteur d’Héroïdes, et comme un dramaturge de valeur (Orphanis, tragédie, 1773).
2 Renseignement tiré de l’avis de l’éditeur de l’édition Aimé-Martin (p. III), dont il sera question plus loin.
3 Œuvres de Jean Racine avec des commentaires, seconde édition, 7 vol. in-8°, Paris, Pougin, 1796-an IVe. Je signale que dans l’exemplaire consulté le portrait de Corneille manque, alors qu’il est mentionné à la fin de la Préface générale, identique à celle de la 1re édition. Je note aussi que les reproches véhéments que La Harpe adresse à l’édition de Luneau sont plus justifiés pour ce second tirage (typographiquement moins soigné) que pour le premier, alors que le grand critique fait mine de ne pas citer la réimpression.
4 Paris, Agasse, 1807. On ne présente plus Jean-François La Harpe ; en revanche, son pieux disciple Germain Garnier (1754-1821), économiste, royaliste (constitutionnel), émigré rallié à Napoléon et devenu comte d’Empire avant de se rallier aux Bourbons qui en firent un pair de France, traducteur d’Adam Smith et auteur d’ouvrages sur l’histoire des monnaies, n’est guère connu dans le domaine des belles-lettres.
5 En 8 volumes in-12°, édités par Maccharty, si du moins on en croit Étienne Aignan dont il sera question un peu plus loin. Je n’ai pas réussi à mettre la main sur cette édition.
6 Théâtre complet de Jean Racine avec le commentaire de M. de La Harpe, Paris, Verdière, 5 vol. in-8°, gravures de Moreau le jeune (différentes de celles qu’on trouve dans l’édition d’Aignan). C’est l’édition que je citerai désormais : elle est à peu près identique à la première.
7 Voir l’Acanthologie ou Dictionnaire épigrammatique de Fayolle (Paris, Marchands de nouveautés, 1817, p. 144) :
Oui, La Harpe est vraiment un professeur unique !
Il vous parle si bien de vers, de poétique,
Qu’instruit par ses leçons on ne peut désormais
Lire un seul des vers qu’il a faits.
8 Voir une bonne épigramme de Miger (Acanthologie, op. cit., p. 126) :
Geoffroy, juré priseur de style,
Depuis près de quarante hivers
Vomit des flots d’encre et de bile
Pour prouver à tout l’univers
Que Voltaire est un imbécile. […]
9 Paris, Genets jeune, 1808. C’est cette édition que je citerai désormais. Ex-jésuite, Julien-Louis Geoffroy enseigna pendant dix-sept ans la rhétorique au Collège de Navarre (parmi ses nombreux élèves fameux, André Chénier), collabora de 1776 à 1792 à l’Année littéraire, chercha, à son retour d’émigration, à faire renaître ce périodique de ses cendres (1800) avant de devenir le titulaire du feuilleton dramatique du Journal des débats et du Journal de l’Empire. Ses critiques, réunies sous le titre de Cours de littérature dramatique (5 vol., Paris, Blanchard, 1819-1820 ; 2e éd. « considérablement augmentée » en 6 vol., chez le même éditeur, en 1825), montrent, malgré une haine viscérale à l’égard de Voltaire et de ses affidés, une ouverture d’esprit assez étonnante : il s’intéresse à l’évolution du spectacle, au jeu des acteurs, aux débats esthétiques, et pas seulement, comme souvent ses prédécesseurs et ses contemporains, aux seules qualités des textes.
10 Au portrait attendu de Racine est joint celui de son fils Louis.
11 Paris, Lefèvre, 1820. Je citerai la 2e édition (Lefèvre, 1822), qui ne diffère de la 1re qu’en ce qui concerne les Œuvres diverses. Louis Aimé-Martin (en réalité Louis-Aimé Martin) fut l’éditeur des Œuvres et de la Correspondance de son ami Bernardin de Saint-Pierre, dont il épousa la veuve. Éditeur inlassable de nombreux auteurs classiques, il vulgarisa aussi les sciences naturelles dans ses remarquables Lettres à Sophie sur la physique (1811), en prose mêlée de vers conformément à une pratique alors très en vogue, et tenta même sans grand succès sa chance au théâtre.
12 La suite de gravures n’est pas la même, dans les exemplaires consultés, que celle qui figure dans l’édition de La Harpe.
13 Paris, Dupont, 1824. C’est cette édition que je citerai désormais. Étienne Aignan fut un poète tragique et un traducteur abondant, en prose (il traduisit des romans anglais) et en vers (il donna une très érudite version de l’Iliade, qui n’a guère qu’un défaut : elle pille largement — « En pillant il atteint son but », dit l’auteur anonyme d’une épigramme contre lui, citée par Fayolle, p. 2 — celle de son prédécesseur Guillaume de Rochefort).
14 Des raisons de temps et d’espace m’interdisent d’allonger cette présentation, notoirement insuffisante : j’espère pouvoir un jour publier tout au long une étude, entreprise depuis 1995 et distillée de conférences en séminaires jusqu’au présent colloque, des différents paratextes éditoriaux des éditions de Racine, comme un élément essentiel d’un ouvrage sur le théâtre tragique entre Racine et le Romantisme, qui malgré la multiplication des études hâtives de ces dernières années, me semble plus que jamais utile. Je donne en annexe à la présente communication une description détaillée des tomes I de chacune des séries considérées.
15 Quelques aperçus à ce propos dans la présentation de mon édition de Gabrielle de Vergy (De Belloy, 1770) et de Fayel (Baculard d’Arnaud, 1770) : Le Cœur terrible, PU de Perpignan, « Études », 2005.
16 Il faudrait pouvoir aussi tenir compte des horizons différents d’où viennent les commentateurs : La Harpe et Aignan sont des praticiens du genre tragique, Luneau et Geoffroy des professeurs (mais d’envergure très différente), Aimé-Martin appartient à la catégorie, en voie de constitution vers 1820, des éditeurs professionnels. La Harpe et Geoffroy sont aussi, tous les deux, des critiques dramatiques patentés.
17 Luneau se déclare l’auteur unique de l’ensemble du péritexte général et du travail particulier sur Iphigénie, Phèdre, Esther et Athalie.
18 C’est le ton du fameux Du Fanatisme dans la langue révolutionnaire (1797) et de la Philosophie du xviiie siècle (1805, posthume).
19 On ne manquera pas de noter que la Préface de La Harpe (peut-être parce qu’il est mort avant de l’avoir mise en forme : il faudrait pouvoir déterminer la part de Germain Garnier, dont on ne sait s’il est un simple éditeur ou un rédacteur) n’aborde pas la question de la structure de l’ensemble éditorial qu’elle précède.
20 Alfieri avait été traduit en 1804 par Claude-Bernard Petitot, lui-même responsable d’une édition de Racine dépourvue de commentaires.
21 De ce point de vue, le travail de Geoffroy, qui reproche à Luneau et à La Harpe de n’avoir pas hésité à interpoler des vers supprimés par Racine, fut assez scrupuleux pour servir de base à Aimé-Martin.
22 Qui, du reste, constitue une étape essentielle dans la connaissance de Racine : Geoffroy — souvent décrié par ceux qui le pillent sans vergogne — est vraiment un grand éditeur savant.
23 « Corneille […] a eu l’honneur d’être interprété par le plus fameux poète du dix-huitième siècle : honneur qu’il a payé un peu cher » (p. I).
24 À moins que ce ne soit Germain Garnier, exécuteur des basses œuvres de La Harpe, qui soit désigné par cette formule qui synthétise, justement, ce que la Préface du nouvel éditeur de 1807 reprochait à Luneau (voir p. 7-8) : réponse du berger à la bergère ?
25 Les cinq commentateurs qu’il convient d’adjoindre aux éditeurs énumérés ci-dessus sont Louis Racine (auteur en 1752 de Remarques sur les tragédies paternelles), l’abbé d’Olivet (dont les Remarques sur Racine sont de 1738), l’abbé Desfontaines (qui répondit au précédent par un Racine vengé en 1739), l’abbé Nadal (dont les Dissertations sur le progrès du génie de Racine ont été réunies en 1738) et Pierre Fontanier (dont les Études de la langue française sur Racine, compilation critique des commentaires grammaticaux antérieurs, viennent de paraître en 1818) : aucun d’entre eux ne s’est risqué à donner une édition annotée (on attribue à d’Olivet la révision du texte d’une édition hollandaise de 1743) de Racine le père, Fontanier étant responsable en 1825 d’une intéressante édition de La Religion de Racine le fils. Je signale en passant aux curieux qu’Aimé-Martin, tout en saluant « l’instruction » de Fontanier, relève le « fatras scolastique » (p. VII) qui rend son ouvrage pédant et confus.
26 Le Cours analytique de littérature générale de Lemercier, issu de ses leçons à l’Athénée, est paru en 4 volumes, chez Nepveu, en 1817. Les Eléments de littérature de Marmontel, restructuration d’un travail entrepris pour l’Encyclopédie, sont devenus depuis leur publication en 1787, un ouvrage classique (voir la belle édition récente donnée par S. Le Ménahèze, Paris, Desjonquères, 2005).
27 Le morceau le plus significatif, à cet égard, des Commentaires de Voltaire est la comparaison des deux Bérénice, dont on oublie souvent de remarquer qu’elle signale surtout l’esprit paradoxal et provocateur du vieillard de Ferney, qui choisit de vanter la moins tragique des pièces de Racine, généralement mal aimée par ses contemporains.
28 Voir p. III. On sait avec précision ce qu’il en est de la lecture des textes grecs par Racine et leur utilisation directe dans les tragédies depuis les travaux de R.C. Knight (Racine et la Grèce, Paris, Boivin, 1951), malheureusement sous-évalués par la critique française.
29 Pensons ici à la multiplication des éditions d’auteurs « classiques », émanant du reste de camps très divers, pendant les années noires de l’Occupation.
30 Aignan constate que ses prédécesseurs lui ont laissé « une double tâche à remplir, celle de défendre Racine tout à la fois de l’injure de ses enthousiastes exclusifs et de celle de ses détracteurs germaniques » (p. 151).
31 Voir notamment ce développement : « Le théâtre d’un peuple, c’est ce peuple lui-même ; c’est son génie, ce sont ses habitudes, c’est la direction favorite de sa pensée, que la scène traduit en caractères et en situations, variés sans doute au gré des temps et des pays qu’ils représentent, mais assujettis dans les moyens de l’art au goût des pays où ils sont représentés » (p. 151).
32 La première traduction complète des Œuvres dramatiques de Schiller, par Prosper de Barante, est parue en 1821 (Paris, Ladvocat, 6 volumes).
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