3. Le Figaro littéraire et la Belgique bon enfant
p. 173-210
Texte intégral
1On a vu au premier chapitre que la trajectoire du FL se caractérise par une stabilité esthétique, journalistique, idéologique et financière, conservatisme qu’aucun facteur semble n’avoir affecté de manière sensible durant la période étudiée. Aussi les pages qui suivent ne s’organiseront-elles pas autour d’un ou plusieurs moments de rupture ou de transition. Pour le reste, la démarche sera celle qui a été suivie pour Les LF.
Un « impérialisme intellectuel égalitaire »
2Ayant dû patienter plus d’un an et demi après la Libération de Paris avant de pouvoir lancer leur hebdomadaire, les responsables du FL s’empressent d’entrer dans le débat sur l’« esprit français », enjeu nodal de la recomposition des champs intellectuel et (journalistico-) littéraire. Ils le font en réaffirmant les idées qu’ils ont jusqu’alors défendues en la matière au sein du quotidien Le Figaro et en parvenant à faire oublier la parenthèse vécue de 1940 à 1942. On voit ainsi se multiplier les articles qui postulent la supériorité de l’« esprit français » liée à son universalisme foncièrement imperméable à tout particularisme. C’est précisément en raison de ce monopole de l’universalisme authentique que « l’univers a besoin de nous », un besoin auquel la France ne peut pas ne pas répondre :
Car telle est la condition de notre mission suprême, qui est de donner au monde quelque chose qu’il n’attend que de nous. Ce don est le meilleur de nous-mêmes, et nous ne sommes à peu près rien sans lui. Ce que nous créons dans la vie spirituelle a une valeur unique parce que c’est une valeur universelle. Il est donc aussi important pour l’esprit français de le répandre que de le produire. L’un ne va pas sans l’autre1.
3Le raisonnement paraît irréfutable : l’impérialisme universaliste de la France est une conséquence nécessaire de l’universalisme impérial qui caractérise son « génie » et s’enracine dans l’essence de l’être-français. L’unicité, elle-même unique en son genre, de cette « âme » de la France, pour reprendre le mot de François Mauriac dans Les LF, suffit à expliquer que l’univers tout entier la lui envie – manque qu’elle est donc naturellement fondée à vouloir combler. Universalisme, idéalisme et messianisme sont indissolublement liés.
4Dans l’unanimisme relatif des années d’après-guerre, cette rhétorique du don inconditionnel, inspirée par une même propension à sublimer dans l’ordre désintéressé de l’art l’imposition intéressée de biens symboliques et matériels, imprègne de nombreux articles parus dans d’autres organes de la presse littéraire, à commencer par Les LF. On peut citer en guise d’exemple un texte d’André Billy, chroniqueur du Figaro et bientôt du FL, qui, sur trois colonnes à la une du journal du CNE, s’exclame le 9 juin 1945 : « Oui, Dieu est Français ! » Ce membre (athée) du CNE y affirme que Dieu, ou plutôt Némésis, déesse grecque de la vengeance et de la juste répartition des biens, est la « figure [la] plus représentative de notre génie national ». Il est en effet du devoir des politiques et des intellectuels français « de faire entendre [s]a voix dans le concert des nations » en vertu des valeurs de la Révolution française, celle-ci ayant instauré dans la société française un équilibre naturel et démocratique sans précédent dans l’histoire de l’humanité :
Ce n’est pas en tant que française que la Révolution a voulu soumettre le monde, c’est en tant qu’humaine ; elle n’a jamais eu l’ambition d’imposer ses chefs et ses cadres aux autres nations […] Le nationalisme issu de 89 a eu, comme tout ce qui sort de chez nous, un caractère égalitaire. Certes, il existe un impérialisme intellectuel français, mais il est égalitaire et la France n’y cherche aucun privilège. Mais allez faire admettre cela par un étranger !
5Billy n’hésite pas à qualifier l’expansionnisme français d’« impérialisme », vocable auquel ses confrères communistes confèrent un sens trop négatif pour l’appliquer à la France. Mais si cet impérialisme vise bien à « soumettre le monde », c’est dans la mesure où il n’est pas dominateur, mais animé d’un altruisme pur au service de tous les groupes humains sans distinction : un « impérialisme intellectuel égalitaire ». Son caractère non coercitif est la condition nécessaire et suffisante pour que la marche de l’« esprit français » soit unanimement approuvée. Claude Morgan, on s’en souvient, théorisait ce don comme une pure satisfaction d’un besoin dans lequel la France n’est pour rien. La violence de la conquête « intellectuelle » devient ainsi chose acceptable pour tous les protagonistes dès lors qu’elle est méconnue comme telle, au sens où elle passe inaperçue, et ce, d’autant plus qu’elle fait l’objet d’un travail de dénégation qui s’affiche comme étant constant et constamment réfléchi. Un an et demi après son incursion dans Les LF, Billy souscrira dans Le FL au diagnostic d’« un de nos confrères » (qu’il ne nomme pas, mais qui est bien celui que son journal appellera bientôt l’« hebdomadaire d’orthodoxie communiste ») sur la situation de l’« “Esprit français” » dans le monde (9 novembre 1946).
6Mais si l’organe du CNE arguait de la demande du public étranger lui-même, Billy témoigne d’une dénégation plus profonde en protestant du caractère fondamentalement anhistorique de l’« impérialisme intellectuel français ». Il se montre en parfait accord avec ses collègues du FL, tel André Rousseaux qui, quelque huit ans plus tard, illustre la grande inertie des habitus dans ce domaine :
Saint-John Perse va loin dans le jugement de lui-même quand […] il se peint comme « un animal essentiellement français » au centre d’une ambition d’universel. Mais c’est à la vérité même de la nature française qu’il correspond. Et le génie de notre langue est rappelé par ce poète à sa vocation, quand lges mots français sont pour lui les choses vivantes qui transfigurent les choses mortelles, dans la voie de l’intemporel et de l’infini. [2 mai 1953]
7À la différence des LF, Le FL est porté à préférer ainsi aux digressions politiques un langage plus philosophique et formaliste à travers lequel le débat politique peut se poursuivre en des termes euphémisés plus adaptés aux logiques du champ intellectuel2. En août 1946, une discussion sur la codification du français sera à l’origine d’une rubrique « Défense de la langue française » fondée sur le principe « dites—ne dites pas » et dirigée pendant un temps par André Gide, figure de proue de La NRF et lecteur déclaré de dictionnaires et de grammaires prescriptives, notamment celle du Belge Maurice Grevisse3. L’austérité scolastique de ces recommandations disparaît souvent derrière des pirouettes (auto-)ironiques, sous la plume de l’humoriste Paul Guth par exemple4, à moins qu’elles ne tournent à la polémique à l’occasion de réformes de l’orthographe annoncées à intervalles réguliers. Aucune de ces controverses ne donne lieu à une remise en question de la base française de la langue française qui, par exemple, conduit le dialectologue de la Sorbonne Charles Bruneau, chargé de la rubrique « La langue et la vie », à utiliser sans rire le mot « nationaliser » pour « franciser5 ». Mais il arrive qu’à travers les arguties orthographiques et autres, perce l’inclination à instrumentaliser la langue à des fins politiques, par exemple quand, en février 1957, un rédacteur estime que « notre pays peut légitimement recourir à d’autres moyens que l’extension de la langue française pour renforcer » l’influence de la France à l’étranger.
Une nation si respectable
8Les représentations associées à la Belgique et aux productions littéraires belges en général seront à nouveau dégagées des articles de fond du corpus, classés dans l’ordre chronologique6. La Belgique du FL n’est pas celle des LF. Dès ses premières livraisons, le nouveau périodique rend au voisin du Nord sa place de petite grande nation appréciée des classes dominantes internationales et affectionnée en particulier par la France. Ce traitement de choix rappelle le tout premier article que Le Figaro consacra à la Belgique dès la fin de l’Occupation et dans lequel le comte Wladimir d’Ormesson, ambassadeur de France et éditorialiste du journal, désignait la Belgique comme « notre sœur », usant ce jour-là d’une métaphore réservée aux grandes occasions7. Par la suite, dans les pages de l’hebdomadaire littéraire, le royaume coulera une existence paisible et n’aura à essuyer aucune « tempête » politique ou sociale dont Les LF, dans leur monde, font leurs grands titres.
9Aussi Le FL s’intéresse-t-il exclusivement à la Belgique comme lieu de production d’œuvres artistiques et scientifiques, c’est-à-dire à une Belgique dépolitisée, voire sans assise sociopolitique, une Belgique plus que neutre : neutralisée. Ce pays connaît le progrès, mais un progrès qui se cantonne dans les ateliers d’artistes et dans les laboratoires, la Belgique scientifique étant même perçue, en 1954, comme « toujours à l’avant-garde de la civilisation », civilisation abstraite, ou lointaine s’agissant par exemple de l’Institut des parcs nationaux du Congo belge. Encore faut-il préciser que l’« œuvre aux répercussions internationales » de cet institut (25 juillet 1953 et 17 juillet 1954) est l’exception à une règle qui veut que l’on ne s’attarde pas à la vie scientifique belge en tant que telle, avec son histoire et son organisation propres. Après la flambée d’articles suscités par l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958, cet intérêt spéculatif ne concernera plus que certains faits plus ou moins sensationnels8 ou quelques hommes de science hors du commun. C’est ainsi que Georges Henri Lemaître, astrophysicien et mathématicien de l’Université Catholique de Louvain dont « les robustes épaules wallonnes » soutiennent le monde à l’aide de sa théorie du big bang, est interrogé un soir dans son appartement, isolement que projette un regard journalistique étroit car peu informé sur les structures et infrastructures scientifiques du pays (25 mai 1957)9.
10Quant à la Belgique artistique, elle ne fait guère davantage l’objet d’articles synthétiques. Dans le domaine des lettres, c’est la rubrique historico-littéraire « Propos du samedi » d’André Billy qui s’avérera centrale.
11Texte 1 : André Billy, « Propos du samedi. Flamingants et francophones », FL 11 février 1950, p. 2.
12La première contribution consacrée à un aspect général de la Belgique ne date que de février 1950, autre indice d’un intérêt plus réduit que dans les pages des LF. Ayant exprimé son étonnement à propos du mot « francophone », le courriériste détaille sa vision sur le problème des langues et la place du français en Belgique. Il commence par reconnaître qu’il est
mal informé des dernières données du problème des langues outre-Quiévrain. Je suis, en somme, resté sur l’impression de tout le tapage soulevé après l’autre guerre par la défrancisation de l’Université de Gand. Je sais que, depuis, le flamand a numériquement réalisé de notables progrès en Belgique. Pourquoi son expansion ne se poursuit-elle pas sans bagarre ? Pourquoi ces vieilles rancunes ? Pourquoi ces haines, ces insultes ? Pendant les mille ans qui s’écoulèrent de Charlemagne à Napoléon, le bassin de l’Escaut fut civilisé par l’esprit français. Le premier livre imprimé à Gand fut un livre français. Le commerce flamand, magnifiquement développé au xvie siècle, se faisait en français. Après l’éclipse des guerres de religion, le français reprit toute son autorité en Flandre. Pas plus qu’à la grande époque classique, il ne fut question au xixe siècle de lui contester sa suprématie.
13Le Nord de la Belgique fut ainsi « civilisé par l’esprit français », représentation conforme à la théorie de l’expansionnisme pacifique. L’Université de Gand ne connut donc pas de néerlandisation, mais une « défrancisation ». Celle-ci, comme l’ensemble des progrès réalisés par le « flamand », produisit « bagarre », « rancunes », « haines » et « insultes », alors qu’aucune violence ne semble avoir marqué « les mille ans » qui paisiblement, comme le fleuve l’Escaut, « s’écoulèrent de Charlemagne à Napoléon ». De même, il est douteux pour l’auteur que le français fût vraiment ressenti comme une contrainte : « Les Flamands en souffraient-ils ? Cela se peut, je l’ignore ; j’en serais surpris. » Or, si la « défrancisation » est non dépourvue de « violence » et, du reste, si la progression du « flamand » ne s’est jusqu’ici montrée efficace que « numériquement », c’est parce que les « flamingants » sont d’abord animés d’un sentiment antifrançais. Comme la « querelle du flamingantisme » n’a « pris toute sa violence qu’après l’occupation allemande », les envahisseurs l’ayant attisée « dans une intention politique », la « tendance flamingante est donc nettement antifrançaise ». Si les « Flamands fanatiques détestent notre langue », ce n’est donc pas tant parce que la France « représente dans le monde le libéralisme intellectuel et politique » de Voltaire et d’Émile Combes (dont ils ont mal digéré la politique anticléricale), mais parce que, sans avoir pour autant de « sympathies hitlériennes », ils préconisent une « mystique du peuple » qui « rejoint celle d’outre-Rhin ».
14Tout au long du texte, la Belgique apparaît comme une société largement créée par le modèle français, par une langue universelle grâce à l’« esprit » qui lui est consubstantiel. À partir d’une telle vision simplifiée de l’histoire, le « problème linguistique » se trouve rabattu sur sa dimension culturelle. Est ainsi dénié le caractère politique d’un article qui se donne pour une analyse culturelle – et même littéraire :
Nous autres « Latins » […] sommes tout prêts à leur [aux flamingants] manifester [une sympathie] à l’intérieur d’une libre et loyale concurrence. Car, après tout, l’épanouissement d’une belle et riche littérature flamande de langue flamande ne pourrait que nous réjouir. La France n’a jamais été xénophobe en matière d’art et d’idées. Je l’ai dit aux jeunes Canadiens qui renient la culture française : une littérature canadienne autonome enrichirait au bénéfice de tous le trésor de l’humanité et la France y trouverait son bien. Pour le moment, nous sommes obligés de reconnaître que ce que la littérature flamande a apporté au patrimoine universel a été presque exclusivement d’expression française.
15Si Billy se disait d’entrée de jeu « mal informé des dernières données du problème des langues outre-Quiévrain », il se montre ici encore moins bien informé, beaucoup moins bien en tout cas qu’un Henri Membré dans Les LF. Mais il rejoint son confrère sur l’appartenance à une « littérature flamande » bilingue des grands écrivains belges « d’expression française ». Se dessine ainsi en filigrane le visage d’une Belgique à la fois unie et bi-ethnique, en proie à une « querelle de famille » à propos de laquelle le chroniqueur s’interdit pourtant tout commentaire explicite et conseille « aux Français » d’en faire autant. Face aux nombreuses réactions venues de Belgique, ce chroniqueur littéraire éminemment politique qui se dénie comme tel répétera que la « politique, et surtout la politique intérieure, d’un pays voisin, si ami soit-il du nôtre, n’est à aucun degré notre affaire » (25 février 1950). Pour Les LF en quête d’alliances intellectuelles, les rapports avec les « amis belges » impliquaient un devoir de réserve visant à ménager la chèvre flamande et le chou wallon. Au rond-point des Champs-Elysées, la prudence diplomatique est également de mise, mais au profit d’une unité belge garantie par la langue française, c’est-à-dire au profit des intérêts de la France. Le lecteur n’en saura pas plus sur un pays déjà largement dépolitisé et déshistoricisé. Rien d’étonnant dans un texte où même des formules comme « le libéralisme intellectuel et politique » ou « une libre et loyale concurrence » (cf. supra) sont sublimées dans l’ordre « intellectuel » et ne désignent plus ce qu’elles désignent pourtant noir sur blanc : les fondements politiques des options rédactionnelles.
16Texte 2 : André Billy, « Propos du samedi. La Belgique jugée par Baudelaire », FL 20 décembre 1952, p. 2.
17Trois mois avant que Jean Marcenac, dans Les LF, n’y voie l’expression d’« une révolte vraie, venue du monde tel qu’il est », Billy baptise Pauvre Belgique du nom de « satire », catégorie légitime de textes achevés et archivés par l’histoire littéraire. S’interrogeant sur la férocité de Baudelaire, il évite d’incriminer qui que ce soit, du poète, des Belges ou, à la différence de son confrère communiste, des Français. Il se borne à constater que le poète mettait, « à quelques nuances près, la Belgique et la France au même niveau de son mépris ». Cela dit, lui aussi invite ses lecteurs à prendre exemple sur les Belges, mais en tant qu’ils « ont eu le bon esprit de reconnaître ce qu’il pouvait y avoir de fondé dans la diatribe baudelairienne ». Et d’en conclure : « Voilà une liberté de pensée moins répandue qu’on ne croit chez nous où le moindre dénigrement de nos mœurs venu de l’étranger est trop souvent ressenti par nos compatriotes comme une offense personnelle et un blasphème. » À nouveau, le modèle de la « liberté » remplace celui du « peuple ». Enfin, plutôt que de voir dans la malchance et la maladie les causes du délire du poète revanchard, il les transforme en circonstances atténuantes. En somme, le chroniqueur du FL laisse Baudelaire libre de « juger la Belgique » comme il l’entend (cf. le titre de son billet), tendant à faire respecter à la fois la licence poétique d’un auteur irréprochablement classique et l’honorabilité de deux nations liées par les liens d’« amitié » que l’on sait. Exercice de haute voltige auquel ne peut se livrer avec bonheur qu’un diplomate des « relations littéraires franco-belges » comme cet ancien élève des jésuites devenu académicien Concourt.
18Texte 3 : [Rédaction], « Dans la semaine. Fastes à Bruxelles », FL 13 février 1954, p. 3.
19Le texte suivant atteste à quel point l’attrait des mondanités dont ces « relations » sont l’occasion, s’exerce sur une équipe d’écrivains-journalistes dont la position et les prises de position sont ajustées à celles des milieux qu’elle observe avec une admiration amusée :
Ce fut une grande soirée ! Cinq salles, autant d’orchestres, deux mille six cents invités, des robes du soir, des habits, des décorations en quantité, vingt mille œillets rouges et blancs de la Riviera italienne. Le tout sous le signe d’Anvers, ville d’art et grand port moderne. Le ministère belge des Affaires étrangères offrait, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, son bal annuel.
Les personnalités dans la salle étaient innombrables et des vedettes étaient en attraction. Quelles vedettes ! L’accord [culturel] franco-belge sous le signe du « grand art » était égal aux liens de l’amitié.
20Ces liens se caractérisent par l’évidence avec laquelle l’échotier considère que, mis à part les personnalités diplomatiques, les « vedettes » invitées par le ministère belge doivent toutes être françaises : Line Renaud, Fernandel, Martine Carol « aux paroles brèves et définitives sur l’amitié franco-belge », etc. C’est qu’ils occupent une place déterminante dans l’image que se font les rédacteurs des rapports entre les deux pays et des relations entre « leurs » littératures. « Amitié » ne qualifie pas tant l’entente entre deux peuples (idéalisée par le concurrent procommuniste) qu’elle constitue une figure de style qui adoucit ou fait écran à la réalité sociale : la métaphore de l’alliance objective entre intellectuels belges dominants et intellectuels français dominants, et, au-delà, entre deux champs du pouvoir dont on se garde bien de dire que l’un domine l’autre.
21Texte 4 : Maurice Chapelan, « Quinze habits verts à Bruxelles », FL 26 avril 1952, p. 3.
22On voit ainsi que ce qu’il est convenu d’appeler les « relations littéraires » (franco-belges, etc.) fait pendant, dans l’ordre littéraire, aux relations diplomatiques (franco-belges, etc.). Dans les colonnes du FL, elles structurent les représentations en matière de littérature étrangère et sont structurées par les liens de coopération entre les institutions de la vie littéraire internationale, à commencer par les académies. Cette coopération est elle-même institutionnalisée à travers, notamment, l’Union académique internationale fondée en 1919. La langue officielle en est le français et elle siège à Bruxelles, « le secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique en étant ex officio le secrétaire administratif10 ». C’est en mettant en valeur toutes ces institutions comme autant d’incarnations d’un passé et donc d’un présent glorieux que l’hebdomadaire promeut le modèle de la « littérature nationale » qu’il défend pour la nation française.
23Bon nombre d’articles mettent l’accent sur cette communauté de vues, laquelle est aussi, dans le cas de la Belgique (de la Suisse, etc.) renforcée par la croyance dans la « communauté de langue ». Il s’agit généralement de comptes rendus de manifestations d’« amitié » qui ont pour cadre les milieux politico-mondains (ambassades, réceptions académiques, etc.). En novembre 1937, la presse française avait couvert la visite de l’ARLLF à l’Académie française dans le cadre de l’Exposition universelle de Paris. Pareille visite s’était déjà produite en mai 1921, année de l’installation de l’académie fondée par le roi Albert selon les vœux de son ministre des Sciences et des Arts, Jules Destrée. Dix ans plus tard, elle avait à son tour reçu les « immortels ». Le présent articulet de Chapelan annonce que quinze académiciens français vont à nouveau rendre la politesse à leurs pairs belges à l’occasion de la double réception de Georges Simenon et de Roger Bodart à l’ARLLF, le 10 mai 1952. L’importance numérique de la délégation du quai Conti tient probablement aussi au fait que, ce jour-là, l’on pourvoit sous la Coupole au fauteuil du maréchal Pétain, radié en 1945.
24Dans ce type d’article, chaque détail vaut, pour ainsi dire, son pesant de capital symbolique international. Les Français seront reçus « au palais royal, où le roi Baudouin donnera en leur honneur le premier déjeuner officiel de son règne, renouant ici avec la tradition de son grand-père Albert Ier, grand ami des lettres11 ». Ce déjeuner sera suivi d’une séance de travail au Palais des Académies, puis d’un thé à l’ambassade de France rehaussé par la présence de la reine Élisabeth, d’un repas chez le premier ministre Jean Van Houtte et d’un cocktail offert par l’ambassadeur de Belgique à Paris, le baron Jules Guillaume12. Ce dernier est l’organisateur d’autres solennités dans le cadre de son ambassade située place de l’Etoile. Personnification de la conjonction des relations diplomatiques et des relations littéraires franco-belges, il avait déjà réuni les deux compagnies au mois de juillet 1949, dans son château de Saint-Nom-la-Bretèche, non loin de Paris. Toujours sur l’invitation de l’ambassadeur, mais cette fois dans sa résidence de la rue de Suresnes à Paris, l’Académie française rencontrera ses consœurs belges, l’ARLLF et la Koninklijke Academie voor Taal- en Letterkunde, le 8 novembre13. C’est encore lui qui fut à l’origine, en mai 1953, d’une importante rencontre de cinq jours, dans l’ancienne abbaye (devenue centre culturel) de Royaumont, entre une soixantaine d’écrivains des deux pays, rencontre financée dans le cadre de l’accord culturel franco-belge et présidée par François Mauriac de l’Académie, Georges Duhamel, président de l’Alliance française et ancien secrétaire perpétuel de l’Académie, et Georges Lecomte, secrétaire perpétuel14.
25Enfin, Chapelan n’omet pas, sous cette ironie omniprésente qui tient souvent lieu d’analyse dans le journal, de mettre le doigt sur ce qui lui paraît excessif dans le comportement des Belges : « Le “quinze” français aura ses habits verts dans ses valises. Quant aux épées – dont ils ont baptisé “cercueil” le fourreau incommode – chacun s’est énergiquement refusé à s’en encombrer. Comme nos amis Belges [sic] y tiennent, à ces épées, ils viendront les chercher eux-mêmes en camionnette ! » Le chapitre 5 est en grande partie consacré à ce transfert lourd de signification.
26Texte 5 : Paul Guth, « L’amour de la poésie s’est-il réfugié en Belgique ? », FL 30 octobre 1954, p. 1 et 4.
27Autant les « relations littéraires franco-belges » sont décrites avec tout le réalisme naïf dont savent faire preuve des journalistes à l’aise dans un univers ressenti comme familier, autant la perception de la vie littéraire en Belgique même, beaucoup plus décousue, est compensée par les produits de leur imagination. Comme celle-ci n’associe guère à ce pays que des représentations stéréotypées, circuits peu ou prou fermés de signifiants empêchant la curiosité de naître, elle débouche la plupart du temps sur un discours embarrassé – c’est le « je suis mal informé » de Billy – ou teinté de cette ironie légitimée d’avance par les traditions de la maison. C’est cette ironie qu’illustre le dernier texte relatif à la Belgique.
28Ce reportage est bricolé à l’aide des stéréotypes dont il vient d’être question, l’évidence qui les entoure étant redoublée par l’illusion de transparence que génère la présumée « communauté de langue ». Il s’articule plus particulièrement autour du stéréotype de la Belgique comme « terre de Poésie », que l’on retrouve dans d’autres articles et qui confirme à chaque fois ce pays dans le rôle qu’on lui « connaît » à Paris, celui de terre nourricière pour un genre flétri en France par la culture extensive du roman :
En France, l’écrivain-type est le romancier. Le Prix Goncourt gorge d’or un faiseur de romans. Si on criait à un gardien de la paix : « Va donc, eh, poète ! », on serait peut-être condamné. En Belgique, l’écrivain-type est le poète. Les hauts fonctionnaires, les barons, les sénateurs sont poètes, comme les instituteurs ou les employés de mairie.
29La principale opposition générique est ainsi naturalisée sous l’effet d’un principe de division géographique. Et l’auteur d’illustrer son propos à l’aide des Biennales internationales de Poésie de Knokke-le-Zoute et des Midis de la poésie. Créés en 1948 par Sara Huysmans (attachée de cabinet pour les Beaux-Arts et fille de Camille Huysmans, alors ministre de l’instruction publique), Roger Bodart (poète et conseiller littéraire au même ministère) et Honoré Lejeune (poète et inspecteur des bibliothèques publiques), les Midis de la poésie rassemblent chaque mardi à Bruxelles un public d’amateurs de poésie :
La poésie a deux bouches, comme Janus avait deux fronts. L’une se nourrit, sobrement, de sandwiches à cinq francs belges, l’autre évoque les poètes du présent ou du passé, de Belgique ou du reste du monde, par le truchement de poètes, de comédiens, de conférenciers.
Chaque mardi on alloue ici quarante minutes à la première de ces bouches, au buffet.
[…]
Quand on a nourri la première bouche, on accorde quarante-cinq minutes à la seconde : 12 h 40 à 13 h 30 [sic]. Horlogerie sévère.
30La naturalisation du genre de la poésie est redoublée par la carnavalisation de ce haut-lieu de lyrisme que serait la Belgique. Le lecteur peut y aller voir, de ses propres yeux, une communauté d’aèdes unis dans la kermesse breughelienne « comme les convives s’entassent dans [un] tableau de Jordaens ». Que le principe de naturalisation générique s’applique ainsi sous le signe de la plaisanterie ou non15, il n’en demeure pas moins un principe d’exclusion qui fait coïncider les goûts littéraires en Belgique avec un genre dominé et les enferme dans le cul-de-sac régionaliste16. Et il s’agit des goûts de tous les Belges, car Guth n’oublie pas de préciser que les « Flamands aussi reçoivent leur ration de poésie, tous les quinze jours, à midi ».
31Cette imagerie d’Épinal donne au « royaume de poésie » belge un air déconcertant pour les habitants du « terroir de Descartes », attachant peut-être, irréel à coup sûr. Après la dépolitisation, la Belgique se voit ainsi fictionnalisée. Malgré une pléiade de noms cités, les poètes belges n’ont guère plus de consistance que le menu peuple représenté par les peintres des xvie et xviie siècles. Mais l’auteur du cycle des Naïf entamé l’année précédente, auteur voué à la défense d’« un idéal de sincérité généreuse, face à la perfidie de la société française actuelle17 », ne pense pas qu’à la Belgique. Son reportage est aussi empreint d’« un certain défaitisme18 » devant le déclin de la poésie en France et même de nostalgie d’une certaine poésie robuste et simple. Comme dans Les LF, le voisin du Nord aurait quelques vertus dignes d’être imitées en France. Mais là s’arrête la comparaison. Alors que la couverture de la Belgique par l’hebdomadaire proche du PC est déterminée en priorité par une ligne politique volontariste (« progressiste »), les collaborateurs du FL se laissent d’abord guider par des impératifs journalistiques : d’une part, la primauté donnée à l’actualité éditoriale et mondaine qui ne craint pas le sensationnalisme et, de l’autre, un style décontracté, voire enjoué qui, vécu comme une « liberté » d’écriture, relève de la conception locale de l’éthique journalistico-littéraire et fait diversion aux fortes traditions professionnelles du Figaro. Ces contraintes renvoient à une vision politique d’inspiration libérale conservatrice. Elles contribuent à donner une image fictive, à savoir neutralisée de la vie sociale belge. Le résultat est une Belgique figée dans quelques-unes de ses hardiesses du passé et dans des poses exotiques et comiques présentées comme ses traits contemporains.
32Le ton des textes généraux contraste ainsi avec l’attitude de respect envers la nation belge qu’affichait traditionnellement la rédaction du quotidien. La chronique de Billy, savant mélange d’histoire littéraire (lansonienne) et d’actualité, est la principale survivance de ce traitement d’un pays qui ne brille plus guère que par un prestige devenu inoffensif. Le vieil historien de la littérature l’observe avec une bienveillance amicale où entrent déférence à l’égard d’un voisin européen et sympathie pour un État de langue française. Cela dit, cette sympathie résulte d’une histoire elle aussi fictive dont la scène originaire est la conquête de la Belgique par la langue et la culture françaises, langue et culture intrinsèquement égalitaires et salutaires. Cet égalitarisme rappelle celui, irénique, qu’imaginait en 1937 le Groupe du Lundi (cf. introduction), lequel voulait croire qu’il existait, dans le domaine culturel et, plus spécialement, littéraire « français », quelque chose comme une égalité des chances. En réalité, la conception du critique du FL s’appuie sur la position de la France comme berceau de la langue française et de l’égalitarisme révolutionnaire, position qui donne à ce pays le droit de hiérarchiser et de « soumettre le monde », en commençant par la Belgique. Quant aux reporters du journal, trop jeunes pour avoir été témoins de l’effervescence intellectuelle sous Léopold II, ils ne sont plus motivés à éprouver le même sentiment que leur aîné et ont tendance à ironiser au sujet d’un petit pays dont ils perçoivent les différences comme des écarts émouvants, sinon amusants.
La Belgique apprivoisée
33À l’opposé de ce qu’André Rousseaux appelait l’« ambition d’universel » de la France, se situe le « régionalisme », étiquette frappée de discrédit et apposée sur tout ce qui est défini négativement comme subnational. En 1946, Billy accorde d’autant moins de valeur à la littérature régionaliste que celle-ci est à peine encore visible : « [L’attribution de tel prix littéraire] nous rappelle tout à coup qu’il a existé une littérature régionaliste. Peut-être même existe-t-elle encore. En tout cas, elle ne fait plus guère parler d’elle » (29 juin 1946)19. Trois ans plus tard, il enfonce le clou en décrétant que, « oui, la littérature régionaliste a perdu son dynamisme et son intérêt » (30 avril 1949). Mais il n’en est pas moins sévère avec la littérature nationale, dont il déplorera vers 1955 « le peu d’animation20 ». En octobre 1956, las du manque de combativité des écrivains, il se référera longuement à l’œuvre audacieuse d’« un écrivain aujourd’hui oublié, qui a tenu dans la vie littéraire une place importante », Fernand Divoire, poète et journaliste dont il ne dit pas qu’il fut Belge21 et rédacteur en chef du quotidien nationaliste L’Intransigeant, ainsi que collaborateur à Je suis partout en 1944, ce qui lui valut de figurer sur la « liste noire » du CNE22. En fait, il s’avère que littérature régionaliste et littérature nationale se rendent toutes deux coupables d’un défaut de vitalité. Regrettant cette carence pour la littérature des terroirs, le chroniqueur décide en 1950 de s’armer de la bonne humeur qui est à son journal ce que le sérieux est aux NL et la dramatisation aux LF pour faire un tour de France des talents provinciaux. Intitulé « La vie littéraire en province », ce cycle mènera le lecteur « En Bretagne, terre des miracles dont le moindre n’est pas de nous offrir l’image d’un Guilloux heureux » (26 août 1950), « Au Pays basque, [où] les poètes ont le cœur pur, mais [où] le bifteck […] prend parfois sa revanche sur l’alexandrin » (16 septembre 1950), etc. Mais le régionalisme aura recouvré toutes ses forces, lorsqu’il s’agira pour Billy de l’opposer au « matérialisme où le monde slave, niant et reniant sa vocation, essaie d’entraîner l’Occident » (10 février 1951) – flèche lancée en direction du concurrent communiste.
34L’exclusivisme national devient patent dans les articles qui traitent des francophones ou d’un aspect de la francophonie. Il faut d’abord observer que ces deux mots mettront quelque quatre-vingts ans à se répandre après leur apparition en 1880 sous la plume du géographe Onésime Reclus et qu’ils étaient toujours peu usités dans les milieux intellectuels parisiens de 1950. Cette année-là, on voit Billy tout bonnement s’étonner de ce que les Belges « francophones » aient recours à ce barbarisme à proscrire :
Nous avons le téléphone, le dictaphone, le gramophone ; nous avons aussi l’adjectif aphone. Francophone serait-il un mot nouveau, employé depuis peu chez nos voisins du Nord ? […] Faut-il l’avouer ? Francophone ne me plaît pas beaucoup.
Phone s’entend de la voix, non de la langue, et désignerait à la rigueur quelqu’un qui a l’accent français plutôt que quelqu’un qui parle français23.
35Billy s’imagine, de manière significative, que ce néologisme de mauvais goût a été créé par un Belge, José Vial, président de la « Section des Flandres » de l’Association des écrivains belges, dans sa brochure Explication d’un [sic pour « du »] francophone24. À remarquer de même que Le FL ne s’intéresse ni aux productions canadiennes de langue française, plus ou moins inexplorées jusque vers25, ni même aux productions de l’ex-Empire. En mars 1947, Billy, toujours aussi loquace, consacre au Canada l’un de ses « Propos du samedi », mais c’est d’abord pour tenter de savoir ce que l’on y « pense de nous ». Quant à la littérature dans ce pays (il n’est pas question en particulier du Québec), voici ce qu’il en dit quelques mois plus tard :
Je dois avoir l’esprit bouché […] je n’arrive pas à comprendre comment la littérature canadienne de langue française pourrait cesser de dépendre de ce que l’on peut appeler la littérature française universelle, laquelle comprend les littératures françaises de France, de Wallonie, de Suisse romande. Et du Canada, en attendant que l’on y ajoute la littérature française d’Afrique du Nord […] Aussi longtemps que les écrivains franco-canadiens écriront en français, ils feront bon gré mal gré de la littérature française. La forme et le fond sont inséparables […] Que les écrivains franco-canadiens se séparent de nous sur le plan des idées, des tendances philosophiques et politiques, de certaines façons de sentir, etc., soit ! On ne leur demande ni de sentir ni de penser comme nous ! Nous verrions même avec plaisir le Canada devenir un foyer spirituel, créateur de valeurs nouvelles entièrement originales. Pourquoi pas ? Ce jour-là, la littérature franco-canadienne ne cesserait pas pour autant d’avoir eu la France pour mère et de continuer [sic] à dépendre d’elle au moins pour le langage. Les faits sont les faits, l’histoire est l’histoire et les plus légitimes amours-propres nationaux n’y changent rien26.
36Dans un esprit d’œcuménisme intellectuel, ce texte commence par regrouper les œuvres francophones au sein d’une « littérature française universelle », dont la « littérature française de France » ne serait qu’un élément parmi d’autres. Mais le mot « universel » voit ensuite sa signification spécifiée, à savoir francisée, à la faveur de la distinction entre le « langage » et les « idées » (« tendances philosophiques et politiques », etc.) ou entre le code écrit et le reste (« etc. »)27, ou encore entre « la forme et le fond », en principe parfaitement séparables d’un point de vue littéraire, mais « inséparables » en l’espèce. Dans chacun de ces couples antinomiques, c’est le premier terme (« langage », etc.) qui est présenté comme supérieur au second (« idées », etc.), conformément à la position de l’hebdomadaire dans le champ de la presse littéraire28 et à la position de l’auteur dans ce dernier et dans le champ littéraire. La doxa franco-universaliste, qui s’origine dans une propension extraordinairement ordinaire à universaliser le point de vue français (« on[…] on[…] on »), en vient presque ici à trahir son caractère particulier à travers cette réaction désinvolte et narquoise (« Je dois avoir l’esprit bouché », « nous », « nous ») à une situation qui en conteste objectivement les fondements. Mais l’auteur fait appel au bon sens de son lecteur canadien-mais-d’abord-français pour balayer ces objections avec la superbe qu’autorise la position de l’un des critiques les mieux placés pour le faire (« Les faits sont les faits, l’histoire est l’histoire », etc.). Critique parmi les plus expérimentés aussi : pendant plus de dix ans, ce natif de Saint-Quentin, ancien séminariste « monté » jeune à Paris pour y faire fortune, apprit à ses dépens, comme écrivain à gages pour les journaux et comme romancier publiant à compte d’auteur, ce qu’est le centralisme intellectuel et littéraire français29.
37Le passage insensible de l’échelle universelle à l’échelle nationale s’effectue à la faveur d’un amalgame de « la littérature française universelle », de « la littérature française » et de la littérature française (« nous »). Ce texte illustre ainsi toute la force rhétorique de la confusion homonymique sur le qualificatif « français », qui autorise l’appellation « littérature franco-canadienne ». Malgré ses éventuelles « valeurs nouvelles » non linguistiques et donc secondaires, cette littérature « ne cesserait […] d’avoir eu la France pour mère et de continuer à dépendre d’elle au moins pour le langage ». « Ne cesser de continuer à dépendre » : l’entorse à la langue traduit bien l’empressement à conjurer la menace d’une dissidence, elle est l’expression même du conservatisme franco-universaliste des années 1944-1960. Echantillon idéaltypique du discours hexagonal sur les productions littéraires francophones non françaises dont Le FL est l’un des nombreux diapasons, ce texte est ainsi structuré par ce que le même auteur contestait lui-même dans sa profession de foi de juin 1945 sur l’égalitarisme de l’« impérialisme intellectuel » : une notion de dépendance. Cette dénégation participe d’une propension à euphémiser les rapports de force, eux-mêmes immuables et inscrits dans l’ordre des choses (« l’histoire est l’histoire »). Pour ceux qui, dans cette lutte, occupent la place de la « mère » française, le fils refusant de « dépendre » d’elle ne peut alors agir que par un excès d’« amour-propre ». Si Billy se veut ironique en se disant « avoir l’esprit bouché », l’analyste doit aussi le prendre au sérieux.
38Il faut maintenant vérifier ce qu’il en est des écrivains belges et de leurs œuvres : les commentaires qu’ils suscitent tendent-ils également à les intégrer dans la littérature française « universelle » ? 836 textes de collaborateurs français portent sur un aspect, un événement, etc. lié à la Belgique (contre 601 pour Les LF). 29,5 % sont des recensions de livres ou des critiques théâtrales, proportion faible qui s’explique essentiellement par un intérêt prononcé pour la vie littéraire et ses à-côtés mondains. Ce sont surtout les échos qui, progressivement, se multiplient et se répandent sur la plupart des pages de l’hebdomadaire, comblant le moindre espace libre. Qu’il soit signé (c’est le cas de la chronique de Billy) ou non, ce courrier atteint la proportion considérable de 44 % du nombre total de textes. Aussi ceux-ci se concentrent-ils là où les communiqués et autres brèves occupent le terrain. Toutefois, il convient aussi d’insister sur l’importance des textes plus élaborés (en plus des interviews, reportages littéraires, documents inédits, etc.) : rez-de-chaussée de Rousseaux, chroniques de Billy, « Romans de la semaine » de Jean Blanzat et feuilletons théâtraux de Jacques Lemarchand (en tout, 17 % de la production).
39Le FL dispose d’une vision historique sur les productions belges plus informée que Les LF. Cette différence correspond à celle entre une tradition rédactionnelle qui tend à couvrir l’actualité en privilégiant une vision dépassée, sinon passéiste des activités artistiques, et un projet futuriste qui ambitionne de réécrire l’histoire de ces activités. Mais le traitement de l’histoire littéraire belge n’en est pas pour autant exemplaire au FL. C’est ce que montre, entre autres, le discours sur les « classiques » belges. Tandis que ses œuvres ne font plus l’objet d’aucun commentaire, on continue de suivre les allées et venues de Maeterlinck, monstre sacré de la littérature universelle, « véritable sage » qui n’attend « aucune reconnaissance pour son travail30 ». Mais le « vieux maître » est aussi le « grand écrivain belge » au « fort accent belge » et aux « gestes de Flamand ». Pareil Belge-Flamand évoque « d’un coup le Nord » et, plus précisément, « la ville du Nord ». Avec ses « serres qui miroitent sous un ciel de Vermeer » – l’envie de multiplier les stéréotypes flamands conduit ici aussi à flamandiser certains peintres hollandais —, cette ville « confond la foule des ouvriers des fabriques et les ombres des soldats et des inquisiteurs31 ». À lire ces articles, c’est autant cet univers auquel se trouve réduite son œuvre que le fait d’en être un personnage typique qui valent au Prix Nobel d’être toujours au sommet de sa gloire. Au moment de sa mort en mai 1949, Gérard Bauër aura cette phrase qui en dit long sur la position qu’occupait alors en France le « maître venu des Flandres » : « Une symbolique personnelle donnait à ces signes flamands [« eau dormante », « appels de cloches », « voix imprécises »] une originalité certaine » (14 mai 1949). La remarque de cet ancien du Figaro, assez représentative des stratégies de condescendance discursives des (critiques) dominants32, confirme que le crédit de Maeterlinck ne tenait plus guère à ce moment-là, dans un organe comme Le FL, qu’à un fonds de « signes flamands » dont il est tout de même précisé que l’écrivain en fit une utilisation « personnelle ». On retrouve le réseau de stéréotypes dont il a déjà été question et qui est projeté dans l’œuvre de manière d’autant plus mécanique que l’École et la critique elle-même ont appris à le faire.
40Ainsi réduit à un être-Flamand, c’est-à-dire détaché du mouvement littéraire national et international qui le porta au devant de la scène, le « dramaturge gantois », une fois disparu, tombera dans l’oubli et ne sera plus cité qu’en relation avec Pelléas et Mélisande, « chef-d’œuvre de Debussy » et « grand “moment” de la musique française » (17 janvier 1953 et 3 mai 1952). « Dix ans après… le purgatoire. », résume Chapelan qui donne la parole à neuf intellectuels français « sur la “position” actuelle de l’auteur de Pelléas » (16 mai 1959). Maeterlinck évoque « un romantisme un peu échevelé » à la romancière Claire Sainte-Soline, « une espèce d’ogre » à Lise Deharme (l’ancienne « égérie » des surréalistes autour de Breton publie la même année un conte de fées pour adultes), une œuvre « ni présente, ni nécessaire » à l’éditeur de Mallarmé dans la Pléiade Henri Mondor de l’Académie, quelqu’un qui « est très loin d’[elle] » à la secrétaire générale de La NRF Dominique Aury (laquelle demande à l’enquêteur si, « dans Pelléas et Mélisande, la pièce est bien de lui »), et au poète-romancier Jean Cayrol un « sentiment » qui « tourne autour de Debussy ». François Nourissier, le plus jeune répondant (né en 1927), n’a « pas lu une ligne de Maeterlinck » et déclare ne connaître « personne, parmi les gens de [s]on âge, avec qui [il] en ai[t] parlé ou qui en ait parlé devant [lui] ». À l’opposé, Breton, André Pieyre de Mandiargues et surtout le biologiste Jean Rostand expriment leur admiration pour l’auteur des Serres chaudes, Julien Gracq regrettant pour sa part (avant René Lacôte dans Les LF) « que Maeterlinck ait été en somme exproprié par Debussy ». Mais la mémorialiste Denise Bourdet, dès la semaine suivante, renvoie l’écrivain dans son purgatoire en affirmant qu’on est d’autant plus fondé à tenir Debussy pour l’auteur de Pelléas et Mélisande que le compositeur semble avoir eu « la prescience de l’œuvre littéraire qu’il lui fallait trouver ». La publication de trois pièces inédites de Maeterlinck suscitera encore quelques lignes – cette publication « va peut-être marquer, pour Maeterlinck, la sortie de ce “purgatoire” auquel peu d’écrivains illustres échappent après leur mort » (9 mai 1959) —, avant qu’André Billy, tout à son œuvre de relativisation historico-littéraire, ne déplore en septembre que le lancement d’un jeune écrivain nécessite désormais « tout un orchestre plus ou moins rétribué », regrettant le temps où la une du Figaro suffisait pour lancer un Maeterlinck.
41À lire les commentaires qu’il occasionne encore dans les premières années de l’après-guerre, Émile Verhaeren apparaît lui aussi comme l’un des premiers et des derniers représentants d’une « littérature nationale » dont on rabat l’originalité sur son élément « flamand ». Fait toutefois davantage l’unanimité sa contribution à la littérature française, celle d’un « maître du symbolisme, qui a profondément marqué les jeunes poètes de son temps33 ». Billy regrette cette gloire étiolée : dans sa maison de Barbizon d’où il envoie son billet hebdomadaire, il se souvient que « Verhaeren était pour nous, quand nous étions jeunes, l’égal en importance d’un Verlaine et d’un Mallarmé34 ». La sortie de deux biographies (l’une de Franz Hellens, l’autre d’André Mabille de Poncheville) est l’occasion pour lui d’appeler de ses vœux le retour du poète, qui est, selon l’expression de son confrère Hugues Fouras, « au plus creux de [s]a gloire35 ». Mais Billy aura beau s’émouvoir de cette situation en s’interrogeant sur « les causes de l’espèce d’indifférence dont souffre Verhaeren de la part de la nouvelle génération », lui qui « a été un des dieux de la [s]ienne » (20 juin 1953), il ne pourra empêcher que, en 1955, le centenaire de la naissance du poète, avec ses nombreuses manifestations prestigieuses en Belgique et en France, soit relégué aux échos. Mais aussi la vie du poète, qui eut certes « une jeunesse débridée, truculente, bien flamande », fut-elle à tout prendre « unie et heureuse » : « C’était un optimiste », écrit Billy, et telle est « la vraie raison du peu d’intérêt que lui porte la génération de révoltés et d’angoissés » (à l’œuvre notamment dans Les LF). Les causes de l’oubli, loin d’être rapportées aux rapports de force franco-belges, s’appellent « matérialisme de moins en moins accessible au sentiment » sur le plan social et « plus d’étroitesse et de cérébralité » en poésie. Le FL défend d’autres valeurs. En guise d’annonce d’une exposition Verhaeren à la Bibliothèque nationale à Paris, la rédaction révèle en première page, portrait de l’écrivain à l’appui, qu’il « coiffait un haut de forme pour écrire » (19 novembre 1955). Manière pour elle de commenter l’actualité en France du poète, qui a désormais l’actualité à laquelle s’attend plus d’un lecteur du Figaro (Littéraire) enclin à se reconnaître dans ce Verhaeren embourgeoisé. La formule « Verhaeren n’est pas oublié en Belgique » surmontant quatre ans plus tard quelques lignes sur de nouvelles expositions outre-Quiévrain revient à dire qu’il l’est en France.
42Quant à Georges Rodenbach, qui forme avec Maeterlinck et Verhaeren un trio quasi inévitable (notamment dans les manuels scolaires), son nom ne fera pas la moindre apparition au cours des années 50, sauf une fois sous la plume de Billy qui en parlera d’ailleurs en des termes étonnamment hésitants : « Je crois aussi que le petit roman de Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, contribua pour beaucoup à faire aimer et respecter chez nous la Belgique » (14 décembre 1957). Le passé littéraire belge est ainsi miniaturisé et figé en un univers aussi immuable que rassurant, en ce que ses « signes flamands » sont ceux-là mêmes que n’importe quel lecteur peut retrouver en ouvrant telle ou telle œuvre « bien » connue. Dans ce décor de Van Eyck, les pionniers que furent Maeterlinck et ses pairs sont devenus des personnages fictifs qui, coupés de la vie littéraire de leur temps, et d’abord les uns des autres, sont toujours plus condamnés à se conformer au conformisme historico-littéraire « flamand ». Cette flamandisation est d’autant plus anesthésiante qu’elle opère de préférence dans les entrefilets du courrier littéraire, avec ses avis de décès et autres annonces de manifestations commémoratives – courrier mondain placé sous le signe de la mort, laquelle est le préalable à la consécration ou, pour le plus grand nombre, à une légitimation provisoire, avant le purgatoire ou l’oubli. Ce courrier concerne en premier lieu Verhaeren, objet, on l’a vu, de nombreuses solennités36, et, dans une moindre mesure, Maeterlinck et quelques autres contemporains, comme Van Lerberghe. Il porte aussi sur des écrivains dont le souvenir paraît d’abord lié à un séjour prolongé à Paris entre les deux guerres (par exemple, le poète Mélot du Dy ou le romancier André Baillon) ou qui, moins légitimes, ne sont cités qu’en raison de leur décès (le dramaturge Romain Sanvic ou le poète René Lyr).
43Pour ce qui est des écrivains contemporains, si l’un d’entre eux est présenté comme davantage que l’auteur de tel livre disponible à Paris, il le doit généralement à sa présence physique, même éphémère, dans la capitale française. Selon son degré de légitimité du moment, tributaire en partie de ses publications à Paris, on lui consacre alors une phrase (le 26 décembre 1953, la « romancière belge Simone Bergmans, l’auteur de Moi, ce Malade, est pour quelques jours à Paris »), quelques lignes avec une photographie (c’est le cas de « Chelderode à Paris », le 19 mai 1956) ou une interview plus ou moins longue (Sophie Deroisin passe ainsi « Cinq minutes avec… Marie Cevers » le 16 avril 1949). Parfois, il suffit d’être perçu comme un « ami » de la France (ou de Paris), à l’instar d’un Marcel Lobet qui, « critique littéraire dans quelques-unes des publications les plus importantes de Belgique », se « penche avec sympathie et conscience sur la plupart des nouveautés littéraires parisiennes37 ». Dès lors que, comme pour les « classiques », l’indifférence croissante est momentanément interrompue par quelque événement sur la scène parisienne, le désintérêt structural se mue en intérêt intéressé.
44Cette cécité sélective est le principal déterminant d’une perception toujours plus fragmentaire de la littérature produite dans un pays « francophone » comme la Belgique. Atomisation qui est renforcée par la division du travail en rubriques, et d’abord en rubriques d’anecdotes, telle la bien nommée « Aux quatre vents » où apparaissent les premières « histoires belges », saynètes mettant en scène des êtres diminués qui provoquent d’autant plus le rire innocent que le « déclin », entre 1944 et 1960, est surtout thématisé en France. La fragmentation est accentuée encore par l’accumulation de notes de lecture, petits îlots de commentaires subjectifs réunis sous la section « À la devanture du libraire ». Ici se concentre tout l’impact des contraintes inhérentes au travail journalistico-littéraire sur la perception analysée. S’y ajoute le fait que, en amont, les pigistes s’en remettent largement aux contingences des arrivages de services de presse à la rédaction38. Une telle attitude des collaborateurs qui, déjà peu motivés à s’intéresser aux productions belges, attendent que celles-ci viennent en quelque sorte sur place susciter leur intérêt, conduit à donner toujours plus de poids aux critères paratextuels, à commencer par le lieu d’édition. Sur les 255 textes recensés, 64,7 % sont publiés à Paris, contre 18 % seulement en Belgique. Et plus de la moitié des recensions traitent d’ouvrages d’auteurs belges fixés en (Île-de-)France et édités par des enseignes françaises (parisiennes). La plupart de ces Belges expatriés, perçus comme des ressortissants français, ne sont nullement mis en rapport avec la littérature voisine. L’hebdomadaire trouve d’ailleurs la chose plutôt amusante, comme s’il s’agissait d’un phénomène qui lui était extérieur. Il rapporte ainsi que Robert Kemp, aux rencontres franco-belges de Royaumont (cf. supra), s’aperçut « qu’à peine sait-on parfois que tel de nos écrivains est Belge : combien ignorent par exemple que Henri Michaux est Belge et n’est venu en France qu’à vingt ans ?39 ». Aucun regret dans ce constat : le confrère des NL y voit une preuve parmi d’autres du peu de différences littéraires entre les deux pays et, comme on le voit, ne manque ni de réduire de quatre ans la période belge de l’« exemple » Michaux, ni de le considérer comme « tel de nos écrivains », et ce, au moment même où il s’agit de célébrer l’« amitié franco-belge ».
45Le journal étant ainsi porté à naviguer à vue, la reconnaissance fût-ce de la nationalité d’un auteur francophone non français est parfois hésitante. José-André Lacour, auteur de Châtiment des victimes, est, « nous dit-on, un romancier et dramaturge d’origine belge », écrit Blanzat en août 1949. L’atténuation « nous diton » ne traduit probablement pas une incertitude quant aux origines du romancier : le chroniqueur n’ignore pas que celui-ci « fait actuellement du journalisme à Paris », il souligne lui-même que son récit met en scène des étudiants bruxellois et il ne doit pas ignorer non plus les soupçons de collaboration qui pèsent sur lui. La sous-phrase s’explique à la lumière de la conclusion du compte rendu. Après avoir évalué la maîtrise des techniques narratives, compétence parmi les plus exigées dans « Les Romans de la semaine » comme ailleurs, Blanzat montre où il place le jeune romancier : « De toute façon, voilà un nouveau venu qui rejoint d’emblée le petit bataillon, lentement formé, sur lequel repose l’avenir, après tout rassurant, du roman français. » « De toute façon », l’appartenance nationale de Lacour est secondaire par rapport à ce qui est « après tout rassurant » et compte donc vraiment : qu’il est un vrai romancier, car un romancier « français ». Cette manière de relativiser les « origines », véritable catégorie critique qui efface pour le présent ce qu’elle désigne dans le passé, s’observe aussi dans le cas d’auteurs belges installés en Belgique : Paul-Aloïse « de [sic] Bock, n’est plus un “jeune” : il a, nous dit-on, vingt-cinq ans de barreau en Belgique » (21 mars 1953).
46On a affaire à la même stratégie de relativisation, quand le journaliste se transforme en généalogiste au détour d’une phrase où l’ascendance de l’auteur est rapidement décortiquée de manière à suggérer le caractère fortuit de ses « origines ». Sauf exception, cet effort n’est fourni que pour les auteurs les mieux reconnus en France, soit ceux qui y sont établis (et dont 94,2 % des œuvres ne sont pas rapportées à la Belgique). Par exemple, Félicien Marceau a beau être « discret, secret » et se livrer « avec un manque d’enthousiasme évident aux “délices” de l’interview », Chapelan parvient à montrer que ses grands-parents étaient des Français « du triangle Lille-Roubaix-Tourcoing » (17 décembre 1955). Albert t’Serstevens, Grand Prix de la SGDL pour l’ensemble de son œuvre, est né « d’un père flamand et d’une mère provençale » (12 mars 1960). De Jean de Boschère, « [i]solé dans le temps, isolé dans l’espace géographique, isolé dans l’espace social, isolé dans l’art », Billy se demande à « quelle race, à quelle nation le rattacher », avant de lui « prête[r] des origines alsaciennes, brabançonnes et espagnoles » (15 janvier 1949)40. De la même façon, on tend à réduire l’importance de l’enfance ou de la jeunesse « passées » en Belgique. Ainsi, selon Rousseaux, Hubert Juin « nous est venu des campagnes luxembourgeoises à peine adolescent, charrié par le flot de l’exode » (31 mars 1956). À cette entorse à la biographie de Juin, qui s’est installé en France douze ans plus tard seulement, s’ajoutent le gommage de la Belgique (les « campagnes luxembourgeoises » sont en réalité les campagnes du Luxembourg belge) et le dénigrement des « campagnes » où les futurs écrivains sont condamnés à rêver d’un sort meilleur, c’est-à-dire parisien. À relever aussi cette autre phrase de Rousseaux concernant Henri Michaux : « Son enfance et son adolescence s’étaient passées en Belgique, son pays natal » (29 mai 1948) : toute la fugacité de cet espace-temps mort est logée dans la tournure passive, qui en reçoit un effet oblitérant des plus actifs.
47Il est clair que l’on tend ainsi à traiter les auteurs en voie de consécration non pas à la façon d’auteurs français, mais en tant qu’auteurs français. Les erreurs et autres aberrations que l’on vient de constater découlent du principe selon lequel, même si ces auteurs n’ont pas (encore) la nationalité française, c’est le bon usage de la langue littéraire « française » qui leur confère le statut d’écrivain français. Pour cette raison, Alain Bosquet, tout « [m]i-Belge, mi-Russe » qu’il est, est « entièrement Français » (25 octobre 1952). Ayant quitté la Russie peu après sa naissance, Bruxellois depuis l’âge de 6 ans et naturalisé Belge à 14 ans, sa littérarisation s’est largement déroulée en Belgique, à l’athénée communal d’Uccle, à travers des contacts dans les milieux littéraires belges durant ses études de philologie romane, puis par la création de revues, etc.41. Il en va de même pour Jacques Croisé, alias Zinaïda Schakovskoy, « auteur nouveau venu » qui, après avoir eu droit à un billet de Blanzat en juillet 1949 pour son roman Europe et Valérius, réapparaît en 1958, en première page, avec un grand article et une notice biographique se terminant par : « La princesse Zénaide [sic] Schakovskoy est écrivain français42. » Or, Schakovskoy, née à Moscou en 1906, émigra après la Révolution de 1917 vers la Belgique et fut naturalisée Belge en 1928, nationalité qu’elle gardera toujours. C’est à Bruxelles qu’elle apprit à rédiger en français et qu’elle se fit connaître comme spécialiste de la littérature russe de plusieurs revues. Elle signa toute son œuvre romanesque du pseudonyme de Jacques Croisé que lui suggéra l’écrivain belge Jean Tordeur43.
48Les institutions n’échappent pas à la cécité sélective, qui incite l’auteur à s’intéresser à ce qu’il a intérêt à déjà trouver intéressant. Les quelques articles concernant des institutions autres que l’ARLLF sont motivés directement par un enjeu propre au champ littéraire français. Celui sur le Fonds national de la Littérature en fournit un exemple patent : « [L]e système que nos bons voisins de Belgique ont eu l’audace de promouvoir et l’habileté de faire réussir » est un exemple pour la France où il est temps de « rendre courage à mille écrivains impécunieux ! » (10 juillet 1954). De même, le PEN-Club de Belgique ne fait (brièvement) parler de lui qu’au moment où une délégation de cette institution se rend à Paris (6 novembre 1954). Et, si la chronique de Billy du 7 septembre 1957 se penche sur le Musée de la Littérature à l’occasion de sa transformation en lieu de recherche, c’est pour regretter que la capitale française ne dispose pas de ce type d’établissement. Quant à l’ARLLF, Billy se dit favorable à son esprit international qui accueille, outre des femmes, des écrivains « français » français et non français. À Bruxelles, la littérature se conçoit « sous l’angle mondial, ce qui ne laisse pas d’être un peu déconcertant pour nous autres Français, habitués, trop habitués, à penser selon nos normes nationales traditionnelles » (23 janvier 1954). Mais l’académie n’est érigée (momentanément) en modèle d’ouverture que sur fond de débat franco-français à propos des limites de la « littérature française ». Y sont en jeu non pas « nos normes nationales » tout court (principes de fonctionnement minimaux d’une littérature nationale), mais « nos normes nationales traditionnelles », formule à travers laquelle l’académicien Goncourt vise notamment la concurrente du quai Conti. Cet exemple est typique d’une stratégie double, où complimenter « nos amis belges » relève de la distribution de bons points à ceux qui, à l’étranger, savent servir la « littérature française », et où ces « amis » servent par la même occasion, en France, de repoussoir dans une discussion aux enjeux strictement français44.
49En revanche, les réceptions d’intellectuels belges à l’« Académie belge » n’ont droit qu’à quelques lignes, sauf si elles profitent aux « relations littéraires franco-belges ». Ainsi, la réception de Louis Piérard inspire à Guth un article au titre ironique : « Bruxelles possède 480 académiciens mais les réceptions ont lieu sans tambour ni bicorne. » (26 mars 1949). La quantité d’illustres compagnies qui « s’entassent » dans les murs du Palais des Académies est, outre un signe de qualité, le reflet « d’un pays à double langue, la flamande et la wallonne, qui multiplie par deux les instruments de sa culture ». L’auteur n’ignore pas qu’il s’agit de la langue française et non d’une problématique langue « wallonne » et exprime son admiration pour l’esprit « Défense & Illustration de la langue française » qui règne au sein de l’assemblée. Que le récipiendaire témoigne de « sa tendresse envers la France qu’il sert comme sa propre patrie », le réjouit.
50L’inclination à s’intéresser à la « nation belge », pour peu que celle-ci fasse honneur à la République des Lettres, est encore plus claire en cas de réception d’un écrivain français. Mi-décembre 51, Jean Duché, lauréat récent du Grand Prix de l’Humour, ironise sur la réception de Julien Green « en jaquette aux pans coupés ». Au mois de mai de l’année suivante, le même donne un autre article enjoué à propos de Simenon, écrivain français45. Lorsque, trois ans plus tard, Cocteau est cité comme candidat à la succession de feu Colette, le premier souci des journalistes est de savoir si le poète ne perdrait pas ses chances d’être élu sous la Coupole. La réponse négative apporte un soulagement qui relègue au second plan l’invitation venue de Bruxelles, que Cocteau accueille tout de même « avec bonne grâce », « d’autant que représenter dans une capitale étrangère, après Anna de Noailles, après Colette, les écrivains français de nationalité française n’est pas un honneur que l’on puisse dédaigner » (8 janvier 1955). C’est pour honorer à l’étranger les « écrivains français de nationalité française » que Cocteau répondra donc favorablement à l’invitation. Et lors de sa réception, l’hebdomadaire se contentera de publier le discours du récipiendaire rendant hommage à Colette (8 octobre). Bref, comme on pouvait lire dans le compte rendu d’« une bien belle et bien réconfortante séance » en présence d’une délégation canadienne, représentant « ceux qui luttent pour la conservation du langage français dans les étendues anglo-saxonnes », la « langue française ne se porte décidément pas mal en Belgique ».
51Mais l’actualité n’offre au désintérêt des rédacteurs pas assez d’occasions de se muer en intérêt intéressé pour que leur attention se maintienne. La vie institutionnelle belge rejoindra peu à peu les écrivains individuels dans les rubriques d’échos, kaléidoscope qui livre les éléments d’information au gré des dépêches, nouvelles livraisons de périodiques, etc. Même l’Académie finira par s’y désagréger (elle gardera un certain degré d’existence sous la plume de Billy, qui reçoit son Bulletin). Dans cette mosaïque, quelques récompenses littéraires reçoivent une attention disproportionnée, due à la fascination, caractéristique de la presse littéraire en général et portée à son comble par la position du FL en particulier, pour les fractions dominantes du champ littéraire46. La rédaction semble même ne plus voir dans la vie littéraire des voisins qu’une « Distribution des prix47 » permanente, prix de toutes sortes, des plus prestigieux, comme ceux de l’Académie, aux plus inconnus en France et même en Belgique48. C’est même toute forme de distinction honorifique qui est susceptible d’appâter les échotiers. Ainsi de la promotion de membres de l’ARLLF dans l’Ordre de Léopold ou dans l’Ordre de la Couronne, cas hyperbolique où la littérature achève de se soumettre à la politique. À l’inverse, la principale des initiatives privées destinées à récompenser un écrivain belge francophone, le Prix Victor Rossel créé en 1947 par le journal Le Soir, passera inaperçue jusqu’à la fin de l’année 1956.
52L’histoire littéraire des lettres francophones belges, domaine couvert en quasi-exclusivité par André Billy, apparaît comme une institution privilégiée, même si elle s’est révélée ci-dessus avoir des effets déréalisants sur son objet. La chronique de Billy s’intéresse d’assez près aux symbolistes belges, mais, on l’a vu, en tant que représentants d’une « littérature belge » subordonnée à la « littérature française universelle » et réduite à la poésie « flamande ». Sans relais dans les autres sections du journal, ce point de vue a beau être en prise sur l’actualité, il n’évoque qu’une activité littéraire passée et donc dépassée. La plupart des 56 papiers qui ressuscitent provisoirement tel ou tel talent belge du tournant du siècle49, ne peuvent produire qu’un effet de vieillissement des agents et des œuvres. Certes, le but du chroniqueur est d’inscrire dans une tradition littéraire « française » moderne ces écrivains qui eurent l’originalité de créer « dans la poésie de langue française un “climat flamand” très particulier, qui n’avait pas eu de précédent et qui, de nos jours, n’a pas son équivalent » (8 mai 1948). Hugues Fouras estime lui aussi que le « symbolisme belge », intégré au « symbolisme tout court », c’est-à-dire « français » (9 août 1952), appartient à un patrimoine vivant qui mérite de le rester. Mais l’image qui surnage est d’autant moins stimulante qu’elle est associée à une esthétique désuète, y compris au sein de la rédaction de l’hebdomadaire conservateur50.
53Uniformisation et banalisation d’un patrimoine naguère prestigieux et nécessité croissante (entre autres face à des chiffres de vente en baisse) de suivre une actualité pourtant toujours moins lisible : rien d’étonnant à ce que les recensions ne mentionnent la nationalité des auteurs que dans 22 % des cas. « Reste à partir à la redécouverte de cette Belgique féconde », lit-on dès le 6 juin 1953 dans ce qui est moins l’expression d’une volonté d’informer que l’aveu involontaire d’un travail journalistique peu informé. En fait de redécouverte, la rédaction multipliera les nécrologies et les hommages « En bref » ou « En quelques lignes ». S’y ajoutent les annonces de tournées de conférences d’intellectuels français en Belgique, organisées notamment par les Amitiés françaises51 ou par l’Alliance française qui, comme l’écrit Chapelan, « mène le bon combat pour conserver à notre langue son universalité » (24 janvier 1959). Souvent, ces intellectuels sont proches de la rédaction ou en font partie. Début 1954, ce sont Guth et Duché qui s’en vont en Belgique donner des conférences dans diverses villes. L’hebdomadaire prêche la même cause française que son concurrent communiste, avec des méthodes parfois identiques, quoiqu’avec des hommes très différents et un objectif bien à lui, celui de « conserver à notre langue son universalité ». Et les « grands lettrés belges » sont désormais ceux qui contribuent à la codification de cette langue de France : Grevisse et Hanse, ce dernier non pas en tant qu’instigateur de l’étude des lettres francophones en Belgique, mais en tant que l’un de ces lectores qui, comme l’exprime l’humaniste traditionaliste Georges Duhamel, « consacrent leurs vertus à l’étude et à l’illustration de notre langue française. Ne leur laissons pas croire, même une minute, que leur effort est vain et qu’il ne nous touche pas : il éclaire notre route et nous récompense parfois » (5 décembre 1953).
54Plus profonde encore est l’indifférence pour la production littéraire en néerlandais et pour la Belgique néerlandophone d’une manière générale. En octobre 1959 et « En quelques lignes », la rédaction fait état de l’attribution du « Prix des Lettres néerlandaises » (Prijs der Nederlandse Letteren) au poète et prosateur néerlandais Adriaan Roland Holst, prix qui « récompense tous les trois ans, alternativement, un écrivain belge et un écrivain néerlandais et marque le rapprochement culturel depuis la dernière guerre entre la Belgique et la Hollande ». On doit sans nul doute à l’attrait du journal pour la diplomatie littéraire cette information inattendue à travers laquelle une Flandre contemporaine accède momentanément à l’existence. Celle-ci est normalement absente de ses colonnes au profit de la Flandre breughelienne que l’esprit a été dressé à associer à tout ce qui concerne la Belgique. Pour ce qui est des textes, seuls ont retenu l’attention, durant toute la période étudiée, une Vie passionnée de Pieter Bruegel de Timmermans parue chez Seghers, Andréa ou la Fiancée du matin de Hugo Claus, pièce que Jacques Lemarchand est allé voir aux Mardis de l’Œuvre, et un volume bilingue de Luc Van Brabant dont il est précisé que c’est l’auteur qui l’a fait parvenir à la rédaction et qui vaut pour l’exégèse de cinq sonnets de Louise Labé52. Dans l’article de Lemarchand, la formule « Belgique du Nord » résume à elle seule le degré de légitimité du mot « Flandre » dans son acception moderne53. Ce dernier détail ne fait qu’attester le caractère largement imaginaire d’une Flandre dont les référents historiques laissent les divers collaborateurs à peu près indifférents. « Reste à partir à la redécouverte de cette Belgique féconde », disait plus haut un reporter, en précisant « la Belgique sensuelle et mystique à la fois », ajout qui allait de soi.
55La prégnance des oxymores « flamands », dont le succès ininterrompu tient aussi au fait qu’ils désignent une réalité barbare sous une forme qui flatte l’intelligence dans le « terroir de Descartes », pour reprendre la formule de Guth, marque les articles dédiés à ce que la nation belge posséderait de plus prestigieux en matière d’art : les primitifs flamands et « Le siècle d’or de la peinture flamande54 ». C’est cet imaginaire pictural, plus ou moins grossièrement tamisé par la critique depuis De l’Idéal de l’art dans les Pays-Bas (1868) de Taine, qui sous-tend la synecdoque « flamande » de la Belgique. Aussi la rubrique des beaux-arts reste-t-elle relativement fermée à la Belgique en tant que telle (pour ne pas parler de la Wallonie), celle-ci étant confondue dans l’imaginaire géographique de l’histoire de l’art avec la Flandre. Même « l’art belge contemporain » s’appuie sur des talents « pour la plupart profondément flamands », dont James Ensor, « grand artiste belge », Constant Permeke, « chef de l’Expressionnisme flamand », et Rik Wouters sont les « plus authentiques tempéraments qu’aient révélé [sic] les Flandres modernes » (12 octobre 1957). Si ces Flandres « modernes » se mettent ici à exister, c’est en tant qu’avatar d’une Flandre passée qui n’y correspond ni géographiquement, ni culturellement. Ensor prolonge ainsi « les découvertes de Bosch et de Breughel, en renouvelant leurs profondes cocasseries et leurs mascarades dans des décors et des costumes modernes » (16 juillet 1960). L’intérêt à revenir régulièrement sur la peinture « flamande » est lié toujours plus clairement à la position du périodique, ainsi qu’en témoignent plusieurs articles antimodernistes. « Le portrait flamand à l’Orangerie » permet ainsi de voir que leur « passion pour le “caractère” et l’individuel a sauvé les Flamands du maniérisme » (25 octobre 1952). Les LF antiformalistes s’en réjouissaient aussi, mais au nom du « peuple ». Claude Roger-Marx ajoute que « [s]i l’abstrait, poussant l’indigence à l’absurde, pullule aujourd’hui, c’est qu’il constitue, pour des apprentis, le refuge idéal de la facilité » (26 septembre 1959). Le réalisme pictural de Rubens rejoint ainsi l’optimisme poétique de Verhaeren, opposé, on l’a vu chez Billy, au matérialisme et à l’intellectualisme exacerbés de l’époque. La « Flandre » n’a pas seulement le bon goût de combler l’envie de stabilité du FL, mais de prêcher l’exemple en matière d’éthique du travail artistique. Parallèlement, on observe une multiplication des signes les plus nets de l’intérêt intéressé : « La Belgique nous montre les peintres français qu’elle aime » (18 juillet 1959) ; les dessins de Pieter-Paul Rubens ont « tellement séduit Boucher ou Fragonard qu’on pourrait les imaginer de mains françaises » (21 février 1959), etc.
56La Flandre rêvée fournit donc les traits essentiels d’une identité flamando-française toujours plus refoulée comme nationale dans les pages littéraires. « Thyl Eulenspiegel » figure une seule fois dans le corpus du FL : le chef-d’œuvre national porté aux nues par Les LF y devient « la vieille légende flamande », hantée « autant par l’esprit de Bosch que par celui de Breughel » (17 décembre 1949). Quant aux auteurs modernes, Guth, entre autres, fait disparaître la Belgique sous une épaisse couche de stéréotypes « flamands ». « À la recherche de Michel de Ghelderode, l’auteur dramatique sulfureux », il dresse ainsi un portrait-charge du « loup-garou des Flandres » aux yeux gris « mer du Nord », né « en dix-huit cent nonante-huit » « de parents flamands », etc. (1er avril 1950). Lemarchand, pour sa part, n’a nulle envie de verser dans ces clichés s’agissant de Ghelderode, l’auteur d’une œuvre qu’il s’est employé à défendre depuis le début de la « ghelderodite aiguë » en 1947. Ayant succédé en 1950 à un Thierry Maulnier peu enthousiaste, il rappelle à plusieurs reprises les différentes étapes dans la « découverte » par Paris de son dramaturge favori, ce Paris qui, comme l’écrit Guth à propos de l’écrivain bruxellois, « couronne et fait resplendir les Belges ». « C’est, en effet, la plus belle histoire de théâtre de ces dernières années, la plus naïve et la plus pure. Il est arrivé simplement ceci, qu’en un temps où nous voyions les directeurs de théâtre courir après “une bonne pièce” comme rats après les bons fromages, le bruit vola qu’il en existait à peu près une trentaine, là, à portée de la main, en Belgique55. » Ainsi, bien qu’il s’en sente « coupable », Lemarchand avoue que Mademoiselle Jaïre jouée au Festival d’Arras laisse dans l’ombre jusqu’à Marivaux, cette pièce incarnant un « extraordinaire mélange de la poésie la plus haute, la plus large, et de la bouffonnerie la plus traditionnellement flamande » (11 juillet 1953).
57Mais, alors même qu’il prétend n’avoir jamais rencontré cette « atmosphère » « en aucune œuvre dramatique qu’[il] connaisse, et qui est proprement celle du monde de Ghelderode », le critique la rapporte quasi systématiquement à « un monde purement flamand, et d’une authenticité, d’une chaleur aussi bouleversantes que celles où nous initient Jérôme Bosch, Breughel ». Et de poursuivre, se prenant au jeu du dramaturge lui-même :
D’une lettre de Ghelderode […] j’extrais cette phrase : « C’est la Flandre, ma patrie, où j’erre comme un fantôme. Elle ne renaîtra jamais plus comme elle fut. J’en porte le deuil violet ». De cette Flandre, l’œuvre de Ghelderode nous donne la nostalgie. Jamais […] je n’ai mieux senti combien Ghelderode était vraiment le contemporain de ces gens du moyen âge et de la pré-Renaissance.
58Le critique s’émerveille ici devant le degré de conformité de ses propres représentations incorporées de longue date à l’imagination de Chelderode et finit par prendre « vraiment » celui-ci pour « le contemporain de ces gens du moyen âge et de la pré-Renaissance ». Cette hypostase du système stéréotypique « flamand » caractérise aussi, à des degrés divers, le discours de tous les autres commentateurs. Elle est stimulée par un périodique enclin à autonomiser l’œuvre littéraire comme mise en scène réaliste d’un monde propice à la rêverie solitaire. Cela dit, il s’agit aussi pour Lemarchand, ancien romancier, éditeur du Théâtre de Chelderode chez Gallimard et défenseur à la fois de la démocratisation théâtrale et de la sauvegarde d’une critique traditionnelle56, d’ériger l’authenticité ghelderodienne en modèle pour la scène française. Cette ambition l’amène à rapprocher le « Flamand » du public hexagonal en en faisant une lecture bien française. Ce faisant, il ne déroge pas à une habitude française qui consiste à soumettre cette œuvre à un traitement d’où elle sort « apprivoisée, pour ne pas dire édulcorée57 ». Par exemple, La Farce des ténébreux ne doit pas effaroucher la pudeur du public français : ce « divertissement » rappelle le classique Rabelais, « ne veut être qu’une comédie burlesque » et constitue – argument décisif – « une œuvre littéraire de beau langage et de riche imagination » (29 novembre 1952)58. Où l’on voit que la francisation est aussi une banalisation, un « apprivoisement », et passe le plus souvent par la flamandisation. Où l’on voit aussi que même un critique sincèrement épris de son objet arrive à le rendre digeste en lui ôtant toute aspérité préalablement étiquetée comme « flamande ».
59Passons maintenant au programme esthétique du FL. Empreint d’un libéralisme de droite teinté d’humanisme chrétien, il s’oppose à l’« engagement » comme parti-pris volontaire et contraignant pour l’écrivain. C’est ce qui explique d’abord pourquoi, dans l’immédiat après-guerre, il n’adhère pas au « résistantialisme » et que, par la suite, il délaisse les valeurs de la Résistance59. Aussi bien toute forme de littérature à message est-elle accueillie avec réserve. Par exemple, Norge, « un Flamand de Breughel qui nous arrive aujourd’hui […] les crocs en avant, les poings lourds », a écrit un recueil, Famines, dont Fouras loue en août 1950 « la vigueur et la truculence » et une « sobriété » qui « trouve son meilleur emploi dans la défense des humbles et dans la revendication ». Applaudi par Les LF, le poète répond tout autant aux principales attentes esthétiques du FL : gages d’un humanisme charitable mais ne faisant pas œuvre politique (« cela reste toujours de la poésie »), « vigueur » mais n’excluant ni « sobriété », ni évasion dans un monde imaginé, qui mieux est, par un « Flamand de Breughel ». La critique d’un essai illustré de Joseph Van Der Elst sur L’Age d’or flamand (9 février 1952) confirme à quel point le topos de la Flandre onirique condense l’essentiel de l’esthétique rédactionnelle. L’idéal d’humanitas commande l’« effort » de l’auteur qui consiste à atteindre, « parfois avec émotion », à « la plus grande beauté » à partir d’une saine volonté de « délectation » : « La critique oublie aisément aujourd’hui que le but de l’œuvre d’art est “la délectation” et que toujours elle a eu ses racines chez un homme, une société, un pays ! […] l’on peut être fort savant et dominer son savoir pour un enseignement et un attrait supérieurs. » Pareille vision classique interdit autant le pédantisme (notamment ce « lyrisme qui alourdit parfois les écrits de Belgique ») que l’intellectualisme60. Ces préceptes fondent une règle – relier le plaire et l’instruire à la tradition artistique nationale (« ses racines chez un homme, une société, un pays ! ») – qui s’applique au domaine de la peinture « flamande », mais non à celui de la littérature « de Belgique ». Un exemple : aux personnages que campe Gabrielle Rolin, sous le pseudonyme d’Élisabeth Trévol, le critique du FL souhaite « plus de chaleur humaine, plus de simplicité, de sincérité envers eux-mêmes et un sens de la vie qui ne fût pas oblitéré par toutes les consignes d’un intellectualisme sclérosé61 ». Le lien avec la « société » ou le « pays » de l’auteur n’est pas établi, alors qu’il aurait permis de voir, entre autres choses, que ni l’auteur, ni le narrateur ne souscrivent à cet « intellectualisme » (parisien)62.
60Les valeurs chrétiennes donnent à de nombreux métatextes un ton moralisateur. Jean Blanzat se plaît parfois à terminer ses billets, souvent de simples résumés des romans qu’il a lus, par un signe explicite de sa foi. Ainsi, la « générosité de Simenon, son amour et sa pitié des hommes » permettent à ce romancier « de découvrir la lumière dans une âme, en apparence condamnée63 », ce qui est bien différent du silence que lui valent son pessimisme et son relativisme bourgeois chez les concurrents jdanovistes à la même époque. Blanzat loue également Charles Plisnier pour avoir contribué, dans Les [sic] Mères, à « l’immense effort de réadaptation des valeurs morales chrétiennes à l’évolution des mœurs contemporaines que font les romanciers chrétiens contemporains » (14 janvier 1950). Pour Lemarchand, Ghelderode est accusé à tort de blasphémer la morale catholique, car il fait preuve, bien au contraire, d’« un catholicisme terriblement pur » (7 avril 1951).
61Cette valorisation de l’éthique catholique n’est pas incompatible avec la conception de la littérature comme « délectation », paradoxe qui renvoie à certaines dispositions liées à l’éducation bourgeoise chrétienne de nombreux rédacteurs. Le degré de délectation dépend avant tout de l’intensité de l’illusion fictionnelle. Sa condition première est le réalisme, synonyme de vie et de véracité (imaginaires). Ainsi, le 8 décembre 1956, l’on voit le feuilletoniste catholique André Rousseaux féliciter Françoise Mallet-Joris pour l’authenticité des bas quartiers dans Les Mensonges : « Le décor de ville maritime sur la côte belge, avec prostituées pittoresques dans les bas quartiers, est une bonne copie d’après nature64. » Le même roman est également apprécié par Blanzat, qui y voit « un livre de type balzacien » (27 octobre). De même, le billetiste se montre favorable à « un roman d’affaires de type balzacien » doublé d’« un roman d’amour idéaliste » de t’Serstevens : La grande Plantation est « un livre d’une lecture agréable, auquel, sans aucune mauvaise conscience [celle inhérente à la délectation catholique], on prend un sincère plaisir de distraction » (12 avril 1952). Un pigiste va jusqu’à reprocher à l’auteur verviétois René-Philippe Fouya que son roman Adora ait « sa part de romanesque », heureusement contrebalancée par « un son d’authenticité humaine » (9 janvier 1954).
62Le caractère contraignant du système de préférences éthico-esthétiques du FL, dont il faudrait à chaque fois porter au jour l’inspiration nationale ou nationaliste, contribue à rendre compte de l’absence d’informations sur les phénomènes collectifs (écoles, etc.) dans la sphère littéraire en Belgique (le symbolisme mis à part). Ainsi du « réalisme fantastique » de Hellens, auteur qui reçoit moins d’attention que dans Les LF (et, comme on verra, moins que dans Les NL), en raison d’une grille de lecture impropre à la perception et donc à la reconnaissance de cette combinatoire « fantastique » d’ingrédients « réalistes » dont Hellens a voulu se faire le champion. C’est Octobre long dimanche, roman proche du « réalisme fantastique » et publié chez Plon par un autre Belge, Guy Vaes65, qui suscite le commentaire le plus éclairant à cet égard : « [S]ans passion, mais avec une assurance tranquille du regard, l’auteur étudie la lente dégradation d’un climat intérieur. On songe parfois à L’Etranger, de Camus, mais Guy Vaes conduit fort loin sa quête personnelle » (12 janvier 1957). Le romancier apparaît comme l’analyste « tranquille » d’« un climat intérieur », tandis que le monde visible se réduit à un « décor, auquel Anvers a prêté ses brumes66 ». C’est que le mystère, dans l’hebdomadaire du rond-point des Champs-Elysées, doit garder son assise « toujours humaine67 », plonger « ses racines chez un homme, une société, un pays ! » Cette préconception, dont on a vu qu’un Ghelderode fait également les frais, est à rapporter au principe esthétique le plus récurrent et qui prime jusqu’à la maîtrise des techniques narratives : la clarté de la langue, fondement de la nécessaire clarté de l’œuvre.
63À travers les 247 recensions et critiques théâtrales impliquant 255 œuvres, les différents genres sont représentés dans les proportions suivantes :
E : 79 | R : 72 | P : 40 | T : 38 | Ré : 13 | A : 6 | Tr : 2 | N : 2 |
31 % | 28,2 % | 15,7 % | 14,9 % | 5,1 % | 2,35 % | 0,4 % | 0,4 % |
64Le journal accorde une attention particulière à la prose non narrative (plus d’un tiers du volume), ce qui concorde avec son goût pour les sujets d’actualité et les débats de société. L’hypothèse de la corrélation entre ce prisme générique et la non-reconnaissance de la nationalité des auteurs (70,9 % des essais, 87,5 % des romans, 67,5 % des recueils de poésie et 84,2 % des œuvres théâtrales) tend à se démentir. Mais, si l’on prend en ligne de compte la hiérarchie générique telle qu’elle se dégage des trois titres étudiés, cette corrélation redevient pertinente pour le roman, genre dominant, et pour la poésie, genre en voie de délégitimation68.
65Tout indique que la formule « roman belge » est frappée d’illégitimité, surtout chez Blanzat, plus conservateur que son aîné Billy et hostile notamment à des formes expérimentales telles que le « nouveau roman69 ». Cette formule relève même, aux yeux de plusieurs contributeurs, du contresens, dans la mesure où ne fait sens pour eux que « poète belge ». Les profits symboliques qu’apporte le genre du roman sont tels qu’aucun des textes produits par seize romanciers belges installés et publiés en région parisienne n’est relié à leur pays d’« origine ». Soulignons encore que l’hebdomadaire privilégie la prose en général. Ses rubriques historiques et scientifiques très fournies en témoignent, ainsi que la première place occupée par l’essai (d’abord historique) dans la hiérarchie générique « belge ».
66En ce qui concerne la poésie, le cas de Michaux, jamais associé à la Belgique dans aucun des onze articles qui lui sont consacrés, ne doit pas faire oublier les 32,5 % de recueils marqués70. Cette proportion relativement élevée s’explique, répétons-le, par la corrélation entre délégitimation du genre et reconnaissance (relative) du statut de poète belge. Durant le premier tiers des années 1950, une poésie francophone spécifiquement belge semble exister, mais, à y regarder de près, il s’agit de poètes belges individuels dont l’art est perçu comme tributaire de modèles français et dont le vrai biotope littéraire serait donc la France. Si « poésie belge » il y a, l’essentiel de sa spécificité est le simple fait d’être produite par des poètes de nationalité belge. Ainsi, Noël Ruet est « l’un des meilleurs représentants de la poésie belge », mais cette dernière n’est jamais caractérisée, à la différence des qualités (« de pudeur, de probité et d’humanité », etc.) du poète pris isolément71. Et lorsque Fouras s’interroge sur l’avenir des poètes français et des revues françaises encore ouvertes à la poésie, il ne cite aucun titre belge, conscient du fait que les poètes d’outre-Quiévrain disposent d’une infrastructure institutionnelle plus qu’enviable (22 juillet 1950). Que pareille reconnaissance n’engage à rien – contrairement à un éventuel repérage comme belges de textes disponibles sur le marché français —, ne se voit jamais aussi bien que dans le (rare) cas où cette poésie « française » s’autonomise au point de se mettre à rivaliser avec la poésie française :
La partie la plus décevante [d’Un Demi-Siècle de poésie, anthologie publiée aux éditions La Concorde à Lausanne] est, hélas ! celle qui est consacrée à la poésie française. Avec leurs sept poètes et leurs quarante-six pages, la Belgique, la Suisse et le Luxembourg disputent audacieusement la première place à la France, avec ses sept poètes et ses quarante et une pages […] Car huit pages pour Franz Hellens, c’est beaucoup, lorsque Jules Supervielle n’a droit qu’à cinq. Car six pages pour Mélot du Dy, c’est trop. [31 janvier 1953]
67À l’inverse, le même Fouras n’avait eu aucune raison de ne pas saluer un recueil de Paul Palgen en ces termes : « Qui donc a dit qu’il n’y avait plus de poètes belges ? » (10 décembre 1949)72. En mars 1951, Thomas Braun est qualifié de « doyen des poètes belges », tandis que Norge reste (provisoirement) le « plus vigoureux, le plus neuf, le plus savoureux, le plus âpre et le plus tendre des poètes belges contemporains » (7 novembre 1953). Se dessine ainsi une grande famille poétique éclatée sous le rapport de l’écriture et des conditions d’écriture, bref, sous le rapport littéraire.
68Sont à l’œuvre simultanément l’ensemble des stratégies observées dans une série d’articles consacrés aux Rencontres européennes de Poésie, mises sur pied en 1951 à Knokke-le-Zoute par des poètes en voie de consécration menés par Pierre-Louis Flouquet et Arthur Haulot. Le premier, écrivain catholique, fit partie des milieux avant-gardistes de l’abstraction construite à Paris (où il est né en 1900) et à Bruxelles (où ses parents s’étaient installés en 1910), avant de se consacrer à la poésie dans une perspective résolument internationale à partir de 1930 (fondation des éditions de la Maison du Poète en 1930, lancement du Journal des Poètes, puis de divers autres titres, etc.). Haulot, quant à lui, ancien militant culturel du POB, ancien résistant au sein du Parti Socialiste clandestin et rescapé de Dachau, est à l’époque commissaire général du Tourisme. En 1951, les deux poètes lancent, avec l’aide de leur confrère catholique Lucien Christophe, directeur général des Beaux-arts et des Lettres au ministère de l’instruction publique, les Rencontres européennes de Poésie, qui donneront lieu à une Anthologie poétique du demi-siècle 1900-1950, florilège mondial publié sous le patronage de l’UNESCO. Dans cette optique belgo-universaliste, elles seront rebaptisées en 52 « Biennales internationales de Poésie de Knokke-le-Zoute73 ».
69Le 15 septembre 1951, Chapelan rapporte de la première édition de ces rencontres moins un reportage qu’un persiflage intitulé « Réunis en congrès à Knokke-le-Zoute. Cent trente poètes, de quatorze nations, brassent des idées et vident des gheuzes ». Le paysage très « flamand » (« quel admirable Ruysdaël » – les contemporains hollandais de Van Dyck sont eux aussi flamandisés), l’accent des intervenants, « des familles en week-end, d’une gravité saisissante – l’une : papa-barbu, maman-Rubens et deux lardons albinos », « de belles épaules à la Peter Christus, des visages d’anges musiciens de Memling, de longues mains de madones » : les images auxquelles tient un Billy deviennent l’objet de schématisations outrancières sous la plume de son cadet. La légèreté badine, marque de fabrique d’une rédaction où règne un esprit bon enfant, est un puissant antidote contre la lourdeur stéréotypique. Le style ironique et les commentaires par la bande de l’« observateur » sont alors les indices tout à fait légitimes d’une méconnaissance qui s’assume sans en avoir l’air. En septembre 1959, toujours au sujet des Biennales, Chapelan, très explicite, ne souhaitera plus « faire craindre à mes amis belges qu’une fois de plus je ne parle pas avec la gravité qu’ils souhaitent ».
70Mais cette flamandisation, à la fois banalisante et folklorisante, n’est jamais purement mécanique ; elle tient toujours aussi à un débat dont l’enjeu appartient au champ (journalistico-)littéraire français : la question du statut de la poésie, genre déclinant. Théâtraliser ces Rencontres a pour effet de transformer en vaudeville, genre mineur, la représentation à Knokke-le-Zoute du genre majeur et irreprésentable qu’est la poésie – et donc de montrer, en prenant le grand public à témoin, que de telles représentations sont incompatibles avec celle-ci. À lire Chapelan, la poésie souffrirait d’une démocratisation excessive, d’une popularisation, et il n’est nullement exclu que ce reportage facétieux et plein de clins d’œil vise notamment Les LF qui défendent une poésie « démocratique », comme elles parlent de « démocraties populaires74 ». Finalement, ce congrès un peu dégradant, « cette foire aux rencontres », « ne vaut que pour sa franchise, ses bières, sa camaraderie [autre terme fortement connoté], ses improvisations, mais n’apporte guère à la poésie ». Définie par un tel système d’oppositions (« franchise » – authenticité, « camaraderie » – échanges, « improvisations » – création, etc.), la poésie à l’état populaire est, sinon inauthentique, du moins non universelle : flamandiser est aussi une manière efficace de régionaliser et de marginaliser. D’ailleurs, le reporter ne néglige pas de bien préciser que la poésie a son lieu naturel et privé à Paris, car seul le travail d’éditeurs parisiens peut lui assigner sa vraie place, à savoir dans la bibliothèque d’un critique parisien : « [Ma bibliothèque] : le voilà bien, l’authentique, le seul congrès, celui des rencontres éternelles et consolantes. »
71Que ce plaidoyer pour une certaine poésie pure se fasse au détriment de l’espace de production (poétique) belge, paraît totalement accessoire. Il ne s’embarrasse pas non plus de ce qu’il revient à séparer des poètes belges éloignés de Paris de leurs œuvres (éventuellement) disponibles à Paris, à court-circuiter donc le lien entre leurs pratiques au niveau national (et international) et leur nom sur la place parisienne, à travers une régionalisation des unes et une « universalisation », c’est-à-dire une francisation de l’autre. Fondé sur une discordance entre le champ des positions et un champ mondialisé des prises de position, cet effet de la domination littéraire hexagonale apparaît alors comme une condition nécessaire à la définition légitime, à Paris, de l’excellence poétique dans laquelle tous les gens de bon sens sauront reconnaître le véritable, l’unique enjeu du débat.
Bilan du chapitre
72La vision des collaborateurs du FL sur la Belgique est marquée par une tendance contradictoire. D’une part, la position de l’hebdomadaire porte à la défense, certes largement tacite, du principe de la « littérature nationale » belge. D’autre part, la description d’institutions qui ont eu leur temps de gloire nationale (mais servent toujours l’idéal de l’universalité française) et l’évocation d’un patrimoine poétique (post-)symboliste intégré au symbolisme « français » ont pour effet de vieillir une production littéraire qui naguère encore parvenait à concurrencer parfois la seule légitime « littérature française ». Dans ces conditions, le « mythe du Nord », qui fondait pour les critiques pressés (la grande majorité) l’originalité de ce patrimoine, ne donne plus guère lieu qu’à une mise en scène farceuse qui, renvoyant à un imaginaire pictural des plus éculés, achève de l’apprivoiser. Les portraits de Maeterlinck et de Verhaeren, fidèles à leur image scolaire, constituent à cet égard tout un programme, presque au sens informatique du terme75.
73Cette perception toujours plus déphasée est peu susceptible de porter une attention spéciale aux œuvres plus récentes. La production en langue néerlandaise, pour sa part, ne bénéficie d’aucun intérêt réel. C’est qu’elle est peu compatible avec l’idée d’une Flandre d’« esprit français », synecdoque de la Belgique dont la langue unique, française, est figée dans son statut de réservoir d’idées reçues. Le confinement de pans entiers de la vie littéraire francophone dans les rubriques de faits divers apparaît comme une tentative un peu désespérée, parfois maladroite, de compenser ce regard fragmenté et fragmentaire. C’est sans doute que Le FL est aussi lu en Belgique. Quant aux formes d’écriture proprement dites, l’avis de Jean Blanzat, pour qui Charles-Louis Paron est « l’un des espoirs – pas très nombreux – de la jeune littérature belge » (18 février 1950), est emblématique d’une connaissance et d’une reconnaissance des plus circonscrites, mais que rien ne peut venir mettre en cause. Les critiques du journal n’en sont que plus enclins à privilégier les livres de romanciers belges établis et publiés à Paris ainsi que l’« Actualité de la Belgique : nos grands écrivains dans leurs rapports avec elle76 »
Notes de bas de page
1 André Rousseaux, « Les livres. La France, le monde, la fin du monde », FL 28 septembre 1946, p. 2.
2 Un exemple emblématique de cette dépolitisation est l’article que Jean Schlumberger, l’un des fondateurs de La NRF, consacre le 6 juillet 1946 à un sujet de l’actualité politique sous le titre « La langue française peut-elle encore servir la paix ? » Sur l’euphémisation discursive, voir Bourdieu 1982, p. 78-83 et passim.
3 Voir aussi Jacques Patin, « Le hitlérisme ou l’hitlérisme ? Qui a raison ? », FL 12 avril 1947, p. 1, etc.
4 L’un de ses traits concerne la prononciation des noms étrangers : « Dans les noms flamands et hollandais, nous ouvrirons un a en gueule de four : Verharen (Verhaeren). Maeterlinck, lui, capitul[e]. Il restera donc, à la française, comme il le voulut, Méterlinck » (22 décembre 1951).
5 « La langue et la vie. Faut-il nationaliser “pool” ou admettre “la communauté charbon-acier” ? », FL 29 décembre 1951, p. 7.
6 À l’exception des textes 3 et 4, dont le premier évoque le cadre du second.
7 W[ladimir] [d’]O[rmesson], « La Belgique est délivrée. Son Roi lui sera rendu », Le Figaro 6 septembre 1944, p. 1. Tout autre était la tonalité en mai 1940, dans le même quotidien, à propos du « roi félon ».
8 Pierre de Latil, « Une surprise en Belgique ou Les mystères des mathématiques. La théorie des ensembles qui est en France un exercice ardu des candidats à Polytechnique est enseignée à Bruxelles à des enfants de quinze ans », FL 18 juin 1960, p. 13, etc.
9 Sauf lorsque ces dernières fonctionnent en rapport avec la France (p. ex. id., « Multipliant les tours de force électroniques. Un radar français – à trois dimensions ! – règle le trafic aérien au-dessus de la Belgique », FL 16 août 1958, p. 9).
10 Sion 1981, p. 235.
11 Baudouin est monté sur le trône en 1951, son père ayant abdiqué en raison de la « question royale » (évoquée dans Les LF et non pas dans Le FL ; cf. Udding 1992).
12 Voir Jean Duché, « Quand les Quarante sont onze et vont chez le Roi », FL 17 mai 1952, p. 3 (les « quinze » seront en effet « onze »). Sur Guillaume, voir l’État présent de la noblesse du Royaume de Belgique. VII s. d.
13 15 novembre 1958. Elle sera encore présente au cinquantième anniversaire de sa cadette francophone, le 25 avril 1972.
14 Y participèrent pour la France, entre autres : Caillois, Cassou, Clouard, Emmanuel, Kemp (feuilletoniste aux NL) et Rousselot (chroniqueur au même journal) ; pour la Belgique, entre autres : les académiciens Bodart, Christophe et Liebrecht, ainsi que Goffin, qui deviendra académicien l’année suivante, et Ruet. Cf. D[ominique] A[rban], « Georges Duhamel salue les écrivains belges aux entretiens de Royaumont », FL 6 juin 1953, p. 4.
15 L’agrégé des lettres Paul Guth, fils de paysans et de mécaniciens des Hautes-Pyrénées et ancien condisciple au Lycée Louis-le-Grand des maurrassiens Thierry Maulnier, autre collaborateur permanent du FL, Robert Brasillach et Maurice Bardèche, n’est pas sans savoir que, dans un passé pas si lointain, certains de ses confrères ont appliqué ce principe avec le sérieux que leur inspirait la Révolution nationale (par exemple, Dupouy 1942).
16 Sur la poésie comme genre toujours davantage prisé par les régionalistes français sous la Troisième République, voir Thiesse 1991, passim.
17 Le Petit Robert 2 1988. Après 1968, Guth se classera lui-même parmi les intellectuels « réactionnaires » (de Boisdeffre 1985, p. 673).
18 Selon Bancquart 1995, p. 47.
19 À cette condescendance réagira, entre autres, Jean Charles-Brun, qui milite depuis le début du siècle pour la décentralisation politique, économique et culturelle de la France et qui apporta son soutien à la Révolution nationale sans adhérer à la collaboration politique de Vichy. Billy aura le mot de la fin dans une chronique de juillet 1946.
20 Voir ses « Propos du samedi » du 3 juillet 1954 (« Calme plat en littérature ») et du 6 octobre 1956 (« Qu’attendre des nouveaux venus ? »).
21 Divoire est l’auteur de deux traités satiriques qui proposent une réflexion sur la « métastratégie » littéraire (Divoire 1912 et 1928). En 1909, il introduisit le futurisme en Belgique, avec ses compatriotes Henri Guilbeaux et Henry Maassen, futurs immigrés à Paris comme lui (Weisgerber (s.l.d.d.) 1991).
22 Dioudonnat 1993.
23 « Propos du samedi. Flamingants et francophones », FL 11 février 1950, p. 2.
24 Vial 1950.
25 André Rousseaux, « Les livres. Poètes canadiens », FL 8 mai 1954, p. 2.
26 « Propos du samedi. La littérature française universelle et les littératures françaises d’ici et d’ailleurs – […] », FL 2 août 1947, p. 2.
27 Distinction caractéristique du champ intellectuel français et spécialement de son état en 1947 où l’opposition entre l’« art pur » et l’« art social » est quotidiennement avivée par la controverse au sujet de l’« engagement ».
28 On notera ainsi que, si Le Figaro a rendu compte dès leur parution de tous les romans de Sartre, l’existentialisme comme phénomène collectif, notamment dans ses rapports avec le communisme, reçoit un traitement presque frivole de la part du FL (p. ex. Raymond Aron, « Au Congrès international de philosophie. Bagarre à l’ombre du sénat romain entre l’existentialisme et le marxisme », FL 14 décembre 1946, p. 4 ; le confrère de Sartre est alors devenu son contradicteur et, militant gaulliste, il sera bientôt (de 1947 à 1977) éditorialiste au Figaro).
29 Cf. LeSage et Yon 1969 et Jurt 1980, p. 403.
30 Patrick Mahony, « Chez Maurice Maeterlinck, le jour anniversaire de ses 80 ans », FL 18 janvier 1947, p. 3. Dans ce même article, on se souvient aussi du patriote résistant des deux guerres mondiales.
31 Célia Bertin, « “Je ne suis pourtant pas méchant ! J’ai seulement la dent dure…”, dit Maeterlinck, à propos de ses Souvenirs dont, à l’aube de sa 87ème année, il écrit le second tome », FL 18 décembre 1948, p. 3.
32 Cf. Bourdieu 1982, p. 61-64 et id. 1979, p. 551.
33 P[ierre] M[azar]s, « La Sorbonne rend hommage à Verhaeren », FL 30 avril 1955, p. 4.
34 « Propos du samedi. Whitman, Verhaeren, d’Annunzio et l’amour de la vie », FL 14 juillet 1951, p. 2.
35 Le critique poétique estime lui aussi que Verhaeren « fut, entre les années 1890 et 1910, considéré par certains comme l’unique poète de l’époque » (28 février 1953).
36 « Dimanche 21 décembre, à 15 heures, dans les salons du Cercle républicain, 5, avenue de l’Opéra, sous la présidence d’honneur de S. E. le baron Guillaume, ambassadeur de Belgique en France, et sous le haut patronage de M. le président André Marie, ministre de l’Éducation nationale, les Poètes français célébreront le cinquantenaire des Forces tumultueuses du grand poète belge Émile Verhaeren » (20 décembre 1952).
37 25 septembre 1954 (c’est nous qui soulignons).
38 Même un Billy, qui se plaint que les livres belges soient si mal diffusés à Paris, se dit explicitement tributaire de ce canal d’information.
39 A[rban], art. cit.
40 Boschère entretenait très probablement le doute concernant sa propre provenance, ainsi qu’en témoigne Billy le 31 janvier 1953. Qu’il eût, en réalité, francisé son nom à la suite de son père (de Bosschere est un patronyme fréquent en pays néerlandophone ; voir Berg 1979, col. 89), importe moins que la disposition du critique à « rattacher » le nom de l’écrivain francophone, signifiant de son capital symbolique, à la France.
41 Ayant rejoint l’armée belge à Montpellier, Bosquet fut incorporé à l’armée française après la reddition de Léopold III. Passé à New-York en 1942, il y entama sa carrière « parisienne » parmi les nombreux écrivains et peintres belges et français en exil. Il suivit l’armée américaine en Europe et fut chargé de mission à Berlin, poste dont il démissionna en 1951. Il se fixa alors à Paris pour se lancer dans une carrière littéraire qui débuta « vraiment » chez Gallimard, par le truchement d’un membre du comité de lecture, le Belge Claude Elsen, alias Gaston Derycke (témoignage oral d’Alain Bosquet, 8 février 1992, le Quintrec 1964, Marginales 24, 125 et Bosquet 1982 et 1990).
42 L’article est extrait de Schakovskoy 1958.
43 Après avoir passé la guerre en Angleterre, elle suivit son mari, diplomate belge d’origine russe, dans plusieurs capitales pour se fixer définitivement à Paris en 1959. Devenue la rédactrice en chef de La Pensée russe, elle ne s’y est jamais complètement intégrée dans les milieux littéraires (témoignage oral de Zinaïda Schakovskoy, 15 juillet 1994, Coudenys 1995, p. 343 et 360-364, et Schakovskoy 1958).
44 Remarquons encore que, comme dans Les LF, l’expansionnisme intellectuel français est encouragé, mais à travers des institutions différentes – là, des clubs d’admiration mutuelle, ici des institutions d’État.
45 Duché, « Quand les Quarante sont onze et vont chez le Roi », art. cit. La réception de Simenon est l’une des principales raisons pour lesquelles le romancier a quitté pour deux mois les États-Unis où il vit depuis bientôt sept ans (il reviendra en France en 1955 et s’installera en Suisse en 1957). À son arrivée au Havre, Guth avait expliqué ce que « Balzac bis » a de belge : « Il lance des fusées d’accent belge. Il graillonne d’une voix chaleureuse de moules et frites » (22 mars 1952).
46 Fascination bien traduite par le titre d’un articulet du 17 octobre 1953 : « Des prix ! des prix ! »
47 Titre d’une rubrique d’échos.
48 En passant par le Prix Camille Engelmann, attribué par l’Association pour le progrès intellectuel et artistique de la Wallonie et qui attire presque chaque année l’attention sur le vocable « Wallonie » dont le processus de légitimation est balbutiant. Celui-ci se déroule surtout dans les rubriques d’échos. À noter que l’on y parle volontiers de Stavelot, ville où, en 1954, un musée est inauguré en souvenir d’Apollinaire, qui y passa quelques mois en 1899 (voir 50 Ans d’amitiés littéraires et artistiques franco-belges 1965, p. 29).
49 « La mort de Rosny jeune » (26 juin 1948), « Le souvenir de Christian Beck » (6 décembre 1952), « Le souvenir de Jean de Boschère » (31 janvier 1953), etc.
50 Les jeunes reporters, nés vers 1910 et ayant bénéficié d’études secondaires dans les années vingt, voient la trame des représentations inculquées à l’École confirmée par la bonne volonté de leur aîné.
51 Le programme des conférences de cette association fondée en 1903 et qui décerne un prix littéraire dont le jury est composé en partie d’académiciens belges et de Gérard Bauër de l’Académie Goncourt, est communiqué annuellement. Le journal attire aussi l’attention sur les séances organisées par La Pensée belge, dirigée par Élisabeth Wittouck, épouse du baron Guillaume.
52 9 février 1957, 26 novembre 1955 et 25 juin 1960.
53 Le critique théâtral, très favorable au dramaturge inconnu qu’est pour lui Hugo Claus, ne se prive pas de stigmatiser l’attitude du public français envers une pièce étrangère : « L’action se déroule dans la Belgique du Nord, d’où, peut-être, l’auteur est originaire ; cela expliquerait quelques maladresses, non de style – celui de M. Claus est ferme et pur – mais dans sa façon de parler des “choses de l’amour”. M. Claus ne sait pas, ou ne semble pas savoir que le spectateur français ne peut pas entendre parler des choses de l’amour sans “rigoler” : c’est ce qu’il appelle avoir du bon sens ».
54 Claude Roger-Marx, « Le siècle d’or de la peinture flamande. De notre envoyé spécial à Bruges », FL 16 juillet 1960, p. 12.
55 Jacques Lemarchand, « Les spectacles. Le théâtre. Magie rouge de Michel de Ghelderode, aux Mardis de l’Œuvre », FL 7 avril 1951, p. 10.
56 Venu du journal Combat au FL en 1950, il collaborera bientôt à La Nouvelle NRF. Dans sa chronique de Combat, il s’était farouchement opposé au retour du théâtre de boulevard au profit de nouveaux venus comme Ghelderode, Adamov ou ionesco. Il soutint activement le « théâtre populaire », tout en s’attaquant à certains rédacteurs de la revue du même nom, tel Roland Barthes, dont il jugea les outils critiques par trop intellectualistes (Mortier 1986, p. 104-158).
57 Beyen 1974, p. 162.
58 31 octobre 1953. De même, comme il arrive généralement en France s’agissant de ce qui paraît insaisissable dans des œuvres produites par des auteurs ou des artistes belges, les aspects fantastiques sont rabattus sur la « Flandre » : La Balade du Grand Macabre est, « tout le monde » le sait, « une bonne et solide blague du folklore flamand » où règne « la plus flamande des familiarités avec la vie quotidienne, avec la mort, son terme naturel », etc.
59 26 janvier 1957. D’autant que subsiste l’épine du CNE, contre lequel il s’acharne jusqu’au-delà de 1956, quand l’organisation « communiste » n’est pourtant plus, de son propre aveu, que « débris ».
60 Associé à la posture dreyfusarde, ce dernier est condamné notamment par Maulnier (cf. son article « Les intellectuels avec nous » du 26 novembre 1955).
61 Anonyme, « À la devanture du libraire. Cité universitaire, roman, par Élisabeth Trévol », FL 7 janvier 1956, p. 10 ; Rolin 1955.
62 La romancière, critique et journaliste Gabrielle Rolin s’est installée à Paris en 1949. Elle y a construit une œuvre qui s’est toujours montrée réticente à toute forme d’intellectualisme. Y sont pour beaucoup son rapport à Paris (elle n’a jamais pris la nationalité française) et à ses parents déçus (le professeur d’université, ministre et président du Sénat belge Henri Rolin et une mère parisienne « très antibelge »), qui ne se procureront jamais ses livres (témoignages oraux de Gabrielle Rolin, 27 juillet et 25 octobre 1994).
63 Jean Blanzat, « Les romans de la semaine. La Neige était sale de Simenon », FL 12 février 1949, p. 5.
64 On a vu que le texte de Mallet-Joris permet en effet de rapporter « A. » à Anvers.
65 Beaucoup de commentateurs l’insérèrent à l’époque ou l’inséreront plus tard dans le « réalisme magique » (voir Sarr 2002).
66 Cette œuvre fut souvent saluée comme un avatar belge du nouveau roman. Sur le rôle du visible chez Guy Vaes, voir Quaghebeur 1982, p. 157.
67 De manière analogue, la poésie de Jeanine Moulin est « mystérieuse et toujours humaine » (9 novembre 1957).
68 Dans la presse littéraire comme ailleurs. Cette délégitimation semble assez étroitement liée au succès du roman et tiendrait donc, dans une large mesure, de la désaffection.
69 Voir, par exemple, son compte rendu des Sangliers d’Hubert Juin (12 avril 1958). Lemarchand ne se montre guère plus séduit par le « nouveau roman ».
70 On notera que, parmi les 138 ouvrages d’auteurs belges fixés en France, ceux que l’on voit associés à la Belgique sont presque tous en vers.
71 22 mai 1954. Ruet, poète maurrassien rayé des listes de l’Association des écrivains belges pour son attitude pendant la guerre, s’installa à Paris vers 1948.
72 Fouras commet une erreur sur la nationalité de Palgen, mais aussi ce consul du Luxembourg fixé à Liège depuis 1925 est-il « le seul poète luxembourgeois à être naturellement associé aux anthologies de poésie française de Belgique » (Anthologie de la troisième décade 1950-1960 1963, p. 422).
73 Voir 50 Ans d’amitiés littéraires et artistiques franco-belges 1965, p. 30-41, et AML.
74 Même si, rappelons-le, l’hebdomadaire communiste condamne cette initiative qui se rend coupable d’ostracisme anticommuniste.
75 Cf. Bourdieu 2002 [1984], p. 75.
76 1er février 1958. Le moment est peut-être venu de rappeler que, sous l’effet de l’accumulation des lacunes et des silences observés, notre description risque de donner l’impression d’un constat d’échec ou, pire, d’une dénonciation, lesquels seraient toutefois déplacés eu égard à l’objectif explicatif qui ne vise qu’à montrer pourquoi les choses étaient (et parfois ne pouvaient être que) ce qu’elles étaient.
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