Le Ludus pastoralis (1734), une source inédite et complète pour le collège jésuite de Metz1
p. 229-239
Texte intégral
1Le Ludus pastoralis, découvert récemment à la Bibliothèque nationale de France2, est le seul exemple actuellement connu de pièce de collège, mais aussi plus généralement d’œuvre lyrique et chorégraphique, dont la poésie déclamée, la musique et les danses (in situ et en notation Feuillet) soient intégralement conservées3.
2Une indication portée sur le manuscrit du Ludus pastoralis4 précise que l’œuvre fut représentée à Metz en 1734, dans la grande cour du collège de la Compagnie de Jésus (In Aulâ majore Collegii Metensis Societatis Jesu5). Seul un événement d’importance pouvait susciter cette représentation. La page de titre indique que l’œuvre est dédiée à Claude de Saint-Simon6 qui venait d’être nommé évêque de Metz après avoir occupé les mêmes fonctions à Noyon. À son arrivée, le nouvel évêque avait été reçu par les dignitaires de la ville, comme le rapporte Jacques Baltus, contrôleur des guerres à Metz :
M. Claude de St Simon, comte et pair de France, évêque de Noyon, ayant été nommé à l’évêché de Metz par brevet du Roy, du 28 août 1733 après avoir séjourné trois jours à Frescati, a fait son entrée à Metz par la porte St Thiébault. Messieurs de l’hôtel de ville en robbes noires, précédez de leurs officiers, ont été le recevoir à la première porte interieure de la ville, où ils lui ont présenté le dais qui a été porté devant lui jusques à la cathédrale, au son de mutte7 et de toutes les cloches de la ville8.
3La date du 28 août 1733 que donne Baltus ne correspond pas à celle qui figure sur la page de titre du manuscrit, aussi est-ce vraisemblablement en d’autres circonstances que le Ludus pastoralis fut représenté. Moreri indique que Claude de Saint-Simon prêta serment « entre les mains du roi » le 14 mars 1734 ; c’est donc probablement lors de son retour à Metz que les jésuites lui rendirent hommage9.
4Le poème du Ludus pastoralis est demeuré anonyme tandis que les noms du compositeur (D. Maillard) et du chorégraphe (D. Dalizon) figurent sur le document10. Les interprètes sont tous des élèves des classes de rhétorique, de troisième ou de quatrième originaires de la région (Metz, Verdun ou Sarrelouis), à l’exception de Victor Fortin, parisien, à qui est par ailleurs confié le rôle principal de Mélibée11, ordonnateur du spectacle.
5L’argument est inséré au début du manuscrit :
Ludi argumentum. Myrtillus Pastor in Speluncam devenit, quam solitum invenit Symbolis heroïcis decoratam. Pastores alios è Mosellae Fluvii viciniis advocat, & causas inquirit hujus apparatûs novi. Respondent illi Pastorum Principem advenisse Lycidam. Tum Melibaeo Praeside, Symbolum quisque suum de Lycida explicant ; Choréasque, Cantusque simul omnes interferunt12.
6Le titre de Ludus pastoralis, littéralement « jeu pastoral », suffit par la polysémie du mot pastoralis (qui signifie « pastoral, champêtre » mais aussi « propre aux pasteurs spirituels, en particulier à l’évêque »13) à éclairer l’œuvre. Le spectacle entier est une allégorie où les bergers symbolisent les fidèles de l’évêque dédicataire qu’ils honorent de leurs chants et de leurs danses. Après le prologue, les quatorze scènes de l’œuvre, rythmées par trois sections dansées et chantées en français, s’articulent autour de l’explication de huit devises, en latin, en français ou en dialecte toscan.
7Le tableau qui suit donne la structure du Ludus pastoralis14 :
8Note 1515
9Note 1616
10Note 1717
11La distribution désigne nommément neuf interprètes pour la pastorale, tous déclamant et dansant18. Deux d’entre eux, Mélibée et Myrtil, se voient également confier des interventions chantées19. Celles-ci requièrent cinq chanteurs solistes (Mélibée, ut4 et Myrtil, sol2, auxquels s’ajoutent un dessus, une haute-contre et une basse pour les petits ensembles vocaux) et un chœur français à quatre. Bien que les sections instrumentales soient notées sous la forme d’une partition réduite pour dessus et basse, il est possible – mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude – que l’orchestre ait été également à quatre parties.
12À la fin du second système, des guidons apparaissent à toutes les parties. Ceux des parties de dessus et de basse vocales correspondent bien à l’enchaînement des parties de dessus et de basse instrumentales, au contraire de ceux des parties médianes qui indiquent la note que les hautes-contres et les tailles chanteront lorsque le chœur reprendra. Rien ne précise donc la nomenclature de l’orchestre20. Ces deux pages illustrent aussi le soin apporté à la réalisation du manuscrit, dont la musique et le texte sont calligraphiés avec attention.
13Si la musique de cette pastorale se révèle sans grande originalité, et si les compétences techniques demandées aux danseurs ne sont pas exceptionnelles puisque le vocabulaire se limite à une série de pas dont les plus fréquents sont le contretemps, le rond de jambe, le battu simple, le pas tombé avec chassé et jeté, le pas échappé sauté, les danses du Ludus pastoralis sont néanmoins fort intéressantes en ce qu’elles livrent de rares exemples de chorégraphies pour plus de quatre danseurs.
14Quatre des sept chorégraphies sont destinées à quatre danseurs ou plus, ce qui est exceptionnel au regard de la production en notation Feuillet actuellement connue21.
15Des constantes unissent l’ensemble de ces danses qui exploitent des jeux de symétrie et de miroirs à partir des mouvements et des parcours. Toutes obéissent au principe de la présence, qui veut que l’on commence et termine une danse face au public, à l’exception du ballet général qui débute avec les danseurs de profil et s’achève sur un groupe disposé en cercle dans l’espace de la danse. Ce ballet général est régi, du point de vue de l’enchaînement des figures, selon le principe de la contredanse22, qui connaissait alors une très grande vogue en France, tant au bal qu’à la scène où elle ponctuait généralement le spectacle. Il n’utilise cependant pas l’habituel vocabulaire de pas, simple et obligé en fonction du parcours, de la contredanse de bal, ce qui a justifié la notation chorégraphique de cette danse. Toute la difficulté de ces danses réside non dans les prouesses techniques mais dans la mémorisation des variantes au sein de séquences de pas comportant peu de différences, agencées selon des directions et des déplacements sans cesse renouvelés. Si les exécutants ne doivent pas nécessairement posséder un niveau technique avancé, il est cependant impératif qu’ils aient reçu une sérieuse formation à la « Belle Dance ».
16Cette première figure des canaries, où les quatre danseurs avancent front au public, est construite en un jeu de miroir parfait. La transcription pose la question des aménagements personnels du notateur qui sont peut-être dus au temps écoulé depuis la publication en 1700 du système par Feuillet. À titre d’exemple, on relève dans le manuscrit le signe du pas tombé tel qu’il apparaît dans le traité de Feuillet, (p. 11, voir fig. 1) mais il est associé à un autre signe, qui est son double en miroir, inexistant chez Feuillet et dont nous ignorons le contenu cinétique : (voir fig. 2). Cela pourrait indiquer un nouveau pas, à moins qu’il ne s’agisse du signe de l’échappé (p. 27), mal noté (voir fig. 3). Toutefois, sa fréquence répétée non seulement dans cet enchaînement mais aussi tout au long de la pastorale infirme cette dernière interprétation.
17Il convient également de souligner que toutes les chorégraphies du manuscrit présentent systématiquement le dessus et la basse instrumentales, ce qui est exceptionnel, les chorégraphies ne transmettant habituellement que le dessus.
18Le Ludus pastoralis est un exemple unique de théâtre de collège dont la chorégraphie nous soit parvenue, qui interdit de le confronter à d’autres ouvrages pour mettre en lumière d’éventuels éléments traditionnels ou novateurs. Tout au plus pouvons-nous affirmer que les auteurs étaient sensibles à la mode du temps, puisqu’ils conclurent leur ouvrage par une contredanse, particulièrement prisée en ces années 1730. Les airs chantés et les chorégraphies révèlent que les interprètes, sans posséder une technique exceptionnelle, avaient néanmoins probablement reçu une bonne formation musicale et chorégraphique, qui pouvait leur avoir été dispensée tant au sein de leur famille avant leur arrivée au collège de Metz, que par les formateurs de ce dernier. L’intérêt de cette pièce réside précisément dans son unicité et nous espérons vivement que cette présentation engagera quelques artistes à se risquer dans sa recréation.
Notes de bas de page
1 C’est en hommage à la danseuse, à la chorégraphe et à la chercheuse Francine Lancelot que nous souhaitons publier la présentation qui suit. Nous tenons par ailleurs à remercier chaleureusement Nathalie Lecomte et Julie Safier pour l’aide qu’elles nous ont apportée lors de la rédaction de cet article.
2 Francine Lancelot ne put le prendre en compte dans son imposant catalogue, alors sous presse (La belle Dance : catalogue raisonné fait en l'An 1995, Paris, Van Dieren, 1996).
3 À ce jour, un seul petit ballet mascarade donné en février 1688 à Versailles, Le Mariage de la Couture avec la Grosse Cathos d’André Danican Philidor, peut être reconstitué dans la totalité de ses composantes (texte, musique et danse). La chorégraphie a été notée en système Favier (cf. Rebecca Harris Warrick et Carol G. Marsh, Musical Theatre at the Court of Louis XIV, Le Mariage de la Grosse Cathos, Cambridge, Cambridge University Press, 1994).
4 LUDUS PASTORALIS/IN HONOREM/Illustrissimi Ecclesiae et S. R. Imperii Principis,/ Comitis et paris franciae/CLAUDII DE SAINT SIMON/nuper noviodunensis, nunc metensis episcopi/celebrandus/In Aula majore Colegii Metensis Societatis JESU,/ die [blanc] mensis [blanc], horâ post meridiem/Anno Domini 1734./ METIS,/ Typis Viduarum Joannis Collignon & Petri/Collignon Filii, Civitatis e Collegii Typographorum,/ Plateâ Jacoveâ., ms., 396 x 252 mm, [II] f., [43] f., (BnF, Vm6 14). Seules la page de titre et la distribution sont imprimées, le reste du document est manuscrit. Les carnets de cotes et les divers catalogues de la BnF ne donnent aucune indication sur la provenance du manuscrit dont la reliure comporte des dorures au fer sur le dos et des fleurs de lys aux quatre coins de chaque plat. Un très grand soin a été apporté à la réalisation de ce manuscrit, illustré de bandeaux et de culs de lampe très élégamment gouachés et collés de manière fort habile. Les armoiries de Claude de Saint-Simon ont été rapportées selon le même procédé sur la page de titre.
5 Cette œuvre n’est mentionnée dans aucun des répertoires de ce type de pièces que nous avons pu consulter. Henri Tribout de Morembert cite des pièces jouées au collège de Metz entre 1624 et 1724 (Le Théâtre de Metz du Moyen Âge à la Révolution, t. I, Metz, Le Lorrain, 1952, p. 24). Sommervogel ne signale aucun spectacle en 1734 et n’évoque, pour Metz, que ceux de 1725 et 1744 respectivement représentés pour le passage du roi et à l’occasion de la naissance du Dauphin (Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Bruxelles et Paris, 1890-1932, t. III, p. 1276).
6 Claude de Saint-Simon est né le 20 septembre 1695. Tonsuré le 16 mars 1710, il obtint l’abbaye de Jumièges le 20 janvier 1716. Il fut nommé en juillet 1731 à l’évêché de Noyon et sacré le juin de la même année. Il siégea pour la première fois au Parlement de Paris en qualité de pair de France le 12 janvier de l’année suivante. Le 28 août 1733, il fut nommé à l’évêché de Metz (préconisé et proposé pour lui à Rome les 2 décembre 1733 et 15 février 1734) et prêta serment le 14 mars suivant (Voir Louis Moreri, Le Grand dictionnaire historique, ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, Paris, Les libraires associés, 1754, t. IX, p. 64).
7 « Mutte » est le nom de la cloche du beffroi de Metz, accolé à la cathédrale, qui servait à « ameuter » la population en cas de danger. Elle mesure 2,30 m de haut pour un poids supérieur à 10 tonnes. La tour abrite deux autres cloches : le tocsin et « Mademoiselle de Turmel ».
8 Annales de Baltus (1724-1756) publiées d’après le manuscrit original par l’abbé E. Paulus, Metz, imprimerie Lorraine, 1904, p. 39.
9 La page de titre comporte des blancs en lieu et place de la mention du jour et du mois.
10 On ne dispose d’aucun élément biographique sur ces deux artistes, probablement professionnels locaux ou membres de la Compagnie de Jésus.
11 Le nom des personnages est donné selon les cas en français ou en latin. Nous les indiquons tous en français.
12 « Le berger Myrtil est arrivé dans une grotte qu’il trouve décorée, chose inhabituelle, de devises mythiques. Il fait appel à d’autres bergers venus des alentours du fleuve de la Moselle, et cherche à savoir les causes de ce nouvel apparat. Ils lui répondent de faire venir le prince des bergers, Lycidas. Alors, sous la direction de Mélibée, chacun explique sa devise en rapport avec Lycidas ; interviennent ensemble, entre les parties, des danses en chœur et des chants. » (Ludus pastoralis, p. [III].)
13 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Saint-Étienne, Seghers, 1969, rééd. 1973, t. IV, p. 217. L’emploi du mot ludus, « jeu en acte » plutôt que celui de jocus, « jeu en paroles » est également significatif.
14 Légende du tableau : les voix sont désignées par les clés utilisées (sol2, ut3, ut4 ou fa4 et ch. fr.4 pour le chœur français à 4 parties qui correspondent aux clés que nous venons de mentionner), les instruments par leur tessiture (d pour dessus instrumental, fla pour flûte allemande et bc pour la basse continue). Les sections chantées ou dansées apparaissent en tramé. Les textes latins et italiens sont transcrits en italiques, les commentaires entre crochets carrés [ ].
15 Lorsqu’une tonalité vaut pour une scène entière, nous l’indiquons en regard du numéro de la scène.
16 Les devises en latin ou en dialecte toscan sont traduites dans le tableau.
17 C’est-à-dire face au public, voir p. 237.
18 Classe de rhétorique : Mélibée (Victor Fortin), Corille (Romain Mathis), Amynte (Nicolas Milet), Tytire (Jean Nic. Pacquin), Daphnis (Pierre Thyrion) ; classe de troisième : Myrtil (Charles Mich. Geoffroy de Talange), Coridon (Franc. La Salle) ; classe de quatrième : Alexis (Jacques Charton), Tircis (Pierre Vignon).
19 La polyvalence des interprètes était peut-être rendue nécessaire par le peu d’élèves aptes à assumer ces fonctions.
20 Ce premier chœur est le seul pour lequel les parties de dessus et de basse instrumentales aient été copiées ; ailleurs, les doublures instrumentales sont simplement sous-entendues.
21 Francine Lancelot a répertorié 539 pièces chorégraphiques parmi lesquelles dix pour deux hommes et deux femmes, trois pour huit danseurs et une pour neuf hommes (Voir La belle Dance, op. cit., « Index des pièces chorégraphiques par effectif », p. 383-387). Il serait intéressant de confronter ces chorégraphies à celles pour quatre, cinq et neuf danseurs du Mariage de la Couture et de la Grosse Cathos.
22 Le « ballet général » obéit pour onze de ses treize figures à la disposition de la contredanse à l’anglaise, c’est-à-dire en deux files de quatre danseurs face à face.
Auteur
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