Chapitre XV. Le Directoire
p. 357-370
Texte intégral
1Le Directoire constitue une expérience de plus de quatre années, très négligée jusqu’à une date récente par l’historiographie classique, en raison peut-être de l’instabilité politique, des échecs des réformes ou de l’accent mis sur les questions militaires. Cette expérience est cependant intéressante pour les pratiques politiques et culturelles des villes et des campagnes en Révolution. Le retour à une certaine normalité en matière d’expression et d’élection s’accompagne d’une réforme administrative de fond des pratiques rurales et urbaines. Les priorités du régime en place s’inscrivent à la fois en continuité et en rupture avec celles de la Convention (les questions militaires sont traitées dans la 4e partie). L’échec de la Conspiration des Égaux et le tournant de brumaire an VIII fournissent des clefs utiles pour la compréhension de cette période originale.
Un régime politiquement impopulaire
Un régime discrédité
2La Constitution de l’an III n’a été votée que par 1 million de citoyens actifs, sur 5,5, soit deux fois moins qu’en 1793. Pire, moins de 250 000 Français ont approuvé le décret conservateur des deux tiers du 5 fructidor an III (22 août 1795), qui oblige à prendre les 750 députés à élire pour les deux tiers dans l’ancienne Convention, et qui a provoqué de vives résistances, au nom du peuple souverain ! Les Thermidoriens redoutent un succès royaliste ou jacobin aux élections. Leur base sociale est étroite. Le pouvoir repose sur les « meilleurs », les plus instruits et les grands propriétaires, choisis parmi les 30 000 plus imposés. La base des actifs est large mais le sommet très étroit. Les droits sociaux ont été abandonnés, au profit d’une Déclaration des devoirs, et la situation financière est marquée par une inflation galopante. Les organisations sans-culottes et jacobines ont été supprimées après les journées de la faim du printemps 1795.
Un régime de notables
3Le 23 juin 1793 (5 messidor an III), Boissy d’Anglas fixe le contenu social de la base du nouveau régime : « Vous devez garantir enfin la propriété du riche… ». Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature ». La propriété devient la base du système. L’article 1 de la Déclaration de 1789 est supprimé (« les hommes égaux en droits ») au profit d’une formule commode : « L’égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous. » Dans la Déclaration des devoirs, « tout moyen de travail et tout l’ordre social » reposent sur la propriété ! Il n’existe de plus aucune « limitation à la liberté du commerce et à l’exercice de l’industrie et des arts de toute espèce ». On est revenu aux dogmes du libéralisme économique des représentants de 1789, après l’expérience de l’économie dirigée. Le régime entend d’emblée se protéger d’une double menace : celle des royalistes d’abord, puis celle des factions « jacobines ». Mais la marge de manœuvre laissée par la Constitution de l’an III en matière de pouvoirs fragilise le nouveau système de gouvernement.
Un régime ingouvernable
4La Constitution prévoit deux grands pouvoirs (plus le judiciaire) indépendants l’un de l’autre, mais séparés. Les lois sont votées par deux assemblées, renouvelées par tiers chaque année, lors des élections de printemps, par près de 30 000 électeurs du second degré, gros propriétaires ou locataires. Le système du bicamérisme, appliqué dans les autres républiques et en Angleterre est introduit pour la première fois en France ! Les Cinq-Cents, âgés de plus de 30 ans et les Anciens (250 membres) âgés de plus de 40 ans ont l’initiative des résolutions puis des lois. La majorité change à chaque élection de printemps. Mais les cinq directeurs qui dirigent l’exécutif (nommés par les Anciens sur une liste de 50 noms présentée par les Cinq-Cents) ne peuvent dissoudre les assemblées et ne peuvent être renversés, pas plus que leurs six ministres, qui ne sont responsables que devant eux. En cas de divergence politique, il n’y a d’autre recours que le coup de force. Cela intervient trois fois en quatre élections, lorsque les directeurs invalident des députés, en fructidor an V (4 septembre 1797, avec le concours de l’armée) et en floréal an VI 11 (mai 1798), parce que trop royalistes, ou trop jacobins ; ou encore lorsque les députés obligent des directeurs à démissionner, en prairial an VII (18 juin 1799). Ces pratiques, truquages et coups d’État affaiblissent la confiance des Français dans leur gouvernement. Chaque élection donne un coup de barre à gauche ou à droite. Après fructidor an V (majorité royaliste), les lois anticléricales et anti-émigrés sont remises à l’ordre du jour alors que la tendance était au retour des uns (les prêtres) et des autres. À chaque élection, les fonctionnaires (supérieurs ou subalternes) élus risquent l’invalidation et la destitution. Cette instabilité renforce l’impopularité, et les révoltes liées aux déceptions politiques des invalidés.
Les crises politiques
5Malgré la défense du régime par les idéologues (Benjamin Constant, Des réactions politiques, mars 1797) et les succès en Italie, le Directoire perd les élections de l’an V, face à une opposition royaliste structurée par l’Institut philosophique de Dandré, influente dans 70 départements, encouragée par le retour des prêtres réfractaires prêtant un serment, et mobilisée par la peur des babouvistes. Une douzaine de départements sur plus de 90 (avec les départements conquis) votent républicain, les conventionnels sortants n’ayant que onze élus sur 216 ! 34 républicains prononcés (le général Jourdan, Joseph Bonaparte) doivent faire face à 182 députés « réactionnaires », voire résolument monarchistes (Marmontel, le général Pichegru). La droite fait désigner ses présidents aux Anciens et aux Cinq-Cents (Pichegru), et un directeur favorable à ses vues, Barthélemy, à la place de Letourneur. Elle assimile les réfractaires aux constitutionnels, en exigeant un serment de simple « soumission aux lois ». Elle réintègre d’anciens émigrés dans les fonctions publiques et les biens. La Terreur blanche reprend autour de Lyon. Les cercles constitutionnels qui se sont multipliés pour combattre l’Institut philosophique sont fermés le 23 juillet 1797 (5 thermidor an V). Le choix par les directeurs de ministres non royalistes (François de Neufchâteau à l’Intérieur, Talleyrand aux Relations extérieures, Hoche à la Guerre) met le feu aux poudres. Le recours au peuple étant impossible, l’armée de Hoche marche sur Paris, le 1er juillet 1797. Le 4 septembre 1797 (18 fructidor an V) Paris est occupée militairement par Augereau, Pichegru et Barthélemy arrêtés (Carnot s’enfuit). 177 députés sont invalidés sans être remplacés, certains déportés en Guyane. Les conseils démembrés portent François de Neufchâteau et Merlin de Douai aux postes de directeurs. Toutes les mesures contre les prêtres et les émigrés sont rétablies. Le serment de haine à la royauté est exigé désormais. La « Terreur directoriale » frappe les émigrés rentrés et les prêtres insermentés. La presse royaliste est frappée (42 suppressions). Le Directoire épure les administrations et les tribunaux, peut proclamer l’état de siège. Les clubs constitutionnels se reforment. Les cultes révolutionnaires (la Théophilanthropie du libraire Chemin) sont encouragés au bénéfice du décadi.
6Non seulement le Directoire a dû se placer sous la protection de l’armée, mais il doit encore accepter les conditions de la paix de Campoformio avec l’Autriche, telles qu’elles sont imposées par le général Bonaparte. Les consignes des directeurs ont été bafouées. La base politique et sociale du régime s’est restreinte et la marge de manœuvre de ses dirigeants réduite. Les élections du printemps de l’an VI sont essentielles, 473 députés sur 750 étant soumis au renouvellement ! La propagande néo-jacobine (terme des années 1930, employé par George Lefebvre, Gainot, 2001) constitue le danger le plus évident, dans les nombreux clubs (Sarthe) préparant activement les élections (Reinhard). Les Idéologues agitent la peur des terroristes et du retour à l’an II. Le gouvernement tente de peser sur les résultats par une presse officielle et des listes de candidats, innovation électorale de taille. De nombreuses scissions ont lieu dans les assemblées électorales de département, désignant à chaque fois deux listes de représentants. La loi du 22 floréal an VI (11 mai 1798) invalide au total 106 députés, favorise les candidats du gouvernement, pour une majorité précaire aux conseils. Le prix en est le discrédit grandissant du régime, renforcé par le départ de François de Neufchâteau, qui repasse à l’Intérieur.
L’an VII (1799)
7Les élections du printemps 1799 mettent en avant un mouvement ample de néo ou « nouveau jacobinisme », dont la campagne et les réseaux sont mieux connus de nos jours (Gainot, 2001). Le mouvement parlementaire est relié au mouvement néo-jacobin départemental et local. Les revendications sont liées à une « régénération » libérale et démocratique, de retour à 1789 et à l’an II, proposées par des réseaux cohérents, diffusés dans une propagande active dans des espaces bien définis (Vovelle). 121 candidats officiels sont battus sur 187. Les néo-jacobins remportent une demi-victoire sur fond de reprise de la chouannerie et d’insurrection belge. La décomposition du régime s’inscrit dans tous les indicateurs : participation électorale, difficultés de l’armée, crise politique avec l’entrée de Sieyès comme directeur (le 21 prairial an VII, 9 juin 1799). Les conseils mènent une offensive contre les directeurs, une revanche sur les humiliations passées. Merlin et La Revellière doivent démissionner, remplacés par Roger Ducos (un régicide) et le général Moulin. Par cette journée parlementaire, le législatif brise le despotisme directorial. Bernadotte, Fouché et Lindet (de l’ancien Comité de salut public de l’an II) entrent comme ministres ; les néo-jacobins tentent alors de sauver ce qui peut encore l’être de la République, par les clubs, l’appel au civisme des Français (la loi Jourdan) et une loi des otages. Mais le pouvoir néo-jacobin ne dure que deux mois, et ne parvient pas à mobiliser les anciennes forces sans-culottes, ni à s’opposer à la fermeture du club du Manège. Royalistes, chouans, patriotes s’affrontent dans un climat délétère. L’arrivée surprise de Bonaparte, de retour d’Égypte, permet de nouer les fils du coup d’État, alors même que le péril extérieur est conjuré et que la remarquable politique économique (nourrie des réquisitions sur les pays conquis) ne peut profiter à un régime totalement impopulaire et discrédité face à une opinion publique désemparée.
La nouvelle donne administrative
8La Constitution de l’an III a modifié profondément l’édifice des constituants de 1790. Si l’article 3 maintient les départements et les attributions de l’administration, celle-ci est réduite à cinq membres, sans assemblée départementale, sous le contrôle indirect du ministère de l’Intérieur (élection maintenue) par le biais de la tutelle et de la correspondance.
9Les districts disparaissent par contre. Officiellement, c’est pour les orientations jacobines, ou pour l’inefficacité administrative. En réalité, les Thermidoriens ont voulu briser les liens établis avec les administrations municipales (dialogue et différents) tout en détruisant l’autonomie municipale. Le procès politique, mais la suppression d’une institution dont le travail avait été colossal conduit à la promotion des quelque 5 000 cantons qui deviennent l’échelon administratif de base, renouant avec les vœux de certains législateurs. Car le canton, sans réalité administrative, pouvait jouer un certain rôle, militaire, voire scolaire. Désormais il est créé une municipalité cantonale, siégeant au chef-lieu et chargée d’une large part des attributions des anciens districts.
10Et les communes ? Elles n’ont pas été supprimées, comme certains le voulaient, mais profondément remaniées pour les pratiques administratives. Les équipes municipales, composées de 11 à 20 membres pour les villages, ne seront plus composées que d’un agent et d’un adjoint, élus à échéances régulières par les citoyens actifs. Ces agents siègent régulièrement (?) au chef-lieu du canton, parfois avec les adjoints. Mais les archives, l’état civil, les registres passent au canton. En bref, on passe d’une quinzaine d’élus à deux et les séances d’une centaine par commune à une cinquantaine pour tout le canton. Les équilibres administratifs sont donc bouleversés, alors que cela change peu de choses pour les villes. De plus une certaine reconcentration d’autorité est apportée par la présence d’un commissaire du département (et de l’Intérieur), en concurrence avec le président élu de l’administration cantonale.
11Les motivations des législateurs sont claires : l’autonomie communale doit cesser ; la gestion se fait à une échelle où le pouvoir central peut peser, où il ne sera pas entravé par des milliers de petites républiques, ou « bastilles » (Grégoire). Mais il n’a pas été possible de supprimer l’échelon communal, on lui ôte l’essentiel des attributions et des délibérations.
L’échec de la gestion cantonale en milieu rural ?
12La question est de savoir si les 5 000 administrations cantonales ont fonctionné, sur le plan administratif et sur le plan politique. La réputation du Directoire est à cet égard très négative pour de nombreuses régions (Languedoc, Pays de Caux, Roussillon) et elle est souvent homogène. Elle repose sur deux constats, les difficultés administratives et l’apathie politique.
13Les difficultés administratives sont liées à trois problèmes. La pénurie de moyens joue sur les problèmes de local, de matériel, de traitement des secrétaires et des coursiers. Certains seront résolus à la longue. L’instabilité des agents municipaux est provoquée par les démissions ou les remplacements qui se multiplient. Certaines élections ne sont pas validées. Les démissions sont justifiées par le manque de rémunération ou de compétence. Les déplacements au chef-lieu ne sont pas évidents, par rapport au passé. Des révocations massives ont lieu, à la suite des changements au sommet et des avis des commissaires. Jusqu’aux 3/4 des élus peuvent changer en l’an V (jacobin) ou l’an VI. Le choc des autorités est souvent fatal au personnel politique.
14Un dialogue difficile permet de situer les carences de la réforme, à deux niveaux. Entre l’agent et les administrés d’abord : la personnalisation et l’éloignement du représentant du pouvoir local est dommageable au fonctionnement administratif au village. Les actes sont déclarés au chef-lieu. Les lois ne sont plus affichées. Les assemblées villageoises, se tenant lors des conseils précédents, n’ont plus de raison d’être. Comment expliquer la cascade de démissions et les absences des agents ? Entre le pouvoir central et l’administration ensuite : le dialogue précédent est remplacé par une surveillance hiérarchique tatillonne et étroite. Le commissaire doit des rapports décadaires, et faire preuve de son efficacité. Les circulaires se multiplient. Mais quelle est la réalité du terrain ?
15Quant à l’apathie politique, de nombreux historiens constatent un « vide politique » causé par l’éloignement des villageois des centres politiques. Il conduirait à un repli sur les intérêts communautaires. La dépolitisation consisterait à refuser les réquisitions, à cacher les insoumis et les réfractaires, à bouder les fêtes civiques. On constate dans de nombreuses régions rurales le retour aux pratiques catholiques, le rejet du calendrier républicain pour l’économie (on chôme le dimanche, on travaille le décadi) ou pour les fêtes, parallèle à la réouverture des églises. Le gouvernement doit fermer les yeux, voire autoriser la célébration des deux cultes dans le même local. Les élections générales sont souvent boudées par les actifs ruraux. Pourquoi se déplacer ?
Un procès excessif ?
16Les choses doivent cependant être nuancées. D’une part, les carences sont voulues par les réformateurs. D’autre part, la pratique des administrations cantonales tend à se régulariser, pour la fréquence des réunions, la présence des élus et certaines priorités. Les questions essentielles demeurent la fiscalité, le recouvrement des contributions (plus celle des portes et fenêtres) et l’emprunt forcé. Une centralisation de la perception et le rétablissement de taxes indirectes montrent un certain redressement (séance 9). Du même ordre les subsistances sont assurées par des réquisitions appuyées sur des statistiques efficaces (François de Neufchâteau). Les questions militaires forment le troisième volet, proche des précédents : surveillance des conscrits, réorganisation de la Garde nationale ou des colonnes mobiles (contre les Chouans). Les dernières priorités sont la gestion des édifices et institutions publics (les hôpitaux, les biens nationaux) et la police rurale (élections des gardes, lutte contre les délits ruraux).
17Les autres thèmes non prioritaires contrastent avec l’an II : les questions scolaires, les chemins ruraux, la politique tout court. Il vaut donc mieux parler d’autres logiques qu’employer le terme global « d’échec ». L’exemple des écoles primaires est à cet égard instructif. La loi rompt avec l’obligation des écoles publiques. Les enquêtes de l’an VI sont sévères sur la pénurie des maîtres (payés par les parents), des locaux et du matériel, des manuels républicains. Mais d’autres écoles particulières s’ouvrent. Dans certaines régions (Bretagne), les réseaux se complètent. Dans d’autres les écoles publiques et particulières s’affrontent. S’il y a déclin global, la guerre des écoles n’est pas toujours négative.
18Il reste que le déclin administratif et politique est si patent que le Consulat rétablira les municipalités communales. Dans la participation villageoise et la prise en charge des problèmes locaux, le Directoire représente un recul évident et inégal, avec des réussites régionales (Bourgogne, Bretagne) liées aux relations complémentaires des cantons et des villages.
La promotion des chefs-lieux urbains
19Les historiens récents du Directoire mettent l’accent sur le fonctionnement positif des administrations urbaines. On peut souligner des caractères les distinguant des institutions villageoises.
Une concentration des pouvoirs
20Dans les villes et les chefs-lieux se met en place une véritable « classe administrative », plus homogène que par le passé, dominée par les hommes de loi et les professions libérales, alors que se réduit le poids des paysans (moyens et pauvres). Les pratiques administratives, le contrôle de l’esprit public se perfectionnent, alors que le dialogue avec les campagnes tend à se réduire. L’administration urbaine semble se nourrir de la déperdition des pouvoirs villageois. La concentration des talents et des compétences en milieu urbain ou semi-urbain était précisément l’objectif des députés, parfois dès 1789. La justice de paix se caractérise par un ancrage urbain plus important et une participation à la vie politique plus nette, quand l’« homme des champs » s’efface. Les instituteurs sont de plus en plus les serviteurs du régime en place. Déconsidérés sur le plan social et financier ils doivent célébrer le régime, catéchiser leurs élèves, les former à l’adhésion, les mener aux fêtes. La promotion du chef-lieu se fait par l’effacement relatif du pouvoir au village, malgré des solidarités constatées dans certaines régions (proximité et correspondance). Elle s’appuie sur une certaine efficacité administrative. Les séances des administrations sont périodiques et (dans l’ensemble) fréquentées par les agents. La correspondance est nettement plus régulière et fait état de rapports fréquents (décadaires) sur les objets prioritaires. La statistique marque une plus grande efficacité en matière de fiscalité, de réquisitions. Le lien avec le pouvoir central l’explique sans doute, malgré la valse du personnel.
Une vie politique intense
21Les villes connaissent une vie politique inversement proportionnelle au déclin de la politique au village. Elles deviennent des espaces de liberté. L’opinion publique est favorisée par une semi-liberté de la presse et l’échec de la propagande gouvernementale. Les lieux d’expression (les théâtres des grandes villes) sont valorisés. On retrouve donc une certaine liberté d’expression par rapport à la terreur précédente. Elles connaissent des élections disputées. On assiste à des évolutions électorales surprenantes. Les campagnes royalistes ou républicaines s’affichent. On voit apparaître en l’an V des candidatures officielles, listes gouvernementales et candidats affichés, ce qui était impensable. Les élections peuvent être très disputées, avec une participation importante (Languedoc, Côte-d’Or, plus forte qu’en 1791-1792) et une compétition, voire des scissions dans les assemblées chargées de désigner les députés. Ces pratiques contrastent souvent avec la désaffection de la participation des campagnes, même si des remobilisations sont possibles (théâtres ambulants, diffusion de la presse dans les villages). Les villes sont donc les centres de l’opinion publique, par l’importance des fêtes, par la reprise d’une sociabilité politique, au lendemain de fructidor. 660 lieux sont concernés par les cercles constitutionnels. Le Sud-Ouest connaît des cercles ambulants, visitant les chefs-lieux de canton, plantant des arbres de la liberté, créant des cercles, banquetant (la Sarthe). Ils jouent un rôle électoral comparable à celui des cercles royalistes. Ils sont supprimés à chaque poussée conservatrice.
Une expérience originale
22Ainsi les pratiques politiques tendent à un contraste de plus en plus accusé entre villes et campagnes. Désormais et pour des décennies les villes sont devenues les centres de pouvoir et de tutelle politique. La politisation de la paysannerie se fera désormais souvent sous l’influence des notables urbains, à la différence de la période 1790-an II, celle d’une relative autonomie politique des campagnes et d’un véritable dialogue entre les pouvoirs municipaux des villages et des villes. Peut-on parler d’échec du Directoire, lorsque les objectifs fixés pour le contrôle des « républiques villageoises » sont dans l’ensemble atteints ?
23Nous pouvons mettre l’accent sur deux logiques qui résument l’évolution des pratiques pendant la période du Directoire. La première, a trait à la politique économique (les Égaux sont traités dans un chapitre particulier). La seconde est le coup d’État de Brumaire an VIII qui met fin d’une certaine manière à la Révolution et constitue un tournant majeur de cette décennie.
Le redressement économique
24Le redressement financier est obtenu par la banqueroute des deux tiers (30 septembre 1797), ou liquidation d’une partie de la dette, l’autre étant consolidée. La réorganisation fiscale se fonde sur une réforme profonde de l’administration des contributions directes, renonçant aux principes libéraux et électifs de 1789. Dans chaque département, une agence des contributions indirectes se charge de l’assiette et de la perception, mais sous la direction de commissaires nommés (12 novembre 1797). Un nouvel impôt direct sur les portes et fenêtres (24 novembre 1798) frappe l’apparence de l’immobilier. Les droits de passe, l’octroi sont recréés, les droits sur le tabac et les timbres augmentés. La fiscalité indirecte reparaît !
25Le gouvernement encourage l’innovation agricole, par les encouragements et La Feuille du cultivateur, poussant à l’agronomie, à la clôture des communaux après partage, à l’abandon des traditions communautaires (la vaine pâture). Il facilite la vente des biens nationaux par enchères au département. Il organise au Champ-de-Mars la première Exposition nationale (industrielle et artisanale). La statistique démographique, agricole connaît une impulsion remarquable. Les progrès techniques (textile, sidérurgie, Woronoff) sont sensibles, mais ne sont pas portés au crédit du régime.
Le tournant de Brumaire
26Les logiques d’un coup d’État sont sensibles. Même si la continuité existe, dominent une lassitude « politique » (apathie ?) et une faible participation électorale pour l’an VII (primaires et juges de paix). Les spécialistes parlent de 11 % (pour une douzaine de départements) contre 20 et 25 % les années précédentes. On n’a jamais si peu voté à Dijon, Aix, Bordeaux, Nantes. Ce reflux est peut-être lié à la lassitude des coups d’État successifs (fructidor, floréal, du nom du mois où les élus sont invalidés) et conduit à la tentation d’un pouvoir exécutif plus fort.
27Après le coup d’État, la Constitution de l’an VIII fait l’objet non d’une ratification référendaire, mais d’un « semi-plébiscite ». Les citoyens actifs (près de 6 millions ?) ne votent plus dans le cadre d’assemblées primaires, mais individuellement, à visage découvert. Ils se présentent à la maison commune (rarement une mairie) devant l’agent, ou devant le juge de paix. Ils écrivent oui ou non sur le registre et signent, laissant une trace fâcheuse. Ainsi dans de nombreux départements il n’y aura aucun « non » ! Les chiffres du ministère, probablement truqués, font état d’une participation supérieure à celle de 1793, alors qu’elle est inférieure. On ajoute tous les soldats (500 000) et 900 000 voix imaginaires (soit 3 MM) ! et 1562 non ! Mais le vote est très variable et peut être interprété comme une volonté de retour à l’ordre, importante dans les régions républicaines.
28Faut-il évoquer la fin de la Révolution ? La Constitution de l’an VIII mêle les permanences et les ruptures. Permanences pour l’administration : on revient aux municipalités communales, on supprime les administrations cantonales, on crée les arrondissements comparables aux districts. Permanences pour les élections, puisque le « suffrage universel » est maintenu pour les plus de 21 ans, résidents et non-marginaux. On votera en assemblées primaires comme par le passé. Le personnel politique sera peu différent ?
29Mais de profondes ruptures sont imposées par la désignation des fonctionnaires, par le pouvoir central, sur les listes de notables : « Nul ne doit être nommé fonctionnaire par ceux sur lesquels doit s’exercer son autorité. » Les maires sont nommés par le chef de l’État pour les villes, par le préfet sur proposition du sous-préfet pour les villages. Le lien local paraît brisé. Au lieu d’un personnel élu et tournant, c’est un personnel nommé et stable qui siège. Les attributions sont réduites et l’ordre du jour soumis au sous-préfet. Le dialogue administratif est remplacé par une surveillance tatillonne, des décisions et des dépenses. On se retrouve dans un cas de figure proche de ceux des paroisses et des intendants (et subdélégués) de l’Ancien Régime. Dans les villes vont disparaître peu à peu la presse, les espaces d’expression politique et les sociétés politiques. Est-ce le prix à payer à la normalisation politique et religieuse ?
30Ainsi, le Directoire ne mérite pas entièrement sa mauvaise réputation. L’œuvre économique, la stabilisation financière, la promotion des chefs-lieux urbains sont à mettre à son actif (Valenciennes, 1999). Mais la dégradation du lien local et du dialogue administratif dans les campagnes est évidente, de même que la dépolitisation d’une grande partie de la population, rurale plus qu’urbaine. Le Consulat tire la leçon de cet échec, mais fait entrer les campagnes dans de nouvelles logiques de centralisation qui altèrent profondément les pratiques des premières années de la Révolution. Les plébiscites suivants vont accentuer ces tendances, le déclin de la participation politique dans les villes et les campagnes n’empêchant pas la stabilisation, voire la croissance économique. Sur le plan des pratiques politiques, « la Révolution est bien finie » pour Sieyès et Bonaparte, même si ce dernier affirme (par ailleurs) « Je suis la révolution »...
Du Directoire au Consulat
31« L’année 1802 fut peut-être une des plus heureuses qu’ait connues le peuple français après la grande tornade révolutionnaire » (Melchior-Bonnet, 1985). Ce point de vue, qui n’est pas partagé par tous les historiens renvoie à la stabilisation du pays dans tous les domaines et à la paix d’Amiens. D’un autre côté, on peut avancer que cette année éloigne un peu plus d’une Révolution dont le Consul se dit l’héritier et le liquidateur. Nous avons souligné les nouvelles logiques du régime, à travers la Constitution de l’an VIII. Il convient de mesurer les continuités et les ruptures par rapport au Directoire et à la décennie révolutionnaire dans la période qui sépare le coup d’État de Brumaire du plébiscite sur le Consulat à vie.
La stabilisation intérieure : « La Révolution est terminée »
32La loi décisive du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), est la charte de fondation du corps préfectoral. Le 12 mars, les attributions des préfets sont précisées : guerre, agriculture, finances, commerce, communications, hôpitaux, Instruction publique, beaux-arts. Renouant avec l’essentiel des attributions des intendants d’Ancien Régime, mais dans une autre logique, les préfets et les sous-préfets vont se charger de la police administrative, des élections, des associations, du travail. Ils transmettent les ordres aux sous-préfets, qui les transmettent aux maires… « de manière à ce que la chaîne d’exécution descende sans interruption du ministère à l’administré » (Chaptal, 1800). Le choix capital des préfets rejoint celui des juges, à l’exception des juges de paix, encore élus pour un temps. Le corps judiciaire est en fait fonctionnarisé, ce qui rompt avec la séparation des pouvoirs, de la décennie précédente ! La centralisation prend le pas sur le dialogue, et la concertation administrative (Pelisson, dir., 2001), même si l’ancien personnel administratif et judiciaire est souvent sollicité.
33La pacification intérieure est la priorité du 1er Consul : « Ni talon rouge, ni bonnet rouge. » Il fait rapporter toutes les mesures de fructidor an V, sur les otages, les émigrés et les réfractaires, proposant une amnistie à certains membres de l’ancienne noblesse. En avril 1802, les biens non aliénés des émigrés sont rendus à leurs propriétaires, ce qui facilite une vague de retours. À la pacification militaire de la chouannerie, si forte en 1799, succèdent des négociations menées par l’abbé Bernier. Il obtient la reddition des rebelles, le 21 avril 1800. Contre les monarchistes, il éconduit l’offre de Louis XVIII. Contre les néo-jacobins, il prend appui sur l’attentat du 24 décembre 1800 (rue Saint-Nicaise) pour juger et guillotiner deux royalistes et faire déporter 132 « anarchistes ».
34La paix religieuse est l’autre priorité. Les négociations entamées entre l’abbé Bernier et le nouveau pape, Pie VII, demandent 21 rédactions successives – de nombreux échecs entre le 25 juin 1800 et le 14 juillet 1801 –, pour parvenir à un accord : le Concordat. Si les articles sont signés à Paris le 15 juillet 1801, les réticences de parlementaires diffèrent sa proclamation comme loi d’État, le 18 avril 1802. Des articles organiques dénaturent quelque peu le compromis en renforçant le pouvoir de l’État sur le clergé. La grogne des nostalgiques de l’an II est accentuée par la parution, quatre jours avant le Te Deum pour le Concordat à Notre-Dame du Génie du christianisme, dont l’immense succès révèle le changement d’attitude à l’égard de la religion et le renouveau d’un clergé de mission. Le virage avec la politique du Directoire est impressionnant. Le clergé réfractaire est sacrifié sur l’autel de la pacification (Grégoire). Le retour des formes traditionnelles de la sociabilité religieuse (fabriques, confréries et charités) peut être envisagé, sans que certains acquis révolutionnaires soient remis en cause (pas de religion d’État, maintien de l’organisation, de la vente des biens du clergé, de la nomination et du serment, donc du traitement).
35La rupture économique n’est pas dans le système fiscal, mais dans le processus qui mène en 1803 au monopole de la Banque de France, créée en février 1800 et au franc germinal du 28 mars 1803. En 1801, le régime paie ses dettes et le budget de 1802 est équilibré ! Le Code civil, formé de 36 lois est rédigé entre 1801 (il est déjà imprimé en janvier) et 1804. Il se présente également comme un compromis, abrogeant certaines des lois les plus égalitaires de la Convention, maintenant les principes et certaines des conquêtes les plus significatives. Bien que s’inscrivant en réaction morale et sociale, le texte définitif aura un rayonnement européen. L’importance des notables favorables au nouveau régime se marque par deux créations de 1802 : la légion d’honneur et les lycées. La première « serait un commencement d’organisation de la nation ». Formée de 15 cohortes de 250 hommes, c’est au départ une milice plus qu’une décoration nationale, soulevant les oppositions des adversaires d’une recréation de la noblesse, sous des formes déguisées. Le serment des légionnaires est certes imprégné de principes révolutionnaires. Il n’en est pas moins un pas de plus vers l’inégalité civile ! Les lycées sont organisés par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802). Alors que les communes reçoivent à leur charge l’enseignement primaire – les instituteurs payés par les familles, comme en 1789 ! –, les lycées retiennent les principes des collèges d’Ancien Régime et des écoles centrales, l’internat et la discipline, mais des maîtres civils, dans un enseignement militarisé et réservé aux élites (y compris les 6 400 boursiers). La concurrence de l’enseignement privé va poser le problème du monopole public.
36Les seules résistances viennent de la troisième chambre, le Tribunat (Constant, Daunou, Ginguéné, Marie-Joseph Chénier). Bonaparte procède à son « écrémage » et divise la Chambre en trois sections. Les rumeurs de l’armée, autour de Moreau, sont étouffées. La dérive monarchiste, débutée au lendemain du coup d’État par l’installation aux Tuileries, se poursuit par le projet du Consulat à vie. L’idée, lancée en mai 1802, est concrétisée par un plébiscite, en une question (Bonaparte a rayé la faculté de nommer son successeur) : « Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie ? » Près de 3,6 millions de oui contre 8 374 non ! la ratification a été individuelle et signée. Les citoyens actifs ont eu sept jours pour se présenter en différents lieux (arrondissement, mairie, justice de paix, étude de notaire). La variété des réponses laisse un certain malaise, ou impression d’improvisation. Les oui/oui renvoient à la deuxième question du (successeur). Les formules reprennent souvent celle du premier fonctionnaire, en la recopiant. Sur le plan local, nous avons l’impression que l’on a moins voté qu’en l’an VIII, mais que les résultats proclamés sont très supérieurs ! La Constitution fait disparaître le principe de l’élection directe, puisque les assemblées de canton nomment le personnel départemental et d’arrondissement à vie, sur une liste des citoyens les plus imposés. Ainsi, le 2 août 1802, le consulat à vie est un pas de plus vers la légitimité monarchique de Napoléon, dont les ambitions ont percé le 15 août 1802, en attendant qu’« troisième acte il n’atteigne l’Olympe » (Madame de Staël). D’autres points de vue sont avancés : « La révolution étant consolidée, la société contemporaine s’élabora » (Bertaud, 1979).
La paix extérieure
37L’Autriche et l’Angleterre restent seules coalisées contre la France, au seuil de la campagne du printemps 1800. La cause semble entendue en Égypte, d’où les mauvaises nouvelles semblent se succéder, après l’assassinat de Kléber, les déboires et défaites de Menou et la capitulation. Mais le rétablissement de l’armée est la priorité du Consul. Le renforcement de la gendarmerie et des colonnes mobiles permet de limiter la désertion et la chouannerie. Le rétablissement de la discipline par les pouvoirs extraordinaires du général en chef, la création des « armes d’honneur ». Les succès de Marengo (14 juin 1800) et Hohenlinden (Moreau) permettent la signature de la paix de Lunéville (9 février 1801), la mainmise sur l’Italie, la Belgique, la rive gauche du Rhin et les républiques sœurs. Le continent est enfin en paix ! Il ne reste plus que l’Angleterre, au bord du gouffre financier, fragilisée par la démission de Pitt. Les pourparlers concernent essentiellement la restitution de l’Égypte au sultan. Cornwallis et Joseph Bonaparte signent la paix d’Amiens, le 25 mars 1802, la France recouvre ses colonies et tente même de récupérer Saint-Domingue, par l’expédition de Leclerc. La capture de Toussaint Louverture, le 7 juin, laisse espérer une reprise de la traite et de l’esclavage, abolis par la Convention 8 ans auparavant. La mort de Leclerc, en novembre, rend incertaine l’issue de l’expédition.
38Dans l’ensemble, les reniements du passé républicain sont trop importants pour que l’on puisse parler de « continuité ». C’est par rapport à la situation de 1789 qu’il faut tenter le bilan. Le Consulat à vie préserve les apparences de la souveraineté populaire. Mais le lien administratif et local établi par la Constituante et le Convention, maintenu tant bien que mal par le Directoire, est brisé. À la fin de l’année 1802, la paix n’est qu’un sursis. Bonaparte et la République se partagent les effigies des monnaies dès 1803. Le gouvernement de la République n’est déjà plus qu’une monarchie déguisée…
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Philippe Bourdin et Bernard Gainot (dir.), La République directoriale, Clermont-Ferrand, CHEC-CRRR- Société d’études robespierristes, 1998, 2 vol.
Jean-Paul Bertaud, Histoire de la France contemporaine, Paris, 1977, t. 1.
Du Directoire au Consulat, 1. Le lien politique local dans la Grande Nation, Jacques Bernet (éd.), Lille, CRHEN-O, 1999 ; 2. L’intégration des citoyens dans la Grande Nation, Hervé Leuwers (éd.), Lille, CRHEN-O, 2000 ; Brumaire dans l’histoire politique de l’Etat-nation, Jean-Pierre Jessenne (éd.), Lille, CRHEN-O, 2001.
Bernard Gainot, 1799, un nouveau jacobinisme ?, Paris, CTHS, 2001.
Georges Lefebvre, Le Directoire, Paris, 1946.
Bernardine Melchior-Bonnet, Histoire de France 1799-1815, Paris, Larousse, 1985.
Eric Pelisson (dir.), La loi du 28 pluviôse an VIII, deux cents ans après. Le préfet et les libertés, Limoges, P.U. Limoges, 2001.
Marcel Reinhard, Le département de la Sarthe sous le Directoire, Saint-Brieuc, 1935.
Jean-René Suratteau, « Le Directoire d’parès des travaux récents », AHRF, 224, 1976.
Claudine Wolikow, « Les municipalités de canton, identité communale et administration municipale : l’option du Directoire », Révolution et République, Parus, Kimé, 1994.
Annexe
Annexe. BONAPARTE À L’ARMÉE D’ITALIE
Milan, 26 messidor an V (14 juillet 1797)
Soldats, c’est aujourd’hui l’anniversaire du 14 juillet. Vous voyez devant vous les noms de nos compagnons d’armes morts au champ d’honneur pour la liberté de la patrie : ils vous ont donné l’exemple. Vous vous devez tout entiers à la République ; vous vous devez tout entiers au bonheur de trente millions de Français ; vous vous devez tout entiers à la gloire de ce nom qui a reçu un nouvel éclat par vos victoires.
Soldats, je sais que vous êtes profondément affectés des malheurs qui menacent la patrie ; mais la patrie ne peut courir de dangers réels. Les mêmes hommes qui l’ont fait triompher de l’Europe coalisée sont là. Des montagnes nous séparent de la France ; vous les franchiriez avec la rapidité de l’aigle, s’il le fallait, pour maintenir la Constitution, défendre la liberté, protéger le Gouvernement et les républicains.
Soldats, le Gouvernement veille sur le dépôt des lois qui lui est confié. Les royalistes, dès l’instant qu’ils se montreront, auront vécu. Soyez sans inquiétude, et jurons par les mânes des héros qui sont morts à côté de nous pour la liberté, jurons sur nos nouveaux drapeaux :
GUERRE IMPLACABLE AUX ENNEMIS DE LA RÉPUBLIQUE ET DE LA CONSTITUTION DE L’AN III !
BONAPARTE.
Extrait de la Correspondance de Napoléon Bonaparte, n° 2010.
Annexe. LETTRE AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF
Quartier général, Milan, messidor an V (18 juillet 1797)
Je vous envoie ci-joint la copie de deux adresses des divisions Masséna et Joubert ; l’une et l’autre sont revêtues de douze mille signatures.
La situation des esprits à l’armée est très prononcée pour la République et la Constitution de l’an III. Le soldat, qui reçoit un grand nombre de lettres de l’intérieur, est extrêmement mécontent de la tournure sinistre que paraissent y prendre les choses.
Il paraît aussi que l’on a été affecté du bavardage de ce Dumolard, imprimé par ordre de l’Assemblée et envoyé en grande profusion à l’armée. Le soldat a été indigné de voir que l’on mettait en doute les assassinats dont il a été victime. La confiance de l’armée d’Italie dans le Gouvernement est sans bornes. Je crois que la paix et la tranquillité dans les armées dépendent du Conseil des Cinq-Cents. Si cette première magistrature de la République continue à prêter une oreille complaisante aux meneurs de Clichy, elle marche droit à la désorganisation du Gouvernement ; nous n’aurons point de paix, et cette armée-ci sera presque exclusivement animée par le désir de marcher au secours de la liberté et de la Constitution de l’an III. Soyez bien persuadés, Citoyens Directeurs, que le Directoire exécutif et la patrie n’ont pas d’armée qui leur soit plus entièrement attachée.
Quant à moi, j’emploie toute mon influence ici à contenir dans les bornes le patriotisme brûlant qui est le caractère distinctif de tous les soldats de l’armée, et à lui donner une direction avantageuse au Gouvernement.
BONAPARTE.
Extrait de la Correspondance de Napoléon Bonaparte, n° 2239.
Quartier général, Passariano, 1er vendémiaire an VI (22 septembre 1797)
Soldats, nous célébrons le 1er vendémiaire, l’époque la plus chère aux Français ; elle sera un jour bien célèbre dans les annales du monde,
C’est de ce jour que date la fondation de la République, l’organisation de la grande nation ; et la grande nation est appelée par le destin à étonner et consoler le monde.
Soldats ! éloignés de votre patrie et triomphants de l’Europe, on vous préparait des chaînes ; vous l’avez su, vous avez parlé : le peuple s’est réveillé, a fixé les traîtres, déjà ils sont aux fers.
Vous apprendrez, par la proclamation du Directoire exécutif, ce que tramaient les ennemis de la patrie, les ennemis particuliers du soldat, et spécialement des divisions de l’armée d’Italie.
Cette préférence nous honore : la haine des traîtres, des tyrans et des esclaves sera dans l’histoire notre plus beau titre à la gloire et à l’immortalité.
Rendons grâce au courage des premiers magistrats de la République, aux armées de Sambre-et-Meuse et de l’intérieur, aux patriotes, aux représentants restés fidèles aux destins de la France : ils viennent de nous rendre, d’un seul coup, ce que nous avons fait depuis six ans la patrie.
Extrait de la Correspondance de Napoléon Bonaparte, n° 2239.
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