Chapitre XIII. Une révolution des institutions
p. 263-308
Texte intégral
1La Révolution française déborde largement du cadre de la « révolution politique » et « sociale ». Elle met en place de nouveaux cadres institutionnels, qui concernent la vie de 28 millions de Français, tant dans le domaine administratif que dans les questions judiciaires, voire les relations à l’intérieur des familles, au moins sur le plan juridique. La décentralisation administrative, la rationalisation de la justice, les tentatives de laïcisation et d’égalitarisme de la cellule de base : autant de bouleversements pour les façons de vivre, de participer à la vie locale, de bénéficier de garanties individuelles, de repenser le rapport à la religion, à la vie et aux proches. Mais il est un domaine où le bouleversement atteint un degré de rupture total : le rapport des citoyens aux questions militaires, dans le surgissement de la Garde nationale, un service civique en armes et les rapports nouveaux entre la société civile et la société militaire. Regrouper ces différentes « révolutions » tient de la gageure. Elles permettent toutefois de recentrer, hors d’une chronologie « tyrannique », des mutations institutionnelles dont l’écho est parfois parvenu jusqu’à nous (pour la famille, l’administration et la justice), même si les préoccupations militaires de l’époque nous paraissent d’un autre siècle. À travers ces diverses expériences, se profilent certains des fondements les plus tenaces des modes de fonctionnement de notre société la plus contemporaine.
Une « révolution administrative »
2L’histoire administrative de la Révolution française reste encore à écrire, moins autour de la mise en place des nouvelles institutions que de leur fonctionnement sur le terrain, en particulier à propos des relations entre les niveaux, du local au départemental. La pensée vigoureuse de Tocqueville jetant un pont entre les centralisations de l’Ancien Régime et de l’Empire a paradoxalement obscurci la problématique de la décennie révolutionnaire. Entre l’intendant de l’absolutisme même éclairé et le préfet persistent des zones d’ombre, selon les espaces (cantons, districts) et selon les périodes (Constituante, Convention, Directoire). Les problèmes se posent en terme de compétences respectives des institutions administratives, des rapports de dialogue ou de tutelle avec les autorités supérieures et le pouvoir central, de personnel administratif, d’évolution dans le temps selon les logiques politiques du cours de la Révolution. Il paraît logique de balayer quatre périodes : celle de la révolution administrative de la Constituante faisant « table rase » du système « baroque », parfait et irrationnel de l’Ancien Régime pour en prendre le contre pied ; celle de la « reconcentration d’autorité » sous la Convention, et de l’expérience singulière des représentants en mission ; celle enfin du Directoire, ou de la promotion ambiguë des cantons dans des logiques ciblées et particulières avant que le Consulat ne crée un système administratif si cohérent qu’il a partiellement effacé les expérimentations précédentes. Les développements qui suivent ont pour objet de briser les schémas commodes sur la continuité administrative des années 1770-1800, en réhabilitant deux ensembles de réformes successives : celles tentées par le « despotisme ministériel » monarchique (1771, 1778 et 1787) d’une part ; celles proposées par les assemblées révolutionnaires, à la base des structures contemporaines, selon des voies et des lectures renouvelées.
1764-1787 : l’impossible réforme du « despotisme ministériel »
3L’administration de la France de Louis XVI est largement héritée des avancées de l’absolutisme gouvernemental du siècle de Louis XIV (Méthivier). Des commissaires temporaires et révocables (les intendants) règnent sur un ensemble complexe de circonscriptions et d’offices, engendrant une bureaucratie pléthorique et bloquée, mais parfaitement centralisée et soucieuse de modernisation. Tous les ministres ont rêvé de modifier ce système, par des formules diverses de déconcentration provinciales et locales. Tous ont échoué avant la « révolution administrative » de l’Assemblée constituante, conduisant une refonte des niveaux et des rouages sur des principes contraires à l’absolutisme.
4Dans le cas des pays d’État (comme le Languedoc ou la Bourgogne), les problèmes de prérogatives et de préséances se compliquent encore. En Bretagne s’opposent ainsi les champs d’attributions des états de Bretagne, du Parlement de Bretagne, du Gouverneur militaire, de l’Intendant pour ne prendre que le sommet de l’administration. La conduite de la politique municipale peut ainsi dépendre de plusieurs pôles, compte non tenu du problème de la vénalité des charges, des offices et de la volonté monarchique de contrôle des finances à tous les niveaux. La monarchie n’a supprimé aucun rouage de cette machine trop complexe, dont elle ne maîtrise plus totalement le découpage. Mais elle a rajouté des agents d’une centralisation tatillonne, dans l’institution des intendants et de leurs subordonnées, les subdélégués. Avec les seigneurs, les juges et les autorités de tutelle ecclésiastiques, l’encadrement des milliers de paroisses est assuré, selon les nombreuses nuances des identités et des solidarités locales.
5Mais cette centralisation qui passe pour exemplaire dans nombre d’états européens a engendré ses effets pervers : la mise en sommeil de nombreuses institutions locales ou intermédiaires. La priorité du lien fiscal est évidente dans les relations des subdélégués avec les syndics, les procureurs et les collecteurs des collectivités solidaires devant l’imposition. De même la réalisation de travaux d’intérêt local dépend du bon vouloir des services de l’intendance, en l’absence de budgets communaux permanents et d’attributions financières régulières. Cette règle entraîne des blocages et des retards considérables, à l’échelle de la bureaucratie paperassière, qui accumule les dossiers sans pouvoir les traiter, même dans des cas urgents comme la construction d’une école ou la réparation d’une église. Dans un système absolutiste, les dysfonctionnements sont d’autant plus importants que la vénalité des charges, la confusion des intérêts privés et collectifs, l’absence d’élections régulières renforcent les risques de confusion et de prévarication. Nul n’en est plus conscient que l’intendant, qui voit sa volonté de modernisation (Turgot en Limousin) se heurter aux pesanteurs bureaucratiques et à la timidité des interlocuteurs, ou que les ministres, en cette période où le despotisme éclairé tente, dans toute l’Europe, de trouver des formules d’administration efficace au service du bien public.
L’échec des réformes de fond
6Le début des années 1770 est celui des grandes réformes administratives tentées par Maupeou, Turgot, puis Necker. Tous les ministres au pouvoir depuis Choiseul partagent une même volonté : décentraliser l’administration en déconcentrant l’autorité, en dotant des institutions élues d’attributions et de capacité de prise de décision, mais sans réduire le poids de l’État. Tous vont échouer face au seuil des privilèges remis en cause et devant la « faiblesse » des arbitrages des monarques. La sévérité des jugements d’historiens comme Pierre Goubert est-elle méritée : « Pourtant Louis XV et Maupeou avaient montré qu’une très grande réforme était possible. De son échec, Louis XVI porte toute la responsabilité » ; « dans la séculaire impossibilité de toute réforme fondamentale, la personne du roi entre pour autant que les structures du régime ». Prenons quelques exemples. En 1764, le contrôleur L’Averdy tente de briser le système vénal, quasi héréditaire ou de cooptation des pouvoirs des municipalités urbaines (de plus de 4 500 habitants). Un corps électoral élargi aux officiers et gens de métier élirait des notables, qui éliraient un corps de ville, qui présenteraient quatre échevins au choix du monarque. Un édit de 1771 met fin à cette expérience. Pourtant la réforme du chancelier Maupeou donne une possibilité réelle de briser l’opposition mécanique des parlements à toute réforme fiscale et administrative, en favorisant la liaison des intendants et des nouveaux tribunaux. Mais les exigences financières remettent aux calendes la réforme municipale. Turgot ne porte pas de projet de réforme administrative, malgré (à cause de ?) son expérience à la tête d’une généralité. Necker met en place, dès 1778, une expérience intéressante d’assemblée provinciale dans la généralité test de Bourges : les députés des trois ordres (le Tiers doublé) au nombre de 48 siégeraient ensemble pour des attributions limitées : fiscalité indirecte, travaux d’intérêt général, politique charitable. L’interventionnisme royal dans le choix des hommes et les querelles de préséances (dans le Dauphiné) font échouer une réforme apparue nécessaire à la plupart des membres des élites dirigeantes. Les dernières années de l’Ancien Régime sont aussi celles des tentatives les plus abouties, du projet de Calonne à l’édit de Brienne de juin 1787, particulièrement méconnu par les historiens de la Révolution.
7Lors de la convocation des notables en 1787, le contrôleur général des Finances, Calonne, propose un plan de réforme administrative aussi audacieux que son projet de subvention territoriale : impôts payés par tous sur des règles égalitaires. Il est fondé sur des principes de simplification, de décentralisation et d’élection. Les généralités, trop importantes, s’effaceraient au profit de départements, rayonnant sur 300 communes environ, formés selon des règles d’efficacité géographique et administrative. Les assemblées délibératives appelées « provinciales » seraient élues par les citoyens disposant de plus de 600 livres de revenu : le tiers état aurait autant de députés que les ordres privilégiés réunis. Disposant de compétences administratives et financières étendues, ces départements relèvent d’un « grand projet ». À l’échelon inférieur, une cinquantaine de paroisses formeraient des arrondissements de districts. À la base fonctionnerait dans chaque paroisse une municipalité élue par les citoyens aisés, avec des attributions renforcées, et la présence de droit du curé et du seigneur !
8L’édit de juin 1787 ne reprend qu’une partie de ce projet en le vidant de l’essentiel de ses ambitions. Il existe bien des assemblées provinciales de département, mais ses membres sont choisis par le roi dans un premier temps, cooptés ensuite. Le pouvoir décisionnel reste aux prêtres et aux nobles. Il se forme bien des municipalités, mais le suffrage restreint conduit à des formes de « démocratie » en retrait sur les pratiques d’anciennes « républiques villageoises ». Les assemblées provinciales réaliseront des bilans des problèmes remarquables et témoigneront de leur efficacité lors de l’orage de l’été 1788. Mais, accablées par les querelles de procédure, réduites à des sessions trop courtes, elles verront leurs activités réduites à une peau de chagrin. Elles auront montré la voie de la réforme, tout en reflétant les contradictions du régime : conçues pour éliminer des abus criants, elles n’ont supprimé aucun des cadres anciens, les concurrençant pour de nouvelles contestations. Les assemblées seront laissées pour compte avant d’avoir fait leurs preuves.
9Quant aux municipalités de paroisse, élues de façon peu démocratique, mais élues, elles fonctionnent, tant bien que mal jusqu’à la réforme de la Constituante. À leur acquis, des réunions régulières, chaque dimanche et des pratiques notées dans des registres de délibérations enfin tenus à jour. Une correspondance suivie avec les bureaux intermédiaires montre l’amorce d’un dialogue, qui ne passe plus par les seuls services de l’intendance, et une résolution plus rapide des problèmes de secours (lors de l’orage de grêle), de paiement des impôts, des travaux urgents qui passent par l’ingénieur de l’Assemblée provinciale. De 1787 à 1790 les municipalités rurales fonctionnent un peu comme les fabriques. Par l’application locale de l’édit, « un certain nombre de notables ruraux vont pouvoir se familiariser avec la gestion des communes », malgré le caractère étroitement censitaire des équipes en place. On a trop souvent souligné ce dernier caractère sans s’attacher à ces nouvelles pratiques administratives et au degré de rupture avec les pratiques locales précédentes.
10La formule la plus adaptée pourrait s’approcher de la définition de Pierre Renouvin : « Les populations sont préparées à tâtons à l’exercice de charges plus étendues. » On ne peut certes parler d’une réelle décentralisation, des moyens et des pouvoirs, mais d’un progrès des « libertés locales ». Ces analyses ne valent bien sûr que pour l’Île-de-France où la gestion municipale se trouvait à un seuil particulièrement critique. Pour d’autres régions à tradition municipale affirmée, la réforme a pu générer conflits et incompréhension.
11La portée réelle de la réforme n’est pas aisée à saisir entre ses laudateurs comme Tocqueville qui envisagent une véritable « révolution administrative » et ceux qui – comme Pierre Renouvin – concluent à son échec général, sans s’engager sur le terrain de l’application locale. Nous avançons pour notre part le thème de l’apprentissage par un personnel élargi de la gestion municipale dans le cadre d’un dialogue administratif régulier avec les bureaux intermédiaires. Nous pensons également que la continuité est bien plus nette entre la réforme de la Constituante, appliquée en 1790, et l’édit de 1787, qu’entre cet édit et la situation antérieure des relations entre l’intendant et les représentants des communautés rurales.
12Une certaine déconcentration (dans laquelle la monarchie trouve son compte) est en marche, avec un processus de laïcisation des affaires du village (la municipalité délibère sur des objets concernant aussi la fabrique). Le dialogue avec les bureaux intermédiaires a pu favoriser certaines prises de conscience des élites et des assemblées villageoises. C’est pourquoi l’application locale de l’édit de 1787 gagne à être mieux connue, tant pour la connaissance des objectifs de la réforme royale que pour le passage progressif de la paroisse à la commune et la mise en perspective du grand train de réformes engagé par la Constituante.
La « révolution administrative » constituante
13« Communes », « cantons », « districts », « départements » : les lois de décembre 1789 redéfinissent les espaces et les structures de l’administration nouvelle ainsi que le cadre et la nature des niveaux institutionnels. Cette grande refonte amorce la genèse de nos institutions contemporaines à partir d’un vocabulaire où tous les termes étaient présents dès l’Ancien Régime et d’un terrain préparé par la grande réforme de 1787. Mais le contenu de cette « révolution administrative » bouleverse l’ensemble des pratiques et relations des pouvoirs locaux au pouvoir central.
14Si la réforme d’ensemble est bien connue des historiens des institutions et du droit, les relations des cadres locaux et des communautés rurales doivent être analysées à tous les niveaux, du local au pouvoir central. Nous avons tenté de confronter les objectifs des constituants à la réception locale de la réforme. Il s’agit de comprendre comment se pose désormais, sur le terrain, la question du pouvoir au village dans le sud de l’Île-de-France dans le jeu des échanges permanents et imparfaits du national et du local.
Les enjeux pour le milieu rural
15Entre le 7 juillet 1789, où se forme le Comité de Constitution de la Constituante, et le 26 février 1790, où la réforme administrative est définitivement entérinée, l’ensemble du paysage administratif français est reconstruit et redéfini dans sa nature comme dans ses logiques. Un nouveau maillage administratif, judiciaire, fiscal, ecclésiastique s’impose. De nouveaux pôles et de nouvelles hiérarchies naissent de la refonte administrative, à partir d’acquis et de bases qu’on aurait tort de sous estimer : un réseau de paroisses stable, des équipes municipales qui fonctionnent tant bien que mal, des caractères et des traditions que les municipalités vont faire valoir pour tirer le meilleur parti possible de la réforme.
16Les deux points sensibles sont la nature réelle des nouveaux pouvoirs municipaux des villages franciliens selon les principes des constituants (attributions, personnalité, autonomie ?), d’une part, et l’ampleur des réactions locales aux logiques de la réforme, entre l’acceptation ou le réflexe identitaire et localiste, de l’autre. Nous pourrons dès lors mesurer la nouvelle distribution des pouvoirs et des compétences, la portée réelle de la « décentralisation », voire de l’autonomie villageoise, rêvées par certains constituants.
« Une multitude de petits États »
17Au-delà de principes partagés par l’ensemble des législateurs – rationalisation uniformisation, rapprochement de l’administration et des citoyens – le débat fut, d’emblée, très vif entre les partisans de deux visions contrastées de la nature du pouvoir local, singulièrement pour le monde rural.
18La conception qui semble l’emporter au début, dans la logique bien connue des réformes précédentes, est le refus d’accorder aux paroisses de France l’égalité dans l’autonomie des pouvoirs locaux. Demeunier craint une « foule de municipalités indépendantes ». Il est rejoint dans ces préoccupations par le comte de Clermont-Tonnerre, l’un des acteurs essentiels de la vie politique dans notre région jusqu’en 1791. Ce « parti » est essentiellement représenté par l’abbé Sieyès qui condamne, le 7 septembre 1789, « une multitude de petits états sous forme républicaine », et par Mounier, qui parle du danger de « créer des États dans l’État ». Ces législateurs entendent donc subordonner les communes rurales aux bourgs ou aux villes proches, par souci d’efficacité administrative, grâce à la tutelle de représentants compétents et éclairés capables de diriger et de canaliser les communautés et les individus.
19Les villageois seraient par nature incapables de comprendre les enjeux nationaux et civiques, donc incapables d’adapter l’autonomie administrative aux enjeux généraux. C’est ce qui explique que dans le premier projet du Comité (du 29 septembre 1789) les « communes » n’aient aucune autonomie administrative et soient rattachées à des cantons, eux-mêmes dirigés par les administrations de district et de département. Il est évident que cette ligne repose sur des nécessités fiscales et de maintien de l’ordre, rattachées à une conjoncture brûlante, mais pas toujours formulées et explicitées par ses tenants, pour des raisons que l’on peut aisément deviner.
Une municipalité par village
20Face à cette vision cohérente du monde rural se place la conception que partagent Mirabeau et dans une certaine mesure Lanjuinais. Il s’agit pour eux de respecter le principe très ancien (coutumier ?) de la représentation locale en faisant de chaque municipalité communale « l’assemblée représentative plus ou moins nombreuse des habitants d’une communauté ». Les débats sont donc acharnés entre deux logiques contradictoires. Il apparaît d’ailleurs que le consensus serait possible pour regrouper les villages et hameaux chaque fois qu’ils se trouveraient en dessous d’un seuil de population décourageant une gestion efficace (300 habitants ?). Cette mesure ferait disparaître 72 entités administratives villageoises sur 242 dans l’ensemble étudié.
21Mais là n’est pas l’essentiel pour les tenants de l’autonomie administrative locale. Ils considèrent que celle-ci n’est pas de nature à gêner un gouvernement et un pouvoir auxquels elle est par nature étrangère. Au contraire, elle ne pourrait que susciter partout « des hommes suffisamment capables de soutenir les grades des fonctions municipales » (Louvet). La question essentielle pour ces législateurs sera de déterminer à quel point les villageois citoyens doivent être associés à l’administration locale. Une distinction se précise entre les fonctions d’administration générale sous l’autorité du pouvoir central et les fonctions de gestion locale, sous simple contrôle de ce dernier.
22Dans ce débat, qui aurait pu être académique, se trouvait tout simplement posée la question de la survie de la représentation des communautés rurales et de leur éventuelle indépendance à l’égard des élites urbaines. Alors que tout semblait aller vers la subordination des villages, la mobilisation du monde rural à travers la Grande Peur et ses manifestations conséquentes – organisations et solidarités villageoises – pèsent d’un poids décisif dans la décision finale du statu quo, c’est-à-dire du maintien dans chaque paroisse et village d’un pouvoir municipal cohérent, de surcroît élargi par rapport à la réforme de 1787.
23Il n’est guère possible, en l’état de la documentation, de démontrer que les villages de notre ressort ont pesé consciemment sur les décisions de la Constituante, par des actions ou des pétitions, ni d’imaginer les réactions des communautés villageoises « mineures » à un éventuel regroupement avec des villages plus peuplés. Nous avons des exemples de tentative d’annexion d’un village modeste par une administration d’un bourg, mais l’administration « localiste » finit toujours par l’emporter, à la différence de certaines situations normandes ou bretonnes. Aucun village de l’Essonne à notre connaissance ne demandera son absorption administrative par un autre. L’hypothèse selon laquelle chaque communauté est attachée à une représentation ou administration particulière semble ainsi renforcée sans que nous soyons à même de fournir des preuves écrites pour l’étayer, au niveau des petits villages, alors qu’elles abondent pour les bourgs et les petites villes.
24Ainsi les projets cantonaux de Sieyès vont-ils rester dans les tiroirs des assemblées jusqu’à la Constitution de l’an III, malgré des reprises sérieuses à chaque débat constitutionnel, ce qu’éclaire Claudine Wolikow. Pendant près de six années la commune (rurale ou urbaine) constitue donc le premier niveau de l’administration du pays avec une municipalité élue directement par les actifs et comprenant au moins onze membres pour le plus petit des villages. Cette évidence ne peut masquer les problèmes inhérents à cette structure administrative.
25Peut-on parler réellement d’autonomie à l’égard des pouvoirs administratifs de districts et de départements ? Peut-on, dans le prolongement de cette problématique, parler de municipalités dotées de pouvoirs et de budgets propres ? Quels liens exacts doivent exister entre les communautés initiales d’habitants et les nouvelles municipalités, dans le schéma des constituants et dans la réalité ? Il n’existe pas de réponse type à ces questions, mais des réactions locales explicites pour les bourgs et petites villes, plus difficiles à déceler et interpréter pour les villages les plus modestes.
Réflexes identitaires et « localistes » : les campagnes locales
26La concurrence entre communes et municipalités s’avère acharnée dès que le projet de redécoupage administratif annonce la mise en place de chefs-lieux, de pôles administratifs supérieurs. Chaque localité se voit directement impliquée, soit pour bénéficier des avantages consécutifs à une promotion au rang de chef-lieu, soit pour refuser la domination d’une autre, par réflexe identitaire ou solidarité de « pays ». On comprend dans ces conditions que de véritables campagnes aient été organisées pour séduire les membres du Comité de Constitution et les députés de la Constituante dont dépendaient les nouvelles hiérarchies administratives.
27De telles campagnes sont précieuses, tant pour connaître les hiérarchies urbaines et villageoises que pour connaître les représentations des habitants, ainsi que le regard qu’ils portent à l’automne 1789 sur leur cité et sur les autres. Il y a dans la campagne localiste un révélateur puissant de l’identité des bourgs et des villages, des représentations et des hiérarchies projetées ou réelles.
28Une cascade de mépris et de jugements péjoratifs à l’égard du milieu rural se fonde sur l’énumération des critères différenciant la ville de la campagne : démographie, routes, foires, marchés, moulins, qualité des auberges, présence d’un bailliage, d’une maîtrise, d’une élection, d’un grenier à sel, traditions historiques… Des dizaines de plaidoyers-charges permettent de mieux saisir les identités du monde rural, les réseaux et les zones d’influence. En même temps ces campagnes sont éminemment politiques et seront qualifiées par la suite de façon brutale par les communes s’estimant lésées. Au-delà de l’autosatisfaction des communes, les campagnes de promotion contrastent avec les silences antérieurs de la plupart des doléances. Elles permettent de mieux comprendre la nature du nouveau maillage administratif et la redistribution des pouvoirs entre les villes et les villages de l’ensemble étudié.
Le nouveau maillage administratif
29Le nouveau paysage administratif et électoral érigé par les constituants est divisé en quatre niveaux, de la commune au département.
30Les paroisses deviennent donc des communes définies comme « la réunion des citoyens considérés dans les relations locales », avec des attributions très élargies pour leurs municipalités par rapport à l’édit de 1787.
De petites républiques autonomes
31Les citoyens actifs de la commune élisent directement en assemblée le conseil général, de onze membres au minimum (avec le greffier), comprenant un bureau municipal d’au moins cinq personnes : le maire qui devient le « premier magistrat » de la commune, élu en premier et directement, le procureur-syndic, les officiers municipaux appelés parfois adjoints ou membres, le secrétaire-greffier. Des « notables » complètent la municipalité, avec six à douze élus selon la taille des villages et des bourgs.
32Par rapport à 1787, le corps municipal est élargi et structuré avec une nouvelle répartition des tâches. Les élus municipaux sont « bénévoles » et fixent eux-mêmes la périodicité de leurs séances. Deux problèmes se posent quant à la nature des municipalités. D’une part les attributions et les domaines d’intervention sont étendus, très supérieurs à ceux de l’Ancien Régime : à la gestion de la commune, de ses bâtiments, du ravitaillement s’ajoutent l’organisation de la Garde nationale, la police champêtre, bientôt les affaires touchant au clergé et aux bâtiments scolaires, à l’assistance, à l’organisation des élections locales.
33Certes, les handicaps à l’action municipale demeurent importants, en l’absence de budget propre autre que celui de la fabrique ou des comptes du receveur municipal, en l’absence de local fixe de réunion. Mais il s’agit d’attributions réelles dans le cadre d’une large « décentralisation », deuxième aspect essentiel de la réforme.
34La commune dans sa définition nouvelle – et actuelle – regroupe « les citoyens français considérés sous l’angle des relations locales ». Les premières municipalités élues par les citoyens actifs de plus de 25 ans payant au moins trois livres d’impôt disposent de pouvoirs considérables : elles répartissent les impôts, veillent au maintien de l’ordre et s’occupent des questions matérielles, scolaires, d’assistance, sans tutelle directe d’un quelconque pouvoir supérieur ou central ! Face à cette « révolution municipale » qui se met en place en février 1790, les cantons font figure de parents pauvres.
35Il n’est plus question en effet d’une quelconque tutelle seigneuriale ou cléricale. Les seigneurs ont disparu en théorie – après la nuit du 4 août –, et les curés ne peuvent siéger que s’ils ont été élus par les citoyens, après l’été 1790. Les autres pouvoirs de tutelle ont disparu avec les intendants et les subdélégués. Certes la permission d’engager des travaux nécessitant des crédits publics passe par le bureau intermédiaire jusqu’en juin 1790, puis par le directoire de district. Mais l’État ne possède pas d’agent direct de contrôle dans les municipalités. Le procureur-syndic de la commune est élu par les habitants, s’il est chargé de faire la liaison entre l’administration générale et le conseil général de sa commune. Il ne prend d’ailleurs pas part au vote.
36Tout se passe comme si les abus de la centralisation passée avaient entraîné une tendance inverse, une totale déconcentration d’autorité, sinon une décentralisation qui aurait exigé des finances et des champs d’interventions locaux autonomes. L’élection directe des administrateurs et juges de paix confère aux habitants des possibilités inédites de participation aux affaires des villages en cas de maintien de pratiques délibératives des assemblées générales. Ainsi, en l’absence de hiérarchie ou de sanctions directes, chaque commune est à même de s’administrer comme une « petite république », ce que semblait redouter particulièrement Sieyès.
37Le renforcement du pouvoir municipal est donc le premier enseignement de la refonte administrative, amplifiant largement la tendance ébauchée par l’édit de 1787 par l’élargissement des municipalités et de leurs attributions et par la réduction des tutelles administratives.
Des cantons sans influence ?
38Au-dessus des communes se situent directement les cantons, que Sieyès aurait conçus comme des regroupements administratifs de villages (« dernier degré de division »), mais qui ne sont que des circonscriptions électorales sans aucune attribution administrative au départ. Les quelque 5 000 chefs-lieux de cantons créés dans le pays en 1790 servent de cadre aux assemblées primaires et de siège à la justice de paix.
39Un canton peut être défini comme une circonscription d’une douzaine de communes (4 ou 5 en Bretagne, parfois 18 en Île-de-France) autour d’un chef-lieu qui possède théoriquement un statut de bourg et qui peut accueillir des assemblées primaires de 900 personnes au plus dans un local. Les limites et la composition géographique des cantons ont été fixées par les députés des départements concernés selon les traditions, les solidarités et les pressions communales.
40Il peut s’agir parfois de constructions « philosophiques » à partir d’harmonisation de communes séparées par la nature ou les intérêts, que l’on regroupe de façon volontariste en fonction de schémas conçus comme rationnels. Les cantons connaissent donc d’importantes variations dans leur superficie, leur composition géographique et leur population.
41Ces disparités ne s’expliquent pas aisément par les objectifs assignés aux cantons par la réforme.
42Il s’agit en effet de rassembler les citoyens actifs de plusieurs communes rurales au chef-lieu de canton pour éviter les cabales et les intrigues. Ce but électoral est différent des logiques antérieures des subdivisions des départements de nature essentiellement fiscale. Il est différent de la logique espérée par les tenants des municipalités cantonales (Condorcet) dans la mesure où le canton ne possède aucune administration propre, ni local ni secrétariat, en dehors de ce que la municipalité du chef-lieu veut bien lui attribuer. De sorte qu’il ne s’y traite aucune affaire communale en arbitrage, sauf si la municipalité du chef-lieu fait du zèle ou tente d’asseoir son emprise sur les villages voisins, hors du cadre légal prévu par les constituants.
43Le chef-lieu de canton n’est tout de même pas un cadre vide ou fictif. D’une part les citoyens actifs doivent s’y rendre pour des séances électorales assez longues, au moins deux fois dans l’année. D’autre part, c’est l’endroit où se tiennent le juge de paix et les assesseurs communaux dans le cadre de l’arbitrage du contentieux entre les particuliers. L’historien doit donc rester prudent quant à l’expérience cantonale sous la Révolution, selon les périodes. Tout en retenant l’hypothèse d’une possible affirmation de la réalité administrative du canton il paraît évident que l’échelon essentiel d’arbitrage et de dialogue administratif avec les communes est bien le district.
Des districts subordonnés
44Le district prévu par les constituants est plus petit qu’un département selon la réforme de 1787. Aux yeux des législateurs le « centre » du district répond à une logique « géographique » prioritaire alors que le centre du département répond à une logique essentiellement « économique » (et administrative).
45Il possède une administration élue par les électeurs au chef-lieu de district – douze membres et un secrétaire –, un directoire exécutif qui se réunit pratiquement deux fois par jour, formé de quatre membres, un procureur-syndic et un secrétaire-greffier. Le district, doté de 22 tâches ou attributions par la loi du 11 juillet 1790, est chargé des relations avec les communes pour tous les domaines que les municipalités ont en charge : finances avant tout, travaux publics, ravitaillement et subsistances, affaires de police, bientôt affaires religieuses, garde nationale, instruction, contentieux administratif, arbitrage entre communes et entre la commune et ses habitants. Les administrateurs de district sont rémunérés, disposent de secrétaires et de courriers réguliers, peuvent compter sur des troupes pour certaines opérations. Le procureur-syndic est chargé de faire la liaison avec les communes de son ressort pour les lois, les circulaires, les enquêtes, les recensements. En cas de litige il tente l’arbitrage par des commissaires choisis dans l’administration élue et renvoie l’affaire au département en cas d’échec.
46Les districts sont donc les partenaires administratifs immédiats des communes, le directoire prenant la suite du bureau intermédiaire avec des moyens plus importants (une partie des recettes fiscales). D’autre part, il existe au chef-lieu de district d’autres services comme le tribunal.
Un centre économique et géographique
47En théorie le chef-lieu de département occupe une position de « centre » économique et géographique. Il doit permettre à tous les habitants de s’y rendre et d’y revenir en une journée, pour faciliter le règlement des problèmes administratifs. Si cela reste valable pour Paris, la réalité est toute autre pour la Seine-et-Oise dont les limites ont soulevé d’importantes controverses. Versailles rayonne théoriquement sur neuf districts allant du nord (Gonesse) au sud est avec Corbeil. Ce tracé en fer à cheval autour de Paris ne facilite pas les échanges avec le chef-lieu et de nombreuses communes du district de Corbeil se plaindront de l’éloignement de Versailles. La route habituelle comporte « beaucoup de hauteurs à gravir et de détours à faire ». Celle par Choisy est « plus longue mais plus droite et plus roulante ». Enfin celle par Montlhéry est « la plus courte mais la plus raide ». C’est peut-être la raison de la moins grande implication du chef-lieu dans les affaires communales. Mais il s’agit d’un cas très particulier (Ozouf-Marignier).
48Certes, il existe une administration – de 36 membres et un secrétaire –, et un directoire de département, élus lors de la session électorale au chef-lieu par les Électeurs (1 actif sur 100), mais l’étendue même du département et le nombre de communes (plus de 650, près de 450 000 habitants) interdit une couverture complète des affaires dont une bonne partie reste au district, plus proche et familier. De plus le département ne dispose d’aucun agent direct de contrôle au district, dans les mêmes conditions d’ailleurs que le district par rapport aux communes. Comme le district dispose d’un budget particulier, le terme de « décentralisation » semble convenir aux relations entre le département et le district alors que celui de « déconcentration » (dans l’autonomie) paraissait plus pertinent pour qualifier la situation de communes pratiquement autonomes mais sans budget. C’est ce qui rend passionnante la question de la nature des relations entre les communes rurales et les autorités supérieures de district et de département.
La mise en place des administrations
49L’installation des nouvelles administrations se fait entre janvier et juin 1790, successivement par l’élection des municipalités des communes (janvier-février), l’élection du personnel administratif des districts (juin 1790) et de département. On peut dater de juillet, au moment de la fête de la Fédération, le fonctionnement effectif du réseau administratif, sur tout le territoire. Pour chaque institution, se posent des problèmes multiples d’élection, de local, de financement, de correspondance, de mise en route.
50Avec les municipalités, 11 à 120 personnes sont amenées à siéger, à des dates périodiques différentes, en pratiquant une autonomie presque totale. Le lien local est assuré par la fréquence et la présence des élus, par les relations avec les assemblées traditionnelles, et par un personnel large, représentant 10 à 25 % des chefs de famille dans les villages. D’autres personnels s’ajouteront par la suite, comme les officiers de la garde, les associations anciennes et nouvelles (sociétés populaires). En cas de trouble municipal, la médiation des autorités supérieures se fait par le dialogue, et non par la coercition. Les litiges les plus graves peuvent remonter, d’appel en appel, jusqu’à l’Assemblée et aux ministres. Les contacts doivent donc se nouer avec les districts, en l’absence d’institution cantonale (autre que la justice de paix). Dans le cadre d’une correspondance dense, le district est informé des problèmes des villages de leurs ressorts.
51Siégeant tous les jours, voire deux fois par jour, les administrateurs tentent de faire appliquer les lois, en recherchant la conciliation plus que l’épreuve de force, qu’ils ne peuvent assumer. La densité de la correspondance entre procureurs-syndics garantit la qualité des échanges administratifs.
52Le district est une structure facilitant le dialogue administratif entre le pouvoir central et le pouvoir communal. Toutes proportions gardées, l’administration fonctionne alors à la manière de la justice de paix cantonale. La réception d’une plainte entraîne l’envoi de commissaires sur place, puis une tentative de médiation entre les parties en présence, au chef-lieu ou dans la commune. En cas d’échec de la procédure, la plainte est renvoyée devant les instances départementales. Bien que ne disposant d’aucun moyen de coercition (force armée ou pression directe), le district est sans cesse sollicité pour tenter l’arbitrage. Il joue ainsi le rôle d’un médiateur politique entre les exigences de la loi et les pratiques des communes et des particuliers. Dans les conflits pour le pouvoir local en particulier, le district est un véritable réceptacle des doléances des parties en présence.
Les ambiguïtés du dialogue
53Comme les conflits alimentent en priorité les délibérations du district on pourrait conclure à l’inefficacité de la médiation avec les communes. Les choses ne sont pas aussi simples. Le district incarne le respect de la loi, et fait triompher souvent, en matière de fiscalité, le respect de l’ordre. Il envoie des commissaires dans de très nombreuses occasions. Il reçoit les parties en présence chaque fois que c’est nécessaire, cas très fréquent. Les communes et les particuliers prennent ainsi l’habitude de se rendre au chef-lieu pour exposer leurs problèmes. Des solidarités se nouent, au rythme de la correspondance administrative et des recours amiables. D’où une certaine confiance des administrés, en partie liée à la tâche écrasante exercée par les directoires de district.
54Mais dans un autre ordre d’idée, la médiation est toujours malaisée et parfois inefficace, dans les logiques mêmes de la décentralisation voulue par les constituants.
55Le district n’est en effet que l’un des niveaux du recours administratif, sans moyen de coercition légal ou militaire, avant l’intervention du département, de l’Assemblée ou des ministères concernés. Dans le cas de conflits locaux pour le pouvoir, il peut être voué à l’impuissance, au même titre que les instances supérieures. Le district se trouve ainsi mêlé de près à toutes les affaires de contentieux dans les villages de son ressort. Qu’il échoue dans la médiation comme lors de l’affaire Simonneau à Étampes, où qu’il évite le pire, il reste le premier interlocuteur des communes. Il apparaît par la force des choses comme une instance de régulation, d’espace où se croisent les impératifs de la législation nationale et les intérêts divergents de municipalités dotées de larges pouvoirs, d’une autonomie de fait. C’est dans cette mesure qu’il peut recevoir des plaintes des deux parties en présence, et qu’il peut à l’occasion soutenir, face au pouvoir central, les doléances communales en matière de subsistances ou de fiscalité.
Une certaine efficacité administrative
56Le procès d’incapacité administrative mené au moment de la suppression des districts ne résiste pas à l’analyse. Trois types d’arguments soulignent cette efficacité. D’une part l’intensité de la correspondance et du dialogue administratif avec les municipalités villageoises révèle une forte disponibilité et un faible intervalle entre la connaissance du contentieux et la médiation du district, de l’ordre de quinze jours ou moins. Quel progrès depuis les décisions de l’intendant et les délais des bureaux intermédiaires mis en place par la réforme de 1787 ! Dans un autre domaine, le district finance directement les communes, en matière d’établissements charitables, de secours aux indigents, puis aux défenseurs de la Patrie. Enfin, les enquêtes administratives diligentées par les districts se caractérisent par le taux assez élevé de réponses, comparé à des enquêtes postérieures, pourtant réalisées par des administrations plus centralisatrices. Il en va ainsi de certaines enquêtes sur les moulins, en l’an II. Cette efficacité administrative connaît des limites évidentes, en ce qui concerne l’évolution du corps électoral par exemple. Mais le district pointe alors les négligences des administrations municipales, et joue son rôle de représentant direct des contraintes gouvernementales. Critiquées souvent par les communes, rappelées à l’ordre par l’État, les administrations des districts ont accompli une tâche écrasante, dans le cadre d’une autorité « décentralisée » originale, mais constamment remise en cause par les adversaires de l’autonomie communale. Si les conventionnels montagnards tentent d’instaurer la tutelle plus directe des représentants en mission, et la responsabilité d’agents nationaux désignés par le pouvoir central, ils se refuseront toujours de porter atteinte aux deux principes de la révolution administrative de la Constituante : la gestion « autonome » des municipalités et leur dialogue avec l’administration des districts. C’est peut-être la raison de l’absence de remise en cause des districts par les municipalités, dans leur correspondance administrative comme dans leurs réponses relatives au maintien ou à la réduction des districts. La caractérisation du couple district-municipalité prend alors toute sa pertinence. Des représentants en mission entretiennent des relations suivies avec le personnel des districts, qui les accompagne dans leurs tournées ou les suppléent, le cas échéant.
57Des monographies comparatives du fonctionnement des districts entre 1790 et 1795 permettraient de pousser plus avant la réflexion sur la pertinence de l’échelon du district dans l’espace administratif français.
Vers la reconcentration
58Entre 1790 et le printemps 1793, le cadre administratif reste pratiquement inchangé. Les débats constitutionnels de 1791 et 1793 opposent pourtant deux tendances parlementaires permanentes. L’une vise à regrouper des petites communes, qui ne seraient pas viables, par manque de personnel et de lumières dans le cadre d’unités administratives de la taille d’un canton. L’idée d’un seuil de « gouvernance » est ainsi avancée. L’autre insiste sur la nécessité de conserver l’autonomie et la capacité des communes de se gouverner, dans le cadre d’échanges et dialogues préservant leur intégration à la communauté. La question est rendue plus complexe par les choix politiques des uns ou des autres, en particulier dans la crise du fédéralisme qui secoue le pays à partir de juin 1793. C’est dans ce contexte que le canton a pu occuper un espace administratif, en matière de recrutement militaire, ou de regroupement de gardes nationaux. Le chef-lieu de canton peut tenter d’absorber des pouvoirs d’autres municipalités, voire les communes. Mais le fonctionnement des administrations ne semble pas poser de problème grave avant la crise de septembre 1793 et l’émergence d’un double pouvoir, montagnard et sans-culotte.
59Une reconcentration sensible d’autorité se dégage de la politique de Salut public, à partir du décret décisif du 14 frimaire an II (4 décembre 1793). Elle est consécutive aux besoins de la guerre et d’un gouvernement révolutionnaire qui agisse comme « la foudre ». Les élections sont suspendues jusqu’à la paix. La nécessité d’une volonté unique pour assurer la mobilisation militaire et économique du pays l’emporte sur les partisans de l’autonomie préservée des municipalités : « La Convention nationale est le centre unique de l’impulsion du pays » (article 1). En réalité, tout doit converger vers les deux grands Comités, de salut public et de sûreté générale.
60C’est dans ces conditions que l’administration départementale, souvent suspectée de girondinisme ou de fédéralisme, est réduite à son seul directoire, ne peut envoyer de commissaires, et perd la plupart de ses attributions. Celles ci restent donc exercées par le district, sur les mêmes terrains. Le procureur élu est remplacé par un agent national, nommé, et en correspondance directe avec le gouvernement auquel il envoie un « rapport décadaire ». Dans chaque commune, le procureur syndic est remplacé par un agent correspondant avec les autorités supérieures. Les écrans possibles – comités de surveillance et sociétés populaires – sont bientôt contrôlés.
61Les assemblées administratives susceptibles de freiner la politique sont mises au pas et les administrations suspectes épurées par les représentants en mission, envoyés extraordinaires de la Convention (voir plus bas). Ils jouent un rôle complexe d’intermédiaires entre le centre et les relais locaux. Dans l’ensemble, les communes conservent leur capacité de décision, sur tout ce qui ne touche pas directement au Salut public. Mais les registres de délibérations montrent des municipalités de plus en plus accaparées par la satisfaction des besoins du pouvoir central et dont la marge de manœuvre semble se réduire rapidement, au printemps de l’an II.
La recomposition thermidorienne
62Le 28 germinal an III (ou 17 avril 1795) les districts sont théoriquement supprimés, dans un contexte politique et économique brûlant : lendemains de la première grande « journée de la faim » parisienne du printemps de l’an III, procès des héritiers de la Montagne. Nous ne saisissons que la version officielle de cette suppression surprenante, en raison de son caractère unique. Il s’agit en effet de la seule institution créée par la Constituante condamnée de cette manière. Il est question un moment de leur inefficacité, due à leur « excessive multitude ». Il va de soi que leur bilan remarquable met ces administrations à l’abri d’une telle accusation. D’ailleurs la suppression restera longtemps formelle dans de nombreux départements où le recours à l’administration du district est indispensable pour régler les problèmes urgents (fiscalité et subsistances).
63« D’abord subordonnés aux départements, puis rendus totalement indépendants par les événements révolutionnaires. » Pendant la période du Salut public, les districts, épurés ou non, sont omniprésents sur les fronts des subsistances, des réquisitions, de la fiscalité, de la gestion des biens nationaux, du sort des biens communaux, de l’assistance et de la Garde nationale. Sur toutes ces questions ils ont développé avec les autorités municipales un réseau ambigu de relations tantôt confiantes tantôt réglementaires. Les districts et les municipalités deviennent les deux supports essentiels de l’action révolutionnaire. Les districts surveillent l’exécution des lois révolutionnaires qu’appliquent les municipalités. La raison essentielle est fournie en dernière analyse : « Ils furent supprimés pour raison politique par la Constitution de l’an III. » L’existence des districts ne cadre plus avec les logiques politiques développés par les rédacteurs de la Constitution de l’an III. C’est cette dimension qui nous paraît la plus éclairante, dans une relation dialectique avec les autorités municipales.
64La logique nouvelle est dans la réduction de l’autonomie municipale, parallèle à la disparition des districts. L’une ne va pas sans l’autre. La disparition met fin à une pratique de correspondance et de dialogue denses, qui avait abouti à certaines solidarités objectives. On a vu des administrations de districts couvrir des débordements locaux en matière de subsistances, protéger des inculpés, particulièrement en prairial an III, accepter les augmentations de salaires demandées par des salariés agricoles, contre le vœu des conventionnels et des représentants en mission. L’autorité administrative passe de ce fait au canton, qui regroupe les élus municipaux, qui fonctionne avec un commissaire nommé par le directoire de département et dépend de ce dernier et du ministère de l’Intérieur. La logique de l’expérience directoriale est rigoureusement inverse de celle de la Constituante. Elle détruit le dialogue administratif, décourage le personnel politique municipal, détourne la gestion locale, mais reconstruit un corps d’administrateurs préparé à certaines priorités, dans le cadre d’une recentralisation très imparfaite. Il n’est pas question ici de juger de l’efficacité du couple département-cantons par rapport à l’expérience précédente districts-municipalité. Parallèlement cette suppression obligeait à une refonte judiciaire, par la disparition des tribunaux de districts ayant donné satisfaction jusque-là.
65Après la suppression des pouvoirs locaux (comités et sociétés populaires), les représentants ne peuvent plus servir les vues du gouvernement, malgré le dialogue restauré. Le 23 août 1795, ils sont remerciés, sans regrets. La Constitution de l’an III fixe les règles administratives nouvelles.
La promotion des cantons
66Les administrations villageoises seront réduites à la peau de chagrin. Leur personnel municipal, élu ou confirmé chaque année au printemps – ce qui rétablit la règle de l’élection – ne se compose plus que d’un agent et d’un adjoint. L’agent doit siéger au chef-lieu de canton avec les autres en constituant une municipalité cantonale. La commune n’a plus d’administration propre et se voit retirer, sinon ses délibérations, du moins son état civil. Dans chaque administration de canton, le président élu doit composer avec un commissaire nommé par l’Intérieur, certes originaire du canton, mais chargé de la correspondance et de la surveillance des élus. Le canton devient pour la première fois un cadre administratif à part entière. 5 000 unités prennent ainsi la place de 40 000 municipalités communales et de 550 districts, soit une perte de près de 90 % du personnel administratif et du nombre des séances de délibérations. L’échec du canton n’est ni programmé, ni fatal. Il bénéficie d’une certaine efficacité dans les domaines prioritaires – fiscalité, recrutement, réquisition –, au détriment de secteurs délaissés – éducation primaire, assistance. Mais il a pu rencontrer un accueil favorable dans certaines régions rurales où le chef-lieu rayonne sur le reste du canton (Bléton-Ruget).
67Le département est sous haute surveillance. Cinq membres élus et un secrétaire doivent tenir compte de la présence du commissaire représentant le ministère de l’Intérieur et le Directoire. La tutelle hiérarchique est d’autant plus pesante que les élections – de département, de canton, de commune – sont régulièrement contestées et faussées par les invalidations et les nominations faites par le pouvoir en place. La centralisation n’est cependant pas complète, car les administrations restent élues et maîtresses de leurs emplois du temps et de la gestion de leur budget. Il s’agit d’un régime mixte qui a renoué avec les élections. La conséquence est l’effacement progressif des identités et engagements des villageois, au bénéfice d’administrations urbaines nombreuses, compétentes et baignant dans un climat politique riche, tant par les élections que par les sollicitations de l’opinion publique (voir le Directoire).
Le tournant de Brumaire
68Le paradoxe du coup d’État de Brumaire et de la Constitution qui le suit est dans le retour à l’apparence des principes de 1789 et dans la négation du contenu des réformes de la Constituante. Expliquons-nous. D’une part, le Consulat rompt avec l’expérience cantonale. Il rétablit les communes dans leurs municipalités et leurs attributions. Il supprime les administrations cantonales, semblant ainsi marquer leur échec. Il rétablit les districts sous la forme d’arrondissements – 350 au lieu de 550 districts –, et des conseils d’arrondissement susceptibles de renouer avec les pratiques de district. Mais, en même temps, il vide les élections de leur contenu réel. Tous les fonctionnaires majeurs – maires, conseillers d’arrondissements et de départements – dépendent du pouvoir central, qui les nomme et qui les révoque, par l’intermédiaire des préfets et des sous-préfets, devenus les représentants directs de l’État et des agents efficaces de centralisation. Partout, les délibérations ne représentent plus qu’une faible partie de la vie municipale des années 1790-1793 : elles s’espacent et ne concernent que des aspects mineurs, sous la tutelle de fonctionnaires qui évoquent les pouvoirs des intendants d’Ancien Régime. Le lien local est brisé au profit de listes de notabilités, parmi lesquelles le pouvoir choisit à vie ses cadres. On retrouve le dialogue entre le pouvoir et les capacités communales dont rêvaient les réformateurs de la fin du règne de Louis XVI, au moment de la réforme de Brienne.
69Conclure à la permanence de la tendance centralisatrice lourde relèverait pourtant d’un faux sens. Les premières municipalités de 1790 ont expérimenté, leurs maires élus directement en tête, un régime d’autonomie complète (municipalité et Garde nationale) tempérée par un dialogue permanent avec des administrations de district méconnues, qui ont accompli une tâche écrasante, non sans résultats probants. La reconcentration progressive d’autorité a respecté un lien local souvent garanti par des représentants en mission à l’écoute des populations. Mais le Directoire, puis le Consulat ont rétabli des logiques plus traditionnelles de surveillance et de centralisation. La décennie révolutionnaire a permis d’expérimenter des échelles et des niveaux de relations très différents entre les pouvoirs locaux et les pouvoirs centraux. D’où la nécessité de comprendre le fonctionnement de ces premières municipalités, de ces premiers maires et des administrations décentralisées de district et de département pour comprendre les motivations et les contradictions d’une réforme de fond, d’une « révolution administrative » qui prenait le contre pied de toutes les structures de l’Ancien Régime, n’en déplaise à Monsieur de Tocqueville…
La Révolution et la justice
70Les questions judiciaires sont envisagées de deux façons contradictoires par les historiens. D’une part ils mettent l’accent sur les aspects positifs d’une révolution judiciaire (par la Constituante) qui met en valeur l’indépendance des juges, les droits de l’homme et une rationalisation des lois et pratiques judiciaires ; de l’autre, ils jugent souvent sévèrement la période dite de Terreur, une justice expéditive et sans garanties. Les deux aspects sont-ils conciliables ? Comment est-on passé d’une justice à l’autre ? On pourra insister sur les réalités de la justice de paix, la création la plus durable et probablement la moins contestée de cette « révolution judiciaire ».
La révolution judiciaire de la Constituante
71En 1789, les doléances ne révèlent que partiellement une France malade de son système judiciaire. Les abus les plus fréquemment dénoncés sont l’arbitraire (les lettres de cachet), l’inhumanité (des châtiments et de la peine de mort, de la torture), la complexité, la vénalité (des offices et des juges), l’inégalité, la lenteur des procédures et des recours, l’injustice (des justices seigneuriales). Tout un courant des Lumières (1764, Beccaria : Traité des délits et des peines) tend à l’émergence des droits naturels de l’individu et valorise le modèle britannique de l’habeas corpus et des justices de paix. L’Assemblée constituante va donc faire « table rase » pour reconstruire un système judiciaire qui influence encore profondément nos mentalités et nos pratiques.
La « table rase »
72Fallait-il supprimer l’ensemble du système judiciaire de l’Ancien Régime. Le débat a été vif autour des justices seigneuriales et royales de « proximité ». Celles-ci jouaient un rôle de conciliation et de protection de la communauté contre les agressions extérieures, quand elles n’étaient juges et parties au bénéfice du seigneur. D’autre part, la monarchie a tenté plusieurs réformes de haut (Maupeou, Lamoignon) en bas pour limiter les abus du système judiciaire. Les cahiers de doléances, parfois rédigés sous la direction de juges seigneuriaux de procureurs fiscaux ou de notaires, n’ont pas de position unique en matière de justice. Il reste donc une réévaluation à faire de la qualité et de l’efficacité des justices traditionnelles, à la veille de la « table rase » (Follain, Garnot, Quéniart). La nuit du 4 août entraîne la mort de l’édifice d’Ancien Régime.
73Dans ce domaine comme dans d’autres, la Constituante supprime l’ensemble des institutions et les racines des abus. En quelques mois, particulièrement après la nuit du 4 août 1789, disparaissent les anciennes juridictions : les parlements, les bailliages, les prévôtés, les justices seigneuriales, les tribunaux fiscaux, de même qu’est abolie la vénalité des charges (entre septembre et décembre 1790). Les principes de la reconstruction sont à l’exact opposé des défauts présumés de l’Ancien Régime : rationalité, décentralisation, séparation des pouvoirs, élection des juges, gratuité, égalité des peines, garanties des droits, sûreté (article 2 de la Déclaration des droits). Peu de modèles étrangers (anglais, hollandais) sont évoqués au moment des débats.
74La loi du 16-24 août 1790 est le résultat d’un compromis entre deux tendances : la séparation des pouvoirs qui implique l’indépendance des magistrats et le refus d’un pouvoir judiciaire trop fort et hiérarchisé rappelant les parlements. Il est vrai que les hommes de loi (juges, avocats…) sont nombreux dans l’Assemblée : Robespierre, Barnave, Thouret, Sieyès, ont confronté leurs vues et leurs projets dans la réorganisation…
Les nouveaux cadres judiciaires
75L’organisation, simplifiée, est calquée sur les circonscriptions administratives, à quatre niveaux.
76À la commune, un tribunal de simple police statue sur les délits mineurs (rixes, voisinage) signalés par les gardes du village (prison seigneuriale…) ; il peut juger jusqu’à 500 livres et 8 jours d’emprisonnement. Il est composé du maire et de deux officiers municipaux. Il prend la succession des justices seigneuriales. Il représente près de 120 000 personnes.
77Au canton, un juge de paix sera élu par les citoyens actifs pour deux ans. Il s’agit d’un éligible parmi d’autres, sans qualifications professionnelles obligatoires, disposant de la confiance des concitoyens, pour une justice d’arbitrage rapide, gratuite, accessible, locale (quatre assesseurs par commune). Le juge de paix instruit toutes les affaires civiles (dettes, litiges fonciers) et juge sans appel jusqu’à 100 livres. Il préside les tribunaux de famille et exerce la justice gracieuse pour l’arbitrage de l’ensemble des cas familiaux (tutelles, curatelles, héritages). Il exerce également une fonction de conciliation, avant procès. Hommes des champs et des villes, les 7 000 juges de paix sont une institution originale à l’épreuve de la Révolution. Au criminel (police correctionnelle), ils peuvent donner jusqu’à deux ans de prison.
78Au district, un tribunal civil de cinq juges (six ans de compétences judiciaires, trente ans minimum) et un commissaire du roi forme le pilier judiciaire au civil, sans l’aide d’avocats ni de jury. L’appel se fait devant sept tribunaux de districts voisins sur les 553 existants.
79Au département, un tribunal criminel est formé d’un président élu pour six ans, de trois juges pris dans le personnel du district et d’un jury de douze membres, citoyens offrant des garanties.
80D’autres tribunaux s’occupent de questions plus spécialisées, comme les tribunaux de commerce au chef-lieu de district et de département. Ils sont composés de cinq juges élus tous les deux ans par les membres des professions commerciales. Les tribunaux maritimes sont modifiés par l’instauration d’un conseil de justice et d’un jury militaire. Les tribunaux militaires deviennent des « cours martiales », où les jurys d’accusation et de jugement sont composés d’officiers, sous-officiers et soldats, élus. Le jury d’accusation disparaît en mai 1793. Des conseils de discipline apparaissent en mars 1794, et des conseils de guerre en l’an III.
81L’appel se fait devant des juridictions comparables ou supérieures, mais il est créé un Tribunal de cassation, de 42 juges (un pour deux départements) et une Haute Cour nationale. Tous les juges sont élus et renouvelables dans des délais relativement courts, pour garantir l’indépendance de la justice, base fondamentale de la séparation des pouvoirs.
La procédure et les peines
82Elle est fixée définitivement en septembre 1791, au moment de la Constitution. L’instruction débute devant le juge de paix, qui reçoit la plainte. Il enquête et auditionne les témoins. S’il n’y a pas conciliation, elle passe devant le tribunal de district, et un jury de huit membres décide s’il y a lieu d’instruire devant le tribunal criminel. Le jury de jugement se prononce sur les faits et les juges déterminent la loi applicable. Le ministère public n’intervient que pour soutenir l’acte d’accusation (accusateur public) et pour requérir la peine (commissaire du roi).
83Il n’y aura pas de Code civil complet avant 1804. Toutefois la police correctionnelle est fixée par deux décrets entre juillet et octobre 1791. Des crimes imaginaires sont supprimés (adultère !), des peines fixes (plus de grâce), publiques et graduées sont instituées ; la détention, la gêne, les fers (galères), la mort. L’incendie volontaire est puni de mort…
84En mai 1791 a lieu un long débat sur la peine de mort. Parmi les adversaires, Robespierre (avocat ayant plaidé contre avant 1789) et Pétion. Elle est maintenue le 1er juin 1791, mais elle sera la même pour tous, infligée de façon rationnelle, « mécanique » et « humaine », de Guillotin, janvier 1790, Le Peletier, juin 1791, au docteur Louis, le 25 septembre 1791, qui emporte la décision. Le 25 avril 1792, la « Louison » ou la « Guillotine » fait sa première victime, un détenu de droit commun. Le champ d’application de la peine de mort est assez étendu, mais les supplices et les inégalités (roue, pendaison, garrot, épée, hache) sont supprimés. Le débat tragique sur la peine de mort s’instruira lors du procès de Louis XVI où se combattent les rhétoriques des droits de l’homme (Condorcet s’oppose à toute peine de mort) et la Raison d’État (Robespierre pour l’exécution sans procès).
Une justice clémente ?
85Il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Certes, les garanties de l’accusé sont respectées, d’où l’accusation de lenteur, la recherche des preuves. Mais les atteintes à l’ordre public et surtout à la propriété sont sévèrement sanctionnées. Le vol en particulier est puni de plusieurs années de prison, pour les hommes et les femmes : exemples, 22 ans pour un sac de grain, 8 pour deux peaux, 8 pour un tapis par une domestique de 17 ans, 4 à 10 pour vol de fruits, poules ou légumes ! Le bagne pour un pain volé en l’an III (Jean Valjean et Les misérables)…
86La justice révolutionnaire est donc un compromis entre la défense des droits de l’homme (destruction de la Bastille) et la peur des possédants face à l’indigence et à l’errance. Avec la guerre, elle fait place à un système inscrit dans les mentalités de l’époque, mais selon des logiques et des interprétations très disputées : la Terreur (voir la partie 5).
La justice de paix en questions
Les cadres de la réforme
87À l’automne 1790, doivent être élues le personnel de 5 500 cantons, soit 7 000 juges de paix et 7 000 greffiers, plus quatre assesseurs par commune en moyenne soit près de 150 000 auxiliaires de justice. Le profil des juges de paix est fixé par la loi. Âgé de plus de 30 ans, le juge de paix, élu pour 2 ans parmi les éligibles, par l’ensemble de l’assemblée électorale primaire, est un fonctionnaire appointé entre 600 et 2 400 livres selon la taille de l’agglomération (Métairie). Il n’a pas besoin de compétences particulières en matière juridique. Il exerce une justice dans trois domaines. Pour le civil, les conflits ruraux (surtout) des baux, des loyers, des dettes, des remises d’argent, des haies, des bornes, des fossés. Pour la conciliation, un bureau de paix et de conciliation, formé du juge et de deux prud’hommes (assesseurs) qui peuvent le suppléer, tente d’étouffer les chicanes à la base et de rétablir des relations fraternelles. Enfin, pour les familles, la justice gracieuse voit la comparution des membres, qui déclarent un décès, demandent une tutelle, une part d’héritage, la garde des enfants. Le juge siège au chef-lieu de canton ou dans l’un des villages, pour une circonscription de près de 4 000 habitants, de 4 à 15 communes, soit près de 1 000 familles. Il devra tenir compte d’un découpage parfois irrationnel des circonscriptions cantonales (opposition ou séparation de communes).
La mise en place
88Les élections se déroulent en octobre et novembre 1790, en 4e rang dans les élections de l’année 1790. Les procès-verbaux ont été versés dans des dépôts différents. Mais on peut appréhender une partie des 7 000 votes, qui ont mobilisé autour du tiers de l’électorat possible (Coquard, Bianchi), soit près de 1,5 millions de votants dans le pays. La durée (d’un à deux jours) s’explique par la minutie des opérations (vérification des qualités, bureaux, serments, élections de nombreux assesseurs). Tenues dans les églises, les élections sont animées. Près de 200 citoyens en moyenne arbitrent les conflits entre notables désireux d’exercer une fonction rémunérée et prestigieuse et entre communes concurrentes. De nombreux scrutins seront reconduits pour des irrégularités ou des « cabales », mais les deuxièmes élections confirmeront les premières et la participation antérieure.
89Le personnel élu est variable selon le milieu étudié. À Paris sont élus des juristes confirmés, en place en 1789, alors qu’en 1792 s’ajouteront des commerçants et des employés, en une démocratisation certaine du personnel. En milieu urbain, il en va de même, mais des savants (Berthollet), des marchands, des aubergistes et des notaires rejoignent les juristes. En milieu rural, les procureurs et juges anciens peuvent se tailler la meilleure part, mais des vignerons, des médecins sont également élus. Ces 7 000 juges sont assistés par des assesseurs souvent représentatifs de la partie supérieure des communes, celle qui a exercé déjà des tâches administratives. À partir de février-mars 1791 commence la grande expérimentation des justices de paix sur tout le territoire.
L’évolution d’une juridiction
90Les juges de paix deviennent des personnages de plus en plus sollicités, pour soulager l’activité des juridictions supérieures. En juillet 1791, ils peuvent siéger, avec deux assesseurs, en tribunaux de justice correctionnelle, ajoutant à leur panoplie les vols, les rixes, voire les homicides – qui relèvent du tribunal criminel de département –. Ils peuvent aller jusqu’à prononcer 2 ans de prison et de lourdes amendes. Dans la foulée, il devient officier de police, pour des enquêtes relevant des affaires criminelles. Il convoque les témoins, délivre des mandats d’amener, pratique les interrogatoires, prononce les inculpations. Le juge de paix d’Étampes instruit ainsi l’affaire Simonneau, avant de confier le procès au département. Un juge de paix peut ainsi traiter plus de 200 affaires diverses par année.
91Au fil des années, la perception de l’action des juges se modifie. Ils semblent de plus en plus attachés au chef-lieu, où ils tiennent leur « bureau », de moins en moins mobiles et se faisant représenter sur place. Ils paraissent assez stables sur le plan des élections, quoique moins bien élus sous le Directoire. La complexité des tâches renforce la part du personnel ayant une compétence juridique, au détriment des « dilettantes ». Les juges s’intègrent ou sont intégrés aux structures politiques, particulièrement sous le Directoire, où ils sont sollicités, comme les notaires et les instituteurs, comme serviteurs du régime en place. Certains sont invalidés pour leurs convictions lors des remous électoraux. Ils sont accrédités pour recevoir les votes lors du référendum sur la Constitution de l’an VIII. Ils évoluent alors vers ce qu’ils deviendront sous l’Empire et la Restauration : des agents électoraux et des propagandistes. Mais ils restent la seule institution judiciaire à ne pas être absorbée par l’État lors de la réorganisation des débuts du Consulat ! Ils continuent un moment à être élus, ce qui montre la bonne image qu’ils laissent au terme d’une décennie d’exercice.
Un bilan élogieux ?
92La multiplication de monographies permet de mieux connaître des bilans suggestifs. La conciliation rurale a-t-elle fonctionné ? Le nombre d’affaires jugées dépend des juges et des traditions, ou des arrangements implicites. La conciliation échouerait dans plus de 70 % des cas (Nord, Charente, Allier, Bretagne), jusqu’à la suppression de l’arbitrage forcé en l’an V. Mais elle peut réussir (Île-de-France) dans certains cas précis, et elle demeure une tentative de proximité pour raccorder les parties adverses. Les justices de paix feraient montre d’une plus grande ouverture sociale que par le passé, recevant les plaintes de cultivateurs, de domestiques et de salariés. S’ils appliquent la loi selon l’état des mœurs et des mentalités, le caractère de classe de leur pratique n’est pas évident (Coquard). Les femmes représentent une part croissante de leur clientèle, sans être favorisées par l’ensemble de décisions relevant d’un homme.
93Le juge de paix apparaît comme un régulateur social et rural dans les innombrables litiges et délits ruraux. Il devient le témoin « intime » des rapports au sein des familles, des évolutions des mentalités et des lois sur les relations, la libération partielle des enfants, l’émancipation des filles et des femmes. Ils laissent appréhender la vie et la consommation quotidienne dans les inventaires (comme les notaires). Plongés dans une vie politique intense, ils évoluent politiquement, menacés dans les guerres de l’Ouest, soucieux de leur carrière et cumulant les responsabilités. Ils reflètent, dans leurs actes et jugements, les changements révolutionnaires : calendrier républicain, poids et mesures, variations monétaires. Ils agissent cependant comme des régulateurs politiques, occupant une situation de notable, d’arbitre et d’intermédiaire auprès des populations qui leur font (généralement) confiance. La justice de paix peut être perçue comme une étape dans une carrière prestigieuse ou comme un véritable métier.
94Au total, la justice de paix semble avoir bien fonctionné, malgré l’échec des conciliations, et la complexité croissante de la fonction, son immersion dans la vie politique. Les juges de la Révolution conservent des traits du portrait idéal brossé lors de leur institution : des hommes des champs, non professionnels, introduisant la proximité et la rapidité dans une justice plus à l’écoute des administrés. À la veille de devenir des serviteurs des régimes en place et des agents électoraux soumis aux sous-préfets, ils ont incarné un moment cette justice plus proche et plus « transparente » que l’on semble rechercher à nouveau, à l’aube du xxie siècle, un demi-siècle après la disparition des derniers juges de paix (Petit, 2003).
Les évolutions de la justice
95L’institution judiciaire a connu des évolutions liées à la marche politique de la Révolution. Pendant le Salut public, le Comité de législation reçoit le droit de nommer les juges, entorse au mythe de l’indépendance de la justice. Les tribunaux civils doivent rendre compte de leurs actes auprès des ministères et administrations civiles intéressés. Sous le Directoire, la suppression des districts entraîne le déplacement des tribunaux civils au département, composés désormais de 20 juges au moins par les Électeurs départementaux, sans condition de capacité. Mais le professionnalisme est accentué par ce changement d’échelle et la disparition de 500 tribunaux de district. La politisation est accentuée par les pressions du pouvoir central, qui comble les places vacantes et les places indésirables par la nomination et par l’épuration. La dépendance à l’égard du pouvoir en place ne cesse de se renforcer jusqu’aux lois du Consulat, qui officialisent la nomination directe et systématique des juges par le Consul et les préfets.
96La justice criminelle a fonctionné régulièrement dans la majorité des départements, malgré l’augmentation du banditisme et de la délinquance sous le Directoire, qui met en lumière la question de l’impartialité des jurys de jugement. La guerre civile et la guerre extérieure ont entraîné l’apparition de juridictions exceptionnelles et l’essor des commissions militaires. Les tribunaux révolutionnaires sont créés et démultipliés entre mars 1793 et juin 1794. Une soixantaine de commissions spéciales ont fonctionné dans des conditions régulières : commissions Frey-Vaugeois et Brutus-Magnier en Bretagne. Elles font preuve d’une sévérité inégale selon le type de délits (chouannerie, désertion, manifestation politique). Le Tribunal révolutionnaire de Paris cesse son activité le 12 prairial an III, après le procès de Fouquier-Tinville, l’accusateur public du temps de la Grande Terreur. La Terreur (abordée en 5e partie) ne modifie pas le jugement d’ensemble (positif quoique mitigé) que l’histoire peut porter sur une « révolution judiciaire » totale, fondée sur le droit naturel, la proportionnalité des délits et des peines, l’indépendance de magistrats élus et la recherche d’une justice de proximité destinée à réconcilier les citoyens avec une institution qui a généré, génère et générera perpétuellement la méfiance des justiciables, par ses capacités d’arbitraire et de dysfonctionnements.
La Révolution et les familles
97La famille, cellule de base de la société d’Ancien Régime, se trouve naturellement au cœur des problèmes de la décennie révolutionnaire, sur plusieurs plans. Le droit familial et les rapports au sein des membres ont fait l’objet d’études rigoureuses de la part des juristes (Garaud, 1978). La démographie et les évolutions des indices de l’accroissement naturel ont mobilisé les historiens des années 1960-1970 (Reinhard, Dupâquier). Les pratiques familiales commencent à émerger de chantiers nouveaux (Godineau, Daumas, 2003). Les représentations et l’iconographie ont marqué le bicentenaire (Langlois, Vovelle, 1986). Une synthèse est désormais possible autour du thème général d’une « révolution de la famille » ou de la « famille en Révolution », à partir des analyses successives des acquis de la législation révolutionnaire, de la politique démographique et de ses effets, des bilans et des interprétations d’une époque décisive pour les générations qui l’ont vécue et pour celles qui lui ont succédé.
La famille sous l’Ancien Régime : tendances et évolutions
98Le cadre familial dans la France d’Ancien Régime se caractérise par le mélange de l’uniformité et de la complexité. Malgré les diversités régionales et les modèles familiaux (nucléaire, élargie), la famille dépend de cadres et de règles stricts sous l’Ancien Régime. L’uniformité vient du respect quasi généralisé de règles religieuses contraignantes dans une société où l’exercice d’une autre religion que le catholicisme n’est « tolérable » qu’à partir de 1787. Depuis 1685 et la Révocation de l’édit de Nantes, la garde et l’éducation des enfants de familles protestantes étaient retirées aux parents. Les actes essentiels de la vie de la famille sont des sacrements. Les baptêmes, mariages et décès, actes pourtant civils, relèvent des seuls registres paroissiaux, tenus par les curés et leurs auxiliaires, à l’exclusion de toute autorité civile. Baptêmes, mariages, extrême onction sont codifiés par un ensemble de règles contraignantes, donnant aux individus les places et sens de leur existence. Le statut de la femme, celui de l’enfant (l’enfant naturel n’a ni existence ni statut, mais doit être nourri) répondent à des normes religieuses et mentales prégnantes, en milieu rural. Le catholicisme enserre les relations du couple et de la famille dans un ensemble de rites et de significations largement respectés dans une France essentiellement rurale (Flandrin), même si des signes de désaffection se multiplient dans les grandes villes. Il n’est pas pensable que les enfants reçoivent à la naissance d’autres prénoms que ceux garantis par les traditions régionales et coutumières. Les enfants « naturels », illégitimes au regard de la religion, sont écartés de la succession. Les couples doivent respecter le calendrier catholique, les interdits de l’Avent et du Carême, la morale chrétienne, les « temps clos » pour l’amour et le mariage. Les avortements sont tenus pour des crimes et passibles de la peine de mort, après le quarantième jour. Toute contraception est sévèrement combattue par les canons des conciles et par les confesseurs. Le droit canonique définit le mariage et interdit le divorce. Le poids de la coutume et le droit canonique règlent le statut et la condition de la femme, la place majeure du père, celle du fils aîné… Ce cadre multiséculaire est garanti par l’autorité monarchique qui le cautionne et le complète bien plus qu’il ne le concurrence. L’intendant et ses subordonnés se chargent ainsi de la police des mœurs familiales, de concert avec les curés des quelque 44 000 paroisses. Les légistes royaux ont pourtant largement imposé le droit d’aînesse en matière d’héritage, pour assurer la continuité de la « maison » et préserver le patrimoine. L’État monarchique ne donne pas au mariage (contrat et autorité du mari, père et chef, lettre de cachet) le même sens que l’Église (liberté partielle). La famille doit être le modèle et l’image de l’État dans un régime absolutiste.
99Ce cadre ou « modèle » général de l’Ancien Régime ne va pas sans une extraordinaire diversité régionale et sans des évolutions de longue durée vers des tendances de laïcisation et de « libéralisation ». Les tableaux (Greuze) et la littérature (Rousseau et Diderot) montrent des évolutions marquantes dans l’attention aux enfants, dans l’affirmation de la morale familiale (L’accordée du village, La fête de la rosière). Les droits de succession, les règles de prénomination, les pratiques opposent ainsi les « pays », les campagnes et les villes. Les échanges des nouveau-nés se font dans les deux sens : départs des milieux aisés urbains vers les nourrices des campagnes ; abandons des enfants naturels des campagnes sous les porches des églises urbaines (Sandrin). Une « limitation » des naissances est ressentie en Normandie, dans des milieux précis (aristocratie, vignerons) ; Paris et Lyon se distinguent par la fréquence des unions « libres » et du concubinage, des naissances illégitimes, du non-respect de certains interdits. Entre les schémas littéraires de Restif de la Bretonne (Le paysan et la paysanne pervertis), de Sébastien Mercier (les mœurs parisiennes) et les enseignements des archives sur les femmes du peuple parisien (Godineau, Arlette Farge), on perçoit les mutations urbaines et les contrastes majeurs. On peut ainsi interpréter ces signes comme des anticipations que la décennie révolutionnaire va révéler, amplifier ou accélérer.
Les lois de laïcisation
100La Révolution française, guidée par les juristes et les hommes de loi, a tenté de régénérer et de laïciser la famille, proposant des centaines de lois et menant des politiques que les populations ont accueillies ou auxquelles elles ont résisté. La question majeure est celle de la distance entre l’esprit des lois qui régissent la famille et les comportements quotidiens qui en ont résulté.
L’état civil, une « révolution silencieuse »
101Les lois de laïcisation ne sont ni inattendues ni spontanées. D’autres pays avaient connu des transitions comparables, sous l’influence des tenants du despotisme éclairé. Le monopole du clergé séculier avait été entamé par l’action des légistes, l’édit de Tolérance de 1787, le poids des coutumes régionales et l’action des notaires. Mais les Lumières sont dépassées par l’ampleur de la « révolution silencieuse » du passage de l’état religieux des fidèles à l’état civil.
102Les historiens se divisent sur la portée antireligieuse du décret de la Législative, créant le jour de sa séparation (20 septembre 1792) l’état civil, au moment de l’entrée dans la Première République. Certains insistent sur une mesure rendue nécessaire par la difficile application de la Constitution civile du clergé et l’existence de registres parallèles ou clandestins pour les actes structurant la vie des familles. Tous reconnaissent pourtant que cette législation ouvre une étape décisive dans la séparation de l’Église et de l’État, amorçant une « révolution silencieuse » des comportements et des mentalités dans la famille. Les naissances, mariages et décès deviennent des actes civils, enregistrés et validés par les seuls fonctionnaires municipaux. Les officiers d’état civil, souvent instituteurs ou greffiers municipaux, prennent la place des curés, qui se voient un moment interdire la tenue de registres paroissiaux parallèles. Les fonctionnaires publics reçoivent les prénoms des nouveau-nés, publient les bans et procèdent aux mariages. Les décès seront un moment même laïcisés, lorsque la mort sera qualifiée de « sommeil éternel » à la porte des cimetières. De nombreux curés continueront à enregistrer les actes, à procéder aux sacrements. Mais un pas décisif est franchi en matière de laïcisation de la société et de la famille par ce décret qui ne sera plus remis réellement en cause.
103Prononcée et décrétée la dernière séance de l’Assemblée législative, cette mesure est considérée comme la « plus antichrétienne » par Alphonse Aulard. Il ne s’agit pas d’une mesure de circonstance, mais l’aboutissement d’un processus marqué par des étapes significatives… La brèche significative était l’état des protestants en 1787, rompant le monopole de l’Église. Les notaires avaient pu modifier déjà le droit en faveur des épouses (Normandie)…
104Désormais l’enregistrement de ce qui n’étaient que des sacrements, donnant à l’individu son identité religieuse et civile, ne dépend plus du prêtre mais de l’officier laïc d’état civil, nommé par la municipalité, élue par les citoyens actifs. La déclaration de la naissance se fera à la maison commune, devant un élu, fonctionnaire en écharpe. De même, le mariage devient un acte civil, engageant les époux devant l’officier municipal. La portée de la mutation est décisive. Le curé ou le recteur est dépossédé d’un monopole. Qui remplira les fonctions d’officier d’état civil ? L’ancien curé, qui assure souvent l’intérim ? L’instituteur, autrefois auxiliaire du curé, qui accède à un stade nouveau de notabilité ? ou le greffier laïc ? Il existe désormais deux formes d’enregistrement concurrentes de l’identité de l’individu. Les révolutionnaires vont tenter de contrer le prestige de l’Église en célébrant des baptêmes et des mariages « républicains », des cérémonies laïques dont il est resté des traces dans le Midi.
105Progressivement, la législation interdit aux prêtres la tenue de registres, dès le 22 janvier 1793 (au lendemain de l’exécution du roi), puis les 19 juillet et 12 août 1793, où ils sont passibles de déportation. Dans les régions de guerres civiles ils n’en continueront pas moins les registres de catholicité, dont les différences avec l’état civil sont révélatrices du combat idéologique.
Le mariage
106À la suite de cette loi fondamentale, le mariage devient un contrat civil. La plupart des empêchements religieux sont supprimés. Une publication remplace les bans, de huit jours à un jour en l’an II. Les fiançailles ne pèsent plus. Les empêchements sont réduits. La séduction n’est plus un obstacle. Les unions interconfessionnelles sont possibles. Le consentement libre des partenaires (leur déclaration) devient la condition essentielle de sa validation. Les témoins sont quatre, ou deux… La majorité se fait à 20 ans, 13 et 15 ans si l’entourage accepte, le père primant sur la mère, ou le conseil de famille, de voisins. Le père perd tout droit de décision au-delà de 21 ans.
107Il peut y avoir des mariages républicains. L’officier déclare le couple uni devant la loi. Il ne s’agit pas d’un simple procès-verbal. Il devient une célébration (le curé n’était que témoin). Il fera partie des fêtes décadaires (des Époux) jusqu’en 1800. L’officier rappelle les devoirs des époux, jusqu’à nos jours. Ces mariages ne respectent plus les temps clos. Les parrains ne sont plus religieux, mais des témoins.
108On tentera de faciliter le mariage des prêtres pour les réintégrer dans la société civile en l’an II. Mais le mariage religieux n’est pas interdit, ce qui laisse en suspens de nombreuses questions quant à l’application de la loi. Quel est le nombre de mariages uniquement civils ? Se marie-t-on plus tôt ? Plus jeune ? Les femmes plus âgées se remarient-elles ? Les filles-mères se marient-elles ? Quel est le poids du concubinage et de l’illégitimité ? Les enfants naturels sont-ils plus nombreux ou plus déclarés ?
Le divorce
109Des philosophes le réclamaient mais ni Montesquieu, ni les Encyclopédistes (jusqu’à l’éducation), ni Rousseau, pour assurer le sort des enfants, cette « raison invincible ». La plupart des députés sont hostiles à cette campagne, très urbaine, très élitaire.
110Parallèle à la laïcisation de l’état civil, le divorce est une mesure égalitaire et laïque, qui va dans le sens des promotions des droits de la femme, dans la plupart des cas, même le consentement mutuel. Sur 6 000 divorces à Paris, 71 % sont réclamés par les femmes. Les motifs de prononciation du divorce sont : le consentement mutuel (article 2), les cas de crimes, immoralité, abandon de 2 ans, la folie, la condamnation, une absence de 5 ans, l’émigration, l’incompatibilité d’humeur. Les arbitres de famille se prononcent et l’officier exécute. En cas de consentement mutuel, le juge ou le tribunal procèdent à une tentative de conciliation, le délai est d’un mois. Il faut trois conciliations en cas d’incompatibilité.
111L’exécution : la femme doit attendre un an… ; une pension viagère est décidée par les tribunaux de famille qui en fixent le montant. Au-dessous de 7 ans, les enfants sont attribués à la mère, mais au père au-dessus. La Convention fait une interprétation laxiste de la loi, réduisant le délai à dix mois. Le 23 avril 1794, une séparation de six mois suffit. Le divorce réduirait la prostitution aux yeux des législateurs et des « féministes ». En fait, le divorce va multiplier les mariages. Le divorce permet à l’épouse de « refaire » sa vie, chaque fois que la responsabilité du mari est engagée, en cas d’infidélité, d’abandon, de sévices. Pratiquement demandé par les femmes, le divorce peut passer pour une mesure de régulation morale, motivée par la justice, la raison, la nature. Il n’en est pas moins une avancée extrême de la législation, dans la période la plus républicaine et la plus égalitaire de la Révolution.
112En matière de décès, enfin, la mort deviendrait un « sommeil éternel » (Fouché). Déclaré 24 heures après, il fait l’objet d’un acte, de nouvelles formes d’enterrements et de rites funéraires. Les historiens ont souligné la portée de cette « révolution » pour les mentalités. Aulard parle de la « mesure la plus antichrétienne » (avec le calendrier républicain ?) et Jaurès écrit de la réforme « Elle changeait, si je puis dire, la base de la vie » !
Une législation égalitaire
Les droits des femmes et les filles
113Même si la grande période égalitaire se situe en 1793 et en l’an II de la République, la législation familiale introduite par les assemblées va dans le sens général de l’égalisation des relations par la promotion des droits des anciens « mineurs », l’épouse comme les enfants. Cet « égalitarisme » va de pair avec une uniformisation du droit familial, qui ne résout pas la question de l’application réelle des lois. L’adultère n’est plus mentionné dans les différents codes, pénal, des délits et des peines. Le mari ne peut plus obtenir l’enfermement pour cause d’adultère. La question de l’égalité des biens n’est posée qu’en théorie : « Le principe d’égalité doit régner dans tous les actes » (Cambacérès, août 1793). Mais la femme peut-elle obtenir davantage que sa dot, qui lui était acquise ? Si toute vente ou hypothèque requiert en théorie le consentement des conjoints, seuls certains contrats (mariage, succession) peuvent être étudiés dans un sens plus égalitaire. Les femmes peuvent toutefois voter, comme les hommes, au titre de la loi de partage des communaux du 10 juin 1793. D’autres formes de revendications égalitaires resteront lettre morte. La prise en compte du concubinage n’est pas claire, même si les droits de la femme sont pris en compte dans les donations, en nivôse an II (Godineau).
114La tendance générale peut se définir par un rapprochement des droits du mari et de l’épouse, tant dans la gestion des biens du ménage que dans le pouvoir de décision et d’autorité parentale.
Les droits des enfants
115Le statut des enfants est profondément modifié dans trois directions complémentaires, tendant à un certain égalitarisme au sein de la famille.
116La plus lourde de conséquence tient à la suppression progressive du droit d’aînesse, conçue d’abord contre les privilèges de l’aristocratie et pour rationaliser le droit de la famille. Entre mars 1793 et février 1794 est proclamé le principe universel selon lequel « tous les descendants ont un droit égal sur les biens de leurs ascendants ». On abolit tous les régimes particuliers en matière de succession. Au-delà des problèmes gigantesques d’application en pays de droit coutumier, la prise en compte des droits des cadets et des filles est ainsi affirmée avec éclat, dans une logique égalitaire évidente et volontariste.
117La deuxième direction tend à réduire l’autorité paternelle et parentale face aux enfants. Éducation, surveillance et protection deviennent les principes des relations. Les pères ne peuvent plus déshériter, emprisonner, punir comme par le passé, du moins au regard de la loi. Des tribunaux de famille remplacent en partie en 1790 l’autorité paternelle unique. Cette autorité cesse à 21 ans au lieu de 25 par le passé. La puissance paternelle cesse les 21-25 septembre 1792 ; il reste à demander l’accord au-delà de 21 ans. Le père ne préside plus le tribunal de famille : c’est le juge de paix qui devient le régulateur de la famille, dans les problèmes de tutelle, de curatelle et d’égaïl (soutien familial aux enfants en difficulté financière).
118Enfin, le droit naturel connaît un demi-succès dans la prise en compte des droits des enfants « naturels », illégitimes et trouvés. Ces notions se recoupaient sous l’Ancien Régime. Les enfants dits « naturels » ne sont plus frappés d’illégitimités. Ils sont proclamés égaux aux autres en novembre 1793, à condition qu’ils aient été reconnus par le père (sans que la recherche de paternité puisse nuire « aux bonnes mœurs et à la tranquillité des familles »). Les enfants naturels « simples » non reconnus doivent être éduqués par la Nation. Les enfants adultérins se voient reconnaître un héritage d’un montant inférieur d’un tiers à celui des « légitimes ». Le 4 juillet 1793, la Convention décrète enfants naturels de la Patrie, et adoptera d’autres traditions jusqu’aux pupilles de la nation (?) le 27 juillet 1917.
119L’enfant est considéré comme un citoyen en puissance, disposant d’un droit à l’éducation obligatoire, jusqu’à la loi Daunou (d’octobre 1795), mais également un droit à l’assistance et aux secours. La Constitution de 1793 prévoit la citoyenneté pour qui adopte un enfant français ! La place des enfants dans l’iconographie révolutionnaire (fêtes, gouaches de Lesueur) confirme cette promotion (Vovelle, 1986, Ariès).
120La famille devient donc une cellule ouverte, d’autant plus que les formalités de l’adoption sont simplifiées. Entre janvier 1792 et décembre 1794, les chefs de famille peuvent adopter un enfant même en présence d’enfants légitimes, à condition que la part de l’adopté reste limitée. Des milliers d’adoptions seront reconnues par la loi de l’an XI, même si l’adopté, devenu majeur peut y renoncer.
121Ainsi la législation a-t-elle sur le papier bouleversé les cadres et les rapports de la famille, vers une laïcisation originale, une uniformisation des règles publiques, une plus grande égalité des rapports mari-épouse, parents-enfants. Toutefois la distance entre les lois et leur application dans la vie familiale quotidienne peut rester considérable, à l’exemple du domaine scolaire où la plupart des décrets demeurèrent lettre morte. L’intérêt est de voir comment près de huit millions de familles ont vécu les tentatives des législateurs et traversé la Révolution.
Une politique démographique cohérente
122On parle souvent aujourd’hui des politiques mises en place sous la Révolution en termes de « coût » et d’« échec ». La politique de la famille, saisie dans sa cohérence, est un bon terrain d’analyse, quant aux résultats d’enquêtes de terrain relativement fiables. Si les contemporains pensaient que la France était en voie de dépeuplement (pessimisme des moralistes et des premiers démographes, Moheau et Mercier), l’approche des assemblées révolutionnaire sera résolument populationniste.
Une politique nataliste
123Pendant toute la décennie révolutionnaire les dirigeants affirment des ambitions résolument « natalistes » à la mesure de trois motivations essentielles. Comme sous l’Ancien Régime traverse le postulat que la première richesse d’une nation est « une peuplade nombreuse », sans démêler toujours le sens du lien entre nombre et richesse : « la plus riche, partant la plus populeuse ». Les calculs sur le coût de l’émigration sont nombreux, à la mesure de la supériorité démographique du pays le plus peuplé d’Europe (plus de 28 millions d’habitants).
124La deuxième approche est la nécessité d’une supériorité militaire, à une époque où la guerre est particulièrement exigeante en hommes, dans une stratégie de rupture par la masse des fantassins. La « Grande Nation » doit lutter contre l’Europe coalisée des monarques en favorisant des naissances nombreuses, patriotiques il va de soi.
125La Révolution est une période de gestation d’un « homme nouveau », libéré des chaînes de l’Ancien Régime. Seule la jeunesse peut former la génération de Français républicanisés, par les mœurs, le civisme et le patriotisme. De ces motivations vient un élan qui pousse les gouvernements successifs à encourager les naissances.
Les encouragements au mariage
126Les avantages des couples par rapport aux célibataires sont évidents dans de nombreux domaines, dont la fiscalité. Les derniers sont surtaxés alors que les hommes mariés sont privilégiés en fonction de leur statut et de leur nombre d’enfants. Comme par le passé, ils sont exemptés de la première phase du tirage au sort en cas de conscription, les pères de familles venant en dernier, ce qui ne manque pas de susciter des résistances chez les garçons en février 1793. On comprend pourquoi lorsque l’on considère « l’impôt du sang » sous la Révolution (près de 400 000 morts aux armées). Même du point de vue administratif et politique, certaines fonctions vont en priorité aux pères de familles, sous le Directoire par exemple. Dans certaines sections parisiennes il n’est fait aucune différence entre les couples « légitimes » et les concubins, très nombreux dans les quartiers populaires, au niveau des secours et du ravitaillement. Sans déterminisme réducteur il devient possible de lier cette politique à un encouragement systématique d’une forte natalité, non concevable sous l’Ancien Régime.
Des mesures concrètes
127Sous la Convention se dégagent des réformes cohérentes en faveur d’une forte fécondité. D’une part, les familles nombreuses sont secourues par la Nation, qui accorde au-delà du troisième enfant layette et biberon pour les mères de famille, sans distinction un moment des mères légitimes ou célibataires, nombreuses dans les faubourgs populaires. D’autre part l’assemblée s’attaque de front aux causes de mortalité infantile. En juin 1793, les nourrices prenant en charge un enfant peuvent disposer de 80 livres. La mortalité touchait un enfant nourri sur deux, pour une pratique très répandue dans les couches aisées des grandes villes. La mortalité la plus forte touchait les enfants « trouvés », un tiers des naissances parisiennes sous l’Ancien Régime. Ils sont déclarés « enfants naturels de la Patrie » et élevés dans une maternité de district en juin 1793, celle-ci pouvant assister les filles-mères. Les mesures concernant les enfants naturels et adoptables vont incontestablement dans le même sens.
128Ainsi, la Révolution peut être appréhendée comme une période qui a repensé les structures et les fondements de la famille, tout en encourageant systématiquement son développement, par des moyens financiers, législatifs et moraux. Quittant le terrain familier des réformes, il est possible de vérifier dans la réalité l’effet de cette politique, en terme de bilans démographiques, de pratiques culturelles et religieuses.
Esquisse de bilans
129Les bilans peuvent être menés en termes quantitatifs, en matières d’actes démographiques : la population a-t-elle progressé ? Quels sont les fruits de la nouvelle législation ? Mais elle oppose les historiens en termes de comportements familiaux, autour des pratiques et de la vie privée. Nous mentionnerons pour mémoire quelques changements spectaculaires dans les pratiques familiales, certains éphémères, d’autres durables. Il est possible de dégager deux grands paradoxes : celui d’une révolution « nataliste » qui engendrerait des formes de malthusianisme. Et celui d’une qui repose sur une vision morale de la famille, interprétée en terme de dissolution des valeurs familiales.
Les paradoxes démographiques
130La progression de la population de 1789 à 1799 est remarquable,
poursuivant
l’évolution de la seconde moitié du siècle.
Pourtant, des années de crise et de surmortalité (1789, an III),
le coût des guerres (au moins 400 000 morts !), les effets de la
Terreur (35 000 victimes « légales ») et de l’émigration (120 000
au moins) ont pénalisé la croissance.
« Une fureur du mariage »
131La réalité statistique l’emporte d’emblée sur l’interprétation. On passe de 230 000 mariages annuels entre 1770 et 1792 à 340 000 en l’an II (327 000 en 1793), pour retrouver 240 000 sous le Directoire. Cette augmentation de plus de 50 % correspond à la période d’encouragement maximale. Il serait facile de mettre en doute certains mariages « forcés » ou « provoqués » comme une partie des 8 000 unions de prêtres ou les vagues de mariages à 18 ans sous le Directoire, juste avant le tirage au sort. Et certaines motivations sont contradictoires avec les idéaux affichés de l’époque. Mais cette fièvre maritale n’aura guère d’équivalent dans notre histoire. La possibilité de remariage après le divorce et les facilités offertes aux couples mariés civilement ont joué certainement un rôle non négligeable.
Un apogée des naissances
132La multiplication des mariages explique le grand nombre de naissances pendant la décennie révolutionnaire bien plus que l’augmentation de la fécondité. En réalité celle-ci descend au-dessous de 5 (enfants par femme en âge de procréer) contre 5,6 pour la période précédente. Mais le nombre de naissances augmente de près de 200 000 entre 1790 et 1794. Cette année-là, la France compte près de 1,2 millions de naissances, chiffre qu’elle ne retrouvera plus jamais, même avec une population deux fois plus nombreuse. À la fin de la décennie 1,1 millions de naissances sont enregistrées. Lors de l’apogée de l’an II, les chiffres d’enfants « trouvés » et la mortalité infantile à Paris avaient baissé de façon significative, alors que l’accent est mis plutôt (dans les manuels) sur les pertes dans les régions de guerre civile.
133Pendant dix ans la population française a progressé de plus de 100 000 personnes par an, malgré les contraintes. Elle serait passée de 28 millions à 29,5 millions d’habitants dans la décennie révolutionnaire. Nous pensons avoir montré une partie des liens entre une politique et le bilan d’un pays encore très peuplé et « jeune », malgré l’amorce de changements de longue durée dans les comportements des familles.
Une révolution « malthusienne » ?
134Bien que l’Essai de Malthus ne paraisse qu’en 1798, on situe souvent la décennie révolutionnaire comme le moment décisif où la France expérimente les voies d’une large limitation des naissances, et de l’entrée dans la première phase de la transition démographique. Une convergence certaine des facteurs propices à cette expérimentation peut être esquissée, comme paradoxe à la politique nataliste décrite précédemment.
135Toute la période est dominée par l’affirmation de l’individu face aux institutions et aux contraintes collectives. La laïcisation apparente des comportements familiaux favorise à terme le rejet des interdits religieux en matière de mariages, de rites et de morale familiale. La Révolution accélère ainsi le mouvement de contraception dans de nombreux milieux et de nouvelles régions, même si c’est avec une génération de décalage. Ce mouvement est encouragé par les résistances à la suppression du droit d’aînesse dans la France du Midi et dans de nombreuses campagnes. La baisse de la fécondité est visible dès les années 1790 si elle reste masquée par les nombreuses naissances. Le pays est engagé désormais, avec des pôles de résistances, dans un processus qui conduit les Français à faire « des épargnes plutôt que des enfants » et qui va marquer tout le xixe siècle. Une nouvelle logique démographique et familiale s’est mise en place pendant la décennie révolutionnaire.
Destruction ou moralisation de la famille ?
136Selon certains auteurs, la Révolution aurait détaché une partie de la population française de la morale chrétienne et des valeurs fondamentales du catholicisme. Par exemple, le recul des sacrements se marque dans certaines villes (surtout) et campagnes, par le non-respect des temps clos religieux : on peut se marier (à Avignon par exemple) pendant la période de l’Avent, voire le dimanche. La question de l’union libre est matière à scandale. De nombreuses Parisiennes vivent en union libre, mal vue dans les mœurs : les déclarations de grossesses sont faites contre les séducteurs, mais la plupart des pères naturels reconnaissent leurs enfants ; l’opinion publique condamne ceux qui abandonnent. Le débat se fera sur la reconnaissance des filles-mères (23 ans et demi en moyenne) et sur la prise en charge des enfants naturels par la recherche en paternité, en décembre 1794 (Godineau). Le divorce : est assimilé à une « polygamie successive ». Le recul du lien sacramentel se traduirait aussi par le mariage de près de 6 000 prêtres, qui accentue un phénomène latent au sein de l’Église, mais recouvert jusque-là par la loi du non-dit. La laïcisation réduirait le rôle des parrains, et la signification religieuse du baptême.
137Les réponses sont de l’ordre des statistiques et des mentalités. L’union libre et le concubinage peuvent être mesurés par les démographes ainsi que la poussée de l’illégitimité. Le divorce est un phénomène urbain, qui touche 30 000 couples en sept ans de Révolution. Lorient est davantage concernée que Vannes dans cette pratique qui ne concerne que 142 divorces dans l’ensemble du Morbihan. Elle touche essentiellement les populations des villes ouvrières (Paris, Lyon, Rouen), particulièrement en 1793 et 1794, où leur poussée est parallèle à celle des mariages. Mais on ne comptera que 5 % de divorces dans toute la période légale et moins de 25 % à Paris. Le divorce reste inconnu dans de nombreuses campagnes, même proches de la capitale. Ce bilan limité nous conduit à une interprétation bien plus nuancée des mutations de la famille sous la Révolution.
Laïcisation et morale républicaine
138On peut faire plusieurs réponses, sans nier l’ampleur de la rupture provoquée par la laïcisation. D’une part, de telles évolutions se dessinaient dans certaines couches sociales (des élites) et tendaient à se diffuser, mais sont révélées par les politiques des assemblées révolutionnaires. De l’autre, elles ont eu des effets pratiquement nuls dans certaines régions, où les résistances à l’état civil ou au calendrier ont prouvé l’ancrage de la religion : absence de prénoms révolutionnaires, maintien des registres de catholicité et des interdits familiaux. De nombreuses campagnes n’ont pas été concernées par le divorce, par exemple, ou ont réagi aux prénoms révolutionnaires par des prénoms traditionnels (Chantilly, 1986).
139Enfin, il est possible d’envisager d’autres évolutions à terme. Soit une reprise religieuse, lors de la renaissance consulaire, soit au contraire des détachements générationnels, pour la région étudiée par Philippe Daumas (2002) : recul des baptêmes religieux ; progression des mariages civils ainsi que du concubinage et de l’illégitimité entre 1800 et 1850. Il est vrai que la grande majorité des couples étudiés continue à observer les règles chrétiennes.
140Par contre l’idée d’un déclin de la famille par la « déchristianisation » ou la démoralisation semble peu plausible. Les députés, les sans-culottes, au pouvoir pendant la période de Terreur envisagent une morale familiale « classique », un idéal représenté sur les toiles de Lesueur. La rosière de l’Ancien Régime se retrouve dans la vestale et la vierge des fêtes républicaines.
141Des baptêmes civiques, assez mal connus dans leur déroulement, remplacent un moment (ou concurrencent) les baptêmes catholiques, au moment de l’adoption de l’état civil. La période controversée de « déchristianisation » de l’an II entraîne l’apparition assez fréquente (un sur six en l’an II) des « prénoms révolutionnaires » (Gracchus ou Liberté), au lieu et place des prénoms de saints traditionnels. La portée de ce mouvement reste à interpréter, mais il touche certaines campagnes et villes « républicaines ». De nombreux retards de communion pendant cette période seront rattrapés par la suite. Mais la laïcisation a profondément modifié les cérémonies du mariage et des obsèques, au moins pendant les années républicaines.
142Par contre, un souffle de plus grande liberté et d’une certaine égalité est passé sur la famille. Les juges de paix sont les témoins des désordres et des tensions, ayant remplacé le chef de famille à la présidence du conseil. Des pères se plaignent de l’émancipation des enfants ; des femmes revendiquent une plus grande autonomie et une plus grande considération pour l’héritage. Elles hésitent moins à déclarer des grossesses non désirées. La famille deviendrait sous la Révolution, et pour la génération suivante un espace plus « démocratique », même si les juges de paix prennent souvent le parti des hommes dans les contentieux hiérarchiques au sein des familles.
143Un dernier paradoxe concerne la postérité de la législation familiale de l’époque révolutionnaire. À court terme, le Code civil semble stabiliser, voire remettre en cause une partie (trop égalitaire ?) des réformes. À long terme, au contraire, certaines réformes des années 1790 sont en avance sur les mentalités et d’une étonnante « modernité », surtout par rapport au monument du Consulat, le Code civil.
Une réaction législative : le Code civil
144La famille est davantage marquée au xixe siècle par l’esprit du Code civil de 1801-1804 que par l’esprit des réformes de la Révolution. Même si l’ensemble conserve des innovations (état civil, divorce limité), il restaure et parfois augmente les principes d’autorité et d’inégalité au sein de la famille. La liberté de tester est rétablie et l’aîné peut disposer de la moitié du patrimoine. L’autorité du chef de famille est réaffirmée, ainsi que la subordination de l’épouse. La discrimination des sexes, un moment combattue en l’an II, s’est toujours maintenue, voire renforcée sous le Directoire. Dès 1797, des restrictions au divorce sont apportées, avant qu’il devienne bien plus strict et décourageant avec le Code civil. Les femmes abandonnées ne peuvent plus divorcer. L’inégalité des droits et des peines à l’intérieur du couple a choqué les féministes. Le Code civil le conserve mais aseptisé (parents, cinq comparutions, fortune, trois ans de délai !), la loi de 1816 le supprime.
145De même l’égalité apparente des enfants et des parents demeure un leurre avec le Code civil. Les enfants naturels perdent l’essentiel des avancées des années 1792-1794. Le chef de famille peut à nouveau déshériter et « corriger » un enfant rebelle avant sa majorité. L’aîné peut disposer à nouveau de plus de la moitié du patrimoine. Les femmes abandonnées ne peuvent plus divorcer. En cas d’adultère, la sanction pour la femme est bien plus rigoureuse que pour le conjoint. Le paradoxe d’une révolution égalitaire débouchant sur la restauration de l’autorité du chef et du renforcement de la propriété est donc bien réel. Mais le Code civil se place-t-il encore dans la logique révolutionnaire ? Combien de temps faudra-t-il pour restaurer ces droits de la femme et de l’enfant proclamés dans la période la plus égalitaire ?
Révolution française et années 1970
146Au final, les situations entre 1789 et 1804 sont moins contrastées qu’elles ne l’auraient été entre 1789 et l’an II, la laïcisation l’emportant sur l’égalitarisme. Par contre, on se doit d’insister, à la suite des juristes sur les « anticipations » de la législation révolutionnaire, quand les lois progressent plus vite que les mentalités. La suprématie du mari ne disparaît (en théorie) qu’en juin 1970 ; les enfants adultérins ne sont reconnus que le 3 janvier 1972 ; l’inégalité pénale dans le couple n’est levée qu’en 1975 ; le divorce date de juillet 1975 – dans des conditions comparables à 1792 – ; l’adoption n’est permise que le 22 décembre 1976. Seul, le droit à l’avortement en 1975 ne renvoie pas à un aspect de la législation « révolutionnaire » (Garaud) !
147Les remises en cause du Code civil ne doivent donc pas masquer le caractère extrêmement moderne de la législation républicaine à l’époque de la Convention. L’ensemble des relations et des statuts au sein de la famille a été repensé, un moment. Il faut attendre la Ve République pour voir resurgir les notions d’égalité entre le mari et l’épouse, la législation sur les enfants naturels, le divorce par consentement mutuel, les droits des mères célibataires. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir, deux siècles après une « réaction » de longue durée, l’aboutissement de réformes et d’utopies forgées au cours de la Première République, en vue de transformer durablement la famille française.
148Il reste à poser une ultime question, sans chercher à juger l’ensemble de la période : libéraliser et « égaliser » les relations au sein de la famille, revient-il à favoriser sa dissolution (comme cellule de base des valeurs sociales et morales) ou à la promouvoir, en tant qu'espace privé de relations démocratiques ?
Aux armes, citoyens
149La Révolution française est aussi une « révolution militaire » inachevée. Elle introduit une double rupture, correspondant à la succession des périodes de paix et de guerre. Jusqu’au 20 avril, la question essentielle est de définir une citoyenneté en armes, quelle partie du peuple est apte à exercer un service civil et civique armé. Passée la déclaration se pose la question des armées de la Révolution : recrutement, mobilisation, stratégie, rapport des militaires et des civils. De la renonciation à toute guerre à la Grande Nation (4e partie), la place et la représentation de la nation en armes évolue profondément, entre utopie, mythe, propagande et réalités. Nous aborderons le service « civil », la mobilisation d’un pays en guerre, la culture et l’idéologie de la guerre en fonction de la marche de la Révolution.
La Garde nationale ou les citoyens en armes
150La fin de l’Ancien Régime sonne le glas des institutions chargées traditionnellement du maintien de l’ordre, qu’elles soient royales (maréchaussée), seigneuriales, bourgeoises (milices et compagnies). Une réflexion, nourrie des expériences étrangères (américaine, irlandaise, batave, légions) et de la pensée des Lumières, de celle des réformateurs nobles (Guibert, Follard) conduit à la création d’une force armée citoyenne, capable d’assurer l’ordre et la sécurité d’un pays régénéré : la Garde nationale.
L’émergence
151Avant toute organisation nationale officielle, des gardes « nationales » se forment et s’organisent entre juillet 1789 et juillet 1790, de Paris à certaines campagnes, en passant par la plupart des villes de plus de 2 000 habitants (Dupuy, 1971). À Paris, une force « bourgeoise » de 800 hommes par districts, soit 48 000 hommes, est créée le 13 juillet par le nouveau corps municipal pour défendre la ville contre les menaces des troupes royales et des émeutes populaires. Suivant ce modèle, des gardes urbaines appuient la « révolution municipale » de juillet-août 1789, intégrant ou remplaçant les anciennes milices. Dans de nombreux villages, la Grande Peur est l’occasion de prendre des armes improvisées. Ce mouvement, d’abord spontané, se poursuit dans les régions « patriotes ». Après une période de confusion, où s’affrontent à l’Assemblée les conceptions d’une nation en armes où « tout citoyen serait soldat » (Dubois-Crancé, décembre 1789), un règlement uniforme est adopté en juin 1790. À cette date est débuté dans quelques régions pionnières (Dauphiné, Bretagne le 15 janvier 1790 à Pontivy, Anjou) un vaste mouvement de fédération des gardes existantes, se liant par serment. Cette montée se traduit par la grande fête de la Fédération du 14 juillet 1790, qui connaît une apothéose à Paris (300 000 spectateurs, pour 100 000 gardes nationaux) et une célébration dans toutes les communes (à vérifier), sous une forme civique, militaire et nationale. En théorie, près de 5 millions de citoyens en armes (publiques) sont en état de servir. Le 14 octobre 1791, le service civique devient obligatoire pour les hommes de 18 à 60 ans.
Le fonctionnement
152Dans la réalité, les choses ne sont pas aussi simples. La Garde nationale soulève des problèmes de composition, d’exercice et de compétences. En théorie, elle ne concerne que les citoyens actifs, 4,3 millions de plus de 25 ans en 1790, capables de voter et de se payer un uniforme, plus les jeunes de 18 à 25 ans de mêmes capacités. Les passifs (3 millions d’individus), dont certains vainqueurs de la Bastille, en seraient exclus, dans un concept mêlant vote et service. La révolution tient cependant à cette conquête du droit aux armes pour le Tiers (réclamé lors des doléances) qui se transforme en devoir civique, pour plus de 60 % des hommes adultes. Des pressions permanentes de la part des passifs conduisent à des ouvertures locales, particulièrement dans les campagnes.
153Les gardes nationales devraient posséder des uniformes (l’habit « bleu » et blanc), porter un chapeau à cocarde, une arme adaptée (le fusil ou la pique). L’organisation est toute militaire, par quartiers, compagnies, bataillons et légions de la base jusqu’au commandant en chef (La Fayette). Les grades, très nombreux, du caporal au général sont décernés par l’élection de dizaines de milliers d’officiers et sous-officiers. Chaque bataillon dispose d’un drapeau qui lui est propre, aux armes teintées de royalisme ou de marques nobiliaires (les commandants sont nobles pour la plupart), béni par le curé. Le service civique se fait sur la place d’armes et dans le corps de garde, lorsqu’il existe. Il a lieu essentiellement le dimanche, après la messe, et en cas de nécessité. Il consiste, en dehors du maniement des armes, en rondes, patrouilles et visites domiciliaires.
Un pouvoir disputé
154Les gardes nationales deviennent rapidement un enjeu de pouvoir, en voie de redéfinition dans le cours de la Révolution. Il s’agit d’un pouvoir parallèle, du local au départemental, d’un second pouvoir différent et subordonné à celui des municipalités et des administrations, avec lesquelles il peut entrer en conflit de préséance ou de prérogatives. Il s’agit également d’un pouvoir bourgeois au départ, comme dans la plupart des expériences contemporaines. Les gardes urbaines sont censées appliquer les lois répressives (martiale ou Le Chapelier) en cas de troubles, de révoltes rurales ou ouvrières. Mais elles peuvent alors se heurter à des gardes villageoises, s’appuyant sur la légitimité de l’élection pour fonder leur pratique de révolte en matière de subsistances, par exemple. Ce conflit de légitimité est patent dans l’affaire Simonneau. Il l’est d’autant plus que les gardes nationales constituent un espace particulier de politisation. En Bretagne, les gardes rurales patriotes sont en pointe dans la politique anticléricale à l’égard des réfractaires, alors que les communes dépourvues de gardes soutiennent activement leurs « bons » prêtres – qui ont refusé le serment. Les gardes peuvent ainsi révéler l’engagement politique d’une commune (comme être un enjeu contesté de pouvoir local).
155Mais la Garde est aussi, de manière essentielle, un pouvoir militaire attaché à la notion de service militaire. Toute l’ambiguïté réside dans la confusion du civil et du militaire, du lien à construire entre le garde national et le soldat. Les professionnels de la guerre ont peu d’estime pour ces civils peu formés, alors qu’on estime la période de conditionnement efficace à trois ans dans une unité. Les gardes nationales atteignent leur apogée d’effectifs au moment où la déclaration de guerre les remet en question, comme antichambre de l’armée à renforcer à tout prix. Le garde national devient alors l’enjeu du débat décisif, que la Révolution ne tranchera pas : est-ce que tout citoyen doit être soldat ? ou faut-il compter sur le volontariat, assorti de la conscription en cas de besoin (Crépin, Catros) ? À ce moment, la Garde peut être doublée ou remplacée (?) par la gendarmerie, force publique créée officiellement en février 1791, relevant d’une tout autre logique. 28 divisions, 1560 brigades de cinq hommes en août 1791, sont en état de servir dans les districts et gros cantons, sous les ordres du pouvoir central et départemental. Ces fonctionnaires de plus de 25 ans, sachant lire et écrire, doivent posséder une expérience militaire. Mais la gendarmerie est-elle auxiliaire ou concurrente d’une garde nationale, que de nombreux éléments quittent, dès 1791, pour l’armée ?
Les armées de la Révolution et de la République
156Ces aspects sont traités dans la 4e partie (« armée royale, armée nationale » et « l’armée révolutionnaire, armée de la nation », « les implications de la guerre navale »). Nous n’aborderons ici que le lien entre la société civile et la société militaire, la mobilisation d’un pays et l’immersion de ses habitants dans une culture de guerre, à l’origine de mythes essentiels de notre histoire nationale.
La France révolutionnaire en guerre : culture et mythes militaires
157Pendant 10 ans, l’ensemble du pays vit au rythme des opérations militaires, des communiqués de victoires et des lettres des soldats (Forrest). La mobilisation provoque des bouleversements matériels, sociaux, culturels et idéologiques.
L’effort de guerre
158Il est abordé partiellement dans l’étude des savants et l’économie dirigée. Pour éviter les redites, nous prendrons l’exemple des représentants en mission, bien qu’ils interviennent dans de nombreux autres domaines que le militaire. Mais les représentants incarnent l’ensemble de l’effort et des sacrifices demandés à la nation républicaine, dans une mobilisation « totale » mettant en jeu les ressorts matériels sociaux et politiques d’un pays en guerre contre la plus grande partie de l’Europe.
Les soldats de l’an II et les civils
159La militarisation de la société et l’acculturation républicaine des soldats vont de pair. Les liens entre la société civile et l’armée sont incarnés par les représentants en mission et leurs prérogatives à l’égard des généraux. Saint-Just définit bien « cette loyauté [de la troupe] envers la nation », qui « constitue la vraie force de l’armée ». Là où l’on cherche à extirper la politique dans les armées étrangères, la République s’emploie à politiser le million de combattants sur terre et sur mer de l’an II. L’armée devient une école de civisme. La presse politique, les tracts et les chansons circulent en permanence, même si le décalage est considérable entre la propagande sur l’armée et la nostalgie individuelle ou communautaire de certaines lettres, les armées françaises frappent les imaginations des observateurs par leur cohésion civique.
160Au départ, le volontaire pouvait entrer chez lui, la campagne terminée. Progressivement l’armée recrute sur la durée, mais les liens avec les civils demeurent constants, soit sur le passage des armées, qui dynamisent la politique locale, soit dans les familles des soldats, soit près de 3 millions de personnes. L’école républicaine est conçue comme une préparation au service futur de la patrie, dans la récitation des actions héroïques, comme dans les adresses à la Convention, ou les démonstrations militaires des bataillons d’enfants dans les fêtes de l’an II. La dimension militaire des fêtes est essentielle, dans les serments, les hymnes, les défilés, les décharges, les hommages aux enfants du pays « morts pour la défense de la patrie ». Des fêtes spécifiques comme celles en l’honneur de Bara ou de la reprise de Toulon sont célébrées, peu de temps après l’événement. La place des questions militaires dans le théâtre de l’an II, comme dans la caricature, ou l’iconographie peut être quantifiée. La propagande massive conduit à de véritables mythes, comme ceux de Valmy (Bertaud, Bergès), de Bara et du Vengeur. Valmy est ainsi considérée comme le début d’une « ère nouvelle » (Goethe), alors qu’elle reste pour certains une non-bataille, par le nombre de victimes et le comportement des Prussiens : dernière victoire de l’armée royale ou première des volontaires de 1791 et 1792 ? Jemmapes serait plus caractéristique de la stratégie et de l’efficacité de la nouvelle armée, quelques semaines plus tard. Bara, jeune hussard et tambour, tué par les Vendéens en décembre 1793, devient un héros national, prototype de l’enfant héroïque à la suite d’une lettre réclamant une pension pour sa famille, transformée par Robespierre le 28 décembre. Selon la version du tribun, Bara aurait crié « Vive la république », alors qu’il n’est pour les Vendéens qu’« un petit pillard ». Même élevé au rang d’un mythe, le jeune Bara (14 ans), dont le républicanisme familial n’est pas très clair, cristallise un moment « l’idée de défense nationale » (Martin). Son image est diffusée en quelques décades dans toute la France républicaine, comme le sera celle des marins du Vengeur après la bataille navale du 1er juin 1794. Pourtant, le commandant s’est bien rendu, et le navire a été perdu corps et bien. Mais le récit pathétique de Barère à la Convention fait des marins sacrifiés des républicains fervents, dignes d’être collectivement panthéonisés. Cette propagande s’amplifiera encore avec le Directoire, dans une militarisation de plus en plus forte de la société civile. Le mythe des soldats de l’an II, source d’un consensus autour du génie de la Nation française, laisse en suspends l’interprétation de la guerre révolutionnaire : guerre pour la liberté des peuples ? Pour les frontières naturelles ? De conquête ? Tous les historiens montrent une évolution vers une autonomie du militaire, une montée de la puissance des généraux, un nationalisme qui se satisfait du rayonnement de la France sur les pays occupés, un recul de la culture de paix qui semblait dominer au début de la décennie. D’où les questions que l’on laissera à la sagacité du lecteur : existe-t-il des « guerres justes » même révolutionnaires et nationales ? Quel prix faut-il payer pour les hommes (400 000 morts sur près de 1,2 millions de soldats) et pour les peuples aux logiques bellicistes, lorsqu’elles sont proposées par des « missionnaires armés » ?
ÉTUDE DE CAS LES REPRÉSENTANTS EN MISSION
161La conduite de la guerre, l’économie dirigée, volet de la politique de Salut public, exige l’alliance des montagnards (dirigeants), jacobins (cadres et relais) et des organisations sans-culottes (base et exécutants) pour gagner la guerre, faire « vivre le pauvre », et imposer la loi. Pour appliquer cette politique et lier le « double pouvoir », vont intervenir des intermédiaires politiques essentiels, les représentants en mission qui concilient les liens, du militaire du civil et du social (Biard).
Le double pouvoir
162La politique de Salut public s’appuie sur la coopération de deux pouvoirs, partant au sommet de la Convention et exercé à la base par les organisations sans-culottes.
163Le sommet est montagnard. La Convention (749 députés élus en septembre 1792) exerce le pouvoir, celui ci est délégué au Comité de salut public, de 8 puis 11 membres, réélus chaque mois, dirigé par les robespierristes (plus des techniciens). Ce Comité a autorité sur tous les corps civils et militaires. Les pouvoirs prévus par la Constitution sont suspendus (4 décembre 1793) ainsi que les élections régulières. Tous les fonctionnaires sont mis sous l’autorité directe du comité. Il exerce un contrôle sur tous les corps administratifs et politiques, qu’il peut épurer, voire remplacer. La police générale, la Terreur (suspects détenus) dépend du Comité de sûreté générale, et de commissions militaires dans les régions de guerre civile.
164À la base, les comités s’appuient sur des réseaux d’institutions, largement sans-culottes par la lettre sinon par l’esprit.
165Dans chaque commune, les municipalités (élues) comprennent un agent national, en correspondance directe avec les comités, rendant des comptes décadaires (tous les dix jours, dans le calendrier républicain). Des sociétés populaires, plus de 6 000 en l’an II (pour 5 500 communes) reçoivent les informations du sommet (presse et lois), diffusent partiellement la politique de Salut public, correspondent avec la Convention par des adresses et des délégations. Des comités de surveillance (25 000 en l’an II), formés d’une douzaine de membres, rémunérés, contrôlent les biens (séquestres) et les personnes (certificats de civisme et suspects), font des rapports fréquents au Comité de sûreté générale.
166Les gardes nationales, les détachements de l’armée révolutionnaires (56 armées, de près de 30 000 hommes au total, dont 3 200 dans le Lot et 1 000 dans le Bas-Rhin, bonnet rouge et « guillotine » ?), sont chargés de l’application, sur le terrain de la politique définie plus haut. Sur 76 décisions créant les armées (Cobb, 1956), 47 émanent des sociétés populaires, les autres des représentants en mission.
Des missionnaires particuliers
167À partir de mars 1793 (82 représentants dans les départements, plus une trentaine aux armées), des députés de la Convention, chargés de pouvoirs spéciaux sont envoyés dans les zones sensibles, pour appliquer la politique du Salut public. Ces missions sont rendues nécessaires par les périls extérieurs : la coalition contre la France a reçu le soutien de l’Angleterre en février 1793 ; les frontières sont menacées : Valenciennes, Mayence, Nice, Perpignan, Bayonne. Une partie de la France est entrée dans la révolte fédéraliste ou la Contre-Révolution : Bretagne « blanche », Vendée, Normandie, Franche-Comté, bientôt Lyon, Toulon, Marseille… Les nécessités de l’économie dirigée expliquent l’ampleur et le nombre de ces missions. L’existence et l’évolution du double pouvoir, puis les luttes entre les factions de la Convention expliquent également les avancées et les ambiguïtés. Le 9 avril 1793, trois représentants sont envoyés auprès des onze armées de la République, contrôlant la conduite des généraux, officiers et soldats, assurant le ravitaillement. Le pouvoir civil l’emporte sur le militaire.
168Fonctionnant seul (Couturier en Seine-et-Oise), en couple ou en trio (Saint-Just et Lebas dans le Bas-Rhin, Fouché et Collot dans le Rhône), ces « représentants du peuple » exercent, dans un espace limité (un ou deux départements, une armée) une mission limitée dans le temps (un ou deux mois), aux objectifs précis : agents du pouvoir central, ils doivent informer la Convention de chacun des leurs actes (un rapport théorique chaque semaine, puis chaque décadi), rédiger un rapport final, appliquer la politique montagnarde et jacobine. Ils disposent de moyens considérables (politiques, costume, escorte, propagande). À partir d’un centre, ils se déplacent dans tous les endroits où leur présence politique est nécessaire. On comptera ainsi près de 500 missions dans l’histoire de la Convention. Les représentants ne sont donc ni des dictateurs, ni des proconsuls… même s’ils sont les agents de la Convention (le représentant aux armées doit tenir le Comité informé de ses actions au jour le jour) et s’ils sont chargés d’appliquer des lois d’exception : la levée des hommes, les réquisitions…
Des intermédiaires politiques
169Dans leurs missions, les représentants entrent en contact avec toutes les autorités administratives élues précédemment, de département, districts, cantons et communes, et avec les agents nationaux à partir de décembre 1793. Ils mènent souvent une action triple. D’une part, « propager » la Révolution, par des tournées, des assemblées, la diffusion des lois, de la Constitution, de la presse (La Feuille du cultivateur, La Montagne, Le Père Ducbesne…), voire la mise en scène des fêtes (déféodalisation et déchristianisation), des pièces républicaines (aux armées)… Le représentant se caractérise alors par le nombre d’affiches et d’arrêtés pris lors de sa mission. En deuxième lieu, dialoguer avec ces organisations de base, s’appuyer sur les sans-culottes locaux et les sociétés populaires. Certains représentants seront rappelés pour avoir favorisé ces pouvoirs locaux. La réussite de la mission passe souvent par cette collaboration. Le représentant devient alors le point de convergence du « double pouvoir », surtout lorsqu’il est originaire du département de sa mission, ce qui est assez rare, pour éviter les complaisances. Enfin, le représentant peut épurer les corps constitués et mettre en place des agents jacobins, voire sans-culottes, dans les régions peu républicaines…
L’application du dirigisme
170Les représentants ont souvent appliqué, voire dépassé les grandes lignes de l’économie dirigée définies par la Convention. Ils le font dans le cadre d’une culture politique favorable à un égalitarisme certain et à la reconnaissance des droits sociaux pour les citoyens patriotes, donc les sans-culottes. Ils le font pour affermir l’effort de guerre et le soutien populaire à la Convention. On peut citer quelques mesures d’économie dirigée suffisamment généralisées pour être exemplaires de cette politique (Jean-Pierre Gross, 1999).
La fiscalité proportionnelle et la réquisition
171Sur le plan financier, le représentant lutte contre l’agiotage, défend l’assignat et prélève sur les riches des emprunts forcés, proportionnels aux fortunes (jusqu’au quart du revenu). L’effort peut s’accompagner de réquisitions, comme Saint-Just qui exige en quelques jours des milliers de paires de souliers (5 000) et des chemises (1 500) pour les soldats de l’Armée du Rhin.
Les greniers d’abondance
172C’est l’application de la politique de réquisition, par le stockage des grains et des céréales de première nécessité. Les accapareurs sont poursuivis (loi du 26 juillet 1793). La Commission des Subsistances veille ainsi à un approvisionnement plus régulier des marchés et des armées.
Le pain de l’égalité
173Dans certains districts, la boulangerie est contrôlée par les autorités (Troyes), parfois les boucheries (Clermont-Ferrand). Certains représentants font fabriquer pour tous un pain mélangeant les céréales, pour éviter les différences entre les pains riches (à partir du froment) et les pains « pauvres » (à partir du seigle ou du son).
Les satisfactions aux salariés et aux métayers
174Pour pallier la pénurie de main-d’œuvre, particulièrement dans le Sud-Est, des représentants (Romme) veillent à l’application des clauses favorables aux journaliers agricoles et aux travailleurs saisonniers. Les métayers se voient parfois déchargés du paiement des dîmes (incluses dans leurs contrats) ou des clauses défavorables concernant le cheptel. Ces mesures sont destinées à rallier la paysannerie pauvre à la République et seront abandonnées une fois le danger passé.
La redistribution de terres
175Elle peut parfois devancer les décrets de ventôse, dans le cas d’absence de communaux, par le biais d’un lopin ou d’un bon de compensation. La plupart des biens nationaux acquis par la paysannerie moyenne et pauvre l’est pendant la période d’économie dirigée, sous la pression des représentants. Les partages des biens communaux, de façon égalitaire, se concentrent sur cette période.
L’effort pour les défenseurs de la patrie
176Les secours aux familles nécessiteuses ayant des enfants au front font partie de cette politique de Salut public. Elle combine le droit à l’assistance et la reconnaissance des sacrifices consentis pour la patrie.
177Dans ces conditions les représentants peuvent appliquer sur le terrain, en s’appuyant sur les soldats-citoyens des campagnes et des villes (les armées révolutionnaires), une partie des droits sociaux prévus par la Constitution et des mesures correspondant aux tendances « égalitaires » des sans-culottes et des masses salariées, en exerçant une terreur économique sur les catégories les plus favorisées (fermiers, commerçants), sans aller jusqu’à la nationalisation. C’est dans cette mesure qu’on a pu qualifier certains représentants en mission d’« égalitaires libéraux » (Jean-Pierre Gross).
178La réputation de quelques représentants particulièrement despotiques ou déchristianisateurs a pourtant nui à l’ensemble des missions. Car dans les régions de guerre civile, les représentants sont souvent livrés à eux-mêmes. En l’absence d’ordres clairs de la Convention, ils peuvent mener une action répressive « dure » (noyades de Carrier à Nantes, fusillades de Fouché et Collot à Lyon, massacres de Tallien à Marseille). D’où les accusations de dictature, quand les autorités sont massivement épurées, ou quand l’on assiste à des déprêtrisations massives et à des mariages forcés. La terreur religieuse est souvent plus importante que la terreur économique…
La fragilité et les contradictions de l’alliance
179L’économie dirigée repose sur le maintien d’une alliance biaisée et ambiguë dès le départ. Dans les failles puis les fractures politiques s’évanouissent les utopies égalitaires, puis sont remises en causes les actions des représentants en mission.
180Les étapes sont suffisamment connues pour n’être que survolées :
- Le « double pouvoir » est remis en cause par la centralisation du gouvernement révolutionnaire (14 frimaire an II, 4 décembre 1793), l’élimination progressive des enragés : Jacques Roux dès le 5 septembre, puis Varlet, Leclerc et les Citoyennes républicaines révolutionnaires, après l’interdiction des clubs politiques féminins. La reprise en main des comités de surveillance et des sociétés populaires est réalisée dès le printemps 1794.
- La moindre application de l’économie dirigée se constate dès l’hiver 1793-1794. Les lois de ventôse sont bloquées. La peine de mort contre les agioteurs est rapportée. La terreur économique se relâche. La spéculation reprend et l’assignat remonté à 51 % de sa valeur en décembre retombe à 28 % au moment de la chute de Robespierre. Les armées révolutionnaires sont licenciées.
- La politique salariale s’infléchit. Les salaires sont abaissés le 5 juillet 1794 par un nouveau maximum qui déclenche des grèves, réprimées ; les ouvriers des villes et les salariés agricoles ne réagissent pas lors de la chute des robespierristes. Les revendications des métayers sont oubliées une fois le succès de la politique assuré.
- Les représentants en mission les plus « égalitaires » sont rappelés par la Convention. Après le 9 thermidor, les missions continuent, mais la politique sera inversée par rapport à l’économie dirigée. Certains représentants poursuivront en l’an III des « terroristes » qu’ils avaient nommés en l’an II à la tête des communes ou des districts !
181Après avoir appliqué un moment le « double pouvoir » et une économie dirigée fondée sur un idéal commun (aux montagnards et aux sans-culottes) de petits producteurs « indépendants », les représentants en missions cessent progressivement d’être des intermédiaires politiques entre les pouvoirs locaux et le pouvoir central pour se fonctionnariser et devenir des agents de la centralisation jacobine. Leur réputation négative, propagée par leurs adversaires de l’an III, ne doit pas masquer une politique originale et une capacité de dialogue, qui ont pu conduire, pour un temps limité à une mobilisation républicaine de certaines campagnes, tandis que la République luttait contre d’autres campagnes révoltées. Selon Georges Lefebvre, les représentants en mission de l’an II ont sauvé le pays… par leur collaboration avec les cadres jacobins et sans-culottes de la base républicaine.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
BIBLIOGRAPHIE
Philippe Aries, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, 1973.
Alphonse Aulard, Le culte de la Raison et de l’Être Suprême, Paris, 1892.
Philippe Berges, Valmy, le mythe de la République, Toulouse, Privat, 2001.
Jean-Paul Bertaud, La Révolution armée, les soldats-citoyens de la Révolution française, Paris, Laffont, 1979.
Serge Bianchi, « Le fonctionnement des districts sous la Révolution française », L’administration territoriale de la Révolution française, Orléans, P.U. Orléans, 2003, p. 19-34.
Michel Biard, Missionnaires de la République. Les représentants du peuple en mission (1793-1795), Paris, CTHS, 2002.
Georges Carrot, Une institution de la Nation : la garde nationale, 1789-1871, Nice, 1989.
Richard Cobb, Les armées révolutionnaires, instrument de la Terreur dans les départements, Paris, Mouton, 1963, 2 vol.
Claude et Claudine Coquard, Société rurale et justice de paix : deux cantons de l’Allier en Révolution, Clermont-Ferrand, P.U. Blaise Pascal, 2001.
Annie Crepin, La conscription en débat ou le triple apprentissage de la nation, de la citoyenneté, de la République, Arras, Artois Presses Université, 1998.
Philippe Daumas, Familles en Révolution. Vie et relations familiales en Île-de-France. Changements et continuités, Rennes, P.U. Rennes, 2003.
Jacques Dupâquier (dir.), Histoire de la population française, Paris, 1988, t. 2.
Roger Dupuy, La Garde nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine, 1789-1793, Paris, Klincksieck, 1972.
Jean Flandrin, Familles. Parentés, maison, sexualité dans l’ancienne société, Paris, 1976.
Antoine Follain, François Brizay et Véronique Sarrazin, Les justices de village. Administration et justices locales de la fin de l’Ancien Régime à la Révolution, Rennes, P.U. Rennes, 2002.
Marcel Garaud, La Révolution française et la famille, Paris, Armand Colin, 1978.
Benoît Garnot (dir.), Justice et société en France aux xvie, xviie et xviiie siècles, Gap, Ophrys, 2000.
Dominique Godineau, Les femmes dans la société française (xvie-xviiie siècles), Paris, Armand Colin, 2003.
Pierre Goubert, L’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 1970.
Jean-Pierre Gross, Égalitarisme jacobin et droits de l’homme, 1793-1794 (La Grande famille et la Terreur), Paris, Arcanteres, 2000.
Jean Jaures, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, 1901-1904, 4 vol.
Hubert Methivier, Le siècle de Louis XIV, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1968.
Marie-Vic Ozouf-Marignier, La formation des départements. La représentation du territoire français à la fin du xviiie siècle, Paris, EHESS, 1989.
10.3917/puf.peti.2003.01 :Jacques-Guy Petit, Une justice de proximité : la justice de paix 1790-1958, Paris, PUF, 2003.
Bernard Plongeron (dir.), Pratiques religieuses, mentalités et spiritualités dans l’Europe révolutionnaire, 1770-1800, Turnhout, Brepols, 1988.
Pierre Renouvin, Les Assemblées provinciales de 1787, Paris, Picard, 1921.
Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, 1856.
Michel Vovelle, Images et récits de la Révolution française, Paris, Messidor, 1986, 5 vol.
10.3406/hsr.1996.965 :Claudine Wolikow, « La communauté villageoise : débats et enjeux. Autour de Pierre de Saint Jacob », Histoire et sociétés rurales, 5, 1996, p. 35-47.
Annexe
Annexe. PROCÈS-VERBAL D’ÉLECTION D’OFFICIERS DE LA GARDE NATIONALE SÉDENTAIRE : MÂCON, AVRIL 1796
Le vingt germinal, l’an IV de la République française, les citoyens composants la quatrième compagnie du seconds, réunis au temple de la raison à l’heure de quatre de relevée en suite de la convocation faite par l’administration municipale conformément à la loi du […] et à l’arrêté du Directoire exécutif, en présence du citoyen Dupaquet administrateur municipal, voulant procéder à la nouvelle organisation nationale, ont appelé à la présidence le citoyen Lanier, et pour secrétaire le citoyen Blampois, pour scrutateurs les citoyens Guillard, Duchat.
Le scrutin a donné par la pluralité des voix le citoyen Lanier pour président, pour secrétaire le citoyen Blampois, et pour scrutateurs lesdits citoyens Guillard et Duchat.
Le premier scrutin a réuni pour capitaine à la pluralité des voix le citoyen Augagneux, et pour lieutenant le citoyen Guillard cadet – pour sous-lieutenant le citoyen Duchat.
Le second scrutin a donné par la pluralité de voix le citoyen Aidat sergent-major le premier sergent Bisée second sergent Augagneux cadet, troisième sergent Porchez, quatrième sergent Chenard.
Le troisième scrutin a réuni pour caporal les citoyens Lannier, Badot, Simont Jacques Chardeguy, Doiret père l’opération finie nous avons signé,
Les président, secrétaire et scrutateurs ; Lannier, Blampois, Duchat, Guillard-cadet, Dupaquier.
Ce jourd’hui 21 germinal an IV [de la République] une et
indivi[sible] les citoyens composant la 7e
compagnie du second bataillon de la commune de Mâcon, convoqués et
assemblés au temple de la raison pour procéder en conséquence du
renvoi d’hier à la réorganisation de la Garde nationale conformément
à l’arrêté du Directoire en date du 2 courant, le commissaire de
l’administration municipale, Dupaquier, y assistant, on a procédé
par scrutin à la nomination d’un cap[itaine] lieutenant et
s[ous]lieutenant, à l’instant les citoyens Ducrot, Bonnaud père et
Ravier fils ont été reconnus par le dépouillement du scrutin, savoir
le premier pour cap[itaine] le second pour lieutenant et le
troisième pour sous-lieutenant. Il a été procédé à un nouveau
scrutin pour un sergent-major et quatre sergents. Le dépouillement a
produit le citoyen Bihuois pour sergent-major et les citoyens
Thibaut aîné, Folliard cadet, Guyonet et Ravier pour sergents,
ensuite ont été proclamés capitaines les citoyens Burdot, Thibaut
cadet, Molard, Riot, Dupaquet, Glatard, Bouillon et Farget, lesquels
ont accepté. Déclaré quoi verbal a été réglé,
Bonnaud père,
Dupaquier, Cordenot, Burdot, Bihuois,
Thibaud-aîné,
Bonnaud-cadet, Farget 7e compa[gnie] 2e bat[aillon]
Annexe. RÉORGANISATION DE LA GARDE NATIONALE DE MÂCON, MAI 1797
Séance du 27 floréal an V de la République française,
Vu par l’administration centrale l’extrait de la délibération de l’administration municipale du canton de Tournus qui estime qu’il y a lieu d’annuler les élections faites des officiers de la Garde nationale sédentaire de la commune de Tournus en ce qu’elles ne sont pas faites conformément aux bases prescrites par la Constitution.
Vu l’article 281 du titre 9 de la Constitution qui s’explique ainsi : les officiers de la Garde nationale sédentaire sont élus à temps par les citoyens qui la composent, et ne peuvent être réélus qu’après un intervalle.
Vu l’article 8 du titre 2 de la Constitution relatif à l’état politique des citoyens.
Le commissaire du Directoire exécutif entendu, l’administration.
Considérant que la Constitution seule doit servir de base à toutes les opérations, que c’est de son entière exécution que dépend la sûreté des personnes et le maintien des propriétés.
Considérant que lorsqu’elle a voulu qu’il s’écoulât un certain laps de temps entre la nomination et la réélection des officiers de la Garde nationale, elle a eu en vue de ne pas concentrer trop longtemps dans les mêmes mains un pouvoir qui doit être réparti alternativement et exercé par tous ceux qui par leurs vertus et leurs qualités morales méritent l’estime et le suffrage de leurs concitoyens.
Considérant enfin que lorsque des élections d’officiers faites par la Garde nationale sédentaire de la commune de Tournus le onze de ce mois, elle ne s’est pas conformée à ce qui est prescrit par la Constitution, arrête qui suit :
Art. 1. Les nominations faites par la Garde nationale sédentaire de la commune de Tournus, le onze de ce mois, sont annulées.
Art. 2. La Garde nationale se réorganisera de nouveau du dix au vingt prairial. Elle aura soin ans les élections de ses officiers de se conformer aux articles 8 et 281 de la Constitution.
Art. 3. Toutes les dispositions contenues dans l’arrêté de l’administration centrale du 24 de ce mois seront exécutées dans leurs formes et tenants.
Art. 4. Extrait du présent arrêté sera adressé tant à l’administration du canton de Tournus qu’au commissaire du Directoire exécutif qui demeure spécialement chargé de tenir la main à son exécution.
Il sera également adressé à toutes les administrations municipales pour que lors de la réorganisation de la Garde nationale sédentaire de leurs communes respectives, elles puissent tenir la main à l’exécution des articles précités de la Constitution.
Saône-et-Loire, archives communales de Mâcon, H3, carton 99, f° 95.
Annexe. LE CHANT DU
DÉPART
(paroles : Chénier ; musique : Méhul) juin
1794
La victoire en chantant
Nous ouvre la barrière
La Liberté
guide nos pas
Et du nord au midi
La trompette
guerrière
A sonné l’heure des combats
Tremblez ennemis de la
France
Rois ivres de sang et d’orgueil
Le peuple souverain
s’avance
Tyrans descendez au cercueil
CHŒUR DES GUERRIERS REFRAIN
La République nous appelle
Sachons vaincre, ou sachons
périr
Un Français doit vivre pour elle,
Pour elle, un
Français doit mourir.
UNE MERE DE FAMILLE
De nos yeux maternels
ne craignez point les larmes
Loin
de nous de lâches douleurs
Nous devons triompher
quand vous
prenez les armes
C’est aux rois à verser des pleurs.
Nous
vous avons donné la vie
Guerriers, elle n’est plus à
vous
Tous vos jours sont à la patrie
Elle est votre mère
avant nous.
CHŒUR DES MERES DE FAMILLE REFRAIN
DEUX VIEILLARDS
Que le fer paternel
arme la main des
braves
Songez à nous
aux champs de Mars
Consacrez dans
le sang
des rois et des esclaves
Le fer béni par vos
vieillards
Et, rapportant sous la chaumière
Des blessures et
des vertus,
Venez fermer notre paupière,
Quand les tyrans ne
seront plus.
UN CHŒUR DES VIEILLARDS REFRAIN
TROIS GUERRIERS
Sur le fer, devant Dieu,
nous jurons à
nos pères,
À nos épouses,
à nos sœurs,
À nos
représentants,
à nos fils, à nos mères,
D’anéantir les
oppresseurs.
En tous lieux,
dans la nuit
profonde
Plongeant la féodalité,
Les Français donneront au
monde
Et la paix et la liberté
CHŒUR GENERAL REFRAIN
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008