Chapitre IV. « Comment sont-ils devenus socialistes ? »
p. 117-156
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Texte intégral
1Après la Libération, pour résister à la force d’attraction communiste, la SFIO entretint l’illusion d’un « grand parti de la classe ouvrière ». Par la force du discours, ses représentants au Parlement participèrent à ce processus de légitimation en revendiquant des origines populaires qui les auraient conduits, nécessairement, au socialisme. Ce déterminisme de classe dissolvait l’adhésion de l’individu dans une force collective qui gommait toute singularité et passait sous silence toute motivation intime. Aujourd’hui, politistes, sociologues, et historiens ne se contentent plus de déterminations aussi simples1. La séduction de l’idéologie, en l’occurrence le socialisme de Jules Guesde et de Jean Jaurès, peut-elle suffire à expliquer que des hommes et des femmes aient délaissé leurs préoccupations quotidiennes pour défendre une cause qui leur semblait juste ? Dans ses Souvenirs d’un militant, Édouard Depreux se réclamait de Comment ils sont devenus socialistes2 de Louis Lévy pour s’interroger sur l’itinéraire intellectuel qui menait au socialisme. Parmi les voies possibles, il citait pêle-mêle : la révolte, l’aspiration à plus de justice sociale, le souci de tirer de l’idée républicaine toutes ses conséquences, la haine de la guerre, l’internationalisme3… L’individu, conscient de sa responsabilité dans la marche de l’Histoire et révolté, chercherait une réponse aux dysfonctionnements de la société et l’aurait trouvée au gré de ses lectures et de ses rencontres. S’interroger sur le rôle du milieu d’origine, de l’École et de la formation spirituelle donne, par conséquent, des pistes, mais peut-il réduire la part de libre arbitre de l’individu ? Et quelles furent les organisations les plus attractives pour ces apprentis militants ?
Les ressorts de la socialisation politique et militante
2En 1931, le journaliste Louis Lévy lança, dans Le Populaire, une enquête auprès des grandes figures socialistes du temps pour leur demander comment ils étaient devenus socialistes. Se succédèrent ainsi Léon Blum, Bracke-Desrousseaux… et deux de nos parlementaires, Vincent Auriol et Joseph Paul-Boncour. Plusieurs fois réédité, Comment ils sont devenus socialistes faisait partie du bagage culturel du militant de base, comme les Figures de jadis de Léon Osmin4. Or ils participèrent pour longtemps à la construction identitaire de la SFIO, en fixant un certain nombre de passages obligés tels que le milieu populaire et républicain, un précoce sentiment d’injustice social, l’école laïque avec le « maître » qui éveille les consciences… Par conséquent, lorsqu’on s’interroge sur l’entrée en politique, il est nécessaire de distinguer les données objectives – sur le milieu familial et les années de formation – des représentations déterministes que les parlementaires proposèrent a posteriori. Confrontée au frère ennemi communiste, la SFIO souffrait d’un complexe d’infériorité, car celui-ci pouvait se prévaloir d’un taux record d’ouvriers, de surcroît à des postes stratégiques. Bernard Pudal a montré comment le PCF réussit à s’opposer aux logiques d’élimination qui frappaient habituellement les milieux populaires afin de préserver son identité ouvrière5. Lorsque Maurice Thorez publia son autobiographie, Fils du peuple, en 1937, il associait, dans cette filiation affichée, la promotion du « peuple » et de son « représentant » en une formule générique qui fit fortune. La socialisation politique supposée de ses cadres devenait pour le parti socialiste un enjeu symbolique.
3Or les parlementaires socialistes étaient le produit des transformations socioéconomiques de l’entre-deux-guerres, du développement de la petite et moyenne fonction publique qui investit de plus en plus la SFIO, et enfin des voies de la promotion scolaire et de l’élitisme républicain. Sur quels modes affichèrent-ils un déterminisme de classe ? Et quelle réalité sociale celui-ci recouvrait-il ? Il conviendra également de s’interroger sur le degré de politisation de leur milieu d’origine et de tenter d’établir une corrélation avec l’âge au premier engagement. Mais au-delà des déterminations collectives, qu’en était-il des motivations intimes, liées à l’âge, au sexe, à l’éducation, ou à la religion ?
Afficher un déterminisme de classe
4Le déterminisme du milieu familial et social était très souvent revendiqué, conformément à un marxisme primaire, souvent réduit au matérialisme historique et à la lutte des classes par le guesdisme. Cette pratique était particulièrement fréquente chez ceux qui appartenaient à des bastions dits « ouvriers », comme les bassins miniers, où le discours sur les origines relevait du passage obligé. La classe ouvrière, auto-représentée par des militants nés en son sein, demeurait le référent stable auquel la SFIO voulait s’identifier. Or les parlementaires en étaient-ils encore issus ? Le cas échéant, comment pouvaient-ils quand même valoriser leurs origines familiales et sociales ?
5La notice biographique de Robert Coutant, rédigée pour le Bulletin intérieur, affichait cette équation qui se voulait générique : « De vieille souche socialiste – son grand-père, Jules Coutant, ouvrier tourneur, fut de 1893 à 1913, député-maire d’Ivry sur Seine6. » Ce dessinateur industriel, titulaire du baccalauréat, se présentait dans le Nord. Cette démarche de légitimation de la part du parti était teintée d’ouvriérisme, mais au niveau individuel, le milieu familial et social joua certainement un rôle qu’il ne faudrait pas négliger dans la construction identitaire du futur parlementaire. Dans leurs mémoires, la reconstitution de leur milieu mélange plusieurs ingrédients : la ville ou le village natals, qui finissent par devenir eux-mêmes des personnages à part entière, les ascendants, plus ou moins engagés politiquement, et les conditions de travail des ouvriers qu’ils découvrirent souvent dès l’adolescence.
6Ainsi André Canivez, né en 1887, était fils et petit-fils de mineurs de fond. Son grand-père, André Lolo, animait la brasserie coopérative et fut le premier conseiller municipal ouvrier au début du siècle. « D’abord et pendant longtemps à la mairie, siégèrent la réaction et l’Église. Puis les républicains s’y installèrent. La victoire ayant changé de camp, après ce furent les ouvriers qui l’occupèrent. Ainsi va la vie… et peut-être le progrès et la justice », raconte-t-il7. Escaudain, qu’il décrit sur près d’un siècle, devient sous sa plume la preuve tangible d’une histoire qui a un sens et qui progresse vers le socialisme. La geste familiale contribue à forger l’identité socialiste. À quinze ans, en 1930, Léon Boutbien fonda la section des JS de Bondy. Interrogé sur cet engagement précoce, il souligne que sa famille bretonne était républicaine et nationaliste – elle compta plusieurs militaires. Elle était « ru », c’est-à-dire « rouge », et il conclut : « Ça marque tout un destin8 ! » Un déterminisme de classe est donc à chaque fois affiché. Outre leurs origines, certains firent l’expérience du monde ouvrier en travaillant. Victor Provo naquit dans le quartier populaire du Laboureur, à Wattrelos, en 1903. Il était le fils d’un ouvrier peigneur, guesdiste et anticlérical. Muni de son certificat d’études, il entra à l’Institut Turgot, une école technique, mais la guerre l’obligea à interrompre ses études. Embauché à des travaux de reconstruction, il devint à 16 ans trieur de laines, chez le grand patron Alfred Motte, à Roubaix. Il adhéra alors très vite au Syndicat du textile, puis en 1921 à la SFIO de Jean Lebas, par le biais des JS. Dans ses professions de foi sous la IVe République, il se déclarait encore « trieur de laine » alors qu’il était devenu secrétaire de mairie dès 1931, pour contribuer à l’ouvriérisme du parti, mais peut-être aussi parce que cette expérience avait été fondatrice de son engagement premier.
7Par ailleurs, chez les parlementaires issus de la petite et moyenne paysannerie, il n’est pas rare de trouver l’attachement à la terre érigé en valeur héritée. Le catalan Arthur Conte revendique ainsi avec force son ascendance paysanne : « Il y a un autre élément fondamental qui entre dans ma composition : je ne suis pas né dans la noblesse, ni même dans le tiers état. Je suis le fils d’un ouvrier viticole. Je viens du fond du peuple », écrit-il. Son père, qui n’avait pas le certificat d’études, fut conseiller municipal de leur petit village, Salses. Et son grand-père, « qui travaillait lui-même ses 5 ha où il obtenait quelque 200 hl de vin rouge et 20 hectos de grenache », y avait fondé la coopérative de vinification de la région9. Conte, qui quitta la SFIO et devint député gaulliste en 1967, et qui fut nommé directeur général de l’ORTF sous Georges Pompidou, veut ainsi certifier l’authenticité de ses origines populaires. Georges Guille cite comme point de « départ » de son « cheminement » vers le socialisme, un père vigneron, qui cultivait seul ses quelques arpents de vigne, une mère couturière de village et un grand-père ouvrier carrier10. Par conséquent, la convocation du milieu social et familial pour accréditer l’appartenance au peuple, ou à la classe ouvrière, participe à la fois à la construction identitaire du parlementaire et à la légitimation de la SFIO.
8Or quels étaient les milieux d’origines des parlementaires SFIO de la IVe République ? Différaient-ils sensiblement de ceux des députés élus en 1936, étudiés par Alfred Wahl11 ? Bien que nous n’ayons pu certifier la profession de tous les chefs de famille, nous disposons d’un corpus représentatif de 219 personnes (cf. annexe 4).
9Si l’on regroupe les artisans et petits commerçants, les cadres moyens, les instituteurs et les employés, comme le fait Daniel Gaxie dans sa synthèse sur l’ensemble du personnel parlementaire12, les classes moyennes représentent 45 % de leurs origines sociales, et progressent par rapport à 1936 où elles ne pesaient que 32 %, poursuivant l’augmentation amorcée à l’occasion du Front populaire. Trente-huit, soit 17 %, étaient de souche paysanne, avec des ascendants agriculteurs ou viticulteurs, le plus souvent sur de petites ou de moyennes exploitations. Là encore, ce milieu confirme une progression amorcée en 1936, où il atteignait 16 %. Un nombre comparable, trente-six, soit 16 %, avaient des ascendants ouvriers. Ce milieu, qui représentait 34 % des élus de 1924, et plus que 27 % de ceux de 1936, continue de baisser sensiblement. On est donc loin de l’image orthodoxe d’un groupe parlementaire issu de « la classe ouvrière », telle que le parti pouvait la souhaiter pour des raisons de propagande. Peu étaient des enfants de prolétaires au sens strict du terme, car la plupart provenaient des petites classes moyennes. Moins d’un quart du corpus, 22 %, était par conséquent issu de familles d’industriels et d’entrepreneurs, de membres des professions libérales, de cadres supérieurs, de hauts fonctionnaires ou d’ingénieurs, ou encore de professeurs, c’est-à-dire des classes supérieures.
10De sorte que plus des trois quarts des parlementaires (78 %) restaient attachés aux couches modestes de la population française. Néanmoins, comme ils n’étaient pas tous issus de la classe ouvrière, ils préféraient insister sur leurs origines « populaires ». Ce glissement sémantique permettait de masquer ce qui était vécu comme une carence face aux parlementaires communistes, car 40,2 % de ces derniers appartenaient au milieu ouvrier13. En fait, par leurs origines sociales, les parlementaires SFIO de la IVe République poursuivaient l’évolution amorcée par leurs collègues du Front populaire, qui constitua bel et bien une rupture, de ce point de vue, plus importante que celle de la guerre. De plus, ils s’étaient élevés au-dessus de leur milieu, empruntant souvent les voies républicaines de la promotion sociale au service de l’État (cf. annexe 5). Seule la proportion des industriels et entrepreneurs, avec 2 % chez les parents et les enfants, reste stable d’une génération à l’autre. Celle des cadres supérieurs, hauts fonctionnaires et ingénieurs, baisse légèrement de 10 % à 6 %. La catégorie des employés est divisée de moitié, celle des paysans et celle des commerçants et artisans par 2,5. La baisse la plus sensible est celle des ouvriers, qui en passant de 16 % à 2 %, est divisée par huit. Les instituteurs enregistrent un gain de 4 % seulement, l’enseignement primaire étant déjà un moyen de promotion quelque peu dépassé au profit du secondaire et parfois du supérieur. En revanche, la part des professeurs, censeurs et proviseurs est multipliée par 6 en passant de 3 % à 19 %, et celle des professions libérales triple, de 7 % à 21 %. Le cas des journalistes est particulier, puisqu’aucun des ascendants n’exerçait cette profession, et qu’ils représentent 8 % du groupe sous la IVe République ; on sait que sous ce vocable ou celui de publicistes, se cachaient souvent des permanents du parti.
11Par conséquent, avant même d’être propulsés au devant de la scène politique nationale, ces futurs parlementaires avaient vu leur niveau d’études, leurs revenus et leur position sociale s’élever, dans des proportions plus ou moins grandes, mais parfois spectaculaires. Il est certain que la plupart, au moins les trois quarts, n’étaient en rien des héritiers et ne devaient leur ascension professionnelle qu’à leur seul mérite. De cette expérience, découla sans doute un très fort attachement aux vertus de l’élitisme républicain et à l’intervention de l’État pour compenser les inégalités de la naissance, presque un sentiment de dette, comme celui qu’ils ressentaient tous à l’égard de leurs parents. Et la comparaison du milieu de leur enfance avec celui qu’ils avaient pu intégrer les rendait sans doute plus sensibles aux difficultés matérielles et morales auxquels d’autres demeuraient confrontés.
12Les reconstitutions a posteriori de leurs motivations montrent le rôle des émotions et représentations dans le cheminement qui les conduisit à devenir socialistes. Ces dernières peuvent même dicter la voie à suivre, dans la mesure où trahir son milieu revient à se trahir soi-même. Ainsi, Robert Verdier cite son grand-père mineur cévenol, et ses ancêtres petits paysans pour expliquer son engagement résistant en un saisissant raccourci : « L’Été 40, moi je n’ai pas hésité ; mais je n’ai aucun mérite personnel, car c’est mon milieu [qui m’y a poussé]14. »
Milieu d’origine et précocité politique
13Dans le discours type sur les origines, le déterminisme de classe se devait d’avoir pour corollaire la précocité de l’engagement, exprimée par des formules telles que « socialiste depuis toujours ». Il n’est pas certain que celle-ci, conçue comme la preuve de la force et de l’évidence de la doctrine socialiste, et censée garantir la loyauté du militant, ait été générale chez les parlementaires. Néanmoins, qu’est-ce qui avait pu accélérer le passage à l’acte chez certains jeunes gens ?
14Si l’on considère la répartition par âge des membres du corpus lors de leur premier engagement, politique ou syndical, on constate que la grande majorité d’entre eux, 42 %, le firent entre 20 et 29 ans. Il ne s’agit donc pas d’un engagement aussi précoce qu’au PCF, et il confirme le vieillissement de la base dès les années vingt15. Mais certains, sur le front ou prisonniers, durent retarder leur adhésion à la fin de la Grande Guerre. Viennent ensuite ceux dont l’adhésion se fit avant 19 ans, avec un taux non négligeable de 25 %. De sorte que plus des deux tiers s’engagèrent dans un parti politique ou dans un syndicat avant d’avoir 30 ans. Or cette répartition par âge ne semble en rien déterminée par le milieu socioprofessionnel dont ils étaient issus, et un fils d’ouvrier ne s’engagea pas nécessairement plus tôt que celui d’un professeur, contrairement au déterminisme de classe si fortement affiché. En revanche, pour la plupart, cette précocité coïncide avec une initiation à des valeurs et principes, socialistes ou philosophiquement proches, par la famille ou l’entourage. Ce viatique était plus ou moins riche, mais comportait au minimum une adhésion à la République, une dimension morale où le travail, parfois la terre et l’école, étaient érigés en repères fondamentaux, et une condamnation plus ou moins explicite du régime capitaliste, générateur d’injustices sociales.
15Nous n’avons pu repérer des élus chez les ascendants que pour une trentaine de membres du corpus, soit 10 % seulement, mais les sources sont très parcellaires sur ce point. Ils avaient servi la République en participant à la vie politique locale, exceptionnellement nationale, le plus souvent sous étiquette radicale, radical-socialiste, voire SFIO. Petits élus ruraux, leur étiquette n’avait d’ailleurs peut-être pas un contenu plus précis. Mais lorsque les ascendants ou l’entourage étaient déjà engagés dans le mouvement ouvrier, la moyenne d’âge du premier engagement de leurs descendants a tendance à baisser. Ainsi, Arthur Notebart naquit dans une famille ouvrière, en 1914, à Lomme. Son grand-père était membre du POF de Guesde et son père de la SFIO. À 13 ans, Arthur entra aux Pupilles socialistes et, à 17, aux JS. Et Irma Rapuzzi était née à Cadolive, dans le bassin minier près de Marseille, d’un père mineur de fond et anarcho-syndicaliste. Toute sa famille travaillant à la mine, elle y échappa en devenant institutrice et adhéra à la SFIO en 1931 à 21 ans. L’engagement politique ou syndical à gauche des parents favorisa donc un éveil à la politique plus précoce chez leurs descendants, et surtout orienta plus rapidement leur choix vers la SFIO. Max Boyer en conclut même : « Je n’ai donc pas eu de mérite à être socialiste. » Son père, directeur d’une petite entreprise du Mans, « un bourgeois », était socialiste et « la guerre l’avait rendu encore plus socialiste ». Il finançait les campagnes d’Olivier Heuzé, le directeur de La République sociale de l’Ouest et maire du Mans dans les années vingt16.
16Néanmoins, s’ils marchèrent sur les traces de leurs pères, ils firent un bond dans l’échelle sociale en entrant au Parlement. La preuve en est donnée a contrario par le très petit nombre d’héritiers, quatre au total, qui firent leur apprentissage idéologique et militant en famille, et qui prirent, à plus ou moins long terme, la succession de leur père au Parlement17 : Jean Bouhey en Côte-d’Or, Robert Mauger en Loir-et-Cher, Charles Leclerc en Haute-Vienne et Paul Mistral dans l’Isère.
Rompre avec son milieu
17Il serait toutefois inexact de penser que tous les parlementaires aient été mis sur la voie par leur milieu. Rappelons que 22 % étaient issus de familles appartenant à des classes aisées et fort éloignées, matériellement et culturellement, des réalités quotidiennes des catégories les plus modestes. Par conséquent, certains durent rompre avec leur famille, ou du moins s’en démarquer. Or il faut replacer dans leur contexte des initiatives telles que l’adhésion au socialisme qui, pour la bourgeoisie de la Belle Époque puis des Années folles, pouvaient provoquer de « véritables scandales18 ». Ne pouvant se réclamer d’un milieu populaire, certains surent mettre en avant le fossé qu’ils avaient dû franchir pour accéder par eux-mêmes à une conscience socialiste, alors que d’autres préférèrent le taire. L’identité socialiste se construit alors à partir d’une stratégie de rupture, voire de rébellion, supposée volontaire de la part de l’individu, seul face aux contraintes de son milieu. Mais ces trajets présentés comme atypiques, tels des laboratoires miniatures, permettent en fait d’aller au-delà et d’observer des motivations plus originales, parce que plus personnelles, de l’adhésion au socialisme.
18Sans vouloir réduire l’explication au seul facteur générique, la part des femmes dans ce type de parcours ne peut être négligée. Leur émancipation avait déjà été considérée comme jumelle de celle des prolétaires par Charles Fourier et les saint-simoniens, et l’on connaît leur rôle en 1848. Madeleine Lagrange pense avoir connu cet état d’esprit dans son adolescence : « Cette idée d’avoir une vie différente et de souhaiter qu’elle change aussi pour d’autres, de vouloir son propre bonheur en même temps qu’un monde plus juste, est très confuse19. » Irène Laure et Gilberte Brossolette revendiquent aussi leur esprit d’indépendance et un féminisme avant la lettre. Irène Laure présente son engagement comme un acte d’opposition à son milieu, à l’âge contestataire de l’adolescence. Née en 1898, elle était la fille d’un ingénieur qui construisait des barrages et des téléphériques, et elle reçut une éducation catholique. L’adolescente, rebelle, dérobait alors nourriture et vêtements à sa famille pour les donner aux ouvriers de son père. Au début de la guerre, à 16 ans, elle adhéra aux JS puis, ayant obtenu son diplôme d’infirmière, devint bénévole sur le front. Le conflit achevé, elle épousa Victor Laure, qui avait également rompu avec sa famille d’armateurs, en adhérant au parti socialiste en 1905. En guise de voyage de noces, ils allèrent au congrès de Tours, où ils étaient tous deux délégués20.
19Sans être elle-même une révoltée, Gilberte Brossolette est un autre exemple d’émancipation féminine et dresse, au passage, un beau portrait de femme en la personne de sa mère. Née en 1905, Gilberte Bruhel était la fille d’un cadre de la Banque d’Algérie et d’une jeune fille issue d’une grande famille de propriétaires viticoles de Blaye. Son père rejoignit à la fin de sa vie les Croix-de-Feu. Mais comme il travaillait en Tunisie, elle fut surtout élevée par sa mère. Gilberte l’adorait et évoque cette jeune fille, née en 1878, « révoltée de nature », dreyfusarde dans une famille qui ne l’était pas, et qui lisait en cachette des ouvrages qu’elle se procurait par l’intermédiaire de sa femme de chambre. Après son mariage, passionnée par la révolution russe, elle lut des textes de Trotski, « à la grande indignation de ses amies bien pensantes ». Néanmoins, elle ne dépassa pas le stade d’une stimulante curiosité. C’est Pierre Brossolette, que Gilberte rencontra à la Sorbonne en 1923, puis son beau-père, instituteur radical clémenciste et franc-maçon, qui firent son éducation politique21. Andrée Viénot, enfin, fut peut-être celle qui parcourut le plus long chemin, même si elle n’en a jamais rien dit. Née en 1901, elle était la fille d’un industriel luxembourgeois, Émile Mayrisch, qui fonda l’un des principaux consortiums métallurgiques européens, l’ARBED22, et l’Entente internationale de l’acier en 1926, l’un de ceux que les socialistes traitaient de « marchand de canons ». Sa mère, Aline de Saint-Hubert, amie de Walter Rathenau, fondatrice de la Croix-Rouge, recevait les milieux littéraires européens dans son château de Colpach. Élevée dans cette haute bourgeoisie intellectuelle, d’une manière très libre pour une jeune fille de l’époque, ce furent ses études et ses rencontres qui la conduisirent au socialisme. À Londres, où elle obtint une licence d’économie politique en 1923, elle adhéra au Cercle d’études socialistes, à 22 ans. Puis elle rencontra Pierre Viénot à une décade de Pontigny. Alors que son mari était élu député républicain socialiste des Ardennes en 1932, elle adhéra à la SFIO, en rejoignant la tendance Révolution constructive. On note que le mariage avec un militant fut une étape décisive dans le parcours de ces trois jeunes femmes, qui exprimèrent ainsi leur altérité. Mais celui d’Andrée Viénot souligne le rôle d’une éducation libérale et ouverte sur l’extérieur.
20Gaston Defferre est un exemple de ces descendants de la bonne bourgeoisie, libérés des contingences matérielles, qui firent des études supérieures et qui eurent la possibilité de voyager et de faire des rencontres en dehors de leur milieu. Pierre Causse, son grand-père maternel était un propriétaire terrien huguenot qui possédait un bel hôtel particulier à Nîmes. Sa mère épousa Paul Defferre, avoué et descendant d’une famille de robins d’Alès. Élevé par ses grands-parents et sa mère, il mena la vie facile et mondaine d’un jeune homme de bonne famille, pratiquant l’équitation et l’escrime – ce qui lui permettait de provoquer ses adversaires politiques en duel. Après des études de droit à Aix, et plusieurs stages dans le cabinet de son père à Dakar, il s’inscrivit au barreau de Marseille en 1931. Lecteur du Populaire, admirateur de Léon Blum, il rencontra Francis Ponge et ceux de la Révolution surréaliste. En 1933, à 23 ans, il adhéra à la 10e section SFIO, vendant Le Populaire sur la place du marché et faisant le coup de poing contre les Croix-de-Feu. Il étudia le droit soviétique, dont il fit l’apologie dans son discours de rentrée à la Conférence du stage, le 15 décembre 1934. Censuré par le bâtonnier, comme cela était prévisible, il le publia dans Le Rouge Midi du 3 avril 1935. Contre l’avis de sa famille, enfin, il épousa le 13 septembre 1935, une membre des Étudiants communistes, étudiante en psychologie, Andrée Albouker. Sans être explicitement révolté dans sa jeunesse, Defferre prit régulièrement le contre-pied du modèle que sa famille attendait de lui voir respecter. Ces parcours de rupture relèvent donc d’une volonté d’indépendance propre à la jeunesse, relayée par des rencontres exogènes, sans aller nécessairement jusqu’à la révolte.
21L’entrée aux JS de quelques jeunes gens issus des classes moyennes non socialistes permet d’observer une autre voie de passage, le sport. Jean-Raymond Guyon, par exemple, fils de gros commerçants de Libourne, catholiques fervents, reçut une éducation qui ne le prédisposait pas a priori à s’engager aux JS en 1920, à 20 ans, puis à devenir franc-maçon. Mais rugbyman, quinze fois sélectionné dans l’équipe de France, il fut capitaine de l’UN libournaise et de l’équipe des jeunes de Bordeaux, et eut l’occasion de rencontrer de jeunes militants socialistes qui l’entraînèrent avec eux23. Fils d’un militaire de carrière au 100e Régiment d’infanterie à Tulle, Jean Montalat fut lui-même admis au Prytanée militaire de La Flèche, où il devint sergent-major. En 1931, il entra à l’École préparatoire en pharmacie de Limoges. Grand sportif, il obtint divers titres de champion académique d’athlétisme et d’aviron et se consacra au club étudiant de rugby de Limoges. Par le biais des associations sportives, il se rapprocha des milieux socialisants et adhéra à 20 ans aux JS, en octobre 1932. Il en devint rapidement le responsable départemental. Les associations sportives sont représentatives de ces lieux de sociabilité, en voie de diversification dans l’entre-deux-guerres, où les jeunes étaient touchés par le prosélytisme politique.
22À la recherche d’une nouvelle image, le parti s’était à plusieurs reprises interrogé sur la nécessité de changer son nom, pour finalement conserver celui de SFIO24. En mai 1945, Daniel Mayer expliqua aux secrétaires fédéraux que ce maintien ne signifiait en aucune façon une nostalgie du parti d’avant-guerre, mais affichait leur attachement à l’Internationale ouvrière : la SFIO se voulait toujours « le grand parti de la classe ouvrière25 ». Les origines sociales de ses représentants étaient donc un élément constitutif de cette image qui explique leur volonté d’exprimer un déterminisme de classe ou, du moins, une stratégie de rupture avec un milieu jugé illégitime.
Écoles, maîtres à penser et formation spirituelle
23Depuis les débuts de la IIIe République, l’École était un moyen de gravir l’échelle sociale et d’accéder à des postes de responsabilités politiques. D’ailleurs, durant les premières décennies du régime, le recrutement des élites politiques s’effectua essentiellement parmi les diplômés des universités. Mais avant la Grande Guerre, peu de parlementaires socialistes avaient fréquenté l’enseignement supérieur. Il faut donc s’interroger sur le rôle de l’École dans la sélection de ceux de la IVe République, et se demander quels guides prirent le relais auprès de ceux qui ne purent prolonger leur scolarité. L’autodidacte qui, seul pendant ses quelques heures de loisir souvent nocturnes, tentait d’acquérir les connaissances que lui refusait une société inégalitaire, était également une figure vénérée et topique26. Les lectures, souvent éclectiques, étaient effectivement un moyen de s’émanciper, et des rencontres, souvent présentées comme providentielles, complétaient ce processus de maturation. Mais quel rôle y joua la formation spirituelle ou l’éducation laïque ?
L’élévation du niveau d’études
24Sous la ive République, le cursus scolaire (cf. tableau 5, p. 145) des parlementaires fait écho à l’essor de la scolarisation depuis les lois Jules Ferry, et à la politique malthusienne dans le secondaire jusqu’en 1930, en partie compensée par la croissance des enseignements primaires supérieurs (EPS). Même si près de cinquante ans séparent le doyen du corpus, né en 1874, du benjamin, né en 1920, leur scolarité se situa en amont de la vague de scolarisation des années trente, avec la gratuité du secondaire.
25Mattei Dogan rappelle que la plupart des députés socialistes élus avant la Première Guerre mondiale avaient arrêté leurs études au niveau de l’enseignement élémentaire, à l’âge de 12 ou 13 ans, ou après quelques années passées dans des écoles professionnelles27. Or moins d’un quart (23,6 %) seulement n’avaient pas dépassé ce niveau d’études sous la IVe République. Plus de la moitié d’entre eux, nés au xixe siècle, appartiennent au groupe le plus âgé. Parmi eux, seule une minorité n’avait pu obtenir son certificat d’études primaires (CEP), tel qu’Henri Barré, né en 1888, qui de bouvier à l’âge de huit ans, devint forgeron, puis typographe. Quelques-uns suivirent un enseignement professionnel comme Francis Dassaud (né en 1895), ouvrier mécanicien, ou Anselme Florand et Émile Durieux, tous deux agriculteurs. Quelques autres, avaient suivi les cours complémentaires (CC) de l’EPS et, avec leur brevet élémentaire, purent devenir instituteurs comme Maurice Brier, ou commis au trésor comme Jean Guitton.
26L’enseignement primaire supérieur constituait ce que l’on appelait, dans les années trente, le « collège du peuple », que Georges Guille nomme, lui, « le collège des plus pauvres28 ». Comme il relevait officiellement de la législation du primaire, il était gratuit. Après le CEP, un cycle de trois ans conduisait au brevet élémentaire, ou préparait au concours d’entrée aux Écoles normales, « l’espoir suprême, l’ambition majeure29 », aux Postes, aux Contributions et parfois aux Arts et Métiers. Au-delà de l’enseignement élémentaire, les études secondaires étaient payantes ; même si l’État assumait en fait les deux tiers du coût réel de cet enseignement, la rétribution exigée était souvent discriminatoire. Certes des bourses devaient permettre aux enfants moins favorisés de poursuivre leurs études, mais elles étaient distribuées avec parcimonie.
27Trois années supplémentaires permettaient à quelques EPS de présenter leurs élèves au brevet supérieur. C’est pourquoi nous avons classé les titulaires de ce brevet, dans le niveau secondaire, atteints par 29,9 % du corpus. Or parmi eux, près d’une soixantaine de parlementaires (soit 20,1 %) furent formés dans les Écoles normales sur une période de vingt ans, entre 1894 et 1914. Les deux plus anciens, Camille Lhuissier (né en 1879) et Paul Racault (né en 1881), entrèrent respectivement dans les écoles de Laval en 1894 et de Loches en 1896, et commencèrent à enseigner en 1897 et 1899. Le plus jeune était Jean Nayrou, né en 1914, qui entra à l’école de Foix en 1929. Pour cette génération, issue des couches populaires, l’École normale était vécue comme une véritable promotion. Parfois, l’instituteur dut insister auprès de leur famille pour arracher la décision et prépara lui-même l’adolescent au concours. Le salaire, un travail moins pénible qu’aux champs ou à l’usine, des vacances et une certaine considération seraient la récompense. André Canivez en témoigne pour Douai :
« Disons tout de suite que la plupart d’entre eux, fils d’humbles ouvriers, ayant une claire conscience des sacrifices consentis par leurs parents, étaient des garçons sérieux, travaillant bien, décidés à sortir de l’École leur diplôme en poche et leur avenir assuré30. »
28La rentrée se voulait solennelle, en uniforme et avec le trousseau, ultimes dépenses, et les trois années d’internat obligatoire marquaient le passage à une autre vie. Soulignons le cas des normaliens d’outre-mer, pour lesquels l’École normale constitua encore plus que pour les métropolitains une voie de passage : Raoul Borra et Louis Lafforgue à Constantine, Gaëtan Symphor-Montplaise en Martinique, et surtout Hammadoum Dicko à l’école William Ponty et Fily Dabo Sissoko à Saint-Louis.
29Mais ils appartenaient aussi à une nouvelle génération d’instituteurs, toujours profondément républicaine, mais moins imprégnée de « la foi laïque » de Ferdinand Buisson. Celle-ci voulait « laïciser la religion », affirmait que la foi était « un besoin éternel de l’âme humaine » et qu’il y avait « un fonds religieux de la morale laïque31 ». Or une morale matérialiste commençait à prendre souche, à l’image de celle que proposait Albert Bayet dans La Morale laïque et ses adversaires32. À cette période, bien que minoritaires, davantage de jeunes instituteurs étaient séduits par l’espérance de solidarité offerte par le socialisme et se détournaient du radicalisme. Ils créèrent des syndicats, membres de la CGT réformiste de Léon Jouhaux, qui se transformèrent en Syndicat national des instituteurs (SNI) en septembre 1919. Ainsi trente-trois, soit une bonne moitié des normaliens, y adhérèrent à la fin de leur scolarité ou quelques années après33. On trouve aussi quelques représentants de L’École émancipée, avec Camille Lhuissier (Laval en 1894), Germain Guibert (Aurillac en 1913), et Alix Berthet (Grenoble en 1924)34.
30Le dernier trait de la culture normalienne est son pacifisme. Trop jeunes, tous ne furent pas mobilisés. On trouve un quart d’anciens combattants35, mais pour la plupart blessés, voire mutilés. Les plus jeunes furent néanmoins formés par des enseignants qui avaient connu les tranchées. Les instituteurs n’avaient pas attendu la guerre pour condamner l’esprit guerrier, et la Grande Guerre les confirma dans leur sentiment, même s’ils s’identifièrent à l’Union sacrée36. Ils animèrent les associations d’anciens combattants, comme André Canivez qui présidait l’Association des anciens combattants républicains de sa région, et les Mutilés du Douaisis. Ils associaient l’amour de la patrie à celui de l’humanité, adhéraient aux idées d’Aristide Briand, étaient partisans de la SDN, sans pour autant verser dans le pacifisme intégral. Cette diatribe d’André Canivez, engagé volontaire et plusieurs fois décoré, montre la survivance de cet état d’esprit en 1962, alors qu’il avait 75 ans :
« Des imbéciles, avant 1914, ont osé dire qu’un maître d’école était naturellement antipatriote par sa formation laïque. Un antipatriote l’instituteur public ! Allons donc. Un sur sept des instituteurs mobilisés a été tué au feu37. »
31De sorte que dans le groupe parlementaire, ces normaliens constituèrent indéniablement un noyau, doté d’une culture spécifique, marqué par une certaine forme de laïcisme, le syndicalisme, l’internationalisme, et un pacifisme ancien combattant. Dans son étude sur les dirigeants communistes, Bernard Pudal a ainsi comparé les Écoles normales aux Écoles centrales du PCF parce qu’elles constituaient un moule où étaient enseignées des valeurs communes. Mais alors que les premières encourageaient à cultiver ses origines populaires, voire à les inventer quelque peu, les Écoles normales, au contraire, ne cherchaient pas à privilégier les relations avec le milieu d’origine, puisqu’elles se voulaient au service de l’État38. Quelques-uns ne se contentèrent d’ailleurs pas de leur brevet supérieur, soit en passant le professorat d’École normale comme André Chatagner ou André Canivez, soit en obtenant une licence pour devenir professeurs du secondaire comme Fernand Audeguil ou Émile Vanrullen, soit en entrant à Saint-Cloud, comme Antoine Mazier qui eut l’agrégation. Leur cursus est d’autant plus remarquable, que les évasions étaient rares et difficiles, la fermeture sociologique du primaire étant totale à cette époque39.
32Jusqu’à la loi de Finances du 16 avril 1930, l’enseignement secondaire était payant, et moins d’une dizaine de parlementaires purent bénéficier de sa gratuité. À l’exception de Maurice Cormier qui fut très malade, tous poursuivirent leurs études au-delà du second degré. Les autres avaient dû obtenir une bourse comme Élie Bloncourt – le plus ancien d’entre eux – qui eut son baccalauréat à Pointe-à-Pitre en 1913, Max Lejeune au lycée d’Amiens qui passa ensuite un DES d’Histoire ou Maurice Deixonne au lycée d’Angers qui intégra l’ENS d’Ulm en 1925. Ou bien orphelins de guerre, ils étaient pupilles de la nation, et donc boursiers comme Léon Boutbien, qui devint médecin. Mais comme le raconte ce dernier, être boursier pouvait être humiliant. Entré en 1925 au lycée Montaigne à Paris, seul boursier de sa classe de 6e, lui qui « venait du ruisseau », fut la risée de ses camarades, certains très fortunés, à cause de son accent et de ses manières. Profondément révolté, il organisa dans le lycée une petite bande, surnommée « L’Aigle rouge », chargée de rosser les « petits bourgeois » moqueurs40 ! Une quinzaine de parlementaires seulement (5,2 %) s’arrêtèrent au baccalauréat, tels que Jean Bouhey, qui à son retour du front reprit les vignes familiales ; Gilberte Brossolette, qui n’acheva pas son cursus d’Histoire à la Sorbonne pour se marier ; ou Robert Coutant, qui fut tout de suite embauché comme dessinateur industriel. Ce furent donc 30 % d’entre eux qui avaient le niveau secondaire, avant son unification, et essentiellement grâce à l’enseignement primaire supérieur et aux bourses.
33Par conséquent, 46,5 % réalisèrent des études supérieures. Aux débuts de la IIIe République, lorsque les partis ouvriers n’étaient guère représentés au Parlement, le recrutement des élites politiques s’effectuait essentiellement parmi les diplômés de l’Université, qui à l’époque, représentait moins de 1 % de la population. Chez les députés, cette part ne cessa de décroître de 70 % entre 1871 et 1898, à 66 % entre 1898 et 1919, à 55 % entre 1919 à 1940, jusqu’à moins de 50 % sous la IVe République41. La tendance s’inverse donc chez les parlementaires socialistes de la IVe République. Ainsi plus du quart (25,7 %) obtinrent une licence, ou pour une dizaine d’entre eux, un diplôme d’études supérieur (DES). Puis vient le groupe des titulaires d’un doctorat, une trentaine (11,2 %), avec une moitié de médecins et un tiers de juristes. Parmi eux, citons des universitaires reconnus comme Paul Rivet, directeur du Musée de l’Homme, André Hauriou, professeur à la faculté de droit de Toulouse, puis membre du Conseil supérieur de la magistrature, ou André Philip, professeur aux facultés de droit de Lyon puis de Paris. De nombreux travaux ont montré comment les compétences propres à la formation juridique favorisèrent une promotion politique par « osmose » entre le barreau et le Parlement42. Rappelons que 23 % des députés élus en métropole sous la IVe République étaient sortis de la faculté de droit. De fait, plus de la moitié (52 %) des licenciés et des titulaires d’un DES ou d’un doctorat étaient des juristes. La voie royale étant à l’époque les humanités classiques, le corpus ne comprend que six scientifiques parmi les diplômés du supérieur, soit 2 %. Et le plus petit groupe est constitué par ceux qui obtinrent un diplôme d’ingénieur, sept seulement.
34On compte une vingtaine de khâgneux, la moitié au lycée Louis-le-Grand, les autres à Lakanal, Condorcet, Henri IV et à Fermat (Toulouse)43. Onze parlementaires avaient intégré les Écoles normales supérieures : la rue d’Ulm avec Étienne Weill-Raynal (1906), Raymond Badiou et Jean Le Bail (1924), Maurice Deixonne (1925), Georges Gorse (1936), Jean-Daniel Jurgensen et Robert Salmon (1937) ; l’ENSET avec Jeannil Dumortier ; et Saint-Cloud avec Georges Lamousse, Antoine Mazier et Marcel-Edmond Naegelen. Une vingtaine avaient passé les concours de recrutement, en majorité l’agrégation, à l’exception de Jeannil Dumortier, titulaire d’un CAPET, de Georges Lamousse, inspecteur pédagogique, et d’André Parmentier qui passa tardivement le CAPES. Raymond Badiou était le seul scientifique, avec une agrégation de mathématiques44. Comme l’a montré Jean-François Sirinelli, ces classes préparatoires et grandes écoles formèrent en leur sein une « génération intellectuelle », ouverte au politique, avec en particulier le Groupe d’études socialistes, actif de 1924 à 1934.
D’autres voies d’initiation au socialisme
35Mais l’École publique n’était pas le seul lieu de formation intellectuelle et, à terme, idéologique. D’autres vecteurs de l’engagement socialiste, souvent dans le prolongement du cursus scolaire, comme le livre ou les périodiques, venaient compléter son action. Les lieux de la sociabilité ouvrière, tels que le café, l’atelier et l’usine s’étaient diversifiés avec les bibliothèques et les associations de loisirs, sportives ou éducatives des municipalités de gauche. La SFIO déployait des trésors de propagande pour capter l’attention en distribuant écussons, oriflammes, et drapeaux. Les journaux de gauche, essayaient d’intéresser les jeunes avec des articles ciblés et des vignettes. Pierre Bertaux, ancien de la rue d’Ulm en 1936, put ainsi témoigner :
« Des “maîtres” nous n’en avions pas, et nous n’en éprouvions pas le besoin : le milieu, le climat, la température intellectuelle, cela suffisait. J’ai fini par penser que l’éducation “latérale” celle que se donne à elle-même une classe d’âge, combinée avec la formation que chacun acquiert de lui-même par la lecture et l’écriture, est la seule qui compte45. »
36Par le biais de la lecture, il était possible de compenser l’interruption forcée de ses études ou de découvrir de nouveaux horizons. Comme en témoigne André Canivez, le livre était rare dans les maisons ouvrières à la fin du xixe siècle.
« On ne lisait pas beaucoup […] dans les maisons des ouvriers. Le journal était presque un luxe, un livre, un meuble précieux qu’on ne maniait qu’avec d’infinies précautions. Pourtant, je me rappelle avoir lu après mon père, ma mère et bien d’autres amis de notre cabaret, les aventures de Monte-Cristo qui, en ce temps-là, paraissaient en livraisons hebdomadaires vendues à domiciles46. »
37Pour les autodidactes, qui ne purent poursuivre au-delà du niveau élémentaire, la lecture, même désordonnée, contribuait souvent à en faire des socialistes. Certains purent pallier leurs carences scolaires grâce au socialisme municipal, comme Victor Provo, qui fréquenta le Foyer d’Éducation Ouvrière fondé par le maire de Roubaix, Jean Lebas, et lut « de Diderot à Marx et de Renan à Huret47 ». Paul Ramadier, maire de Decazeville, fonda une bibliothèque municipale exceptionnelle, et passait lui-même les commandes après s’être renseigné sur les meilleures nouveautés48. D’autres encore fréquentèrent l’une des trois Écoles socialistes, où des militants aguerris dispensaient des conférences, à défaut de véritables cours49. Mais même Albert Gazier, licencié en droit et fils d’un agrégé de lettres, évoque avec nostalgie le temps où il était vendeur dans une librairie du quartier latin au début des années trente :
« Les livres, les conversations avec les clients m’aidaient à combler quelques-unes des profondes lacunes de mon instruction. Je recourais beaucoup aux dictionnaires, aux encyclopédies, aux livres de vulgarisation. Il m’arrivait de lire les œuvres elles-mêmes50… »
38Ce respect, presque une forme de vénération, pour le livre est un sentiment récurrent dans leurs mémoires, car il accompagna leur ascension.
39Quant aux jeunes filles, la lecture était pour elle un moyen de s’émanciper. Une jeune méridionale, fille d’ouvrier, comme Irma Rapuzzi (née en 1910), qui préparait seule son certificat d’aptitude pédagogique, fit des découvertes dans la bibliothèque de son père, militant anarcho-syndicaliste. Elle y trouva pêle-mêle des ouvrages classiques, Les Liaisons dangereuses qu’elle lut en cachette, mais aussi des écrits de Jaurès, de Léon Blum et des brochures de propagande. Et une jeune bourgeoise de Saint-Dié, Madeleine Weiller (épouse Lagrange), ne décrit pas autre chose :
« Moi qui ai la malchance d’être une fille, il faut que j’échappe à la broderie, aux visites et, il n’y a pas de quoi se vanter, à la musique. Je résistais de toute ma passivité à l’injonction : “Étudie ton piano”. La classe, c’était autre chose. Je crois que ce fut au collège, plus qu’à la maison, que j’appris à devenir moi-même puisque c’est là que j’ai appris à lire. La lecture était alors le seul moyen d’accès au vaste monde, au monde dont les bornes reculaient bien au-delà de ma petite ville, bien au-delà de notre époque tranquille et terne51. »
40Ces découvertes intellectuelles étaient relayées par des rencontres avec des penseurs ou théoriciens socialistes qui incarnaient des idéaux restés jusque là abstraits. Elles furent déterminantes, parce que leur charisme et leur séduction dépassaient le terrain idéologique pour investir celui de l’affectif.
41Dans leur discours, Jean Jaurès symbolise toujours le gardien tutélaire de la doctrine, au point de devenir un déterminant du nom, avec des formules rituelles telles que « le socialisme de Jaurès » ou « l’idéal de Jaurès »… Or un quart seulement avaient 20 ans lorsqu’il fut assassiné, et finalement peu d’entre eux le connurent personnellement. Les plus âgés lurent ses articles, les plus jeunes purent entendre parler de lui par leur père ou un disciple, et assistèrent parfois à l’un de ses meetings. Marius Moutet (né en 1876), membre des Étudiants socialistes à Lyon, rencontra Jaurès pendant l’affaire Dreyfus. En fréquentant les cercles d’intellectuels socialistes de la capitale, Louis Noguères (né en 1881) fut invité par Jaurès à collaborer à son Histoire de la révolution française. Paul Ramadier (né en 1888) et Vincent Auriol (né en 1884), tous deux membres d’un groupe d’étudiants républicains de Toulouse, eurent l’occasion de l’entendre et, séduits, ils sautèrent le pas en 1905. D’autres furent initiés à sa pensée par des intellectuels socialistes. Dans sa jeunesse, Étienne Weill-Raynal lisait avec assiduité La Petite République de Jaurès, et rencontra Lucien Herr52, le bibliothécaire de la rue d’Ulm en 1910, qui exerça, en effet, un véritable magistère intellectuel sur plusieurs générations de normaliens de 1888 à 1925. En 1913, Weill-Reynal adhéra au parti socialiste à 26 ans, et dans les années soixante et soixante-dix, il présida la Société d’études jaurésiennes. Même Robert Verdier, qui avait quatre ans lors de l’assassinat de Jaurès, entendit son père lui raconter comment il se rendait d’Alès à Nîmes, en vélo, pour l’entendre53.
42Mais à la Libération, Léon Blum était devenu la plus haute autorité morale et le seul chef charismatique du parti pour toutes les générations confondues. Il était le seul survivant, moralement et physiquement, des grandes figures d’avant guerre. Jules Guesde était décédé depuis 1922, Paul Faure était renié, Jean Zyromski était passé chez les communistes. Les plus anciens étaient devenus ses amis, les plus jeunes s’étaient formés à la lecture de ses célèbres éditoriaux du Populaire. Jules Moch définit ainsi les ressorts de son ascendant exceptionnel :
« Il n’avait ni ne cherchait à acquérir le verbe enflammé ou les envolées poétiques d’un Jaurès. Il ne possédait ni l’âpreté révoltée d’un Jules Guesde, ni l’agressivité malicieuse d’un Paul Faure ; ne prétendait ni enthousiasmer, ni indigner. Il était la logique et la logique seule54. »
43Dans tous les cas, la découverte de Blum, au moins intellectuelle, est présentée comme décisive. Car pour Blum, « l’amitié était un véritable culte auquel il ne se dérobait jamais », comme l’écrit son défenseur à Riom, André Le Troquer55.
44Il ne fut pas le seul à témoigner de cette qualité du chef socialiste qui lui gagna des loyautés indéfectibles. Eugène Montel lui céda sa place lors des législatives de 1928 à Narbonne, et fut interné par Vichy, sous le seul grief d’être l’un de ses intimes. Jules Moch montre en quoi sa première rencontre, décisive, fut toute intellectuelle, voire spirituelle. Son père, Gaston Moch, était dreyfusard, avait rencontré Blum, et lisait La Revue blanche qu’il passait à son fils. Mais ce fut en 1919, alors qu’il n’avait pas encore adhéré à la SFIO, qu’il fut « enthousiasmé, conquis, par une modeste brochure de lui », Pour être socialiste56. Il ne vit réellement Blum que six ans plus tard à un congrès. Vincent Auriol était déjà socialiste lorsqu’il noua avec Blum une longue amitié au lendemain de la scission de Tours. Les militants socialistes prirent l’habitude d’associer ces deux figures et les caricaturistes les croquent en Don Quichotte et Sancho Pança, accentuant la longue silhouette de Blum, et la rondeur d’Auriol. En hommage à son ami, Auriol présida l’Association des amis de Léon Blum, comme celui-ci avait présidé, en son temps, celle des Amis de Jean Jaurès.
45Dans le territoire de Belfort, René Naegelen se lia d’une longue amitié avec Louis-Oscar Frossard, et le suivit à la SFIC en décembre 1920. Dans la Seine, Édouard Depreux dit devoir son engagement socialiste à son ami Jean Longuet, député-maire de Chatenay-Malabry. Il partageait son point de vue pacifiste, comme il partagea ensuite ses convictions anticolonialistes57. En Normandie, Guy Mollet eut comme guide Ludovic Zoretti, brillant professeur de mathématique à l’université de Caen, qui le lança dans la lutte syndicale et le rallia à ses convictions pacifistes. Mollet le suivit donc à Révolution constructive puis à Redressement58. Dans le Nord, on trouve d’autres figures, guesdistes. Par exemple, Victor Provo (né en 1903) et Albert Denvers (né en 1905) se réclament de trois socialistes de leur région : Charles Valentin, le maire de Dunkerque, dit « l’avocat des pauvres », Jean-Baptiste Lebas, secrétaire fédéral, maire et conseiller général de Roubaix, et Roger Salengro, le député maire de Lille et ministre de l’Intérieur du Front populaire. Victor Provo y ajoute Gustave Delory59. Dans le Midi, pour un Georges Guille par exemple, c’est la physionomie de Léon Hudelle, le rédacteur en chef du Midi socialiste, qui domine60.
46Mais d’autres personnages, plus modestes, tels qu’un ou une fiancée, un camarade, ou un élu local faisaient parfois aussi office de catalyseurs. Pour des jeunes femmes, exclues de la vie civique et issues de familles bourgeoises, la rencontre amoureuse avec un militant pouvait concrétiser des penchants socialistes, comme le montrent Madeleine Weiller et Gilberte Bruhel, qui épousèrent Léo Lagrange et Pierre Brossolette et avec eux l’idéal socialiste61. Mais l’inverse était également vrai. Jean-Louis Rolland naquit en 1891 dans une famille modeste de petits paysans et d’ouvriers de Landerneau. Muni de son certificat d’études, il quitta l’école à 14 ans, et s’engagea dans la marine. Après la guerre, il rencontra une jeune institutrice laïque, qu’il épousa en 1919, et qui devint son mentor. La même année, il débutait sa carrière politique au conseil municipal de Landerneau.
47Ainsi, l’École républicaine, les lectures personnelles et les rencontres contribuaient à créer un terreau favorable à l’engagement socialiste. Si les grandes figures charismatiques emportèrent souvent l’adhésion de ces jeunes gens, mêlant durablement conviction doctrinale et sentiments d’amitié, des militants plus modestes pouvaient être d’efficaces prosélytes. Le processus de maturation apparaît alors comme une stratification d’influences qui se complètent, les idéaux de justice sociale se superposant aux valeurs républicaines. Mais dans le domaine religieux, on peut se demander comment la doctrine socialiste pouvait s’articuler à la croyance.
Formation spirituelle et éducation laïque
48La part de la formation spirituelle ou de l’éducation laïque dans l’adhésion au socialisme est la plus délicate à évaluer, car les sources sont très lacunaires. Mais surtout, le poids des représentations est peut-être encore plus lourd que pour les origines sociales. Au congrès d’août 1945, la SFIO afficha clairement sa volonté de défendre la laïcité, attitude qu’elle renforça tout au long de la IVe République, au gré de ses alliances et de ses conflits avec le MRP. Pour résister à la surenchère communiste, les parlementaires devaient se montrer à l’unisson de ce combat. La plupart revendiquaient, par conséquent, des parents laïcs, parfois libres-penseurs ou francs-maçons, et leur passage à l’école publique pour afficher leur attachement à la laïcité. Mais comme le rappelle Jean-Marie Mayeur, peu de mots sont davantage chargés d’ambiguïté62. Si tous l’assimilent à la République, certains la confondent avec la lutte anticléricale, dans un laïcisme agressif qu’ils conservèrent jusqu’à la fin de leur vie. Il est fort difficile de sonder les consciences, et l’historien doit se contenter de quelques indices. Mais derrière cette
apparente homogénéité, le milieu laïc était-il le seul terreau favorable au socialisme ?
49Dans leurs professions de foi, la plupart se réclamaient d’un milieu laïc pour preuve et illustration de leur adhésion au programme du parti. Et dans leurs mémoires, ils considèrent souvent leur éducation républicaine et laïque, comme la matrice de leur adhésion au socialisme. C’est une façon de se rattacher aux origines mêmes du mouvement ouvrier français, les blanquistes et proudhoniens avaient donné une coloration nettement anticléricale au mouvement ouvrier dans la seconde moitié du xixe siècle63. Dans leurs mémoires, l’influence de leurs parents apparaît donc très forte, et elle le fut sans doute, car c’était eux qui choisissaient d’élever religieusement ou non leurs enfants, à un âge où leur conscience était à peine éveillée. Les enfants de francs-maçons comme André Maudet, de compagnons du Tour de France comme Albert Aubry, de libres-penseurs comme Jean Bouhey, ou Lucien Hussel, ou plus simplement d’instituteurs laïques, comme Adrien Mabrut, ou Jean Minjoz, ne manquent jamais de rappeler cette filiation. Rappelons que 11 % des membres du corpus étaient des enfants d’instituteurs.
50Dans cette mouvance, les influences de la franc-maçonnerie, de la Libre Pensée, de l’École publique se mêlent pour constituer un référent obligé de la construction identitaire, comme l’était « le peuple ». Né en 1903, André Maudet était le fils d’un franc-maçon, petit commerçant, et d’une institutrice laïque de Saintonge. Il fut d’abord militant de la LDH, franc-maçon, puis enfin socialiste. Il revendique avec déterminisme ses origines qui, selon lui, tracèrent sa voie :
« Élevé dans une ambiance républicaine et laïque, je suis resté fidèle à l’enseignement qui m’a été donné. […] Dans ce département, appelé autrefois Charente-Inférieure, on était républicain ou “Badinguet” : mes parents étaient républicains, j’ai suivi leurs traces64. »
51Il adhéra à la franc-maçonnerie dans la loge paternelle et, ses études de Droit achevées, il épousa une normalienne de La Rochelle en 1927. Leur mariage fut civil et, le maire de Saintes refusant de le célébrer, il fut confié à un adjoint ! Le mariage civil était alors un moyen fort d’afficher ses convictions. Irène et Victor Laure, en rupture avec leurs familles respectives, se marièrent eux aussi civilement en 192065.
52Néanmoins, d’autres nuancent l’héritage de l’école de la République. Lamine-Gueye rend hommage à sa neutralité dans ses mémoires66. Né en 1891, il fut élevé dans une famille musulmane, de commerçants aisés de Saint-Louis, au Sénégal. Il reçut une éducation coranique et apprit l’arabe puis, à douze ans, entra à l’école primaire où les instituteurs laïques professaient un esprit de tolérance. Ayant passé à Paris son baccalauréat, il occupa divers postes d’enseignant, dont un cours de mathématique à l’École normale William Ponty. Mais il put poursuivre parallèlement ses études de théologie musulmane. Aussi Marcel Champeix, ancien normalien, pouvait-il rendre cet hommage funèbre à un condisciple :
« Il interprétait l’idée laïque selon son véritable aspect, c’est-à-dire non point comme une doctrine agressive, mais comme le mode le plus le plus sûr d’un affranchissement où chacun doit trouver son avantage67. »
53Ainsi, le message laïc transmis par l’École était-il compris de différentes manières, et pouvait justifier tout aussi bien l’anticléricalisme que la tolérance selon les besoins politiques du moment.
54Mais qu’en était-il de ceux qui reçurent une éducation catholique ? Il est difficile de savoir si la rupture avec le catholicisme de l’enfance précéda et favorisa l’adhésion, ou bien si elle fut le fruit d’une reconstruction. Gilberte Brossolette apprit à lire chez une « vieille demoiselle » dans le livre des Saints, et se souvient encore avoir fait enrager une tante catholique en lui racontant, avec force détails croustillants, combien elle s’amusait de voir chaque jour un nouveau supplice illustré. Sa mère la fit entrer à Sainte-Clotilde, en 1916, à onze ans, où elle demeura jusqu’à son baccalauréat. Elle fut aussi « Enfant de Marie », « pour retrouver ses copines ». Mais elle serait devenue « tout à fait anticléricale » vers treize ans, après un voyage à Lourdes où elle eut « un réflexe d’horreur » devant tant de « superstitions » et de « marchands du temple ». « J’avais trouvé cela monstrueux ! », déclare-t-elle à 92 ans68.
55Les propos d’André Canivez (né en 1887), ancien élève de l’École normale de Douai, sont plus nuancés, mais le détachement n’en est pas moins profond. À la fin du xixe siècle, dans son village minier du Nord où les rapports sociaux étaient gérés avec paternalisme, il fit son catéchisme et sa communion. Mais s’il évoque avec amitié un lazariste qui lui fit forte impression, il souligne sa naïveté d’alors :
« Je buvais les paroles du missionnaire et mon cœur était fort ému à la pensée que c’était peut-être la dernière fois que je voyais ce prêtre si courageux qui, d’après l’idée que je me faisais de la vie des missionnaires, allait risquer sa vie pour amener à Dieu de nouveaux adorateurs69. »
56La vie associative de son village était animée par les catholiques, que ce fût le patronage où il fit du théâtre, ou la fanfare des ouvriers mineurs, dont son père faisait partie. Mais lorsqu’il décrit son enfance catholique, l’ancien normalien ne parle pas de foi, mais de « mystère » et de « poésie ». Car ce fut bien l’école, républicaine et laïque, qui éveilla sa conscience. Après son entrée à l’École normale, en 1903, il anima l’Amicale laïque de sa région.
57De la même génération que lui, mais issu d’une famille de notables huguenots du Gévaudan convertis au catholicisme, Paul Ramadier (né en 1888) expliqua son adhésion au socialisme dans Du Christ à Jaurès. D’abord attiré par le mysticisme, ses lectures le firent évoluer : « Victor Hugo m’orienta vers les problèmes du peuple… C’est par lui que la vague de charité chrétienne s’est muée en socialisme70. » Il retrouvait là le socialisme chrétien d’un Philippe Buchez, qui rejetant l’assistance charitable, fut l’un des promoteurs de la coopération, mouvement dans lequel Ramadier s’engagea très activement71. Initié à Rodez, au sein de « la Parfaite Union » du Grand Orient de France, le 22 février 1913, Ramadier y inscrivit son combat pour la laïcité. Le futur secrétaire général Guy Mollet, fils d’une catholique fervente, alla au catéchisme et fit sa communion, mais fréquentait l’école publique de Flers72. On ne sait quand il perdit la foi, mais devenu socialiste, il appartint à l’aile laïque de la SFIO73.
58D’autres, à l’image d’un Jaurès qui autorisa la communion de sa fille, ou d’un Léon Blum qui estimait que l’on pouvait « être à la fois socialiste et catholique », étaient agnostiques et professaient la tolérance74. D’ailleurs, favorable à une politique de main tendue au MRP, Blum affirma que l’on pouvait aisément être à la fois socialiste, marxiste et spiritualiste75. La mère de Vincent Auriol, catholique, l’envoya à l’école primaire tenue par les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul en 1889, puis au collège catholique de Revel en 1896, dans l’espoir qu’il entre au séminaire. Mais son père et son grand-père étaient des républicains quelque peu anticléricaux. Au cours de ses études de Droit, il prit peu à peu ses distances avec l’Église au point de perdre définitivement la foi. Mais jusqu’à la fin de sa vie, Auriol considéra que la religion était une affaire privée qui ne justifiait aucun laïcisme76. Le père d’Édouard Depreux était libre-penseur, mais sa mère était catholique pratiquante77. En vertu d’un accord sans doute scellé au moment du mariage, Depreux fut envoyé au catéchisme. Mais lorsqu’il s’inscrivit aux enfants de chœur, on lui fit comprendre qu’il déshonorait la famille ! Partagé entre sa famille paternelle où « République et anticléricalisme s’identifiaient », et sa foi juvénile, il commença à douter et adopta un « agnosticisme pleinement respectueux de toutes les croyances », témoigne en 1972 cet ancien dirigeant du PSU qui, on le sait, accueillit moult chrétiens en son sein78.
59On trouve également des parlementaires qui conservèrent la foi, quitte à faire évoluer celle de leur jeunesse. Se réclamant de Léon Blum, et pour montrer que la politique et la philosophie n’étaient pas deux domaines séparés, Jean-Daniel Jurgensen publia, en 1949, un essai, Chrétien ou marxiste ? Il y affirmait qu’adhérer à un système social, était aussi, inéluctablement, faire sienne une conception de la vie et de l’homme79. Il rompait par conséquent avec le matérialisme déterministe, dont le corollaire était l’athéisme. En dernier ressort, « c’est à l’homme de savoir s’il veut faire exister Dieu80 ». Abel Sempé, né en 1912, évoque son père, un petit paysan républicain de l’Armagnac, qui lui parlait de « Dieu et du néant, des hommes, de leurs combats politiques » et qui lui assurait que la justice sociale viendrait, mais que la République et Dieu devaient « faire bon ménage81 ». Raymond Guyon se maria religieusement à Libourne, quatre ans après son adhésion à la SFIO en 1920. De même, Léopold Sédar Senghor, ne renia jamais son éducation religieuse chez les pères du Saint-Esprit et même son passage au petit séminaire. Le janséniste Albert Gazier anima l’Association des Amis de Port-Royal des Champs, fondée par son grand-père. Son engagement religieux, bien que fervent, demeura discret. Néanmoins, son journal intime, de 1943 à 1958, atteste d’une introspection régulière et pointilleuse, qui lie l’amélioration de soi à la progression de son activité militante82.
60Pour évaluer les attitudes religieuses, les obsèques constituent un indicateur utile, mais doivent néanmoins être examinées avec prudence. L’enterrement religieux pouvait aussi bien être le fruit d’une évolution personnelle, que répondre aux vœux des familles. La nature de 145 obsèques seulement a pu être définie avec certitude. Elles révèlent que près des deux tiers des parlementaires choisirent une cérémonie civile, marquant ainsi leur attachement à la laïcité. Il n’était pas rare que les personnalités du parti eussent droit à des obsèques civiles solennelles, comme celles organisées pour Pierre Commin, alors secrétaire général adjoint. Décédé le 24 juin 1958 d’une crise cardiaque, la levée du corps eut lieu au siège du parti, 12, boulevard Malesherbes, en présence d’un millier de personnes. En ces jours tragiques pour l’unité du parti, la cérémonie permit aux militants de se retrouver un instant sur les valeurs communes de la laïcité.
61Mais différentes confessions minoritaires étaient également représentées83. Or elles étaient historiquement attachées à la laïcité comme garantie juridique de la liberté des croyances dans un État sécularisé. Même si très peu de ces parlementaires étaient restés pratiquants, leurs ascendants les avaient prédisposés à la tolérance en leur donnant une éducation, ou du moins une culture religieuse, minoritaire.
62La présence de quelques parlementaires issus de la communauté juive assimilée était dans la continuité d’une SFIO qui, aux lendemains de l’affaire Dreyfus, avait attiré nombre de ses membres. Or sans être des Juifs d’État, « fous de la République », tels que les décrit Pierre Birnbaum, ils furent d’ardents défenseurs des valeurs de 1789 et de la laïcité84. Citons Charles Lussy (né Ruff) et Jean Pierre-Bloch – tous deux issus de juifs alsaciens ayant choisi la France en 1871 et installés en Algérie – Roger Carcassonne, Salomon Grumbach, Madeleine Lagrange, Daniel Mayer, Jules Moch et Étienne Weill-Raynal… À l’exception de Pierre-Bloch, tous appartenaient à des familles en voie de sécularisation. Orphelin, Pierre-Bloch fut élevée par sa mère, très pieuse, et vécut à Sétif chez ses grands-parents Aboucaya, où il se souvient avoir régulièrement participé aux grandes fêtes religieuses. Mais après avoir fait sa bar-mitsva, et être entré au lycée à Paris, il se « détacha » de la croyance de son enfance. Il devint libre-penseur et fut initié à la franc-maçonnerie en 1929, à 24 ans. Mais il ne devint jamais « un juif honteux85 ». À Alger, le père de Lussy tenait une librairie, sorte de cercle politique, et sa mère était directrice d’école. Il adhéra à la section socialiste en 1900, à 17 ans. Le père de Roger Carcassonne, commerçant à Salon-de-Provence, envoya son fils à l’école publique et celui-ci adhéra aux ES en 1923, à 20 ans. Salomon Grumbach, en tant qu’Alsacien favorable au rattachement à la France, était farouchement opposé aux « cléricaux ralliés à la prussianisation ». Son attachement à la laïcité est l’une des constantes de son engagement politique sa vie durant. Madeleine Lagrange était née Weiller, en 1900, dans une famille bourgeoise de Saint-Dié des Vosges, d’un père médecin. Son père se déclarait volontiers libre-penseur et Madeleine dit n’avoir jamais su où était la synagogue. En 1924, alors qu’elle faisait ses études de droit, elle épousa un avocat socialiste, également libre-penseur, Léo Lagrange.
63La mère de Daniel Mayer était une institutrice laïque, et son père un juif agnostique et républicain. Il abandonna progressivement sa pratique religieuse après sa double adhésion à la LDH et aux JS en 1927, à 18 ans. Il conserva néanmoins une identité juive enfouie au fond de lui-même86. La mère de Weill-Raynal, gambettiste, devint socialiste, proche de Pierre Renaudel, et Gaston Moch, polytechnicien, dreyfusard, était un ami de Jean Jaurès. Internationalistes, héritiers de Jaurès, ces socialistes d’origine juive étaient particulièrement conscients que toute communauté, nationale, ethnique ou religieuse, recelait le danger de l’exclusion et du particularisme si elle n’était pas transcendée par l’aspiration à la fraternité universelle et à la concorde entre les peuples.
64Quelques parlementaires étaient issus de la communauté protestante, laquelle, hantée par le souvenir de la révocation de l’édit de Nantes et des dragonnades, s’était ralliée à la laïcité depuis les débuts de la IIIe République87. Frank Arnal était le fils d’un gendarme très attaché à la laïcité, et Eugène Montel fut élevé par une tante, directrice de l’école publique « Jean Jaurès » à Narbonne. Aimé Malécot eut plusieurs membres de sa famille, conseillers municipaux à Saint-Étienne et aux alentours, qui étaient connus pour leurs convictions républicaines et laïques. Robert Verdier était issu d’une famille d’huguenots de Meyrueis, dans les Cévennes. Son arrière-grand-père et son grand-père, étaient agnostiques et profondément républicains, et son père, professeur d’espagnol, était « tranquillement et franchement athée ». Robert Verdier conserve encore les statuts du cercle républicain fondé par son grand-père vers 1880. De ses origines protestantes, il dit retirer un attachement viscéral à la République88. La famille de Gaston Defferre était protestante, tant du côté paternel, avec des robins d’Alès, que maternel, avec de grands propriétaires terriens de Nîmes. Bien que son adhésion au socialisme constituât une rupture avec son milieu, il déclara en 1976 : « On ne peut oublier qu’on est né protestant89. » Quant à Irène Laure, elle renoua avec le christianisme en s’engageant auprès de Franck Buchman au Réarmement moral après la guerre.
65Le cas d’André Philip, qui vint au socialisme par le christianisme, fait figure d’exception. Orphelin de père, sa mère, issue par son père d’une famille huguenote de Meyrueis, choisit de l’élever dans le calvinisme. Or « tous mes choix politiques ont été inspirés par un certain nombre de valeurs que j’ai vécues et expérimentées dans la ligne de ma tradition de protestant cévenol », pouvait-il conclure à la fin de sa vie90. Il adhéra donc à la Fédération des Étudiants socialistes chrétiens, à 19 ans, en 1921. Tout au long de son parcours, Philip s’interrogea sur son double engagement, de chrétien et de socialiste, mais choisit d’assumer ses responsabilités temporelles91. En 1928, il démontrait qu’Henri de Man avait renoué le lien entre l’idéal socialiste et les croyances chrétiennes92. Plongé dans la bataille, le chrétien ne peut se détourner du monde, et doit chercher quelle est la volonté de Dieu le concernant. On ne peut s’empêcher de penser aux choix qui furent les siens pendant la guerre. Dès 1934, dans une conférence prononcée à l’École socialiste, il affirmait que le parti n’avait pas plus à se prononcer sur le religieux que l’Église sur la question sociale, mais qu’il devait affirmer la primauté des valeurs spirituelles en laissant à chacun le soin de chercher sa solution personnelle93.
66Contrairement à l’itinéraire type décrit par un Louis Lévy ou un Léon Osmin, les voies qui menèrent ces jeunes gens au socialisme furent beaucoup plus complexes qu’un simple déterminisme de classe. La plupart, plus proches des petites classes moyennes que du monde ouvrier par leurs ascendants, furent le produit de la promotion républicaine par l’École. Ils conservèrent néanmoins le souvenir de leurs origines populaires et un sentiment d’injustice devant l’inégale répartition des richesses. Devenus des représentants par la grâce du suffrage universel, ils purent ainsi participer à la construction identitaire de la SFIO en exploitant au mieux leurs origines. D’autres, pour s’émanciper du monde adulte, rompirent avec leur milieu, parfois leur croyance. Cette sécession leur permettait de montrer la supériorité de la doctrine socialiste. La tradition politique familiale put donc jouer de manière ambivalente, soit en acceptant l’héritage et en s’inscrivant dans la continuité biologique d’un socialisme immanent, soit en le rejetant avec révolte et gagnant ainsi le droit d’être socialiste. En dehors de leurs représentations sur le processus qui les conduisit à devenir socialistes, leurs motivations idéologiques et matérielles furent donc multiples. La diversité de leurs parcours, enrichis de rencontres intellectuelles ou affectives, et émaillés de doutes ou d’affermissement de leur foi, permet ainsi de revaloriser la part irréductible de liberté individuelle dans leur engagement.
Les lieux de la propédeutique partisane
67Pour Mattei Dogan, la majorité des députés socialistes de la IIIe République, qui n’avaient pas dépassé le niveau élémentaire, seraient venus à la politique par le syndicalisme ouvrier94. Mais nous avons constaté l’élévation du niveau d’études enregistrée par le corpus. Or dans sa thèse sur l’entrée au Palais-Bourbon sous la IIIe République, Gilles Le Béguec a également montré la place considérable des organisations de jeunesse et d’étudiants dans la sélection des futures élites95. Ces tendances se vérifient-elles pour les parlementaires de la IVe République ? Après la Charte d’Amiens de 1906, où la CGT se déclara apolitique, Jean Jaurès avait su concilier les trois forces du mouvement ouvrier, le parti, le syndicat et la coopération, tout en respectant leur autonomie. Un bon militant devait donc, en théorie, concrétiser ce triptyque. De sorte qu’il est souvent difficile de distinguer dans quel ordre les militants contractèrent leurs engagements. Néanmoins, il est possible d’évaluer les forces d’attraction concurrentielles des partis eux-mêmes, de leurs mouvements de jeunesse, des organisations d’étudiants, des syndicats et de la coopération.
L’entrée en militance
68Après l’adhésion aux idées socialistes, vint le temps de l’engagement, où certains sacrifices devaient être acceptés, certaines habitudes familiales bousculées et parfois un certain courage exigé. Où et à quelle occasion le passage à l’acte se réalisa-t-il ? L’engagement était plus facile lorsqu’il résultait d’un processus identitaire entre le parti socialiste et un lieu de travail, une municipalité, ou encore un bastion comme le Nord, les uns et les autres s’enrichissant mutuellement. Cette combinaison augmentait les capacités de mobilisation en jouant sur les ressorts émotionnels. Mais de même que le milieu social ne fut pas, par imprégnation, la seule matrice de l’adhésion, les futurs parlementaires ne rentrèrent pas tous directement à la SFIO. Quel type d’organisation leur sembla répondre à leur attente ? Leur niveau d’études eut-il une incidence sur le choix ?
69Moins de la moitié des parlementaires (46,1 %) entrèrent directement dans un parti, le plus généralement socialiste. Néanmoins 27,4 % firent leur apprentissage dans des organisations de jeunesse, et près d’un quart se formèrent aux combats sociaux au sein d’un syndicat. Bien que la Ligue des droits de l’homme (LDH) ait attiré ensuite de nombreux militants socialistes confirmés, seuls quelques-uns y firent leurs premières armes. Quant à la franc-maçonnerie, qui compta de nombreux socialistes dans ses rangs sous la IIIe République, elle semble avoir attiré des hommes déjà faits, même si l’on tient compte des lacunes de notre information sur leur date d’initiation. De plus, nous n’avons pu établir aucune relation entre le niveau d’études et l’âge auquel ce premier engagement intervint, contredisant là encore l’idée d’une adhésion quasi innée, du moins précoce, au socialisme de la part des « ouvriers ». On peut citer des exemples de gens ne dépassant pas le niveau élémentaire et qui choisirent tardivement de militer, comme Gaston Cabannes, qui adhéra à la SFIO de retour du front en 1918, à 36 ans, et de diplômés de l’université se décidant très jeunes à agir, comme Jean Le Bail ou Maurice Deixonne à 22 ans. En revanche, le niveau d’études, et les lieux d’apprentissage qu’il implique, influent clairement sur la nature de ce premier engagement.
70Les 67 parlementaires (23,6 %) n’ayant pas poursuivi leurs études au-delà du niveau élémentaire étaient-ils tous venus au parti socialiste par le syndicalisme, comme ceux de la IIIe République ? En fait, la moitié s’engagèrent dans le mouvement syndical au sens large, avant d’adhérer à un parti, ou de manière concomitante. Un tiers adhérèrent directement au parti socialiste, sans aucun détour préalable, semble-t-il. On peut donc s’interroger sur la faible part des JS. Tout d’abord, il semble naturel que des hommes mûris par le travail, aguerris sans doute par les conflits sociaux, aient préféré s’encarter au parti adulte où ils pourraient agir sans attendre. Certains étaient, de toute façon, trop âgés quand ils décidèrent de rejoindre le parti pour s’inscrire aux JS. D’autres étaient mobilisés sur le front alors qu’ils auraient été en âge de militer. Il faut aussi invoquer l’histoire chaotique et conflictuelle des JS, qui put en décourager certains. Néanmoins, huit y firent auparavant leur apprentissage. Enfin, Hippolyte Masson, Daniel Mayer et Gérard Vée optèrent en priorité pour la Ligue des droits de l’homme (LDH).
71Quelles furent les voies de passage au socialisme des 85 parlementaires (29,9 %) qui purent achever leurs études secondaires ? Comme ils entraient plus tard dans le monde du travail, il semble naturel de voir la part des syndicats décroître un peu. Un tiers y commencèrent leur trajectoire militante ou s’y engagèrent en même temps qu’ils adhéraient à la SFIO. À l’exception de Paul Pauly, membre de la CGT des fonctionnaires, les 27 autres appartenaient à des Amicales d’instituteurs pour les plus âgés, au SNI, ou à la Fédération unitaire de l’enseignement pour les plus jeunes96. Il n’y a donc plus aucune trace du syndicalisme ouvrier encore visible dans le groupe précédent. Et l’on devine que ces jeunes enseignants, venus au parti par le syndicalisme, eurent à cœur de défendre la laïcité lors des querelles scolaires de la IVe République, et qu’ils purent imprimer leur marque sur la politique du parti.
72Leurs études étant plus longues, quinze eurent le temps d’être membres des JS, alors que Marcel Boulangé et Jean Pierre-Bloch militèrent au sein de groupements d’étudiants. La présence de plusieurs enseignants non syndiqués parmi les JS ainsi que leurs parcours, montre que syndicat et organisation de jeunesse pouvaient se concurrencer, et qu’ils n’avaient pas nécessairement un rôle distinct et complémentaire. Une carrière aux JS pouvait empêcher, ou rendre inutile, un engagement syndical. Ainsi, Jean Capdeville, à sa sortie de l’École normale de Rouen en 1931, entra aux JS de la Seine-Inférieure dont il devint secrétaire fédéral, en 1936. Deux ans plus tard, il était élu au CNM des JS. De même, dans le Pas-de-Calais, Bernard Chochoy y entra à 18 ans en 1926 et, une fois instituteur, accepta des responsabilités au sein de l’organisation. En 1931, il devint secrétaire de sa plus importante fédération, de sorte qu’un an plus tard, il fut élu secrétaire national des JS. Une petite moitié adhérèrent directement à un parti. Pour les plus âgés, tels Ernest Couteaux, Alfred Paget ou Henri Guénin qui adhérèrent respectivement en 1899, 1905 et 1906, entre 18 et 22 ans, le POF et le parti socialiste ne proposaient aux jeunes aucune organisation spécifique. Comme dans le niveau d’études précédent, d’autres avaient passé leur jeunesse dans les tranchées, comme Jean Bouhey, Léon Dagain, Germain Guibert, Louis Lafforgue, ou Marcel Levindrey, coupant court à toute formation préliminaire au sortir de l’enfer.
73Parmi les 132 diplômés de l’enseignement supérieur (46,5 %), la part des organisations de jeunesse atteint son maximum. Il s’explique par le passage dans des groupements universitaires ou d’étudiants, et l’apport d’autres mouvements, tels que les Jeunesses laïques et républicaines, avec Guy Desson, Pierre Métayer et Edgar Tailhades, ou les Jeunesses communistes, avec Gilbert Zaksas. Inversement, le syndicalisme devient une voie marginale. On y retrouve des enseignants, Albert Gazier, de la Chambre syndicale des employés de la région parisienne, qui adhéra à la SFIO en 1932 à 24 ans, et Christian Pineau, du Syndicat des employés de banque.
74Mais la majorité entra directement dans un parti. Outre les raisons précédemment invoquées des difficultés propres aux JS, de l’âge et de la participation à la Grande Guerre, ce troisième groupe comprend plus d’adhérents récents qui vinrent au socialisme par la Résistance, tels que Georges Gorse, André Hauriou, Géraud Jouve, Paul Jouve, Jean-Daniel Jurgensen, ou Robert Salmon. On y trouve aussi des hommes venus d’autres horizons politiques tels que Gaston Charlet, radical-socialiste, et Joseph Lasalarié, républicain socialiste et Jean Rougier, radical avant la guerre.
75Enfin, en novembre 1918, Édouard Depreux adhéra à la LDH à Paris. Par pacifisme, il choisit la Ligue et attendit quatre ans pour rejoindre la SFIO en 1922.
« Socialiste de cœur et d’esprit, malgré tout mon désir d’être utile j’hésitais à adhérer à un parti socialiste ébranlé par de violentes secousses. Du moins, ne voulant pas rester “inorganisé” pris-je la décision d’adhérer immédiatement à la Ligue », explique-t-il97.
76À ses yeux, outre le combat pour la Paix, la Ligue incarnait la défense des valeurs républicaines depuis sa création pour la défense de Dreyfus en 1898. Il lui demeura fidèle jusqu’à la fin de sa vie. André Maudet fut d’abord initié à la franc-maçonnerie, puis adhéra à la LDH à son retour du service militaire, à Saintes, en 1925, à 22 ans. Il n’adhéra au parti qu’onze ans plus tard, en 1936, après sa victoire au conseil d’arrondissement où il fut élu grâce au Rassemblement populaire. Il faudrait peut-être réévaluer la part des loges maçonnes dans les engagements premiers, mais il n’a pas été possible de retrouver avec suffisamment de précision les dates d’initiation. Il semble, néanmoins, qu’elle ne doit guère dépasser celle de la LDH, et qu’elles devaient attirer des hommes un peu plus mûrs.
77Pour ces hommes et femmes qui décidèrent de militer relativement jeunes – les deux tiers avant 30 ans – trois formes d’organisations s’imposèrent à l’évidence. D’abord le parti lui-même, sous ses formes archaïques avec le POF de Guesde ou le PSF de Jean Jaurès, et surtout la SFIO, qui sut les séduire avec son programme et par le charisme de quelques-uns de ses chefs. Puis viennent les syndicats et les organisations de jeunesse qui, additionnés, font part égale avec le parti. Chacun représente à peu près un quart du corpus, mais en réalité les lieux de l’apprentissage militant varient en fonction du niveau d’études. Plus il s’élève, plus le rôle des syndicats et de la coopération diminue, et plus celui des organisations de jeunesse augmente. Ce phénomène ne signifie absolument pas que les diplômés de l’enseignement supérieur aient déserté la lutte syndicale, mais ils y participèrent plus tard. Mais puisque 46,5 % optèrent d’emblée pour un parti, pourquoi un si grand nombre firent-ils l’économie des mouvements de jeunesse ? Et quels atouts procurèrent-ils aux futurs parlementaires ?
Le vivier des mouvements de jeunesse
78Dans la mesure où 27 % des futurs parlementaires y étaient passés, les mouvements de jeunesse avaient-ils joué un rôle dans leur sélection ? La SFIO s’était dotée d’une Fédération nationale de la jeunesse en 1913. Mais dès lors, les jeunesses furent la caisse de résonance de toutes les crises que traversa le parti98. En novembre 1920, leur majorité avait rejoint la IIIe Internationale. Leur reconstruction passa de ce fait par la mise en place d’instances dirigeantes mixtes dominées par les adultes de la CAP, tant aux Jeunesses socialistes (JS) qu’aux Étudiants socialistes (ES). Toutefois, non seulement ils étaient séduits par des courants de réflexion marginalisés au fil des scissions, tel que le planisme, mais ils étaient régulièrement suspectés d’infiltration trotskiste. Les relations avec les adultes furent donc toujours conflictuelles et marquées du sceau de la plus profonde méfiance99. De sorte que Gilles Le Béguec conclut que la propédeutique parlementaire pour les socialistes se déroulait plutôt à côté des cadres organisationnels qu’en leur sein propre100. Qu’en était-il des 259 nouveaux parlementaires qui firent leur entrée au Parlement sous la ive République ? L’ascension à tel ou tel degré de responsabilité au sein des mouvements de jeunesse favorisa-t-elle leur entrée au Parlement ?
79Gilles Le Béguec a montré que les organisations estudiantines, en particulier du quartier latin, avaient permis le recrutement de certains députés de la IIIe République. Dans la mesure où quarante-deux parlementaires survécurent au changement de régime, nous en retrouvons quelques représentants. Mais ces organisations déjà éprouvées jouèrent-elles le même rôle pour les nouveaux élus de la ive République ?
80L’Association générale des étudiants de Paris apparaît dans le parcours de deux anciens parlementaires de la IIIe République, Joseph Paul-Boncour et Louis Noguères. À l’Union des étudiants républicains, à Toulouse, on repère également Vincent Auriol, puis Paul Ramadier en 1905. Plusieurs années après, René Regaudie, futur député de la IVe République, y adhéra aussi, alors qu’il faisait ses études de pharmacie à Toulouse, en 1928, et collabora à son organe, La Défense républicaine. Quatre ans auparavant, il avait adhéré aux JS, et son parcours montre que ce mouvement de jeunesse, soit ne lui semblait pas incompatible avec un engagement républicain, soit ne comblait pas ses attentes. Jean Pierre-Bloch, député de l’Aisne en 1936, était un ami de Jacques Ancelle et accompagna quelque temps la Fédération des Jeunesses laïques et républicaines (JLR). Mais il les trouvait « trop entre les mains du parti radical101 », et leur préféra les JS, conformément aux vœux de la direction, en 1927. Avant cette date où la CAP leur interdit d’adhérer aux JLR, de nombreux socialistes y militaient parallèlement. Guy Desson y entra en 1926, à 17 ans, et en 1930 présidait la section de Chelles (Seine-et-Marne)102. Il collaborait également à L’Effort de Jean Luchaire et aux travaux de La Ligue républicaine socialiste de la jeunesse française de Paul Campargue. Edgar Tailhades en était membre en 1927103, alors qu’étudiant en droit, il faisait également partie des JS. Pierre Métayer était vice-président de la section de Chatou en 1932104, alors qu’il militait au SNI depuis 1926 et à la SFIO depuis 1927. Leurs exemples montrent que l’interdiction de la double appartenance n’était guère respectée. Paul Ramadier, président d’honneur des JLR en Aveyron, s’y opposa, parce qu’elles symbolisaient la solidarité idéologique des gauches et qu’il craignait en outre qu’elles ne deviennent la chasse gardée des radicaux.
81La Ligue d’action universitaire et républicaine socialiste (LAURS) est représentée par Jean Pierre-Bloch et Jean Biondi, élus députés de l’Aisne et de l’Oise en 1936, Max Boyer, André Southon et Léopold Sédar Senghor, futurs parlementaires de la ive République. En 1924, après un bref passage chez les Jeunesses plébiscitaires, Pierre-Bloch rejoignit, avec Biondi, le Comité d’action universitaire, qui réunissait au quartier latin quelques jeunes intellectuels, en majeure partie juristes, sous la houlette de Paul Ostoya, pour réagir aux provocations de la droite et de l’extrême droite105. La LAURS fut fondée en juillet 1924, et Pierre Mendès France en devint son secrétaire général. Progressivement, de parisienne, la LAURS devint nationale en ralliant à sa cause des étudiants de gauche et des associations républicaines déjà existantes en province. Pierre-Olivier Lapie, élu député de Meurthe-et-Moselle en 1936, est le seul représentant des mouvements non-conformistes des années trente. Membre du groupe Ordre nouveau, il fut l’artisan d’un regroupement de « la jeunesse non-conformiste » autour de la revue Mouvements106. Les hauts lieux de l’éloquence parlementaire, telle que la conférence Molé-Tocqueville, ne semblent guère avoir attiré les juristes du corpus. Seuls Joseph Paul-Boncour, puis Charles Lussy et Pierre-Bloch se rendirent régulièrement dans « ce petit parlement » où l’on apprenait à conduire une discussion dans les formes de la délibération parlementaire et à se situer sur l’échiquier politique107. De même, la Conférence du stage constitua « une voie royale » d’accès au Palais-Bourbon sous la IIIe République. Or si nous retrouvons Joseph Paul-Boncour, qui fut reçu premier au concours des secrétaires de la Conférence du stage du Barreau de Paris, qu’il présida en 1898 et 1899, seuls deux nouveaux élus semblent l’avoir fréquentée. Madeleine Weiller participa à celle du Barreau de Paris en compagnie de son futur mari, Léo Lagrange, en 1923 et 1924, lequel en deviendra le secrétaire108. Et Gaston Defferre obtint le titre de secrétaire de la Conférence du stage du Barreau d’Aix en 1934109.
82Avec André Méric, qui fit au début des années trente un très bref passage aux JOC avant de rejoindre les JS, André Philip est le seul à avoir milité au sein d’une organisation confessionnelle. Il s’inscrivit, en 1921, à la Fédération des étudiants protestants, membre de la Fédération des étudiants chrétiens, et en devint le président. Parallèlement, il adhéra aux ES. Ce double engagement préludait à son activité au sein de la Fédération des socialistes chrétiens et à sa collaboration à Terre nouvelle, revue lancée par les chrétiens révolutionnaires110. Ajoutons à ce type de formation Francis Leenhardt, qui fut élu sur une liste UDSR-SFIO en 1945, et qui adhéra ensuite au parti dans l’élan de la Résistance. En effet, il était membre du Groupement universitaire pour la SDN (GUSDN) à Marseille, dans un groupe largement dominé par les protestants, avec Pierre Guiral, et Gustave Monod111. Créé en 1922, à l’initiative de Robert Lange, il avait pour objectif de faire de la propagande en faveur de la SDN et attirait des jeunes gens d’horizons divers, radicaux et radicalisants, catholiques de la Jeune République ou de l’ACJF, modérés du centre droit.
83Les premiers groupes de jeunes, en particulier étudiants, avaient été contemporains de la marche à l’unification, et Léon Blum avait fait ses premières armes à l’Association d’étudiants. Ainsi Marius Moutet créa à Lyon un groupe d’étudiants socialistes avant de rejoindre les socialistes indépendants en 1895. Alors qu’il faisait son droit, Félix Gouin adhéra au Grand Cercle d’Unité socialiste, en 1902, à Marseille. Marcel-Edmond Naegelen à Paris et Denis Cordonnier à Lille, deux nouveaux élus en 1945, avaient adhéré aux Étudiants socialistes en 1909 et 1910. On trouve également la trace du groupe des Étudiants collectivistes de Jean Longuet et Hubert Lagardelle, de tendance guesdiste, non seulement avec Louis Noguères, ancien parlementaire d’avant-guerre, mais aussi avec Guillaume Detraves, qui entra au Palais-Bourbon en octobre 1945. Tous deux y adhérèrent à Paris, alors qu’ils y faisaient leurs études de droit, respectivement en 1900 et 1904. Mais après la scission, et même passée la période délicate de la reconstruction, la SFIO ne reconstitua pas un vivier aussi fourni que dans les années de l’immédiat avant-guerre. Si André Philip adhéra aux Étudiants socialistes en 1925, nous avons vu qu’il militait dans des organismes protestants. Max Lejeune, non plus, ne se contenta pas d’en être membre de 1929 à 1935, et déploya son activité dans des organismes à caractère plus corporatif. En 1931 et 1932, il fonda le groupe d’étudiants d’histoire moderne de la Sorbonne et fut également élu au Conseil de discipline de la Sorbonne, en tête d’une liste patronnée par l’Union fédérale des étudiants, d’extrême gauche112.
84Les filières éprouvées par les parlementaires socialistes de la IIIe République se situaient majoritairement en dehors des cadres organisationnels du parti. À la Libération, elles ne pesèrent guère dans les critères de sélection des anciens parlementaires à côté de leur vote du 10 juillet 1940. Ces filières jouèrent également un rôle moindre pour les nouveaux élus de la IVe République, puisqu’une dizaine à peine les avaient empruntées. En dépit des difficultés qu’éprouva la SFIO à reconstituer ses mouvements de jeunesse dans les années vingt, et des violents conflits avec l’appareil adulte qui émaillèrent son histoire, un plus grand nombre de nouveaux parlementaires en était issus.
85Une quarantaine de membres du corpus firent un passage aux JS avant la guerre, auxquels s’ajoutent une quinzaine d’étudiants socialistes. Au total, ce furent 16,5 % des parlementaires qui furent formés au sein des mouvements de jeunesse du parti. Seuls Jean Charlot, Just Évrard, Irène Laure et Alex Roubert adhérèrent aux JS avant la scission de Tours en 1920. À l’époque, les objectifs étaient surtout de protéger la jeunesse ouvrière de l’exploitation capitaliste, de l’alcoolisme et du militarisme. Dans la pratique, les JS n’avaient pas encore d’existence organique et n’étaient que les appendices jeunes des sections locales dont elles devaient appliquer les décisions. En novembre 1920, au congrès de Bellevilloise, la majorité des JS rejoignit la IIIe Internationale derrière Laporte et Auclair. Ils se dotèrent d’un journal L’Avant-garde. Les effectifs, de huit mille au lendemain de la guerre, passèrent à deux ou trois mille, puis s’évaporèrent.
86Reconstituer les JS ne fut pas une priorité, même si le secrétaire général, Paul Faure, était convaincu de sa nécessité113. Il fallut attendre 1924, c’est-à-dire la fin de la reconstruction, pour qu’elles apparaissent comme un moyen d’empêcher les communistes de « plumer la volaille socialiste ». Ceci explique sans doute qu’un quart seulement de ceux qui adhérèrent à la SFIO dans cette période délicate s’inscrivirent aux JS. À la fin de l’année 1924, la CAP prit conscience que les JS végétaient, et confia à Jean Zyromski le soin de les reconstruire en dressant au préalable un bilan. Le Populaire lança une vaste enquête qui révéla à quel point le mouvement fonctionnait au ralenti. Au total, il comptait alors à peine 1 300 adhérents. Seuls la Haute-Garonne, la Seine, le Pas-de-Calais et le Nord étaient dotés de structures114. Raymond Gernez en 1921, Victor Provo en 1922 et Albert Denvers en 1924 renforcèrent la fédération du Nord. Just Évrard, membre des JS depuis 1913, et secrétaire de la section de Lens, avait participé à la réorganisation des JS nationales avec Pierre Lainé. De retour du front, il fut promu secrétaire national adjoint et secrétaire fédéral des JS, fonctions qu’il occupa tout au long des années vingt. Guy Mollet rejoignit quant à lui les JS du Havre (Calvados) en 1921. Tony Larue à Rouen, Jean Minjoz à Besançon, Pierre Pugnet à Périgueux, Fernand Verdeille à Montauban, Madeleine Laissac à Saint-Nazaire-de-Ladarez et Georges Guille à Carcassonne militaient dans des groupes isolés. Les autres parlementaires adhérèrent aux JS alors qu’elles enregistraient un véritable essor, très sensible à partir de 1929, avec 6 000 membres, pour atteindre 12 000 en 1932 et dépasser 55 000 au lendemain de la victoire du Front populaire. Le Nord avec Robert Coutant, Émile Dubois et Arthur Notebart, et le Pas-de-Calais avec Bernard Chochoy, Camille Delabre et Henri Henneguelle furent à nouveau mieux représentés, les autres venant de tous les coins de la France, avec une prédominance du Midi115.
87Or sur cette quarantaine de Jeunes socialistes, la moitié occupèrent un poste de responsabilité, à la tête d’une section ou d’une fédération, voire en siégeant au sein des instances nationales. Dans le Pas-de-Calais, leur passage aux JS permit à Just Évrard et à Camille Delabre d’accéder aux instances fédérales adultes. Évrard, déjà secrétaire national adjoint des JS, devint secrétaire adjoint de la fédération adulte du Pas-de-Calais, chargé de la propagande. Membre des JS depuis 1926, Delabre en devenait le trésorier fédéral un an après, puis le secrétaire fédéral en 1935. Un an plus tard, il devenait secrétaire général adjoint d’André Pantigny dans la fédération adulte. Certains furent promus au sein des instances dirigeantes des JS, comme Daniel Mayer, secrétaire de la section du 20e arrondissement de Paris, puis délégué à la propagande de la fédération, et élu au CNM de 1932 à 1934, ou Jean Capdeville, secrétaire fédéral de la Seine inférieure de 1934 à 1936, date à laquelle il entra au CNM. Un autre cas exemplaire est celui de Bernard Chochoy, membre des JS du Pas-de-Calais en 1926, promu secrétaire fédéral en 1933. Il fut choisi l’année suivante par la CAP comme secrétaire national et fut appelé par Paul Faure, ministre d’État sans portefeuille, pour être son chef de cabinet, après la victoire de juin 1936. Proche du secrétaire général, il demeura à la tête des JS jusqu’à la guerre116.
88Outre leurs responsabilités, on remarque qu’un certain nombre de ces Jeunes socialistes furent investis pour se présenter aux législatives de 1936, comme Georges Brousse à Moissac (à 27 ans), Raymond Gernez à Cambrai– qui fut d’ailleurs élu à 30 ans –, Georges Guille à Narbonne (à 27 ans), Jean-Raymond Guyon à Libourne (à 36 ans), Henri Henneguelle à Boulogne (à 28 ans), Jean Minjoz à Besançon (à 32 ans), Maurice Rabier à Oran (à 29 ans), et Fernand Verdeille à Gaillac (à 30 ans). Ils sont la preuve que les JS, a fortiori lorsqu’elles étaient puissantes comme dans le Nord ou le Pas-de-Calais, permettaient de démarrer une carrière politique dans de bonnes conditions. Elles offraient l’occasion de travailler avec les responsables fédéraux voire nationaux, et de s’en faire remarquer. Ce fut néanmoins sous la IVe République qu’ils rentabilisèrent ce capital.
89Parallèlement, les étudiants s’organisaient. En 1922, un groupe informel s’organisa autour de Georges Lefranc dans la khâgne du lycée Louis-le-Grand, le « Bloc des gauches », avec pour objectif d’introduire des journaux interdits117. Jean Le Bail, en sa qualité d’externe, fut chargé d’amener tous les matins Le Populaire, L’Ère nouvelle, L’Humanité, L’Œuvre… Il prenait souvent part aux bagarres du quartier latin avec l’Action française et apportait des informations fraîches à ses camarades. Jean Le Bail suivit Georges Lefranc qui, en novembre 1924, fonda le Groupe d’études socialistes des ENS, à partir duquel ils reconstituèrent le groupe des Étudiants socialistes de Paris un an plus tard118. Y adhérèrent également leur condisciple Maurice Deixonne, le ludovicien René Schmitt en 1925, et Jeannil Dumortier, alors à Lakanal en préparation à l’ENSET, en 1927. Maurice Deixonne avait fait sa khâgne au lycée Lakanal et se situait alors aux côtés des radicaux. Laïc, il y luttait contre l’influence des « talas » et ne s’occupait guère plus de politique. Ce fut au contact du Groupe d’études socialistes qu’il devint socialiste. Il devint trésorier du Groupe d’études. Parfaitement autonome par rapport à la SFIO et ouvert aux communistes, aux radicaux et aux membres de la Jeune République, c’était un carrefour des normaliens et khâgneux de gauche.
90En novembre 1926, la Fédération nationale des Étudiants socialistes fut mise en place à l’initiative de Maurice Deixonne, qui en devint naturellement le premier secrétaire général119. Elle était dotée de L’Étudiant socialiste et d’un mensuel, Essais et combats. Or plusieurs nouveaux élus de la IVe République se formèrent au sein de la FNES. Quelques-uns participèrent à sa reconstitution, tels que Roger Carcassonne à Aix, Émile Vanrullen à Lille, et Antoine Courrière à Toulouse. Un plus grand nombre s’y illustra dans la première moitié des années trente, avec Jacques Arrès-Lapoque à Bordeaux, Achille Auban à Toulouse, Marcel Boulangé à Nancy, Robert Verdier, Léopold Sédar Senghor et Gérard Jaquet à Paris, Arthur Conte étant celui qui s’engagea le plus tard, en 1936, à Perpignan. Certains y firent même carrière en gravissant les échelons : Auban en fut le secrétaire fédéral, en Haute-Garonne, en 1934 ; Arrès-Lapoque, en Gironde, de 1936 à 1938 ; Gérard Jaquet, en région parisienne, de 1932 à la guerre ; et Léon Boutbien succéda à Jacques Enoch au secrétariat national et à L’Étudiant socialiste en 1934.
91Conjuguée avec une participation active à la Résistance, et plus particulièrement au parti clandestin, la qualité de Jeune ou d’Étudiant socialiste put accélérer les promotions sous l’Occupation et à la Libération, d’autant plus facilement que le secrétariat général et la plupart des parlementaires avaient failli. La volonté de rénovation était favorable a priori à un rajeunissement immédiat des cadres, mais pour ce faire, le parti clandestin ne pouvait massivement puiser dans les mouvements de jeunesse, puisque les JS de Bernard Chochoy étaient munichoises et paul-fauristes, et que les ES étaient divisés entre pacifistes et proches de la Bataille socialiste, comme Léon Boutbien. L’ascension d’anciens JS ou ES se réalisa donc plutôt à titre individuel, et parfois à l’échelle d’une fédération entière, si elle avait rompu avec la direction du mouvement depuis Munich.
92Lorsqu’à sa démobilisation Jean Capdeville reprit un poste d’instituteur à Rouen, il revit « quelques copains du syndicat », mais ne trouva guère de secours auprès du PS « qui s’était évanoui : il est vrai que la majorité des membres de la fédération était des vieux de près de 60 ans, d’où leur aspiration au repos plutôt qu’à la lutte », remarquait, avec cynisme, l’ancien secrétaire fédéral des JS120. Le « jeunisme » était alors un atout. La Résistance offrait aux jeunes une revanche symbolique, puisqu’ils pouvaient enfin faire leurs preuves en toute indépendance s’ils savaient en saisir l’occasion. À Toulouse, le réseau Libérer-Fédérer se forma à partir des JS, opposées aux thèses munichoises, derrière Achille Auban, secrétaire fédéral des JS, et Gilbert Zaksas, des JC. Pour ces jeunes, il était clair que le parti socialiste était « un parti pourri », qui devait être « entièrement rénové » et « épuré de façon féroce121 ». L’une des grandes figures de la Haute-Garonne, Vincent Auriol, ne se voyait-il pas traité « d’honorable nullité » par Combat en décembre 1943, en dépit de son attitude à Vichy122 ? Dès 1943, Daniel Mayer devint secrétaire général du parti clandestin à 34 ans et Robert Verdier, son adjoint, à 23 ans. Gérard Jaquet fut élu au comité directeur en 1944 à 28 ans. Dans la nouvelle équipe élue en 1946, Guy Mollet devenait à son tour secrétaire général à 40 ans, Jacques Arrès-Lapoque, son secrétaire général adjoint, à 29 ans, et Léon Boutbien, membre du comité directeur, à 31 ans.
93Mais passé ce cap, être un jeune résistant ne permit plus de brûler les étapes. Victor Provo avait déjà 43 ans lorsqu’il y fut élu pour la première fois en 1945, et Irène Laure 48 ans en 1946. Leur passé aux JS fut sans doute moins décisif que leurs rôles à la mairie de Roubaix pour l’un, et aux Femmes socialistes pour l’autre. Après 1946, les promotions retrouvèrent leur rythme traditionnel, puisque, par exemple, Camille Delabre fit son entrée au comité directeur à 41 ans en 1947, Raymond Guyon à 52 ans en 1952, Maurice Rabier à 49 ans en 1956, René Schmitt à 51 ans en 1958, Georges Guille à 50 ans en 1959… Par conséquent, si l’on compare l’accès au comité directeur avec celui au Parlement, il apparaît qu’il fut plus facile aux anciens JS et ES, même résistants, de devenir parlementaires que membres de l’appareil dirigeant.
94L’hétéronomie des mouvements de jeunesse, en particulier des JS, explique qu’ils n’aient pas joué un plus grand rôle dans la sélection des élites du parti, car un grand nombre préférèrent faire l’économie de ce stade transitoire, où ils pouvaient avoir l’impression de ne pas être des militants à part entière. Néanmoins, les JS et la FNES purent jouer le rôle de tremplin pour ceux qui surent s’y faire remarquer et grimper les échelons de l’appareil. La conjugaison avec la Résistance propulsa même les plus jeunes d’entre eux au premier rang. Dans tous les cas de figure, la participation à l’un des mouvements de jeunesse du parti accordait aux candidats à l’investiture sous la IVe République une ancienneté incontestable, que les fédérations savaient utiliser lorsqu’elles refusaient de s’ouvrir à des non-socialistes. Elle put même faire oublier le paul-faurisme munichois et l’attentisme d’un Bernard Chochoy. En outre, elle était l’occasion de nouer des amitiés durables et de s’insérer dans ses premiers réseaux. Si elle ne constituait pas une condition suffisante, elle apportait nécessairement un plus pour accéder au Parlement.
Notes de bas de page
1 Pascal Perrineau (dir.), L’engagement politique : déclin ou mutation ?, Presses de la FNSP, 1994 et Michelle Perrot et Olivier Wieviorka (dir.), « Engagements du xxe siècle », Vingtième siècle, revue d’histoire, 60, octobre-décembre 1998.
2 Louis Lévy, Comment ils sont devenus socialistes, Librairie du Populaire, 1931.
3 Édouard Depreux, Souvenirs d’un militant, de la social-démocratie au socialisme, un demi-siècle de luttes, Fayard, 1972, Préface.
4 Léon Osmin, Figures de jadis, Éditions Nouveau Prométhée, 1934.
5 Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Presses de la FNSP, 1988.
6 Bulletin intérieur, n° 44, novembre 1949.
7 André Canivez, Escaudain mon village. Petite histoire et souvenirs de jeunesse et de la Belle Époque, Douai, 1966, p. 62.
8 Entretien du 8 juin 1996.
9 Arthur Conte, Au village de mon enfance, Plon, 1994, p. 28.
10 Georges Guille, De l’unité socialiste. La gauche la plus bête ?, La Table ronde, 1970, p. 17-18.
11 Alfred Wahl, « Les députés SFIO de 1924 à 1940. Essai de sociologie », Le Mouvement social, janvier-mars 1979, 106, p. 25-44.
12 Daniel Gaxie, « Les logiques du recrutement politique », Revue française de science politique, XXX, 1, 1980, p. 5-45.
13 Ibidem. À titre de comparaison, rappelons que les membres du comité central de 1936, étudiés par Bernard Pudal, étaient à 51 % des fils d’ouvriers (op. cit., p. 47).
14 Entretien du 13 février 1995.
15 Chap. III, p. 75-108.
16 Entretien accordé à M. Rozier, La Vie mancelle, n° 223, septembre 1983.
17 Le père de Robert Coutant fut député du Bloc national. Marcel Guislain était également fils d’un député de Douai (1906 à 1919), mais sans étiquette.
18 Édouard Depreux, op. cit., Préface.
19 Madeleine Léo-Lagrange, Le présent indéfini. Mémoires d’une vie, s. l., Corsaire Éditions, 1998, p. 68.
20 Jacqueline Pinguet, Pour l’amour de demain. Irène Laure, Caux, Éditions de Caux, 1985, p. 37.
21 Entretien du 8 janvier 1998.
22 Aciéries Réunies de Burbach-Eich-Dudelange.
23 Plusieurs décennies après, on retrouve ce souci de mettre à la portée des jeunes des classes populaires des infrastructures sportives : Jean Montalat avec l’équipe de rugby à Limoges, Frank Arnal avec la société sportive Pro Patria et le Rugby Club de Toulon, ou encore Albert Denvers avec le Basket Club maritime de Gravelines…
24 Frédéric Cépède, « L’identité du Parti socialiste, permanences et ruptures », dans Serge Berstein et alii (dir.), Le Parti socialiste entre Résistance et République, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 23-36.
25 Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, Archives du PS-SFIO, OURS, p. 46 et 165.
26 Léon Osmin décrit ainsi Gabriel Farjat, fondateur du POF à Lyon : « Tout en produisant pour un salaire de famine, le jeune ouvrier qui avait quitté l’école primaire à onze ans, s’efforçait d’acquérir une solide instruction. La nuit, dans sa modeste chambre, à la lueur d’une lampe fumeuse, il se plongeait avec frénésie dans les livres de science, de sociologie, de philosophie, d’histoire », op. cit., p. 101.
27 Mattei Dogan, « Les filières de la carrière politique en France », Revue française de sociologie, vol. VIII, n° 4, octobre-décembre 1967.
28 Georges Guille, op. cit., p. 20. Cf. Jean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie, Les collèges du peuple. L’enseignement primaire supérieur et le développement de la scolarisation prolongée sous la IIIe République, INRP-CNRS, 1992.
29 Georges Guille, ibidem.
30 André Canivez, L’École normale d’instituteurs de Douai de 1834 à 1961, Douai, 1962, p. 138.
31 Jean-Marie Mayeur, La question laïque xixe et xxe siècle, Fayard, 1997, p. 73-88.
32 Albert Bayet, La morale laïque et ses adversaires, Saint-Amand, Imprimerie Bussière, 4e édition, 1925.
33 Fernand Auberger, Albert Aubry, Émile Bèche, Alix Berthet, Jacques Bianchini, Raoul Borra, André Canivez, Roger Cerclier, Marcel Champeix, Jean Courtois, Marcel Darou, Camille Delabre, Albert Denvers, Germain Guibert, Henri Henneguelle, Madeleine Laissac, Charles Lamarque-Cando, Jean Le Coutaller, Louis Le Sénéchal, Alexis Le Strat, Augustin Maurellet, Marcel Mérigonde, Pierre Métayer, Jean Nayrou, André Parmentier, Maurice Poirot, Paul Racault, Irma Rapuzzi, Georges Reverbori, Germain Rincent, Symphor-Monplaise, Eugène Thomas et Fernand Verdeille. Certains normaliens devenus professeurs adhérèrent à d’autres syndicats.
34 Jacques Girault, Instituteurs, professeurs. Une culture syndicale dans la société française (fin xixe-xxe), Publications de la Sorbonne, 1996.
35 Albert Aubry, Émile Bèche, Jean-Marie Berthelot, Raoul Borra, André Canivez, Marcel Darou, Henri Guénin, Germain Guibert, Louis Lafforgue, Alexis Le Strat, Camille Lhuissier, Augustin Maurellet, Paul Racault, Germain Rincent et Jean-Marie Thomas.
36 Jacques Girault, op. cit., p. 150-152.
37 André Canivez, L’École normale d’instituteurs…, op. cit., p. 141-142.
38 Yvette Delsaut, La place du maître. Une chronique des Écoles normales d’instituteurs, L’Harmattan, 1992.
39 Jacques et Mona Ozouf, La République des instituteurs, Le Seuil, 1992.
40 Entretien du 8 juin 1996.
41 Mattei Dogan, art. cit.
42 Mattei Dogan, « Les professions propices à la carrière politique. Osmoses, filières et viviers », dans Michel Offerlé (dir.), La profession politique xixe-xxe siècles, Belin, 1999, p. 171-199, et Gilles Le Béguec, « Prélude à la République des avocats », dans Alain Corbin et Jean-Marie Mayeur (dir.), Les immortels du Sénat 1875-1918, Publications de la Sorbonne, 1996.
43 Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Fayard, 1988, p. 67-74.
44 Étaient agrégés de Lettres : Jean Le Bail, Georges Gorse, Jean-Daniel Jurgensen, Pierre Pujol et Robert Verdier ; de Grammaire : Guy Desson, Claude Guyot et Léopold-Sédar Senghor ; d’Histoire : Armand Coquart, Antoine Mazier et Étienne Weill-Raynal ; de Philosophie : Marcel Cartier et Maurice Deixonne ; d’Allemand : Géraud Jouve ; et d’Espagnol : Georges Brousse.
45 Pierre Bertaux (né en 1907), « Amitiés normaliennes », Commentaire, 28-29, 1985, cité par Jean-François Sirinelli, op. cit., p. 17.
46 André Canivez, Escaudain mon village, op. cit., p. 109.
47 Pierre Pierrard, Gens du Nord, Arthaud, 1985, Notice V. Provo.
48 Albert Gazier, Mémoires, inédits, Archives de l’OURS, C.4.
49 Stéphane Clouet, « 1905-1969 : Les écoles socialistes ont-elles existé ? », Cahier et revue de l’OURS, 211, mai-juin 1993.
50 Albert Gazier, Mémoires, op. cit., C.1.
51 Madeleine Léo-Lagrange, op. cit., p. 55-56.
52 Daniel Lindenberg et Pierre-André Meyer, Lucien Herr. Le socialisme et son destin, Calmann-Lévy, 1977.
53 Entretien du 13 février 1995.
54 Jules Moch, Rencontres avec… Léon Blum, Plon, 1970, p. 28.
55 André Le Troquer, La parole est à André Le Troquer, La Table ronde, 1962, Avant-propos.
56 Jules Moch, Rencontres avec… Léon Blum, op. cit., p. 16.
57 Édouard Depreux, op. cit., p. 20-23 et 32-33.
58 Noëlline Castagnez-Ruggiu, « Itinéraires croisés : le pacifisme mène-t-il à tout même à la guerre ? », Cahier et revue de l’OURS, 2-1994, nouvelle série, p. 55-66.
59 Gustave Delory (1857-1925) fut le maire socialiste de Lille (1896-1904 et 1919-1925), député (1902-1925), et membre de la CAP.
60 Léon Hudelle (1881-1973) fut le rédacteur en chef du Midi socialiste de 1914 à 1944.
61 Madeleine Lagrange raconte que son fiancé la présenta à sa section du 5e arrondissement avant même de lui faire rencontrer sa mère (op. cit., p. 61).
62 Jean-Marie Mayeur, La question laïque, op. cit.
63 Jean Bruhat, « Anticléricalisme et mouvement ouvrier en France avant 1914 », dans François Bédarida et Jean Maitron (dir.), Christianisme et monde ouvrier, Cahiers du « Mouvement social » n° 1, Éditions ouvrières, 1975, p. 79-116.
64 André Maudet, Au fil des souvenirs, Saintes, à compte d’auteur, 1988, BNF, p. 4 et 129.
65 De sorte que trente ans plus tard, ils se marièrent à l’Église catholique, en dépit des origines huguenotes d’Irène.
66 Amadou Lamine-Gueye, Itinéraire africain, Présence africaine, 1966.
67 Cité par Georges Rougeron, Fernand Auberger 1900-1962, Montluçon, Grande imprimerie nouvelle, 1962, p. 26.
68 Entretien du 8 janvier 1998.
69 André Canivez, Escaudain mon village, op. cit., p. 71.
70 Cité par Aline Fonvieille-Vojtovic, Paul Ramadier 1888-1961, élu local et homme d’État, Publications de la Sorbonne, 1993.
71 André Combes, « Paul Ramadier et la franc-maçonnerie », dans Serge Berstein (dir.), Paul Ramadier. La République et le socialisme, Bruxelles, Complexe, 1990, p. 53-59.
72 Denis Lefebvre, Guy Mollet. Le mal aimé, Plon, 1992, p. 19.
73 Néanmoins, président du Conseil en 1956, il tenta de trouver un règlement concordataire à la question scolaire. Cf. Jean-Marie Mayeur dans La question laïque, op. cit., p. 177-191.
74 Discours de Léon Blum à la Chambre du 3 février 1925, cité par Jean-Marie Mayeur, « Le parti socialiste et la laïcité », Cahiers Léon Blum, op. cit., p. 37-48.
75 Léon Blum, éditorial du Populaire, 29 juin 1947.
76 Éric Ghebali, Vincent Auriol, le président citoyen, Grasset, 1998, p. 19.
77 Édouard Depreux, op. cit., p. 1-7.
78 Ibidem, p. 6.
79 Jean-Daniel Jurgensen, sous le pseudonyme de Jean LORRAINE, Chrétien ou marxiste ?, André Tournon et Cie, 1949, avant-propos.
80 Ibidem, p. 143-144, et 150.
81 Abel Sempé, Au service de l’économie et de la liberté de la Gascogne, Aire-sur-Adour, Castay, p. 12.
82 Le 4 janvier 1953, il fait le bilan de l’année écoulée avec les rubriques suivantes : « santé », « avidité », « bonté », « activité », « sociabilité » et « émotivité », et termine avec les « résultats 1952 » où il dénombre ses réunions, meetings, discours parlementaires… Il conclut : « Pour 1953, il faudrait plus de soin (l’écriture), plus de mémoire, moins de bavardage à tort et à travers, essayer de voir plus loin et plus haut, peut-être en faisant davantage d’articles », Cahier manuscrit d’Albert Gazier du 9 octobre 1943 au 11 décembre 1957, OURS.
83 Certains parlementaires d’outre-mer étaient musulmans, mais on ne dispose que de l’autobiographie de Lamine-Gueye.
84 Pierre Birnbaum, Les fous de la République, Fayard, 1992.
85 Entretien du 21 mars 1996.
86 Martine Pradoux, « Daniel Mayer, une jeunesse socialiste dans les années trente », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 51-52, juillet-décembre 1998.
87 Robert Verdier, Le Populaire, 25 novembre 1944.
88 Entretien du 13 février 1995.
89 Cité par A. Olivesi dans la notice du DBMOF.
90 André Philip, « Valeurs, convictions et actions », Analyse et prévision, juillet-août 1969.
91 André Philip, Le christianisme et la paix, Éditions Je sers, 1932.
92 André Philip, Henri de Man et la crise doctrinale du socialisme, J. Gamber, 1928, p. 53.
93 André Philip, Socialisme et christianisme, Conférence prononcée à l’École socialiste, 1934.
94 Mattei Dogan, « Les filières de la carrière politique en France », art. cit.
95 Gilles Le Béguec, L’entrée au Palais-Bourbon : les filières privilégiées d’accès à la fonction parlementaire (1919-1939), thèse d’État Paris X-Nanterre, 1989, p. 1136 sq.
96 Dans des amicales : Albert Aubry, Camille Lhuissier, Augustin Maurellet, Paul Racault et Camille Reymond ; au SNI : Fernand Auberger, Émile Bèche, Raoul Borra, Marcel Champeix, Jean Courtois, Marcel Darou, Charles Lamarque-Cando, Jean Le Coutaller, Louis Le Sénéchal, Alexis Le Strat, Rachel Lempereur, Marcel Mérigonde, Jean Nayrou, Maurice Poirot, Irma Rapuzzi, Georges Reverbori, Germain Rincent et Eugène Thomas ; à la Fédération unitaire de l’enseignement, Alix Berthet et Lucien Coffin.
97 Édouard Depreux, op. cit., p. 27.
98 Christian Delporte, « Les jeunesses socialistes dans l’entre-deux-guerres », Le Mouvement social, 157, 1991, p. 33-66.
99 Sur l’hétéronomie des JS et des ES et l’école de discipline qu’elles constituèrent, voir la thèse originale.
100 Gilles Le Béguec, L’entrée au Palais-Bourbon…, op. cit. Je tiens à le remercier vivement pour son aide.
101 Entretien du 21 mars 1996.
102 Fructidor, février 1930.
103 L’Ère nouvelle, 20 mars 1927. C’était un journal cartelliste proche d’Yvon Delbos.
104 L’Ère nouvelle, 16 mars 1932.
105 Emmanuel Naquet, « La LAURS, un mouvement prototypique de l’entre-deux-guerres ? », RHMC, 41-4, octobre-décembre 1994.
106 J.-L. Loubet Del Bayle, Les non-conformistes dans les années trente, Le Seuil, 1969, p. 466.
107 Gilles Le Béguec, « Un conservatoire parlementaire. La conférence Molé-Tocqueville à la fin de la IIIe République », Bulletin de la SHMC, 22, 1984, p. 16-21.
108 Madeleine Léo-Lagrange, op. cit., p. 89.
109 Georges Marion, Gaston Defferre, A. Michel, 1989, p. 47.
110 André Philip, « Le chrétien et l’action sociale », Terre nouvelle, n° 1, 1er mai 1935.
111 Informations fournies par Pierre Guiral à Gilles Le Béguec, qui a eu l’amabilité de nous les communiquer. Cf. Gilles Le Béguec, « Le groupement universitaire pour la Société des Nations (1922-1939) », Provinces contemporaines, n° 1, 1990, p. 33-55.
112 Lettre de Max Lejeune à Gilles Le Béguec du 4 juillet 1983.
113 Jean Le Bail et Georges Lefranc dans La République libre du 9 décembre 1960.
114 Archives Zyromski, CRHMSS, BIII.
115 Il s’agit, du Nord au Sud, de Camille Titeux dans les Ardennes, Marcel Boulangé à Nancy, Jean Capdeville en Seine-Inférieure, Antoine Mazier dans la Manche, Daniel Mayer à Paris, Léon Boutbien à Bondy, Kléber Loustau dans le Loir-et-Cher, Louis Escande à Mâcon, Jean Montalat à Tulle, Jacques Meyniel dans le Cantal, Jean-Raymond Guyon à Libourne, André Le Floch à Floirac, Georges Brousse à Castelsarrasin, Achille Auban à Toulouse, André Méric en Haute-Garonne, Georges Guille et Francis Vals à Carcassonne, Jean Péridier dans l’Hérault, Robert Gourdon dans le Gard, Maurice Pic à Avignon, Jean Massé à Marseille, et Maurice Rabier à Oran.
116 Ce parcours au JS complète l’analyse de Frédéric Sawicki qui attribue son implantation à son ascendance ouvrière et paysanne et son activisme associatif (Les réseaux du Parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Belin, 1997, p. 81-82 et p. 97).
117 Jean-François Sirinelli, op. cit., p. 294-300 ; Georges Lefranc, « Comment dans les années vingt on devient socialiste », Cahier de l’OURS, n° 116, janvier 1980.
118 Jean-François Sirinelli, op. cit., p. 358-375.
119 Cahiers de l’OURS, n° 116, 1980, p. 47.
120 Témoignage à Odette Merlat du 7 avril 1947, AN, 72AJ/59, AI 7. En 1940, il avait 28 ans.
121 Témoignage du professeur Soulas (Haute-Garonne), à Henri Michel, le 10 décembre 1946, AN, 72AJ/59, 2.
122 Marcus, alias Claude Bourdet, Combat, décembre 1943.
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