La Défaite de Solécisme par Despautère : grammaire latine et théâtre jésuite
p. 137-148
Texte intégral
« Les régents de ce collège y faisaient représenter par leurs écoliers des drames, des pièces de théâtre fades et entremêlées de ballets si extravagants, qu’on y voyait danser jusqu’aux prétérits et aux supins. Oh ! ne m’en dites pas davantage, interrompit Zambullo. Je sais bien quelle drogue c’est que les pièces de collèges. »
Le Sage, Le Diable boiteux.
1Cette pièce dont il ne reste que le programme n’était pas promise à un grand avenir et c’est sûrement grâce à son titre pittoresque (mais qui en exprime clairement le sujet) qu’elle a retenu l’attention de deux spécialistes il y a près d’un siècle, Ernest Boysse1 et V.-L. Gofflot2. En effet, ils n’ont pas manqué de citer ce « drame », plus burlesque que tragique, pour montrer jusqu’où pouvait aller la création théâtrale chez les jésuites. L’un comme l’autre l’ont attribué au P. JeanAntoine Du Cerceau (1670-1730) mais nous ne nous intéresserons pas à cette attribution, faute de données nouvelles sur la question.
2Le premier exemplaire imprimé conservé3 est un programme de 1699, dont le jour de représentation au mois de mai a été laissé en blanc. En rapport avec cette édition et cette version du programme, nous possédons également un manuscrit de quatre feuillets dont le titre varie quelque peu, La Sanglante Défaite du Solécisme, ainsi que le sous-titre « Comédie » ; ce manuscrit n’est pas daté, mais se trouve dans un recueil de programmes de tragédies et de ballets provenant de collèges de jésuites et remontant principalement aux années 1690-17024. Cette source ne mentionne pas la liste des acteurs mais les personnages sont les mêmes, à l’exception de Machophile, lieutenant général des troupes de Despautère, qui disparaît de l’imprimé et est devenu le chevalier des conjugaisons ; quant aux trois actes, ils sont pratiquement identiques, tout comme les explications des personnages. S’agit-il du brouillon manuscrit (nous constatons quelques ratures), d’un exemplaire de travail ou d’une copie personnelle ? Il est bien difficile de le dire.
3L’autre édition date de 17055 et précise que la pièce a été représentée le 26 mai 1699 au collège Louis-le-Grand6. L’argument change quelque peu dans les détails mais l’intrigue reste la même. Notre commentaire portera donc sur la première version imprimée, plus complète. Dans les deux versions, nous retrouvons des éditeurs habituels de programmes jésuites parisiens, Antoine Lambin ou Louis Sevestre.
4Le titre s’apparente à un type d’œuvres polémiques qui se présentent comme des récits militaires mais qui découvrent les dessous de la scène littéraire et dénoncent certaines pratiques et certains auteurs. La référence dans cette catégorie est bien sûr la Nouvelle allégorique de Furetière (1659). Dans cette « histoire des derniers troubles arrivés au royaume d’Éloquence » selon le sous-titre, le grand ennemi est le capitaine Galimatias. Les cibles ne sont pas tout à fait les mêmes mais le travestissement guerrier est déjà en place. Despautère y est d’ailleurs mentionné, plutôt défavorablement, puisqu’il devient un lieu, « une grande plaine » où Galimatias et son alliée Pédanterie passent en revue leurs troupes7. À la différence des jésuites, le collège (ou ville de « Gymnasie ») n’a pas une bonne image et relève plus du charabia de Babel8. Au milieu des nombreux combattants est déjà présent le « Pédant Hortensius » qui s’attaque en particulier à Balzac9. Quant au solécisme et au barbarisme, ils ne sont pas personnifiés chez Furetière mais deviennent des explosifs ; en effet, lorsque Galimatias assiège Éloquence retranchée dans la citadelle d’Académie, il est sur le point de les utiliser pour une sape : « Le travail méme étoit fort avancé, & on y avoit déjà porté cent quintaux de Solécismes, & de Barbarismes, qui est une poudre si redoutée de la Reine, que quand elle en sent auprés d’elle, cela la fait sauter aux nuës10. » Nous ne prétendons pas évidemment que la pièce ait été directement inspirée par la Nouvelle allégorique. Il n’empêche que le déroulement de celle-là (manœuvres hostiles, bataille rangée, jugement final) suit un ordre quasi identique mais plus court et sans longs catalogues de troupes qui parodient l’épopée11.
5Ici, le fond est allégorique et la portée pédagogique ; faire disparaître les fautes contre la grammaire est le but de l’enseignant. Dans le répertoire du collège de Clermont, nous n’avons pas trouvé d’autre pièce mettant en scène des personnages scolaires ou des allégories grammaticales. Cependant Louis Desgraves indique une « comœdia » intitulée Pseudosoloecismus, au collège de Navarre à Paris dès 1646, mais il s’agit davantage des mésaventures romanesques de deux collégiens fugueurs que d’affrontements grammaticaux12. En 1679, c’est une « tragœdia » intitulée Bellum grammaticale qui est donnée chez les pères de la Doctrine chrétienne à Vitry-le- François13. Cette deuxième pièce, elle aussi en trois actes et au titre déjà trop pompeux pour le sujet, se rapporterait davantage à La Défaite de Solécisme. En effet, le programme bilingue latin-français explique qu’au pays latin un pédant a mis Poeta au lieu d’Auriga comme « premier Nom de la premiere Declinaison ». Poeta prétend ensuite devenir roi à la place d’Amo ; il s’ensuit une bataille entre les noms et les verbes, qui restent victorieux, Despautère intervenant comme sage législateur de la grammaire. Notons également que le premier entracte était précédé d’un ballet de quatre solécismes. Chez les jésuites, de nombreux programmes de ballets ou de représentations témoignent que le recours à l’allégorie était un élément important de leur pédagogie.
6En continuant l’examen du titre, nous voyons qu’il y a une syllepse sur la préposition dans la formule « par Despautere » ; Despautère devient un général mais en même temps la préposition peut avoir le sens de « grâce à » et le nom propre est métonymique : on retrouve le célèbre manuel. Le titre renvoie à un petit monde qui décrypte immédiatement et relève de ce que nous appellerions un private joke. La plaisanterie est renforcée, pour nous, par la mention « drame ». Mais ce substantif ne figure ni dans Furetière ni dans Richelet ; l’adjectif « dramatique » renvoie simplement à l’action théâtrale. Le terme « drame » et sa version latine drama (associé souvent à divers adjectifs) apparaissent régulièrement dans les titres de pièces de collèges (en particulier jésuites) mais à notre connaissance, cet emploi antithétique et facétieux ici est le seul que nous ayons rencontré. Enfin, si la Ratio studiorum était très méfiante envers les tragédies et les comédies, qu’elle n’autorisait que rarement et en latin uniquement14, on voit l’évolution des mentalités et le peu de risque moral que comportait un sujet fondé sur la grammaire.
7Les « petits pensionnaires » sont les pensionnaires, c’est-à-dire des internes, que le collège Louis-le-Grand avait accueillis depuis 1565, bien que les jésuites, pour leurs établissements, aient préféré l’externat15, d’autant qu’à Paris l’Université leur reprochait cette concurrence. Les pensionnaires logeaient dans des chambres communes dirigées chacune par un præfectus cubiculi16. Quelques privilégiés avaient leurs appartements privés et leur personnel. La mention « petits » est à mettre en rapport avec le lieu de l’action, le Marmoutier. Le collège de Clermont était bordé au nord par le collège de Marmoutier, vieux de trois cents ans, qui tirait son nom d’une abbaye clunisienne d’Alsace. Quand les jésuites eurent besoin de s’agrandir, c’est grâce à Richelieu et au roi qu’ils purent acquérir les locaux des bénédictins17. En 1660, fut construit un bâtiment neuf sur une partie de cette parcelle18. Les petites classes étaient installées dans cette partie du collège. Là encore, la pièce joue avec la complicité du public.
8La distribution des personnages nous renseigne aussi sur l’âge de ces pensionnaires, sûrement des élèves de classes qui correspondent aux niveaux du collège actuel. En effet, G. Dupont-Ferrier nous apprend que l’étude des genres et les déclinaisons des noms étaient réservées à la sixième, celle des prétérits et des supins à la cinquième, la révision de ces mêmes notions à la quatrième, et la révision de la syntaxe à la troisième19. La grammaire faisait effectivement partie des studia inferiora, avant l’étude de la rhétorique, de la philosophie et de la théologie. La scène est ici vraiment un prolongement de la classe et un tel sujet s’inscrit dans le refus d’une pédagogie trop abstraite et le souci de ne pas dissocier le savoir de l’univers familier de l’élève. Comme le bon orateur, le bon pédagogue doit savoir s’adapter à son public et un divertissement comme La Défaite du Solécisme relève du choix judicieux (l’aptum, la convenientia) tout en conservant un souci d’eutrapélie et d’urbanitas.
9L’action en trois actes est simpliste et met aux prises deux camps : celui de Solécisme et de Barbarisme contre celui de Despautère et de Codret. Les explications données aux allégories sont conformes aux définitions que l’on trouve partout ailleurs. Le barbarisme est une « faute dans le langage qui tient le milieu entre le solécisme et l’impropriété. Il se commet quand on se sert de quelque mot, ou phrase étrangère & qui n’est pas naturelle à la langue », selon Furetière. Quant au solécisme, « c’est une grosse faute contre la langue et contre les règles de la grammaire, soit dans les déclinaisons, les conjugaisons ou la syntaxe », toujours selon le même20. Les deux mots existaient déjà dans le latin des grammairiens (Quintilien ou Aulu-Gelle par exemple) et les élèves devaient les rencontrer très tôt, étant donné l’importance de l’enseignement de cette langue !
10Hortensius ne pouvait être ignoré non plus. Ce personnage de jeune pédant avait été rendu célèbre par Charles Sorel dans l’Histoire comique de Francion, et les remaniements opérés à ce roman (de 1623 à 1633) lui avaient donné une importance de plus en plus grande21. Il a donc parfaitement sa place dans une comédie de collège puisque le terme « pédant » désigne d’abord un « homme de collège qui a soin d’instruire et de gouverner la jeunesse, de lui enseigner les humanités et les arts. On les appelle aussi régents […] » (Furetière). Son camp n’a rien d’étonnant ; comme Furetière l’indique juste après :
Se dit aussi de celui qui fait un mauvais usage des sciences, qui les corrompt et les altère, qui les tourne mal, qui fait de méchantes critiques et observations, comme font la plupart des gens de collège22.
11Pour les pensionnaires, ce type de personnage faisait partie de la réalité étant donné qu’Hortensius était présenté ainsi :
Mon maître de chambre était un jeune homme glorieux et impertinent au possible.
Il se faisait appeler Hortensius par excellence, comme s’il fût descendu de cet ancien orateur qui vivait à Rome du temps de Cicéron, ou comme si son éloquence eût été pareille à la sienne23.
12Ce type de régent ridicule est donc fixé depuis longtemps en ce début du xviiie siècle24. En même temps, la charge critique qui était fortement présente chez Sorel (à la suite de Montaigne) a certainement disparu ; il n’est plus question d’avarice et de goinfrerie, de fausse culture et de manque de civilité, d’érudition sclérosée et de savoir illusoire : la barbarie ne réside plus que dans la grammaire. Placer un tel personnage si caricatural dans une pièce de collège permettait de faire plaisir aux élèves et implicitement de faire comprendre qu’il n’en existait pas au collège de Clermont.
13En face de lui, c’est un monument de l’enseignement qui prend la tête du combat. Son auteur était un Flamand, Jan van Pauteren. La première version de son manuel semble s’être étalée sur huit années, de 1511 à 151925. Sa renommée fut telle qu’il fut réédité 156 fois au xvie siècle, et l’on en connaît des versions jusqu’en 175926. La présentation de son ouvrage se voulait moderne :
Chaque « leçon » du Despautère se présente donc comme la succession d’une règle versifiée, d’une paraphrase en prose de la règle (bien nécessaire à sa compréhension), et d’une suite d’exemples d’emplois tirés des « auctoritates », ordonnés selon des critères variables pour chaque règle mais assez fréquemment sémantiques27.
14On a pu se demander si cet ouvrage était un livre du maître ou un manuel scolaire au sens moderne. Il reste une certaine ambiguïté à travers les différentes éditions28, mais l’apparition progressive de traductions en français et le passage de l’in-4° à l’in-8° dans certaines éditions amène à penser qu’à la date de la pièce, le Despautère était une référence connue de tous et entre toutes les mains.
15La Ratio studiorum de la Compagnie29 (édition de 1599) recommandait la grammaire d’Emmanuel Alvarez, jésuite portugais30. Celle de Despautère, qui se voulait moins obscure que celles du Moyen Âge, fut adoptée dès le début du xviie siècle par les jésuites parisiens :
À partir de 1618, quand notre collège fut ouvert de nouveau à ses élèves, Despautère, revu par Jean Behourt, y pénétra en leur compagnie. Il était allégé de certaines subtilités ; mais, les règles étaient formulées en des vers parfois bien obscurs et dont la latinité barbare tendait seulement à s’incruster à jamais dans les mémoires31.
16Cette version présente néanmoins un effort didactique de visualisation, lié peut-être à une certaine méconnaissance (déjà !) du latin. En effet, ce manuel est fortement structuré :
Tout au long du livre l’élève pourra trouver pour chaque leçon : la règle (regula), sa construction latine (ordo), sa paraphrase explicative (sensus), des commentaires de second ordre (observatio) éventuellement classés (I, II, III…), et, au dernier rang, chacun des énoncés qu’il doit retenir. Tout est maintenant traduit, et à cette volonté de constituer un manuel strictement bilingue s’est ajoutée celle d’attirer l’attention de l’élève sur la construction latine32.
17L’embrigadement de Despautère au service du bien-dire n’étonne pas puisque les toutes premières lignes de la première partie proposent la définition bilingue suivante : « Grammatica est ars quæpure & emendate loquendi Scribendique rationem continet33 ». De même, la deuxième partie, consacrée à la syntaxe, s’ouvre sur ce titre : De Syntaxi/sive structura/vocum./Quæ orationis congruæ ab incongrua/differentiam docet34. Cela constitue bien un avertissement contre le solécisme. Et par-delà l’aspect scolaire, l’introduction à cette syntaxe qui met en garde contre « l’ambiguité35 » nous renvoie au rejet de l’équivoque, mis en œuvre depuis longtemps au xviie siècle.
18L’historien du lycée Louis-le-Grand rappelle par ailleurs que ni Despautère ni Behourt n’ont appartenu à la Compagnie mais que cette grammaire parut la mieux adaptée à leur enseignement36. À la date de notre pièce, elle avait déjà subi deux remaniements : par le P Pajot en 1650 et par le P Chifflet en 1659, tous deux jésuites37.
19Si les pièces comportant des personnages grammaticaux sont rares, même dans le théâtre scolaire, nous l’avons dit, l’ouvrage de Despautère apparaît plusieurs fois dans des comédies, souvenir ineffaçable de collégien. Dans Le Pédant joué, il n’est pas étonnant que Granger, à qui s’applique ce titre, cite nommément Despautère (I, 3) mais de toute façon, Cyrano de Bergerac a mis dans sa bouche plusieurs phrases latines tirées de ce grammairien (I, 2)38. Métaphraste, le pédant du Dépit amoureux de Molière, ne peut que faire en latin une recommandation à son interlocuteur (II, 6, v. 720-722) :
Il faut choisir pourtant les mots mis en usage
Par les meilleurs auteurs : Tu vivendo bonos,
Comme on dit, scribendo sequare peritos.
20Cette formule latine (« Pour vivre, imite les gens de bien ; pour écrire, les bons écrivains ») se trouve dans le Despautère. Dans une œuvre plus tardive, La Comtesse d’Escarbagnas (1672), une formule de Despautère est là encore citée ; le jeune comte récite sa leçon de la veille, « la première règle de Jean Despautère », mais sa mère, trompée par une certaine syllabe, trouve que « ce Jean Despautère- là est un insolent » et veut du « latin plus honnête » pour son fils (sc. VII), ce qui est un comble !
21Le père Annibal Codret, jésuite, n’était pas non plus inconnu des élèves puisqu’il était l’auteur de Rudiments, constamment réédités. Comme le titre l’indique, c’est un ouvrage d’initiation, court, qui présente les déclinaisons, les conjugaisons, « les parties d’oraisons » (c’est-à-dire les catégories grammaticales), « les concordances latines et françoises » (les principales constructions) et un « abrégé de la grande syntaxe » : c’est une sorte de mémento grammatical.
22Dans Despautère, le barbarisme et le solécisme ne sont mentionnés qu’assez tard, peut-être par souci pédagogique. En effet, ils figurent seulement au début du dernier chapitre39, « Figurarum ferme omnium quæ in usu communi sunt trac- tatio » (Traité de presque toutes les figures d’usage). La deuxième « regula » de ce chapitre explique :
Barbarus est quisquis scribendo sive loquendo
Verbum corrumpit peregrinum est barbara lexis
23distique immédiatement traduit mot à mot par : « celuy qui est barbare qui corrompt la diction en écrivant ou parlant. La diction barbare est tout mot étranger qui n’est pas Latin40 ». Vient la glose : « Barbarismus est dictionis corruptio, quæ sit scriptionis vel pronuntiatione : ut […] omo, pro homo41 ».
24La « regula » suivante traite du solécisme : « Esto solœcismus vitiosa oratio quævis », traduit là encore mot à mot par : « Le solecisme soit toute oraison vitieuse & incongrue42 ». La glose explique cette fois l’étymologie grecque :
[…] Soleicismos, a soleizein, i. peccare in structura partium orationis. Soleicizein, autem dicti sunt Athenienses qui Solos urbem Cicilia [sic] deducti desciverunt ab integritate & venustate sermonis Attici43.
25Dans les pages qui suivent sont présentées les principales fautes de langage considérées comme « obscurae orationis species » (des termes obscurs) : l’acyrologie (ou impropriété du terme), le pléonasme, la périssologie (« tout parler superflu »), l’amphibolie (ou ambiguïté), la tautologie, la macrologie (ou trop grande prolixité), l’éclipse (ou sous-entendu), l’aposiopèse (ou réticence, brusque silence) et l’énigme44. La stylistique latine condamne donc les mêmes défauts que la doctrine « classique » française. Il est certain que pour les jésuites la correction lexicale et grammaticale est un premier pas vers l’atticisme ; dans une perspective cicéronienne, bien dire, c’est bien faire pratiquement et bien se tenir en société.
26Concernant les autres personnages qui portent un nom grammatical, ils correspondent aux définitions de l’époque. Dans Despautère, le chapitre « De Præteritis et supinis » est assez long (p. 223 à 283). Il consiste surtout dans la formation de ce que nous appelons aujourd’hui le parfait et le supin et présente des listes de verbes. La définition est assez succincte :
Latini rationem præsertim habent præteriti & supini.
Præteritum activa vocis definit in i, supinum in um : ut
Amo amavi amatum amare, aimer45.
27Dans le dictionnaire de Furetière, le nom est défini ainsi :
En termes de Grammaire, est la premiere partie d’oraison qui se decline : & qui est differente du verbe, en ce qu’il se conjugue. […] Les noms substantifs, propres & appellatifs, sont ceux qui marquent la substance, le corps de chaque chose. Les adjectifs en marquent seulement les qualitez, les accidents.
28Et, pour le substantif :
Terme de Grammaire. C’est la qualité qu’on donne à un nom qui designe une substance. Un nom propre, ou appellatif, est tantost substantif masculin, tantost feminin.
29Le pronom, lui, ne se trouve que dans Codret qui considère quatre déclinaisons des pronoms46 et en donne la définition, les catégories et les particularités47. Il en est de même pour le « verbe neutre », « quod desinit in o, nec facit ex se passivum, qui est terminé en o, & ne fait point de passif, ut sto, curro, car nous ne disons point, stor, curror48 ». Il s’agit donc d’un verbe intransitif. Toujours selon le même manuel, « l’adjectif » et le « substantif » ne comptent pas parmi les huit « parties d’oraison » (ou « genres de diction ») mais font partie des deux sortes de noms49. Plus précisément le substantif est « quod declinatur per unum aut duos articulos. Qui se décline par un ou deux articles [i. e. genres] : ut hic Deus, hic & haec Sacerdos », l’adjectif est « quod declinatur per tres articulos. Qui est décliné par trois articles, ut hic & haec, & hoc felix, ou par trois diverses voix [= genres], ut bonus, bona, bonum, acer, acris, acre50 ».
30Nous n’avons pas de témoignage de l’efficacité d’une telle représentation. Le Despautère n’avait rien d’une panacée puisqu’il fut glosé dans de nombreuses éditions et même critiqué comme trop obscur par les grammairiens de Port-Royal. Malgré les efforts des jésuites et d’autres, le niveau de compétence atteint par les élèves en latin restait très divers, comme le rappelle Françoise Waquet51. La Défaite de Solécisme se présente donc comme une comédie de collège et une comédie du collège. Le récit de la jeunesse de Francion au collège de Lisieux avait déjà montré combien la vie dans ces établissements était une comédie sociale. Ici toute charge critique a disparu, le divertissement règne avec pour seul but un souci bien terrestre, ad majorem gloriam latinitatis.
Notes de bas de page
1 Ernest Boysse, Le Théâtre des jésuites, Paris, 1880, réimpr. Genève, Slatkine, 1970, p. 60. Même attribution chez C. Sommervogel, Bibliographie de la Compagnie de Jésus, Bruxelles, Paris, O. Stephens, A. Picard, t. II (1891), p. 969, n° 12.
2 V.-L. Gofflot, Le Théâtre au collège du Moyen Âge à nos jours avec bibliographie et appendices, Paris, H. Champion, 1907, p. 113.
3 BnF, Rés. Yf 2658.
4 BnF, Rf 75112 (54).
5 Paris, Louis Sevestre ; BnF, Rés. Yf 2732 (25). Autre exemplaire — identique — consulté : Grenoble, BM, F. 21506.
6 Louis Desgraves (Répertoire des programmes des pièces de théâtre jouées dans les Collèges en France (1601-1700), Genève, Droz, 1989) mentionne en 1699, au collège des jésuites de Pau, La Défaite du solécisme contre ses vaillants adversaires le Prétérit et le supin en u par Du Cerceau (p. 131, n. 3). Gofflot (op. cit., p. 305) signale, un peu plus tard, Le Solécisme, joué le 15 février 1708 au collège de la Trinité à Lyon. Nous n’avons pu consulter ces pièces, qui semblent inspirées par celle de 1699.
7 Nouvelle allégorique ou histoire des derniers troubles arrivez au royaume d'Eloquence (1659), réimpr. Genève, Slatkine, 1972, p. 13. Il est précisé en note : « C’est un Livre de gramaire [sic] où toutes les figures sont expliquées par ordre. »
8 Éd. citée, p. 8.
9 Éd. citée, p. 174. La note qui révèle son origine littéraire (le Francion) insiste sur le « sens ridicule » des phrases du pédant.
10 Éd. citée, p. 187.
11 Marc Fumaroli relève que dans une épopée rhétorique latine de 1650 écrite par un jésuite limousin, le P. Josset, l’auteur de ce poème pédagogique a recouru à une description allégorique militaire pour présenter la logique scolastique : « La logique est un chef d’armée, ses syllogismes des agmina rangés en ordre de bataille. » (Héros et orateurs. Rhétorique et dramaturgie cornélienne, Genève, Droz, 1990, p. 100).
12 Louis Desgraves, Répertoire, éd. cit., Genève, Droz, 1989, p. 126. Pseudosoloecismus comoedia […]. Die Sabbati 10. Februarii […] M. DC. XLVI. [Bibl. Mazarine, 18824 Z 25/110].
13 Op. cit., p. 178. Bellum grammaticale tragœdia. […] Decimo sexto kalendas Septembris. 1679, Vitry, Q. Seneuze. [Bibl. Mazarine, 10878 B/6].
14 Ratio studiorum. Plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus, éd. Léone Albrieux, Dolorès Pralon-Julia et Marie-Madeleine Compère, Paris, Belin, 1997, p. 93.
15 Gustave Dupont-Ferrier, La Vie quotidienne d’un collège parisien pendant plus de 350 ans : du collège de Clermont au lycée Louis-le-Grand (1563-1920), Paris, de Boccard, 1921, t. I, p. 72-73.
16 Id., p. 73.
17 Id., p. 85-86.
18 Id., p. 97.
19 Id., p. 215.
20 Furetière précise même (comme un mauvais souvenir ?) : « Au collège on marque trois points pour un solécisme. »
21 Sur ce personnage, voir l’article de Jocelyn Royé, « Hortensius et l’illusion savante », Actes de la journée d’étude sur L’Histoire comique de Francion de Charles Sorel, éd. Pascal Debailly et Florence Dumora-Mabille, Cahiers Textuel 22, Université Paris 7, 2000, p. 123-137.
22 Ses « qualités » sont « d’être malpoli, malpropre, fort crotté, critique opiniâtre, et de disputer en galimatias ».
23 Histoire comique de Francion, éd. Anne Schoysman et Anna Lia Franchetti, Gallimard, « Folio », 1996, p. 171.
24 A. L. Franchetti indique qu’en 1727 Marivaux place encore un Hortensius dans La Seconde Surprise de l’amour (éd. cit., p. 702).
25 Jean Hébrard, « L’évolution de l’espace graphique d’un manuel scolaire. Le “Despautère” de 1512 à 1759 », Langue Française, septembre 1983, n° 59, p. 74.
26 Voir également l’article de Carole Gascard, « Les commentateurs de Despautère : présentation d’une bibliographie des manuels de grammaire latine au xviie siècle », Histoire de l’Education 74 (mai 1997), p. 215-234. L’ouvrage de référence sur cette question est celui de Bernard Colombat, La Grammaire latine en France à la Renaissance et à l’âge classique. Théories et pédagogie, Grenoble, Elluy, 1999.
27 J. Hébrard, art. cité, p. 75.
28 Id., p. 79.
29 Éd. citée, p. 83.
30 De Institutione grammatica libri tres, Toulouse, 1593.
31 G. Dupont-Ferrier, op. cit, t. I, p. 213. La première édition de Behourt date plus exactement de 1607 pour l'Universa Grammatica et de 1621 pour le Despauterius minor. Sur ce grammairien, voir C. Gascard, art. cité, p. 221-223.
32 J. Hébrard, art. cité, p. 84.
33 Joannis Despauterii […] Grammatica […], Rouen, Pierre Amiot, 1684, f. 5 r°. « La Grammaire est un art qui contient la manière de purement & correctement parler et écrire. »
34 Éd. citée, p. 1. « La syntaxe, ou l’ordre des mots. Elle apprend à faire la différence entre un discours correct ou non. »
35 Ibidem : « […] ut animi sensus perspicue citra ambiguitatem efferantur » (« afin que la pensée s’exprime clairement et sans équivoque »).
36 Au contraire de celle d’Emmanuel Alvarez, pourtant jésuite mais portugais (G. Dupont-Ferrier, op. cit, t. I, p. 214).
37 En attendant une troisième version en 1709 par le P. Buffier (G. Dupont-Ferrier, op. cit, t. I, p. 214). Sur le Despauterius novus du P. Charles Pajot, voir C. Gascard, art. cité, p. 229-231.
38 Voir l’éd. de J. Truchet (dans Théâtre du xviie siècle, t. II, Gallimard, « Pléiade »), p. 1471, n. 4 de la p. 768 et de la p. 769.
39 Éd. citée, p. 132 sqq.
40 Éd. citée, p. 133.
41 « Le barbarisme est une corruption du langage, à l’écrit comme à l’oral ; par exemple, omo au lieu de homo. »
42 Ibidem.
43 « Soleicismos vient de soleizein, faire une erreur de syntaxe. Soleizein : des Athéniens, dit-on, établis dans la ville de Soles en Cilicie, perdirent la pureté et la beauté de leur langue attique. »
44 Éd. citée, p. 134-137.
45 « Le Latin possède le système du parfait et du supin. Le parfait est en -i et le supin en -um ; par exemple, amo, amavi, amatum, amare, aimer. » (éd. citée, p. 223).
46 Les Rudimens, Paris, Veuve Du Pont, 1668, p. 14-17.
47 Éd. citée, p. 64-67.
48 Éd. citée, p. 68.
49 Éd. citée, p. 62.
50 Ibidem. Voir également p. 76.
51 Le Latin ou l’empire d’un signe xvie-xxe siècle, Paris, Albin Michel, 1998, p. 147 sq.
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