Chapitre VII. Le communisme entre attraction et répulsion (1917-1947)
p. 231-265
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Texte intégral
1Pour évoquer les relations entretenues par les socialistes avec les communistes, Robert Verdier parle « d’une lutte pour l’entente » et Roger Quilliot de « dépit amoureux1 ». Si les socialistes prétendirent toujours placer le débat sur le terrain idéologique, leurs discours et réactions relevèrent souvent d’un mode passionnel. Ce traumatisme prenait sa source dans les origines mêmes de leur adhésion au socialisme. Dans quelle mesure la scission de Tours structura-t-elle leur identité socialiste, quel que fût leur âge, et quels que fussent leurs éventuels détours ou atermoiements ? Quels méthodes et arguments la reconstruction des années vingt, vécue dès ses premiers jours ou prise en marche, allait-elle leur léguer ? À partir de 1920, les socialistes furent régulièrement soumis à la surenchère révolutionnaire du parti communiste et ballottés au gré des tactiques que celui-ci adoptait. Ainsi, il leur fallut faire face à de spectaculaires revirements : en 1934, le parti communiste abandonnait la tactique « classe contre classe », où la SFIO constituait le mal absolu, pour autoriser le Rassemblement populaire ; en juin 1941, il entrait tout entier en Résistance après avoir accepté le pacte germano-soviétique d’août 1939. Réussirent-ils à s’adapter et à résoudre toutes leurs aspirations contradictoires, entre l’espoir jamais éteint d’une unité organique et le refus d’être absorbé par le premier parti de France ? De la révolution de 1917 à l’entrée dans la guerre froide de 1947, les parlementaires de la IVe République vécurent trente années où, à l’image du reste du parti, ils hésitèrent entre l’attraction et la répulsion.
Le dilemme originel du congrès de Tours
2Selon leurs mémoires ou témoignages, leur histoire avec le socialisme avant la guerre connut trois scansions majeures : l’unité, la scission de Tours et le Rassemblement populaire, par rapport auxquelles tous situent leur adhésion au parti ou à ses mouvements de jeunesse. Une cinquantaine, nés entre 1873 et 1889, avaient au moins 16 ans lors de l’unité de 1905. Mais seule une poignée vécurent de l’intérieur les querelles qui la précédèrent, comme Hippolyte Masson à la Fédération socialiste de Bretagne dès 1899 ou Félix Gouin au Cercle d’Unité socialiste dès 1902. Auguste Allonneau, Vincent Auriol, Amédée Guy, Paul Ramadier et Camille Reymond adhérèrent à la toute jeune SFIO en 1905.
3Bien plus signifiante est donc la scission de Tours, le 31 décembre 1920. Plus de la moitié des membres du corpus (152) avaient au moins 18 ans lorsqu’elle eut lieu, et 20 % du corpus, déjà encarté, eut à choisir de quitter ou de rester à « la vieille maison ». Plus de la moitié adhérèrent entre 1920 et 1934, dont un tiers pendant la période héroïque de la reconstruction, considérée comme achevée en 1924. Ceux-ci pouvaient également hésiter entre la SFIO et sa concurrente de l’Internationale communiste, dans un climat d’hostilité renforcé par la ligne « classe contre classe », adoptée sur ordre du Komintern par le PCF en septembre 1928, et qui ne fut abandonnée qu’à l’été 1934. À l’exception de huit parlementaires, tous avaient au moins 18 ans quand le Rassemblement populaire fut lancé en réaction à la manifestation antiparlementaire des ligues d’extrême droite du 6 février. Enfin, une bonne trentaine (11,3 %) rejoignit la SFIO dans l’élan du Front populaire, mais il n’est pas certain que la volonté d’unité d’action qui prévalait lorsqu’ils s’engagèrent ait survécu après la guerre. Par conséquent, quelles traces les conditions de leur engagement initial laissèrent-elles aux parlementaires ?
Les tentations de la révolution bolchevique
4À partir de la révolution d’octobre 1917, le mouvement ouvrier français dut s’interroger sur la nature du bolchevisme qui constituait déjà, soit un modèle, soit un repoussoir. Parmi les parlementaires, seuls quelques-uns étaient alors en âge et en situation d’être directement informés sur la réalité du régime soviétique. Néanmoins, entre information et propagande, ils durent assumer le schisme de Tours et choisir leur camp. Or certains adhérèrent à la IIIe Internationale, avant de retrouver le chemin de « la vieille maison ». Quelles furent donc les voies et les conséquences de leur repentir ?
5Parmi les membres du corpus, 126 soit 41,8 % avaient au moins 18 ans en 1917, mais une cinquantaine à peine militaient déjà au parti socialiste. Mobilisés, la plupart avaient déjà été blessés, gazés, voire gravement mutilés comme Albert Aubry, Élie Bloncourt, ou encore Adrien Tixier. Ils interprétèrent par conséquent les événements russes sans se démarquer de l’opinion publique française, à l’aune des impératifs militaires immédiats et non de l’Histoire. Or la révolution russe de février 1917 fut assez bien accueillie en France, car elle fut considérée comme une réaction nationale salutaire face à un régime impérial incapable de mener la guerre et soupçonné de germanophilie. Selon Joseph Paul-Boncour, elle avait abattu « un régime décomposé, où la trahison à l’égard des Alliés cheminait jusqu’aux alentours du trône2 ». L’effort de guerre de la Russie devait s’en trouver renforcé. Cette analyse était partagée par les socialistes majoritaires, fermement attachés à la défense nationale. Une délégation parlementaire fut alors envoyée à Petrograd en avril 19173. Marius Moutet, qui connaissait déjà bien le pays, fut de ce voyage. S’ils furent convaincus par le soviet de Petrograd qu’il fallait remettre en cause les buts de guerre, les délégués SFIO ne réussirent pas à faire accepter aux gouvernements de l’Entente l’idée d’une paix négociée par un congrès socialiste international. Aussi, au fur et à mesure que le doute d’une paix séparée s’insinuait au cours du printemps et de l’été 1917, les espoirs de l’opinion française cédaient la place à une franche hostilité. Les Allemands ne risquaient-ils pas de transférer leurs troupes sur le front occidental ?
6La révolution d’Octobre fut donc interprétée comme un coup de poignard dans le dos. René Naegelen se souvient avoir « haï » la révolution russe puis la paix séparée de Brest-Litovsk en mars 1918, alors qu’il était au front4. Bientôt, le régime bolchevique fut considéré comme criminel et contagieux. Si le mouvement ouvrier ne participait pas à cet anti-bolchevisme ambiant, il se montra fort circonspect, comme le montre le congrès de la CGT qui, saluant la révolution russe en décembre 1917, précisa que c’était à l’acte révolutionnaire qu’il rendait hommage et non au contenu de la Révolution elle-même. Certains, plus au fait, comme Joseph Paul-Boncour qui avait rencontré Kerenski, regrettaient amèrement le manque de compréhension des alliés envers la première révolution russe et leur attribuaient une part de responsabilité dans son échec5.
7En fait, seule une minorité des parlementaires eut alors l’occasion d’analyser par elle-même l’évolution de la Russie à cette époque : Marius Moutet en avril 1917, René Naegelen en mars 1921, Jules Moch et Joseph Paul-Boncour en 19246. Néanmoins Sophie Cœuré a montré l’influence des milieux d’opposants anarchistes et socialistes russes, exilés en France, et cela avant même la révolution manquée de 19057. Entre la Suisse, l’Allemagne et la France, entre Paris et Montpellier, les socialistes français et russes nouèrent souvent des amitiés durables. À l’image de son ami, le futur secrétaire général adjoint Jean-Baptiste Séverac, qui avait appris le russe et qui avait épousé une étudiante russe, Marius Moutet se maria avec une amie de Christian Rakovski8, rencontrée en Russie, Anna Matoussevitch. Après la guerre, Moutet animait rue de Valois un Centre de documentation russe et organisa, avec les époux Séverac, une œuvre d’assistance aux soldats encore présents en France, le Foyer du soldat russe, qui devint les « Amis des prisonniers russes9 ». Les solidarités établies avant la guerre rejouèrent, en particulier au sein de la société des Amis du peuple russe. Les socialistes conservaient d’étroites relations avec des émigrés, comme Oreste Rosenfeld, ancien attaché militaire de Kerenski, chargé de couvrir les événements russes pour Le Populaire dès le début de 1920, et ils étaient donc bien informés, même si les voyages au « pays des soviets » demeuraient exceptionnels.
8La défaite électorale de novembre 1919 fit glisser la SFIO à gauche10. Les partisans de la IIIe Internationale interprétèrent cet échec aux législatives comme une preuve que la prise légale du pouvoir était impossible. Au congrès de Strasbourg en février 1920, la SFIO se sépara officiellement de la Seconde Internationale, et derrière Paul Faure et Jean Longuet, adopta une motion préconisant la « reconstruction » d’une nouvelle internationale révolutionnaire et unifiée, pour éviter le ralliement pur et simple à la IIIe. Les mois qui suivirent parurent assez confus aux militants de l’époque. Marcel Cachin et Frossard revinrent convaincus de Russie qu’il fallait rallier Moscou en tant que futur centre du socialisme international. Si les motifs de leur revirement ne sont pas encore réellement éclaircis, il est certain qu’en entraînant une partie des centristes du parti, ils firent basculer la majorité vers l’adhésion à la IIIe Internationale. René Naegelen, ami intime de Frossard, se souvient de son « désarroi » et de celui de ses camarades lorsque leur télégramme de Moscou arriva « comme la foudre11 ».
9Un quart de notre corpus militait déjà à la SFIO lorsqu’il lui fallut choisir de quitter ou de demeurer à « la vieille maison », dont une dizaine de repentis qui, après avoir accepté les fameuses 21 conditions « humiliantes, outrageantes, menaçantes12 », participèrent à la reconstruction. Il est vrai qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’un choix individuel, et que certains, en fait, emboîtèrent le pas de leur fédération par discipline, avant de faire machine arrière. Et d’exclusions en excommunications, une partie des égarés retrouvèrent assez vite leur maison, en empruntant parfois des chemins de traverse. D’après les travaux menés sur les 370 délégués au congrès de Tours, 8 % seulement de ceux qui avaient rejoint la IIIe Internationale revinrent directement au parti socialiste13. La proportion de repentis parmi les parlementaires de la IVe République (une dizaine sur 66) est donc même légèrement supérieure. On repère des anciens combattants membres de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC), comme Édouard Froment en Ardèche, des instituteurs syndiqués à la Fédération de l’enseignement laïque – laquelle rejoignit la CGTU lors de la scission en 1922 – comme Camille Lhuissier en Mayenne, des ligueurs, comme Augustin Allonneaux dans le Maine-et-Loire… D’autres empruntèrent les chemins de la dissidence communiste et croisèrent la route de Frossard qui, exclu de la SFIC, créa l’Union socialiste-communiste, comme Charles Lussy, dans le Vaucluse ou Jean Minjoz à Besançon. Tous ces repentis furent payés en retour par des investitures et, souvent, des mandats, mais gardèrent des séquelles de leur périple.
10René Naegelen, militant socialiste depuis 1912 et secrétaire de la fédération de Belfort, commente ainsi son aller-retour. Intime de Frossard, il le suivit avec toute sa fédération à la SFIC, « par amitié » et, dit-il, « quasi conscient de ma terrible erreur14 ». Naegelen devint donc secrétaire de la fédération communiste du Haut-Rhin et de Belfort, et rédacteur en chef de son organe, Germinal. En mars 1921, il alla en Russie, qu’il compare à « la terre sainte15 », avec la délégation de la SFIC au congrès de l’Internationale communiste. Là, confronté aux réalités de la révolution, il reconnaît avoir été partagé entre l’admiration et l’effroi face à « cette grandiose et, par certains côtés, inhumaine expérience ». Piloté par Victor Serge, il assista à des manifestations de masse, qui lui firent un effet mitigé car elles étaient trop proches, à son goût, des parades militaires qui lui répugnaient. Mais il eut également l’occasion de parcourir les campagnes et d’y constater les ravages de la famine. Un demi-siècle après, Naegelen retrace son évolution idéologique comme un chemin de croix. Convaincu que l’Histoire avait un sens, « ma foi révolutionnaire, non pas reçue en grâce, mais pensée, m’était une des raisons de vivre », affirme-t-il ; or « j’en étais là, tout entier à ma foi révolutionnaire, quand je découvris les taches noires de la Révolution ». Il ne pouvait se résoudre à la condamner, sans renier sa croyance. Il la jugea donc « trop fatiguée » et « aux prises avec trop de difficultés » ; il comprenait ses hésitations et ses tâtonnements, excusant ses erreurs et ses excès. En revanche, de retour en France, il ne put supporter qu’on lui impose de mentir, mais reconnaît n’avoir rien dit, ni écrit, que les ennemis de la révolution russe pussent utiliser. De fait, il demeura dans une prudente neutralité dans un compte rendu qu’il fit dans Le Communiste de Normandie. En outre, s’il aspirait toujours à l’abolition du système capitaliste, il commençait à douter du bien-fondé de certains moyens s’ils étaient appliqués à la France, tel que la suppression de la bourgeoisie, y compris la petite, à laquelle ses propres parents appartenaient16. Il revint donc à la SFIO dès l’été 1921, bien avant son ami Frossard, qu’il ne suivit pas à l’Union socialiste-communiste. Enfin, le cas de Paul Rassinier est original puisqu’il adhéra au PCF en 1923, avant de se réfugier au parti socialiste, faute de mieux.
11Repentis pour ceux qu’ils retrouvaient, renégats pour ceux qu’ils abandonnaient, ces allers-retours ne pouvaient être indolores et laissaient des séquelles. Par exemple, l’organe des communistes belfortains, Le Semeur, expliqua que « le devoir de tous les révolutionnaires sincères est de les dénoncer comme traîtres à la classe ouvrière et paysanne de ce pays » et traita René Naegelen de « pauvre type », de « petite crapule », et de « petite fripouille » dont le sort était entendu puisque, « avec du temps et de la patience, nous exécuterons ce misérable17 » ! « Si j’ai souri aux injures de L’Humanité, j’ai blêmi quand de braves types que j’avais entraînés sur la route de Moscou me traitaient de renégat et de vendu, et cela durant des mois et des années… », se souvient longtemps après René Naegelen18.
12Sur le long terme, s’ils ne devinrent pas systématiquement des doctrinaires de l’anticommunisme, ces repentis ne contredirent pas non plus l’adage selon lequel on ne brûle bien que ce que l’on a adoré. À Belfort, Rassinier et Naegelen, rompus à l’argumentaire anticommuniste depuis longtemps, n’eurent guère de difficultés à dénoncer « les exagérations que le Parti communiste a en vain essayé d’introduire dans la constitution et qui tendaient à nous conduire vers un régime à tendances […] dictatoriales », et ce dès juin 1946, alors que le ton des autres candidats socialistes était dans l’ensemble beaucoup plus modéré19. D’autres surent s’adapter aux circonstances électorales. En octobre 1945, Camille Lhuissier fut élu député de la Mayenne, sur l’unique liste commune socialo-communiste, en dépit des consignes du parti, dont il était secrétaire fédéral. Seul indiscipliné, il s’en défendit en excipant qu’il représentait une « petite fédération », et que cette « unité d’action préventive » avec le PCF était le seul moyen de battre la réaction, en d’autres termes le MRP. Mais il ne plaida nullement en faveur d’une unité organique20. Pour Auguste Allonneau, son attitude était une question d’échelles. En mai 1945, il fut élu maire d’Angers grâce à une liste de gauche réunissant socialistes, communistes, radicaux et la Jeune République, et lorsque la droite eût repris la mairie en 1947, il continua d’animer cette opposition de gauche jusqu’en 1959. Mais aux législatives, dès juin 1946, il dénonçait le PCF comme un parti à la solde de Moscou21. Dès le 24 octobre 1944, Jean Minjoz, alors secrétaire fédéral, proposa aux communistes bisontins la réunion définitive de la SFIO et du PCF dans une seule et même organisation, et en informa le congrès national extraordinaire de novembre 1944 afin que son exemple fût suivi. Il fut ainsi élu maire de Besançon sur une liste commune en mai 1945. Désapprouvé par la direction, il défendit néanmoins encore son projet d’unité organique lors du congrès d’août 1945. Ce ne fut qu’après la perte de la mairie, en 1947, qu’il adopta une ligne anticommuniste qu’il conserva jusqu’en 1977. Mais aucun d’eux ne fit partie du petit groupe de déçus, qui quittèrent la SFIO lorsque celle-ci renonça à ses espoirs de restaurer l’unité ouvrière en 1947. Par conséquent, s’ils répugnaient moins que d’autres à nouer des alliances électorales avec les communistes, les repentis étaient à l’abri de toute attraction idéologique.
L’héritage à long terme de la reconstruction
13La plupart des parlementaires qui militaient déjà à la SFIO avant 1920 et qui vécurent la scission (plus d’une cinquantaine sur 66) ne firent pas partie de cette majorité qui fonda la SFIC, alors que la SFIO ne conservait plus que 35 000 militants. Pour quelles raisons firent-ils le choix risqué de ne pas suivre la majorité ? Trouva-t-il un écho dans leur itinéraire par la suite ?
14Ardues, parce que requérant toute leur énergie, ces quelques années qui suivirent la scission furent aussi celles où ils s’implantèrent, gravirent les échelons de la hiérarchie partisane et recueillirent leurs premiers fruits électoraux. Par exemple, en Ille-et-Vilaine, Albert Aubry remporta une grande victoire en novembre 1919, dans un département où le socialisme était jusque-là cantonné aux trois centres urbains de Rennes, Fougères et Saint-Malo, alors que les législatives s’étaient généralement mal passées pour les socialistes. À cause du mode de scrutin, la SFIO perdit un tiers de son groupe parlementaire, en passant de 102 à 69 élus, perte que l’entrée au Palais-Bourbon de Léon Blum ne suffisait pas à compenser. Avec à ses côtés Eugène Quessot, conseiller général et municipal de Rennes, Aubry se démarqua nettement du bolchevisme pendant la campagne. Tous deux signèrent le manifeste du Comité de résistance socialiste « à la domination moscovite » pour le congrès de Tours. En outre, Quessot lutta pour conserver à la CGT l’essentiel du Syndicat des cheminots, dont il était le secrétaire depuis la grève de mai 1920. Reconstructeurs et élus, ils adoptèrent alors la ligne anticommuniste radicale définie par leur secrétaire général, Paul Faure, dès 192122. Par la suite, ces militants conservèrent, en général, une méfiance instinctive. Le communisme n’était plus perçu que par le prisme douloureux de leurs relations conflictuelles avec les communistes français.
15Lorsque le parti socialiste fut à nouveau menacé de décomposition aux lendemains de Munich, puis dissous de fait, ces cadres furent moins désorientés que d’autres, puisque presque tous réagirent avec une rapidité remarquable pour reconstituer le parti dans la clandestinité ou à la Libération. Quand on compare leurs attitudes dans ces deux circonstances critiques pour le parti, on est frappé par un identique réflexe de survie militante, et le même don de soi, au mépris parfois de leur vie personnelle.
16Albert Aubry est ainsi la figure type du reconstructeur des années vingt qui, outre son activité de parlementaire, posa sa candidature aux cantonales à Rennes en 1922, accepta le secrétariat fédéral en janvier 1923, fut élu conseiller municipal en 1925, multiplia les tournées dans le département pour recréer les sections, et anima l’organe fédéral L’Aurore d’Ille-et-Vilaine23. Or à son retour de déportation, bien qu’encore affaibli, Aubry reprit immédiatement son bâton de pèlerin pour reconstruire sa fédération et la représenter à toutes les échéances électorales. Battu aux cantonales de septembre à Rennes, il affronta avec succès, un mois plus tard, non seulement ses adversaires catholiques traditionnels, qui remportèrent quatre sièges avec leur liste MRP, mais aussi la liste pro-communiste d’Union républicaine et de la Résistance pour la renaissance française, menée par d’Astier de la Vigerie. Le préfet constatait alors qu’il avait une influence incontestable dans sa fédération et qu’il jouissait d’une « grande popularité non seulement auprès de ses partisans, mais aussi dans les milieux politiques adverses24 ». De même dès 1941, Augustin Laurent redevint, selon son propre terme, un « courtier » du parti clandestin en zone occupée, puis dans les deux zones, toujours animé du souci de contrer l’influence des communistes. C’est ainsi qu’il refusa d’aller à Londres, préférant se consacrer au CDL du Nord pour faire face au Front national25. Hippolyte Masson également, devenu secrétaire fédéral du Finistère, s’opposa vigoureusement à l’entente avec les communistes26. L’ensemble de ceux qui vécurent le schisme de Tours et qui contribuèrent à reconstruire la SFIO conservèrent au moins un fond de méfiance à l’égard des communistes. Et confrontés de nouveau à la disparition du parti en 1940, ils retrouvèrent des réflexes de survie militante. Au sein du groupe parlementaire de la Libération, on distingue donc clairement une génération d’anciens reconstructeurs.
Choisir sa maison après la scission de Tours
17La scission de Tours ne bouleversa pas seulement les membres actifs de la SFIO qui durent choisir leur camp, mais aussi de jeunes sympathisants qui, désorientés, préférèrent retarder leur adhésion en attendant de voir la situation se décanter. Cet attentisme vigilant, favorable à une maturation plus ou moins longue de l’engagement final, se retrouve au début des années vingt chez plusieurs membres du corpus, alors que la reconstruction de « la vieille maison » achevée quelques années plus tard, la décision semble avoir été plus facile aux autres. Les orientations de l’URSS apparaissaient plus tranchées et les détours par le PCF se raréfièrent. Pour 190 parlementaires de la ive République qui adhérèrent à la SFIO entre la scission de Tours et 1939, deux seulement passèrent d’abord par le PCF, Paul Rassinier en 1923 et Gilbert Zaksas, aux JC, peu de temps avant la guerre.
18Au début des années vingt, les hésitations pour interpréter le régime soviétique purent avoir une durée variable, mais imposèrent un temps nécessaire de réflexion. Comme l’a montré Sophie Cœuré, l’URSS s’imposa progressivement comme la référence primordiale dans le débat sur le communisme : que l’on y vît l’avènement d’une société meilleure, ou au contraire une dictature, le modèle soviétique permettait de ratifier le propos27. Une petite cinquantaine de membres du corpus adhéra à la SFIO entre la fin de l’année 1920 et l’automne 1924, soit un quart de ceux qui la rejoignirent entre 1920 et 1939. Or il faut noter que les plus âgés, les anciens combattants en particulier, éprouvèrent plus de difficultés à faire leur choix que les plus jeunes, souvent enrôlés au sein des JS, où l’affrontement avec les communistes se vivait avant tout sur le terrain.
19Édouard Depreux, « jeune bourgeois » de Sceaux, avait rompu avec son milieu en affichant des opinions socialistes. Conquis par le pacifisme de son député, Jean Longuet, dont il lisait avidement les articles alors qu’il était au front, il se sentait « socialiste de cœur et d’esprit » dès la fin du conflit. Il retarda néanmoins son adhésion formelle, attendant d’y « voir plus clair » dans les événements russes. Le polytechnicien Jules Moch fit de même alors qu’il se savait socialiste, lui aussi, « de cœur et de raison » depuis 191928. Les expressions très semblables de Depreux et de Moch pour évoquer leur premier élan sont récurrentes chez tous les membres du corpus, lorsqu’au terme de leur parcours ils se retournent sur son commencement. Si « le cœur » exprime sans doute la nostalgie du premier émoi, vécu clairement sur le mode amoureux, surtout s’il était suscité par une figure charismatique telle que Jean Longuet ou Léon Blum, « la raison » et « l’esprit » rappellent le poids de l’idéologie dans le processus de leur engagement.
20Le cheminement d’Édouard Depreux fut plus rapide que celui de Jules Moch, car il n’était tenté par aucune autre formation politique. Les radicaux, par exemple, auxquels il aurait pu songer, lui apparaissaient par trop divisés. Par ailleurs,
« […] la conception même d’un parti “bolchevik”, fondé sur un “centralisme démocratique” où le centralisme, à vrai dire, apparaissait plus nettement que la démocratie, heurtait profondément ma sensibilité et ma raison », lui suffit à rejeter le communisme, écrit-il29.
21Il prit donc sa carte à la SFIO. Il fallait, en effet, des convictions bien pesées pour rejoindre un parti si déconfit. En 1921, la section de Sceaux ne comptait alors plus que six membres et, dès les premiers jours, il dut affronter les attaques incessantes des communistes. Il participa ensuite, au côté de Jean Longuet et de Léon Osmin, à la reconstruction de la fédération de la Seine. En 1956, alors qu’il critiquait le rôle de l’URSS dans les pays de l’Est, il écrivait : « Tout – je dis bien tout – ce que découvrent aujourd’hui certains néophytes, était annoncé dans les interventions magistrales de Léon Blum et d’Adrien Pressemane » à Tours30. Édouard Depreux, qui peut donc être assimilé aux reconstructeurs précédemment évoqués, conserva de cette époque un solide fond de rancune contre les communistes qui, conjuguée à son pacifisme, explique son rapprochement ultérieur avec Paul Faure. Le parcours de Jules Moch fut plus complexe, parce que non seulement il dut se prononcer sur le communisme, mais qu’il était aussi attiré par des courants plus centristes. En 1921, il entra à la Société d’équipement des voies ferrées, apprit le russe et voyagea beaucoup dans les États baltes. En 1924, il passa trois mois en Russie, où il assista même aux obsèques de Lénine, et revint édifié, selon ses mémoires, sur la dictature du prolétariat31. Ayant levé les hypothèques du Parti socialiste français et des Républicains socialistes, il adhéra avec sa femme à la 16e section, en octobre 1924. L’année suivante, il dénonçait l’absence de liberté d’opinion dans La Russie des Soviets, mais considérait qu’il fallait attendre pour pouvoir porter un jugement sur le régime32. Pendant longtemps, son analyse critique du communisme soviétique ne le conduisit pas pour autant à diaboliser l’URSS.
22Le choix de « la vieille maison » sembla s’être imposé beaucoup plus aisément à ceux qui adhérèrent plus tard, et qui rejoignirent une SFIO remise sur pieds, capable de les attirer, puis de les encadrer, au sein de ses mouvements de jeunesse. L’interdiction d’appartenir à la franc-maçonnerie ou à la LDH décrétée par la IIIe Internationale en 1922, puis la radicalisation des communistes à l’égard « des socio-traîtres » et, en écho, les effets d’une propagande anticommuniste parfaitement orchestrée de la part de la SFIO, rendaient la ligne de démarcation plus perceptible. En septembre 1928, le 6e congrès du Komintern faisait adopter la ligne « classe contre classe », qui imposait à ses sections de lutter contre les influences réformistes de la social-démocratie.
23Dans le Nord, la fédération était suffisamment puissante pour attirer de jeunes travailleurs au sein de ses Jeunesses peu de temps après la scission. Victor Provo, alors ouvrier du textile, adhéra ainsi aux JS à Roubaix, dès 1922, sans hésitation. De même, Albert Denvers, aux JS depuis 1924, affirme qu’il ne se posa aucune question :
« Il se faisait qu’être rouge, ça devait passer par le socialisme, […] c’était plus de justice, plus de dignité pour les hommes, plus de respect pour les petits et les travailleurs dont je sentais ici, très fortement, qu’ils étaient les sujets d’une certaine classe bourgeoise, dite capitaliste33. »
24L’argument doctrinal semble bien maigre et aurait tout aussi bien pu désigner le communisme. Normalien et membre du SNI, Denvers épousa en fait la fille du secrétaire de la section SFIO de Gravelines, militante elle-même, Marguerite Sockeel en 1927. Son engagement conjugal et son orientation idéologique étaient liés, sans que l’on sache lequel détermina l’autre, mais plus de soixante ans après, ils lui apparaissaient certainement marqués du même sceau de l’évidence. Devenu trésorier de la section dès 1929, il remplaça son beau-père trois ans plus tard et n’avait aucune raison d’être tenté par la maison d’en face. Le tropisme septentrional, conjuguant ouvriérisme et guesdisme, et le radicalisme des JS, y facilitaient le choix socialiste.
25Mais des arguments idéologiques, faisant jouer les ressorts plus intimes de la conviction individuelle, pouvaient également intervenir. Ainsi Daniel Mayer adhéra d’abord à la LDH puis, quelques mois après, aux JS en 1927. Les groupements trotskistes lui paraissaient obscurs, car il voyait mal les divergences entre Trotski et Lénine34. En revanche, il ne pouvait être question du parti communiste pour lui « parce qu’il y avait un aspect de brutalité, de refus d’en appeler à la raison individuelle et au cœur de l’homme ». Léon Blum leur avait appris, avec sa brochure Bolchevisme et socialisme (1927), que le communisme était liberticide par nature et qu’il était l’antinomie de la démocratie. Or Daniel Mayer, qui aspirait à plus de Justice, ne pouvait concevoir celle-ci sans la Liberté ; à 73 ans, il considérait cette alliance comme le fil directeur de son combat sa vie durant35. D’ailleurs, s’il y avait adhéré, le PCF l’aurait obligé à quitter la Ligue, ce qu’il ne souhaitait pas, et ce qui aurait heurté son libre arbitre.
26Commentant les qualités et les défauts de « l’homme communiste », Daniel Mayer lui reconnaissait une capacité exceptionnelle de don de soi qui faisait de lui un remarquable exécutant, discipliné, mais en contrepartie une absence totale de réaction et de jugement individuels. C’était « l’attachement d’un croyant à son Dieu », qui ne ressemblait pas à « une affinité politique » mais à « une foi aveugle et primitive des premiers âges36 ». Or on sait que ce fut justement au nom de ses convictions personnelles que, dans les années cinquante, il se montra régulièrement un député indiscipliné au point de rompre avec éclat en 1958. Au regard des indisciplines commises par plusieurs membres du corpus sous la IVe République, on est alors tenté de penser que cet embrigadement corps et âme exigé par le PCF avait dû en rebuter plus d’un37. La dimension téléologique du communisme devait entraîner l’adhésion sans partage au modèle soviétique, l’URSS étant conçue comme le sanctuaire de la révolution, mais elle demeurait vaine si elle ne suffisait pas à annihiler le doute et à imposer un devoir d’obéissance. Pourtant, la SFIO présenta elle aussi la discipline interne comme une valeur fondamentale, avec des maximes telles qu’ » on n’a jamais raison contre son parti ». Elle fut secouée par plusieurs scissions dans l’entre-deux-guerres et l’on a vu combien elle se méfiait de ses mouvements de jeunesse et de leurs dérives gauchistes. Mais aux yeux d’un jeune sympathisant, cette discipline était régulée par une commission des conflits et, surtout, devait couronner un fonctionnement démocratique visant à faire respecter les décisions de la majorité, et non celles d’un organisme étranger. Tout simplement, la SFIO semblait mieux garantir le respect de la liberté individuelle et du libre arbitre, auxquels Daniel Mayer ne fut pas le seul à être si profondément attaché.
27Près des trois quarts des parlementaires de la IVe République, par conséquent, furent marqués par les affrontements fratricides des années vingt et du début des années trente et apprirent à se définir, tant dans leur doctrine que dans leurs pratiques militantes, par rapport aux communistes. À Tours, se forgea une relation en miroir que la plupart, en dépit de leurs différences d’âge et d’ancienneté dans le parti, perpétuèrent tout au long des années cinquante.
Le Janus communiste
28La méfiance instinctive de tout militant socialiste depuis la scission de Tours ne put que se renforcer au cours des années suivantes. Les changements stratégiques du Komintern rendaient difficile à lire les intentions des communistes français. Le Rassemblement populaire contre le fascisme s’acheva sur un marché de dupes en 1938, puis le surprenant pacte germano-soviétique d’août 1939 accoucha contre toute attente de la résistance communiste en juin 1941. Après l’échec du Front populaire, la déception fut à la hauteur des espoirs engendrés et des sacrifices consentis ; sous l’Occupation, il fallut tenter de renouer des relations avec ceux qui étaient, encore peu de temps auparavant, considérés comme des traîtres. Or les parlementaires de la IVe République ne furent pas seulement largement impliqués dans la Résistance, mais avaient également participé au Rassemblement populaire.
L’expérience douce-amère du Rassemblement populaire
29Après avoir considéré la social-démocratie comme son principal ennemi, le Komintern abandonna officiellement la tactique « classe contre classe » au profit de fronts populaires unitaires contre le fascisme en juillet 1935, analysant avec retard le processus d’arrivée au pouvoir d’Hitler. Mais le PCF avait déjà opéré ce spectaculaire revirement dès l’été 1934, en proposant d’ouvrir ce front commun antifasciste, non seulement aux socialistes médusés, mais aussi aux radicaux. Leur volonté d’enrôler la classe moyenne alla jusqu’à « une main tendue » à tous les républicains et chrétiens-démocrates dans le discours, resté célèbre, de Maurice Thorez, du 17 avril 1936. Cette métamorphose complète du PCF, considéré jusqu’alors par les autres forces politiques comme un groupe sectaire en marge de la société, avait de quoi désemparer les socialistes, d’autant qu’elle permettait aux communistes d’augmenter leurs effectifs et d’accroître l’audience de leur presse. Les reconstructeurs, méfiants, pouvaient désormais craindre que le PCF fût en mesure de prendre la tête du mouvement ouvrier français. Mais dans ces années 1934-1936, se développa un philosoviétisme non communiste, où l’image positive de l’URSS convergeait avec la mobilisation antifasciste et le retour du PCF à des valeurs et pratiques républicaines, qui séduisit plus d’un socialiste. Sans toujours croire l’unité organique possible, l’idée que l’unité d’action était devenue nécessaire s’imposait aux militants. Dans quelle mesure les futurs parlementaires participèrent-ils à ce mouvement ?
30La majorité joua le jeu du Rassemblement populaire, sinon avec conviction, du moins avec loyauté. La manifestation du 6 février 1934 fut vécue heure par heure et parut à tous lourde de menaces. « Grâce à notre premier poste de radio, nous suivions avec angoisse, ma femme et moi, le déroulement de l’émeute, l’avance vers le Palais-Bourbon, la capitulation du gouvernement », se souvient André Maudet, alors président de la fédération de la LDH en Charente inférieure. « Le but des factieux était, j’en ai la conviction, de renverser la République », écrit encore Jean Pierre-Bloch en 198338. De fait, Léon Blum, contre l’avis du secrétaire général Paul Faure, voulut organiser immédiatement une contre-manifestation, qui eut lieu le 12 février. Jean Pierre-Bloch, Daniel Mayer et Léon Boutbien se souviennent de leur déception, voire de leur indignation, face à la pusillanimité du secrétaire général à cette occasion, voulant implicitement y voir les signes annonciateurs de sa future dérive vichyste. Et tous décrivent des militants prêts à en découdre39.
31Après coup, ceux qui tentèrent d’interpréter ces journées des 6 et 12 février 1934 s’accordent à conclure, comme Jules Moch, que « l’unité d’action naît spontanément à la base, dans une masse d’organisations para-communistes ou indépendantes, ardemment favorables au rapprochement40 ». Ce dernier veut souligner, en effet, les atermoiements de la direction communiste qui contrastaient, selon lui, avec les efforts réalisés sur le terrain. Pierre-Olivier Lapie minore même le rôle du Komintern, et privilégie celui de l’antifascisme :
« […] en face du développement des Ligues, de la presse de droite, d’une opinion intellectuelle conservatrice, d’un militantisme de droite, d’une admiration ouverte du fascisme latin et, par osmose, secrète, du nazisme, une réaction qui n’était pas d’inspiration moscoutaire, mais qui relevait des traditions libérales de la France ou de l’esprit de 1789, soulevait [une] masse de Français », écrit-il41.
32De sorte que si certains regrettaient toujours la scission et rêvaient encore de l’unité organique, la plupart étaient surtout décidés à faire de la lutte contre le fascisme leur priorité. Un militant comme Édouard Depreux, demeuré pour le moins méfiant à l’égard des communistes, dévoile une autre de leurs motivations. Ne fallait-il pas imposer la sécurité collective et la paix par une entente résolue entre les démocraties occidentales, si imparfaites qu’elles soient, et l’URSS, en dépit de toutes les réserves qu’on pouvait faire sur la politique stalinienne42 ? Ancien combattant, on se rappelle qu’Édouard Depreux avait adhéré à la SFIO, entre autres, par refus viscéral de la guerre. L’alliance consubstantielle du pacifisme et de l’antifascisme relevait son seuil de tolérance au communisme, du moins pour un temps.
33Parmi ceux qui œuvrèrent en faveur de l’unité d’action, on trouve des partisans de la Bataille socialiste, tendance située à la gauche du parti. Elle avait été créée par Jean Zyromski, avec le soutien du vieux guesdiste Bracke-Desrousseaux, à la suite du congrès de Lyon en 1927, afin d’affirmer « une communauté de fins doctrinales » avec les communistes et « une croissance de l’antagonisme de classes », pour refuser la participation à un gouvernement bourgeois43. Aux législatives de 1928, Zyromski réclamait déjà le désistement en faveur des communistes mieux placés, afin d’éviter aux socialistes de devenir « le bouclier » de la bourgeoisie. Parmi les militants de la Bataille socialiste, citons Georges Archidice, Léon Boutbien, Marcel Cartier, Pierre Commin, Gaston Defferre44, Germaine Degrond, Guillaume Detraves, Lucien Draveny, Daniel Mayer, Pierre Métayer, Jean Pierre-Bloch, et Roger Veillard. On trouve également des proches de Marceau Pivert et de la Gauche révolutionnaire, fondée en 1935, tels que Robert Coutant et Germain Guibert45. Dès juillet 1932, ce dernier, alors membre de la Fédération unitaire de l’enseignement, forma à Aurillac un comité de lutte contre la guerre avec des militants communistes. Puis il participa activement à la politique de Rassemblement populaire à Montsalvy, ce qui lui valut l’accusation d’être « un meneur communiste », lancée par La Croix du Cantal46. Il semble naturel de trouver les anciens de la Bataille socialiste et de la Gauche révolutionnaire, lorsqu’on se souvient qu’au lendemain du 6 février 1934, en infraction avec la discipline du Parti, Jean Zyromski et Marceau Pivert, au nom de la fédération de la Seine, signèrent un accord d’unité d’action avec la fédération communiste, le 25 juin 1934.
34Jouèrent également en faveur du Rassemblement ceux qui côtoyaient les communistes dans des associations, soit d’anciens combattants, soit de lutte contre la guerre et le fascisme. Ainsi, Élie Bloncourt, membre de l’Union des aveugles de guerre, qu’il présida de 1927 à 1932, fut un fervent partisan de l’unité d’action dans l’Aisne ; de même que Francis Dassaud, militant de l’ARAC, dans le Puy-de-Dôme. Il avait déjà dirigé, de mars 1921 à 1924, un journal en faveur de l’unité organique, intitulé Cocorico, ce qui lui avait valu d’être qualifié de « militant communiste très actif » par la police, lors d’une arrestation en janvier 193147. Jean Courtois, membre des « Combattants de la paix » dans le Jura, constitua plusieurs comités Amsterdam-Pleyel dans son département à partir de 1934, créa à Damparis un Comité des femmes contre la guerre et le fascisme avec l’épouse du communiste Maurice Didier, et participa au journal commun, créé en décembre 1935, Le Front comtois. De même, Joseph Lasalarié, également membre du Comité Amsterdam-Pleyel et du Secours rouge, participa avec les communistes au Comité antifasciste du canton de Roquevaire et à celui de Marseille (Bouches-du-Rhône). En outre, Lasalarié était membre d’honneur des Amis de l’Union Soviétique (AUS), dirigée par le communiste Fernand Grenier, qui connut un véritable essor dès 1933, et dont étaient également membres Ernest Couteaux, Guy Desson, Jeannil Dumortier, Jean Durroux, Amédé Guy, Jean Pierre-Bloch et André Southon. Amédée Guy, qui présidait la fédération savoyarde des AUS, fit dans ce cadre un voyage avec des collègues médecins en Russie en 1935.
35Enfin, on trouve des membres du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA)48, souvent ligueurs par ailleurs. Paul Rivet, professeur au Muséum d’histoire naturelle, présida l’assemblée constitutive du Comité, le 17 février 1934, à la Mutualité. Avec le philosophe Alain, et le physicien communiste Paul Langevin, il signa le manifeste « Aux travailleurs ! » qui mettait le Comité à la disposition des organisations ouvrières. Grâce à la dynamique du rassemblement, Rivet fut élu conseiller municipal, en 1935, contre le conseiller sortant, Lebecq, président de l’Union nationale des anciens combattants. Et avec Pierre Gérôme, il représenta le CVIA au Comité national du Rassemblement populaire. Jacques Piette était secrétaire administratif du Comité ; Charles Lamarque-Cando était son correspondant dans les Landes ; André Philip, Robert Coutant et Édouard Depreux en furent membres. Par ailleurs, André Philip, qui était vice-président de la Fédération des socialistes chrétiens, favorisa la fusion de celle-ci avec les communistes spiritualistes, laquelle permit le lancement de Terre Nouvelle le 1er mai 193549.
36Même quelques militants, que rien ne semblait prédisposer jusqu’alors à se rapprocher des communistes, soit parce qu’ils les avaient violemment affrontés sur le terrain, soit parce que, proches de Pierre Renaudel, ils étaient à la droite du parti, s’engagèrent néanmoins dans le Rassemblement populaire. Dans les Bouches-du-Rhône, Félix Gouin, qui avait eu jusque-là maille à partir avec Le Rouge-Midi, y fut cependant tout de suite favorable. Raymond Gernez eut plus de difficultés à s’y rallier, car il s’était illustré dans des joutes pittoresques contre son ennemi personnel, Adolphe Glay, le maire communiste d’Avesnes-les-Aubert, sa ville natale, qu’il traitait de « braillard moscoutaire ». En février 1936, il figura néanmoins dans la délégation française au congrès universel de la Paix à Bruxelles. Albert Lamarque, ancien suppléant de Pierre Renaudel au Congrès de Tours, délégué du Var, ne rallia cependant pas le Parti socialiste de France après la rupture de novembre 1933. Il figura, dès sa création le 11 février 1934, au bureau du Comité de vigilance républicaine de La Seyne au côté des communistes, et en juin, signa avec eux un accord d’action commune. De même, Jacques Bozzi, qui n’avait finalement pas suivi Renaudel, représenta la LDH au meeting unitaire de Charleville le 11 février 1934. Et Paul Ramadier, qui lui avait suivi Renaudel et Marcel Déat lors de la scission néo-socialiste, soutint activement le Rassemblement populaire en Aveyron.
37Leur engagement pouvait alors prendre plusieurs formes, politique ou syndicale. Certains animèrent des Comités d’action antifasciste aux côtés des communistes, le plus souvent à l’échelle fédérale, parfois municipale. Ils jouèrent le jeu des désistements et conférèrent une dimension électorale au Front populaire. Un Guillaume Detraves avait même anticipé la démarche en se désistant pour le communiste Gabriel Péri, à Versailles, dès 1932. Lors des législatives de 1936, plusieurs candidats en firent autant, même quand ils n’étaient pas à la gauche du parti. Dans les deux circonscriptions de Valenciennes, par exemple, Pierre Delcourt et Ernest Couteaux, bien que députés sortants, respectèrent la discipline du Front populaire en s’effaçant devant les candidats communistes mieux placés. Certains poursuivirent même cette tactique lors de partielles en 1939 : à Angoulême, Augustin Maurellet préféra le communiste au candidat USR de Marcel Déat, et à Montluçon, André Southon permit la victoire du communiste Jardon. À l’inverse, parmi les élus du Front populaire, une vingtaine acceptèrent le report des voix communistes au second tour50. Marius Moutet, ayant frôlé de peu la défaite à Romans, leur devait manifestement sa victoire. Même Max Lejeune, à l’aile droite du parti, et réputé dans la Somme pour son anticommunisme, s’était rallié au Front populaire, ce qui lui valut d’être élu à Abbeville, à 27 ans.
38Sur le plan syndical, d’autres favorisèrent la réunification de mars 1936. Par exemple, Alix Berthet animait, depuis le début des années trente, des Groupes de Jeunes, qui rassemblaient dans l’Isère des instituteurs confédérés et unitaires. Secrétaire administratif, puis secrétaire général de cette organisation, qui eut une réelle audience dans son département, il était également membre du secrétariat de l’Internationale des travailleurs de l’enseignement, laquelle était affiliée à l’Internationale syndicale rouge. Il milita pour la réunification, et celle-ci réalisée, devint en octobre 1936 le secrétaire départemental du SNI.
39Il n’y a pas lieu de raconter ici les circonstances de l’échec du Front populaire. Mais le soutien sans participation des communistes, leur surenchère sociale, et leur campagne en faveur de l’intervention aux côtés des Républicains espagnols eurent raison des illusions des socialistes. En acceptant la gestion du pouvoir sans y impliquer les communistes, ils s’exposèrent à assumer seuls le poids des déceptions. Cette expérience, nous le verrons, sera déterminante dans leur attitude à l’égard du tripartisme à la Libération. Ces années d’espoir constituèrent donc une expérience mitigée, qui explique les analyses en demi-teinte que l’on trouve chez les membres du corpus après la guerre. Au regard de leurs souvenirs doux-amers, dont Le Front populaire, grande espérance, publié en 1971, de Jules Moch est représentatif, il apparaît que cette expérience de front commun n’engendra aucune nostalgie. Le sentiment qui domina chez eux par la suite fut souvent d’avoir été floués ou, du moins, d’avoir été en butte aux manœuvres communistes. Cet épisode ne résista, en effet, ni au pacte germano-soviétique d’août 1939, ni aux relations ambiguës renouées tant bien que mal sous l’Occupation.
Traîtres ou héros ?
40Entre le pacte germano-soviétique du 23 août 1939, souvent vécu comme la trahison suprême, et l’engagement du PCF tout entier dans la Résistance en juin 1941, les socialistes durent s’adapter à deux nouvelles volte-face. Traîtres en août 1939, les communistes devinrent progressivement des héros sous l’Occupation. À la différence des socialistes, ils n’avaient pas dispersé leurs forces dans les différents mouvements et réseaux de sorte qu’ils les devançaient sur le terrain de la lutte armée, se révélaient mieux organisés, plus efficaces, et donc plus attractifs, en particulier auprès des jeunes réfractaires au STO. Comment les membres du corpus négocièrent-ils ce difficile tournant ?
41Progressivement, le débat sur la guerre enclencha un processus de rupture. Avec le conflit espagnol, l’idée que l’URSS pourrait entraîner la France, par le biais de l’intervention, dans un nouveau conflit mondial, effrita la tolérance envers les communistes. Le parti communiste n’était-il pas le parti du bellicisme ? Et cet éloignement intervenait alors même que les grands procès de Moscou, de 1936-1938, et les critiques du modèle économique sous les plumes d’un Kléber Legay ou d’un André Gide ternissaient le prestige de l’URSS51. Dès juin 1936, le communiste Paul Langevin quitta le bureau du CVIA, remplacé par la pacifiste paul-fauriste Madeleine Paz. À l’inverse, Gaston Bergery, Félicien Challaye et Charles Rappoport quittaient avec éclat la LDH, en dénonçant « le chantage antifasciste » et une direction « aux ordres de Moscou ». Nous avons vu qu’Édouard Depreux, Raymond Gernez, Jean Le Bail et Victor Provo se rallièrent alors à la tendance paul-fauriste, constituée autour du Socialiste depuis septembre 1937, auxquels se joignirent Bernard Chochoy, Félix Gouin, Max Lejeune, Jean-Marie Thomas et Étienne Weill-Raynal autour du Pays socialiste par la Liberté par la Paix en mars 193952. Paul Faure apparaissait alors comme le meilleur rempart contre « les impostures » communistes. « Marqué par les procès de Moscou, et violemment anti-stalinien, j’avais rejoint Paul Faure, beaucoup plus pour cette raison que pour des considérations de politique extérieure », expliquait bien plus tard Édouard Depreux53. Autour de Léon Blum, les Vincent Auriol, Jules Moch, et autres, estimaient au contraire que l’alliance avec les communistes demeurait une nécessité pour lutter contre le fascisme et faire preuve de fermeté face à Hitler. Mais les paul-fauristes jugeaient que les appels à l’unité lancés par le PCF étaient le plus sûr moyen de « plumer la volaille socialiste », expression récurrente qu’Édouard Depreux utilisait encore en mai 194054. Ils accusaient d’ailleurs les communistes de noyauter le parti et d’être responsables de sa division55. En juillet 1939, Depreux dénonçait encore « les entreprises de désorganisation de notre parti si savamment élaborées par les communistes56 ».
42Le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 provoqua de très violentes réactions dans l’opinion publique française, parce qu’il fut généralement interprété comme une trahison précipitant la marche à la guerre. Du même coup, il confortait les anticommunistes dans leur position. Le jour même, Salomon Grumbach, membre de la commission des Affaires étrangères, proposait à la Chambre un texte dénonçant le pacte comme une trahison. Et Paul Faure, qui en tant que secrétaire général approuvait la dissolution du PCF, répondait ainsi à une lettre d’Édouard Depreux en septembre 1939 :
« Je suis tout à fait d’accord avec tes jugements sur le bolchevisme. Tu connais là dessus mon sentiment. Ma stupeur à moi, pour toujours, sera que des socialistes […] aient pu être dupes de ce monde de coquins. Nous avions vu clair depuis le début. Nous ne l’avons pas dit assez violemment57. »
43Le 15 septembre 1939, Le Pays socialiste publiait un photomontage intitulé « Un bout de chemin ensemble » où les dignitaires soviétiques arboraient la croix gammée et les nazis la faucille et le marteau. Néanmoins quelques-uns, plus lucides sur les intentions de Staline, interprétaient le pacte comme une alliance éphémère, fruit de l’adresse des Allemands et des Soviétiques. Pour Louis Gros, il avait été signé « à l’insu des plénipotentiaires Anglais et Français qui se trouvaient à Moscou », car les Allemands, « plus habiles, avaient su tirer parti de la situation et avaient traité rapidement pendant que les autres tergiversaient et perdaient du temps dans des discussions stériles et vaines ». Il jugeait que Staline s’était montré « plus prévoyant et plus habile que beaucoup d’autres chefs d’État » et qu’il avait pris ses précautions58.
44Au groupe parlementaire, une minorité (38 contre 62), parmi lesquels Léon Blum, Vincent Auriol, Jean Pierre-Bloch, Jules Moch, Marius Moutet et André Philip, déjà critiques à l’égard de la dissolution du PCF prononcée en septembre, tentèrent de subordonner la déchéance des élus communistes à une instruction préalable et à une condamnation éventuelle, mais en vain. Le 26 octobre 1939, celle-ci fut adoptée au Parlement par 552 voix contre deux. L’anticommunisme avait gagné toute la SFIO, et l’attitude d’un Lucien Draveny, qui œuvrait en faveur d’une fusion locale entre les sections socialiste et communiste à Châlons-sur-Marne depuis juin 1938, faisait figure d’exception. De fait, il fut exclu dès mars 1939, avant même le pacte, pour ce manquement à la nouvelle ligne du parti59.
45L’anticommunisme des paul-fauristes, associé à leur pacifisme viscéral et au sentiment national, atteignit alors un point culminant, assimilant les communistes français à des agents hitlériens :
« M. Hitler a un redoutable allié. […] Sur un signe du maître, cimentant dans le sang son amitié avec M. Ribbentrop, le parti communiste français a révélé sa véritable nature, celle d’une armée étrangère, campant sur le sol national et mise au service de la propagande hitlérienne », s’écriait Édouard Depreux, le 17 mai 194060.
46Interné à Pellevoisin, un blumiste tel que Vincent Auriol, s’il n’amalgamait pas nazisme et communisme, se montrait tout aussi inquiet. Bien que vigilant depuis Tours, l’ancien ministre du Front populaire s’était toujours montré plus pondéré que les paul-fauristes. Néanmoins en février 1941, il exprimait ses craintes dans son journal :
« À Paris, agitation communiste importante, habilement faite, ainsi que dans les grands milieux ouvriers. Là est le point noir pour demain. La débâcle allemande aura sa dernière heure par Moscou et ne laissera la porte libre qu’aux communistes. […] Si le premier jour, dans la période transitoire, il n’y a pas un gouvernement provisoire, hardi, fort, prompt, le danger est certain. […] Les bolcheviks sont plus redoutables dans l’hypothèse de la victoire anglo-américaine que [les partisans] de Déat, car ceux-ci peuvent avoir un écho dans la politique intérieure mais leur nazisme dégoûte les masses61. »
47Du fond de sa prison, Vincent Auriol ne doutait donc, ni de l’entrée prochaine de l’URSS dans la guerre, ni de la victoire des Alliés, mais redoutait une révolution bolchevique en France. Des années plus tard, le traumatisme de cette collusion entre les communistes et Hitler n’avait toujours pas disparu. L’approbation du pacte germano-soviétique par les dirigeants communistes français « produisit chez moi, comme chez beaucoup de socialistes », témoigne encore Depreux,
« […] un choc dont les conséquences se sont manifestées pendant de longues années, même après la participation héroïque de nombreux communistes à la Résistance […]. Rien à mes yeux ne pouvait justifier l’entente de Staline et de Hitler et vingt-sept après, mon opinion n’a pas changé62. »
48En juin 1941, la stratégie unitaire qui avait dû être abandonnée avant la guerre fut réactualisée par la rupture du pacte. Comme l’a montré Marc Sadoun, le parti clandestin devait se préserver de la concurrence communiste et revaloriser son image révolutionnaire en prenant l’initiative d’un réchauffement. En outre, une partie des militants, plus particulièrement les jeunes et ceux dont les fédérations n’étaient pas encore reconstituées, était traversée par un courant de sympathie envers le communisme63. Mais comme en témoigne Robert Verdier, secrétaire général adjoint, le PCF ne montra aucun empressement pour répondre à leurs avances, espérant un affaiblissement définitif de la SFIO64. En mai 1943, Vincent Auriol, entré dans la clandestinité en Aveyron, mettait ainsi en garde André Philip qui avait rejoint le général de Gaulle à Londres :
« Gros danger que vous apercevez moins là-bas : l’intransigeance et les arrière-pensées des communistes. Ils sont habiles comme toujours. Admirablement organisés. Il faut dire qu’ils sont d’un héroïsme émouvant. Par cela, ils sont forts, rayonnants. Et ils le savent. Dans les régions que j’ai traversées et où j’ai vu nos principaux militants, même impression : ils manœuvrent toutes les organisations, se tiennent à l’écart de nous, et jouent leur jeu. Ils pensent pouvoir le jouer seuls à la Libération65. »
49De sorte que les tentatives de rapprochement, inaugurées par Daniel Mayer à l’été 1942, furent émaillées de ruptures. Et en septembre 1943, un tract intitulé « Procédés inadmissibles », qui émanait du secrétariat à la propagande, accusait les communistes « d’avoir faussé toute l’action ouvrière française par le fait de subordination totale, non à une Internationale, mais à une politique extérieure d’un seul pays, la Russie, dirigée par un seul homme, Staline ». Il reconnaissait également que « la fusion normale, loyale, des deux partis en un seul grand parti socialiste français » réaliserait enfin « l’unité politique de la classe ouvrière ». Mais cette unité ne serait possible que si, au préalable, les socialistes reconstituaient « un parti fort, discipliné66 ».
50Malgré ses réticences initiales, le PCF accepta de participer au CNR, puisqu’il ne pouvait s’annexer la Résistance au moyen du Front national. Il se voyait ainsi reconnaître une pleine légitimité et effaçait les séquelles du pacte germano-soviétique67. Les socialistes en étaient conscients, et réalisaient qu’en comparaison du formidable élan que les communistes avaient trouvé dans la lutte, eux-mêmes souffraient d’un déficit d’image. En outre, les communistes les prenaient de vitesse dans les CDL. Alors qu’au printemps 1944, le CFLN les avait définis comme de simples organes consultatifs auprès des préfets après la Libération, le PCF cherchait à couvrir le territoire d’un réseau serré et à leur attribuer d’ores et déjà les pouvoirs les plus étendus possibles. En phase avec le pouvoir gaulliste, les socialistes membres de CDL entreprirent de bloquer le mouvement de masse, à l’image de leurs ministres, Robert Lacoste, qui condamna les initiatives sociales des préfets ou commissaires de la République communistes en septembre, et Adrien Tixier, qui dissout les milices patriotiques en octobre. En dépit de l’échec stratégique du PCF, les socialistes eurent néanmoins le sentiment d’avoir évité de peu l’insurrection nationale et étaient mûrs pour développer un complexe d’infériorité qui les fragiliserait.
Du partenaire à l’adversaire
51À la Libération, les sentiments des socialistes à l’égard des communistes, hantés par vingt-cinq années de confrontations, étaient donc très partagés, à l’image des débats sur la réunification lors du congrès de novembre 1944. Les parlementaires de la IVe République furent, de ce point de vue, représentatifs : leurs attitudes pouvaient aller de l’adhésion à l’unité organique, à la franche hostilité, en passant par la tentative loyale de tous ceux qui acceptèrent un temps de jouer le jeu. Lorsqu’en janvier 1946, le général de Gaulle, excédé par le contrôle de l’Assemblée et hostile eu projet constitutionnel en cours d’élaboration, quitta la présidence du GPRF, le PCF et la SFIO détenaient la majorité absolue. Ils auraient donc pu former à eux deux le gouvernement, mais les socialistes, forts de leur expérience passée, refusèrent ce tête-à-tête avec le premier parti de France qui risquait de tourner à leurs désavantages. En faisant appel au MRP, le gouvernement Félix Gouin inaugura par conséquent une formule tripartite, qui associait le PCF à la reconstruction et évitait la guerre civile redoutée par certains. Mais en 1947, dans un contexte de guerre froide, la rupture du tripartisme fut consommée. Quel rôle jouèrent dans ce processus les parlementaires en exercice ou à venir ? Se contentèrent-ils d’être la caisse de résonance de la direction, ou bien manifestèrent-ils leur différence ?
Le miroir aux alouettes de l’unité organique
52Dès le 10 septembre 1944, Daniel Mayer avait renouvelé l’offre d’unité faite dans la lutte clandestine. Et le Congrès national extraordinaire des 9-12 novembre 1944 avait adopté le texte rapporté par Jules Moch en précisant :
« L’unité des travailleurs a existé dans le monde entier à une époque moins tragique et où l’on ne percevait pas aussi clairement les possibilités, l’imminence et la nécessité d’une transformation sociale. Elle a été brisée sur des divergences et pour des raisons qui, sérieuses à l’époque, se sont progressivement atténuées et ont, aujourd’hui, pratiquement cessé d’exister. »
53Mais dix jours après, devant les interrogations que cette démarche soulevait à la base, le comité directeur envoyait une circulaire aux fédérations pour bien préciser qu’un comité d’entente était prévu seulement sur le plan national et qu’il ne s’agissait, ni de créer de comités au plan local, ni de constituer des listes uniques aux prochaines municipales. Comme l’expliqua bien après Robert Verdier, les socialistes entendaient tirer les leçons du passé, particulièrement des années 1934 et 1935, où les communistes avaient manœuvré pour noyauter le « front unique » à la base68.
54Ce furent des membres du corpus qui constituèrent la petite délégation socialiste au comité d’entente avec les communistes, créé le 4 décembre 1944 : Vincent Auriol, Salomon Grumbach, Gérard Jaquet, Augustin Laurent, André Le Troquer, Daniel Mayer, Jules Moch et Robert Verdier, auxquels s’ajoutèrent comme suppléants Gaston Defferre et Édouard Depreux69. Selon l’expression de Gérard Jaquet, « un cas de conscience » se posait alors aux membres du comité directeur, comme le révèlent leurs débats du 21 décembre 194470. Comment éviter de perdre « une partie de la masse laborieuse », ces classes moyennes prolétarisées et attirées par le PCF, s’interrogeaient Marcel-Edmond Naegelen, André Philip et André Le Troquer. Si Augustin Laurent se déclarait « d’accord pour assainir l’atmosphère en vue de l’unité d’action », il n’était toujours pas partisan de l’unité organique, contrairement à Jules Moch qui la croyait nécessaire. Il appartenait, selon lui, aux socialistes de faire le maximum d’efforts, et si la rupture devait avoir lieu, il fallait que ce fût sur des questions claires de doctrine. Mais dans les mois qui suivirent, le climat de cordialité espéré fut loin de s’instaurer.
55Au comité directeur de janvier 1945, Augustin Laurent se plaignit des campagnes calomnieuses qui lui rappelaient celles dont fut victime Roger Salengro ; et Vincent Auriol, Henri Ribière et Gaston Defferre exprimèrent leurs craintes face à la tentative de débordement que constituaient sans doute les États généraux de la Renaissance française. Les municipales d’avril-mai 1945 fournirent maintes occasions d’accrochages. Les communistes réclamaient au comité d’entente la constitution de listes d’union, alors que les socialistes s’en tenaient à la résolution du congrès de novembre 1944. Les listes d’Union patriotique, républicaine et antifasciste (UPRA) des communistes furent dénoncées comme une manœuvre déloyale par Augustin Laurent au comité directeur71. De nombreuses et violentes polémiques éclatèrent sur le terrain, comme en attestent les correspondances fédérales avec le secrétariat général72. Puis le 12 juin 1945, un « projet de charte d’unité de la classe ouvrière de France » fut publié dans L’Humanité, sans discussion préalable, contrairement aux accords passés. Il était en outre inacceptable sur le fond par les socialistes, puisque, selon lui, le futur parti unifié devait « défendre et propager le matérialisme dialectique de Marx et Engels, enrichi par Lénine et Staline ».
56Au comité directeur du 14 juin, Vincent Auriol affirma que les communistes n’avaient pas changé, préconisant, par conséquent, la plus grande prudence. Rappelant le Front populaire, il jugea qu’il était « impossible de continuer à négocier dans de telles conditions73 ». Lors de son congrès de juin 1945, le PCF adopta « sept propositions concrètes en vue de hâter la réalisation de l’unité de la classe ouvrière en France » prévoyant, entre autres, l’unité de candidature et la fusion des sections socialiste et communiste. « Bref, il s’agissait de mener l’affaire rondement et, pour commencer, de revenir à cette “fusion à la base” que les socialistes avaient toujours refusée », analyse Robert Verdier74. Six semaines à peine après son retour, du 5 juillet au 7 août, Léon Blum mena dans dix-huit articles du Populaire une campagne d’explication d’où il ressortait que, si l’unité d’action était possible et souhaitable, les conditions de l’unité organique ne seraient pas réunies tant que les communistes combineraient le nationalisme français au nationalisme soviétique.
57Néanmoins, au congrès d’août 1945, et encore à celui de mars 1946, certains plaidaient encore en faveur de l’unité organique, tels qu’Élie Bloncourt et Jean Pierre-Bloch (Aisne), Paul Rivet (Seine) ou Pierre Métayer (Seine-et-Oise), tous d’anciens fervents artisans du Rassemblement populaire. Les motivations des partisans de l’unité pouvaient être simplement électorales, comme aux municipales de mai 1945, lorsque Jean Minjoz fut élu maire de Besançon sur une liste commune, ou aux cantonales de septembre, quand Robert Gourdon se désista en faveur d’un communiste à Vauvert dans le Gard, et que Jean Péridier fut élu sur une liste commune à Montpellier. Mais elles pouvaient aussi avoir un fondement idéologique. Jean Capdeville, qui souhaitait que le parti et son journal Le Populaire renouent avec un marxisme orthodoxe75, adopta une position très unitaire dans la fédération de la Seine-Inférieure dont il était le secrétaire. L’attachement à une laïcité de combat pouvait être un autre levier. Secrétaire fédéral du Tarn, Maurice Deixonne constitua un comité d’entente avec les communistes dans son département. Condamné en février 1946 par la commission nationale des conflits, il protestait contre l’alliance avec le MRP au sein d’un gouvernement tripartiste au conseil national de juin suivant. Il y déclarait que rien d’anticommuniste ne devait émaner du parti, préconisait de « combattre le communisme par sa gauche » et concluait : « Pour ma part, je me sens capable de toutes les indisciplines, si on en vient jamais à nous proposer un gouvernement avec le MRP d’où les communistes seraient exclus76. »
58À l’inverse, on retrouve parmi les opposants à l’unité d’anciens paul-fauristes comme Raymond Gernez ou Jean Le Bail, et des dirigeants du parti clandestin confrontés à la rivalité communiste, tels qu’André Le Troquer, Eugène Thomas ou Augustin Laurent. Gernez, député du Nord, devait d’ailleurs publier, au début de 1946, L’Unité est-elle possible77 ? Dans sa préface, son ami Eugène Thomas donnait le ton de leur croisade :
« Depuis deux ans, on a assisté, sur ce problème du commencement de la dernière guerre, à la plus ahurissante tentative de dénaturation de la vérité. […] Notre peuple se reprendra. Il manifestera à nouveau son esprit critique, sa soif de lumière et de vérité. Il dira aux déformateurs systématiques du vrai : Assez ! »
59Retrouvant les accents et les méthodes du Pays socialiste de Paul Faure, Gernez opposait « Eux » à « Nous ». Il montrait d’abord que le PCF avait toujours joué contre l’unité de la classe ouvrière ; puis il démontrait que les communistes avaient toujours été « au service de la Russie » en dénonçant leur duplicité jusqu’en juin 1941 ; et en reprenant les termes de Paul Faure, il les accusait de « farce et imposture78 ». Pour finir, il leur reprochait de saboter toutes les tentatives socialistes pour réaliser l’unité depuis 1943. Le congrès d’août 1945 adopta le texte rapporté par Jules Moch, qui renouvelait la volonté du parti de voir se réaliser l’unité de la classe ouvrière, mais qui constatait que les conditions nécessaires n’étaient pas remplies. En conséquence, il décidait de repousser le projet de charte communiste du 12 juin et les propositions du congrès du PCF, et se limitait à souhaiter une unité d’action pour les prochaines élections cantonales puis législatives.
60Ce renoncement progressif de la SFIO à l’unité trouva un sourd écho dans les campagnes électorales (cf. annexe 8). Aux lendemains des municipales d’avril et mai 1945 et des cantonales de septembre, qui avaient fait monter la tension, les élections d’octobre montrent que les candidats socialistes n’avaient pas encore renoué avec l’anticommunisme de combat et conservaient un silence prudent. Seuls 8,8 % d’entre eux évoquaient le communisme, soit pour tenter un rapprochement idéologique, soit pour s’en démarquer voire critiquer le PCF ou l’URSS, mais presque à mots couverts : le ton n’était pas encore à la rupture. Car tous les espoirs de réaliser l’unité n’étaient pas morts. À Belfort, Paul Rassinier affirmait : « Nous avons sur le plan de la doctrine des raisons impérieuses d’union qui doivent l’emporter sur les divergences de second plan », et il rejetait toute la responsabilité de la mésentente sur les communistes qui, dans le territoire, avaient constitué une liste d’Union républicaine et résistante antifasciste avec les radicaux, menée par Pierre Dreyfus-Schmidt. Et il concluait qu’un jour, le PCF serait « bon gré, mal gré » obligé de réaliser l’unité avec les socialistes. Mais, alors que le comité d’entente était toujours en activité79, très peu de candidats prirent le risque de s’engager, même implicitement, en faveur d’un rapprochement avec les communistes. Il est ainsi très signifiant que presque aucun d’entre eux ne mentionnât l’épisode du Rassemblement populaire, dans ses professions de foi d’octobre 1945, puis de juin 1946, alors qu’ils y avaient, pour la plupart, participé activement.
61Le comité d’entente avait pourtant organisé une commémoration commune du 12 février 1934, avec la SFIO, le PCF, la CGT, le MLN et la LDH, qui avait donné lieu à une manifestation très suivie le 12 février 1945. De plus, après un trop long sommeil de la vie démocratique et dans le contexte d’un profond renouvellement des candidatures, les notices biographiques étaient plus détaillées que par la suite. On aurait donc pu s’attendre à ce que le Rassemblement populaire ne fût pas passé sous silence. Or lorsque ce n’était pas le cas, les candidats soulignaient la dimension antifasciste, mais gommaient complètement l’unité d’action avec les communistes. Germaine Degrond, par exemple, répéta dans toutes ses professions de foi, d’octobre 1945 à janvier 1956, qu’elle avait été membre d’un comité antifasciste, mais sans aucune allusion à ses partenaires80. En fait, cette référence permettait dans certains cas de compenser un passé résistant jugé insuffisant, grâce à un habile glissement sémantique. Maurice Deixonne ne pouvait se targuer d’aucun engagement actif, même si son attitude sous l’occupation n’encourait aucun reproche, lui qui avait été révoqué de son poste d’enseignant par Vichy en décembre 1940. Aussi, dans sa notice biographique de juin 1946, est-il présenté en ces termes :
« Prenant dès cette époque la tête de la résistance au fascisme montant, organise après le coup d’État du 6 février 1934, le Comité Antifasciste du Cantal, dont il est nommé secrétaire. Blessé par les fascistes et les gardes-mobiles, ainsi que sa courageuse compagne, il est déplacé d’office à Gap par le précurseur de Pétain, le triste Doumergue81. »
62Mais à ces quelques exceptions près, l’ellipse l’emportait. Élie Bloncourt et Jean Pierre-Bloch, tous deux favorables à un rapprochement avec le PCF, se contentèrent de rappeler qu’ils avaient été élus députés en 1936. Même Camille Lhuissier, candidat sur l’unique liste socialo-communiste d’octobre 1945, ne fit aucune allusion aux actions communes, tant sur le plan politique que sur le plan syndical, menées dans l’entre-deux-guerres. Cette omission montre bien que les membres du corpus restaient prudents à l’égard d’une éventuelle réconciliation. Dans tous les cas, à la Libération, même chez ceux qui plaçaient encore leurs espoirs dans le comité d’entente, le Rassemblement populaire ne pouvait constituer un précédent suffisant à un rapprochement avec les communistes.
63Il était même nécessaire de définir le socialisme en contrepoint du communisme. Le secrétaire fédéral de Seine-et-Marne, Roger Veillard, avait milité en faveur de l’unité organique au dernier congrès national. Avec son colistier René Arbeltier, il reprit la distinction de Léon Blum, énoncée à Belleville en 1926, pour réaffirmer que le but final du socialisme français restait la socialisation des moyens de production et d’échange, la suppression du profit capitaliste et la disparition des classes, mais qu’il se gardait encore de confondre l’exercice du pouvoir dans le cadre de la société capitaliste avec la conquête révolutionnaire du pouvoir. Dans le Rhône, André Philip et Étienne Gagnaire proposaient un portrait plus complet, où se dessine en creux celui d’un Parti communiste, révolutionnaire, antidémocratique, soumis à une puissance étrangère et, par là même, soviétique avant d’être internationaliste :
« Le Parti Socialiste est :
- Révolutionnaire par son programme de transformation économique.
- Démocrate par son attachement aux libertés individuelles.
- Patriote par son souci de penser et agir français.
- Internationaliste par son désir de coordonner l’action universelle des travailleurs. »
64Les socialistes, en effet, entendaient battre le communisme sur le terrain de l’internationalisme, et s’inquiétaient de la politique extérieure soviétique en retrouvant des accents pacifiques. Dans la Nièvre, Marcel Dagain plaidait pour un organisme international en faveur de la Paix. Et dans les Ardennes, Jacques Bozzi, Andrée Viénot et Guy Desson refusaient la division du monde en deux blocs : « Nous ne voulons être, ni la tête de pont de l’Amérique contre la Russie, ni le bastion avancé de la Russie contre l’Amérique. » Le plus explicite était René Schmitt, à la tête d’une liste commune avec l’UDSR, qui ajoutait en post-scriptum : « Au moment de mettre cette circulaire sous presse, nous apprenons que la Russie soviétique, par son intransigeance, a éliminé la France du règlement des affaires balkaniques. Nous sommes pour la sécurité collective ! La Russie est pour la foire d’empoigne ! » Schmitt avait déjà refusé l’unité d’action dans les années 1934 à 1936, et sa virulence tranchait par conséquent sur l’attentisme général d’octobre 1945. Mais elle amorçait une montée de l’anticommunisme qui allait se confirmer aux législatives suivantes.
La rupture du tripartisme
65En septembre 1946, le nouveau secrétaire général Guy Mollet mettait fin à l’aventure du comité d’entente. Alors qu’une nouvelle ligne, plus orthodoxe, avait été adoptée au congrès d’août 1946, tout espoir d’unité était abandonné. Mais la SFIO ne souhaitait pas pour autant assumer le fardeau du pouvoir sans les communistes. Jusqu’à la rupture de 1947, sa position fut donc extrêmement ambiguë, et il convient de s’interroger sur la position des parlementaires au cours de cette période transitoire.
66Lors de la campagne de juin 1946, Jacques Fauvet intitula l’un de ses articles : « l’anticommunisme des socialistes », utilisant un terme disparu depuis longtemps82. En fait, 45,6 % des candidats critiquaient désormais, plus ou moins explicitement, les communistes, et on n’en trouve plus un seul pour tenter un rapprochement idéologique (cf. annexe 8). La remontée de cet « anticommunisme » en huit mois était donc brutale. Le reproche le plus récurrent, chez la moitié d’entre eux, était bel et bien d’être « à la solde de Moscou ». Par exemple dans le 2e secteur de la Seine, Daniel Mayer et Gérard Ouradou, responsable cégétiste des cheminots, demandait au PCF de « prouver que son patriotisme n’était pas à éclipse ». Une douzaine les accusèrent de duplicité, arguant pour preuve leur alliance contre nature avec le MRP pour faire échouer le projet constitutionnel.
67Seuls quelques-uns anticipèrent sur un argumentaire de Guerre froide en assimilant le PCF à un parti totalitaire ou à la dictature. Par exemple, dans la Meuse, Georges Fizaine refusait de voir « imposer un régime totalitaire » aux Français, sans plus de précision. Le secrétaire fédéral de la Haute-Vienne, Jean Le Bail, ne s’était jamais départi de sa ligne anticommuniste. Avec André Foussat, Charles Leclerc et Georges Lamousse, il mit en garde ses électeurs contre le PCF qui « installera la dictature et qui apportera dans la politique française les mots d’ordre de Moscou ». Sans surprise, on trouve également deux anciens repentis qui s’étaient déjà illustrés dans le combat anticommuniste à Belfort. De sorte que René Naegelen et Paul Rassinier se montrèrent plus violents que les autres.
« Si vous voulez Thorez, votez Thorez, et outre une Constitution à base de totalitarisme, vous aurez un Gouvernement dont les méthodes de politique intérieure et extérieure seront calquées sur celles de la Russie des Soviets, lesquelles aussi efficientes qu’elles soient là-bas, ne conviennent pas au tempérament français ! », déclaraient-ils.
68Ainsi, certains n’hésitaient plus à adopter un discours de rupture, mais demeuraient encore minoritaires en juin 1946. Pour des raisons tactiques et parce qu’il se définissait comme un parti ouvrier et laïque, le parti socialiste ne voulait toujours pas rester en tête-à-tête avec le MRP et prendre la responsabilité de rompre le tripartisme.
69Pour Jean-Jacques Becker, « le sommet de l’ambiguïté » fut atteint avec le 38e congrès d’août 194683. Officiellement, la victoire de Guy Mollet sur Daniel Mayer et le socialisme humaniste de Léon Blum fut remportée au nom de la pureté doctrinale marxiste et de l’orientation à gauche du parti. Or le congrès évinça du comité directeur les trois sortants les plus favorables à un rapprochement avec le PCF – Élie Bloncourt, Paul Rivet et Andrée Marty-Capgras – et mit fin au comité d’entente. Pendant le congrès, les propos de certains délégués donnèrent le ton. André Philip, alors ministre de l’Économie et des Finances, expliqua que, pour les communistes, les nationalisations n’avaient d’autre but que de « réaliser la domination de leur parti sur la structure même de l’État ». Et Eugène Thomas, l’un des dirigeants de la fédération du Nord, déclara :
« Le Parti communiste est essentiellement antidémocratique. S’il arrivait au pouvoir, ce serait la fin de la liberté : les socialistes connaîtraient le même sort que les socialistes russes de 191784. »
70Aussi, lors des échéances électorales de novembre et décembre 1946, la proportion de professions de foi anticommunistes se maintint à deux sur cinq. Les arguments se diversifièrent, de nouveaux griefs venant s’ajouter aux vieilles antiennes. Certains faisaient encore porter aux communistes la responsabilité de la rupture. « Il n’y a plus qu’un parti ouvrier dans le territoire de Belfort », clamaient René Naegelen et Paul Rassinier et « ce parti est le Parti socialiste au sein duquel se réalisera dorénavant l’unité d’action et l’unité organique de la classe ouvrière contre tous les bourgeois ». En Dordogne, Robert Lacoste et André Pradeau reprenaient le jeu du portrait en miroir, mais pour souligner désormais explicitement les différences :
« Le PS partage avec le PC ce même idéal d’affranchissement des travailleurs. Mais il se distingue de ce parti sur des points trop importants pour qu’on les oublie. Les socialistes ne veulent pas que la justice sociale se réalise en dehors de la démocratie et de la Liberté. Son attachement à la France ne souffre aucune éclipse. »
71Au point qu’Adrien Rophé, dans le Calvados, considérait que « ceux qui dénigrent le Socialisme ou le confondent avec le Communisme russe sont de simples calomniateurs ». Mais la plupart reprochaient aussi à la « collusion immorale » ou « contre nature » du MRP et du PCF d’avoir fait adopter une loi électorale « scélérate » pour les législatives85. L’influence grandissante des communistes à la CGT était maintenant dénoncée. Dans le Puy-de-Dôme, Adrien Mabrut et Francis Dassaud rappelèrent que le PS défendrait toutes les revendications des travailleurs « en collaboration loyale avec leurs organismes syndicaux qu’il veut libres, indépendants, dégagés de toute emprise quelle qu’elle soit ».
72Pour la première fois aussi, des candidats se préoccupèrent de la récupération de la Résistance par « le parti des 75 000 fusillés ». Ancien membre de Libération Nord, du réseau Buckmaster et du CDL de la Haute-Marne, Raoul Laurent mettait les choses au point : « Le PS, fier de son action résistante, a toujours déclaré qu’aucun groupement politique n’avait le monopole de la libération du territoire. Il se refuse à utiliser, par une démagogie de mauvais aloi, ses victimes de la barbarie nazie. » De sorte que le pacte germano-soviétique, « qui seul permit la guerre et la défaite », réapparut, par exemple chez Adrien Mabrut et Francis Dassaud. Dans sa préface à une brochure de Raymond Gernez contre l’unité, le député du Nord, Eugène Thomas déclarait que ce pacte avait été « un crime contre la paix et contre notre pays86 ». Après 1947, le pacte redevint un topos pour dénoncer « l’inféodation du PCF à Moscou ».
73Enfin, les législatives de novembre et les sénatoriales de décembre 1946 constituèrent un tournant, dans la mesure où un nombre croissant de candidats n’hésitèrent plus à assimiler le communisme à « la dictature » et le PCF à un parti « inféodé à Moscou ». Par exemple, le candidat au Conseil de la République de la Haute-Vienne, Gaston Charlet, mettait ses électeurs en garde : « s’abstenir, c’est faire fi de nos libertés, c’est faire le jeu des extrêmes. S’abstenir c’est préparer les dictatures », amorçant un parallèle avec le gaullisme qui, en réaction à la montée en puissance du RPF et à ses succès aux municipales de 1947, allait devenir récurrent. Cette remontée de l’anticommunisme, réelle chez une partie des candidats bien que minoritaire, n’était pas assumée par le parti. Son conseil national de novembre 1946 posa comme principe que les socialistes ne participeraient pas au pouvoir sans les communistes. Cette ambiguïté trouva une nouvelle expression à l’Assemblée nationale en décembre, lorsque le PCF, arrivé en tête aux législatives, demanda la présidence du conseil pour Maurice Thorez.
74Le 4 décembre 1946, Maurice Thorez devait obtenir 310 voix, majorité constitutionnelle qu’il avait peu de chances d’atteindre puisque, réunis, les communistes et les socialistes ne totalisaient que 284 députés. Peut-être parce que le risque était ainsi minime, au dernier moment, le comité directeur et le groupe parlementaire décidèrent que les socialistes voteraient en sa faveur. Or sur les 99 députés socialistes, vingt ne suivirent pas la consigne en ne votant pas pour lui87. Par leur nombre, ces indisciplines contrastent avec l’investiture du MRP Georges Bidault le lendemain, où un seul député socialiste s’abstint volontairement, au lieu de déposer un bulletin blanc comme tous ses camarades88. Le 4 décembre, Charles Lamarque-Cando et Jean Le Bail choisirent le président de leur propre groupe, André Le Troquer, qui ne se présentait pas et qui, en président discipliné, accorda sa voix à Thorez. Or lors de sa campagne dans le 3e secteur de la Seine en mai, Le Troquer, ministre de l’Intérieur, avait qualifié le départ du dirigeant communiste en URSS pendant la guerre de « désertion », provoquant des échanges peu amènes. Le secrétaire fédéral des Landes, Lamarque-Cando s’était déjà plaint à plusieurs reprises, en congrès et lors des conférences des secrétaires fédéraux, de l’attitude des communistes au sein du CDL qu’il présidait. Quant au secrétaire fédéral de la Haute-Vienne, Le Bail, il avait mené une dure campagne anticommuniste dès les municipales d’avril 1945, en s’opposant à Guingouin à Limoges.
75Quatre autres déposèrent un bulletin blanc : le maire de Mont-de-Marsan et colistier de Lamarque-Cando, Marcel David ; André Philip, qui avait déjà critiqué l’attitude de ses collègues ministres communistes soupçonnés de préférer l’intérêt du parti à celui de la nation ; Francis Leenhardt, ancien président du CDL des Bouches-du-Rhônes et secrétaire général de l’UDSR, qui participait à la guérilla perpétuelle avec les communistes marseillais depuis que les socialistes avaient récusé le commissaire de la République Raymond Aubrac en janvier 1945 ; et le socialo-gaulliste Georges Gorse, « combattu à boulets rouges » par les communistes en Vendée89. Quatorze autres, enfin, préférèrent ne pas prendre part au vote et ne se firent pas excuser. Si les six députés d’outre-mer n’en avaient peut-être pas eu la possibilité90, les autres avaient de réelles motivations. Gaston Charlet était un compagnon de Le Bail en Haute-Vienne ; Gaston Defferre, maire de Marseille, nourrissaient à l’égard des communistes les mêmes griefs que Leenhardt ; Édouard Depreux et Édouard Froment, tous deux marqués par la reconstruction des années vingt, étaient réputés pour leur anticommunisme ; Germain Rincent, après avoir joué le jeu du Rassemblement populaire, avait condamné avec une rare sévérité le pacte germano-soviétique dans L’Aube ouvrière ; Raymond Guesdon était un ancien UDSR, récemment entré au parti ; Fernand Mazuez, enfin, avait maille à partir avec les paul-fauristes en Saône-et-Loire et ne pouvait être battu sur leur terrain de prédilection, l’anticommunisme91.
76Georges Gorse, André Philip, et Édouard Depreux offrirent leur démission à leur fédération pour prix de leur indiscipline, qui les refusèrent, mais Philip reçut un blâme de celle du Rhône, qui se situait résolument à gauche. Quant à ceux qui votèrent pour Maurice Thorez, certains n’en pensaient pas moins. Antoine Mazier, député et secrétaire fédéral des Côtes-du-Nord, par exemple, justifia son vote par : « J’ai d’abord voté par discipline. » L’affaiblissement du parti socialiste était inévitablement une tentation pour ses voisins : les communistes comptant sur le découragement des socialistes les conviaient bruyamment à l’unité immédiate, les autres, spéculant sur la crainte que le succès communiste suscitait en certains milieux, les invitaient à créer un parti travailliste anticommuniste. À cela, le parti devait répondre en affichant son unité92. Pris entre le PCF et le MRP, ils tentaient donc de maintenir un juste équilibre, mais ne se faisaient guère d’illusions sur un rapprochement fructueux avec les communistes. Leur vote du 4 décembre 1946 avait été de pure tactique. Cette inconfortable position allait d’ailleurs perdurer au-delà du tripartisme.
77Dans ce contexte, la crise du mois de mai 1947 fut difficile à résoudre93. Jean-Jacques Becker a montré qu’il ne s’agissait pas d’une crise « anticommuniste » à proprement parler, mais bien d’une crise ministérielle, suivie d’un remaniement, où l’anticommunisme joua un rôle secondaire94. Paul Ramadier avait été investi président du conseil le 21 janvier et Maurice Thorez était vice-président de son gouvernement. Refusant que le patriotisme des communistes fût remis en cause, Ramadier avait attribué la Défense nationale à François Billoux. Lorsque la question des salaires, posée par la grève des usines Renault, rompit la solidarité gouvernementale, le comité directeur et lui-même firent tout leur possible pour éviter la rupture.
78Mais le 4 mai, les députés communistes entrèrent dans l’opposition en refusant la confiance au gouvernement. Les socialistes furent alors partagés entre la volonté de ne plus participer au pouvoir si les communistes n’y étaient pas associés, afin de ne pas devenir l’aile gauche d’une majorité qui glisserait à droite, et celle de poursuivre sans eux. Deux heures plus tard, au comité directeur, douze membres votèrent pour la démission collective du gouvernement, parmi lesquels Guy Mollet, Jacques Arrès-Lapoque, Léon Boutbien et Pierre Commin, alors que neuf s’y opposèrent, dont Jean Courtois, Salomon Grumbach, Lamine-Gueye, Daniel Mayer et André Philip. Dans une réunion commune avec le groupe parlementaire, le désaccord entre les deux instances éclata puisque, par 69 voix contre 9, les parlementaires optèrent pour le remaniement95. Sénateur de la Sarthe, Max Boyer dira plus tard : « Les communistes voulaient faire un coup d’État, traitant Ramadier comme Kerenski96. » Finalement, après douze heures de débats, le conseil national du 6 mai autorisa le maintien du gouvernement Ramadier remanié97. Le désarroi et l’hésitation des militants expliquent le partage fréquent des mandats d’une même fédération, le poids décisif de personnalités comme Guy Mollet dans le Pas-de-Calais ou Vincent Auriol en Haute-Garonne, et la prime accordée aux priorités locales. Par exemple, Hippolyte Masson et Antoine Mazier, respectivement secrétaires fédéraux du Finistère et des Côtes-du-Nord, ne pouvaient accepter de cohabiter avec « les cléricaux » du MRP et votèrent pour la démission collective. Mis en minorité, Guy Mollet craignait que la collaboration des socialistes avec des « partis bourgeois » ne facilitât désormais la surenchère communiste en milieu ouvrier.
79De fait, les municipales d’octobre 1947 élargirent le fossé, amorçant parfois au second tour la construction d’une Troisième Force sur le terrain98. Lors de son congrès national d’août 1947, le parti avait pourtant décidé d’aller aux prochaines élections avec des listes homogènes, en précisant que cette tactique était « obligatoire pour toutes les fédérations99 ». Et dans ses Instructions générales concernant les élections municipales de septembre 1947, Guy Mollet avait précisé que « partout, au second tour, pour faire échec à la réaction, toute coalition était autorisée100 ». En fait au second tour, plusieurs membres du corpus participèrent bel et bien à des coalitions contre les communistes, qui perdirent ainsi plusieurs mairies. Dans le Pas-de-Calais, par exemple, Just Évrard et Camille Delabre refusèrent, au nom de leur fédération, « l’alliance de discipline républicaine » proposée par les communistes, à la grande colère de ceux-ci101. À Concarneau, Eugène Reeb était élu conseiller municipal sur une liste d’union menée par le socialiste Charles Linement qui ravit la municipalité aux communistes. À Limoges, Gaston Charlet figurait sur la liste de Léon Betoulle et mena avec Jean Le Bail une violente et victorieuse campagne anticommuniste102. Clovis Constant à Nantes, et Étienne Gagnaire à Villeurbanne, firent partie des nouvelles équipes dirigeantes. À Alès, Paul Béchard leur arracha une commune qu’ils détenaient depuis un quart de siècle. Et si l’on en croit les tracts que nous avons pu retrouver, l’expression « contre toutes les dictatures », qu’utilisa le secrétaire général lui-même à Arras, amorçait de manière implicite un amalgame entre le gaullisme et le communisme qui se diffuserait largement par la suite103.
80Néanmoins, Gilles Morin a montré que la direction du parti ne souhaitait pas pour autant précipiter la rupture104. Certes en septembre, la résolution finale de la conférence de Pologne sur la création du Kominform avait choqué les socialistes. Mais lorsqu’entre les deux tours des municipales, le 22 octobre, le comité directeur envisagea pour la première fois une alliance avec d’autres forces politiques sous le terme de « Troisième Force », celle-ci était clairement dirigée contre « le césarisme » du RPF. À l’exception de Jean Courtois, ancien responsable départemental CGT du Jura, en effet, tous les participants voulaient contacter le PCF dans un deuxième temps.
81Il y eut donc un décalage entre la direction qui, à l’image de Léon Blum, essayait de maintenir une position modérée, et de nombreux parlementaires, en exercice ou à venir, prêts à combattre le communisme. En fait, ils étaient en phase avec une opinion publique qui, à l’automne 1947, considérait cette lutte « comme du domaine de la survie nationale », selon l’expression de Jean-Jacques Becker105. Ils étaient donc mûrs pour adhérer à la mouture anticommuniste de la Troisième Force, énoncée par Guy Mollet dans son discours du 30 octobre 1947.
82Depuis la scission de Tours en décembre 1920, la SFIO était devenue anticommuniste de fait, puisqu’elle s’était refusée à rallier la IIIe Internationale. Contrainte de reconstruire « la vieille maison », elle dut, dans un réflexe vital, se forger une doctrine anticommuniste dénonçant un système autoritaire, la soumission du PCF à une puissance étrangère, et des valeurs non-françaises inassimilables. Les trois quarts des parlementaires socialistes de la IVe République en furent donc plus ou moins imprégnés dans l’entre-deux-guerres. La répulsion culmina avec le pacte germano-soviétique d’août 1939, comble de la trahison, qui justifia l’interdiction du PCF à laquelle s’associèrent les députés socialistes. Mais la participation communiste à la Résistance et le rôle de l’URSS dans la lutte contre l’Allemagne nazie ranimèrent l’espoir de mettre fin à une lutte fratricide et contre nature par une unité organique, de sorte que 1944 fut « l’année zéro de l’anticommunisme », selon l’expression de Jean-Jacques Becker106.
83Néanmoins, l’échec du comité d’entente en septembre 1946, où la SFIO manqua de peu faire un marché de dupes, et sa marginalisation progressive au sein de la CGT, réveillèrent un sentiment de rejet qui n’était qu’assoupi107. En 1948, la scission syndicale, la nouvelle grève des mineurs, sans compter la répression en Tchécoslovaquie, permirent aux socialistes de prendre la tête d’une coalition anticommuniste qui, de la droite jusqu’à la SFIO, rassemblait les trois quarts des forces politiques françaises. Les parlementaires, à quelques exceptions près, étaient à l’unisson du reste du parti et anticipèrent mieux que les autres une rupture qui allait durer jusqu’en 1972. Ni la mort de Staline en 1953, ni le XXe Congrès du Parti communiste soviétique, ni même la crise de mai 1958 ne purent permettre un rapprochement comme en 1934-1936. La dimension affective et épidermique de l’anticommunisme, dont on ne peut faire abstraction, perdura parfois fort longtemps, et certains des parlementaires purent abandonner le parti de toute leur vie à cause du programme commun de 1972. Dans le même temps, la concurrence du frère ennemi pesait sur l’identité des socialistes puisque, pour contrer sa surenchère révolutionnaire, ils devaient se garder de toute compromission avec la bourgeoisie. Cette relation en miroir engendra ce long « remords du pouvoir » d’une SFIO qui, paralysée par la crainte de trahir la classe ouvrière, assumait mal son rôle de parti de gouvernement rallié à la démocratie pluraliste108.
Notes de bas de page
1 Robert Verdier, PS/PC. Une lutte pour l’entente, Éditions Seghers, 1976, et Roger Quilliot, La SFIO et l’exercice du pouvoir 1944-1958, Fayard, 1972.
2 Joseph Paul-Boncour, Entre-deux-guerres. Souvenirs sur la IIIe République, Plon, 1945, t. 1, p. 50.
3 Sophie Coeuré, La grande lueur à l’Est. Les Français et l’Union soviétique 1917-1939, Le Seuil, 1999, p. 26-27.
4 René Naegelen, Cette vie que j’aime, t. 2 : Les blessures, Hachette, 1965, p. 18.
5 Joseph Paul-Boncour, op. cit., t. 1, p. 52.
6 Les autres voyages en URSS repérés eurent lieu entre 1934 et 1936, à un moment où le philosoviétisme favorisait les délégations officielles.
7 Sophie Cœuré, op. cit.
8 Christian Rakovski était un marxiste, étudiant en médecine puis en droit, d’origine roumaine.
9 Sophie Cœuré, op. cit., p. 42.
10 Tony Judt, La reconstruction du Parti socialiste (1921-1926), Presses de la FNSP, 1976.
11 René Naegelen, Cette vie que j’aime, t. 1, Colbert, 1963, p. 248.
12 Ibidem, p. 249.
13 Jean Charles et alii, Le Congrès de Tours, Éditions ouvrières, 1980, p. 82.
14 René Naegelen, op. cit., t. 2, p. 19.
15 René Naegelen, op. cit., t. 1, p. 248.
16 René Naegelen, op. cit., t. 2, p. 34-35.
17 Cité par Nadine Fresco, Fabrication d’un antisémite, Le Seuil, 1999, p. 177.
18 René Naegelen, op. cit., t. 1, p. 251.
19 Profession de foi électorale de juin 1946, Archives de l’Assemblée nationale, Territoire de Belfort.
20 Conférence des secrétaires fédéraux des 25 au 27 octobre 1945, Archives du PS-SFIO, p. 52.
21 Profession de foi électorale de juin 1946, Archives de l’Assemblée nationale, Maine-et-Loire.
22 Paul Faure, Le bolchevisme en France, farce et imposture, La Librairie populaire, 1921.
23 De fait, l’Ille-et-Vilaine fut l’une des fédérations dont les effectifs augmentèrent de 1921 à 1923. Cf. Tony Judt, op. cit., Annexe VII.
24 Rapport du 21 octobre 1945, dossier Aubry, F7/4419. Réélu en juin 1951, bien que sa santé lui interdît de faire campagne, il mourut prématurément, en cours de mandat, à 59 ans.
25 Témoignage d’Augustin Laurent à Bernard Vanneste, Augustin Laurent ou toute une vie pour le socialisme, Lille, Les éditions du Beffrois, 1983, p. 36.
26 Il fut l’artisan d’une troisième reconstruction, lorsqu’en 1959 Tanguy-Prigent rejoignit le PSA, à 84 ans !
27 Sophie Cœuré, op. cit., chapitre VI.
28 Jules Moch, Rencontres avec… Léon Blum, Plon, 1970, p. 17.
29 Édouard Depreux, Souvenirs d’un militant, de la social-démocratie au socialisme, un demi-siècle de luttes, Fayard, 1972, p. 33.
30 Réponse à Jean-Paul Sartre, dans L’Avenir de la banlieue, n° 508, novembre 1956.
31 Jules Moch, op. cit., p. 21 et Une si longue vie, Robert Laffont, 1976, p. 51.
32 Jules Moch, La Russie des Soviets, L’Île de France, 1925.
33 Témoignage d’Albert Denvers, cité dans Thierry Leleu et Patrick Oddone, Albert Denvers. Politique passion, Dunkerque, Éditions Jean Bart, 1991, p. 16-17.
34 Cité dans Claude Juin, Liberté… Justice… Le combat de Daniel Mayer, Éditions Anthropos, 1982, p. 9.
35 Ibidem, p. 23.
36 Ibid., p. 183.
37 Cf. Marc Lazar, « Communisme et religion », p. 139-173 et Yolène Dilas-Rocherieux, « De l’utopie au communisme et du communisme à l’utopie », p. 129-137 dans Hommage à Annie Kriegel. Rigueur et passion, Cerf-L’Âge d’Homme, 1994.
38 Jean Pierre-Bloch, Jusqu’au dernier jour. Mémoires, A. Michel, 1983, p. 51.
39 Entretiens avec Jean Pierre-Bloch du 2 mars 1996, et avec Léon Boutbien du 9 juin 1996.
40 Jules Moch, Une si longue vie, op. cit., p. 101-102, et Le Front populaire, grande espérance, Perrin, 1971, p. 50-53.
41 Pierre-Olivier Lapie, Édouard Herriot, Fayard, 1967, p. 233.
42 Édouard Depreux, op. cit., p. 84.
43 Frank Georgi, « Au carrefour des gauches de la SFIO : la première “Bataille socialiste” (1927-1935) », RHMC, XXXVIII, janvier-mars 1991, p. 141-153.
44 Gaston Defferre épousa en 1935 une militante communiste, Andrée Aboulker.
45 Jean-Paul Joubert, Révolutionnaires de la SFIO, Presses de la FNSP, 1977.
46 Rapport des RG, dossier Guibert, AN, F7/11491.
47 Compte rendu d’arrestation de janvier 1931, dossier Dassaud, AN, F7/4202.
48 Il fut créé en avril 1934 par Pierre Gérôme, André Delmas, le secrétaire général du SNI, et Georges Lapierre.
49 Cf. Terre nouvelle, 1er mai 1935, BDIC, et Agnès Rochefort-Turquin, Front populaire. Socialistes parce que chrétiens, Cerf, 1986.
50 Voir la liste nominative dans la thèse originale.
51 Sur ce déclin du philosoviétisme, voir Sophie Cœuré, op. cit., p. 285-290.
52 Cf. chap. I, p. 22-32.
53 Lettre d’Édouard Depreux à Daniel Mayer du 25 janvier 1969, AN, 456/AP/4.
54 Troisixe, Le Pays socialiste, 20 mai 1940.
55 Édouard Depreux, « Socialisme et bolchevisme », Le Socialiste, n° 33, 1er février 1939.
56 Rubrique « Eux et nous » [les blumistes et les paul-fauristes], Le Pays socialiste, 7 juillet 1939.
57 Lettre de Paul Faure à Édouard Depreux du 28 septembre 1939, AN, 456/AP/4.
58 Louis Gros, République toujours, Avignon, Édouard Aubanel éditeur, 1945, p. 36 et 18.
59 Il appartenait à la Bataille socialiste au milieu des années trente. Peu de temps après son exclusion, il fut non seulement réintégré, mais élu secrétaire fédéral, et reconstitua la fédération dans la clandestinité.
60 Troisixe, Le Pays socialiste, 17 mai 1940.
61 Vincent Auriol, Journal manuscrit, 2 février 1941, AN, 552/AP/30, 3AU1 DR1.
62 Édouard Depreux, op. cit., p. 127.
63 Marc Sadoun, Les socialistes sous l’Occupation, Presses de la FNSP, 1982, p. 194-202.
64 Robert Verdier, op. cit., p. 123.
65 Lettre de Vincent Auriol à André Philip du 17 mai 1943, AN, 552/AP/30, 3AU3 DR3.
66 Tract de septembre 1943, destiné aux secrétaires départementaux, AN, 72AJ/3 XII. Tout le courrier échangé entre les deux directions se caractérise par un ton extrêmement polémique, parfois proche de l’anathème.
67 Voir Philippe Buton, Les lendemains qui déchantent. Le Parti communiste français à la Libération, Presses de la FNSP, 1993, p. 24-27.
68 Robert Verdier, op. cit., p. 132.
69 Jean Vigreux, « Le comité d’entente socialo-communiste », dans Serge Berstein (dir.), Le parti socialiste entre Résistance et République, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 181-192.
70 Comité directeur, 21 décembre 1944, Archives du PS-SFIO, OURS.
71 Comité directeur, 2 mai 1945, Archives du PS-SFIO, OURS.
72 Des extraits ont été publiés dans Cahier et revue de l’OURS, n° 170, juillet-août 1986, p. 24-25.
73 Comité directeur, 14 juin 1945, Archives du PS-SFIO, OURS.
74 Robert Verdier, op. cit., p. 139-140.
75 Congrès national extraordinaire du 29 au 31 mars 1946, Archives du PS-SFIO, OURS.
76 Conseil national du 9 juin 1946, Archives du PS-SFIO, OURS
77 Raymond Gernez, L’Unité est-elle possible ?, à compte d’auteur, 1946.
78 Paul Faure, Le bolchevisme, farce et imposture, Librairie du Populaire, 1921.
79 Le comité directeur mit fin à l’aventure le 3 septembre 1946.
80 De « membre du Comité central antifasciste » en 1945 et 1946, elle siégea au « comité antifasciste de la région parisienne » en 1951 et 1956. Cf. professions de foi de la Seine-et-Oise, secteur Nord.
81 Souligné dans le texte, profession de foi du Tarn en juin 1946.
82 Jacques Fauvet, Le Monde, 24 mai 1946.
83 Jean-Jacques Becker, « L’anticommunisme de la SFIO », dans Serge Berstein (dir.), op. cit., p. 197.
84 Le Populaire, 1er au 2 septembre 1946.
85 Cf. profession de foi d’Édouard Froment dans l’Ardèche. La loi interdisait le panachage et se limitait au vote préférentiel.
86 Préface à Raymond Gernez, op. cit.
87 Annales de l’Assemblée nationale. Annexe au procès verbal de la séance du 4 décembre 1946.
88 Jean Binot, député de Seine-Inférieure, protestant, fervent militant laïc et peu disposé à voter pour un MRP.
89 Georges Gorse, Je n’irai pas à mon enterrement, Plon, 1992, p. 143.
90 Il s’agit de Sourou Apithy (Dahomey), Maurice Rabier (Oran), Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Fily Dabo Sissoko (Soudan), Paul Valentino (Guadeloupe) et Emmanuel Véry (Martinique).
91 Le PSD Julien Satonnet devait d’ailleurs être élu quatre jours plus tard conseiller de la République.
92 Le Combat social, 14 décembre 1946.
93 Roger Quilliot, La SFIO et l’exercice du pouvoir (1944-1958), Fayard, 1972, p. 214-227.
94 Jean-Jacques Becker, Le parti communiste veut-il prendre le pouvoir ? La stratégie du PCF de 1930 à nos jours, Le Seuil, 1981.
95 Archives du groupe parlementaire SFIO, OURS, 4 mai 1947.
96 Entretien accordé à M. Rozier, La Vie mancelle, n° 223, septembre 1983.
97 Contre l’avis du comité directeur et à une courte majorité par 2 529 mandats contre 2 125.
98 Éric Duhamel, « Troisième Force », dans Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire de la vie politique française au xxe siècle, PUF, 1995.
99 39e Congrès national, 14, 15, 16 et 17 août 1947 à Lyon. Rapports, Librairie du Parti, 1947, p. 11.
100 Guy Mollet, Instructions générales concernant les élections municipales, 18 septembre 1947, BNF.
101 Cf. tract communiste de Calais, Élections municipales du 19 octobre 1947, BNF.
102 Cf. tracts communistes de la Haute-Vienne, Élections municipales du 19 octobre 1947, BNF.
103 La collection la plus complète de tracts pour les municipales d’octobre 1947 est celle du dépôt légal de la BNF, tous partis confondus. Or le PCF et le RPF y sont nettement sur-représentés, peut-être parce qu’ils étaient censés être les plus dangereux.
104 Gilles Morin, « La Troisième Force », Historiens-géographes, n° 361, mars-avril 1998, p. 361-371.
105 Jean-Jacques Becker, « L’anticommunisme de la SFIO », dans Serge Berstein (dir.), op. cit., p. 202.
106 Ibidem, p. 193.
107 Voir Jean Vigreux, « Le comité d’entente socialo-communiste » et Michel Dreyfus, « Les raisons de la défaite des confédérés dans la CGT à la Libération », ibidem, p. 181-192 et p. 223-238.
108 Voir Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, Le long remords du pouvoir, Fayard, 1992.
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