Les marches du Parnasse : Boileau préfacier de ses œuvres complètes
p. 49-57
Texte intégral
1Lorsque Boileau entreprend d’introduire ses œuvres complètes, la préface comme dispositif textuel a déjà établi ses lois, ses lieux, ses ruses et ses subterfuges. Elle fait partie de l’encombrant appareil préliminaire qui ouvre tant d’œuvres de l’époque, singulièrement les œuvres dites complètes. Elle suscite, de la part du lecteur, au moins autant de méfiance que de curiosité.
2Les préfaces aux œuvres complètes de Boileau étonnent le lecteur par la médiocrité de leur substance. Face émergée d’une œuvre elle-même massivement fondée sur le commentaire, ces paratextes liminaires courent le risque de la redondance s’ils n’apportent quelque nouveauté ou quelque surprise. Traduction de Longin, Satires, Épîtres, Art poétique, parodies (Le Chapelain décoiffé), pastiche (L’arrêt burlesque), traités (Dissertation sur la Joconde), etc. : dans tous ces ouvrages l’auteur se commente et se justifie inlassablement, qu’il parle de lui ou vise les cibles favorites de ses satires. Il n’est quasi aucun texte de sa main, pas même les poèmes encomiastiques à la gloire du souverain, qui ne s’évertue à prescrire, chemin faisant, les principes et les finesses de l’art ou ne s’acharne à proscrire les écarts et les défaillances des poètes qu’il brocarde, au hasard d’une rime ou d’un trait d’esprit.
3Lorsqu’il réunit pour la première fois ses écrits en un ensemble quasi complet (à l’heure où il publie) le moment paraît venu pour lui de porter sur ceux-ci un regard à la fois rétrospectif et panoramique, de donner un rythme à l’ample façade des ouvrages qu’il assemble en un corps d’apparence parfois composite. Il pourrait juger le moment venu aussi de former les faisceaux, de lier cet ensemble épars et d’énoncer dans ces prima et ultima verba le fin mot de sa doctrine.
4Nous nous intéresserons ici aux six préfaces que Boileau a rédigées pour ses œuvres « complètes », de 1666 à 1701. Il importe de mettre en rapport ces inscriptions liminaires successives avec l’ensemble de son œuvre dont elles sont la caisse de résonance ou l’écho amorti. Ce détour est nécessaire pour examiner ces préfaces qui se caractérisent par leur parcimonie théorique et l’abondance du lieu commun. On peut en effet penser que cette œuvre, consubstantiellement critique, désamorce toute velléité théorique ou doctrinale dans les préfaces.
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5En effet, pour bien appréhender les préfaces générales de Boileau il nous faut tout d’abord effectuer un excursus qui nous conduira à considérer l’ensemble de l’œuvre qu’elles introduisent. Il nous semble que celle-ci, inlassablement préliminaire, anticipe et défie tout propos préfaciel. Outre les nombreuses notices préliminaires qu’il maintient dans ses éditions, plus ou moins complètes jusqu’à la « favorite » de 1701, on observera que le dédoublement critique auteur-commentateur épuise une matière qui aurait son lieu naturel dans une préface si cette matière n’était déjà, dans l’œuvre même, exploitée jusqu’à l’épuisement du filon critique.
6Boileau faisant parler Despréaux, s’observe et s’exhorte au détour de chaque vers, pèse une rime, juge une figure, jauge ses forces, glose son entreprise. On observe ce phénomène dans toute l’œuvre de notre auteur. Pour en donner une idée nous nous bornerons ici à examiner les Épîtres afin d’illustrer ce procédé général. L’épître, par sa nature même, n’est pas sans analogies avec l’esprit et l’économie des préfaces et constitue un espace d’observation privilégié pour étudier à l’œuvre cet aspect de sa création.
7Une « Épître au roi » accueille naturellement le lecteur au seuil de cette section. Cette épître, munie d’un « avis au lecteur », censée servir elle-même de préface aux Épîtres et constituer un panégyrique attendu du souverain, fait l’éloge de Louis en ne parlant que de Nicolas. Après un interminable préambule où il fourbit sa plume et se met en train, Boileau établit un parallèle entre l’acte d’écriture du poète et l’art de guerroyer du souverain, développement qui aboutit à une conclusion où il vante avec éclat ses modestes talents d’historiographe :
Boileau, qui, dans ses vers pleins de sincérité,
Jadis à tout son siècle a dit la vérité,
Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire,
A pourtant de ce roi parlé comme l’histoire1.
8Boileau se commente pas à pas et, pour ainsi dire, se suit pied à pied. Il est devant le roi comme devant un sujet. Un sujet à traiter, s’entend. Sa muse se mesure au champion dont elle appréhende de ne pouvoir chanter les hauts faits :
Assez d’autres sans moi, d’un style moins timide,
Suivront au champ de Mars ton courage rapide2.
9C’est sur le même mode que Boileau l’affronte de nouveau dans sa seconde épître au roi, la quatrième du recueil, où le héros semble décourager sa verve :
Mais, dès qu’on veut tenter cette vaste carrière,
Pégase s’effarouche et recule en arrière3.
10Le pléonasme en dit long sur l’embarras du coursier des Muses. Entre deux considérations sur les noms qui sèment le théâtre des exploits du monarque victorieux, Boileau insère un fragment épique. Mais la rime est le personnage principal de cette épopée, acteur au moins aussi important que les capitaines qui s’illustrent dans cette action. Le poète s’escrime à trouver la rime juste et ne nous cache rien des affres du métromane aux prises avec des mots aux rugueuses consonances flamandes auxquelles il doit faire un sort contre son gré. Ces mots qui rompent l’harmonie du vers découragent le versificateur :
Comment en vers heureux assiéger Doërbourg
Zutphen, Wageninghen, Hardewic, Knotzembourg4 ?
[…] O ! que le ciel, soigneux de notre poésie,
Grand Roi, ne nous fit-il plus voisins de l’Asie !
[…] Quel plaisir de te suivre aux rives du Scamandre ;
D’y trouver d’Ilion la poétique cendre5.
11On voit ici avec quel esprit le poète résout la difficulté. Cependant on observera aussi que, pour emboucher la trompette épique, Boileau se met en scène au sein même du récit héroïque, sa muse lutte avec le sujet qui s’impose à elle, elle se bat les flancs, déconcertée par l’ampleur et la rudesse de la matière à brasser, arrachant au poète ce cri du cœur liminaire : « Grand roi, cesse de vaincre ou je cesse d’écrire6 ».
12Le poète en appelle à toutes les divinités du Parnasse : Apollon, Pégase, les Muses, tels sont les complices de Boileau avec lesquels il affecte sans cesse de dialoguer :
Dès que je prends la plume, Apollon éperdu
Semble me dire : Arrête, insensé ; que fais-tu ? […]
Et si ma muse enfin n’est égale à mon roi
Que je donne aux Cotins des armes contre moi7.
13C’est par un procédé que l’on pourrait appeler, à la suite de Genette, métalepse d’auteur8 que Boileau s’inclut constamment dans sa création. Loin de paraphraser Virgile qui suppliait qu’on lui accordât une petite place dans le récit des grandes choses qu’il narrait, Boileau se taille la part du lion dans ses poèmes, ses dialogues et ses traités. Cette omniprésence du créateur dans sa création situe le poète, affiche l’omniprésence de sa conscience créatrice.
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14Revenons à présent à nos préfaces. Rien en apparence ne les distingue des préfaces ordinaires.
15La première préface, par exemple, réunit tous les topoï du genre. Affectation de modestie et insouciance d’imprimer :
Quelques applaudissements qu’un assez grand nombre de personnes amoureuses de ces sortes d’ouvrages ait donnés aux siens, sa modestie lui persuadoit que de les faire imprimer, ce seroit augmenter le nombre des méchans livres, qu’il blâme en tant de rencontres, et se rendre par là digne lui-même en quelque façon d’avoir place dans ses satires9.
16Souci de rétablir un texte authentique altéré par des éditions frauduleuses :
Toutes ces considérations, dis-je, l’ont obligé à me confier les véritables originaux de ses pièces, augmentées encore de deux autres10, pour lesquelles il appréhendoit le même sort11.
17Justification du projet d’imprimer. Boileau invoque un événement déclenchant :
Cette monstrueuse édition qui en a paru depuis peu. Sa tendresse de père s’est réveillée à l’aspect de ses enfans ainsi défigurés et mis en pièces, surtout lorsqu’il les a vus accompagnés de cette prose futile et insipide, que tout le sel de ses vers ne pourrait pas relever : je veux dire de ce jugement sur les Sciences, qu’on a cousu si peu judicieusement à la fin de son livre12.
18L’originalité de cette préface ne se situe donc pas là mais dans la stratégie qui en entoure la conception. La première préface de Boileau est en effet fictivement attribuée au libraire, prétendument mandaté par l’auteur. La préface est donc à la fois proprement auctoriale et conventionnellement allographe (ou plutôt péri- graphe, pour jargonner mélodieusement). Boileau y parle de lui à la troisième personne. Cette fiction est si peu crédible qu’un lapsus calami de G. Montgrédien ou une coquille de l’imprimeur, un accent négligemment omis, fait parler l’auteur en son nom propre dans une édition récente : « J’ai chargé encore d’avertir ceux qui voudront faire des satires contre les satires de ne se point cacher13. » Il fallait évidemment lire : « J’ai charge...14 »
19Ce brouillage énonciatif exclut, dans cette préface comme dans les autres, toute apostrophe ou interlocution qui marquerait un rapport entre l’auteur et quelque destinataire privilégié.
20La seconde préface quant à elle est d’un laconisme étonnant. Elle est quasi purement factuelle. Feignant un parfait détachement, Boileau y affirme :
Je ne crois point mes ouvrages assez bons pour mériter des éloges, ni assez criminels pour avoir besoin d’apologie15.
21On observera que, contrairement à la première édition, cette préface est conçue à la première personne, ce qui efface l’intercession éditoriale, mais l’auteur marque toujours une certaine distance en évitant l’interlocution directe, procédé qu’il maintiendra dans toutes ses préfaces.
22L’adresse au lecteur est donc toujours indirecte. Le lecteur est une tierce personne ou, plus généralement, un public indistinct. « Lecteur » et « public » sont ici des mots interchangeables. Ce lecteur a du goût, c’est un honnête homme dont Boileau loue le discernement et l’équité. Les adversaires sont ignorés ou brièvement égratignés. Ils sont disqualifiés d’un trait de plume ou tout simplement ignorés. Boileau se situe ailleurs, au-dessus de cette cohue qu’il toise avec mépris. Il n’éprouve plus le besoin de croiser le fer, de défier les Cotins et l’épais essaim des auteurs qu’il moque ou épingle ailleurs. La querelle est close. Tant que les œuvres circulaient manuscrites, elles étaient vives, âpres, polémiques. Maintenant qu’elles sont imprimées elles semblent avoir acquis un privilège qui a quelque chose de royal.
23Le satiriste affecte donc d’y déposer les armes, mais c’est pour mieux décocher, ici et là, en Parthe, des traits de satire encore mordants (ou amers). Il feint de se retirer sur un Aventin superbe d’où il défie ses juges et interpelle le lecteur, seul arbitre compétent à ses yeux. Mais lorsque l’on met en rapport les différentes préfaces force est de constater que ces propos olympiens tiennent de la prétérition. Certes les quatre premières préfaces apparaissent indifférentes aux jugements des critiques dans leur ensemble :
Si [mes] ouvrages sont mauvais, ils méritent d’être censurés ; […] s’ils sont bons, tout ce qu’on dira contre eux ne les fera pas trouver mauvais16. (I)
Je ne me louerai donc ici, ni ne me justifierai de rien17. (II)
Je ne répondrai donc rien à tout ce qu’on a dit ni à tout ce qu’on a écrit contre moi18. (III)
Je n’emploierai point ici ma préface, non plus que dans mes autres éditions, à le gagner par des flatteries, ou à le prévenir par des raisons dont il doit s’aviser de lui-même19. (IV)
24Cette dernière édition va même, dans un généreux mouvement du cœur, jusqu’à reconnaître des mérites aux œuvres de Chapelain, Scudéry ou Saint- Amant. Mais les deux dernières préfaces ruinent cette olympienne sérénité. Les deux tiers de la cinquième préface éreintent Perrault et Cotin. La sixième préface égratigne Bensérade et Théophile de Viau en ridiculisant deux vers malheureux cueillis dans leurs œuvres.
25Cette ultime préface, que Boileau présume avec fondement la dernière, chant du cygne et « cérémonie des adieux20 », ambitionne in articulo de proférer le « dernier mot21 » d’une esthétique. L’auteur y adopte, si l’on ose dire, une attitude quasi posthume. Il y rend hommage au goût du public qui, édition après édition, reconnaît ses mérites et prouve que seul le temps, en matière de goût, est à même de démêler son monde :
Le gros des hommes peut bien, durant quelque temps, prendre le faux pour le vrai, et admirer de méchantes choses ; mais il n’est pas possible qu’à la longue une bonne chose ne lui plaise22. (VI)
26Pour Boileau, le secret est simple, sa méthode claire, son propos transparent :
Que si on me demande ce que c’est que cet agrément et ce sel, je répondrai que c’est un je ne sais quoi, qu’on peut beaucoup mieux sentir que dire. À mon avis néanmoins, il consiste principalement à ne jamais présenter au lecteur que des pensées vraies et des expressions justes. […] Un bon mot n’est bon mot qu’en ce qu’il dit une chose que chacun pensoit, et qu’il la dit d’une manière vive, fine et nouvelle23. (VI)
27On voit ici qu’au terme d’une longue et profonde réflexion sur la poésie et l’acte d’écrire Boileau doit se résoudre à affirmer une esthétique qui n’a de rondeur que celle du « je ne sais quoi » et d’illustration que quelques mots sublimes qu’il cite pour appuyer ses théories.
28Cette préface est aussi le moment d’une récapitulation, d’une mise au point définitive de son œuvre dont il rassemble les membres pour former un corps homogène. Il a soin d’adjoindre à cette préface une liste exhaustive des ouvrages dont il revendique, à l’exclusion de tout autre, la paternité.
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29« La préface ultérieure, dit Genette, peut être le lieu d’expression de l’esprit de l’escalier24 » ; car, ajoute-t-il, c’est une « réponse aux premières réactions du premier public, et de la critique25. » « La plus importante, peut-être, des fonctions de la préface originale, observe-t-il, consiste en une interprétation du texte par l’auteur, ou, si l’on préfère, en une déclaration d’intention26. » S’il faut suivre cette affirmation de G. Genette, le péritexte et le texte empiètent chez Boileau l’un sur l’autre et le risque est grand de voir la préface, dans le cas qui nous occupe, devenir un inutile appendice qui parasiterait l’ensemble de l’œuvre.
30Remarquons tout d’abord que Boileau ne nourrit pas d’illusions au sujet des pouvoirs d’une préface. Ne lit-on pas dans la 9e satire :
Un auteur à genoux dans une humble préface,
Au lecteur qu’il ennuie a beau demander grâce ;
Il ne gagnera rien sur ce juge irrité,
Qui lui fait son procès de pleine autorité27.
31C’est avec le même mépris que dans son épître à Lamoignon Boileau juge une préface de Pradon, préface d’un livre qui se débite chez un chapelier et dont le contenu excède la patience du satiriste :
Contre vos derniers vers on est fort en courroux :
Pradon a mis au jour un livre contre vous,
Et chez le chapelier du coin de notre place
Autour d’un caudebec j’en ai lu la préface28.
32Boileau, comme beaucoup d’autres, n’a pas bonne opinion de ces « longueries d’apprêts » que déjà dénonçait Montaigne. Plusieurs de ses préfaces s’achèvent brusquement, sur un ton qui ne souffre guère la réplique :
Voilà tout ce que j’ai à dire au lecteur. Encore ne sais-je si je ne lui en ai point déjà trop dit, et si, en ce peu de paroles, je ne suis point tombé dans le défaut que je voulois éviter29. (II)
33Ailleurs, il se fait un éloge d’un reproche :
Il y auroit aussi plusieurs choses à dire touchant le reproche qu’on fait à l’auteur d’avoir pris ses pensées dans Juvénal et dans Horace : mais, tout bien considéré, il trouve l’objection si honorable pour lui, qu’il croirait se faire tort d’y répondre30. (I)
34Ailleurs encore il renvoie son lecteur à l’une de ses œuvres, s’il attend une réponse à l’objection qu’il lui soumet :
Qu’est-ce que mettre un ouvrage au jour ? N’est-ce pas en quelque sorte dire au public : Jugez-moi ? Pourquoi donc trouver mauvais qu’on nous juge ? Mais j’ai mis tout ce raisonnement en rimes dans ma neuvième satire, et il suffit d’y renvoyer mes censeurs31. (VI)
35Admettons qu’en matière de péroraison on savait alors faire plus éloquent (ou plus pompeux). Boileau donne ici congé au lecteur avec une impatience perceptible.
36Le malaise ou l’ennui que l’on ressent à la lecture des préfaces embarrassées de Boileau tient à leur dimension redondante. Comment dire encore quelque chose de nouveau dans une préface quand on a déjà écrit l’Art poétique ? Comment parler mieux de soi en prose quand on l’a déjà fait si éloquemment en vers ? Comment écrire une préface nouvelle quand d’innombrables autres préfaces ornent déjà tant d’œuvres isolées ? Songeons, par exemple que la quatrième préface générale inclut l’« avis au lecteur » qui introduit le Lutrin.
37On peut estimer que la besogne est déjà mâchée, explicitement comme dans L’Art poétique ou implicitement comme dans les Épîtres examinées. Le « tout est dit » de La Bruyère résonne ici à nos oreilles. Il résume dans une certaine mesure le sentiment de Boileau lorsqu’il entreprend de préfacer, avec un feint détachement, ces œuvres qui épuisent sa poétique et le dispensent ou le dissuadent d’en dire davantage au sujet des secrets et des fins de son art.
38L’écrivain, devenu auteur, c’est-à-dire autorité, se garde de se faire augmentateur : ce serait nuire à son dessein que de s’expliquer ou de se justifier. Lorsque Boileau entreprend d’introduire un ensemble de textes qui est devenu une œuvre il ne peut, sans déchoir et décevoir, développer des considérations dont il a copieusement fait état ailleurs, en frappant des vers éloquents, péremptoires et sonores.
39On observera d’ailleurs à cet égard que ces préfaces générales contrastent en qualité avec les préfaces de second rang, hiérarchiquement, qui introduisent particulièrement telle ou telle œuvre isolée. La préface de ses Odes, par exemple, présente des vues hardies, paradoxales, qui surprennent chez ce chantre du « bon sens » et des règles. Il est vrai que la médiocrité des essais poétiques qui suivent nécessitait un solide étai préfaciel. L’auteur de la Prise de Namur, échouant à pincer la corde pindarique, s’emploie laborieusement à justifier son audace inaboutie.
40Mais Boileau ne se contente pas de fixer une édition ne varietur, de marquer son imprimatur : il flanque son texte de propos annexes, allographes, qui ont pour fin de consolider son œuvre, de la prolonger sous la forme de postfaces. Boileau insiste sur ce point et tient dans sa préface à rendre hommage aux traducteurs qui, commentateurs de facto, translatent son œuvre en latin. On sait que Boileau ne faisait pas grand cas des poètes de son temps qui s’avisaient d’écrire dans la langue de Virgile. Il a composé un dialogue satirique à ce sujet. Mais une ode, traduite dans cette langue, revêt une majesté véritablement antique et affirme dans l’airain, aereperennius, la grandeur et l’immortalité de ses vers. Boileau, auteur de nombreuses inscriptions, s’y voit tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change.
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41La préface n’est donc peut-être pas chez Boileau où on la cherche mais ailleurs, parce que, dans une certaine mesure, tout est préface chez Boileau. Certes, affirmer que chez notre auteur tout est préface équivaut d’une certaine manière à dissoudre toute signification à ce mot. C’est aussi adopter une définition réductrice de cette forme paratextuelle. Cependant, puisque cette œuvre est, du point de vue qui nous intéresse, une vaste mise en abyme du travail de création, puisque sans cesse Boileau, au sens fort de ce mot, se situe toujours dans ses poèmes et dans ses textes en prose, puisqu’il y donne l’impression sans cesse renouvelée d’amorcer, au sens premier là encore du mot, chacune de ses œuvres, on peut, nous semble-t-il, au seuil de chacune d’entre elles, surprendre l’auteur à l’ouvrage, saisir la création dans son élan initial.
42Chacun de ses textes est à la fois conception, défense et illustration d’une doctrine, d’une poétique. La préface n’a donc plus lieu d’être pour dire ce qui est abondamment et éloquemment dit ailleurs, incorporé dans l’œuvre. Vidée de fait de sa substance théorique, elle se borne à n’être plus que la bonne (ou, parfois, la mauvaise) conscience du texte qu’elle introduit.
Notes de bas de page
1 Boileau, Œuvres, Paris, Garnier frères, 1969, p. 113.
2 Ibid., p. 126.
3 Ibid., p. 25-26.
4 Ibid., p. 15-16.
5 Ibid., p. 153-154 & 161-162.
6 Ibid., p. 61.
7 Ibid., p. 35.
8 « Cette relation causale particulière qui unit dans un sens ou dans l’autre, l’auteur à son œuvre, ou plus largement le producteur d’une représentation à cette représentation elle-même. » (Genette G., Métalepse, Paris, Le Seuil, 2004, p. 14).
9 Boileau, op. cit. p. 1.
10 Il s’agit des Satires III et VI.
11 Boileau, op. cit., p. 2.
12 Ibid., p. 1.
13 Ibid., p. 2.
14 On comparera le texte de Montgrédien avec celui de l’édition des Œuvres complètes de Boileau, Paris, Mame, 1810, p. 3.
15 Ibid., p. 3.
16 Ibid., p. 2.
17 Ibid., p. 3.
18 Ibid., p. 4.
19 Ibid., p. 5.
20 Genette G., Seuils, Paris, Le Seuil, 1987, p. 241.
21 Ibid., p. 240.
22 Boileau, op. cit., p. 11.
23 Ibid., p. 9.
24 Genette G., op. cit., p. 241.
25 Ibid., p. 222.
26 Ibid., p. 205.
27 Boileau, op. cit., p. 63.
28 Ibid., p. 128.
29 Ibid., p. 4.
30 Ibid., p. 3.
31 Ibid., p. 14.
Auteur
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