Honneur aux dames, Ladies first ? Péritexte masculin d’œuvres féminines
p. 153-169
Texte intégral
1Cette étude est partie d’un double constat, à l’issue d’un certain nombre d’années de fréquentation de la littérature féminine des xviie et xviiie siècle ; d’une part, le péritexte y est comparativement plus rare que dans la littérature masculine ; d’autre part, quand péritexte il y a, il est souvent d’une autre plume, masculine. Cette absence et cette substitution vont dans le même sens, celui du rapport complexe des femmes à la publicité que représente l’impression, et du spectre de la femme publique qui ne manque de se profiler1. Publier est à la limite envisageable, mais à condition de se cantonner dans la pudeur qui serait naturelle au sexe faible : rester de préférence anonyme ou semi-anonyme, et surtout ne pas revendiquer son état ou ses intentions d’auteur dans un péritexte. La femme est auteur à la dérobée, contre son gré, par accident, par effraction. La préface, par ce qu’elle implique de légitimité de la parole, de réflexivité, de volonté et d’intention esthétique, est oxymorique avec le statut de la femme auteur2 ; en revanche la dédicace sera tolérée, précisément parce que d’une part elle est a priori dénuée de réflexion poétique3, et que d’autre part, « à la Montoron », elle implique et exalte le rapport de sujétion. Il ne s’agit pas de généraliser abusivement ; il est des femmes et, heureusement, qui, de Christine de Pisan, Louise Labé, à Olympe de Gouges et George Sand en passant par Aphra Behn4, Mme de Villedieu5, Margaret Cavendish, Marie-Anne Barbier6, Mme de Puisieux7, Suzanne Centlivre et Mme Le Prince de Beaumont, non seulement signent leurs œuvres, mais à leur tête expliquent et revendiquent leur autorat et leurs œuvres avec verve et ferveur. Le péritexte se mue alors en tribune poétique féministe. Mais au moins autant d’œuvres féminines soit sont dénuées de péritexte soit cèdent la parole à un intervenant extérieur. Genette appelle ce tiers le « préfacier allographe ». Qui sont les messieurs de ces dames ? Quand, où et comment s’expriment-ils ?
2L’exemple archétypal de la prise de parole d’un tiers en lieu et place de l’autrice provient d’une des œuvres féminines les plus connues au monde. La Princesse de Clèves (Paris, Barbin, 1678) de Mme de La Fayette débute en effet par cet avertissement du « libraire au lecteur » :
Quelque approbation qu’ait eue cette histoire dans les lectures qu’on en a faites, l’auteur n’a pu se résoudre à se déclarer ; il a craint que son nom ne diminuât le succès de son livre. Il sait par expérience que l’on condamne quelquefois les ouvrages sur la médiocre opinion qu’on a de l’auteur, et il sait aussi que la réputation de l’auteur donne souvent du prix aux ouvrages. Il demeure donc dans l’obscurité où il est, pour laisser les jugements plus libres et plus équitables, et il se montrera néanmoins si cette histoire est aussi agréable au public que je l’espère.
3Symptomatiquement, le texte débute par une concessive et se poursuit par une forme négative, comme si l’autrice s’esquivait au moment même où elle s’affirme. C’est la peur d’une réaction hostile qui conditionne le silence gardé, et l’obscurité est ici affaire de prudence plus que de choix. C’est déjà par un avis du libraire au lecteur que s’ouvrait sa Princesse de Montpensier (Paris, T. Jolly, 1662). À l’orée de Célinte, nouvelle de Mlle de Scudéry (Paris, A. Courbé, 1661), le libraire avec une certaine familiarité (tutoiement, impératif) semble s’amuser à narguer le lecteur :
Ne t’informe point trop curieusement, lecteur, de l’auteur de cette nouvelle. Il m’est défendu de t’en dire le nom, mais tu le devineras aisément, pour peu que tu sois du monde, ou que tu aies la connaissance des fameux ouvrages de cette nature. Voilà lecteur, tout ce qu’on me permet de t’en dire ; si cela ne te suffit pas, consulte d’autres personnes ; il n’y en a guère qui ne t’en apprennent plus que moi.
4Plus d’un siècle plus tard, les Lettres Neuchâteloises (1784) d’Isabelle de Charrière8 sont précédées de cet avis :
L’éditeur des Lettres Neuchâteloises n’ayant vu ni la copie sur laquelle ces lettres ont été imprimées, ni les premières feuilles de l’impression, il s’est glissé dans l’une et dans l’autre une grande quantité de fautes. On se flatte que cette nouvelle édition, plus exacte, sera plus agréable aux lecteurs9.
5Le roman était en effet paru en janvier ou février 1784 à Lausanne, aux frais de l’auteur, avec la mention « Amsterdam » et sous l’anonymat. Jugeant que son texte avait été défiguré par un « imprimeur bourreaudeur », la romancière le fit réimprimer peu après, toujours anonyme, à Genève, mais avec le même lieu d’édition fictif. Elle conserve aussi l’anonymat en publiant ses Lettres écrites de Lausanne (1785). Leur seconde partie, Caliste (1787) s’ouvre par un Avertissement des éditeurs :
Supposé que cette seconde partie soit aussi bien accueillie du public que l’a été la première, nous tâcherons de nous procurer quelques-unes des lettres que les personnes que nous lui avons fait connaître ont dû s’écrire depuis10.
6Dans ces quelques exemples le péritexte masculin est toujours bref, fruit d’un locuteur masculin à l’identité assez floue et interchangeable, libraire, imprimeur ou éditeur, et qui jamais ne signe sa préface : mais l’on est bien sûr invité à l’assimiler au nom figurant sur la page de titre, s’il existe. Ce préfacier allographe ou prétendu tel, se présente comme tenu au secret sur l’identité de l’auteur/trice, ne livre guère de renseignements sur l’œuvre même et se montre surtout préoccupé par les réactions des futurs lecteurs. C’est l’esthétique de la réception qui domine.
7En 1744, Henry Fielding, auteur déjà reconnu, préface la deuxième édition du roman de sa sœur Sarah, The Adventures of David Simple, paru la même année, chez Andrew Millar, sous l’anonyme :
A third, and indeed the strongest Reason which has drawn me into Print, is to do Justice to the real and sole author of this little book ; who, notwithstanding the many excellent observations dispersed throught it, and the deep knowledge of human nature it discovers, is a young woman, one so nearly and dearly allied to me, in the highest friendship as well as relation, that if she had wanted any assistance of mine, I would have been as ready to have given it to her, as I would have been just to my Word in owning it ; but in reality, two or three hints which arose on the reading it, and some little direction as to the conduct of the second volume, much the greater part of which never saw till in Print, were all the aid she received from me. Indeed I Believe there are few books in the world so absolutely the author’s own as this11.
8Son intervention tient de l’art du danseur de corde, puisque Fielding tente de façon synchrone de vanter les qualités de l’œuvre tout en rejetant la paternité qui lui a été abusivement attribuée. Qui plus est, il ne peut s’empêcher de souligner sa collaboration, tout en la minimisant. Il livre en tout cas des indices sur ses liens avec l’auteur, prodigue des compliments et offre dans cette longue préface un véritable art of the novel. Trois ans plus tard, il réitère l’exercice dans la « Preface written by a friend of the author » des Familiar letters between the principal characters in David Simple, and some others to which is added a vision (London, A. Millar, 1747).
9À la tête du volume IX du Parnasse des Dames (1773), Billardon de Sauvigny12 introduit ainsi trois pièces de Mme de Genlis, La mère rivale, L’amant anonyme et Les Fausses délicatesses :
Le Théâtre des Femmes françaises, en deux volumes, ne contient dans le premier que trois pièces dramatiques d’une jeune Dame, qui m’ôte la liberté de faire connaître son nom, et de lui offrir le juste tribut de louanges qu’elle mérite.
10On retrouve cette même idée d’une dissimulation volontaire dont l’éditeur n’est complice qu’à regret dans les Mélanges de poésie et de prose de la comtesse de Vidampierre (Londres et se trouve à Paris, chez les libraires qui vendent des nouveautés 1777). L’éditeur explique :
On dit que le siècle des Sévigné, des La Fayette et des Dacier est passé […]. Parmi ces héroïnes, il en est une dont quelques gens de goût connaissent un Essai sur le beau, ouvrage plein d’idées neuves et d’observations fines, et destiné à faire époque dans l’histoire de la littérature, si son auteur moins timide, osait se mettre à sa place. Quant au petit nombre de productions ingénieuses qui forment ces mélanges, on a été obligé de les arracher à la modestie d’une femme pleine de talents, qui dans le sein d’une retraite profonde, se console des revers de fortunes qu’elle a essuyés, en cultivant les lettres et en élevant ses enfants pour la patrie.
11Dans une note, il explicite sa pensée :
Il m’est défendu de prononcer ici le nom de cette femme respectable mais quand on saura qu’elle n’a jamais fait servir ses grâces, que pour obtenir plus d’estime, son esprit que pour dire du bien, et son crédit que pour en faire, son secret cessera de l’être pour le public, et j’aurai satisfait ma sensibilité, sans avoir trahi sa confiance.
12Dans ce dernier cas, la volonté de discrétion paraît pour le moins paradoxale puisqu’elle est démentie sur la page de titre même.
13Dans ces trois exemples, les préfaciers, s’ils ne trahissent pas l’identité de l’autrice, divulguent son sexe (sa qualité de femme), louent ses dons d’écriture et pour Fielding et l’éditeur de la comtesse exploitent en longueur l’espace du péritexte pour le transformer un terrain d’expression esthétique dans le premier cas, politique dans le deuxième.
14Ces diverses postures de l’anonymat de convenance paraissent relever tout autant de la coquetterie, de la contrainte sociale imposée, que d’une réelle répugnance de la femme auteur pour la prise de parole. Un cas de figure extrême serait bien sûr celui où l’œuvre est véritablement publiée contre le gré de l’auteur. Les Jumeaux Martyrs (1650, Paris, Augustin Courbé) de Mme de Saint-Balmont commence par un avis de l’imprimeur au lecteur :
Cette pièce ne peut être mieux louée que par le nom de celle qui l’a faite, et il suffit de dire qu’elle est de madame de Saint-Balmont pour lui gagner l’approbation publique. Il est vrai que c’est contre son gré que je vous la donne, mais on dit qu’elle ne fait point de bien dont elle ne fasse un secret, et il ne fallait pas attendre d’elle l’impression de ses vers après la suppression de toutes ses bonnes œuvres. Celle-ci serait plus achevée et en meilleur ordre si elle eût voulu prendre la peine de la revoir, mais une femme qui est toujours à cheval pour la défense de ses sujets, et a tous les jours des Allemands ou des Croates à combattre, n’a pas le loisir de mesurer des rimes et de compter des syllabes, et ceux qui sauront que ce n’est qu’ici que le jeu de quinze jours de relâche y trouveront plus de sujet d’admiration que de censure13.
15Le complément de manière « contre son gré » avoue l’absence d’un imprimatur de l’auteur, mais qui paraît plutôt dû à un surcroît d’agitation guerrière qu’à un catégorique rejet de l’impression. Il s’agit plus d’une formule publicitaire aguicheuse, suscitant l’attrait pour un interdit supposé qu’une réalité. Cet avis est intéressant par sa construction oxymorique qui juxtapose le topos de l’excusatio et de la faiblesse de l’œuvre au caractère masculin et vigoureux, amazonien (même si le terme n’est pas utilisé), de son auteur.
16Il existe pourtant quelques cas où l’autrice s’est sincèrement opposée à la publication. Claude Barbin donne en 1668 les Lettres et billets galants qui contiennent les véritables lettres que Marie-Catherine Desjardins a adressées à son amant Antoine de Villedieu : elle parvient à faire stopper la publication14. Katherine Philips tente également de faire stopper en 1664 la publication de ses Poems15. Mais dans ces deux cas, l’éditeur ne poussa pas l’audace ou l’inconscience jusqu’à orner son larcin d’un péritexte. En revanche, Barbin, encore lui, livre en 1668 un second recueil épistolaire, le Recueil de quelques lettres et relations galantes, toujours sans le consentement de l’autrice. Pour ne pas risquer à nouveau l’interdiction, le libraire cette fois paraît user du péritexte comme d’un bouclier. Le péritexte est double d’ailleurs, une dédicace à Mlle de Sévigny et un avis au lecteur. Pour mieux estomper sa faute, il valide ces écrits, authentiques mais non reconnus, de Mme de Villedieu par un péritexte « à la manière de », qu’il signe certes, de façon qu’un lecteur inattentif s’y méprenne tant le procédé pastiche — consciemment ou non d’ailleurs — le modus scribendi usuel de Mme de Villedieu jusque dans les termes mêmes.
17Cet examen d’une douzaine d’œuvres montre la diversité des signataires du péritexte (éditeur, libraire, imprimeur16, auteurs eux-mêmes) et la diversité de leur lien avec l’auteure (connaissance, ami, soupirant, frère). Les péritextes sont de taille variable, du billet laconique à la dizaine de pages, et traitent surtout de la réception de l’œuvre et non de sa genèse ou de ses buts, ce qui est logique puisqu’ils sont allographes. En tout cas, ces préfaciers allographes savent très bien manier et décliner les topoï de l’excusatio per infirmitatem si abondants dans le péritexte féminin : l’œuvre requiert l’indulgence du lecteur, parce que son autrice est peu cultivée ou jeune, parce qu’elle a travaillé vite, et surtout et bien sûr parce qu’elle est une femme. Trois cas apparaissent, celui de l’éditeur qui laisse planer le doute sur l’identité de l’auteur, supposé masculin ; celui où l’autrice conserve son anonymat mais est reconnue comme femme, et celui enfin où l’autrice est nommée mais où l’on flirte parfois dangereusement avec l’œuvre volée.
18L’anonymat17 de convenance n’est pas réservé aux auteurs femmes. Pour nombre d’auteurs de l’Ancien Régime, s’il était concevable d’écrire, les stigmates de l’impression étaient tels qu’ils imposaient l’anonymat pour la publication. Il faut rappeler que les Maximes de La Rochefoucauld, les Lettres persanes de Montesquieu, les Effets surprenants de la sympathie de Marivaux, les Mémoires d’un homme de Qualité de Prévost, la Pamela de Richardson ou le Robinson Crusoé de Defoe parurent d’abord sous l’anonyme. Ce genre d’anonymat ne va pas sans hypocrisie dans la mesure où un cercle parfois conséquent de happy few connaît parfaitement le nom de l’auteur en dépit du blanc sur la page de titre. En tout cas, il n’est pas tout à fait synonyme d’incognito, et il faut en tenir compte dans la réception du péritexte : les lecteurs ont pu en apprécier certaines formules au second degré. L’anonymat est lié à la classe sociale certes, mais aussi à la dignité ou à l’indignité du genre littéraire choisi : traditionnellement l’opprobre pèse sur le roman. Il faudrait se demander si le recours au péritexte masculin de convenance est plus fréquent pour certains genres que pour d’autres18. Ainsi, l’anonymat est à la fois un problème de classe sociale et de genre littéraire qui s’aggrave dans le cas des autrices du problème du sexe.
19Is a pen a penis ? demandaient les féministes américaines. Il semble que les femmes ne puissent accéder à l’espace du livre qu’en dissimulant leur identité et en concédant une partie de leur pen, le péritexte, aux hommes. D’ailleurs, ce péritexte est-il vraiment allographe ? Le libraire, imprimeur ou éditeur existe-t-il vraiment où n’est-il qu’une pure fiction, qu’un masque de l’auteur ? Même si le mystérieux libraire ou éditeur est bien réel, cela ne fait pas pour autant de lui le réel auteur du péritexte ; l’autrice a pu lui donner des directives, voire un modèle à copier. Du véritable allographe à l’autrice pseudo-allographe, tout le spectre des diverses combi- natoires peut être parcouru. Toujours est-il que s’établit dans le péritexte un duo de pronoms personnels où le pronom personnel de première personne correspond au locuteur masculin et où le pronom personnel de troisième personne (parfois masculin) correspond à l’autrice : toute l’ambiguïté schizophrénique de la situation étant que dans le cas d’une préface pseudo-allographe le je et l’autre ne font qu’un. Mais à l’inverse, nombreux sont les cas ambigus où le péritexte ne mentionne que l’auteur19, tout entier à la troisième personne du singulier, souvent masculin. Dans l’avis du Théâtre des jeunes personnes de Mme de Genlis ou dans l’« Advertisement to the reader » ouvrant la première édition du David Simple de Sarah Fielding, l’on ne sait alors si c’est l’autrice elle-même qui parle dans un souci de distanciation et de brouillage (ou d’orgueil ?) d’elle-même à la troisième personne, où si c’est le libraire, éditeur ou imprimeur qui a rédigé ce texte, et laisse planer le doute.
20Il faudrait enfin traiter des traducteurs d’œuvres féminines qui bien souvent rajoutent leur péritexte pour justifier ou présenter leur traduction, en supprimant d’ailleurs le plus souvent au passage le péritexte originel ; c’est par exemple le cas pour les traductions anglaises de Mme de Villedieu ou de Françoise de Graffigny20.
21Dans cette première partie, nous n’avons envisagé que des publications faites du vivant de leur auteur. Mais force est de constater que le cas le plus fréquent en matière de publication féminine est celui de la publication posthume. L’interdit de publication, surtout pour les femmes aristocratiques, pèse parfois si fort que seule la mort peut le lever. Là aussi un exemple archétypal est offert par un ouvrage phare. Les Lettres de Mme de Sévigné, publiées pour la première fois en 1726, sont alors précédées d’une préface de Bussy et de surcroît pour l’édition de La Haye d’un avertissement de l’éditeur placé avant la préface de Bussy21. La préface de Bussy se veut avant tout informative et historique, centrée sur la personne de Mme de Sévigné et de ses correspondants, alors que l’avertissement de l’éditeur, plus publicitaire et élogieux, évoque davantage les lettres :
Voici un recueil nouveau et très curieux des lettres de Mme de Sévigné, qui a tant de réputation pour le genre épistolaire, et dont le style naturel et délicat surpasse tout ce qu’on a jamais vu depuis qu’on écrit et qu’on lit des lettres. Ce n’est point un style exact, ni un langage mesuré et étudié ; c’est un tour inimitable, et un air négligé rempli de noblesse et d’esprit.
22De façon amusante, l’éditeur conteste la suprématie épistolaire de son co- préfacier Bussy :
Les meilleures lettres que nous ayons eues jusqu’ici sont sans contredit celles de Bussy- Rabutin. Mais dans le recueil qu’on a donné de ses lettres, celles de Mme de Sévigné qui s’y trouvent les effacent, au sentiment de toutes les personnes de bon goût.
23Au fur et à mesure des republications des lettres et lorsque le succès est avéré, le ton des éditeurs s’affirme davantage, jusqu’au dithyrambe22 . Par ailleurs, tel le champion de sa dame, l’éditeur posthume prend généralement à cœur sa tâche, ainsi Perrin qui offre une sorte d’ars editendi dans l’édition de 1754 des Lettres :
Les fonctions d’un éditeur ne sont pas toujours aussi bornées qu’on le pense ordinairement. Jaloux du succès d’un ouvrage posthume qu’il publie, il doit se représenter sans cesse ce qu’aurait fait l’auteur lui-même, si celui-ci avait eu le temps d’y mettre la dernière main. Il est vrai que l’éditeur n’a jamais le droit de mêler quelque chose du sien dans l’ouvrage d’un autre ; mais lui contestera-t-on la liberté de supprimer ce qui ne lui paraît point également propre à voir le jour ?
24Claude Gruget (Paris, J. Cavellier, 1559) insiste sur la qualité de l’œuvre de Marguerite de Navarre, L’Heptaméron des Nouvelles. On citerait encore Antoine du Moulin, préfacier de l’œuvre posthume de Pernette du Guillet (Rymes, Lyon, Jean de Tournes, 1545). En 1770 (Amsterdam- Paris, s. n.), douze ans après sa mort, paraissent deux piécettes de Françoise de Graffigny qui avaient été jouées à la cour de Vienne. L’éditeur, resté anonyme, loue dans un avertissement les qualités d’écriture de la dramaturge ; il se présente comme un découvreur qui souhaite partager sa trouvaille, dans une curieuse métaphore filée polygame :
Ces deux Pièces sont de feue Madame de Grafigny. Si quelqu’un, après les avoir lues en doutait, il ne se connaîtrait guère en style. L’éditeur ne voulant point ressembler à ces hommes qui n’aiment que les possessions exclusives, se hâte de partager avec le public, le petit trésor que le hasard lui a fait découvrir. Sans doute les restes d’une plume, aussi justement admirée paraîtront infiniment précieux. À la légèreté, à la délicatesse du pinceau, le lecteur sensible reconnaîtra le cœur d’une femme.
25De l’autre côté de la Manche, Charles Cotterell, préfacier des Poems en 1667, n’épargne pas les superlatifs à Katherine Philips, la « matchless Orinda » :
Some of them would be no disgrace to the name of any man that amongst us is most esteemed for his excellency in this kind, and there are none that may not pass with favour, when it is remembered that they feel hastily from the pen but of a woman. We might well have call’d her the English Sappho, she of all the female poets of former ages, being for her verse and her virtues both, the most highly to be valued ; but she has call’d herself Orinda, a name that deserves to be added to the number of the muses and to live with honour as long as they.
26Thomas Birch, préfacier en 1751 des œuvres de Catherine Cockburn23, n’est ni moins disert, ni moins enthousiaste et achève ainsi sa préface de quarante-huit pages :
The collection now exhibited to the world is so incontestable a proof of the superiority of our author’s genius, as in a manner supersedes every thing, that can be said upon that head […], some of the deepest inquiries, of which the human mind is capable.
27On peut livrer quelques conclusions à partir de ces quelques péritextes posthumes. Le statut du préfacier (libraire, imprimeur, éditeur, auteur lui-même) varie, comme ses liens à l’autrice (ami, amant, fils24, admirateur par-delà les années). Par ailleurs, les préfaces sont souvent prolixes, toujours positives, voire hagiographiques. L’éditeur est heureux de partager avec le lecteur un texte qui va soit contribuer à redorer la réputation d’une écrivaine déjà connue, soit révéler une œuvre jusque-là méconnue. La mort de la femme auteur a opportunément résolu les doutes et les circonvolutions relevés précédemment et dus à l’hiatus entre publication et féminité : la bonne autrice est l’autrice morte. Puisque les écrivaines ne sont plus là pour protester, les préfaciers peuvent déclarer que la publication n’intervient pas contre leur gré25… En revanche, l’on peut imaginer un cas où le préfacier allographe serait l’auteur non de la seule préface mais de l’œuvre tout entière qui serait alors apocryphe.
28Un troisième et dernier cas de figure est celui où le péritexte masculin irait de pair avec un péritexte féminin, mais aucun exemple célèbre ne vient sponte sua à l’esprit. Alors, utopie littéraire, parité fantasmatique ? Le recueil de Diverses Poésies (Lyon, Simon Matheret, 1657) de Françoise Pascal26 vient dissiper le doute. Il est précédé et d’une dédicace de l’auteur (signée) à Monsieur de L*** et d’un avis du « Libraire au lecteur27 », où ce dernier déclare :
Après que Mademoiselle Pascal vous a donné son Agatonphile, et son Endymion, elle vous fait un troisième présent de diverses poésies qu’elle a composées sur des sujets différents. J’espère que cet ouvrage vous divertira, et que vous ne serez point marri d’arrêter vos yeux sur une si douce lecture.
29Ainsi, un jeu de balancier s’établit entre une dédicace où l’auteur suivant la loi du genre se dévalorise28 et un avis du libraire qui vante Françoise Pascal comme auteur d’une œuvre déjà connue et appréciée, use d’un adjectif possessif avec un adverbe intensif et d’une litote flatteuse. Plus surprenant, il arrive que l’éditeur non seulement propose une préface mais aussi une dédicace de son cru, en sus de celles de l’auteur, ainsi de l’édition aux Pays-Bas de 1719 des Tragédies et autres poésies de Marie-Anne Barbier (Leyde, B. Jansson Vander Aa). L’imprimeur ajoute, en effet, au péritexte de la dramaturge, déjà conséquent (trois préfaces et quatre dédicaces), sa propre dédicace à Pierre Antoine de Huybert et sa propre préface. Il y explique notamment qu’il s’agit de sa première production dans le métier :
Pour se mieux convaincre de ce que nous venons d’avancer à l’honneur de ces excellentes pièces, on n’a qu’à prendre la peine de les lire avec attention, sans oublier les dédicaces et les préfaces de l’auteur même [c’est nous qui soulignons], et l’on se trouvera agréablement surpris et en même temps très satisfait en les lisant et après les avoir lues […]. C’est ici mon premier coup d’essai et ma première entreprise ; j’ose espérer qu’elle ne sera pas désagréable au monde savant, et en particulier au beau sexe, qui voulant bien favoriser mes desseins m’engageront et m’animeront à leur donner de temps en temps quelque autre livre curieux.
30Il est inusité qu’un imprimeur s’exprime si en longueur et avec une telle fraîcheur sur lui29 et sur ses choix d’éditions et de production ; sans doute cette prolixité enthousiaste est-elle à mettre au compte de la jeunesse et de l’inexpérience.
31Troisième œuvre pratiquant la mixité du péritexte, les Divines Poems and essays on various subjects by Maria de Fleury (London, printed for the author and sold by T. Wilkins, Bellamy and Roberts, 1791). Cette œuvre en effet ne compte pas moins de quatre préfaces : une adresse de l’auteur elle-même30 « To the reader » datée du 29 juillet 1791, et trois « recommandatory prefaces » par trois préfaciers différents, tous hommes d’église, datées successivement des 23, 25 et 26 juillet. La juxtaposition de ces trois préfaces révèle bien la diversité de caractères et de foi des préfaciers. Le premier préfacier, Wills, explique ainsi :
The female author of the following essays is so well known in the religious world by her many productions, as to need neither introduction nor any recommendation of mine to the public : but as she has earnestly resquested it at my hands, I consider her so faithful a champion in having conteded earneslty and successfully (under the divine blessings).
32John Towers, qui signe d’ailleurs « Thy sincere friend in our common Lord » se montre plus amical et plus disert :
Dear Reader, The following miscellaneous collections has been written by a pious godly woman ; whom I really believe fears God above many […]. If it should be asked, what was my inducement to write this recommendatory address ? I must inform the reader, that it was not from any supposition that the name at the close hereof, had any weight, which would render any capital service to the performance or to the spread thereof ; of that either the one or the other needed such help ; but the particular desire of the writer constrained me, she having been for some years, a worthy member of the church of Christ amongst whom I have long laboured, with whom I hope to live and die. I was the more disposed to accede to her resquest as the matter that follows appears to me to be agreeable to the word of God and calculated to promoted the manifestative glory of God and the good of precious souls.
33John Ryland, le ton martial, préfère s’adresser « to all inquisitive and impartial lovers of the truths of the gospel » et expédier les affaires séculières :
It is a matter of unspeakable importance to have right conceptions of the revealed character of God […]. The following poem is designed to display the true and eternal divinity of our Lord Jesus Christ. My respect for the author is sincere, my regard for the subject is great and infinitely superior to all the personal friendship that can exist in this world.
34Ce remarquable exercice de style produit au finale une curieuse impression dans un contexte si obsessionnellement chrétien : en encadrant cette trinité de préfaces masculines de sa préface d’une part, de son œuvre de l’autre, Maria de Fleury semble promouvoir une paradoxale polyandrie, littéraire du moins.
35Ces trois cas de doublon masculin-féminin du péritexte, pour rares qu’ils soient, incitent à l’optimisme. Les préfaciers de ces éditions faites du vivant des trois autrices, n’hésitent en effet pas à se montrer prolixes, ni élogieux. En outre, les rôles sont ici nettement départagés entre un autorat assumé par la femme et une compétence extérieure. La cohabitation paraît possible et même sereine entre une femme auteur et un introducteur masculin, qu’il soit libraire, imprimeur ou ami. Il n’y a ici pas de rivalité, de duel d’autorité entre l’œuvre et le péritexte mais duo, complémentarité entre une femme auteur qui assume son œuvre et un intervenant qui apporte sa compétence particulière, de libraire, d’imprimeur ou d’homme d’église.
36Une trentaine d’exemples entre xvie, xviie et xviiie siècles, France et Royaume- Uni, et différents genres littéraires (roman, poésie, théâtre, essai, anthologie) offrent un panorama représentatif des différents cas de figures existants en matière de péritexte masculin d’œuvres féminines. Ce péritexte se caractérise par sa diversité. In vivo ou post mortem, péritexte de convenance dont l’authenticité allographe paraît parfois bien douteuse, péritexte posthume souvent hagiographique, péritexte en surimpression d’un péritexte féminin, il revêt des longueurs très variables, de la simple note à l’essai d’une dizaine de pages, et prolifère parfois en diptyque ou triptyque. Les messieurs de ces dames ont le visage de Protée : ami, conseiller, mentor, admirateur contemporain ou posthume mais aussi voleur content de lui, frère aimant ou fils dévoué, soupirant ou amant, masque transparent de l’auteur elle-même. Leur statut même et leur rapport au monde du livre est flottant : libraire, imprimeur, éditeur, auteurs eux-mêmes ou parfaits profanes. La possibilité même de les identifier varie selon qu’ils signent ou non, ou qu’un nom figure ou non sur la page de titre. Le péritexte est avant tout concerné par la réception de l’œuvre plutôt que par sa genèse, logique car des préfaciers allographes ou posthumes ne disposent pas des secrets de l’auteur sur la composition.
37Cette mixité, cette omniprésence masculine peut certes apparaître comme le signe d’une réconfortante solidarité, au-delà de la frontière des sexes : certains éditeurs se montrent résolument féministes et, déplorant la mollesse et le conformisme de leurs confrères, œuvrent à faire découvrir des autrices31. Pour autant, et sans sombrer dans la paranoïa face à l’hégémonie masculine, elle ne laisse pas à la réflexion d’inquiéter32 : l’œuvre féminine ne se suffirait pas à elle-même et aurait besoin d’une béquille masculine pour exister. Il faudrait toujours qu’une autorité masculine vienne cautionner la femme auteur, être hybride dont l’autorité étymologique d’écriture ne parviendrait pas à contrecarrer la légendaire faiblesse. En somme, l’écriture féminine ne se légitime-t-elle que par le mâle ?
38En matière de gageure, demandons-nous si la situation ne s’inverse pas parfois et si le péritexte d’une œuvre féminine ne peut être de la plume d’une autre femme. Mlle Deshoulières préface ainsi une édition posthume des œuvres de sa mère33, la fille de Moderata Fonte celle du Mérite des Femmes de sa mère, Catherine et Madeleine Desroches s’adressent l’une à l’autre en tête de leurs œuvres. La dernière partie du David Simple de Sarah Fielding est précédée d’une « Preface by a female friend of the author » qui serait son amie et également auteur Jane Collier. Évoquons aussi le cas particulier des Proverbes (1669) de Catherine Durand, qui dans un assemblage insolite parurent partie dans l’œuvre romanesque de son amie Mme de Murat34, partie en appendice35. Dans tous ces cas, la solidarité féminine existe, mais semble s’exercer dans le cadre familial ou amical, sans revêtir d’intention polémique ou politique. En revanche, d’autres se veulent plus militantes. Ainsi Louise de Kéralio avec sa Collection des meilleurs ouvrages français, composés par des femmes, dédiée aux femmes françaises (Paris, Lagrange, 1786) veut présenter « les meilleures pièces de poésies, théâtre, romans, lettres des femmes les plus célèbres de la Nation ». Quant à l’éditrice, restée anonyme, des œuvres36 de Suzanna Centlivre37, elle semble inviter les femmes à la révolte dans un virulent « To the World » :
Be it known that the Person with Pen in Hand is no other than a Woman, not a little piqued to find that neither the Nobility nor Commonalty of the Year 1722, had spirit enough to erect in Westminster-Abbey, a Monument justly due to the Manes of the never to be forgotten Mrs Centlivre, whose works are full of lively incidents, genteel Language, and humourous Descriptions of real Life […]. See here the Effects of Prejudice, a Woman who did Honour to the Nation, suffer’d because she was a Woman. Are these Things fit and becoming a free-born People, who call themselves polite and civilized ! Hold ! Let my Pen stop, and not reproach the present Age for the Sins of their Fathers. A Poet is born so, not made by Rules ; and is there not an equal Chance that this Poetical Birth should be female as well as male ?
39Elle attaque la loi salique, condamne tout autant les Anglais que les Français et les Espagnols, défend la capacité des femmes à être des écrivains de talent, les invite à prendre le pouvoir dans l’Église et dans l’État38, et achève l’hagiographique biographie de Susanne dans une tonalité très horatienne.
40Ainsi trouve-t-on quelques femmes, point trop nombreuses certes, qui présentent, défendent et cautionnent les œuvres d’autres femmes39. Mais ce repli communautaire, ce rejet des hommes, entre gynécée et amazones, ne convainc pas forcément : l’ultime tabou, plutôt que le tout féminin, ne serait-il pas la parité, le péritexte féminin d’œuvres masculines ? Nous n’en avons trouvé à ce jour qu’un exemple, et c’est tout dire. Marie de Gournay40 préface en 1595, encore en 1598 où elle se censure, et jusqu’en 1635, l’édition posthume des Essais de Montaigne. Et la « fille d’élection » s’amuse des réactions que cela ne manquera pas de susciter :
Il n’y a si chétif qui ne me rembarre, avec solemne approbation de la compagnie assistante, par un sourire, un hochet ou quelque plaisanterie, quand il aura dit : C’est une femme qui parle41.
41Nous terminerons par un vœu et quatre directions de recherche qui nous paraissent prometteuses, car beaucoup reste à faire dans le domaine passionnant du péritexte.
42D’abord, l’on aimerait que les rééditions contemporaines, en particulier dans des éditions « scientifiques », ne sacrifient plus le péritexte originel. Certaines éditions de La Princesse de Clèves, dans des éditions scolaires de poche par ailleurs de grande qualité42, ne reproduisent pas l’avis au libraire ; à tout le moins, cet avis équivaut à un pacte de lecture, et à tout le plus, il est de Mme de La Fayette elle-même, tout invite donc à son maintien. Ces suppressions participent d’un mépris général pour le péritexte, préface et dédicace souvent, pour ne pas parler de l’approbation et du privilège, quasiment toujours oubliés. une des seules sinon l’unique occasion d’entendre la voix de l’auteur hors du filtre de la fiction, le péritexte conditionne la réception, livre des renseignements sur la production de l’objet-livre et sur le parcours et les intentions poétiques de l’auteur. Stylistiquement, historiquement, culturellement, et parfois même littérairement, c’est une partie clé du livre et non pas une apostume absconse et amputable ad libitum.
43Quatre remarques enfin sur ce thème homme et femme dans l’espace du livre. Premièrement, il ne faudrait pas négliger les « hommes en robe », c’est-à-dire les divers recours au travestissement : certaines œuvres de femmes sont précédées d’un péritexte qu’elles assument mais n’ont pas écrit43, tandis que certaines œuvres masculines parfois publiées anonymement feignent d’être écrites des femmes et préfacées par des hommes, en un jeu de miroir vertigineux (ainsi, La Vie de Marianne de Marivaux).
44Deuxièmement, le problème du gender du péritexte en traduction mériterait une étude à part entière, qu’il s’agisse d’hommes traduisant et préfaçant des œuvres de femme, de femmes traduisant et préfaçant des œuvres d’hommes44 ou de femmes traduisant et préfaçant des œuvres de femmes ; Luise Gottsched traduit et préface Marie-Anne Barbier et Françoise de Graffigny.
45Troisièmement, il faudrait nuancer le problème de l’anonymat féminin. L’absence d’un nom sur la page de titre ne signifie pas nécessairement que le privilège et l’approbation soient muets : le péritexte masculin peut contenir des allusions à ce demi-anonymat.
46Quatrièmement, last but not least, il faudrait ne plus négliger les approbations et les privilèges des œuvres, sources d’information précieuse, qui concernent parfois les relations entre hommes et femmes45. Rappelons enfin qu’une œuvre même signée et préfacée par une femme ne peut être totalement féminine puisque s’impose toujours une double présence masculine du syndic et du censeur dans le péritexte à travers l’approbation et le privilège. Sous l’Ancien Régime, à défaut de la caution scientifique, l’imprimatur reste aux hommes.
Notes de bas de page
1 Voir Goodman D. et Goldsmith E. C., Going Public and Publishing, Women in early Modern France, Ithaca (New York), London, Cornwell University Press, 1995.
2 Le problème se pose aussi pour les portraits en frontispice, voir Simonin Ch., « Les portraits de femmes auteurs ou l’impossible représentation » in Espaces de l’image, Europe xvie-xvie ! siècles, PU Nancy, 2002, p. 35-57.
3 Nombre d’œuvres féminines comportent pour tout péritexte une dédicace : Commerce du Parnasse de Françoise Pascal, Favori et Amours des grands hommes de Mme de Villedieu, Œuvres mêlées de Mme de Gomez, Cénie de Françoise de Graffigny, Amazones de Marie-Anne du Boccage.
4 En préface de sa pièce The Lucky Chance (1687, R. H. for W. Canning), elle affirme : « And this one thing I will venture to say, though against my nature, because it has a vanity in it : that had the plays I have written come forth under any man’s name and never known to have been mine, I appeal to all unbiased judges of sense, if they had no said that person had made as many good comedies, as any one man that has written in our age. But a devil of it, the woman damns the poet ! »
5 Voir Simonin Ch., « Des Seuils féminins ? Le péritexte chez Mme de Villedieu » in Madame de Villedieu ou les audaces du roman, études rassemblées par E. Keller et N. Grande, Littératures classiques, à paraître, 2007.
6 La préface de la tragédie d’Arrie et Petus (1702) s’achève par une revendication enflammée dautorat et par une provocante question : « Je sais bien qu’on ne pouvait mieux louer ma pièce qu’en la trouvant au-dessus de la portée d’une femme, et que cela doit flatter ma vanité. Cependant j’avoue que je n’ai pas été insensible à cette injustice, et que je n’ai pu voir sans un peu de dépit qu’on ait voulu me ravir le fruit le plus précieux de mon travail. À la vérité je ne doute point que le peu de capacité que les hommes accordent aux femmes n’ait donné lieu au bruit que quelques-uns ont affecté de répandre. Cependant sans chercher des exemples dans l’Antiquité, notre siècle a fourni assez de savantes pour détruire cette prévention, et je pourrais en citer une infinité pour autoriser ce que j’avance [...]. Ils diront sans doute que nous ne faisons que prêter notre nom à tous les ouvrages qu’on nous attribue. Mais comment les hommes nous céderaient-ils une gloire qui n’est pas à nous, puisqu’ils nous disputent même celle qui nous appartient ? »
7 La première partie des Caractères fut attribuée à un certain nombre d’auteurs masculins, dont Diderot. Au début de la deuxième partie (Londres, s. n., 1750), Mme de Puisieux s’étonne et s’indigne de cette injustice : « Les Caractères parurent l’année dernière : on voulut bien fermer les yeux sur les touches de femme qui s’y rencontrent partout, pour l’attribuer à un savant qui, éloigné du monde, fait gloire d’ignorer ses maximes, et qui avait été occupé, pendant le cours de cette composition, d’une manière qui l’avait tenu loin de ses amis, et qui ne lui laissait la liberté de penser à rien autre chose qu’à ses chagrins. On me fit la grâce de croire que mon nom était fait pour être prêté à quelqu’un […]. Bien loin d’encourager les dames à faire honneur à leur patrie par des ouvrages d’esprit, on parviendra à les refermer dans les bornes du silence et de la timidité attachée à mon sexe. Les Français si portés aux sciences et aux talents ne peuvent se résoudre à les admirer, et à les reconnaître que dans les hommes. D’où naît une si basse rivalité ? Craignent-ils que nous les surpassions ? Qu’ils se rassurent, de tout temps ils ont eu le pouvoir, nous le leur laisserons. »
8 Romans de femmes du xviiie siècle, textes présentés par R. Trousson, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1996.
9 Ibid., p. 311. Cette intervention est typique de ce que Genette appelle « préface ultérieure » (Seuils, Paris, Le Seuil, « Point Essais », 2002, p. 242) où l’auteur signale les corrections matérielles et le nettoyage typographique effectué par rapport à l’édition précédente.
10 Ibid., p. 421.
11 Fielding S., The Adventures of David Simple, containing an account of his travels through the cities of London and Westminster, in the search of a real friend and the adventures of David Simple, volume the last, in which his history is concluded, Peter Sabor editor, The University Press of Kentucky, 1998.
12 Billardon de Sauvigny fit paraître chez Ruault, rue de La Harpe, à partir de janvier 1773, une anthologie de la littérature féminine à travers les siècles et les pays. Il est un des premiers éditeurs scientifiques de femmes.
13 Les jumeaux martyrs, éd. critique par C. Abbott et H. Fournier, Genève, Droz, 1995.
14 Voir Desjardins Marie-Catherine, Lettres et billets galants, éd. critique de M. Cuénin, Publications de la société d’Étude du xviie siècle, III, 1975.
15 The collected works of Katherine Philips, the matchless Orinda, Volume I, The Poems, Volume II, The Letters, ed. by P. Thomas, Stump Cross, Stump Cross Books, 1990.
16 Il faudrait distinguer ces professions aux limites souvent floues en France, quand en Angleterre on a bien les printers et les booksellers. Pouvoir mesurer leur degré d’alphabétisation permettrait de savoir s’ils sont des préfaciers plausibles ou de simples prête-noms de préfaces pseudo allographes.
17 Voir Weil F., « L’auteur dans l’ombre. Réflexions sur l’anonymat », in Le Pauvre Diable, Destins de l’homme de lettres au xviiie siècle, études réunies par H. Duranton, à paraître aux PU Saint-Étienne, 2006.
18 La situation n’est pas forcément plus évidente pour les femmes qui écrivent du théâtre, genre traditionnellement plus noble. Voir Simonin Ch., « Melpomène en quenouille ? Préfaces de tragédies écrites par des femmes » in Forest P., dir., Histoires de Préfaces, PU Nantes, à paraître.
19 Dans tous ces cas, le titre du péritexte ne sera pas Avis de l’imprimeur ou du libraire, mais Avis au lecteur, Avis simple ou ne sera pas. Qu’il n’y ait plus mention ni du rôle ni même de l’existence d’une personne allographe ne signifie pas a contrario que cette dernière n’intervienne pas.
20 En préface à ses Letters written by a peruvian princess (London, Thomas Howe, 1773), le traducteur affirme que sa traduction est bien supérieure à la précédente.
21 L’édition des Grands Écrivains de la France (Paris, Hachette, 1862-68) reproduit opportunément les « avertissements et préfaces des éditions originales et de l’édition de 1818 » aux pages 470-523.
22 L’Avertissement de 1737, mis à la tête des tomes V et VI, affirme : « Le public a reçu avec tant d’empressement le recueil des lettres de Mme de Sévigné qu’en lui donnant la suite de ce recueil, c’est moins lui faire un nouveau présent, que s’acquitter d’une dette à laquelle on se croit obligé. » La négation restrictive dans l’édition de 1751 indique la réputation acquise : « Ce volume de lettres n’a besoin pour s’annoncer que de la célébrité des personnes à qui nous le devons : elles vivaient à la cour de Louis XIV, ou parmi ce que la ville avait de plus poli. » Une préface de 1773 raconte : « Ce volume est fait pour servir de suite au recueil des lettres de Mme de Sévigné. Il serait inutile de s’étendre sur le mérite si connu de ce recueil. Le plus grand éloge d’un ouvrage, c’est d’être beaucoup relu ; et en ce sens, qui a été plus loué que Mme de Sévigné ? C’est le livre de toutes les heures : à la ville, à la campagne, en voyage, on lit Mme de Sévigné. » Enfin, l’avertissement du libraire en tête de l’édition de 1775 s’enflamme : « Le nom de Mme de Sévigné porte une recommandation si puissante en faveur d’un recueil de ses lettres, que l’éloge le plus fastueux n’atteindrait jamais à l’idée que ce seul titre en doit faire prendre à tous les gens de goût. »
23 The works of Mrs Catharine Cockburn, theological, moral, dramatic, and poetical, several of them now first printed, with an account of the life of the author by Thomas Birch, rector of the United Parishes, London, J. and P. Knapton, 1751.
24 Le fils de Marceline Desbordes-Valmore préface en 1865 les Contes et scènes de la vie de famille de sa mère.
25 Le Portrait des Faiblesses humaines de Mme de Villedieu (1685), décidément abonnée à ce genre de mésaventures, est publié de façon posthume, et contre son gré. L’avis du libraire au lecteur explique : « Quelques amis de Madame de Châte, qui était autrefois Madame de Villedieu, sachant sa résolution de ne plus rien faire imprimer, et n’ignorant pas toutefois que par une espèce de délassement d’esprit elle composait encore quelques ouvrages, ont en son absence volé son cabinet, et m’ont apporté les ouvrages nouveaux que je vous présente. Elle me voudra sans doute du mal d’avoir pris cette part dans la petite trahison qu’on lui a faite : mais j’espère que la réception obligeante que vous ferez à ce livre obtiendra mon pardon, et que les justes louanges que ce dernier de ses travaux mérite, apaiseront la colère qu’elle aura de ce qu’il est devenu public. »
26 Femmes dramaturges en France (1650-1750), Pièces choisies, Tome I, textes établis, présentés et annotés par P. Gethner, Paris-Seattle-Tübingen, Gunter Narr Verlag, Biblio 17, 1993.
27 La dramaturge paraît coutumière du fait puisque c’était déjà le cas pour son Agathonphile martyr (Lyon, C. Petit, 1655) qui serait selon le catalogue de la BnF précédé et de sa préface et d’une préface en vers signée P. Fayol.
28 Elle présente à son dédicataire « des stances et des sonnets qui ne méritent ni [son] estime ni [sa] lecture ».
29 Les libraires, imprimeurs et éditeurs pratiquent quasiment toujours le devoir de réserve quant à leurs goûts et attentes, comme si pour mieux servir le texte de l’autre, ils devaient s’effacer au maximum.
30 Elle developpe jusqu’à l’extrême l’excusatio per infirmitatem et affirme ne viser qu’à glorifier Dieu : « if the Lord Jesus Christ, the great God my savior, is glorified in the smallest degree, if his cause is any way promoted ; and any, if it be only one, of his children edified by any thing he has enabled me to write, my labour will be richly repaid, and he shall have the glory. Conscious as I am of the many improprieties of language and deficiencies in point of grammar, which are very discernable in these poems and tracts, I feel myself constrained to put in a humble claim to the candid attention of my readers, from the consideration that I am a Woman, that I have not enjoyed the advantages of a liberal education ; that some of the pieces were written many years ago and that I have not had the kind assistance of any judicious friend in preparing them for the press, or even in correcting and revising the proof sheets, but have gone through the whole fatigue of this work myself and in the midst of much weakness and indisposition of the body. »
31 Ainsi Billardon déclare au tome IV de son Parnasse des Dames à propos de Mlle de Calages, auteur d’une Judith (Toulouse, 1660) : « Le nom de cette Demoiselle ne se trouve cité dans aucun des Recueils qui me sont parvenus […]. Mais doit-on s’en étonner, quand on sait que les odes couronnées de la Motte, le firent regarder comme le premier successeur de Malherbe, et que les plus belles Odes de Mademoiselle Chéron étaient déjà connues ? N’a-t-on pas réimprimé plusieurs fois les cantates de la Motte, tandis que celles de Mademoiselle de Louvencourt ne l’ont pas même encore été une seule fois ? […] Avouons que les Français, qui se piquent d’être si galants, aiment mieux encenser la beauté des femmes que de convenir de leur mérite. »
32 Cette absence est terriblement frustrante pour qui étudie une femme auteur dont ne demeurent ni correspondance ni mémoires : ce serait le lieu d’entendre sa vraie voix, et on ne l’entend pas. Surtout et c’est bien plus grave, en une sorte de paradoxal in capite venenum, cette substitution nourrit à terme tous les fantasmes et accusations misogynes selon lesquels l’autrice ne serait pas l’auteur du texte. P. Sabor (op. cit.) signale que lors de l’unique réédition du David Simple au xixe siècle, en 1822 sous le titre d’Adventures in search of a real friend, la paternité en fut attribuée à Henry Fielding, par capillarité de la préface.
33 Voir Simonin Ch., « Symphonie pastorale ? Deshoulières mère et fille », in Mère et Fille, la création au féminin, actes rassemblées par M. Camus, PU Dijon, à paraître.
34 Voir Femmes dramaturges en France (1650-1750), Pièces choisies, Tome II, textes établis, présentés et annotés par P. Gethner, Tübingen, Gunter Narr Verlag Tübingen, Biblio 17 n° 136, 2002., p. 249 sq. Les Comédies en proverbe de Catherine Durand furent publiées avec le roman intitulé Voyage de campagne de la Comtesse de Murat (publié sous le nom de la Comtesse de M***), qui les précède de l’avertissement suivant : « J’ai déjà averti le lecteur, en finissant mon premier tome, que les proverbes que l’on a joint au second, ne sont pas de moi. Je crois qu’ils en auront plus de réussite. On m’a priée d’ajouter ici, qu’on ne mettra le mot de chaque proverbe qu’à la fin de tout, pour laisser au lecteur le plaisir de les deviner » (II, 132).
35 Cela rappelle bien sûr l’intention initiale de Montaigne dont les Essais devaient servir d’écrin à l’œuvre de son cher La Boétie ; voir Simonin M., « Œuvres complètes ou plus que complètes ? Montaigne, éditeur de la Boétie », p. 427-457 in L’Encre et la lumière, Genève, Droz, 2004.
36 Simonin Ch., « “The Wonder” ou les premières traductions françaises des pièces de Susanna Centlivre », in Cointre A. et Rivara A., dir., La traduction des genres non romanesques au xviiie siècle, PU Metz, 2004, p. 167-187.
37 The works of the celebrated Mrs Centlivre, in three volumes, containing Perjur’d Husband... Stolen Heiress, with a New Account of her Life, London, Printed for J. Knapton, C. Hitch and L. Hawes, J. and R. Tonson, S. Crowder and Co. W. Bathoe, T. Lownds, T. Caslon, and G. Kearsly, 1761.
38 « This convinces me that not only that barbarous Custom of denying Women to have Souls, begins to be rejected as foolish and absurd, but also that bold Assertion, that Female Minds are not capable of producing literary Works, equal even to those of Pope, now loses Ground, and probably the next Age may be taught by our Pens that our Geniuses have been hitherto cramped and smothered, but not extinguished, and that the Sovereignty which the male Part of the Creation have, until now, usurped over us, is unreasonlably arbitrary. And further, that our natural Abilities entitle us to a larger Share, not only in Literary Decisions, but that, with the present Directors, we are equally intitled to Power both in Church and State. »
39 Il ne faut pas oublier les possibilités de passe-passe : selon R. Trousson, la préface du roman de Claire d’Albe (1799) de Mme Cottin, intitulée « préface de l’auteur », aurait été écrite par une autre femme, sa cousine et grande amie, Julie Verdier (Romans de femmes du xviiie siècle, op. cit., p. 691).
40 Rigolot F. (en collaboration avec Read K. D.), « Discours liminaire et identité littéraire. Remarques sur la préface féminine au xvie siècle », Prologues au xvie siècle, Versants n° 15, Neuchâtel, La Baconnière, 1989, p. 75-98
41 Paris, Abel l’Angelier, 1595.
42 Des éditions de qualité du Mérite des Femmes, ou mieux encore des livres sur Moderata Fonte, ne reproduisent ni ne font la moindre allusion à la préface posthume écrite par sa fille.
43 Ainsi Mme de Graffigny révèle dans une lettre du 3 mai 1739 que la préface d’une œuvre de Mlle Lubert n’est pas d’elle mais d’un de ses amis (Mlle de Lubert, Tecserion ou Sec et Noir ou la princesse des fleurs et le prince des autruches avec un discours préliminaire qui contient l’apologie des contes de fées, éd. par J. Cotin et E. Lemirre, Gallimard, « Le cabinet des lettres », 1997).
44 Mme Dacier traduit l’Iliade d’Homère, mais aussi des comédies de Térence, des œuvres de Plaute ; Mme du Boccage Milton, Mme Riccoboni Hugh Kelly, Elisabeth Cary le cardinal Du Perron, Sarah Fielding Xénophon. Toutes introduisent leurs traductions par un péritexte nourri.
45 Le galant Fontenelle soigne ainsi particulièrement son approbation des Amazones de Marie-Anne du Boccage : « J’ai lu par les ordres de monseigneur du chancelier la tragédie des Amazones, et j’ai cru que le public verrait avec beaucoup de plaisir Les amazones guerrières, si bien représentées par une autre illustre Amazone du Parnasse, ce 10 août 1749, De Fontenelle. »
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