1. La presse littéraire française après la seconde guerre mondiale
p. 45-81
Texte intégral
Le champ littéraire français en 1946
1Le 25 août 1944, Paris est libéré. Le champ littéraire français entre dans une phase de restauration de son autonomie gravement amoindrie1. Les mutations littéraires vont générer des débats animés dans la presse (littéraire), dont certains, par exemple celui sur l’« engagement » de l’écrivain, se poursuivront bien au-delà de l’immédiat après-guerre. Chaque organe répercute à sa manière les ajustements provoqués par la disparition du double appareil de contrôle nazi et vichyste, et qui sont au fondement de certaines nouvelles oppositions structurantes. D’autres transformations trouvent leur origine dans les années de guerre, voire dans la période d’avant-guerre.
2La recomposition du champ est d’autant plus profonde que la guerre a porté sur le devant de la scène de nombreux jeunes (re)venus à Paris – « jeunes » non pas forcément au sens biologique du terme, mais du point de vue de l’ancienneté littéraire. Si, après 1914-1918, les vieux pesaient d’un poids inhabituel sur le monde littéraire, le second après-guerre est marqué par un déséquilibre inverse2. L’épuration, le discrédit ou la mort d’auteurs consacrés laissent une partie du champ libre à des nouveaux venus souvent proches ou issus de la Résistance et/ou du Parti Communiste Français. Pour s’être forgée sous l’Occupation, l’expérience de ces jeunes n’est pas négligeable. Ils parviennent à donner le change en faisant vieux, c’est-à-dire fiables, puisqu’expérimentés de manière anticipative3. Cette succession accélérée des générations, dont Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir apparaissent alors comme les symboles, et dont Roger Nimier sera l’une des meilleures incarnations, fait notamment la une de la presse littéraire, dès le lendemain de la Libération. Elle importe ici pour son impact sur la composition des rédactions, et donc sur leurs modes de perception de la Belgique et de la littérature nationale belge, laquelle eut son heure de gloire avant 1914. Ainsi, au FL, aux LF et aux NL, la génération de 1890 est moins bien représentée que celle de 1910 (cf. infra). Il convient d’esquisser les principes qui orientent les principaux débats du moment et informent cette perception. Le moment choisi est 1946, année de lancement du dernier venu des trois périodiques étudiés, Le FL.
Le nationalisme franco-universaliste
3Rares sont les domaines de la société française qui, au lendemain de la guerre, ne soient pas en effervescence, effervescence dont il importe toutefois de nuancer la portée. Car l’optimisme ambiant n’en repose pas moins sur des idées généralement vagues. Ainsi, le mot « révolution », « dont l’emploi quotidien et abusif ne paraît pas diminuer le pouvoir magique de fascination, n’a jamais tant été utilisé et n’a jamais tant attiré d’adeptes autour de lui4 ». Cet état d’esprit souvent aussi « révolutionnaire » que passager va s’avérer profitable à des entreprises tant collectives, comme la politique intellectuelle du PCF, qu’individuelles, telle la carrière du parangon de l’intellectuel nouveau, le directeur des Temps modernes. La Résistance, au contraire, va rapidement causer une certaine déception dans l’opinion, liée notamment au fait que le Conseil national de la Résistance (CNR) tient à faire prévaloir la légalité sur les coups de force insurrectionnels, lors même que l’épuration est entravée pour ne pas fragiliser l’unité retrouvée chère au général de Gaulle. La désaffection pour le « résistantialisme » devient patente dès 1946.
4Il faut donc se garder de verser dans le mythe de la table rase. Même durant la guerre, les champs économique et religieux sont loin d’avoir été menacés dans leur fonctionnement5. Un exemple économique intéressant est l’état de santé, excellent, de l’édition littéraire qui, malgré la censure, n’a guère eu à revoir ses logiques de production6. En revanche, le champ politique a subi des transformations considérables, dues à la présence allemande, à la destruction du régime parlementaire républicain et à la décrédibilisation des partis par le régime de Vichy et par la Résistance non communiste. Non seulement ce champ n’échappe pas à une certaine épuration (surtout par la voie des urnes), mais on y observe une inversion de l’échelle des valeurs, celles de la droite étant globalement disqualifiées, alors que celles de la gauche non radicale bénéficient de l’action de la Résistance (où les communistes sont en position de force) et tirent profit, aussi par simple contrecoup, du bouleversement axiologique. Aux élections d’octobre 1945, les socialistes de la SFIO progressent assez sensiblement par rapport à 1936, le Mouvement républicain populaire (MRP) issu de la Résistance chrétienne attire une grande partie de l’électorat de droite et obtient un score comparable avec 23,9 % des voix, mais c’est surtout le PCF, fort de sa réputation de « parti des 75 000 fusillés » et dont l’image est associée aux succès de l’Armée rouge, qui est en forte progression et devient le premier parti de France avec 26,2 % des suffrages. Pour autant, les cartes ne sont pas redistribuées de manière durable. Dès 1945, le jeu des forces politiques traditionnelles se reconstitue et les querelles partisanes reprennent de plus belle, au détriment de la Charte du CNR et des desseins du général de Gaulle, qui démissionnera début 1946. On s’aperçoit qu’il y a « probablement continuité beaucoup plus que rupture entre Vichy et les gouvernements qui lui succèdent7 ».
5Le séisme s’est d’autant moins transformé en cataclysme que l’un des pivots du basculement axiologique est un patriotisme aussi triomphant que peu innovant. Toutes les forces légitimes en présence se réclament, avec une ardeur exceptionnelle, de « la France », système de valeurs particulières en partie issues des Lumières et présumées universelles – valeurs ambivalentes, on l’a vu dans l’introduction, et même antinomiques. À intervalles réguliers depuis le début de la Troisième République, l’universalisme français a été battu en brèche par le nationalisme français, le couple universel-national formant l’un des traits contradictoires d’une « identité » française qui a constamment à se réaffirmer8. Ainsi, après la guerre contre l’Allemagne nazie, ce patriotisme, dont notre concept de franco-universalisme résume toute la tension interne, entend refonder le génie national sur l’humanisme universaliste dont il aurait le secret. Ce nationalisme ainsi vécu sous la forme d’un patriotisme progressiste est érigé en norme quasi absolue et constitue le principal ciment de l’éphémère union nationale, puis du tripartisme PCF-SFIO-MRP. Il légitime la politique de nationalisations, donne à la diplomatie pour but de rendre à la France son « rang » de « grande puissance », etc. Or, s’il entend rompre avec les dérives vichystes et éviter certaines erreurs de la Troisième République, il n’en est pas moins une option sociale fondée avant tout sur un principe de continuité. Systématisé durant les premières décennies de la Troisième République, il fut relativement ouvert à une certaine diversité de la nation française, certes une et indivisible. Dans sa version issue de la Seconde Guerre mondiale, le nationalisme franco-universaliste tend à renforcer le centralisme, comme l’illustre le discrédit qui, à partir de 1946, frappe le terme même de « régionalisme », mis à l’honneur par Vichy. Le pétainisme s’était en effet approprié la thématique régionaliste de la « Petite Patrie », vivace à la fin du xixe siècle et figée par la suite en topoï politiques et éducatifs. Cette doctrine, en glorifiant la diversité de la nation, eut beau en consolider l’unité et même le centralisme, la réaction de rejet d’après 1944 n’en tint pas compte9. Et s’il est vrai que le régionalisme vichyssois survécut à la guerre à travers certaines structures politiques, c’est dans la mesure où il permit un affinement du contrôle central sur l’administration10. Pour dominante que fût la perspective humaniste dans ces années de reconstruction, l’on aurait tort de sous-estimer le conservatisme de son substrat nationaliste.
6À cause de la guerre et de la politique expansionniste américaine en Europe et ailleurs, la France se trouvait reléguée au statut de puissance secondaire, tandis que son Empire, devenu le deuxième empire du monde au début du siècle, entrait dans un processus de décomposition rapide. Toutefois, à lire le « discours social » (Marc Angenot) de l’époque – textes politiques, scolaires, (méta)littéraires, etc. —, il apparaît que l’impact de ces modifications sur les agents, de quelque bord qu’ils fussent, demeurait limité11. Tandis que, dans les faits, l’Empire, assoupli en Union française en cette année 1946, se désagrège rapidement, dans les esprits, les choses prennent un cours beaucoup plus lent. Ainsi, ce n’est qu’en 1956 que l’« opinion publique » commencera à s’intéresser à la guerre d’Algérie, ou plutôt aux « événements », comme on disait alors de manière significative. En 1958, ce conflit meurtrier ne dépassera toujours pas le sixième rang des préoccupations des Français12.
7Il faut faire intervenir ici un effet d’hystérésis, qui fait que les espaces des possibles continuent à être perçus en fonction de leurs structures intériorisées avant la guerre. Cette inertie relative des habitus, systèmes de dispositions durables, permet de rendre compte de ce qui peut apparaître a posteriori comme une obstination, voire comme un entêtement suicidaire, et qui, encore en 1954, poussera le ministre de l’Intérieur François Mitterrand à déclarer devant l’Assemblée nationale : « Des Flandres au Congo, il y a la loi, une seule nation, un seul Parlement. » C’était deux semaines après les attentats du 31 octobre 1954 marquant le début officiel de la guerre d’Algérie, laquelle commença, en réalité, en mai 1945. On notera que cette phrase du futur président de la République française, qui voit dans les « Flandres » (françaises) et le « Congo » (français) les deux limites longitudinales de l’Empire, montre à quel point les intérêts de la France et ceux de la Belgique sont liés, leurs frontières étant en partie communes, plus réellement que n’est censée l’être leur langue. On y reviendra. soulignons ici que les ministres de Mendès France n’étaient pas seuls à faire preuve d’« une fermeté toute jacobine13 » : celle-ci contribuait à structurer les prises de position de nombreux agents dominants dans de nombreux univers sociaux ; elle était, autrement dit, un principe-clef du champ du pouvoir.
8Le profond attachement à une certaine image de la France éternelle marque toute la période étudiée ici, période durant laquelle la France « s’enferre en aveugle dans le refus des réformes et s’installe dans la confortable et consolante certitude de sa grandeur impériale14 ». Mais il y a plus que le décalage, véritable illusion d’optique, entre les modes de perception et d’évaluation et les structures objectives. Ainsi que l’attestent de très nombreux articles dans la presse, y compris littéraire, l’État lui-même avait du mal à réagir à la nouvelle donne. Eu égard à la croyance générale dans l’invulnérabilité de « sa » langue et donc de « sa » culture, il s’était contenté jusque-là de soutenir les institutions vouées à leur défense et illustration, telles que l’Alliance Française, la Mission Laïque ou le plus modeste Bureau des Œuvres. Désormais, l’expansion culturelle serait l’un des principaux objectifs d’une politique énergique menée à grande échelle. La chose n’allait pas de soi, puisque la plupart des décideurs et des intellectuels étaient loin d’être convaincus de la nécessité d’une intervention étatique dans les domaines liés à la langue française. L’urgence d’une réforme de la politique d’aide à l’exportation du livre (cf. introduction) naquit ainsi de « la prise de conscience du recul saisissant de la présence culturelle française à l’étranger une ou deux années après la fin de la guerre : dans leur naïveté nationale, auteurs et éditeurs français avaient jusque-là vécu sur la conviction que, passé l’état d’exception de la guerre mondiale, la “qualité française” retrouverait tout naturellement sa précellence15 ».
9Après 1944, la « mission civilisatrice » de « la France », fondée sur une langue-civilisation universelle et non sur une « Kultur » enracinée dans l’histoire d’un seul peuple16, est donc plus que jamais d’actualité. Le français devient plus ouvertement une arme symbolique essentielle dans la lutte contre les autres impérialismes de l’universel, à commencer par l’impérialisme états-unien17. La Seconde Guerre mondiale a ainsi accéléré de manière décisive le processus d’émergence d’un espace intellectuel international, l’un des principaux vecteurs de cette accélération, à savoir la langue anglaise en pleine expansion, étant en outre devenu lui-même un enjeu central des luttes intellectuelles de portée internationale (cf. introduction). Cette guerre des langues se déroulera, pour ce qui est du français, sur les continents africain, asiatique et nord-américain, mais aussi – et c’est là une réalité beaucoup moins prise en compte – sur le continent européen. En effet, les pays européens partiellement francophones, et tout d’abord la Belgique, subissent également de plein fouet, mais avec cette particularité qu’ils les dénient, les effets du repositionnement de la France à l’échelle internationale.
10De tout cela, le corpus étudié porte plus que les traces : il en est l’un des théâtres. Car les journalistes littéraires n’échappent pas à la forte politisation de la culture qui marque cette période, et notamment à cette espèce de renationalisation de la littérature française qu’elle voit s’opérer. L’on sait que l’inculcation des valeurs républicaines se réalise d’abord à travers l’enseignement scolaire, c’est-à-dire au filtre de la langue française et par un travail sur cette langue qui, surtout à l’École secondaire, fonctionne comme principal outil d’unification des modes de pensée. Les journalistes et les écrivains (et a fortiori les écrivains-journalistes), souvent issus de familles bourgeoises qui orientent leurs enfants vers l’acquisition de capital scolaire18, sont une clientèle fidèle de l’École secondaire. En 1900 comme en 1930, dates entre lesquelles la grande majorité des critiques impliqués dans cette étude effectuent leurs études secondaires (à peu près la moitié entre 1900 et 1915), le réseau secondaire français demeure largement privé et dispense une formation élitiste19, où le patriotisme est une valeur centrale et déterminante dans la formation de la perception légitime des cultures et littératures étrangères. si le rapport entre la formation des critiques et leurs discours commence à peine à être étudié, l’analyse des manuels scolaires permet d’ores et déjà de voir à quel point, au sein de l’univers intellectuel français, un corpus francophone européen comme la littérature belge francophone est non pas tant lu que perçu à travers des stéréotypes solidement concaténés et intériorisés, bref, à quel point ce corpus en tant que tel y passe inaperçu20. Tout donne ainsi à penser que, au lendemain du conflit, les responsables politiques, économiques, etc. et les intellectuels, a fortiori parisiens, n’étaient guère stimulés ni à modérer leur propension à l’universalisation de leurs particularités, ni à modifier leur conception de la culture franco-universaliste, notamment l’idée de son « rayonnement » à travers le monde et toute la vision schématique du monde et de l’Histoire qui la sous-tend.
Qu’est-ce que la littérature ?
11Le programme franco-universaliste qui est l’une des clefs de voûte du nouveau régime fondé en octobre 1946 et finalement « très proche de celui de la IIIe République21 », participe ainsi d’une volonté de restaurer la souveraineté nationale et, inséparablement, la précellence internationale de la France et de « sa » culture. Cette volonté se trouve médiatisée dans l’ensemble des univers artistiques, y compris là où une forme de décentralisation se dessine timidement, par exemple dans le monde du théâtre22.
12Dans le domaine littéraire, l’« universalisme » (français) est non seulement une norme prédominante, mais un principe vécu comme essentiel. L’étendue de la juridiction littéraire française est en effet systématiquement car spontanément confondue avec l’étendue de la production littéraire en langue française, confusion qui fonde, avec d’autres raisons moins symboliques, la croyance dans l’impératif d’une défense et illustration de la littérature française universelle converties en « mission civilisatrice ». Le franco-universalisme littéraire et les attitudes négatives qu’il encourage à l’égard de ce qu’il ne reconnaît pas comme universel, résultent de la reproduction de cette confusion par l’imposition d’un système de représentations esthétiques, éthiques, politiques, etc. que les agents littéraires ont intérêt à maîtriser au mieux et qui travaille à voiler le caractère antinomique du couple français-« français ». Cette imposition, produit d’une familiarisation quotidienne, « innocente » avec le système de la doxa littéraire à travers des pratiques infinitésimales et impensées pour la plupart, est réussie dans la mesure où elle est méconnue en tant qu’imposition. À ce titre, elle génère inlassablement l’illusion bien fondée de la validité universelle des définitions prescrites, et d’abord celles relatives à la langue « française » et à la littérature « française ». Lorsqu’en février 1936, la Société des Gens de Lettres de France défend « le projet, déjà plusieurs fois évoqué, de faire du français une langue universelle23 », cette institution, reconnue d’utilité publique depuis 1891, ne fait que rendre manifestes les efforts, déployés par l’ensemble des « gens de lettres » et considérés par la plupart d’entre eux comme naturels, pour contribuer à universaliser un code et des intérêts particuliers. En harmonie avec le champ du pouvoir, une institution littéraire comme la SGDL mène ainsi une politique qu’il serait tentant de taxer d’impérialiste si le mot ne présentait ses initiatives, pourtant délibérées et méthodiques24, sous un jour par trop volontariste. C’est spontanément, y compris dans les débats et réflexions sur le principe littéraire franco-universaliste, que la quasi-totalité des agents s’accordent sur le bien-fondé de ce principe, quitte à se déchirer sur telle ou telle modalité d’application, orthographique ou autre.
13Au xxe siècle, La Nouvelle Revue Française et la maison d’édition parisienne Gallimard ont réussi, sans élaborer de doctrine explicite, à inscrire dans la fonction d’innovation de l’écrivain ce principe de tradition par rapport auquel tout le sous-champ de production restreinte a désormais à se définir. La NRF apparaît comme le couronnement institutionnel du processus d’adaptation (paradoxalement largement non écrite) d’une croyance politique séculaire à un champ littéraire relativement autonome. S’opposant à toute littérature d’idées en même temps qu’à l’« art pour l’art », La NRF, fondée en 1909 par six écrivains (parmi lesquels le Belge naturalisé Français André Ruyters), est rapidement devenue la gardienne d’un art littéraire libre, « pur » et « désintéressé ». Ses conceptions universalisantes étant conditionnées par l’existence d’un « génie français », elles restent néanmoins sensiblement tributaires des traditions nationales classicisantes25. À la Libération, cette institution phare, « évangile » (François Mauriac) d’une doctrine littéraire à demi-mot sur les limites sans limites de la littérature par excellence, se verra frappée d’interdiction pour avoir paru jusqu’en juin 1943 sous la direction collaborationniste de Pierre Drieu La Rochelle. Mais elle renaîtra de ses cendres dès janvier 1953 grâce à l’artifice d’un « nouveau » titre : La Nouvelle NRF. Comme si le champ littéraire français ne pouvait se passer de ce codificateur discrètement efficace, moins novateur que capable, à l’image de sa figure tutélaire Jean Paulhan, d’adapter la plupart des énergies nouvelles aux nécessités profondes du champ, c’est-à-dire capable de les investir dans les luttes de définition de l’« écrivain français ».
14L’invasion allemande a donné à ces luttes une visibilité exceptionnelle en plaçant au cœur des débats qui allaient agiter les divers secteurs du champ littéraire déchiré la reformulation de la « pensée française » ou de l’« esprit français ». Pendant plus de quatre ans, la Résistance littéraire, les tenants de la Révolution nationale et les ultra-collaborationnistes qui prônaient à Paris l’idéal d’une « littérature européenne », se sont livré un combat sans précédent durant lequel le qualificatif « français » réapparaissait au grand jour comme le critère fondamental d’appartenance au champ. L’obstination de quelques-uns à restaurer l’autonomie littéraire, suscitant de proche en proche toute une « littérature de l’ombre26 », aboutit, pendant et surtout après la guerre, au retour en force de l’affirmation nationale de la « littérature française », avec ses corollaires, la centralisation parisienne et le monopole parisien de la définition légitime de l’écrivain (français). L’on voit ainsi que, à l’instar de l’ensemble des intellectuels français, la plupart des écrivains-journalistes qui vont remplir les rubriques littéraires des LF, du FL et des NL n’ont guère de quoi être motivés à s’interroger sur la doxa universaliste qui oriente leurs pratiques, notamment discursives.
La double pression du politique
15On a ainsi trop souvent tendance à oublier que la pression politique sur la littérature, univers dont l’émancipation n’est jamais chose complètement acquise, passe d’abord par la patrimonialisation de ses œuvres. Celles-ci gagneraient à être analysées dans leurs rapports avec cette forme de nationalisation. Que la littérature soit sortie affaiblie de la guerre, signifie aussi qu’elle est devenue plus vulnérable à cette double pression politique, institutionnelle et scripturale. D’ailleurs, se disputent alors les faveurs de la critique plusieurs projets esthétiques où s’exprime une forte sensibilité aux valeurs politiques gagnantes. Ces projets concernent avant tout les auteurs d’une nouvelle littérature de guerre ou de témoignage, les défenseurs d’un « art social » le plus souvent inspiré des thèses marxistes et des romanciers « existentialistes », alors que, en 1946, la production « résistantialiste » se heurte déjà à la lassitude du public27.
16La légitimité de la renaissance française en littérature paraît le mieux incarnée par une institution, le Comité national des écrivains (CNE) fondé en 1941 par des réseaux de la Résistance littéraire majoritairement communistes. Ce comité, qui rivalise avec les académies traditionnelles28, réunit en son sein le communiste Aragon, le résistant compagnon de route Vercors, l’académicien catholique François Mauriac, le philosophe « existentialiste » Jean-Paul Sartre ou encore l’éminence grise du système Gallimard, Jean Paulhan. Au nom de la « pensée française », le CNE souhaite une épuration effective de la République des Lettres, notamment en demandant à ses membres de ne pas donner de textes aux périodiques et aux éditeurs qui accueillent les écrivains suspects rassemblés sur une « liste noire », liste préparée avant la Libération et publiée dans la presse littéraire29. Toutefois, subissant toujours davantage l’influence communiste, le CNE est lui-même rapidement contesté, y compris par une fraction grandissante de ses membres. sur le reproche d’inféodation à un parti politique se greffe une revendication plus fondamentale, celle demandant au Comité de relativiser ou d’abandonner la « liste noire » au nom de l’autonomie littéraire. L’épuration propre au champ littéraire (et officialisée par le champ politique) a en effet tout pour diviser pendant longtemps sa population et pour se répercuter tout aussi longtemps dans la presse littéraire, en ce qu’elle touche à la question éminemment délicate des rapports entre « la » littérature – « Qu’est-ce que la littérature », en effet ? – et « la » politique, et donc au clivage entre tenants de la perméabilité de la littérature aux idées politiques et partisans d’un art « pur30 ».
17La question de la responsabilité se pose objectivement à l’ensemble des intellectuels, désormais contraints, qui plus est, de réajuster leurs stratégies à des conditions de production en partie nouvelles. Le couple engagé-désengagé ou non engagé auquel cette question tend à se réduire est toujours plus perçu comme recoupant l’opposition, provisoirement délégitimée pour cause d’euphorie unitaire, entre écrivains « de gauche » et écrivains « de droite » qui, déjà en 1946, est en train de supplanter celle entre « résistants » et « collaborateurs ». L’étiquette « de gauche » est largement assimilée au (philo)communisme ; c’est même un « vrai tabou de l’anti-communisme31 » qui s’instaure alors dans le champ intellectuel, et spécialement parmi les intellectuels au service du Parti et parmi ses très nombreux sympathisants et compagnons de route. Pour bon nombre d’intellectuels jusque-là peu « engagés » – dont sartre et simone de Beauvoir —, le PC devient un élément-clef de leur activité32. Ce sont Sartre et les « existentialistes » qui parviennent à bénéficier le plus durablement de la reconnaissance exceptionnelle accordée à l’« engagement » de l’écrivain « responsable », que non seulement ils sont les plus assidus à théoriser, mais dont ils font la théorie en prenant soin de l’articuler autour de l’autonomie relative de chaque univers (littéraire, philosophique, politique, etc.) concerné par leur démarche totalisante.
18La littérature « de droite » est, quant à elle, globalement discréditée. Il faudra attendre le début des années 1950 pour la voir multiplier les initiatives concourant à sa réhabilitation progressive. En littérature comme ailleurs, les luttes de l’après-guerre sont loin de viser toutes le renouveau. Au-delà de la restauration des bases nationales de la littérature, certaines pratiques parmi les mieux établies jadis ne tardent pas à reprendre leurs droits. Les institutions de la vie littéraire, à commencer par les plus anciennes et les plus consacrées, peuvent à nouveau donner libre cours à leur tendance à l’inertie. Un certain immobilisme caractérise également des institutions littéraires telles que le genre poétique. Cédant le pas aux recherches individuelles de poètes souvent volontairement isolés, une partie notable de la poésie « s’occulte à cette époque33 ». On assiste aussi à la réapparition de débats datant d’avant 1940 et dont les termes ne sont pas toujours, tant s’en faut, en phase avec la nouvelle configuration du champ.
19En somme, le rapport entre littérature et politique se présente comme le principal facteur de changement durant les premières années de l’après-guerre. Dans la mesure où elles se surdéterminent mutuellement, les nouvelles oppositions qu’il engendre – résistant-collaborateur, communiste-anticommuniste, engagé-désengagé – continueront de produire certains effets jusque tard dans les années cinquante. S’il est vrai que le débat se pose essentiellement en termes de responsabilité politique de l’écrivain, l’on donne très généralement aux mots « politique » et « écrivain » une portée nationale. Or, une approche indissociablement nationale et internationale permettrait de rapporter aussi la teneur et la virulence des disputes à la menace qu’une France de plus en plus privée des moyens de sa « mission civilisatrice » fait peser sur d’autres principes constitutifs de la « littérature française » (e.a. son universalité fondée sur l’universalité de son support linguistique, ainsi que son lien ombilical avec la nation française comme terreau naturel de cet universalisme littéraire). Ainsi, la France à peine libérée, on vit bon nombre d’agents littéraires s’engager – forme d’« engagement » moins prise en compte – dans la bataille intellectuelle, parfois acharnée et pas seulement sous l’impulsion de la doctrine communiste, contre l’« invasion » culturelle menée par les alliés anglo-saxons. Cet exemple, auquel notre corpus fait largement écho, illustre la nécessité d’avoir des pratiques littéraires une approche à la fois plus intellectuelle et plus internationale.
La presse littéraire française en 1946
La bataille des revues
20Ce second après-guerre se caractérise aussi par le fait que les périodiques, toujours plus nombreux, jouent un rôle toujours plus notable dans la vie littéraire, et spécialement dans la lutte pour le pouvoir symbolique34. Une des raisons principales en est que cette institution sert de vitrine idoine aux groupes qui se bousculent plus que jamais à l’issue de cinq années de censure. Accentuant par là leur caractère d’agents littéraires à part entière, ce sont les revues qui enregistrent le plus directement et le plus finement les transformations littéraires en cours. Elles-mêmes sont soumises à une recomposition homologue de celle qui s’observe dans le champ des positions individuelles. Plusieurs organes, dont certains ont été fondés en zone Sud ou à l’étranger et transférés à Paris une fois la guerre terminée, partent à la conquête d’un marché en ébullition.
21Pour les plus ambitieux d’entre eux, la cible toute trouvée est la position laissée vacante par la défunte NRF. À partir d’octobre 1945, Les Temps modernes vont permettre à Gaston Gallimard de compenser largement la perte du fleuron de sa presse culturelle – perte provisoire, on l’a dit, d’autant que La NNRF sera précédée par des Cahiers de la Pléiade que Paulhan lance dès cette année 1946. En tant qu’incarnation de la nouvelle légitimité de l’écrivain « engagé », Les Temps modernes vont, pour au moins sept ans, modifier l’ensemble des rapports de force au sein du champ des revues (et au-delà). La tribune sartrienne pèse d’un poids tel qu’elle contribue à faire disparaître, autour de 1946, plusieurs de ses rivales, dont certaines déjà fragilisées par les difficultés que connaît le genre de la poésie. Elle fait de l’ombre à de nombreux autres titres tels que Critique. Mais surtout, elle restaure en le renforçant le parisianisme de tout le système. Un tel point de ralliement fait défaut aux écrivains résistants pour pouvoir se constituer en groupement autonome. Aussi se trouvent-ils rapidement dispersés dans les rédactions de périodiques variés, notamment dans l’équipe de Sartre. En ce qui concerne les communistes, ils tentent d’organiser la contre-offensive. Louis Aragon, rappelé par le Parti aux commandes du quotidien Ce Soir, demande à Jean Cassou, ancien résistant, de reprendre les rênes du mensuel Europe. Le PC lancera bientôt, dans la foulée de son XIe congrès en juin 1947, une autre revue, La Nouvelle Critique, produit exemplaire de la culture de parti.
22Ici aussi, le renouveau est moins profond et moins répandu qu’il n’y paraît. Un nombre croissant de titres affichent toujours plus clairement leur opposition aux nouveaux chantres d’une littérature socialement utile. Des écrivains « de droite » groupés autour de l’écrivain-éditeur monarchiste Roland Laudenbach créent dès 1945 les Éditions de La Table ronde, dont les financiers actionnaires entretenaient des rapports très étroits avec Vichy. Cette nouvelle maison veut concurrencer Gallimard en repêchant une grande partie des noms proscrits par le CNE35. En 1948 est fondée une revue homonyme, dont François Mauriac acceptera d’être le parrain (jusqu’en 1952), ce qui lui vaudra d’être exclu du CNE. On signalera ici que la chronique des spectacles de La Table ronde est tenue par Robert Kanters, critique belge naturalisé Français et maréchaliste pendant la guerre, tandis qu’un autre Belge à Paris, Claude Elsen, alias Gaston Derycke, y est chroniqueur littéraire36. Participe aussi à la revue, de 1951 à 1958, un troisième Parisien belge, Walter Orlando, pseudonyme de l’ancien collaborateur fasciste Robert Poulet37. La Table ronde a non seulement pour ambition de reprendre le flambeau de La NRF, mais de contrer, au nom de l’indépendance de l’écrivain, Les Temps modernes, le CNE et le PCF. Les auteurs qu’elle publie, souvent de formation ou d’obédience maurrassienne, y compris les futurs « hussards38 », ne s’en prennent pas tous à l’épuration et à l’« engagement », ce qui lui assure un certain pluralisme politique et esthétique. Ainsi, l’un de ses collaborateurs réguliers est, pendant un temps, le Belge Denis Marion (voir les chapitres 2 et 5), l’envoyé spécial permanent du quotidien bruxellois Le Soir qui, engagé dans la lutte antifasciste avant la guerre, participe de 1944 à 1946 aux LF proches du PCF. L’exemple de La Table ronde illustre le fait que les logiques spécifiquement littéraires retrouvent peu à peu toute leur force, au point d’atténuer des options politiques que l’euphorie humaniste des années 1945 semblait avoir reléguées dans le passé.
23À noter enfin que d’autres revues, le plus souvent anciennes, privilégient la continuité par rapport à l’avant-guerre. Cette inertie relative caractérise le Mercure de France, concurrencé à partir de 1908 par La NRF et devenu toujours davantage un lieu de célébration du passé (symboliste). C’est ce que reflète par exemple la « Chronique de la Belgique » tenue par le poète belge résistant et communisant René Lyr39. La tendance au conservatisme est particulièrement claire dans le cas des revues dites « de culture générale ». Celles-ci, comme l’ex-vichyste Revue des deux mondes ou la Revue de Paris, sont souvent devenues « des antichambres de ministères ou des refuges d’académiciens » et tendent à renforcer ce trait en réaction à la concurrence croissante, depuis les années vingt, des magazines illustrés et, surtout, des hebdomadaires de la presse littéraire40. Au pôle opposé, mais également menacé par l’usure, le surréalisme survit à travers des périodiques dont certains cherchent à renouveler les liens avec le PC et d’autres, autour d’un André Breton rentré des États-Unis en 1946, s’opposent à toute forme d’engagement41.
Le champ de la presse littéraire
24On a vu que la presse littéraire se distingue des revues par une triple hétéronomie : à l’égard du champ journalistique, des champs culturels (d’abord littéraire) et du marché (d’abord éditorial). Dans cet espace très relativement autonome, le degré de légitimité dépend de la corrélation entre deux facteurs : d’une part, une conception plus ou moins pure du journalisme culturel (littéraire), qui varie selon la position de chaque rédacteur dans l’univers journalistique et dans l’univers culturel (littéraire) ; d’autre part, un fonctionnement plus ou moins indépendant d’instances non journalistiques (d’abord politiques). Sous ces deux rapports, ce sont Les NL qui sont le mieux placées, devant Le FL, moins rigoureux sur le plan journalistique, et Les LF, fragiles sur les deux plans. La défense d’un art autonome et la défense de la pureté journalistique vont de pair, en vertu d’une propension à l’éclectisme (qui n’exclut pas le jugement critique et n’est donc pas synonyme d’objectivité) aussi bien informationnel qu’esthétique. Enfin, le chapitre 5 montrera qu’un bon indice du capital spécifique d’un hebdomadaire est sa capacité à suivre l’évolution littéraire internationale, liée notamment au recrutement de collaborateurs français et étrangers reconnus nationalement et internationalement.
25Si cette presse subit à sa façon les transformations que connaît l’ensemble du champ des périodiques littéraires, elle a la particularité d’être réceptive à certaines évolutions proprement médiatiques. L’issue de la guerre marque ainsi la fin des années fastes pour les hebdomadaires politico-littéraires, apparus au lendemain de la Première Guerre mondiale en tant que publications politiques. Ces périodiques au format quotidien mais à la parution hebdomadaire, donc moins coûteuse, remplacèrent alors les petits quotidiens d’opinion, qui avaient sombré pour la plupart42. C’est cette formule que Les NL, financées par la Librairie Larousse, reprirent en 1922, mais en la transposant pour la première fois dans le domaine littéraire. Elles furent bientôt imitées par Candide, « Le grand hebdomadaire parisien et littéraire » lancé par les éditions Fayard, puis par d’autres qui, à la différence de leur modèle, allaient tous ouvrir leurs colonnes à l’actualité politique et séduire un public de plus en plus large. Candide, d’inspiration maurrassienne, fut très vite dominé par la politique et ne cessa de durcir sa critique de la démocratie. Diffusé à 80 000 exemplaires à sa création en 1924, il dépassera allégrement les 450000 en 1936 (Les NL ne franchiront jamais le cap des 100 000 exemplaires en moyenne43). La politique (nationaliste et néopacifiste) devint aussi le cheval de bataille de Gringoire, l’autre « grand hebdomadaire parisien politique et littéraire » fondé en 1928 (600 000 exemplaires à la veille de la guerre), puis de Marianne en 1932. Ce dernier, qui se situait à gauche et constituait « avant tout une entreprise commerciale44 », tirait à 100 000 exemplaires après que l’éditeur de Détective, de Voilà et de La NRF, Gallimard, l’eut vendu en 19345. Presque chaque nouveau titre constituait un pas supplémentaire dans cette politisation à caractère commercial et orientée surtout vers le grand public de droite et d’extrême-droite46.
26La Libération marqua la fin de cet âge d’or. Cela dit, l’actualité politique et littéraire pour le moins mouvementée du second après-guerre allait donner à cette presse une dizaine de belles années supplémentaires. La plupart des écrivains-journalistes que l’on va voir à l’œuvre dans les chapitres suivants, ont fait leurs armes, voire pris un pli polémique dans ces tribunes d’avant-guerre impliquées de manière souvent outrancière dans les combats politiques des « fameuses années 247 » et 30. Les titres qui paraissent après 1944 continuent de se différencier le plus nettement sous le rapport de leur ouverture aux logiques politiques. Parmi eux, Les NL sont les moins politisées. Probablement le seul à s’être sabordé en 1940, cet hebdomadaire a attendu plus de quatre ans avant de réintégrer un marché où il retrouve toute sa place d’initiateur de la formule du journal littéraire, artistique et scientifique indépendant. Tandis que disparaissent les organes de la collaboration, dont les plus importants étaient Je suis partout (1930) de Robert Brasillach, La Gerbe (1940) d’Alphonse de Châteaubriant et Comœdia, ancien quotidien des spectacles transformé en 1937 en hebdomadaire (Candide et Gringoire finiront vichystes en zone Sud), leurs opposants clandestins sortent de l’ombre. Ils sont originellement marqués par la lutte politique. Les LF, créées en septembre 1942 comme tribune du CNE et de la Résistance littéraire unifiée, se présentent comme la relève de la littérature nationale dès le mois de septembre 1944. Également né de la Résistance en 1943, l’hebdomadaire Action réunit des intellectuels proches ou au service du PCF. À partir de 1949, il sera encadré par le Parti jusqu’à ce que, en 1952, ses abonnés soient priés de se tourner vers Les LF. Fondé lui aussi dans la clandestinité, Gavroche, « patriotique et social », c’est-à-dire socialiste, est animé par Jean Texcier et René Lalou, critique aux NL. Cette publication, qui s’efforce de rendre compte de toute l’activité littéraire, ne durera pas au-delà de 1948. Enfin, Le FL représente une catégorie d’hebdomadaires qui, après un temps d’adaptation à l’occupation allemande, avaient interrompu leur activité en attendant des jours meilleurs48.
27Un quatrième et dernier groupe est composé de toute une série de nouveaux hebdomadaires politico-littéraires qui, toutefois, ne connaîtront pas le succès de leurs prédécesseurs. Carrefour (1944-1977) est lié au MRP, mais se rapprochera toujours plus du gaullisme conservateur. S’il donne des textes littéraires (entre autres, en 1946, un roman de Georges Simenon), la littérature y occupe une part réduite (jusqu’en 1952). Au même pôle de l’intelligentsia catholique, relativement délégitimée, l’on trouve aussi Témoignage chrétien (1941), hebdomadaire anticommuniste et anticolonialiste de la gauche catholique, et Temps Présent (1937), « organe du spiritualisme catholique » peu indulgent envers Vichy et qui se saborde en 1947 au profit de Témoignage chrétien49. Il convient enfin de ne pas oublier les pages littéraires de quotidiens qui, même si certaines d’entre elles se veulent apolitiques, n’en sont pas moins étroitement associées à leur support, qui le sont moins. En 1946, outre les rubriques littéraires de Combat, journal issu de la Résistance gaulliste et dirigé, jusqu’en 1947, par Albert Camus et Pascal Pia, il s’agit surtout de « Une Semaine dans le Monde » du quotidien Le Monde, pages rédigées par Robert Kanters, Robert Kemp, le Suisse Albert Béguin et d’autres critiques de renom comme Émile Henriot. Mais ces deux suppléments cesseront de paraître en 1948.
28On observe donc que la presse littéraire demeure majoritairement perméable aux logiques politiques. Au terme de l’année littéraire 1946, le poète et critique Paul Chaulot constate que, d’un « nombre presque aussi important que les revues, les hebdomadaires sont souvent les porte-parole plus ou moins officiels d’une doctrine ou d’un parti » et que, par conséquent, ils réservent « plus de place à la politique qu’aux lettres50 ». Il n’empêche que le militantisme politique des rédactions faiblira à partir de la fin des années quarante et perdra de sa pertinence au fil des années cinquante. Dès 1947, il s’atténue dans la presse à grand tirage, et la presse dite « d’information » se développe au détriment de la presse « de combat51 ». En ce sens, la politique politicienne n’occupe plus la place qui était la sienne avant et pendant la guerre, la plupart des hebdomadaires ne se plaçant plus volontiers sur le terrain politique dans une logique d’affrontement.
29Les années soixante seront difficiles à cause de la concurrence grandissante des médias de masse modernes. La presse littéraire n’arrivera pas à résister aux succès des émissions audiovisuelles et des « newsmagazines » aux suppléments littéraires bien fournis, ceux de L’Observateur (né en 1950) et de L’Express (1953) en tête. Le début de la décennie suivante sonnera l’heure du déclin. En 1970, la SGDL « s’inquiète de l’avenir [du FL et des NL] et se demande par quoi ils seront remplacés52 ». Ils ne le seront pas : le premier sera réintégré au quotidien Le Figaro en 1971, le second se survivra à lui-même jusqu’en 1988, seize ans après la cessation des LF. Ainsi se refermera la parenthèse d’une presse littéraire qui, de 1922 à 1960, avait su renforcer sa fragile autonomie en paraissant sur des supports distincts, ne laissant plus guère dans les décennies suivantes que quelques titres bi-hebdomadaires ou mensuels (e.a. La Quinzaine littéraire, le Magazine littéraire, Lire).
30L’actualité politique n’étant plus goûtée comme autrefois, le champ connaîtra un rééquilibrage au profit de ses organes les plus indépendants, appelés parfois « hebdomadaires culturels », à commencer par Les NL. Après avoir regretté dans son bilan de 1946 la politisation de nombreux hebdomadaires, Paul Chaulot précise que « trois journaux parisiens au moins sont exclusivement consacrés aux choses de l’esprit » : Les NL, qui demeurent, « par-dessus les querelles d’école, un organe impartial d’information53 » ; Le FL, d’une tenue jugée exemplaire grâce à sa rédaction prestigieuse ; enfin, La Gazette des lettres, qui entend « photographier l’actualité littéraire ». Ce dernier hebdomadaire, créé en 1945 par Raymond Dumay, offre des pages bibliographiques et une revue de la presse littéraire. Le feuilleton littéraire y est assuré par Kanters, ami de Dumay et l’une des figures montantes de la critique littéraire. Publiée par l’éditeur suisse naturalisé Français René Julliard, La Gazette ne connaîtra cependant pas le succès de ses trois principaux concurrents, Les NL, Le FL et Les LF. Le passage de Kanters, devenu corédacteur en chef, de Julliard à Denoël en 1952 mettra fin à l’hebdomadaire54. Ses lecteurs seront priés de se reporter sur Les NL, où « La Gazette des lettres » continuera sous la forme d’une rubrique d’échos55.
31Enfin, la trajectoire de l’hebdomadaire Arts (1945-1967) relève elle aussi du renforcement du pôle littéraire. Elle illustre bien la transformation en enjeu littéraire dominant de la question des liens entre littérature et politique. Succédant à Beaux-Arts, un supplément hebdomadaire publié par La Gazette des beaux-arts, mais ouvert à l’actualité non strictement artistique, la priorité de Arts est l’information au service de « l’art et de la culture de notre pays » (31 janvier 1945). Cette double authenticité journalistique et artistique rappelle Les NL, lesquelles sont toutefois moins exclusivement nationales. Arts se trouve à égale distance de l’« art pour l’art » et du parti-pris idéologique des LF ou, à l’opposé, du FL. Mais son éclectisme artistique apolitique étant toujours plus critiqué dès 1946, il fait le choix, quatre ans plus tard, d’un journalisme plus dérangeant et d’un modernisme classicisant porté par une partie de la « droite » littéraire renaissante. Cette politisation littéraire se fait à coups d’attaques anti-existentialistes et antistaliniennes. Comme les tirages ne suivent toujours pas, le journal est repris en 1954 par Jacques Laurent qui, loin d’en avoir fait un nouvel hebdomadaire56, lui permettra d’investir pleinement, dans la presse littéraire, la position anti-sartrienne vers laquelle il était en train d’évoluer depuis quatre ans.
32Ainsi, de tous les hebdomadaires non politisés, quatre atteindront les années soixante : Les NL et Le FL, qui peuvent compter sur des bailleurs de fonds soucieux de la bonne marche d’une entreprise d’information (la maison d’édition Larousse et le quotidien Le Figaro) ; Arts, malgré des changements à répétition et un public plus restreint ; Les LF enfin qui, bien que liées à un parti politique dans un champ journalistique en voie de professionnalisation accélérée, ont réussi à s’imposer comme porte-parole des intellectuels de gauche, grâce à leurs collaborations littéraires et leurs efforts d’innovation. En 1946, Chaulot donnait un avis favorable à leur sujet, malgré leurs accointances toujours plus manifestes dans le monde politique (communiste)57. On notera que cet auteur ne fait aucune allusion à Arts, qui n’est pas à l’époque un hebdomadaire littéraire.
33En conclusion, les trois hebdomadaires analysés dans ce livre sont les seuls à connaître une publication continue et une ligne éditoriale relativement stable depuis la fin de la guerre aux années 1970. En outre, ils domineront durant toute cette période l’ensemble de la presse littéraire, non seulement par leurs tirages, mais à la manière d’un triumvirat capable d’en définir les nouvelles orientations. Reste à examiner aussi ce niveau-là de médiatisation des informations, c’est-à-dire les relations qui, se tissant entre ces trois institutions, en font un système apte à retraduire jusqu’à un certain point les informations et les contraintes venues de l’extérieur. À cet effet, on décrira, pour chaque organe, la trajectoire dont sa position en 1946 est l’aboutissement, ainsi que sa ligne éditoriale et sa rédaction, en privilégiant les rédacteurs en charge des rubriques littéraires58.
Trois frères ennemis
Les Nouvelles Littéraires (1922-1988)
34Fondées en 1922, Les NL furent, on l’a dit, la première publication culturelle à dominante littéraire à être publiée selon les principes d’un journal d’information générale. De cette innovation importante dans le champ mondial des périodiques culturels59, le jeune poète-journaliste Frédéric Lefèvre (1889-1949) fut l’instigateur. Celui-ci souhaitait créer une revue littéraire au format quotidien et à un prix défiant toute concurrence60. Féru de poésie, son but était de rendre l’élite littéraire accessible au plus grand nombre en popularisant des écrivains réputés difficiles. Le futur directeur, Maurice Martin du Gard (1896-1970), séduit par les idées de son ami, parvint à intéresser au projet quelques éditeurs importants, dont Gallimard, Bernard Grasset et le directeur-gérant de la Librairie Larousse, André Gillon (1880-1969). Ce dernier caressait lui-même le projet de faire mentir l’idée reçue selon laquelle littérature et actualité étaient incompatibles61. Pour lui, la seule scène littéraire pouvait parfaitement suffire à une publication de type journalistique, comme le lui prouvait chaque semaine le supplément littéraire du Times. La rencontre de Lefèvre et Martin du Gard avec Gillon fut décisive : ceux là tenaient leur éditeur, tandis que celui-ci voyait s’ébaucher la rédaction à laquelle il aspirait.
35Très attaché à la tradition encyclopédique de la maison Larousse, Gillon soumit à certaines conditions sa participation au projet. Quoique centrale, la littérature ne devait pas exclure les autres arts, le domaine scientifique et l’actualité internationale62. Le titre qu’il proposa, Les Nouvelles Littéraires, artistiques et scientifiques, reflète ce triple caractère journalistique, pluridisciplinaire et, eu égard à l’absence de toute référence à la France, international. Véritable énoncé programmatique, il donne également la priorité à la littérature. Les NL des années 1922-1925 sont même presque exclusivement consacrées à la littérature, après quoi elles accueilleront d’autres rubriques, mais sans jamais se départir de leur prédilection littéraire.
36Le premier numéro sortit des presses le 21 octobre 1922 et obtint un succès considérable, surtout en province et à l’étranger. En 1925, le journaliste professionnel Georges Charensol (1899-1995) entra aux NL pour en devenir la cheville ouvrière et en faire une entreprise journalistique digne de ce nom, mais toujours à une échelle artisanale. Après cette date, l’ampleur des ventes motiva d’autres équipes à lancer une publication calquée sur le nouveau concept. Durant tout l’entre-deux-guerres, c’étaient Les NL qui atteignaient le plus fort tirage des hebdomadaires littéraires (les concurrents ouvertement politisés mis à part). C’est que ce « journal de toute une génération d’écrivains63 » était rapidement devenu une référence et un outil précieux, y compris dans le champ littéraire où il attirait des collaborateurs aussi divers que talentueux : Montherlant, Larbaud, Mauriac, Edmond Jaloux, Paul Léautaud, Francis de Miomandre, etc. Une telle diversité atteste la primauté de l’esthétique sur toute autre question au sein d’une rédaction dont la composition n’allait guère changer jusqu’au second conflit mondial.
37Plutôt que de publier sous la censure, Gillon préféra arrêter net la publication, le 8 juin 1940, avant l’arrivée des Allemands à Paris. Les pressions exercées par les autorités nazies pour faire reparaître Les NL en tant que premier hebdomadaire culturel « européen » n’eurent aucun effet. Sa disparition fut, dans un champ culturel politisé à outrance, l’aboutissement logique d’une trajectoire fondée sur la double pureté artistique et journalistique. Ce non possumus est rappelé par Gillon dans l’éditorial du premier numéro d’après-guerre, le 5 avril 1945. S’y trouvent résumées les valeurs qui orienteront le journal dans les décennies à venir :
Notre programme ? Il sera le même qu’auparavant, mais renforcé et élargi par la méditation et par l’expérience douloureuse que ces cinquante-huit mois ont fait acquérir à tous les Français. Peut-il, en effet, s’agir pour nous d’autre chose que d’aider à la formation de l’humanisme nouveau sur lequel s’édifiera la puissance de la France ? De cet humanisme, autour duquel la Patrie va se reconstituer, les Lettres, les Arts et les Sciences sont les éléments essentiels. Avec la plus grande objectivité, avec cette conscience et cette rigueur que certains nous reprochaient peut-être, nous ferons connaître et aimer les œuvres des écrivains, des artistes, des savants, ceux de notre pays, ceux de nos alliés, ceux des autres pays. Notre peuple, sérieux et probe, y puisera les ressources de vie intérieure qui lui permettront d’affronter les dures réalités. Ainsi, nous aiderons à refaire de notre nation et de son Empire une collectivité consciente de son histoire et de sa destinée, qui saura trouver dans les œuvres de l’esprit les éléments de son unité de pensée et d’action. […] la résurrection des NL est l’un des signes les plus réconfortants de la continuité française64.
38L’objectif principal de l’hebdomadaire s’inscrit dans cette « continuité française » qui caractérise le discours social de l’époque, celle de « la puissance de la France ». Elle repose sur quatre valeurs, tout aussi récurrentes : l’identité nationale réaffirmée (« une collectivité consciente de son histoire et de sa destinée »), l’unité nationale retrouvée (« tous les Français » vont faire en sorte que « la Patrie va se reconstituer »), un franco-universalisme renouvelé (« la formation de l’humanisme nouveau sur lequel s’édifiera la puissance de la France ») et l’« esprit », c’est-à-dire l’intelligence française porteuse de cet universalisme (« De cet humanisme […] les Lettres, les Arts et les Sciences sont les éléments essentiels »). En 1945 comme en 1922, le journal ne jure ainsi que par la nécessité de transmettre ce qu’il y a de meilleur dans le domaine de l’esprit français ou du « génie français » (comme le formulait le premier éditorial d’octobre 1922), et ce en toute indépendance financière et sans exclusive esthétique ou idéologique. Diffuser ces « œuvres de l’esprit » signifie pour Les NL en informer le public national et international « [a]vec la plus grande objectivité », celle que dictent la culture encyclopédique et l’inspiration républicaine des éditions Larousse65. Devenu rédacteur en chef en 1949, Georges Charensol ne changera pas de cap.
39L’un des corollaires de cette ligne rédactionnelle est une tendance prononcée à l’apolitisme et au désengagement. Déjà avant la guerre, l’ajout de nouvelles rubriques aux chroniques littéraires et artistiques se faisait en excluant la politique, que Les NL s’interdiront toujours d’aborder directement. Après la guerre, le journal continuera de résister aux sirènes politiques. Un exemple emblématique, qui frise la provocation : tandis que les Russes du maréchal Joukov se battent à Berlin contre les dernières troupes hitlériennes, il publie, à sa une, un article intitulé « L’histoire vivante. Les Russes à Berlin », avec, en petits caractères, la précision « en 1760 ». Et alors que Les LF et Le FL publient la « liste noire » du CNE, il s’abstient d’en faire autant. La méfiance à l’égard des modèles socialiste, sartrien, aragonien et même bretonien est la marque d’une entreprise attachée à ce dont le journalisme risque constamment de la détourner : l’autonomie de l’art. Celle-ci est défendue sans cautionner qui que ce soit. Francis de Miomandre, pour qui « L’art est libre et doit le rester » (31 mai 1945), parvient ainsi à prendre position contre l’« engagement » sans citer le moindre nom. Pareille attitude corrobore l’image de « très objectives et sérieuses NL66 ». Mais celles-ci sont aussi perçues comme « sérieuses et traditionnelles67 », le second qualificatif mettant le doigt sur le fait que le cap neutraliste du journal le tient éloigné du pôle subversif des avant-gardes, sur lequel informer revient déjà à prendre position.
40Le mot « apolitisme » doit toutefois être entouré de guillemets s’agissant d’un journal qui fait preuve d’un certain conservatisme centriste, lié à sa tendance démocrate-libérale et, corrélativement, à la composition de sa rédaction. Gillon avait succédé en 1936 à Maurice Martin du Gard comme directeur de publication. « Pilier intellectuel, moral et financier de l’entreprise68 », ce fils d’un associé des éditions Larousse originaire du Loiret incarne « tout à fait le patron d’autrefois, c’est-à-dire le paternalisme : il s’imagin[e] avoir des devoirs, il v[eu]t que ce journal soit un journal littéraire qui répande la bonne parole69 ». Sans être anticlérical, cet athée adhère profondément au moralisme républicain de la famille Larousse. son poids dogmatique dans les coulisses du journal est contrebalancé par une certaine ouverture d’esprit capable, par exemple, d’accepter aux commandes de la rubrique théâtrale l’existentialiste chrétien Gabriel Marcel (1889-1973), membre de l’Institut et président de l’Union universelle des poètes et écrivains catholiques ; aussi ses préventions cèdent-elles devant les signes de la réussite sociale. L’admiration qu’il voue aux élites susceptibles d’élever le niveau culturel du plus grand nombre explique aussi l’attention particulière pour l’Académie française, voire la propension à l’académisme des NL, dont la tribune se transforme souvent en tribune d’« immortels ». Gillon représente ainsi le mieux le centrisme politique qui est au fondement de la position du journal, mélange d’humanisme et d’élitisme franco-universalistes. Sa disparition en 1969 permettra à Larousse de se défaire trois ans plus tard d’un hebdomadaire devenu financièrement peu intéressant. Les NL seront alors reprises par René Minguet, qui entreprend de les rajeunir tant sur le plan formel et thématique qu’en ce qui concerne la rédaction. En 1975, elles sont à nouveau cédées, cette fois au groupe Quotidien de Paris-Journal du Médecin pour passer enfin, en 1983, aux éditions Ramsay, qui en font Les Nouvelles. Ce titre amputé est tout un programme : les nouveaux dirigeants ayant succombé à la tentation de l’actualité politique, le journal, qui cessera définitivement cinq ans plus tard, perd une seconde fois son âme. La première fois, c’était avec la mort de Gillon.
41Au nouveau rédacteur en chef depuis 1949, le critique artistique et cinématographique Georges Charensol, journaliste peu sensible aux relations mondaines, Gillon préférait son prédécesseur, Frédéric Lefèvre, fils d’un médecin de Mayenne70. Ce « consécrateur officiel des réputations littéraires de la France impérialiste », selon la formule de L’Humanité en octobre 1929, avait ses entrées dans le Tout-Paris littéraire grâce à ses fameux entretiens Une heure avec…71. Fort différent, Charensol n’en était pas moins un secrétaire de rédaction, puis un rédacteur en chef très efficace, qui souscrivait pleinement au principe de la démocratisation culturelle par le haut72. Monté à Paris en 1918, cet Ardéchois, qui avait fait serment de professionnalisme, se définissait comme « ni collaborateur, ni résistant, mais attentiste » sous l’Occupation et estimait que, « [q]uels que soient les gouvernements au pouvoir, ils font tous la même politique73 ».
42Le rédacteur en chef est assisté par son secrétaire de rédaction, le Tourangeau André Bourin, né en 1918 et qui lui succédera de 1963 à 1972. Seuls vrais permanents de la rédaction, avec la discrète Marguerite Arnoux, l’« éminence grise » qui sélectionne les livres à recenser74, ils reçoivent les pigistes et les reporters, ainsi que certains « habitués » parmi les collaborateurs, tel le feuilletoniste qui, par son rez-de-chaussée, très attendu, en bas de la deuxième ou de la troisième page, contribue beaucoup à définir le profil du journal. De 1945 à sa mort en 1959, ce rôle sera tenu par Robert Kemp, né à Paris en 1885. Entré au journal en 1929, il hérite de la rubrique d’Edmond Jaloux, de l’Académie française, dont l’autorité avant 1940 dépassait de loin les limites du monde littéraire français75. Dans « La vie des livres », Kemp, critique individualiste, libéral et rappelant les encyclopédistes, officie en « personnage d’un temps disparu76 ». Également critique théâtral du Monde, il entrera à son tour sous la Coupole en 1956. En 1959, le normalien René-Marill Albérès (1921-1982) et le journaliste -écrivain Henri Petit (19001978) poursuivront sa chronique.
43Celle-ci est surmontée de la chronique romanesque de René Lalou (18891960), professeur d’anglais, traducteur et historien de la littérature disposant d’« une vaste culture humaniste77 ». Le théâtre, en fin de numéro, est, on l’a dit, le domaine de Gabriel Marcel, qui se veut « philosophe-dramaturge ». Enfin, la rubrique poétique de Jean Rousselot (1913) n’apparaît qu’en 1949. Lui-même poète de l’Homme universel, ancien résistant issu d’une famille ouvrière et membre de l’« école de Rochefort » créée en 19478, Rousselot est en 1946 un critique confirmé. Ce lauréat du Prix Apollinaire 1957 signera un célèbre Panorama critique des nouveaux poètes français publié chez Seghers en 1952.
44Cette rédaction relativement cohérente et la ligne qu’elle privilégie pourront être pleinement caractérisées à la lumière des données qui suivent concernant les deux autres périodiques du trio.
Le Figaro Littéraire (1946-1971)
45Né en 1826, Le Figaro a toujours montré un grand intérêt pour la chose littéraire pimenté d’un goût particulier pour la satire. Le premier Figaro quotidien du 16 novembre 1866 porte le sous-titre « Journal littéraire » qui, en 1867, devient « Journal littéraire et politique79 ». Son supplément littéraire, qui date de 1880, donne à lire les textes d’auteurs consacrés souvent doublés des plus fins polémistes (Zola, Maupassant, Proust, Barrès, Daudet, Colette, Giraudoux, Valéry, etc.). Son orientation politique est proche d’un républicanisme modéré et catholique qui, vers 1930, se teinte de conservatisme tout en s’opposant à L’Action française. À partir de 1934, Pierre Brisson (1896-1964), qui sera son directeur littéraire pendant trois décennies, renforce l’équilibre entre politique et littérature80. Le comité de direction du journal est alors composé de lui-même, du directeur Lucien Romier, futur ministre de Pétain, et des écrivains André Maurois, Paul Morand et Wladimir d’Ormesson ; ses pages littéraires disputent aux NL les noms de Mauriac, Montherlant, Maurois, Claudel, Duhamel, Maeterlinck, etc.
46En 1940, Brisson, devenu directeur du Figaro en 1936, installe la rédaction à Tours, puis à Bordeaux, à Clermont-Ferrand et, enfin, à Lyon. Le Figaro et son supplément hebdomadaire Le FL, subventionnés et censurés par le gouvernement de la zone non occupée, sont alors des points de ralliement pour les auteurs qui évitent l’air de la capitale, moins irrespirable qu’à Vichy, mais suffisamment vicié par les hebdomadaires collaborationnistes. Ceux-ci ne se privent pas de s’en prendre à leur tour à ce « lieu de rencontre de tous les enjuivés conscients et inconscients81 ». Lorsque les armées allemandes envahissent la zone Sud en novembre 1942, Le Figaro, jusque-là favorable à Pétain82 mais suspect aux yeux de certains, choisit de se saborder. Le FL sera maintenu comme bi-hebdomadaire, puis suspendu à son tour à la fin du mois.
47Ni parisien, ni vichyste, pétainiste sans être antigaulliste, ayant continué après la défaite mais s’étant tu en pleine Occupation, le quotidien a pu tirer profit de ses ambiguïtés après la Libération. Il reparaît sans encombre dès le 23 août 1944 avec, chaque samedi, une page littéraire, réduite à une rubrique à peine hebdomadaire jusqu’au début de 1946 pour cause de pénurie de papier. Le 23 mars 1946, Brisson transforme cette partie du journal en un hebdomadaire, qui sera vendu séparément jusqu’en 1971. Comme les autres quotidiens pourraient y voir un passe-droit, le titre est simplement Le Littéraire83, mais redeviendra Le Figaro Littéraire dès avril 1947. Le premier objectif est de faire pièce aux apologistes de l’« engagement » et aux LF. La société Le Figaro conquiert ainsi, dans une presse littéraire en pleine restructuration, une position d’autant plus solide qu’elle peut tabler sur la plus longue expérience en France. Devenu un « newsmagazine » littéraire d’une cinquantaine de pages en 1967, le périodique sera réintégré, quatre ans plus tard, au quotidien touché par une grave crise84. Son volume ira en diminuant malgré les efforts d’André Brincourt et jusqu’à ce que Jean-Marie Rouart relance en 1986 un nouveau FL plus proche de la ligne éditoriale d’un Figaro invariablement conservateur.
48C’est d’abord leur patriotisme qui explique que plusieurs membres de l’équipe du FL soient membres du CNE : Mauriac, Jean Blanzat, le feuilletoniste André Rousseaux et André Billy. Mais la question épineuse de la responsabilité de l’écrivain ne tardera pas à jouer les trouble-fête. Dès 1946, Rousseaux donne sa démission, déplorant que Les LF, œuvre commune de la clandestinité, soient devenues l’organe d’un parti. Sa décision rejoint la vision de la rédaction, qui ne soutient pas l’épuration du monde des lettres exigée par le CNE. Orienté par un Figaro conservateur libéral et dont plus d’un rédacteur s’aligne, dès 1944, sur l’indulgence catholique de Mauriac, éditorialiste vedette du quotidien jusqu’à son départ pour L’Express en 1954, c’est à contrecœur qu’elle publie une « liste noire » qui, pour elle, porte atteinte à l’indépendance littéraire85.
49Cette défense de l’indépendance littéraire est aussi motivée par des intérêts idéologiques, ce que les prises de position successives ne manqueront pas de révéler de plus en plus nettement. Le « nouvel » hebdomadaire n’abandonne pas ses habitudes d’institution quasi centenaire86. Son libéralisme teinté d’humanisme chrétien et son anticommunisme l’inscrivent dans la continuité de ses options d’avant 1940. Dans son premier numéro du 23 mars 1946, Brisson déclare vouloir offrir au public « un organe libre », « organe où les querelles littéraires ne seront jamais inspirées que par la littérature ». Cette formule exprime à la fois la fidélité à la littérature (française), celle qu’un chroniqueur appellera d’une formule magistrale « la littérature littéraire87 », et le goût pour ce qu’on peut appeler la politique des partis littéraires. C’est dans ce sens que Le FL, sans perdre de sa légitimité littéraire (restreinte, comme tout organe de cette presse), comble une partie du vide laissé par la disparition des hebdomadaires politico-littéraires proches de la droite d’avant-guerre.
50Le directeur Pierre Brisson, journaliste né dans une famille de magnats de la presse, sera, jusqu’à sa mort, président-directeur général de la Société fermière d’édition du Figaro et du Figaro Littéraire constituée en 1950. Comparable à André Gillon aux NL, il a une emprise considérable sur la rédaction. Cette dernière, qu’un futur rédacteur en chef définira comme « un être88 », lui est entièrement dévouée. André Billy, son aîné de quatorze ans, voit en lui « l’homme à qui nous devons tant et à qui, personnellement, je dois tout89 ». Brisson fait de la liberté dans la tradition sa devise : « le libéralisme », dans toutes ses acceptions (droitières), est « notre charte90 ». Tout collaborateur se doit d’être indépendant, pour peu qu’il ait du talent et qu’il respecte les règles qui, aussi peu visibles que bien présentes, assurent la bonne marche de la maison91.
51Rédacteur en chef de 1946 à 1961, Maurice Noël (1901-1975) dirige une équipe plus importante que celle des NL et bénéficiant des installations du journal du rond-point des Champs-Elysées. Cet ancien résistant intellectuel, au Figaro depuis l’avant-guerre, est assisté par le journaliste Georges Altmann (1901-1960). il n’hésite pas à créer régulièrement l’actualité, souvent de manière polémique (y compris à propos de la Belgique, comme le montrera le chapitre 5) et souvent contre l’URSS et ses relais dans le monde intellectuel français. Quant au feuilleton littéraire, il est tenu depuis 1936 par le critique-journaliste parisien André Rousseaux (1896-1973), ancien collaborateur de L’Action française jusqu’à son entrée au Figaro en 1929, et membre de l’Association de la Presse monarchique et catholique jusqu’en 19392. Pétainiste, puis gaulliste, il adhère au CNE en 1944. Son appartenance, en 1947, au conseil national du Rassemblement du Peuple Français (RPF) fondé par de Gaulle atteste ses liens étroits avec le champ politique – à l’opposé, notons-le, de son homologue Robert Kemp aux NL, même si, comme ce dernier, il se montre un défenseur convaincu de l’« art pour l’art93 ». En 1936, il légua à André Billy (1882-1971) ses « Propos du samedi », rubrique historico-littéraire ancrée dans l’actualité. Billy, ancien élève des jésuites devenu athée, y fait preuve « d’un goût, d’une intelligence, d’une culture spécifiquement classiques, qui font de lui un homme de lettres, dans la pleine acception de ce terme94 ». Ce membre du CNE de 1945 à 1953 s’oppose avec vigueur à la « liste noire ». Tout entreprenant qu’il est et bardé de prix, dont le Grand Prix de littérature de l’Académie française 1944, sa « vertu préférée est la modestie95 ». Ses romans volontiers autobiographiques, sa position de critique consacré (certes spécialisé dans l’histoire littéraire du xixe siècle) et ses réticences à l’égard des mondanités parisiennes ne laissaient pas prévoir son élection, en 1943, à l’Académie Goncourt96.
52Cinq ans plus tard, il y sera rejoint par le journaliste et essayiste Gérard Bauër (1887-1967), célèbre pour ses billets dans Le Figaro sous le pseudonyme de Guermantes. Cet ancien venu au Figaro en 1934, « le plus profond et le plus charmant, le plus modeste et le plus courtois » des « “honnêtes hommes97” », est peut-être le plus représentatif de l’ethos du groupe, qui allie l’apparente insouciance des dominants à la reproduction d’une culture littéraire élitiste98. Des jeunes, principalement reporters et échotiers, Brisson n’apprécie pas tant la compétence journalistique, certes indispensable, que le « ton personnel et original99 ». Maurice Chapelan (1906), Paul Guth (1910-1997), le Parisien Pierre Daninos (1913-2005), Jean Duché (1915), etc., tous ont en commun ce regard désinvolte et caustique qu’ils portent sur le monde (littéraire) – disposition suscitée par la « tradition Figaro » autant qu’elle l’entretient. Les papiers de Chapelan, secrétaire de Bernard Grasset dans les années trente, puis correspondant de guerre du Figaro100, avant d’avoir des activités qui lui valurent de figurer sur la « liste noire », rappellent ceux de Paul Guth, ancien professeur de lettres et romancier humoristique à succès (avec le cycle des Naïf), tout comme Duché et Daninos, dont le fameux personnage du major Thompson naît dans les pages de l’hebdomadaire.
53Plus austère, Jean Blanzat (1906-1977) tient la chronique des « Romans de la semaine ». Grand Prix du Roman de l’Académie française en 1942 et cofondateur, avec Paulhan notamment, du Front national des écrivains, futur CNE, cet instituteur catholique et socialiste issu d’une famille paysanne avait fait ses premières armes littéraires sous la direction de Jean Guéhenno à la revue Europe. À la Libération, il entre au Figaro et aussi, comme directeur littéraire, chez Grasset. Mais, très lié à Paulhan, « donc » aux réseaux Gallimard, il passera à l’écurie rivale comme lecteur en 1953. Autre lecteur chez Gallimard, Jacques Lemarchand (1908-1974) succédera comme critique théâtral à Thierry Maulnier, l’un des modèles de l’intellectuel de droite, maurrassien avant et pendant la guerre, atlantiste après. Enfin, la poésie est confiée à Hugues Fouras (1899-1994), poète et directeur-fondateur de la revue de poésie La Bouteille à la mer (1929-1953, interrompue pendant la guerre), revue éclectique se situant dans la descendance de Francis Jammes, mais aussi du modernisme plaisant d’un Jules Laforgue ou d’un Léon-Paul Fargue101.
Les Lettres françaises (1942-1972)
54En 1941, l’écrivain et militant communiste Jacques Decour réunit quelques confrères, dont son éditeur Jean Paulhan, au sein du Front national des écrivains rattaché au Front national, proche du PCF. Aragon, membre du Parti depuis 1927, cherchait à convaincre ce dernier de la nécessité d’unir intellectuels communistes et non communistes en vue d’une plus grande efficacité dans l’action clandestine102. Lui-même s’érigeait depuis fin 1939 en poète national capable de regénérer une poésie à laquelle la nation entière pût s’identifier. À ce moment-là, le PCF « se prétend l’héritier de 1789, de l’humanisme, du rationalisme, du matérialisme dont il fait remonter les origines à Descartes et aux Encyclopédistes du XVIIIe siècle, des valeurs jacobines, laïques et républicaines103 ». Fin 1941, Decour imagina avec Paulhan un mensuel clandestin dont le premier numéro avorta et lui coûta la vie. Les romanciers Claude Morgan et Édith Thomas, également membres du PCF, reprirent le flambeau. Les LF parvinrent à décoller en septembre 1942, en se transformant en un mensuel de bonne tenue et, surtout grâce à George Adam, écrivain-journaliste belge naturalisé Français, d’assez grande diffusion104. Les liens entre Les LF et le PC seront mis en veilleuse aussi longtemps que prévaudra la consigne unitaire. Consigne respectée, car Morgan, directeur du journal, Aragon, Éluard, qui vient de réintégrer les rangs du Parti, mais aussi des non-communistes tels Paulhan, Sartre, Mauriac, Blanzat, etc. y donnent des textes anonymes qui exaltent l’amour de la patrie meurtrie.
55Aussi est-ce auréolées du plus grand prestige que, le 9 septembre 1944, Les LF, devenues hebdomadaires, rejoignent les nombreux titres d’une presse dite « nouvelle » publiée jusqu’alors dans la clandestinité et dominée par le PCF105. Leur position est unique en tant que principale publication issue de la Résistance intellectuelle et, de surcroît, non téléguidée par le Parti. Aragon et les siens y voient néanmoins un moyen inouï de diffuser leurs idées en matière d’art et de littérature. Dans le tout premier numéro de septembre 1942, Morgan avait « publié » le « Manifeste du Front national des écrivains » à travers lequel Jacques Decour avait appelé les écrivains à « la défense et l’illustration des Lettres Françaises ». Après la guerre, cette défense demeure le premier objectif déclaré du journal, organe officiel du CNE jusqu’en février 194106. Dans un nouveau « Manifeste des écrivains français » publié à la une du premier numéro non clandestin, le 9 septembre 1944, soixante-cinq écrivains, représentant le groupement de la zone Nord et celui de la zone Sud mené par Aragon, déclarent solennellement :
Le Comité National des Écrivains fut la seule organisation représentative et agissante des écrivains français […] résolus à oublier tout ce qui pouvait les diviser, et à s’unir devant le péril mortel qui menaçait leur patrie et la civilisation. C’est grâce à lui que, dans les ténèbres de l’occupation, nous avons pu libérer nos consciences et proclamer cette liberté de l’esprit sans laquelle toute vérité est bafouée, toute création impossible.
[…]Demeurons unis dans la victoire et la liberté comme nous le fûmes dans la douleur et l’oppression.
Demeurons unis pour la résurrection de la France et le juste châtiment des imposteurs et des traîtres.
Notre voix doit s’élever et notre mission s’affirmer dans le monde qui va naître. Dans la confrontation féconde des idées, jurons qu’elle retentira toujours, cette voix, aussi résolue et unanime que pendant l’épreuve.
56Le journal continuera de placer au cœur de ses préoccupations la redéfinition du véritable « esprit », du véritable « écrivain français » et de la véritable « littérature française », dont ses rédacteurs se posent en restaurateurs. À ce titre, il s’empresse de publier les diverses versions de la « liste noire » et se fait l’écho des débats qui agitent le CNE.
57Au fond, les rédacteurs cachent mal leur ambition de transformer la hiérarchie du champ d’avant 1940 et d’obtenir une position dominante dans la presse littéraire. Dans un premier temps, ils réussiront à faire reconnaître par un large public la légitimité de leur journal grâce aux nombreuses signatures prestigieuses qu’ils publient, mais aussi en usant d’un discours euphorique et performatif. Ainsi, lors du premier anniversaire des LF non clandestines, la « petite feuille clandestine de jadis est devenue le plus grand hebdomadaire français » (8 septembre 1945). Avec un tirage initial de quelque 200 000 exemplaires, l’on est sans doute fondé à parler de « dominant forum for intellectual and artistic debate » dans la France des années 1944-1948107. Mais le succès est tout autant dû au fait que, à force d’exalter leur propre passé clandestin et leur capacité de rassemblement, Les LF sont considérées comme mandatées de jure pour restaurer les vraies « Lettres françaises », universalistes et, en tant que telles, destinées à jouer un rôle politique108.
58Ce sont les conséquences proprement littéraires de cette revendication qui sèmeront rapidement le doute et la discorde. La perte de vitesse des valeurs unitaires de la Résistance fera ressortir dans les pages du journal les présupposés communisants d’un art littéraire au service du peuple, opposé à l’« art pour l’art » et à tout ce qui y ressemble, c’est-à-dire, peu à peu, à la quasi-totalité du champ. L’opposition est aussi dirigée contre Sartre, devenu « un faux prophète » et dont les contradictions oiseuses seront bientôt « celles du régime109 ». Il faut souligner ici la dimension traditionaliste du programme esthétique de l’hebdomadaire, celui-ci ne se réclamant du reste pas d’une rénovation, mais d’une renaissance de l’« esprit français ». De plus, subissant le contrecoup de la dégradation de l’image du CNE, ce programme sera toujours davantage discrédité, car ressenti comme dicté par le PC.
59Les périodiques du Parti ou proches de lui peuvent pourtant s’appuyer sur la sympathie agissante d’un nombre impressionnant d’agents littéraires. Le « poète de la Résistance » qu’est Aragon dispose alors d’un pouvoir exorbitant dans le champ intellectuel, tandis que son poids politique, au sein du Parti, ne fera que croître. De même que tout ce qui compte dans le monde littéraire parisien se côtoie aux réceptions du CNE, de même de nombreux journalistes-écrivains aspirent à proposer leurs services aux LF, sur lesquelles veille Aragon sans en avoir (encore) la direction officielle. Mais, surtout après 1947 et le durcissement jdanoviste (cf. chapitre 2), les « intellectuels producteurs d’œuvres », c’est-à-dire ayant une certaine légitimité autonome, seront toujours moins nombreux que les « intellectuels-de-parti » qui, souvent jeunes et ne disposant que de capitaux (des plus) réduits, « recevaient leur position, leur pouvoir, leurs privilèges uniquement du Parti110 ».
60Pour l’heure, les compagnons de route, troisième catégorie d’intellectuels inspirés par la doctrine communiste, restent bien représentés, comme le Hennuyer George Adam (1908-1963), jeune écrivain venu s’installer à Paris en 1935 pour se consacrer au journalisme. Familiarisé avec le Parti depuis ses activités au journal d’Aragon Ce Soir de 1937 à 1940, il est le premier rédacteur en chef des LF libres, jusqu’en octobre 1946. Son successeur est le poète catholique et ancien résistant communiste Loys Masson (1915-1969), membre actif, comme Adam, du CNE. Il fera du journal un concurrent sérieux des NL du point de vue de la diversité et de l’innovation artistiques111. Quant au directeur Claude Morgan (1898-1980), celui-ci réunit plus d’un trait de l’« intellectuel-de-parti ». Secrétaire général du CNE, il est venu au PC après avoir milité au sein de la droite nationaliste. Fils de Georges Lecomte (futur secrétaire perpétuel au quai Conti et président en 1945 de la SGDL), il signa en 1935 le « Manifeste pour la Défense de l’Occident », c’est-à-dire pour l’« œuvre colonisatrice » de l’Italie (en Éthiopie), de la France et des autres nations européennes112. Il passa à la gauche après la victoire du Front populaire. Le compagnon de route Louis Parrot (19061948), autre membre du Comité, doit son poste de feuilletoniste à son rôle dans la Résistance littéraire et à son amitié avec Éluard et Aragon. Ce dernier le remplacera à sa mort par André Wurmser (1899-1984), membre du PCF dès 1929, ancien collaborateur à Vendredi et rédacteur des journaux Ce Soir et L’Humanité. Cet essayiste et romancier « doit finalement toute sa carrière au Parti113 ». En ce qui concerne la poésie, plusieurs collaborateurs se partagent ce genre moins bien représenté. Il y a d’abord le poète Jean Marcenac (1913-1984), ancien membre du groupe surréaliste autour d’Aragon et Éluard, résistant et militant communiste qui, encore en 1970, revendiquera pour son lyrisme l’appellation de « poésie politique ». La poésie est pour lui engagée dans l’action et, profondément humaniste, cherche en tant que conscience morale espoir et fraternité entre tous les hommes114. Son confrère René Lacôte, ancien bouquiniste et résistant bordelais né en 1913, qui jouera un rôle important dans les rapports du journal avec les poètes belges, ne fera son entrée au journal qu’en 1947 pour y rester jusqu’à sa mort en 1971115.
Un trio soudé
61Nos trois hebdomadaires ont plusieurs traits en commun : sur le plan formel, la présentation matérielle et typographique ; d’un point de vue journalistique, le mélange des arts (et des sciences) avec priorité à la littérature, la primauté de l’actualité et, enfin, la spécialisation des collaborateurs permanents. Quant aux principes de récolte et de sélection des informations, les réactions diverses et variées à la recomposition des champs intellectuels impliqués montrent à quel point les trois titres s’accordent sur ce que chacun estime défendre mieux que les autres : l’autonomie des activités de la pensée et l’estampillage de cette pensée comme « française ». Sur le plan plus particulièrement littéraire, les trois rédactions ont une vision similaire de la « littérature française » comme patrimoine « universel » ainsi que des institutions qui en sont les dépositaires. Les NL ont une préférence pour l’actualité sous la Coupole, où la « pensée française » reçoit un écho plus international et où, en même temps, la Province (une certaine « France profonde ») est mieux représentée116. Le FL est, quant à lui, attiré par l’ensemble des institutions mondaines de la capitale, qu’il traite avec son sourire habituel, en premier lieu par l’Académie française, l’Académie Goncourt et la SGDL. Enfin, Les LF, malgré leur objectif d’une transformation radicale des goûts littéraires, ne font nullement table rase et travaillent plutôt à remplacer une orthodoxie par une autre, dans les cadres nationaux, à l’instar du Comité national des écrivains qui, à certains égards, fonctionne comme une Académie française « à l’envers117 ». Les trois équipes manifestent une profonde conformité avec la littérarisation externe puis interne au champ littéraire, et notamment le réflexe franco-universaliste fondé sur le culte de la littérature française.
62Quant au système des relations différentielles entre les trois hebdomadaires (et toujours en 1946), on notera d’abord que Le FL s’aligne d’autant plus spontanément sur Le Figaro que celui-ci lui assure une assez grande stabilité financière, humaine et technique. À l’inverse, l’aide plus mesurée mais suffisante des éditions Larousse aux NL garantit à celles-ci une autonomie plus réelle et leur permet de convertir leur faiblesse économique en gage de sérieux. Les LF, de leur côté, ne s’appuient sur aucun investisseur commercial, ce qui achèvera de les précipiter dans le giron du PC118. D’un point de vue éthique, si le républicanisme des trois périodiques rend peu probable la présence d’articles religieux, l’hégémonie du PC et la position délicate de l’Église donnent parfois au discours des LF des accents anticléricaux, alors que certains rédacteurs du FL réaffirment leur attachement à l’héritage chrétien. À partir de la fin de la décennie, ce dernier périodique suivra d’assez près les activités du Centre catholique des intellectuels français, à un moment où la marque « catholique » demeure délégitimée dans le champ intellectuel.
63Leurs orientations politiques différencient plus nettement les trois titres, Le FL étant relativement en phase avec le quotidien Le Figaro, Les NL « apolitiques » pouvant être situées au centre (droit), Les LF, enfin, se rapprochant toujours plus du PCF. En 1946, ces divergences sont encore accentuées par l’attitude de chacun sous l’Occupation (pétainiste, patriote attentiste, résistante). Elles seront la cause la plus directe d’une polémique récurrente qui opposera Le FL à l’ex-organe du CNE, le premier s’indignant ou, à sa manière bien à lui, se gaussant assez systématiquement des tendances propagandistes du second, qu’il perçoit comme l’« hebdomadaire d’orthodoxie communiste119 ». Le régime totalitaire de l’URSS, le CNE, point d’intersection entre le champ politique et le champ littéraire, et Les LF sont ses cibles préférées. Il va jusqu’à se réjouir ouvertement, dès le premier numéro paru sous le titre Le FL, que les textes d’écrivains de la « liste noire » trouvent à nouveau preneur.
64Cette opposition politique redouble celle, déterminée par la hiérarchie interne du champ littéraire, entre les tenants de l’« engagement », pour qui cet « engagement » reste une affaire esthétique, et leurs adversaires, dont les plus acharnés n’y voient qu’une dérive politique. Elle définit le terrain de prédilection des LF qui, visant à exploiter la légitimité ambiante de l’investissement politique de l’écrivain, veulent y attirer leurs rivaux, avec succès, pour ce qui est du FL. Ici se situe l’essentiel de la distinction entre la position plus autonome (sur le plan éthique et esthétique) du FL et des NL et celle, de plus en plus hétéronome (sur tous les plans), des LF. L’« engagement » des LF se heurtera très vite, en même temps que le CNE, à une contradiction inhérente à toute forme d’« art social120 ». Tout en se disant au service de la littérature pure et désintéressée, le journal entend donner au texte une fonction extérieure à la littérature, en contradiction avec le principe fondamental du champ qui lie la légitimité maximale au pôle de l’« art pour l’art ». À cela s’ajoute qu’il se pose en continuateur sans avoir le statut de successeur, en héritier d’une tradition sans avoir eu le temps d’en accumuler un nombre suffisant d’attributs. Imaginant un peu vite avoir atteint un point de vue qui domine le champ, il ratera la plupart de ses objectifs. C’est l’ensemble des principes esthétiques de chacun des trois titres analysés qui peut être mis en relation – relation médiatisée par le double prisme de la presse littéraire et de la rédaction – avec sa sensibilité politique et son rapport à l’« engagement ». Un bon exemple est l’intitulé du feuilleton critique : en 1946, celui des LF est « Les livres et l’homme », tandis que Les NL préfèrent, de manière tout aussi significative, « La vie des livres ». André Rousseaux, dans Le FL, n’est ni humaniste, ni animiste et s’en tient simplement à « Les livres121 ».
65Les deux concurrents « de droite » des LF ne sont pas soumis au même rythme d’adaptation aux évolutions politiques. Pour autant, ils n’échappent pas à la pression de l’actualité sociale et politique. Si celle-ci est la même pour tous, elle est atténuée par les logiques du champ de la presse littéraire, en l’occurrence par un plus grand esprit d’indépendance intellectuelle. Mais il y a indépendance et indépendance. Dans le cas des NL, c’est son triple souci d’autonomie, esthétique, idéologique et journalistique, qui interdit à la rédaction de se laisser entraîner dans des polémiques jugées stériles. La démission du feuilletoniste du FL comme membre du CNE (cf. supra) est représentative d’une posture plus militante que celle des NL, où l’opposition à toute forme d’art « engagé » ou politisé se fait généralement à demi-mots et où c’est le CNE qui choisit l’exclusion (dans le cas de René Lalou, cf. supra). De tous les organes de la presse littéraire, ce sont elles qui acceptent le mieux que l’option journalistique limite une liberté d’expression dont disposent les revues. Aussi tendent-elles à faire de leur professionnalisme un argument de vente, que souligne une relative discrétion typographique et stylistique. À aucun moment, leurs dirigeants ne verseront dans le tape-à-l’œil des LF (ou, dans une moindre mesure, du FL). L’attachement à l’idéal de pureté informationnelle et artistique est à ce point aigu qu’on évite de porter le moindre jugement sur la ligne éditoriale défendue par d’autres. Mieux, aussi éloignées des excommunications des LF que de la verve ironico-mondaine de l’équipe de Brisson, Les NL n’hésitent pas, comble d’imprudence d’un point de vue hétéronome, à exprimer leur estime à l’égard des confrères, toutes tendances « politiques » confondues122.
66En fait, leur concurrent le plus menaçant est l’hebdomadaire qui est le plus proche d’elles, Le FL, dont elles ne signalent l’existence que lorsqu’un de ses collaborateurs prestigieux vient à mourir (l’inverse est également vrai). Les témoins voient dans un lointain différend strictement consigné aux annales de la presse littéraire l’origine de cet antagonisme. Lancées en 1922, Les NL firent rapidement de l’ombre aux magazines jusque-là tout-puissants et entraînèrent la disparition de certains d’entre eux, notamment Les Annales fondées en 1883 par Jules Brisson et dirigées ensuite par son fils Adolphe, puis par Pierre Brisson123. La rivalité qui s’ensuivit est si profonde qu’il est exclu qu’un collaborateur travaille pour les deux journaux à la fois ou que les rédactions entretiennent le moindre rapport124. Et ce conflit larvé se poursuit en dehors des rédactions, notamment au sein des jurys littéraires125. Pourtant, le journal de la rue Montmartre, fabriqué de manière plus artisanale et géré avec la parcimonie d’André Gillon, aurait eu, pour ainsi dire, tout intérêt à mieux s’entendre avec son rival, plutôt que de se couper par tradition126 de sa rédaction et de ses réseaux de collaborateurs. Mais c’est que, ni plus ni moins que les deux autres titres étudiés, et bien que plus autonomes, Les NL dépendent elles aussi de l’affinité objective entre une rédaction, caractérisée par un ethos de groupe, et « son » public. Certes, Le FL « n’était pas très différent au point de vue esthétique », mais « nous n’avions pas les mêmes “clients127” », à savoir ce « grand public cultivé128 » qu’il s’agissait d’amener sur un plan plus élevé de l’« esprit » (français).
67Le système de relations qui vient d’être esquissé à grands traits est beaucoup plus que le tableau comparatif de trois projets rédactionnels. La reconstitution de cet espace de pratiques possibles, en rendant visibles les principes de vision et d’évaluation qui fondent l’activité journalistico-littéraire dans chacun des cas, fait voir que celle-ci est irréductible à un discours où se lirait un programme de « modèles » axiologiques. À négliger ce système conflictuel de trois points de vue, lui-même structuré par et structurant un espace englobant (journalistico-littéraire) et traversé de logiques hétérogènes (littéraires, journalistiques, etc.), l’analyse des articles consacrés à la Belgique donnerait des processus qu’il contribue à médiatiser une image erronée.
Notes de bas de page
1 Son évolution se distingue fortement de ce qui se passe en Belgique, où ne s’est pas formé de pôle de résistance intellectuelle et où les structures littéraires ont subi moins de changements. Voir Aron, e.a. (s.l.d.d.) 1997.
2 Cf. Novick 1991, p. 209-210.
3 Cf. Saint-Germain-des-Prés 1945-1950 1989, p. 115.
4 Laborie 1983, p. 70.
5 Cf. Paxton 1974, Novick 1991 et Burrin 1995.
6 Voir Fouché 1987.
7 Paxton 1974, p. 310 ; cf. Novick 1991, p. 141-162.
8 Cf. Zeldin 1978, p. 5-33.
9 Thiesse 1991, p. 241-260.
10 Cf. Paxton 1974, p. 327.
11 Cf. aussi Gerbet (s.l.d.d.) 1991 et Berstein et Milza 1991.
12 Droz et Lever 1982, p. 149.
13 Ibid., p. 62.
14 Chebel d’Appollonia 1991, p. 93. Commencée fin 1946, la guerre d’Indochine ne suscitera un réel intérêt dans l’« opinion » française qu’en mai 1954, avec la bataille de Diên Bien Phû (Berstein et Milza 1991, p. 83-85).
15 Ory 1991, p. 65.
16 Pour une comparaison de la genèse des traditions intellectuelles en France et en Allemagne, voir Elias 2000 [1939], surtout p. 9-73.
17 Cf. Bourdieu 1992b.
18 Encore en 1964, les journalistes n’étaient que 4,7 % à avoir un père employé et seuls 4,2 % étaient fils d’ouvriers (Delporte 1995, p. 86). Quant à la profession du père chez les écrivains actifs entre 1940 et 1944, voir Sapiro 1999, p. 713 : 60 % de l’échantillon sont issus des fractions possédantes, des hauts fonctionnaires, de la bourgeoisie moyenne, des professions juridiques et des fractions intellectuelles.
19 Prost 1968, p. 327.
20 Dirkx 1990, 1992 et 2002.
21 Berstein et Milza 1991, p. 11.
22 Voir Abirached (s.l.d.d.) 1992.
23 Py 1988, p. 221.
24 De 1944 à 1960, la SGDL tente de répondre au désir « d’être mieux ravitaillés en littérature française » des Néerlandais, des Argentins, des Danois, des Autrichiens, des Portugais, des Égyptiens et des Yougoslaves, notamment. En Grèce et en Turquie, « la France doit s’affirmer constamment en face d’une influence anglo-saxonne aux appuis financiers considérables ».
25 Cf. Richard 1975, Anglès 1978 et 1986, et Hebey (s.l.d.d.) 1990.
26 Cf. Steel 1991.
27 Cf. Claude-Edmonde Magny dans l’Almanach des lettres 1947 1946.
28 Cf. Lottman 1984, p. 365-376 et Novick 1991, p. 206-211.
29 Dans la liste « définitive », où figurent 158 écrivains, on relèvera les noms de trois écrivains belges installés en France : André Castelot, Paul Demasy et Fernand Divoire.
30 La persistance des controverses est illustrée par celle qui, jusqu’en 1952, opposera au CNE Jean Paulhan (Paulhan 1952).
31 Boschetti 1985, p. 139.
32 Judt 1992, p. 7-92.
33 Bancquart 1995, p. 11.
34 Boschetti 1985, p. 177-178. Voir aussi Brée et Morot-Sire 1990, Bancquart (s.l.d.d.) 1995 et Lecoq 1991
35 Louis 1992.
36 Sous l’Occupation, Derycke était à Bruxelles rédacteur en chef de Cassandre et critique au Nouveau Journal, deux fers de lance de la collaboration intellectuelle.
37 Sur le rôle du libraire belge Ferdinand Goossens qui, en 1941, créa la revue Prétextes où se forma le cercle qui sera à l’origine de La Table ronde, voir Louis 1992, p. 23-24.
38 Sur cette étiquette lancée en 1952 dans Les Temps modernes et regroupant initialement Roger Nimier, Jacques Laurent, Antoine Blondin et Michel Déon, voir Dambre 1989 ; sur sa place dans la presse littéraire, voir Dirkx 2000a.
39 Ce dernier a succédé, en 1947, à Georges Marlow qui, de 1919 à 1939, avait célébré l’« amitié franco-belge » dans une revue où son compatriote naturalisé Français André Fontainas associait fortement cette « amitié » au mouvement symboliste.
40 Lecoq 1991, p. 352-353.
41 Dupouy 1995.
42 Bellanger, e.a. (s.l.d.d.) 1972, p. 588.
43 Jurt 1980, p. 386. Ce chiffre ne sera jamais dépassé après la guerre.
44 Lottman 1984, p. 186.
45 Bellanger, e.a. (s.l.d.d.) 1972, p. 590-592.
46 À gauche, l’initiative majeure fut la création, fin 1935, de Vendredi, qui militait en faveur du Front populaire. Instrument de combat antifasciste par excellence, il donnait la parole à un front intellectuel qui alliait, sans les confondre, débat intellectuel et combat politique. Avec le déclin du Front populaire, il ne réussit pas à survivre longtemps.
47 Adorno 1984.
48 Pour des exemples analogues à « gauche », voir Estier 1962.
49 Julliard et Winock (s.l.d.d.) 1996.
50 In Almanach des lettres 1947 1946, p. 110.
51 Mottin 1949, p. 137-144 ; cf. Marc Martin in Martin (s.l.d.d.) 1991 et Delporte 1995.
52 Cité in Py 1988, p. 450.
53 In Almanach des lettres 1947 1946, p. 110. Cf. Manevy 1955, p. 191.
54 Cf. Lamy 1992, p. 171-172.
55 Témoignage écrit d’André Bourin, 16 janvier 1996. Cet hebdomadaire durera donc un peu plus qu’Opéra, qui disparaîtra en mars 1952 (voir Dambre 1989, p. 309-340).
56 Contrairement à Laurent 1978 [1976], p. 452.
57 In Almanach des lettres 1947 1946, p. 112.
58 Les archives des NL ont été dispersées ou égarées, celles du FL ont subi le même sort ou ne sont pas ouvertes à la recherche et celles des LF constituent un ensemble réduit de documents accessibles au Fonds Elsa Triolet-Louis Aragon à Paris.
59 Cf. Kolbert 1969.
60 Charensol 1973 et 1990, Jamet 1983.
61 Kolbert 1969, p. 26.
62 Ibid., p. 28-29.
63 Charensol 1990, p. 45. Charensol pense à « la prodigieuse génération de 85 et la suite » (1973, p. 151).
64 A[ndré] G[illon], « À nos lecteurs », Les NL [abrégées dans les références en NL] 5 avril 1945, p. 1.
65 Pour une analyse de la pensée de Pierre Larousse, voir Rétif 1975 et Mollier et Ory (s.l.d.d.) 1995. Si les successeurs de Larousse ont édulcoré son progressisme républicain, leurs productions ont continué d’en porter la marque, notamment dans leur manière de concilier universalisme et nationalisme.
66 Jacques Carat in Almanach des lettres 1948 1947, p. 140.
67 Almanach des lettres 1949 1948.
68 Rétif 1972, p. 3.
69 Témoignage oral d’André Bourin, 11 novembre 1995.
70 Cf. témoignage oral de Claude Charensol, 8 février 1996. Voir Jans 1949.
71 La série des Une heure avec…, publiée chez Gallimard puis chez Flammarion, comporte sept volumes d’entretiens parus dans Les NL. Véritable histoire littéraire dialoguée de l’entre-deux-guerres, elle a fait tomber dans l’oubli les nombreux essais critiques et romans champêtres de cet ancien professeur de latin (Jurt 1980 et LeSage et Yon 1969).
72 Cf. Charensol 1990, p. 45.
73 Ibid., p. 29.
74 Charensol 1973, p. 232.
75 S’alignant sur la rédaction, ce conservateur catholique et monarchiste ne manifestait pas ses opinions dans ses articles (Jurt 1980, p. 415). Mais, repris sur la « liste noire » pour avoir collaboré depuis la Suisse à certains titres compromis pendant la guerre, Gillon décida de le remplacer en 1945 (témoignage oral d’André Bourin, 11 novembre 1995).
76 Gautier 1969.
77 Le Sage et Yon 1969. Le souci didactique qui perce dans ses billets hebdomadaires, caractérise aussi son ouvrage le plus réputé, Histoire de la littérature française contemporaine, 1870 à nos jours.
78 Marissel 1960, Sabatier 1988, p. 222-228 et Nouveau Dictionnaire national des contemporains 1961-1962 1961.
79 Brunois 1973, p. 18.
80 Ibid., p. 23.
81 Pierre Drieu La Rochelle, « Les délicats de Lyon », Je suis partout 4 avril 1944 (cité in Verdès-Leroux 1997, p. 154).
82 Voir, entre autres, l’(unique) article pétainiste de François Mauriac dans Le Figaro (Mauriac 1940).
83 Bellanger, e.a. (s.l.d.d.) 1972, p. 310.
84 N’y est probablement pas étranger non plus le lancement en 1967 du supplément littéraire du Monde, Le Monde des livres.
85 Voir Le FL [abrégé dans les références en FL, y compris pour la période allant du 23 mars 1946 au 12 avril 1947, où le périodique s’intitule Le Littéraire] des 16 septembre, 21 septembre et 4 novembre.
86 Sur le plan graphique et typographique, il ne fait guère que reprendre le modèle des NL.
87 André Billy, « Propos du samedi. Pour la littérature littéraire », FL 20 août 1949, p. 2. Dans Arts du 10 avril 1953, Jacques Laurent opposera la « littérature littéraire » à la « littérature message » de Sartre.
88 Jean-Marie Rouart in Rouart 1986.
89 Billy 1965. Cf. Billy 1969, p. 7.
90 Pierre Brisson in Mauriac, e.a. 1962.
91 Cf. Lang 1967 et Jean-François Brisson 1990.
92 Coston (s.l.d.d.) 1967.
93 Par exemple, dans les sept volumes de sa Littérature du xxe siècle.
94 Lemaître (s.l.d.d.) 1985.
95 Nouveau Dictionnaire national des contemporains 1961-1962 1961.
96 Le vote ne fut proclamé et validé qu’en décembre 1944, à cause de l’obstruction du président, l’écrivain « collaborateur » belge naturalisé Français J.-H. Rosny jeune (Sapiro 1999, p. 370-372).
97 Nouveau Dictionnaire national des contemporains 1961-1962 1961.
98 « […] la vie quotidienne au journal reflétait plutôt l’insouciance et la gaieté chez les rédacteurs éloignés des responsabilités majeures. Le côté “république anarchique” brocardé par Maurice Noël favorisait, à n’en pas douter, cette atmosphère euphorique » (Jean-François Brisson 1990, p. 197).
99 Ibid., p. 239.
100 Chapelan 1972 et 1977.
101 Sabatier 1982, p. 504-506.
102 Cf. Daix 1994, p. 388.
103 Courtois et Lazar 1995, p. 244.
104 Parrot 1945, Morgan 1979, Lottman 1984 et Daix 2004.
105 Voir Mottin 1949, p. 30-32.
106 Après cette date, le journal réservera au CNE une page hebdomadaire jusqu’en avril 1953.
107 Hewitt 1989, p. 121.
108 S’y ajoutent le fait que Les NL ne redémarreront qu’en avril 1945 et que Le FL ne paraîtra qu’en mars 1946.
109 Roger Garaudy, « Sur une philosophie réactionnaire. Un faux prophète : Jean-Paul Sartre », Les LF [abrégées dans les références en LF] 28 décembre 1945, p. 1.
110 Verdès-Leroux 1983, p. 19. L’esquisse de la rédaction littéraire à un moment donné (1946) est, plus que dans les cas des NL et du FL, une tâche délicate, du fait de la politique d’exclusions du Parti. Ce n’est que vers 1958 que la rédaction aura la composition qui restera la sienne pendant les années 60.
111 Hewitt 1989.
112 Voir Sirinelli 1996 [1990], p. 148-151.
113 Robrieux 1984, p. 579. Il faut aussi citer le nom de Georges Sadoul (1904-1967), responsable de la rubrique cinématographique. Sa trajectoire est proche de celle de son ami Aragon, comme lui ancien surréaliste venu au Parti dans le sillage du « IIe Congrès des Écrivains révolutionnaires » à Kharkov en 1930 et également désavoué par André Breton. Sadoul fera partie des « Étoiles », l’organisation de Résistance intellectuelle fondée en zone non occupée par Aragon. Son importance au sein de la rédaction des LF est comparable à celle de deux autres poids lourds du journal, Wurmser et George Besson, critique d’art depuis 1947 et très proche du PC.
114 Bercot et Guyaux (s.l.d.d.) 1998.
115 Voir Sabatier 1988, p. 236-241.
116 Voir sur ce point Sapiro 1999, p. 262.
117 Ibid., p. 534 sq. Précisons que, à sa séance de février 1946, Aragon prend en main la gestion de la jeune institution qu’il considère comme un « agent culturel de la France ».
118 Les moyennes des tirages respectifs, durant la période 1944-1960, sont un indice de cette situation : 130 000 exemplaires pour le premier titre (avec toutefois une baisse de 25 % après 1956), 100 000 pour le second et de 200 000 en 1944 à 40 000 après 1953 pour le troisième.
119 Anonyme, « Aux quatre vents. Exploration intime du CNE », FL 21 juin 1947, p. 2.
120 Cf. Bourdieu 1992a, p. 301.
121 Ces différences sociales, politiques et esthétiques sont corrélatives d’un découpage homologue du public. Les rédactions sont en effet prédisposées à cibler prioritairement la fraction encline à être séduite par le miroir que chacune d’entre elles lui tend. Le FL est le mieux diffusé au sein de la bourgeoisie mondaine, spécialement celle de la « rive droite » parisienne, alors que le public visé en priorité par Les LF est éminemment « rive gauche » et loin d’être constitué uniquement d’intellectuels (philo)communistes. Les NL ont cette particularité, notée plus haut, d’être mieux diffusées parmi la petite et moyenne bourgeoisie de province.
122 Y compris donc à l’égard des LF. Aragon était en bons termes avec Charensol (cf. Charensol 1973, p. 225 ; lettres de Charensol à Aragon, Fonds Elsa Triolet – Louis Aragon).
123 Charensol 1973, p. 151.
124 C’est ainsi qu’un Robert Kanters ne participe presque jamais aux NL, bien qu’il en soit proche et que ce soit vers elles que les lecteurs de sa Gazette des lettres en difficultés sont priés de se reporter en 1951 (cf. supra). il n’est pas question non plus que l’on fasse mention d’un ouvrage qu’un rédacteur d’en face vient de faire paraître, sauf très rare exception.
125 Témoignage oral d’André Bourin, 11 novembre 1995.
126 « Ça s’est formé comme ça. Je veux dire : il y en avait un qui allait vers Les NL et l’autre vers Le FL » (ibid.).
127 Ibid.
128 Témoignage écrit d’André Bourin, 31 mai 1996.
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