Bestiaires et mythologie en Grèce ancienne : l'hirondelle, images, métaphores et métamorphoses
p. 83-95
Texte intégral
1Le présent article est issu d’une communication prononcée le vendredi 9 mars 2012, lors de la Journée d’études en l’honneur d’Arlette Bouloumié, « Bestiaire ». Il m’est particulièrement agréable de l’offrir à Arlette Bouloumié, en témoignage de profonde reconnaissance, de grande estime et d’amitié sincère. Cette contribution à l’étude du bestiaire, abordant différents aspects de la représentation de l’hirondelle dans l’imaginaire grec ancien, est placée sous le signe du mythe, sujet cher à Arlette Bouloumié et sur lequel j’ai eu la chance de pouvoir travailler sous sa direction pendant plusieurs années dans le cadre de l’équipe de recherche « Mythe et Imaginaire » du CERIEC. À partir de cet exemple précis, l’analyse tendra à reconsidérer les liens complexes qui unissent mythologie et bestiaire, représentations imaginaires et valeurs symboliques attachées à l’animal, valeurs se fondant pour une large part, en Grèce ancienne du moins, sur une observation concrète des réalités zoologiques et naturelles. Dans cette perspective, une attention particulière sera portée au chant de l’hirondelle.
2L’hirondelle, chelidôn en grec, nom féminin dont l’étymologie demeure incertaine, est indissociablement liée à un mythe de métamorphose célèbre, le mythe de Procné, Philomèle et Térée. Ce mythe athénien constitue une variante parmi d’autres au sein d’un très riche et complexe ensemble de récits dérivant d’une histoire ancienne, l’histoire du rossignol1. La version athénienne du mythe nous est connue par des témoignages relativement tardifs, principalement le pseudo-Apollodore, Hygin et Ovide qui en donne un long récit au livre VI des Métamorphoses2. Néanmoins ces témoignages, par-delà leurs divergences ponctuelles, nous transmettent très vraisemblablement, dans ses grandes lignes en tout cas, l’argument d’une tragédie perdue de Sophocle, Térée, qui ordonna et rassembla des éléments connus à date ancienne, attestés notamment par Hésiode à deux reprises3.
3L’histoire peut se résumer ainsi. Le roi des Athéniens, Pandion, marie sa fille Procné à Térée, roi des Thraces, en remerciement de services guerriers ou dans le but d’établir une alliance. Térée installe son épouse en Thrace (ou à Daulis, en Phocide, région alors occupée par les Thraces), et devient le père d’un fils nommé Itus, nom translittéré en Itys. Procné s’ennuie, seule, loin de sa patrie, et souhaite revoir sa sœur Philomèle, restée à Athènes ; selon une autre version, Térée prétexte la mort de son épouse et se rend de lui-même auprès de Pandion afin de lui demander sa seconde fille en épouse. Térée s’en va donc chercher sa belle-sœur et, à sa vue, tombe furieusement amoureux d’elle. Lors du voyage de retour, il viole l’innocente jeune fille, lui coupe la langue pour s’assurer de son silence, puis l’enferme dans une cabane ou dans une étable, à l’écart de la cité, dans une forêt. Philomèle tisse une étoffe de tissu représentant ce qui lui est arrivé, arrive à la faire parvenir à sa sœur qui, elle-même, parvient à libérer la prisonnière. Ivres de rage, saisies de délire, rendues semblables à des Bacchantes, les deux soeurs se saisissent d’Itys, l’enfant, le tue en l’égorgeant, telle une victime sacrificielle, et l’offre en repas à son propre père. Découvrant la vérité, Térée se lance à la poursuite des deux sœurs, armé d’une hache, pour les tuer. Grâce à une intervention divine, les trois personnages sont transformés in extremis en oiseaux : Procné, en rossignol, qui, de son chant nocturne et mélancolique, pleure désespérément la mort de son fils ; Philomèle, en hirondelle, dont les cris rappellent la mutilation ; Térée, en huppe, oiseau farouche et belliqueux, cruel, ne supportant pas le voisinage des autres oiseaux qu’il pourchasse inlassablement.
4Tel quel, le récit se rattache à une série de mythes bien connus dans lesquels la métamorphose finale, souvent en oiseau, vient sanctionner une faute impardonnable, indigne de l’être humain civilisé4. Les personnages se transforment en animaux qui constituent des doubles parfaits : par leur nature, leur apparence et leur comportement, ils perpétuent pour l’éternité les fautes et les défauts attribués aux personnages. L’origine d’une espèce animale trouve ainsi une explication commode par référence à l’ancêtre humain. Dans le cas présent, le mythe met en scène la destruction absolue et irrémédiable d’une maison, oikos, c’est-à-dire d’une famille, structurée par des règles matrimoniales et parentales qui se voient toutes transgressées5. Le viol et la mutilation de Philomèle sont des perversions du mariage et de la perte de virginité : Philomèle tisse comme une parfaite épouse légitime qu’elle ne sera jamais. L’acte de Térée, plus qu’à un adultère, s’apparente en fait, aux yeux des Grecs, à un inceste, tant sont étroits les liens unissant son épouse et sa victime6 ; il induit également une transgression de l’interdit de la bigamie7. L’infanticide constitue un meurtre symbolique du père, atteint dans ce qu’il a de plus cher, son fils qui est son double, selon une logique bien illustrée dans le mythe de Médée. Le repas monstrueux, enfin, qui se rattache à une série de mythes bien connus8, symbolise la destruction totale de tout lien familial, en même temps qu’il incarne une nouvelle forme d’inceste, comme l’a bien montré Alain Moreau9. La maison s’effondre littéralement à la fin du récit d’Ovide, face aux forces monstrueuses et incontrôlées de la sauvagerie.
5Le mythe s’enrichit également d’une lecture politique : à Athènes, la Thrace, région située au nord de la Grèce, constitue un pôle de répulsion symbolisant le pays de la barbarie10. En donnant sa fille au barbare par excellence, qui cumule tous les défauts stéréotypés attribués à cette figure (violence, désir incontrôlé, appétit irrépressible), le roi athénien introduit le désordre absolu dans sa maison, qui aboutit à la catastrophe finale11. Mais, par opposition au mythe de Médée, cette fois, ce sont les femmes grecques qui, par contagion, se comportent en barbares12. Certes, le coupable est bien évidemment Térée, mais la transmission de la sauvagerie s’opère par l’intermédiaire de Philomèle, innocente et pure jeune fille, victime de forces qui la dépassent, faisant se rejoindre deux mondes qui ne devraient jamais entrer en contact, thème relativement fréquent dans l’imaginaire grec. Philomèle l’hirondelle est, en quelque sorte, le relais de la barbarie, comme on le voit bien dans le récit d’Ovide, où elle pousse Procné à la vengeance et ajoute ses coups d’épée à ceux de sa sœur. Philomèle est, de fait, un personnage qui a perdu toute identité, tout statut. Elle est privée de parole, mais parvient tout de même à communiquer ; elle n’est plus jeune fille, mais elle n’est pas non plus épouse légitime ; rivale malgré elle de sa sœur, elle demeure sa complice ; elle n’a plus de maison, exilée de celle de son père, privée de celle d’un faux époux. Elle n’est plus rien et elle n’est nulle part.
6Sa métamorphose en hirondelle illustre parfaitement cette position particulière. Contrairement aux deux autres oiseaux, le rossignol et la huppe, qui fuient tout contact avec les humains, l’hirondelle essaie toujours désespérément de se rapprocher des hommes et de leurs habitations, en construisant ses nids sous les toits des maisons. Mais elle demeure inapprochable et ne se laisse jamais apprivoiser, comme l’attestent déjà plusieurs témoignages anciens et comme le montre l’anecdote rapportée par Gassendi des deux petites hirondelles sévèrement réprimandées par leur mère pour s’être laissées caresser par le philosophe13.
7Tout prédestine donc Philomèle à devenir hirondelle, à commencer par son nom qui annonce sa métamorphose, comme c’est le cas pour les deux autres protagonistes14. Térée, Tereus, est le « guetteur », celui qui épie et surveille (terein)15 : il guette Philomèle, d’abord, sa prisonnière, puis les deux s’urs lorsqu’elles tentent de lui échapper. Il se transforme en huppe, epops en grec, mot de même sens, signifiant « celui qui domine du regard16 ». Procné est la « tachetée », le nom étant dérivé de l’adjectif perknos, signifiant « couvert de taches17 ». Elle est semblable au rossignol peuplant la Grèce et les régions d’Europe de l’Est, luscinia luscinia, espèce différente de celle répandue en Europe occidentale, que nous connaissons, luscinia megarhynchos. Cette espèce, en effet, contrairement à celle de nos contrées, qui a le dos brun-roux, la gorge et le ventre beiges, se caractérise, en effet, comme la sarcelle, par un ventre au plumage clair, constellé de petites taches brunes ayant la forme de gouttelettes. Dans la logique du mythe, cette particularité symbolise la souillure et les stigmates du crime perpétré par le rossignol meurtrier, « fauve » ou « au bec fauve », « perché sur son nid ensanglanté », « portant sur sa poitrine la trace des mains ensanglantées », pour reprendre différentes expressions anciennes18. Philomèle, enfin, l’hirondelle, est « celle qui aime la compagnie du petit bétail (to mèlon) », car, insectivore, elle trouve en abondance sa nourriture parmi les troupeaux. Mais, sous l’effet d’une para-étymologie, le nom a été rapproché d’un autre terme, to melos, « le membre de phrase musicale », puis, par extension, « le chant rythmé et musical », mot moins anciennement attesté que le précédent, dont l’usage n’est véritablement connu qu’à partir de textes du ve siècle avant notre ère. Philomèle serait alors « celle qui aime le chant, qui se plaît au chant ». Cette étymologie dérivée explique sans doute que les auteurs latins, dans leur grande majorité, aient interverti les noms des personnages féminins, Philomèle devenant le rossignol, Procné l’hirondelle, inversion que l’on retrouve ensuite fréquemment dans la littérature européenne19. À cela s’ajoute une autre explication possible : l’espèce du rossignol au plumage tacheté étant inconnue en Europe occidentale, le nom même de Procné ne présentait plus de véritable signification. En revanche, l’hirondelle rustique, hirundo rustica, porte une large tache rouge sous le bec, qui a pu être interprétée comme la trace sanglante du meurtre. Les réalités zoologiques influeraient donc, en retour, sur le récit, en le remodelant, preuve du pouvoir d’adaptation remarquable du mythe.
8Le nom établit un lien entre le personnage et son avatar animal, tout comme le comportement. Dans ce mythe, de façon proprement exceptionnelle, le lien et la continuité entre l’homme et l’animal se vérifient aussi par le biais du chant de l’oiseau, chant qui restitue la parole humaine et les mots prononcés par chacun des personnages20. Cela est manifeste et bien connu dans le cas de Procné, le rossignol, dont le chant – ou, plus précisément, le cri ponctuant les trilles – était restitué en grec ancien par l’onomatopée itu itu itu ou ito ito ito, comme l’atteste un fragment papyrologique de tragédie21. Le rossignol pleure son enfant Itus en l’appelant désespérément. Le prouvent de nombreux exemples dans la tragédie grecque où Itus devient cri de douleur, plainte tragique, ainsi que l’ont bien montré les analyses menées par Nicole Loraux22. La huppe fait entendre un cri d’alerte, soudain et brusque, restitué en hou pou pou. Ce cri a une signification : pou est l’interrogatif de lieu en grec. Térée, poursuivant les deux soeurs, s’écrie : « où sont-elles ? » ; il se demande peut-être aussi où est son enfant disparu. L’hirondelle, quant à elle, fait entendre un chant qui s’apparente plus à une succession de cris stridents, où prédominent les dentales, tritt tritt tritt, dans le cas de l’hirondelle de rocher, hirundo rupestris, avec des sonorités en ou et u pour l’hirondelle rustique. Pour restituer ces cris, la langue grecque dispose de deux verbes, attestés par Hésychius dans son Lexique, teretizein et titubizein23. Teretizein : l’hirondelle crie littéralement le nom de son agresseur, Térée ; titubizein : elle fait entendre à nouveau le nom d’Itus.
9Les sonorités de ces chants d’oiseau sont également révélatrices. Aiguës et stridentes dans le cas de l’hirondelle, douces et mélodieuses pour le rossignol, elles reproduisent deux modulations de la voix féminine ; graves et assourdies, s’agissant de Térée, elles correspondent à la voix du personnage masculin. Par-delà cette division générique, masculin/féminin, on constate que ces chants permettent d’illustrer une tripartition des comportements vocaux dans le règne animal, tripartition mise en évidence par Aristote, maître des catégories, au tout début du livre I de l’Histoire des animaux :
Certains animaux émettent des sons (psophètika zôia), d’autres sont muets (aphôna), d’autres possèdent une voix (phonèenta). Parmi ces derniers, les uns ont un langage articulé (dialekton), les autres non (agrammata). Les uns sont bavards (kôtila), les autres silencieux (sigèla), les uns sont chanteurs (ôdika), les autres non (anôda)24.
10Aristote distingue ici la parole articulée, celle que fait entendre Térée, le chant modulé qui traite les syllabes en vocalises, tel le chant du rossignol, et, enfin, l’émission de sons inarticulés, le bredouillis ou le gazouillis de l’hirondelle. L’hirondelle, comme la malheureuse Philomèle privée de langue, ne peut émettre qu’un bredouillement incompréhensible. Son chant, quand il n’a pas été rapproché de la parole du bègue25, est devenu, aux yeux des Grecs, l’image parfaite de la langue barbare, incompréhensible et discordante, assimilée à une suite de borborygmes informes et disharmonieux, comme le montre bien l’étymologie même du mot barbaros, formé à partir d’une onomatopée expressive, bar bar. Cette image se rencontre à plusieurs reprises dans les textes grecs, en particulier dans le théâtre d’Eschyle : en Agamemnon, 1050, Clytemnestre se demande si Cassandre « n’a pas un langage inconnu et barbare, comme l’hirondelle » ; dans un fragment d’une tragédie perdue, le verbe chelidonizein (littéralement : « faire l’hirondelle »), signifie « être barbare »26. L’hirondelle devient ainsi le symbole du barbare, venu de l’étranger, dont la langue, insaisissable et insignifiante, heurte les oreilles grecques, ce qui peut se comprendre, à plus forte raison si l’on prend en compte son statut d’oiseau migrateur, arrivant chaque année brusquement au printemps. Ce qui se comprend également dans la logique du mythe faisant de Philomèle, comme on l’a vu, le vecteur de la barbarie et de la sauvagerie.
11Cependant le chant de l’hirondelle a pu aussi être perçu comme chant d’« affliction » (lupè), « pitoyable » (eleeinon), ainsi que le montrent différentes interprétations du mythe fournies par des scholies tardives, mais aussi, plus anciennement, un passage des Travaux et les Jours d’Hésiode, évoquant le départ de « l’hirondelle au gémissement aigu » (hortogoè chelidôn)27. Si le chant du rossignol, mélodieux et pathétique, correspond parfaitement au modèle codifié du thrène (thrènos), chant de deuil28, les cris aigus de l’hirondelle évoquent une autre modalité de l’expression de la douleur. Il me semble que l’on peut y voir une sorte de doublet du cri rituel poussé par les femmes, notamment lors des funérailles, l’ololugè, autre onomatopée expressive dénotant un cri perçant et sonore. Ce cri est également poussé dans la tragédie grecque par le personnage déplorant son malheur ou la perte d’un être cher. Il est attesté, enfin, dans le rituel sacrificiel, où il s’élève juste après la mise à mort de la victime, moment marqué par un silence absolu (euphèmia) qui se voit ainsi brusquement rompu29. Le chant de l’hirondelle restitue le cri poussé par Philomèle lors du sacrifice de l’enfant, tandis que le rossignol fait entendre la douleur du deuil infini et inconsolable, après la mort de l’enfant.
12Ce faisant, le cri de l’hirondelle révèle aussi des connotations sinistres et inquiétantes : il est porteur de mort, instrument de la vengeance s’accomplissant. On le vérifie dans un très beau passage de l’Odyssée, au chant XXI, lorsque Ulysse, méconnaissable, métamorphosé en mendiant, parvient à tendre son arc, épreuve que n’ont pu accomplir les Prétendants de Pénélope qu’Ulysse va massacrer peu après en les tuant de ses flèches :
Comme un homme habile dans l’art de la lyre et du chant tend facilement une corde sur la clef, ainsi Ulysse sans peine tendit l’arc. À ce moment-là, la corde vibra et l’arc fit entendre un beau son pareil au cri de l’hirondelle (littéralement : « semblable à l’hirondelle par la voix », chelidoni eikelè audèn). Le coup fut rude pour les Prétendants et leur couleur changea : Zeus tonna fort, ce fut un signe clair30.
13Cette comparaison qui entremêle l’image du poète-musicien, le bruit de la corde et de la lyre, ainsi que le chant de l’hirondelle, a été interprétée de différentes manières. On y a vu notamment une allusion au retour du printemps, coïncidant avec celui d’Ulysse, marquant le rétablissement de la joie et de l’ordre, la fin de la tristesse et du malheur31. On peut y voir aussi un présage funeste et sinistre, annonçant le meurtre des Prétendants. Dans cette perspective, Françoise Létoublon a proposé de rapprocher cette image de l’hirondelle de celle du rossignol, auquel s’est comparée Pénélope peu auparavant, au chant XIX, lorsqu’elle évoquait ses nuits sans sommeil, passées à pleurer la mort certaine d’Ulysse et la douleur de devoir épouser l’un des Prétendants32. Le lien entre le rossignol et l’hirondelle apparaîtrait ainsi à nouveau, peut-être dans l’esprit de l’aède, sans le moindre doute, en tout cas, dans celui de l’auditeur/lecteur du poème homérique. Le mythe envahit les esprits et suggère ainsi des rapprochements et des associations, sous l’effet d’« ondes mnémoniques33 ».
14Un autre exemple, sensiblement différent, de rapprochement et de libre association sous l’influence du récit mythique, paraît décelable dans un passage du roman d’Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, roman où le mythe de Procné, Philomèle et Térée est évoqué à cinq reprises, en contrepoint funeste de l’histoire amoureuse34. La deuxième évocation du mythe est introduite par la description du jardin merveilleux où se rencontrent Leucippé et Clitophon, et où se font entendre les chants mêlés des hirondelles et des cigales : « Les unes chantaient la couche d’Aurore, les autres le festin de Térée »35. À la métamorphose de Philomèle en hirondelle répond celle de Tithonos, humain aimé de la déesse Aurore (Eôs) qui, pour conserver toujours son amant, lui conféra l’immortalité, mais oublia – funeste erreur ! – de lui donner l’éternelle jeunesse. Le malheureux, vieillissant et desséché, fut métamorphosé en cigale, chantant son amour pour la déesse36. Platon, dans un célèbre passage du Phèdre, donne un autre mythe : les cigales étaient jadis des hommes qui s’adonnèrent tant au plaisir de chanter qu’ils en oublièrent de boire et manger, au point de mourir pour se réincarner en cigales37. Ils sont, sous cette forme animale, les « intermédiaires » (prophètai) des Muses auprès des hommes38.
15Cigales et hirondelles sont souvent rapprochées. Leur retour soudain à la belle saison se reconnaît aux chants qu’elles font entendre, stridents et vibrants, fendant l’air étouffant des étés grecs. La stridulation des cigales est proche du cri de l’hirondelle : elle s’apparente à un bredouillis informe, aux sonorités métalliques et aiguës, correspondant à la troisième catégorie établie par Aristote39. Mais, dans la perception que s’en font les Grecs, ces chants s’opposent radicalement. La cigale, « aimée d’Apollon lui-même » « animal sacré », « insecte divin », « presque semblable aux dieux »40, fait entendre un chant divin en hommage aux Muses, chant qui constitue le symbole établi de la musique et de l’inspiration artistique41. Au contraire, l’hirondelle « carnivore » (sarkophagos), chasse impitoyablement la cigale dont elle se nourrit, tandis que cette dernière réduit ses besoins au minimum. L’hirondelle est, dès lors, considérée comme impie et sacrilège, ainsi que l’affirme Plutarque, en se référant aux croyances pythagoriciennes42. Son chant symbolise les forces sauvages et barbares, la violence et la disharmonie, par opposition à la pureté et à l’élévation divine de celui des cigales.
16On le voit bien, de tels jugements de valeur sont largement déterminés par les récits mythiques qui expliquent l’origine des deux espèces animales, bien plus que par des considérations objectives, fondées sur les réalités naturelles43. C’est sur ce constat qu’il faut conclure, en prenant acte de l’importance du rôle des représentations imaginaires dans la constitution du bestiaire. Assurément le récit mythique se fonde sur des réalités zoologiques qui, du reste, comme on l’a constaté, peuvent, en retour, le déterminer et le remodeler. Mais à ce jeu des influences réciproques, c’est toujours la logique du mythe qui l’emporte et s’impose. Le mythe détermine une perception imaginaire de la nature et de l’animal, considéré comme un double de l’homme, dans lequel sont transposées, en miroir, des valeurs, des préoccupations et des représentations codifiées. Il en résulte une reconstruction symbolique de l’animal, sur un modèle largement stéréotypé et sous l’influence de récits connus de tous, parfois simplement évoqués, voire suggérés par allusion ou par association d’idées. Dans le cas de l’hirondelle, cette représentation impose une vision restrictive, somme toute assez sombre et inquiétante. Au risque de faire oublier d’autres valeurs symboliques que les Grecs, du reste, n’ignoraient pas, parmi lesquelles le lien établi entre le retour de l’oiseau et l’arrivée des beaux jours, ensoleillés et pleins de promesses, présage de bon augure, à n’en pas douter, pour l’occasion importante ici célébrée : tel est le vœu chaleureusement et sincèrement adressé à Arlette Bouloumié !
Notes de bas de page
1 Par « histoire du rossignol », il faut entendre un très ancien récit faisant intervenir une reine transformée en rossignol, pleurant le fils qu’elle a tué. Une première version, la légende thébaine, fait intervenir le personnage d’Aédôn, qui porte précisément le nom même du rossignol (« le Chanteur »), fille de Pandaréos, épouse du roi thébain Zéthos, qui tue par méprise son propre fils Itylos, au lieu de celui de sa belle-sœur, Niobé, dont elle enviait les nombreux enfants : c’est à cette légende qu’Homère fait allusion (Odyssée, XIX, 518-523). La légende la plus connue et la mieux attestée a pour cadre Athènes et fait intervenir la fille du roi Pandion, Procné, mariée à Térée, roi thrace, meurtrière avec sa sœur Philomèle de son fils Itys. Il existe enfin une troisième variante du mythe, située en Asie Mineure, plus complexe car faisant intervenir un plus grand nombre de personnages et ajoutant des péripéties secondaires au canevas premier de l’histoire : il pourrait s’agir d’une synthèse tardive de différents développements de « l’histoire du rossignol » ; cette variante nous est transmise par Antoninus Libéralis, Métamorphoses, XI. Sur cet ensemble particulièrement complexe de récits apparentés, voir les analyses exhaustives et minutieuses qu’en ont données Ignazio Cazzaniga, La Saga di Itys nella tradizione letteria e mitografica greco-romana, 2 volumes, Milan, Istituto editoriale cisalpino, 1950-1951 et Georgi Mihailov, « La légende de Térée », Annuaire de l’Université de Sofia, L, 2, 1955, p. 77-208. Sur le mythe de Procné, Philomèle et Térée, voir, en particulier, Walter Burkert, Homo Necans. Rites sacrificiels et mythes de la Grèce ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 2005 (traduction française par Hélène Feydy de Homo Necans. Interpretationen altgriechischer Opferriten und Mythen, Berlin, W. de Gruyter, 1972), p. 214-219 ; Paolo Scarpi, « L’espace de la transgression et l’espace de l’ordre. Le trajet de la famille du mythe de Téreus au mythe de Kéléos », Dialogues d’Histoire Ancienne, 8, 1982, p. 213-225 ; Monique Halm-Tisserant, Cannibalisme et immortalité. L’enfant dans le chaudron en Grèce ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. 102-113 ; Paul M. C. Forbes Irving, Metamorphosis in Greek Myths, Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 99-107 et p. 248-249 ; Françoise Frontisi-Ducroux, L’homme-cerf et la femme-araignée, Paris, Gallimard, 2003, p. 221-248 ; Françoise Létoublon, « Le rossignol, l’hirondelle et l’araignée », Europe, 904-905 (« Mythe et mythologie dans l’Antiquité gréco-romaine »), août-septembre 2004, p. 73-102 ; Paolo Monella, Procne e Filomela : dal mito al simbolo letterario, Bologne, Patron, 2005 ; Michèle Biraud et Evrard Delbey, « Philomèle : du mythe aitiologique au début du mythe littéraire », Rursus. Poiétique, réception et réécriture des textes antiques, 1 (« Le modèle animal »), 2006, revue en ligne : https://rursus.revues.org/
2 Pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 14, 8 [193-195], Hygin, Fables, 45, Ovide, Métamorphoses, VI, 412-674. Voir également, pour s’en tenir aux principaux textes grecs, Conon, FGrH 26 F 1 ; Libanios, Progymnasmata, II, 19, 1 ; Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, I, 8, 4 (allusion) ; I, 15, 8 (allusion) ; V, 3, 3 (allusion) ; V, 3, 5-8 (ekphrasis : description d’un tableau représentant le mythe) ; V, 5, 1-9 (récit détaillé du mythe) ; Nonnos de Panopolis, Dionysiaques, II, 131-139.
3 Sophocle, Térée, fr. 581-595 Pearson. Un papyrus d’Oxyrhynchos, P. Oxy. XLII, 3013, pourrait donner l’argument de cette pièce. Philoclès, le neveu d’Eschyle, écrivit dans la seconde moitié du ve siècle, une tétralogie intitulée Pandionis, qui devait raconter l’histoire de manière très détaillée, dont il subsiste un fragment mentionnant la métamorphose de Térée en huppe : l’une des tragédies de Philoclès devait imiter celle de Sophocle, Térée, par ailleurs vraisemblablement parodiée dans une comédie de Cantharos (fr. 5 - 7 Kassel-Austin) ; sur la pièce de Philoclès, voir Paolo Monella, op. cit., p. 79-125. L’ancienneté du mythe est prouvée par deux allusions dans le corpus hésiodique : Les Travaux et les Jours, 568 (où l’hirondelle est appelée « fille de Pandion », comme dans un fragment conservé de l’œuvre de Sappho, fr. 135 Lobel-Page) et fr. 312 Merkelbach-West, fragment provenant peut-être de l’Ornithomancie (où il est dit que le rossignol ne dort jamais et l’hirondelle moitié moins que les autres oiseaux, en punition du festin impie offert en Thrace). À ces témoignages littéraires s’ajoute un autre indice important : une représentation iconographique datée du viie siècle figurant sur une métope de Thermon (Athènes, 13410), sur laquelle deux femmes, dont l’une est désignée par le nom « Chelidôn », « hirondelle », se font face au-dessus d’un enfant dont la tête est maintenue par Chelidôn sur son giron.
4 Sur ce type de mythes de métamorphose grecs, voir Paul M. C. Forbes Irving, op. cit., p. 58-95.
5 Voir à ce propos Paolo Scarpi, art. cit., passim ; voir également l’interprétation du mythe proposée par Paul M. C. Forbes Irving, op. cit., p. 102-103.
6 Voir les remarques formulées par Monique Halm-Tisserant, op. cit., p. 105.
7 Pausanias, I, 5, 4, est explicite à ce sujet quand il affirme que Térée enfreint le nomos athénien. Sur l’importance de l’interdit de la bigamie, considérée comme une pratique barbare, menaçant l’ordre de la cité grecque, et sur la signification symbolique de l’acte de Térée, voir Paolo Scarpi, art. cit., en particulier p. 216. Il est possible également que Térée pervertisse une pratique matrimoniale thrace, aberrante aux yeux des Grecs : voir Louis Gernet, « Vieilles légendes de Grèce, in Riccardo di Donato, Les Grecs sans miracle. Louis Gernet, textes 1903-1960 réunis par Riccardo di Donato, Paris, La Découverte, Maspéro 1983 (p. 258-271), p. 266-268.
8 Voir Monique Halm-Tisserant, op. cit., 89-125.
9 Voir Alain Moreau, « À propos d’œdipe : la liaison entre trois crimes, parricide, inceste et cannibalisme », Etudes de littérature ancienne, I, 1979, p. 97-127 et « La liaison entre parricide, inceste et cannibalisme. Compléments », Cahiers du GITA, I, 1985, p. 49-57.
10 Le peuple thrace constitue une menace inquiétante et dangereuse pour Athènes, comme l’attestent différents épisodes mythiques : l’enlèvement par le dieu Borée de la fille d’Erechthée, lui-même frère de Procné et Philomèle, Orithye, qui se voit exilée en Thrace ; les attaques menées par le roi Eumolpos, allié des Eleusiniens, en guerre contre Erechthée qui trouve la mort à l’issue de ce conflit. Plus généralement, selon Thucydide, VII, 29, 4, les Thraces sont les Barbares les plus sanguinaires.
11 Sur la barbarie de Térée, voir Paul M. C. Forbes Irving, op. cit., p. 102, Paolo Scarpi, art. cit., p. 214 et Françoise Létoublon, art. cit., p. 75-76. Ovide qualifie avec insistance le personnage (ou son comportement) en recourant à l’adjectif barbarus ; ses actes sont d’une violence inouïe, comme en témoignent le récit de l’agression de Philomèle, la longue description de la langue tranchée et l’épisode redoublé du viol ; Térée est, comme tous les Thraces, victime de l’innata libido, « aiguillonné par son tempérament lascif », enclin aux « ardeurs de Vénus » et « le vice de sa race est aussi celui qui le consume ». Selon toute certitude, l’opposition entre barbarie et civilisation, qui se superpose à celle qui sous-tend le couple antithétique Grec (Athénien)/ Thrace, dérive de la tragédie de Sophocle, Térée, comme en témoignent les données conservées par plusieurs fragments.
12 Cet ensauvagement des deux femmes grecques est symbolisé par leur « transformation » en Bacchantes, image et identification sur lesquelles insiste beaucoup Ovide dans son récit : voir, à ce propos, Paul M. C. Forbes Irving, op. cit., p. 103, et Françoise Létoublon, art. cit., p. 76. Sur l’association des deux sœurs à l’univers dionysiaque, voir également Walter Burkert, op. cit., p. 216.
13 À propos de cette anecdote, voir les belles pages consacrées que lui consacre Elisabeth de Fontenay dans Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris, Fayard, 1998, p. 365-374 (« Le chanoine aux hirondelles »), en particulier p. 371-372.
14 Voir Michèle Biraud et Evrard Delbey, art. cit., p. 3-4 et p. 6.
15 La proximité du nom propre et du verbe donne lieu à un jeu de mot attesté dans un fragment d’une comédie de Timoclès, les Icarioi : cf. Colin Austin, Comicorum graecorum fragmenta in papyriis reperta, Berlin – New York, W. de Gruyter, 1973, p. 218.
16 Il convient très certainement de rapprocher ces dénominations de deux épiclèses attribuées à Zeus, Epopeus et Epopétès, désignant un dieu du ciel qui voit tout : voir Walter Burkert, op. cit., p. 218.
17 En grec moderne, ce même adjectif qualifie le visage couvert de taches de rousseur. Le mot dérive d’une racine indo-européenne, attestée sous différentes formes et dans divers radicaux (*perk-, *pork-, *prok-) : en grec ancien, perkè est le nom donné à la perche (poisson tacheté) et prôkes est un mot poétique désignant les gouttes de rosée.
18 Voir respectivement Eschyle, Agamemnon, 1140-1149, Euripide, Hélène, 1107-1116, Euripide ( ?), Rhésos, 546-554, Virgile, Géorgiques, IV, 15.
19 Sur cette inversion et sur les raisons qui permettent de l’expliquer, voir Michèle Biraud et Evrard Delbey, art. cit., p. 11-17 (avec relevé des occurrences du mythe dans la littérature latine). Chez les poètes latins comme dans la tradition de la Renaissance, Philomèle ne pleure donc plus son fils, mais se lamente sur le viol qu’elle a subi. À propos de la présence importante de Philomèle, le rossignol, au sein de la littérature européenne, voir notamment Véronique Gély, Jean-Louis Haquette et Anne Tomiche (dir.), Philomèle. Figures du rossignol dans la tradition littéraire et artistique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, Maison de la Recherche, 2006.
20 Cette perception du chant des oiseaux et le lien établi avec les données mythiques nous sont connus grâce à des données transmises par des scholies et par Eustathe dans son Commentaire de l’Odyssée : Eustathe, Commentaire de l’Odyssée, II, p. 215 : « Philomèle s’envole changée en hirondelle et Procné en rossignol. C’est pourquoi l’hirondelle a la voix rauque et un chant désagréable à cause de sa langue coupée et, en bégayant constamment, profère le nom de Térée, et c’est aussi pourquoi le rossignol émet « Itys » (Itus) dans son chant. Et Térée métamorphosé en huppe ne fait que s’exclamer « où sont-elles ? ». » scholie à Aristophane, Oiseaux, 212 : « Procné, ayant appris les malheurs de sa sœur, égorgea son fils Itys et en fit un repas pour Térée. Lorsque celui-ci comprit, il les poursuivit avec son épée en disant « où ? où ? » (pou pou phteggomenos). Philomèle allait criant « Térée » (Tèreus boôsa) sous l’effet de la panique, et Procné, en se lamentant sur Itys (ton Itun thrènousa), disait plaintivement « Itu Itu » (Itu Itu ephthegeto) » scholie à Hésiode, Les Travaux et les Jours, 566 : « Et Procné devenue rossignol gémit sur Itys (ton Itun oduretai), et Philomèle l’hirondelle dit « Térée m’a violentée » (Tereus phèsi me ebiasato). Térée, qui s’est transformé en huppe, dit « où ? où ? » (pou pou) <sont> celles qui, après avoir découpé mon enfant en morceaux, me l’ont présenté en festin ? ».
21 Papyrus d’Oxyrhynchos, P. Oxy. 2625, fr. 1, 7 sq. Sur ce document, voir Ian Rutherford, « The Nightingale’s Refrain : P. Oxy. 2625 = SLG 460 », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 107, 1995, p. 39-43.
22 Voir Nicole Loraux, Les Mères en deuil, Paris, éditions du Seuil, 1990, en particulier p. 87-100 (« Le deuil du rossignol ») et La Voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, Paris, Gallimard, 1999. Sur l’importance, au sein de la tragédie, du chant du rossignol, « oiseau du lyrisme », voir également D. Arnould, Le Rire et les larmes dans la littérature grecque d’Homère à Platon, Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 243-258, et Françoise Létoublon, art. cit., p. 88-93, qui donne un relevé exhaustif des occurrences, dans le corpus tragique, du chant du rossignol, « modèle de la plainte humaine » ; pour les mentions explicites du cri « Itus, Itus », voir tout particulièrement Eschyle, Agamemnon, 1140-1149 (le Choeur s’adressant à Cassandre), Sophocle, Electre, 145-149 (plainte d’Electre), Euripide, Phaéthon, fr. 23, 68-70 Diggle.
23 Hésychius, t 517 et t 993 ; pour ti (t) tubizein, voir également Souda, t 695 et Babrios, II, 131, 8.
24 Aristote, Histoire des Animaux, I, 1, 488a, 30-34.
25 Anthologie Palatine, IX, 57, 70 et X, 4, 5.
26 Fragment transmis par Hérodien, De prosodia catholica, III, 1, p. 25 Lentz. Hérodien, dans ce même passage de son traité, cite également Ion qui, dans son Omphale, « appelle les Barbares hirondelles, en employant le nom au masculin ».
27 Hésiode, Les Travaux et les Jours, 568.
28 Voir Michèle Biraud et Evrard Delbey, art. cit., p. 9 : « Les Anciens ressentaient la tonalité du chant du rossignol comme plaintive. Beaucoup de textes, notamment des tragédies, en témoignent. Y abondent les notions de oiktos, « lamentation », stenos, « gémissement », goos, « sanglot », thrènos, « chant de deuil », et les occurrences du verbe olophuresthai, « déplorer ». Cette interprétation psychologique a dû amener à se demander pourquoi ce thrène perpétuel, nuit et jour, pendant un mois au printemps ».
29 Sur « l’usage hellénique du cri sacrificiel » (Eschyle, Sept contre Thèbes, 269), déjà attesté dans l’Odyssée, III, 450, voir Jean Casabona, Recherches sur le vocabulaire des sacrifices en Grèce des origines à la fin de l’époque classique, Paris, Ophrys, Publications des Annales de la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, 1966, p. 231-297 et, sur les liens entre cri rituel et cri de douleur tragique, voir Walter Burkert, « Tragédie grecque et rite sacrificiel », in Sauvages Origines. Mythes et rites sacrificiels en Grèce ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 1998 (traduction française par Dominique Lenfant de Wilder Ursprung. Opferritual und Mythos bei den Griechen, Berlin, W. de Gruyter, 1990), p. 29 ; pour des attestations littéraires de ce cri, voir notamment Eschyle, Agamemnon, 595 et 1118, Choéphores, 22-163, Hérodote, IV, 189.
30 Homère, Odyssée, XXI, 404-412.
31 Voir Norman Austin, Archery at the Dark of the Moon. Poetic Problems in Homer’s Odyssey, Berkeley – Los Angeles – Londres, University of California Press, 1975 et E. K. Borthwick, « Odysseus and the Return of the Swallow », in Ian McAuslan et Peter Walcot (dir.), Homer, « Greece and Rome Studies », vol. 4, Oxford - New York, Oxford University Press, 1998, p. 153-163.
32 Odyssée, XIX, 512-529. Voir Françoise Létoublon, art. cit., p. 86-88.
33 L’expression est utilisée par Françoise Létoublon, art. cit., p. 95, qui l’emprunte à Aby Warburg, lui-même cité par Roberto Calasso, La Littérature et les dieux, Paris, 2001, p. 33 : « L’expression que l’on rencontre au début d’un essai posthume sur Burckhardt et Nietzsche, fait allusion aux chocs successifs de la mémoire qui frappent une civilisation en rapport avec son passé, dans ce cas à cette partie du passé occidental qui est habitée par les dieux de la Grèce. »
34 En l’absence de témoignages certains, il n’est possible de dater avec certitude ni l’auteur ni son œuvre, que l’on tend à présent à situer à l’époque des Antonins, sous le Haut-Empire romain, âge d’or de l’hellénisme. Sur ces cinq évocations du mythe au sein du roman, voir supra, note 2 ; sur leurs fonctions et les formes d’« usage » du mythe qu’elles font apparaître, voir Sandrine Dubel, « L’hirondelle et l’épervier, le rossignol et la huppe (Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, V, 3-5) : notes sur la difficulté d’établir un mythe », in Véronique Gély, Jean-Louis Haquette et Anne Tomiche (dir.), Philomèle. Figures du rossignol dans la tradition littéraire et artistique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, Maison de la Recherche, 2006, p. 37-52, et Lena Behmenburg, « Le mythe comme signe. Ekphrasis et le jeu de la préfiguration dans Le Roman de Leucippé et Clitophon d’Achille Tatius », in Danièle Auger et Charles Delattre (dir.), Mythe et fiction, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010, p. 239-255.
35 Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, I, 15, 8.
36 Le thème de l’erreur fatale commise par la déesse et celui de la vieillesse de Tithonos sont anciennement attestés, puisqu’ils figurent dans l’Hymne homérique à Aphrodite, 218-238 ; voir également les allusions dans des fragments de Sappho (fr. 58 Lobel-Page) et Mimnerme (fr. 4 West). Mais le thème de la métamorphose n’est pas attesté avant le courant du ve siècle, dans un fragment d’Hellanicos de Lesbos (FGrH 4 F 140) ; il ne réapparaît ensuite que très tardivement au sein du corpus des textes anciens conservés, essentiellement dans les commentaires d’œuvres latines (voir notamment Servius, Commentaire, ad Virgile, Géorgiques, III, 328).
37 Platon, Phèdre, 258e - 259d. La cigale évoque le philosophe tel qu’il est décrit, notamment, dans le Phédon : philosophos et philosomatos, il réduit au minimum les besoins de son corps (Phédon, 68c) ; philomousos, il doit travailler à « composer en musique », car la philosophie est la plus belle des musiques (Phédon, 60e). La cigale peut aussi être considérée comme le symbole même de l’âme parvenue à la contemplation des Idées.
38 Platon, Phèdre, 262d.
39 Sur la stridulation des cigales, voir le développement très détaillé que lui consacre Aristote dans l’Histoire des Animaux, V, 556a, 17-22.
40 Voir successivement Anacréontiques, 34, 13 Preisendanz, Plutarque, Propos de Table, VIII, 7, 3 (Moralia, 727E), Aristophane, Oiseaux, 1095, Anacréontiques, loc. cit.
41 « Rossignol des Muses » (Anthologie Palatine, IX, 373), la cigale peut être gratifiée du titre de mousikos, qu’elle partage avec Apollon : voir Plutarque, Propos de Table, VIII, 7, 3 (Moralia, 727E).
42 Plutarque, Propos de Table, VIII, 7, 3 (Moralia, 727E). Sur ce thème du « chasseur impie », voir également Anthologie Palatine, IX, 264 et IX, 273 (évoquant le destin de Criton, meurtrier de cigales, « qui eut à endurer ce que méritait cette chasse impie » : il ne peut plus capturer aucun animal ailé).
43 Il est, du reste, révélateur de constater qu’en dehors de l’opposition « codifiée », en quelque sorte, entre hirondelle et cigale, la perception que se faisaient les Grecs anciens du chant de l’insecte peut se révéler plus « réaliste » et induire un jugement nettement moins élogieux : la cigale peut ainsi être considérée comme le symbole même du bavardage incessant, qu’il s’agisse des vieillards troyens admirant la belle Hélène (Iliade, III, 150-152) ou de la femme en général (Aristophane, Oiseaux, 39), alors même que, selon Aristote, seules les cigales mâles chantent, les femelles n’ayant pas de voix, gardant le silence « à la façon des vierges pudiques », pour reprendre la comparaison utilisée par Elien, Nature des Animaux, I, 20…
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