Chapitre III. L’ombre portée de la Résistance
p. 75-108
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Texte intégral
1Mattei Dogan a montré que l’opposition au régime défunt avait constitué une filière politique privilégiée au début de la IIIe République et qu’il en fut de même après 1945. L’engagement résistant fut la clé de la sélection du personnel politique sous la IVe République, comme le révèle le choix des ministres parmi les résistants les plus notoires1. Ce fut de la petite minorité de résistants actifs que provenaient 80 % des députés au lendemain de la Libération. Les résistants étaient présents dans tous les partis, à l’exception des modérés où ils étaient peu nombreux. Pour mesurer l’impact de la Résistance dans le recrutement des parlementaires SFIO, il s’agira donc moins d’attribuer un label de résistance, certifié authentique, que de considérer l’image des candidats à l’investiture. Nous réserverons à plus tard la question complexe de ce que signifia la Résistance pour ces hommes et ces femmes eux-mêmes, en rappelant pour l’instant la définition de Pierre Laborie, qui ne dissociant pas l’action de son sens, pense la Résistance « dans la cohérence du rapport entre engagement, intentions et conséquences2 ». En suivant ces critères, seront donc considérés comme résistants tous ceux qui eurent la volonté de nuire à l’occupant et la conscience de résister, avec une juste perception du risque et du sens de la lutte, et qui adoptèrent des pratiques de transgression, sans pour autant abandonner tout objectif propre3.
2Il conviendra alors de distinguer les résistants socialistes, qui se dispersèrent dans de nombreux mouvements et réseaux, des socialistes résistants du parti clandestin. Sous l’Occupation, celui-ci fut en concurrence directe avec les mouvements puisqu’ils recrutaient dans les mêmes milieux et se fondaient sur des valeurs morales et spirituelles communes. Afin de ne pas diviser la Résistance et parce qu’il ne lui était guère possible de modifier le cours des choses, le CAS décida de « verser » les socialistes dans les mouvements et réseaux existants. Il faudra donc comparer leur part respective dans le corpus afin de voir si la représentation résistante au Parlement fut le fidèle reflet des engagements. La Résistance permit-elle le rajeunissement des cadres socialistes en constituant le « réservoir » tant espéré» Fut-elle un facteur de promotion partisane et, plus largement, politique» Ayant déjà constaté que le renouvellement exogène avéré ne dépassa pas 12 % du groupe, il faudra expliquer pourquoi la Résistance ne put régénérer le groupe parlementaire d’un parti dit rénové.
Le résistant entre réalité et représentation
3Polymorphe et par définition clandestin, l’engagement résistant fut et demeure difficile à établir dans sa réalité. Le Jury d’honneur, étudié par Olivier Wieviorka, fonda ses décisions sur une définition empirique de la Résistance en privilégiant la conception militaire et en sous-estimant l’action civile, telles que la distribution de faux papiers ou la résistance professionnelle4. Cependant, pour décerner réparation et reconnaissance, le législateur dut définir un certain nombre de critères en cherchant à couvrir toutes les formes d’engagement et toutes les situations ayant présenté des risques de fait. Il reconnut ainsi tous ceux qui avaient appartenu à une organisation, réseau, mouvement, ou unité combattante, créés précisément pour une activité de résistance, et ceux qui avaient agi de leur propre initiative dans la même fin5. Or ces titres de Résistance, quelle que soit la manière dont ils furent accordés, constituèrent un capital politique indéniable à la Libération, dont les futurs parlementaires SFIO surent jouer comme leurs adversaires. Il s’agit donc non seulement de brosser un panorama des engagements dans la Résistance des membres du corpus, mais aussi de prendre en compte leur réputation de résistants, laquelle contribua à leur élection.
Résistants socialistes et socialistes résistants6
4En 1998, Robert Verdier constatait que les socialis0tes étaient presque systématiquement omis lorsqu’on procédait à une énumération des forces de la Résistance7. Daniel Mayer avait coutume de dire que la SFIO n’avait pas battu le tambour sur le cercueil de ses martyrs. Au lieu de mettre en lumière la véritable hécatombe de cadres qu’elle avait subie, nous avons vu qu’elle opta pour l’expiation en s’infligeant une vigoureuse épuration. Or des travaux récents ont montré non seulement le poids des socialistes dans la Résistance, mais aussi l’hétérogénéité de leurs engagements8. Cette tendance trouva-t-elle sa traduction au Parlement» Sachant que la Résistance demeura minoritaire, avec une estimation de 300 000 résistants actifs9, il convient d’évaluer sa place dans l’ensemble du groupe parlementaire de la IVe République et d’esquisser une typologie.
5Il faut d’abord repérer la dizaine de prisonniers qui ne purent regagner la métropole avant le printemps 1945 et participer à la Résistance, même si certains ne se résignèrent pas pour autant à leur sort10 : Georges Brousse, Lucien Coffin, André Darmanthé, Max Lejeune, Pierre Métayer, Jean Nénon, André Parmentier, Maurice Poirot, Marcel Pouyet, André Quénard, André Southon et Ennemond Thoral.
6Les décorations remises au titre de la Résistance permettent une première évaluation. Quatre furent Compagnons de la Libération : René Peeters, Jacques Piette, Christian Pineau et Alain Savary11. La Médaille de la Résistance fut décernée à au moins 106 d’entre eux. Une douzaine reçurent la Légion d’honneur au titre de la Résistance ou la Croix de combattant volontaire de la Résistance12. Donc 42 % d’entre eux furent reconnus et décorés pour leur activité sous l’Occupation13. Les anciens membres de réseaux, créés en vue d’un travail militaire précis, renseignement, sabotage ou évasion, et ceux des mouvements, qui plus largement visaient à sensibiliser et à organiser la population, sont les plus faciles à identifier14. Ceux-ci constituent le groupe des résistants, souvent socialistes, parce que la plupart avaient adhéré à la SFIO avant la guerre. Au nombre de 160 au moins, ils représentent 53 % du corpus. S’y ajoutent les membres du parti socialiste clandestin, représenté au CNR, dès le 27 mai 1943, par André Le Troquer puis Daniel Mayer. Cette grosse soixantaine de militants forment le groupe des socialistes résistants et représentent 21 % du corpus. Une trentaine, soit 10,7 %, jouèrent un rôle à Londres puis à Alger, ou furent membres des FFL. Mais il faut rappeler qu’un grand nombre militèrent à la fois dans les réseaux et mouvements ainsi qu’au parti clandestin, et que certains résistants de l’intérieur s’évadèrent de la métropole pour rejoindre ensuite la France libre. Si l’on retient un seul de ces engagements pour chacun, le corpus comprend 70 % de résistants au sens strict. De ce point de vue, la représentation parlementaire de la SFIO sous la IVe République fut bien le reflet de l’engagement résistant des socialistes, longtemps sous-estimé.
7Elle porte aussi les stigmates de la répression qui les frappa durement. Vincent Auriol, Georges Bruguier, Salomon Grumbach, Jules Moch, Eugène Montel furent rapidement internés dans les geôles de Vichy à Pellevoisin, puis à Vals-les-Bains, avant d’être astreints à résidence, ou de pouvoir s’évader, comme Jules Moch et Vincent Auriol. Les premiers avaient refusé les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, et Eugène Montel était considéré comme un ami très proche de Léon Blum. Marius Moutet, menacé du même sort, fut le seul à choisir l’exil, en Suisse, et son fils fut interné à sa place. Paul Ramadier et Louis Noguères furent assignés à résidence. La plupart furent menacés d’arrestation et durent entrer dans la clandestinité, certains ne pouvant échapper à la Gestapo. Plus d’une vingtaine d’entre eux, soit près de 7 % du corpus dans son ensemble, furent ainsi déportés pour fait de Résistance à Neuengamme, Mauthausen, Auschwitz, Buchenwald, Ravensbrück, Dachau et Dora, la plupart dans plusieurs camps successifs15.
Des parlementaires réputés « résistants »
8Il aurait été possible de s’en tenir à ces seules catégories, relativement faciles à identifier et vérifier. Mais cette démarche n’aurait pas pris en compte l’image publique des candidats ou parlementaires telle qu’elle apparaît dans les rapports d’opinion des préfets et des RG. Comme le constata Claude Bourdet :
« Il fallait à cette époque un brevet de résistance pour faire de la politique, mais l’électeur était peu sensible aux finesses, et il lui importait peu de savoir si le rôle de tel ou tel candidat avait été fondamental dans le travail clandestin16. »
9Le fait qu’un parlementaire se déclare résistant dans ses professions de foi ne suffit certes pas à prouver son engagement, mais lorsqu’il revendiqua ce titre régulièrement sans susciter aucune opposition, il semble bien que son électorat le tenait pour tel. Ces sources, révélatrices des représentations de l’époque, montrent qu’en général la réputation de « résistant » se faisait souvent à partir des signes les plus récents. Ainsi, les membres de CDL et Comités locaux de libération étaient systématiquement qualifiés de « résistants », même s’ils n’avaient pas participé à l’organe clandestin, souvent balayé par la répression, et auquel succédait une autre équipe. Or nous avons repéré au moins 110 membres de CDL ou du Comité parisien de libération, ou présidents de Comités locaux de libération de villes importantes, soit 38 % du corpus. Certains prisonniers étaient même auréolés du titre de « résistant » pour avoir organisé une cellule politique dans leur stalag ou avoir été interné dans un camp disciplinaire. À l’inverse, certains ne bénéficièrent pas du label, parce qu’ils avaient résisté dans un autre département après avoir été déplacés et que leurs concitoyens l’ignoraient. En Gironde, Jean-Raymond Guyon fut ainsi qualifié « d’attentiste » en septembre 1945, alors qu’il participa à la résistance dans la Vienne, où il s’était réfugié après avoir été révoqué par Vichy17. Si leur appartenance à l’une des catégories ci-dessus était avérée, nous l’avons rétablie.
10Néanmoins, certains eurent des comportements complexes voire ambigus sous l’Occupation, qui furent diversement perçus par l’opinion publique, et qui rendent leur cas plus difficile à trancher par l’historien. Un si grand nombre de facteurs put déterminer l’engagement des individus qu’il faut tenir compte non seulement de la chronologie et des zones d’occupation, mais aussi de tous les motifs propres à chacun. Jusqu’à quand pouvait-on s’engager et être encore un « résistant »« Que dire de celui qui, après avoir refusé les pleins pouvoirs à Pétain, ne manifesta plus aucun signe extérieur d’opposition» Doit-on considérer comme tel dans la zone Sud, celui qui se soumit ou soutint Vichy, par calcul ou conviction, avant de basculer dans l’opposition active, en d’autres termes le vichysto-résistant18«
11Médecin de campagne, Georges Juskiewenski, n’eut aucune activité politique sous l’Occupation. Sa femme, en revanche, fut internée à Compiègne pour fait de résistance, et il fit partie du Comité local de libération de Figeac. À ce titre, il bénéficia d’une vague réputation de « résistant » dans le Lot, de sorte que lors des cantonales de septembre 1945, il reçut l’investiture de la SFIO, à laquelle il adhéra à cette occasion19. À l’inverse, Jean Lamarque eut des déboires à la Libération. Chef du parti clandestin dans le Var, il fit partie du CAS de la zone Sud et des MUR, mais ne cessa jamais sa collaboration au Petit Provençal. Il fut donc assigné à comparaître devant la Commission d’épuration de la presse, qui menaça de lui retirer sa carte professionnelle. Il put finalement la conserver, devenir rédacteur en chef au Provençal de Toulon et à Toulon Soir, et se faire élire conseiller de la République en 1948. Le cas de Joseph Paul-Boncour est plus délicat. Président du groupe des parlementaires résistants à l’Assemblée consultative provisoire, il fit cependant l’objet d’une vive polémique et ne put se rétablir longtemps au Parlement20. Après avoir refusé les pleins pouvoirs à Pétain, il fit l’objet d’une surveillance très rapprochée, comme l’attestent les nombreux rapports des RG. S’il présida l’association clandestine des Quatre-Vingts et s’il eut à cœur d’éviter tout contact avec l’occupant et ses acolytes, son activité demeura de fait assez modeste. À la Libération, son attitude lors des journées de juillet 1940 fut sévèrement critiquée, comme le rapporte le 2e Bureau des FFI. D’aucuns jugeaient que le contre-projet des sénateurs, dit Taurines, qu’il avait signé, ne différait guère de celui du 10 juillet, puisqu’il comprenait une motion de confiance à Pétain21. En octobre 1944, des rafales de mitraillettes étaient tirées sur sa villa, alors que dans le même temps, la municipalité communiste de Saint-Aignan s’opposait à ce qu’il participe à une cérémonie en l’honneur de la libération de la ville. Le BCRA constata donc que Paul-Boncour était vivement attaqué par les communistes et même des socialistes qui le taxaient d’opportunisme et l’accusaient d’avoir eu « une attitude toute passive sous l’Occupation22 ». Réintégré au nom de la réconciliation de la famille socialiste, l’ancien USR ne fit qu’une courte carrière au Parlement de la IVe République : désigné par l’Assemblée nationale, et non élu, au Conseil de la République en décembre 1946, il fut battu lors du renouvellement de 1948.
12Fernand Auberger, enfin, est un exemple de vichysto-résistant. Instituteur, secrétaire du SNI dans l’Allier, il fut un actif militant socialiste du Front populaire. Très proche de Paul Rives, qui vota les pleins pouvoirs avant de dériver dans la collaboration, il était néanmoins surveillé de très près par Vichy, qui le considérait comme « un individu très dangereux ». Franc-maçon, il fut révoqué de son poste, interné au camp de Mons puis de Nexon, placé en résidence surveillée en Lozère, puis finalement libéré en août 1941. Or quelques mois plus tard, grâce à ses relations syndicales, il réussit à entrer dans le cabinet du ministre de l’Intérieur, Pucheu, en tant que secrétaire, ce qui ne manqua pas de scandaliser le commissaire principal23. S’occupant de réviser les dossiers des internés administratifs, il put de fait servir la Résistance, et s’engager dans le réseau Alliance. Il joua manifestement un double jeu. Le 7 juillet 1943, le commissaire divisionnaire disait de lui :
« Il reconnaît volontiers que des erreurs graves ont été commises dans le passé, autant dans son parti que par les autres. […] Depuis sa libération, il semble s’être tenu à l’écart de toute activité politique et n’a donné lieu à aucune remarque défavorable, tant du point de vue national, que par sa conduite et sa moralité24. »
13Il fut même désigné par le secrétaire général de la Propagande universitaire comme correspondant auprès des instituteurs de l’Allier et réintégré dans le corps enseignant par le préfet en septembre 1943. De sorte qu’à la Libération, les communistes du Front national l’accusèrent d’avoir collaboré avec Pucheu ; en 1948, le député Henry Védrines le traitait encore « d’agent nazi » dans Valmy25. Désigné comme président de la délégation provisoire de Bellerive, et récupérant l’héritage politique de Paul Rives déchu, Auberger fut élu maire en avril 1945. Mais à cause de ce climat de suspicion, le commissaire de la République Ingrand l’invalida, ce qui n’empêcha pas ses concitoyens de le réélire, régulièrement, à la mairie et au conseil général jusqu’à sa mort en 1962. La thèse du double jeu fut donc parfaitement admise par ses électeurs, à défaut de l’être par ses adversaires politiques, qui n’allaient pas manquer une si belle occasion de polémiquer.
14Par conséquent, au-delà de la réalité des engagements, mesurée à l’aulne des risques encourus plus qu’à leur utilité immédiate dans la libération du territoire, une étude sur les filières d’accès au Parlement doit intégrer leur perception collective. En tenant compte de ceux qui furent empêchés parce qu’ils étaient prisonniers, l’ensemble du corpus comprend donc 85 % de parlementaires dits « résistants ». En dépit des polémiques sur l’attitude ambiguë de certains, suscitées d’ailleurs le plus souvent par les communistes, il ne faisait pas pâle figure au côté des autres groupes du Parlement. Pourtant, il ne suffit pas à inscrire la SFIO comme un parti de la Résistance dans l’opinion publique.
Résistance et propagande électorale
15Pierre Laborie a déjà montré que le désenchantement de l’opinion, dû à l’accumulation de contraintes objectives, avait provoqué les premiers signes de démystification de la Résistance intérieure après la Libération. La dynamique unitaire fut rapidement brisée, et ce fut de Gaulle, le chef du gouvernement, qui monopolisa la fonction de rassemblement, en devenant son symbole et son garant26. La SFIO s’étant déclarée « rénovée » grâce à la Résistance, ses candidats soulignèrent-ils leur engagement dans leurs professions de foi pour accréditer ce discours» Dans son roman Mon cher député, Christian Pineau présente une vision assez sarcastique des campagnes électorales de l’après-guerre, mais résume parfaitement cet enjeu de « communication » avant la lettre. Son personnage, Victor Pironneau, « avoué plaidant à La Grinche, dans le Loir-et-Loire » est un résistant de la dernière heure, et alors qu’il s’inquiète de sa réputation, son mentor le rassure : « Tu as la chance de représenter le juste milieu. Tu étais pour Vichy quand il le fallait, tu as été pour Londres au bon moment. Les électeurs se reconnaîtront en toi27. » Et pour finir, ils proposent à l’ami Noël, revenant de Dachau, une place de quatrième, non-éligible, parce qu’un déporté fera bon effet sur leur liste. Dans ce contexte, les professions de foi comportaient en général une présentation plus ou moins succincte des candidats, et constituent donc un bon matériau pour analyser les pratiques des socialistes.
16Manifestement, les parlementaires minimisèrent leur engagement résistant, en particulier lors des élections au Conseil de la République, où ce passé devint presque anecdotique. Nous verrons que dans l’ensemble, les candidats préférèrent privilégier leur rôle d’élus et de notables28. C’est pourquoi l’ACP ne fut réellement mise en avant qu’en octobre 1945, pour qualifier les « sortants ». Ainsi, même en se contentant de la simple mention de « résistant », sans aucune fioriture, la fréquence de la référence résistante demeura en deçà de la réalité. Alors que 21 % d’entre eux avaient milité dans les rangs du parti clandestin, ils furent beaucoup moins nombreux à l’afficher après les élections de juin 1946. Le CAS fut même complètement occulté en 1951 et ne fut guère plus évoqué en 1956 (1/10). Le secrétaire général clandestin, Daniel Mayer lui-même, et ses deux adjoints, Robert Verdier et Gérard Jaquet, ne firent presque jamais figurer les termes de « CAS » ou de « parti clandestin » dans leurs notices. Même les membres des Quatre-Vingts, qui avaient pourtant été érigés en modèles au moment de la reconstitution, ne rappelaient pas systématiquement leur vote du 10 juillet. Les mouvements et réseaux, qui reçurent le renfort de 53 % d’entre eux, en revanche, furent moins négligés. La résistance politique du parti clandestin n’était pas reconnue en tant que telle par ses adversaires, en particulier les communistes, qui affirmaient la prééminence du combat armé. Or les candidats intériorisèrent l’idée qu’il n’y avait pas eu de résistance socialiste à proprement parler, et privilégièrent, quand ils le pouvaient, leur autre forme d’engagement. De cette manière, ils ne contribuaient guère à imposer une image collective en inscrivant leur action individuelle dans tel réseau ou tel mouvement. Mais, dans le même temps, ils se démarquaient du parti communiste, critiqué dans certains départements pour avoir récupéré la Résistance à son profit et monopolisé tous les pouvoirs29.
17En octobre 1945, la sur-représentation des mouvements et réseaux (près des deux tiers) s’explique à la fois par la présence des nouveaux venus de la Résistance, tels que Robert Salmon ou Jean-Daniel Jurgensen de Défense de la France, et les critères « résistancialistes » de recrutement édictés par la direction. Il s’agissait alors de rendre crédible la rénovation du parti, surtout quand le candidat voulait effacer une faute. Certains, comme Guy Mollet (Pas-de-Calais), avaient un petit déficit de notoriété à combler : « Prisonnier de guerre, il entre dans la Résistance dès son retour de captivité, d’abord au CAS, puis à l’OCM. Doit partir, entre à Paris à Libération Nord, puis en Normandie dans les FFI. » Mais dès juin 1946, les candidats surent se montrer plus discrets. Les réseaux ou mouvements étaient rarement nommés, les fondateurs de Libération Nord, Christian Pineau, Albert Gazier et Robert Lacoste, par exemple, restant muets à leur sujet. En 1951, un tiers seulement faisaient encore allusion à leur qualité de « résistant » actif et, en 1956, cette proportion descendait en dessous du quart.
18En comparaison, l’engagement dans la France libre fut valorisé par la moitié de ceux qui pouvaient s’en prévaloir. Sans doute, était-il présent dans les tous esprits, moins galvaudé, et n’avait-il pas été entaché par les excès de la Libération. Il connut néanmoins lui aussi une certaine érosion. La référence au général de Gaulle diminua nettement après son départ du gouvernement en janvier 1946, pour disparaître complètement après le lancement du RPF en 1947. De même, le programme du CNR ne fut plus guère invoqué à partir de novembre 1946. Les grands espoirs soulevés par « l’esprit de la Résistance » étaient retombés. En revanche, l’appartenance aux CDL, dont un tiers furent membres, parlait davantage aux électeurs du cru et fut affichée par plus de la moitié des candidats en octobre 1945 ; elle se maintint encore en 1951 (2/5) pour ne devenir occasionnelle qu’en 1956.
19Mais ce fut la déportation, grâce à son pouvoir d’évocation, qui conserva son aura dans l’opinion publique tout au long de la IVe République. Pourtant, elle n’était mentionnée que comme une étape dans le fil du récit, et les camps étaient rarement nommés. Si avoir un déporté sur sa liste pouvait être du meilleur effet, comme le montra avec ironie Christian Pineau, cela n’empêcha pas certains de faire preuve d’une constante pudeur. D’ailleurs, les socialistes morts dans les camps, tels que Jean Lebas, Augustin Malroux ou Suzanne Buisson, étaient très rarement invoqués, la SFIO se refusant à exploiter ses cadavres, ce qui de toute façon aurait indisposé l’opinion. Enfin, la référence à la Résistance, dans le texte même des notices, se fit rarement sur le mode de l’héroïsation. Le personnage de la Gestapo, par exemple, ne fut guère utilisé, et la Milice presque jamais. Seul Paul Rassinier (Belfort) avoua avoir été torturé. Ils se contentaient souvent d’un court « résistant authentique », « résistant de la première heure » ou encore d’un « déporté de la Résistance ». Avec le temps, ils furent plus nombreux à être décorés à ce titre, et certains finirent par contracter ce vécu d’exception dans un « médaillé de la Résistance » ou une « Rosette de la Résistance ». Le type même de la notice peut être illustré par celle, lapidaire, de Jean Guitton (Loire-Inférieure) : « Député sortant – Conseiller général – Maire adjoint de Saint-Nazaire – Chevalier de la Légion d’Honneur – Croix de Guerre 1939-1945 – Médaille de la Résistance – Carte du Combattant. » Dans l’ensemble, ce mode elliptique laissait de la place au militant, à l’élu et au notable, plus consensuels. La profession de foi ne pouvait être le lieu d’une dramaturgie résistante, qu’ils réservaient à leurs mémoires.
20Christian Pineau avait sans doute raison en insistant sur la nécessité de « représenter le juste milieu » pour ne pas s’aliéner ses électeurs. Les esprits s’étaient habitués à une passivité que Vichy avait su exploiter, et l’aventure humaine que fut la Résistance, avec ses motivations individuelles, comprenait une part de singularité difficilement communicable30. Comme l’écrit Pierre Laborie : « Le droit à l’oubli ne suffit pas à faire disparaître toute mauvaise conscience. Une image grise de la Résistance devient, dans ce cas, bien moins dérangeante qu’une image vertueuse ou trop héroïque31. » Les responsables d’associations de résistants ne cherchaient même pas à faire jouer une solidarité de corps en usant de leurs titres, alors que les associations d’anciens combattants des deux guerres étaient nommées. Rares, également, étaient les anciens prisonniers qui oubliaient de signaler leur détention. Il leur fallait expliquer leur absence dans la Résistance métropolitaine et trouver un récit de substitution, comme Pierre Métayer (Seine-et-Oise) en 1951 :
« Mobilisé en août 1939, il est fait prisonnier et interné en Autriche à l’Oflag XVII A. Se refusant à adhérer, malgré les menaces, au Mouvement de Révolution Nationale et à la Légion Pétain, il organisa la résistance dans son camp. »
21Mais il s’agissait aussi de gagner la sympathie des quelque 1 800 000 Français qui avaient connu les stalags et oflags. Étaient donc citées les cellules de résistance et les tentatives d’évasion, puisque 70 000 prisonniers réussirent à s’évader d’Allemagne et que les tentatives furent bien plus nombreuses. Par exemple, Étienne Gagnaire (Rhône) ne manquait pas de rappeler qu’il était secrétaire général du Comité de coordination des Fédérations de prisonniers de guerre, déportés et travailleurs déportés, et Joseph Garat (Basses-Pyrénées) qu’il était directeur départemental des Prisonniers, déportés et réfugiés. De même, tous ceux qui avaient le statut d’ancien combattant le signalaient, au besoin en se contentant de mentionner leur Croix de guerre 1939-1945.
22Ce discours sur la Résistance apparaît d’autant plus moderato si on le compare à celui sur la Grande Guerre, dont l’occurrence ne descendit jamais en dessous des 2/5. Même les orphelins de guerre n’hésitaient pas à se présenter en tant que tels, comme Jean Minjoz (Doubs, 1956) : « Suivant les traces de son père tué pendant la Grande Guerre, Jean Minjoz devint très jeune un socialiste fervent. » Ce traumatisme national restait vivant dans l’opinion, et les candidats n’hésitaient pas à préciser le régiment et les fronts où ils avaient combattu, à dénombrer leurs citations et leurs décorations, et à détailler leurs blessures et mutilations, ce qu’ils ne firent pas systématiquement pour la Seconde Guerre mondiale. Ainsi ils ne reconstituaient aucune cartographie de l’univers concentrationnaire, alors que celle des champs de bataille de 1914-1918 était bien lisible. Sur ce plan, l’image des anciens combattants construite dans l’entre-deux-guerres ne fut pas brouillée.
23Électoralement, il était donc plus rentable de tenir un discours unanimiste, en identifiant la nation réconciliée à l’action exemplaire d’une minorité. Or cette difficulté à exploiter leur image s’explique aussi par la nature même de leurs engagements résistants.
Géographie et nature des engagements résistants
24La géographie de l’engagement socialiste dans les mouvements et réseaux fut d’abord le produit d’actes individuels, avant d’obéir à une stratégie de la direction clandestine. Elle s’explique en partie par les multiples contraintes liées à la guerre et aux différentes situations professionnelles, électives et partisanes de chacun. Dans ce contexte, il est difficile d’évaluer les facteurs qui déterminèrent le choix de tel mouvement plutôt qu’un autre32. Certains ne croyaient plus à l’action des partis et avaient choisi, à dessein, des regroupements où s’exprimaient des sensibilités idéologiques plus larges. D’autres s’étaient retrouvés isolés, avaient trouvé un écho dans l’appel du général de Gaulle et s’étaient ralliés au réseau le plus proche. D’autres, enfin, essayèrent rapidement de concilier leur action au sein d’un mouvement, tel que Libération Nord, avec leur adhésion au parti socialiste reconstitué. Mais passée cette période de 1940-1941, il convient de ne pas négliger la stratégie adoptée par la direction clandestine qui décida d’encourager la participation des socialistes à tous les mouvements et réseaux sans exclusive. Or cette représentation des socialistes dans la plupart des organisations de Résistance tranche nettement avec celle des communistes, concentrés depuis mai-juin 1941 dans une organisation autonome, le Front national, et dans les Francs-Tireurs Partisans, et bien plus visible, en dépit de leur engagement plus tardif. Dans quelle mesure le groupe parlementaire reproduit-il cette géographie de l’engagement des socialistes» De plus à la Libération, les organes directeurs du parti émanèrent en majorité du CAS, au détriment des mouvements et de la France libre. Ce décalage fut-il compensé par la représentation parlementaire»
La dispersion des socialistes dans la Résistance
25Daniel Mayer atteste que le problème des organisations de combat et de l’attitude à adopter à leur égard fut posé dès la création du CAS : « Devons-nous les aider, les ignorer, les bouder, créer nous-mêmes nos propres organismes de résistance armée33 ? » À cette question, Léon Blum répondit avec vigueur que le but immédiat était la libération du territoire, puisque le socialisme ne pouvait triompher que si, préalablement, la démocratie l’avait emporté sur le fascisme. « Nous devons, écrivit-il, en tant qu’individus, participer à toutes formes de lutte qui se présenteraient à nous, et nous ne devons sous aucun prétexte donner l’impression de diviser les combattants déjà engagés34. » Le mot d’ordre fut donc de verser les militants dans tous les groupes de résistance possibles. En prenant cette décision, les dirigeants clandestins n’ignoraient pas qu’ils couraient le risque de n’être pas totalement partie prenante lorsque la résistance serait au pouvoir, la victoire acquise. Car les contacts avec les différents mouvements, à l’exception de Libération Nord, ne furent pas faciles. Ils étaient néanmoins convaincus que la victoire venue, la Résistance, en tant que telle, devrait s’effacer devant les partis politiques à la seule condition que ceux-ci n’auraient pas démérité de la patrie. D’où l’épuration rigoureuse entreprise dans le parti dès avant la Libération. En outre, en « versant » les socialistes dans les réseaux de leur choix, ils pensaient obtenir ainsi « une audience plus large, un cercle plus ouvert35 ».
26En fait, le parti clandestin s’enferma dans une logique exclusivement politique et laissa aux mouvements, et surtout au PCF, le bénéfice d’un quasi monopole de la lutte armée, en dépit de leur présence à Libération Nord, dans le réseau Brutus, ou dans des groupes armés comme Véni d’Eugène Thomas et Gaston Defferre, et Police et Patrie de Roger Priou-Valjean. En 1942, peu de socialistes étaient prêts à occuper des postes de commandement militaire faute de préparation, et la plupart des responsabilités liées à l’action immédiate leur échappèrent. Rapidement, le parti put se plaindre de voir les gaullistes leur préférer les communistes et Léon Blum écrivit à ce sujet au Général en mars 194336. La dispersion des socialistes résistants fut donc lourde de conséquences. Elle contribua à renforcer la prévention du milieu résistant à l’égard des politiques et à empêcher la promotion de socialistes au sein des mouvements, particulièrement en zone Sud.
27Une soixantaine adhéra au parti socialiste clandestin, soit presque 21 %, parmi lesquels une bonne quarantaine s’engagèrent parallèlement ailleurs. Sachant que 88 % au moins des parlementaires de la IVe République appartenaient déjà à la SFIO avant la guerre, ce chiffre relativement faible indique leur désarroi, voire leur désaffection. On retrouve des fondateurs historiques du CAS en 1941 avec Édouard Froment, Félix Gouin, Lucien Hussel, et Daniel Mayer en zone Sud, et Augustin Laurent, Jean Biondi, Élie Bloncourt, Gérard Jaquet, Henri Ribière et Robert Verdier en zone Nord. Certains animèrent les deux CAS tels que Gaston Defferre et Jean Durroux au Sud, et Édouard Depreux, Pierre Doutrellot et Jean Minjoz au Nord. Daniel Mayer et Robert Verdier furent également secrétaire général et secrétaire général adjoint du CAS après sa réunification en juin 1943. D’autres reconstituèrent leur fédération après la débâcle37. Cette forte présence d’anciens membres du parti clandestin dans le groupe parlementaire est néanmoins nettement inférieure à celle des représentants des mouvements, réseaux, membres des FFI ou Armée secrète auxquels participèrent 53 % du corpus.
Mouvements et réseaux en zone Sud
28Plusieurs rejoignirent Combat qui pouvait pourtant apparaître à droite. Créé par le capitaine Henri Frenay dès l’été 1940 à Lyon, le mouvement fusionna ensuite avec le mouvement Liberté où militaient des démocrates chrétiens. À la fin de l’année 1941, il était dirigé par un comité de sept membres dont Claude Bourdet, François de Menthon et Georges Bidault, mais où ne figurait aucun socialiste. Toutefois, on trouve des membres du corpus, souvent à des postes de responsabilité dans les secteurs de la propagande, du renseignement et du choc, ce dernier se développant sous forme de trentaines constituant l’Armée secrète. Max Juvénal, dit Ovide, fut ainsi le chef de la région R2 de Marseille à partir de 1943, alors que Frank Arnal y supervisa le service de renseignement. Édouard Soldani fut responsable du service Recrutement-Organisation-Propagande (ROP) du Var et Edgar Tailhades de celui du Gard. André Hauriou fut le chef de la région R4 de Toulouse à partir de 1942. Citons encore René Dejean dans l’Ariège, Alexandre Baurens dans le Gers, Jean Geoffroy dans le Vaucluse, Marcel Naegelen réfugié alsacien en Dordogne, Émile Roux dans l’Aude, et Henri Doumenc à Constantine. Charles Lussy et Jules Moch eurent également des actions communes avec Combat.
29D’autres, tels qu’André Philip ou Robert Lacoste, pour ne citer que les plus connus, entrèrent à Libération Sud qui recruta largement dans le milieu socialiste38. Issu de La Dernière Colonne, fondée à l’automne 1940 entre autres par d’Emmanuel Astier de la Vigerie, le mouvement tendait, depuis son rapprochement avec Léon Jouhaux en août 1941, à rassembler communistes, socialistes et syndicalistes de la CGT, tel que Lacoste, et de la CFTC. Dès le printemps 1941, le parti clandestin apporta son soutien à ce mouvement progressiste et républicain en faisant distribuer tracts et journaux39. Cependant, le CAS demeura circonspect et s’il accepta de « verser » ses troupes à Libération Sud, il ne lui accorda pas l’exclusivité, loin s’en faut. Quoi qu’il en soit, Laurent Douzou a montré le rôle important joué par les socialistes à divers niveaux dans le mouvement, particulièrement en 1941 et 194240. On trouve ainsi Pierre Viénot, le mari d’Andrée, et Augustin Laurent, réfugié de la zone Nord, dans le premier comité exécutif. Et Jean Worms, dit Germinal, devint chef des MUR dans la région à partir de 1944.
30D’autres encore rejoignirent Franc-Tireur, en particulier dans le Vercors41. En 1942, le comité directeur comprenait entre autres Antoine Avinin, Jean-Pierre Lévy et Eugène Claudius-Petit, mais aucun socialiste. Alix Berthet en Isère et Louis Le Sénéchal, toutefois, combattirent dans ses rangs.
31À Toulouse, Libérer-Fédérer se forma autour de l’antifasciste italien Silvio Trentin et des JS toulousaines, opposées aux thèses munichoises de Paul Faure. Achille Auban, ancien dirigeant fédéral des JS, Gilbert Zaksas, ancien JC, et Charles Suran participèrent à sa fondation. Eugène Montel y adhéra après sa libération des geôles de Vichy. Ce petit mouvement, quelque peu marginal, voulait rompre définitivement avec l’ancien parti, et concilier révolution, socialisme et fédéralisme42. En juillet 1942, Zaksas entra en contact avec un agent du Special Operations Executive (SOE) britannique et associa Libérer-Fédérer au réseau de sabotage ferroviaire Alphonse Pimento. Grâce à ce réseau, le mouvement obtint du matériel et des subsides, et put lancer un journal du même nom le 14 juillet 1942. Mais privés de perspectives, ses militants durent réintégrer la SFIO en septembre 1944. Zaksas représenta ainsi le mouvement à l’Assemblée consultative provisoire et fut élu député en octobre 1945, avec Vincent Auriol.
32Enfin, un certain nombre assumèrent des responsabilités militaires dans les FFI. Citons en Bretagne, Jean Le Coutaller, commandant ; dans le Lot, Georges Archidice, en dépit de son jeune âge, lieutenant-colonel ; Émile Aubert, chef adjoint dans l’Ubaye ; en Auvergne, Gabriel Montpied, lieutenant-colonel ; et encore Jean Bène, chef de l’Armée secrète de l’Hérault. Enfin, plusieurs occupèrent des postes de responsabilités aux MUR puis au MLN : Alix Berthet en Isère, André Pradeau et Jean Worms en Dordogne, René Dejean en Ariège, André Philip et André Hauriou (membres du comité directeur du MLN), Max Juvénal, Francis Vals dans l’Aude, Francis Leenhardt dans les Bouches-du-Rhône, Frank Arnal, Jean Charlot et Édouard Soldani dans le Var.
33En zone Sud, par conséquent, l’engagement des membres du corpus dans les mouvements leur permit d’occuper des postes de commandement lors de la fusion des MUR en mars 1943, ce qui leur conféra certainement un supplément de légitimité par rapport à d’autres résistants de base. Claude Bourdet, de Combat, en témoigna :
« À l’intérieur des mouvements de résistance : Combat, Libération et même Franc-Tireur, dans toutes les régions où les socialistes avaient de solides assises (Provence ou Languedoc), il ne fait pas de doute que ce furent les militants socialistes qui prirent les initiatives les plus importantes43. »
Mouvements et réseaux en zone Nord
34En zone occupée, Libération Nord fut le mouvement qui recruta le plus grand nombre de socialistes44. C’est là que l’on y repère le plus de futurs parlementaires, une soixantaine au moins, soit 30 % des résistants au sens strict, et près de 21 % du corpus, c’est-à-dire autant que les membres du parti clandestin. La double appartenance était, en effet, souvent la règle. À l’origine, douze syndicalistes, dont Christian Pineau et Robert Lacoste qui rejoindront plus tard la SFIO, et Albert Gazier, déjà militant socialiste, signèrent un manifeste, rendu public le 15 novembre 1940, quelques jours à peine après le décret qui entraîna la dissolution, entre autres, de la CGT et de la CFTC. Ils y affirmaient les principes de liberté syndicale et dénonçaient la politique de Vichy. Dès décembre 1940, ils entrèrent en rapport avec le CAS par l’intermédiaire de Jean Texcier, qui tenait à relier le parti à une organisation à caractère national. Le 30 novembre 1941, Libération annonçait son lancement en préconisant le rassemblement le plus vaste possible de patriotes « sans distinction de partis, de croyances et de classes » contre Vichy. Les groupes étaient soit créés dans les structures préexistantes de la CGT ou de la SFIO, soit intégrés après leur création spontanée par Libération Nord qui proposait sa tutelle. L’osmose avec le parti clandestin était particulièrement notable dans la capitale et dans sa banlieue. En province, les futurs parlementaires firent souvent le lien. Par exemple, dans le Loir-et-Cher, Robert Mauger, député maire SFIO de Contres, fonda un groupe bientôt rattaché à Libération Nord, et dans l’Aube, Germain Rincent, instituteur socialiste, mit en relation les premiers groupes spontanés avec le mouvement. Progressivement, les membres du CAS augmentèrent leur influence au sein du mouvement, et décalquèrent sa structure sur celle du parti45. Cette tendance s’accentua avec l’action de prospection d’Henri Ribière lorsqu’il succéda à Christian Pineau en 1942. Cet ancien collaborateur de Marx Dormoy dit lui-même : « Comme socialiste, j’allai de toute évidence frapper à des portes socialistes46. » On retrouve donc Christian Pineau, Albert Gazier, et Henri Ribière au comité directeur du mouvement47. La forte représentation des anciens membres de Libération Nord dans le groupe parlementaire traduit donc celle des socialistes dans le mouvement.
35D’une manière moins naturelle, il y eut aussi des socialistes dans l’OCM, née de la fusion d’un groupe de militaires dirigés par Arthuys, ancien fondateur des Faisceaux, et de la Confédération des travailleurs intellectuels avec Blocq-Mascart. Guy Mollet et Abel Poulain dans le Pas-de-Calais, Raymond Le Terrier dans l’Orne, Gilles Gozard dans l’Allier, Augustin Maurellet en Charente, Roger Faraud et André Maudet en Charente-Inférieure, et Jacques Piette, dit Personne, qui fut l’un des chefs militaires du mouvement, militèrent dans cette organisation destinée à mettre sur pied, dans les régions de l’Ouest et du Nord, des unités combattantes. Elle développa aussi des services de renseignement, de réflexion et de propagande avec Les Cahiers de l’OCM qu’anima Jacques Piette.
36Comme l’a montré Libération Nord, les socialistes réussirent mieux à se regrouper en zone occupée qu’en zone dite libre. Ils purent même reproduire dans une certaine mesure les tendances d’avant-guerre.
37Dès novembre 1940, autour du maire SFIO de Roubaix, Jean Lebas, les militants purent tenir des réunions et diffuser un mensuel, L’Homme libre, qui après l’arrestation de Lebas, devint La Quatrième République. De son côté, le socialiste Jules Notour fit paraître avec le démocrate chrétien Natalis Dumez La Voix du Nord à partir d’avril 1941. On y repère Émile Dubois et Arthur Notebart. À partir de 1943, le mouvement fusionna son organisation militaire avec celle de Libération Nord, et son service de renseignements avec le réseau Cohors-Asturie. Henri Barré, ancien pivertiste, rejoignit, quant à lui, d’anciens trotskistes, tel Jean Zeller, et d’anciens pivertistes dans le Mouvement national révolutionnaire de Jean Rous, créé en novembre 1940. Il se distinguait par un programme favorable à une « libération nationale sans chauvinisme » et à la grève insurrectionnelle48.
38Léon Boutbien fonda avec des anciens de la Bataille socialiste, en janvier 1941, Notre révolution pour une libération idéologique et le triomphe des idées socialistes. Après une série d’arrestations en 1942, le journal prit le nom de Libertés. Le groupe se bornant strictement à l’édition d’un journal politique « dans la ligne du vrai socialisme révolutionnaire et non stalinien », « antinazi et anti-pétainiste », il était entendu que chacun de ses membres pouvait militer dans l’organisation de résistance de son choix49. C’est pourquoi l’on retrouve aussi d’anciens membres de la Bataille socialiste dans Ceux de la Résistance, créé en 1942 par Jacques Lecompte-Boinet. Ils furent recrutés par Pierre Stibbe, ancien pivertiste de la Gauche révolutionnaire, qui entra en contact avec ceux de Libertés. Il y rallia Pierre Commin qui, à son tour, recruta des socialistes comme Germaine Degrond, et qui organisa des groupes très actifs en Seine-et-Oise. Léo Hamon attesta que ces militants donnèrent à ce mouvement une coloration très politique et « un peu anarchisante50 ». Quelques-uns furent présents dans le réseau du Musée de l’Homme. En décembre 1940, Paul Rivet lança avec Pierre Brossolette, Jean Cassou et Claude Aveline le journal Résistance. Par la suite, Léon Boutbien collabora également à son réseau de renseignements.
39Enfin, Robert Salmon participa à la création de Défense de la France au côté de Philippe Viannay, qu’il avait connu à Louis-le-Grand avant la guerre51. Jean-Daniel Jurgensen, ancien normalien de la rue d’Ulm, les rejoignit et fut membre du comité directeur à partir de 1943. Le groupe choisit de lancer un journal du même nom afin d’agir sur l’opinion traumatisée, lequel se distingua par des moyens très supérieurs aux autres journaux clandestins, et par son évolution du maréchalisme au giraudisme, pour finalement se rallier au gaullisme. Il créa, par la suite, une centrale de faux papiers et monta quelques corps francs. À la Libération, il prolongea son action avec un journal de grande diffusion France-Soir, dont la direction politique fut assurée par Salmon et Jurgensen, et par sa participation au MLN.
Les réseaux de renseignement et la France libre
40En métropole, il faut enfin souligner l’action, souvent méconnue, des socialistes dans les réseaux de renseignements, et outre-mer, insister sur leur engagement dans la France libre.
41Ils apparaissent dans les réseaux Confrérie Notre-Dame Castille, créés par le colonel Rémy, puis Phalanx de Christian Pineau, liés ou dépendants directement de Libération Nord, et Centurie de l’OCM, avec Albert Aubry, Émile Bèche, Jean Meunier, et René Schmitt. À Marseille, les socialistes grossirent les rangs du réseau Brutus, appelé dans un premier temps Froment, du nom du pseudonyme de son fondateur le colonel Fourcaud. Bien que Brutus ne soit pas officiellement lié au parti, Gaston Defferre, l’un de ses dirigeants avec André Boyer, recruta largement dans les anciennes sections de sa fédération. Eugène Thomas, exilé du Nord, devint même un agent permanent à la fois pour le parti et pour le réseau, ce qui lui valut d’être arrêté et torturé par la Gestapo, puis déporté. Just Évrard et sa femme Émilienne Moreau, Jean Biondi, Raymond Gernez et Marcel Mérigonde lui apportèrent leur concours52. D’autres furent directement reliés à l’Intelligence Service. Charles Lamarque-Cando, Charles Margueritte, Raoul Laurent, Robert Mauger, Charles Suran et Roger Veillard travaillèrent pour le groupe d’action britannique Buckmaster ; Guillaume Detraves et Jean-Louis Rolland dans le réseau également britannique Jade-Fitzroy. Frank Arnal prépara le débarquement de De Lattre en Méditerranée avec le réseau de l’armée polonaise en exil F2. Fernand Auberger, fonctionnaire de Vichy, et Jean Montalat militèrent dans le réseau Alliance, fondé par le maréchaliste Georges Loustanau-Lacau et Marie-Madeleine Fourcade, qui assura des liaisons quotidiennes avec Londres à partir de mai 194153.
42Une minorité de parlementaires, 10,7 %, combattit dans les rangs de la France libre ou joua un rôle politique à Londres puis à Alger. Dans la première France libre, il y eut très peu de militants socialistes dans les forces combattantes, et un peu plus parmi les non-combattants avec des hommes comme Georges Boris et Henry Hauck54. En revanche, plusieurs gaullistes de la première heure rejoignirent le parti socialiste à la Libération et entrèrent au Parlement. Pierre-Olivier Lapie, en rupture de ban avec l’USR, rejoignit de Gaulle dès juin 1940, fut son directeur aux Affaires extérieures jusqu’en novembre 1940, puis gouverneur général du Tchad jusqu’en 1943. Promu capitaine de la Légion étrangère, il fit les campagnes de Libye et Tunisie. Alain Savary, nommé aide de camp de l’amiral Muselier en août 1940, puis gouverneur de Saint-Pierre-et-Miquelon en 1941, avant de commander un escadron du 1er Régiment de fusiliers-marins de 1943 à novembre 1944, n’avait pas encore adhéré à la SFIO55. Il en était de même pour Georges Gorse, Eugénie Éboué et Géraud Jouve. Gorse, professeur au lycée français du Caire, se rallia, dès juin 1940, à la France libre, sous les ordres du général Catroux, et fut envoyé en mission par de Gaulle en URSS pendant l’hiver 1942, puis chargé de mission auprès du Général à Alger de l’été 1943 à 1944. Eugénie Éboué appartint au corps des volontaires féminins de l’Afrique française libre en 1941. Jouve fut délégué de la France libre en Turquie de novembre 1940 à 1942, puis dirigea Radio-Brazzaville de 1943 à avril 1944, où il fonda l’Agence France-Presse à Alger. Pierre-Olivier Lapie fut désigné à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, où siégeaient également André Hauriou, chef régional de Combat dans le Toulousain, Richard Brunot, haut-commissaire du Cameroun, rallié dès 1940, et Henri Seignon, représentant de la Résistance en Afrique tropicale et équatoriale56. À l’Assemblée consultative provisoire, mise en place à Paris en novembre 1944, Alain Savary, Georges Gorse et Gilberte Brossolette représentaient la Résistance extérieure. Ayant consulté le Général sur ses intentions politiques, celui-ci leur aurait conseillé de rejoindre le parti de leur choix57. Tous adhérèrent à la SFIO à la Libération et entrèrent au Parlement sous sa bannière.
43À partir de 1942, des socialistes résistants de l’intérieur furent affiliés aux FFL comme Gaston Defferre, l’un des chefs de Brutus, ou Charles Margueritte, chef de la région M1 (Mayenne, Ille-et-Vilaine, Maine-et-Loire et Sarthe) de Buckmaster. D’autres s’y engagèrent hors de la métropole, comme Paul Alduy qui assura la direction des Affaires politiques au Haut-commissariat du Levant en 1943, puis qui fut le directeur de cabinet d’Yves Chataigneau au Liban, en Syrie et en Algérie, ou encore Jules Moch qui, dans les Forces navales françaises libres, prit part aux combats en Méditerranée et aux opérations de débarquement en Italie, puis en Provence en août 1944. Mais le plus notable est que la plupart des socialistes qui jouèrent un rôle décisif dans la France combattante à partir de 1942 entrèrent au Parlement après la Libération. Adrien Tixier, représentant du Bureau international du travail aux États-Unis, se mit à la disposition du Général dès août 1940. En novembre 1941, sur les conseils de René Pleven, celui-ci l’envoya représenter la France libre à Washington, où il dut affronter les délégués de Vichy et Roosevelt. Rappelé à Alger en juin 1943, il fut nommé commissaire au Travail, puis à Paris, ministre du Travail et enfin de l’Intérieur en septembre 1944. André Philip, arrivé à Londres en juillet 1942, fut aussitôt nommé commissaire à l’Intérieur. Auprès de ses camarades socialistes, il tenta de nuancer l’anti-gaullisme du groupe Jean Jaurès, animé par Charles Gombault et Louis Lévy, et de leur journal France58. Auprès du Général, il défendit les positions de Léon Blum favorable à la création du CNR. Il contribua, avec les voyages de Daniel Mayer et Gaston Defferre en avril et septembre 1943, à l’alliance implicite des socialistes avec de Gaulle. En août 1942, Félix Gouin fut délégué par Léon Blum pour représenter le parti clandestin à Londres. Il œuvra en faveur de la reconnaissance des partis organisés, accepta de présider la commission de réforme de l’État, mais refusa un poste de commissaire. En mars 1943, il créa le Groupe des parlementaires adhérant à la France combattante qu’il présida. Évadé de France, Jean Pierre-Bloch arriva d’Espagne à l’automne 1942, et devint chef des services politiques de la section non militaire du BCRA59. Le groupe socialiste fut bientôt renforcé par Jules Moch, en mai 1943, et Vincent Auriol, récemment libéré et délégué par le parti, Édouard Froment, du CAS de la zone Sud, André Le Troquer, qui défendit Léon Blum à Riom, et Just Évrard, représentant de la résistance socialiste dans le Nord, en octobre 1943. À Alger, il s’agissait de représenter le parti à l’Assemblée consultative provisoire, que de Gaulle avait instituée pour confirmer sa légitimité et témoigner de l’unité française. Élu président, Félix Gouin mena un combat opiniâtre pour élargir les prérogatives de ce petit Parlement et reconstituer une vraie vie parlementaire. Vincent Auriol prit la tête du groupe socialiste qui, avec les coloniaux et les apparentés, compta bientôt une trentaine de membres, dont Albert Gazier qui représentait la CGT. Les socialistes eurent également trois commissaires nationaux dans le CFLN, constitué en novembre 1943 sous la présidence de De Gaulle, avec Adrien Tixier au Travail, André Le Troquer à la Guerre, et André Philip aux relations avec l’Assemblée. Jean Pierre-Bloch fut en outre l’adjoint au commissaire de l’Intérieur, Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Vincent Auriol, Édouard Froment, Jean Pierre-Bloch, et Jules Moch, animaient l’hebdomadaire Fraternité, où ils se démultipliaient grâce à divers pseudonymes60. À Alger, ces socialistes contribuèrent à ressusciter les mœurs démocratiques, à redorer l’image du Parlement, et surtout à légitimer la France libre auprès des alliés, en affirmant l’indépendance de l’Assemblée face à un général de Gaulle, dont certains pouvaient suspecter la ferveur démocratique. Il était donc naturel qu’ils soient investis pour les législatives d’octobre 1945, avec plus de facilité que les membres anti-gaullistes du groupe Jean Jaurès, dont le crédit était moindre.
44À la Libération, la nature polymorphe et la dispersion de l’engagement résistant des socialistes furent donc bien représentées au Parlement. Or cette diversité se trouvait mieux respectée qu’au comité directeur, qui privilégia la légitimité partisane en la personne des dirigeants du parti clandestin. Cela explique en partie l’échec de l’équipe de Daniel Mayer face à Guy Mollet – issu de l’OCM – en août 1946 et une différence de sensibilités qui persista longtemps entre le comité directeur et le groupe parlementaire.
La Résistance : un facteur de promotion et de rénovation ?
45En France, comme dans toute l’Europe dévastée par la guerre, une nouvelle classe politique émergea du creuset de la Résistance pour assurer la relève des élites défaillantes61. De même que le PCF et le MRP, la SFIO accorda son investiture en priorité à des résistants, afin de revaloriser son image face au « parti des fusillés » et d’assurer sa rénovation, clairement définie comme un rajeunissement de ses troupes. La présence de résistants au sein du groupe parlementaire socialiste fut donc une constante sous toute la IVe République. Mais dans quelle mesure la Résistance favorisa-t-elle leur carrière politique sur la durée en leur permettant de s’enraciner localement» Et permit-elle ou non, en accélérant les promotions, un rajeunissement du groupe sous la IVe République»
Des CDL aux municipales d’avril 1945
46À la Libération, selon l’expression de François Bédarida, la France se retrouva « atomisée » par « un émiettement des centres de pouvoir » avec la juxtaposition de Comités départementaux de libération (CDL) et de Comités locaux de libération (CLL)62. Dès la fin de l’année 1943, ou début 1944, des CDL clandestins furent mis en place presque partout. Ils groupaient des représentants des mouvements de résistance et de déportés chargés, au moment de la libération, d’assurer l’intérim préfectoral, puis d’assister le préfet. En général, l’homme qui le présidait était bien accepté par toutes les forces de résistance locales et par Londres. Avant même l’entrée au Parlement, les CDL ouvrirent, par conséquent, la voie au pouvoir local, souvent par le biais des délégations provisoires qu’ils nommaient pour remplacer les municipalités maintenues par l’occupant ou nommées par Vichy.
47Or cent un membres du corpus au moins, soit un tiers, furent membres d’un CDL63. Et parmi eux, se trouvent vingt présidents et huit vice-présidents64. Si l’on y ajoute les membres du Comité parisien de libération (CPL), Roger Deniau (vice-président), Gérard Jaquet et Robert Salmon, et une dizaine de membres de Comités locaux, on arrive à 38 % du corpus. Le CDL était souvent la matrice des équilibres politiques locaux futurs, et s’y montrer influent pouvait être décisif pour celui qui savait manœuvrer. Le préfet de Seine-et-Oise décrit ainsi Pierre Commin, vice-président du CDL, en novembre 1944 :
« Homme intelligent, courtois, bon orateur, manœuvrier habile, il a une influence considérable au CDL. Il est très ménagé par les communistes pour l’empêcher de devenir le chef d’une coalition hostile avec les modérés65. »
48Le CDL pouvait aussi être le sésame d’un parachutage réussi. Ainsi Georges Archidice, ancien militant d’Agen, secrétaire fédéral du Lot-et-Garonne, migra dans le Lot. Responsable des FFI pour le Lot, le Lot-et-Garonne, le Tarn-et-Garonne et le Gers, en dépit de son jeune âge (28 ans en 1940), il était aussi membre du CDL du Lot, qu’il représenta aux États généraux de décembre 1944. Contre toute attente en octobre 1945, la fédération du Lot le préféra au candidat du comité directeur, André Blumel. L’appartenance à un CDL était donc un atout politique.
49Sur les 156 élus d’avril 1945, figuraient une soixantaine de membres de CDL, soit plus de 37 %, dont une quarantaine de maires. En outre, une soixantaine avaient appartenu à une délégation municipale provisoire. Comme il ne s’agissait pas obligatoirement des mêmes, ce furent plus de quatre-vingt d’entre eux, soit plus de la moitié, qui avaient appartenu à l’une ou à l’autre de ces institutions de la Libération et qui se voyaient ainsi légitimés. On y retrouve d’ailleurs en partie d’anciens édiles révoqués. Seuls deux délégués provisoires, Tony Larue et Frank Arnal à Toulon ne furent pas maintenus par le suffrage populaire en avril 1945. Mais pour la majorité d’entre eux, l’appartenance à un CDL ou à la délégation municipale fut un indéniable tremplin qui leur permit, soit de prendre la relève d’équipes défaillantes sous l’Occupation, soit de conquérir quelques villes d’importance.
50En province, les socialistes conservaient de grandes villes, conquises avant la guerre, mais dont les maires avaient failli. Le phénomène fut net dans le Midi, avec la victoire éclatante de Marseille66. Gaston Defferre, selon les instructions du représentant gaulliste, Pierre Massenet, avait préparé la relève des pouvoirs à Marseille avec Francis Leenhardt. Il avait été convenu que Defferre présiderait la délégation municipale, Leenhardt le CDL au nom du MLN, et que Massenet deviendrait préfet. Le 19 août 1944, à la tête des milices socialistes réorganisées dans la clandestinité, Defferre participa au combat pour libérer Marseille et s’installa à l’Hôtel de ville. Sa nomination fut ratifiée par le commissaire de la République, Raymond Aubrac, le 30 août. Son équipe comprenait des socialistes, des communistes, des MRP et Leenhardt, alors dirigeant du MLN. Il constitua une liste dite de Rassemblement démocratique qui emporta la totalité des sièges, et fut élu maire avec plus de 64 % des voix à 35 ans. Dans son sillage, était élu pour la première fois Jean Massé, à 34 ans, lequel allait demeurer conseiller municipal jusqu’en 1983. Il ramenait ainsi aux socialistes la ville perdue par Henri Tasso, maire de 1935 à 1939, exclu depuis du parti. À Nîmes, Georges Bruguier, membre du CDL du Gard et maire provisoire, remplaça Hubert Rouger, exclu du parti, et Edgar Tailhades était réélu conseiller municipal sur sa liste67. Jean Badiou était membre du MLN, du parti clandestin et du CDL, en dépit de ses dissensions avec les socialistes de Libérer-Fédérer. Le 20 août 1944, il fut désigné pour administrer Toulouse. En avril 1945, à la tête d’une « liste commune républicaine », il conservait la ville rose, gagnée au socialisme par Ellen-Prévot en 1935, celui-ci étant désormais âgé de 68 ans et compromis par la parution du Midi socialiste sous l’Occupation. À Bordeaux, Fernand Audeguil, membre de Libération nord et du CDL, fut chargé de remplacer la municipalité néo-socialiste puis collaborationniste d’Adrien Marquet. Dans d’autres villes, l’appartenance au CDL ou à la délégation provisoire avait favorisé un rééquilibrage des forces, voire un changement de majorité au profit des socialistes. Par exemple, à Paris, les membres du CPL devinrent automatiquement conseillers de Paris, tels Roger Deniau, Jean-Daniel Jurgensen, Robert Salmon ; et André Le Troquer fut élu à la présidence de l’assemblée parisienne, le 20 mars 1945.
51Il y eut cependant de nouveaux élus qui n’avaient appartenu ni à un CDL, ni à une délégation provisoire. Certains s’étaient illustrés dans la Résistance, mais leur principal atout était ailleurs. Ces municipales d’avril 1945, parce qu’elles marquaient le retour tant attendu à la légalité démocratique, se déroulaient dans un contexte où tout semblait possible. Des prisonniers et déportés furent élus, comme Jean Biondi à Creil, alors que leurs concitoyens étaient sans nouvelles d’eux. Marius Lacroix accepta ainsi la mairie de Narbonne en octobre 1944, puis en avril 1945, en lieu et place de son frère, le docteur Achille Lacroix, qui finalement ne revint jamais68. Plus de la moitié de ces nouveaux élus, ni membres d’un CDL, ni délégués provisoires, l’étaient dans des communes ou des petites villes de moins de 10 000 habitants, où la concurrence était moindre et où, le plus souvent, ils étaient chez eux. Par exemple, Marcel Champeix à Masseret en Corrèze, Camille Delabre à Courrière dans le Pas-de-Calais, Robert Gourdon à Vauvert dans le Gard, ou Robert Lacoste à Azerat en Dordogne69, étaient simplement élus dans leur commune natale. D’autres allaient désormais participer à la gestion de villes plus importantes. Outre-mer notamment, les socialistes gagnaient du terrain, comme devaient le confirmer par la suite les élections législatives et sénatoriales, et les titres de Résistance y étaient moins nécessaires. En Algérie, Raoul Borra et Henry Doumenc (Combat) devinrent respectivement maires de Bône et de Constantine. Marius Dalloni entra au conseil municipal d’Alger. En AOF, Lamine-Gueye était élu maire de Dakar, ville en pleine expansion, et Jean Silvandre (interné) entrait dans son conseil municipal. Paul Valentino (ACP d’Alger) devenait maire de Pointe-à-Pitre, et Eugénie Éboué (FFL) conseillère municipale de Marie-Galante. En métropole, les municipales d’avril 1945 inaugurèrent la carrière d’hommes parfois assez jeunes. Jean Péridier de Combat, avait participé à la libération de Montpellier et entrait à son conseil municipal à 36 ans. André Méric, évadé et membre du parti clandestin, devenait maire de Calmont à 32 ans. Maurice Pic, à son retour des camps de prisonnier, était élu maire de Châteuneuf-du-Rhône à 32 ans, inaugurant une carrière d’édile qu’il poursuivit à Montélimar jusqu’en 1989.
52Les municipales d’avril 1945, en mettant fin à l’existence des CDL comme organe de pouvoir, constituèrent une voie de passage de la clandestinité à la scène politique nationale, et permirent à ces élus locaux d’embrayer sur les élections législatives d’octobre dans les meilleures conditions. Cette impulsion allait-elle perdurer»
Le poids des résistants dans les groupes parlementaires
53On note tout d’abord une différence entre les députés, avec 88,7 % de résistants, et les conseillers de la République, avec 80 % seulement, ce décalage se maintenant sur toute la période. Rappelons que la plupart des candidats potentiels se présentèrent de préférence à l’Assemblée nationale plutôt qu’à une chambre dont les pouvoirs étaient amoindris. Or la légitimité résistante jouait un grand rôle aux législatives, et ceux qui avaient adopté une attitude attentiste étaient fragilisés. Même si le scrutin de liste contribuait sans doute à leur éviter la défaite, ils devaient âprement se défendre. Jean Le Bail « conserva ses idées et resta un adversaire du gouvernement de Vichy », mais ne participa en rien à la Résistance. Ses adversaires communistes saisirent l’occasion pour l’attaquer régulièrement sur ce chapitre, et il dut faire appel aux soutiens de résistants notoires pour défendre sa réputation, jusqu’au milieu des années cinquante70. Néanmoins, les comportements ambigus sous l’Occupation furent plus fréquents chez les sénateurs que chez les députés, même s’il ne faut pas généraliser. Cet attentisme leur fut certes reproché, mais il fut en quelque sorte compensé par leur notabilité et les liens qu’ils entretenaient avec les élus locaux. Par exemple en 1948, un rapport de police décrit ainsi la situation de Joseph Lasalarié, président du conseil général depuis deux ans et futur sénateur des Bouches-du-Rhône :
« Il jouissait avant la guerre, dans le canton de Roquevaire, d’une influence très marquée. Toujours bien considéré depuis lors, il apparaît cependant que la confiance dont on lui faisait crédit a été quelque peu émoussée par suite de son inactivité entre 1940 et 1945, et par la propagande effectuée par le PCF dans les six communes minières que constitue le canton. En effet, s’il a toujours conservé une attitude digne pendant l’Occupation, il n’est pas connu pour avoir effectivement œuvré dans les rangs de la Résistance71. »
54Les communistes, qui partout ne manquèrent jamais la moindre occasion de polémiquer à ce sujet, comme le prouvent tous les rapports de police, ne purent néanmoins empêcher sa victoire. Ce décalage entre les députés et les conseillers de la République est surtout marqué dans les années 1945 et 1946. Il s’atténue par la suite parce que l’évolution des deux assemblées s’inverse.
55L’Assemblée nationale constituante, élue en octobre 1945, détient ainsi le taux record de 97,5 % de résistants, mais ceux-ci furent touchés par l’érosion électorale de l’année 1946. Les femmes et nouveaux adhérents, la plupart résistants, avaient été souvent mal placés sur les listes. Or certains trouvèrent refuge au Sénat. Aux législatures suivantes, la plupart des nouveaux élus étaient d’anciens résistants tels que Jean Montalat (Alliance et FFL), André Pradeau (Armée secrète et MUR), ou Francis Vals (MLN) en 1951, Paul Alduy (FFL), Jeannil Dumortier et Tony Larue (tous deux Libération Nord), Max Juvénal (Combat et MUR), Jacques Piette (OCM), Étienne Gagnaire (MNDP) ou Germain Guibert (Armée secrète) en 1956. De sorte que la part des résistants chez les députés se redresse sans pour autant rattraper son niveau de 1946. Au Sénat, certains nouveaux élus de 1952 et 1955 étaient également d’anciens résistants : Pierre Commin (Libération Nord et CDLR), Gabriel Montpied (FFI), Georges Brégégère (président du CDL clandestin de Dordogne), Marc Baudru (groupe Véni), Paul Béchard (FFL), Irma Rapuzzi (parti clandestin) et Charles Suran (Buckmaster et Libérer-Fédérer).
56Dans l’ensemble, le groupe parlementaire SFIO sous la IVe République fut bel et bien forgé dans le creuset de la Résistance, mais cela signifiait-il pour autant une rénovation en profondeur»
« Le parti socialiste est-il un parti de vieux72 ? »
57En 1952, en livrant les résultats d’une enquête réalisée auprès des fédérations, Pierre Rimbert tirait la sonnette d’alarme en dénonçant le vieillissement du parti, qu’il associait à son faible taux de féminisation. « Il ne servirait à rien de se voiler la face et de nier qu’il s’agit bien là des deux points faibles qui, tôt ou tard, marqueront la destinée du PS si un afflux de ces éléments neufs que sont les femmes et les jeunes ne venait renouveler le sang qui circule dans ses veines », prophétisait-il73. Pourtant le groupe parlementaire de la IIIe République avait été vigoureusement épuré et avait cédé la place à une majorité de résistants. À l’automne 1944, André Philip, alors membre du comité directeur du MLN, pensait que le parti pourrait procéder à « un rajeunissement complet de ses cadres par l’appel aux forces neuves des mouvements de résistance74 ». Mais près de 88 % des parlementaires de la IVe République appartenaient déjà au parti avant la guerre, de sorte que le renouvellement exogène était resté très faible. S’agissait-il alors réellement « d’hommes nouveaux », comme se plaisait à le proclamer la propagande socialiste ?
58Le vieillissement des cadres était un problème récurrent. Tony Judt note qu’en 1926, la phase de reconstruction achevée, la plupart des dirigeants approchaient déjà la cinquantaine75. Après la disparition des JS en juin 1940, le parti clandestin ne chercha pas à reconstituer des Jeunesses largement acquises aux paul-fauristes, à l’image de son dirigeant Bernard Chochoy. Les Jeunesses toulousaines, anti-munichoises, avec Achille Auban, faisaient figure d’exception. Mais à la Libération, le problème du renouvellement apparut à tous lié à celui du rajeunissement. En septembre 1944, une équipe fut chargée de les réorganiser à l’échelon national, et dans l’élan de la Libération, de nombreux jeunes résistants adhérèrent aux JS qui comptèrent ainsi 35000 membres en 1945. Mais les dirigeants reproduisirent à l’identique les structures paritaires du CNM d’avant-guerre, chaque responsable jeune étant flanqué d’un adulte. Si la SFIO voulait former des cadres, elle n’acceptait pas pour autant que les jeunes s’immiscent dans les questions de politique générale76. Dans son rapport au congrès d’août 1945, le secrétaire général adulte, Roger Mistral, affirmait que les statuts des JS reconstituées « donnent toute garantie quant à la nécessaire subordination du mouvement jeune au parti, en lui assignant comme but : l’éducation et les loisirs de la jeunesse77 ». La suprématie de l’expérience et de l’ancienneté du militant aguerri l’emportait et ne permettait pas de concevoir le jeune militant comme une force d’action immédiate. En janvier 1945, la SFIO se prononça donc contre le droit de vote à 18 ans. Or cette attitude se trouvait d’autant plus en porte-à-faux que la plupart de ces jeunes gens avaient risqué leur vie, parfois endossé de lourdes responsabilités dans les mouvements, la plupart au sein de l’Organisation combattante des mouvements de jeunesse (OCMJ), qui fusionna en partie avec les JS en novembre 1945. Le résultat de cette stratégie, où l’éducation devait primer sur l’action, fut un rapide déclin des JS sous la IVe République. Lorsque le comité directeur sanctionna la direction des JS, infiltrée par les trotskistes, en juin 1947, la scission laissa les JS exsangues avec à peine 2 000 adhérents en 1948. De la même manière qu’ils refusaient la féminisation, au nom de l’immaturité politique supposée des femmes, les socialistes se méfiaient des jeunes et ne leur reconnaissaient pas une « capacité politique ». Jeunes et femmes étaient finalement considérés comme l’avait été la classe ouvrière par certains penseurs socialistes aux origines du mouvement ouvrier au xixe siècle78. La SFIO manqua ainsi l’occasion de puiser dans les forces vives de la Résistance pour rajeunir et renforcer ses troupes79.
59Or cet échec à constituer un vivier de futurs cadres eut des répercussions sur le recrutement des parlementaires (cf. annexe 3). En 1945, la composition par âges du corpus montre que les deux tiers avaient plus de 40 ans, les futurs conseillers étant naturellement plus âgés que les futurs députés80. Les moins de 30 ans représentent 3,5 % de l’ensemble. Parmi eux, le plus jeune était Arthur Conte, avec 25 ans, le seul à être né après la Grande Guerre. Neuf autres, dont Alain Savary, avaient à peine 20 ans au moment du Front populaire, et étaient nés après 1915. Une part plus appréciable, 30 %, avaient encore moins de 40 ans en 1945, étaient tout au plus trentenaires en 1936, et étaient nés entre 1906 et 1915. Parmi eux, citons eux le secrétaire général, Daniel Mayer (1909) et son adjoint, Robert Verdier (1910), et celui qui allait les remplacer, Guy Mollet (1905). Mais la majorité, 38,5 %, avaient entre 40 et 49 ans en 1945, avaient déjà plus de 20 ans lors de la scission de Tours en 1920, et étaient nés entre 1896 et 1905. Parmi les plus connus, citons Élie Bloncourt et Augustin Laurent (1896), Robert Lacoste (1898) ou André Philip (1902). En 1945, 18 % avaient déjà entre 50 et 59 ans. Nés entre 1886 et 1895, ils avaient au moins 19 ans lors de la déclaration de guerre, et certains d’entre eux avaient même connu l’unité de 1905. Parmi eux, on trouve par exemple d’anciens députés ou ministres de la IIIe République tels que Paul Sion (né en 1886), Fernand Audeguil (1887), Paul Ramadier (1888), ou Jules Moch (1893). Le dernier groupe, enfin, avec 10 % est constitué de ceux qui avaient déjà plus 60 ans en 1945 et qui étaient nés avant 1886. On pourrait dire qu’il s’agit de la génération de Léon Blum, né en 1872. Le doyen en était Joseph Paul-Boncour, né en 1873, mais qui fit preuve d’une belle longévité en mourant en 1972. Les plus âgés, Louis Gros (1873), Hippolyte Masson (1875), Marius Moutet et Paul Rivet (1876), avaient déjà plus de 60 ans lorsque la France fut occupée. On y trouve aussi des dirigeants connus de l’entre-deux-guerres tels que Louis Noguères (1881), Salomon Grumbach (1884) ou Vincent Auriol (1884).
60Si un brevet de Résistance était presque indispensable pour entrer au Parlement, il n’était pas l’apanage des plus jeunes. Parmi eux, figurent certes Arthur Conte (20 ans en 1940), réfractaire au STO et déporté, et Alain Savary (22 ans en 1940), membre des FFL et commissaire de la République, mais les anciens n’avaient pas démérité. Hippolyte Masson (65 ans en 1940) fut membre de Libération Nord et du CAS ce qui lui valut d’être arrêté par la Gestapo ; Paul Racault (59 ans) et Jacques Bozzi (57 ans) furent également membres de Libération Nord. C’est pourquoi si la Résistance permit de renouveler le groupe parlementaire au regard de celui de la IIIe République, elle ne fut pas pour autant synonyme de rajeunissement en profondeur. Les groupes de conseillers, qui ne cessent de vieillir alors qu’ils comptent de plus en plus de résistants, le montrent bien. En revanche, la Résistance, conjuguée à l’épuration des parlementaires de la IIIe République, permit la promotion de militants plus jeunes qui avaient fait leurs preuves.
61De toute la IVe République, les plus jeunes assemblées furent donc celles de 1945 et 1946 à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire celles où les effectifs étaient les plus nombreux. Le phénomène n’est pas sans rappeler les législatives de 1936, où de jeunes militants furent propulsés au Parlement dans l’élan du Front populaire, comme Tanguy-Prigent. De fait, l’ancienneté partisane était moindre chez les députés des trois assemblées de 1945 et 1946, non seulement à cause du renouvellement exogène, mais aussi parce que la génération de ceux qui avaient adhéré dans les années trente y trouvait sa récompense. Ainsi Gaston Defferre adhéra à la 10e section SFIO de Marseille en 1933, à 23 ans. Pendant quelques années, n’ayant pas encore l’ancienneté requise, il resta dans l’ombre. À la veille de la guerre, il n’était encore qu’un simple délégué des Bouches-du-Rhône aux congrès nationaux. Ce fut indéniablement son engagement dans la Résistance et son rôle joué au CAS qui le propulsèrent, à 35 ans, à la tête de la liste SFIO, puis au Parlement, dès octobre 1945. Dans la foulée, il obtint son premier poste ministériel dans le gouvernement de Félix Gouin, en février 1946. Mais de même que les femmes et la plupart des résistants sans ancienneté partisane, les plus jeunes députés, moins bien placés sur les listes, ne résistèrent pas à l’érosion électorale. Jean-Daniel Jurgensen et Robert Salmon, nés respectivement en 1917 et 1918, tous deux dirigeants de Défense de la France, et sans ancienneté, en sont les meilleurs exemples. Forces d’appoint, ils ne furent pas réélus, dès juin 1946, dans la Seine. L’ancienneté partisane ne mettait pas à l’abri les plus jeunes. Jacques Arrès-Lapoque (né en 1917), Étudiant socialiste avant la guerre et membre du groupe Véni, et Raoul Laurent (né en 1912), socialiste depuis l’âge de 16 ans, membre de Libération Nord, de Buckmaster, de Résistance Fer et du parti clandestin, furent battus dès juin 1946. Le seul âgé de moins de 30 ans, qui entra au Parlement en 1945 et y demeura jusqu’à la fin du régime, fut Gérard Jaquet. Né en 1916, Étudiant socialiste avant la guerre, membre de Libération Nord et du comité directeur du CAS, il fut élu député du 6e secteur de la Seine de 1945 à 1958. De sorte que dans les assemblées de 1951 et 1956, la répartition des députés selon leur ancienneté est bien plus déséquilibrée qu’en 1945 et 1946. Ceux qui comptabilisaient de vingt à trente années de cotisations au parti devenaient largement majoritaires.
62Le taux de renouvellement relativement faible des assemblées, que nous avons pu constater tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, joua également. Il explique l’évolution de leur composition par âges, marquée par le vieillissement. Dans un contexte de réduction des effectifs, il n’y eut plus aucun moins de 30 ans qui entra au Parlement. En 1951, les trois plus jeunes nouveaux élus furent Alain Savary (33 ans), Léon Boutbien et René Dejean (36 ans) et ils ne suffirent pas à rajeunir le groupe. De même en 1956, les arrivées de Maurice Cormier (38 ans), d’André Le Floch (39 ans) et de Jacques Piette (40 ans) ne purent inverser la tendance.
63On constate également un net décalage entre l’Assemblée nationale et le Conseil de la République, tant pour l’âge que pour l’ancienneté de leurs membres. Certes l’âge minimum requis était de 35 ans, mais les conseillers avaient souvent plus de 40 ans, et leur vieillissement fut plus accentué. Parallèlement, l’ancienneté partisane joua un rôle moins décisif au Conseil de la République. Le groupe élu en décembre 1946 était ainsi le moins déséquilibré. Cela s’explique surtout par le renouvellement exogène – déjà constaté – et intégralement résistant avec Eugénie Éboué (FFL), André Hauriou (Combat et MLN), Paul Jouve (CDL Basses-Alpes), Raymond Le Terrier (OCM), Paul Pauly (maquis de la Creuse), Émile Poirault (Libération Nord), et Gilberte Brossolette (Londres). Puis d’année en année, la part des 20 à 30 ans d’ancienneté, et dans une moindre mesure celle des 30 à 40 ans, ne cessa d’augmenter. Cette particularité du Conseil de la République s’explique par la nature de cette « Assemblée des maires de France », qui nécessitait des ressources plus personnelles que partisanes, mais qui demandait du temps : une implantation locale, des réseaux d’associations et d’élus… Ceux qui entrèrent au Sénat avec juste l’âge requis ne sont que trois : Édouard Soldani, en 1946, dans le Var, André Méric, en 1948, en Haute-Garonne, et Marcel Boulangé, en 1949, dans le territoire de Belfort. Cette chambre servit aussi de lieu de retraite à des vétérans, tels que Joseph Paul-Boncour (né en 1873), Hippolythe Masson (1875), Marius Moutet (1876), ou Paul Racault (1876).
64Si l’on compare l’âge à la première élection au Parlement du nouveau régime à celui des députés de la IIIe République, on constate que la Résistance ne fut pas un facteur de promotion, et donc de rajeunissement, aussi puissant que ne l’avaient été, en leurs temps, les élections du Front populaire81. Nous trouvons là une confirmation de cette « rupture prémonitoire » de 1936, décrite par Gilles Le Béguec, qui dans ce cas précis était même atténuée après 194582. Alors que plus du tiers avaient moins de 39 ans dans le groupe d’avant-guerre, on en compte à peine un quart sous la ive République, et la part des plus de 50 ans est de 34,3 % contre 22,4 %. La présence des anciens parlementaires, membres du groupe des Quatre-Vingts ou autres, ne suffit pas à l’expliquer. Le scrutin de listes, en privilégiant le choix des militants au détriment de celui des électeurs, autorisa un renouvellement endogène. Celui-ci, conjugué avec une prime à l’ancienneté, freina tout rajeunissement par la promotion de jeunes résistants socialisants.
65Après la guerre, la SFIO ne fut pas capable de puiser aux sources de la Résistance pour endiguer le vieillissement tant de sa base que de ses parlementaires. Pourtant, nous avons vu qu’eût égard à son déclin électoral, le poids des résistants dans le groupe parlementaire ne se démentit pas tout au long de la période. C’est donc dans la stratégie politique des socialistes, qu’il faut chercher une explication.
L’échec d’une « Fédération des socialistes
et socialisants de la Résistance »
66Comment expliquer l’échec du renouvellement exogène (12,5 %) et du rajeunissement des cadres, et plus précisément celui des parlementaires, alors qu’ils auraient dû être favorisés par le brassage des socialistes dans les mouvements et réseaux»
67À la Libération, les socialistes Georges Izard et Henri Ribière – respectivement secrétaires généraux de l’OCM et de Libération Nord – furent chargés par le parti de négocier afin de constituer une « Fédération des socialistes et socialisants de la Résistance », sorte de Front national du Parti socialiste, capable de faire pièce à celui du PCF. Ils espéraient réunir entre 500 000 et 600 000 membres, alors que le parti comptait alors 338 600 adhérents environ. L’objectif aurait ensuite été de mettre en place une unité d’action entre cette Fédération et le parti susceptible d’impulser la politique gouvernementale83. Ce regroupement paraissait plus nécessaire que jamais pour clarifier le paysage politique et empêcher la dilution du socialisme dans une multitude de groupes socialisants. Si dès la clandestinité, la plupart des socialistes avaient accepté le principe d’un regroupement, ils se considéraient comme les dépositaires d’une doctrine à propos de laquelle ils ne pouvaient rien concéder. Le ralliement devait donc se faire autour de leurs principes républicain, révolutionnaire et internationaliste. Or si de nombreux résistants pouvaient être séduits par un socialisme éthique et humaniste, ils n’étaient nullement marxistes. Déjà les discussions avec les MUR avaient achoppé sur des questions de doctrine. Au congrès de novembre 1944, André Philip, qui était membre du comité directeur du MLN, avait émis quelques réserves, contre les risques d’un débordement par les classes moyennes et d’une perte de substance doctrinale84. De nombreux militants reprochaient en effet à l’OCM, à Ceux de la Résistance, au MLN et même à Libération Nord, d’être parfois représentés par « des hommes attachés à la réaction ». Ils craignaient de se couper de la classe ouvrière, qui était elle aussi « une force de résurrection et de rénovation », et la physionomie même du parti leur apparaissait menacée85. En face, André Hauriou, alors membre du MLN et pas encore encarté, voulait rassembler les démocrates fervents dans un centre gauche élargi.
« Une séparation cloisonne ces différents partis. Les socialistes et les radicaux auraient pu s’agréger. Mais les hommes n’ont pas compris le rôle que la Résistance aurait pu jouer à cet égard. Il manque un catalyseur. Or cette fusion est moins possible aujourd’hui qu’il y a trois mois », regrettait-il en janvier 194586.
68De fait, en mai 1945, la direction fit preuve d’une grande prudence à l’égard d’éventuels ralliements collectifs et n’autorisa que des adhésions à titre individuel. Néanmoins elle appelait de tous ses vœux cette « Fédération de la Résistance, représentant tous les socialistes et tous les socialisants », qui constituerait surtout « un grand réservoir de militants où pourraient être recrutés des cadres », qui faisaient alors cruellement défaut. En pleine reconstitution, Daniel Mayer se faisait l’écho de nombreux secrétaires fédéraux qui ne voulaient pas « laisser s’échapper » les résistants avec lesquels ils avaient combattu. Ils espéraient eux aussi ressourcer par capillarité leur fédération dans ce « réservoir » créé dans la clandestinité87. Aussi, lors du congrès d’août 1945, Roger Priou-Valjean, Georges Izard, Henri Ribière et Daniel Mayer proposèrent l’unité d’action avec l’UDSR, à défaut de l’unité organique88. Le principe de listes communes pour les législatives fut donc adopté, mais du bout des lèvres, et en pratique, de nombreuses fédérations y firent obstacles sur le terrain. Six mois plus tard, il était
abandonné.
69Le sas de la Résistance permit néanmoins de réconcilier le parti avec d’anciennes tendances frappées d’exclusion ou marginalisées par la scission. Mais ces retours ne furent guère perceptibles au Parlement. Ainsi s’explique le retour de Paul Ramadier, Joseph Paul-Boncour et Pierre-Olivier Lapie, anciens parlementaires USR de la IIIe République. Si les deux premiers avaient été étroitement surveillés après avoir voté « non » le 10 juillet 1940, Lapie était l’un des représentants de la France libre. Néanmoins, ces trois hommes n’apportaient pas à proprement parler du sang neuf. Parallèlement de nombreux disciples de Marceau Pivert, qui avaient été exclus avec la Gauche révolutionnaire et avaient fondé le PSOP en 1938, furent réintégrés et reprirent même la direction de la fédération de la Seine. Mais seul Henri Barré entra au Parlement89. Et pour la première fois depuis la scission de Tours, la SFIO ne réussit pas à récupérer de cadres communistes en rupture de ban. Seul Gilbert Zaksas, en Haute-Garonne, avait été l’un des responsables des JC, et avait rejoint la SFIO90. Au contraire, le premier parti de France avait réussi à attirer, dès la clandestinité ou à la Libération, des cadres socialistes, tels que Michel Zunino, l’un des Quatre-Vingts, et Jean Zyromski, l’ancien animateur de la Bataille socialiste.
70La création d’un parti travailliste échoua bien que le principe d’un regroupement politique eût été admis dans la clandestinité. Alors qu’auparavant, des mouvements conservateurs comme l’OCM ou Combat n’envisageaient de contrer l’hégémonie communiste qu’en créant une organisation radicalement nouvelle, à la Libération, les valeurs politiques investirent le champ de la Résistance et imposèrent la solution socialiste. Mais le parti n’était plus disposé à faire les concessions doctrinales nécessaires à l’intégration d’éléments peu orthodoxes. Comme l’écrit Marc Sadoun : « Les relations entre les deux organisations souffrent continuellement d’un défaut de synchronie et ne parviennent jamais à trouver leur point d’équilibre91. » Mais il convient d’insister également sur le décalage entre les aspirations à un renouveau de la vie politique et les frilosités qui conduisirent à un repli sur soi. Les conséquences de l’échec furent donc à la hauteur des espérances suscitées par ce projet ; le parti ne réussit ni à impulser le rajeunissement de ses troupes ni à les renouveler. De sorte que les figures emblématiques de cette tentative d’élargissement furent peu nombreuses et se trouvèrent essentiellement dans le groupe parlementaire, non dans l’appareil fédéral. Trente ans plus tard, Claude Bourdet regretta l’échec de la fusion organique entre les MUR et le CAS :
« Alors que nous avons vu après cet échec, la Résistance socialisante s’effilocher, et glisser vers les compromissions, et le parti socialiste redevenir rapidement un vieux parti sclérosé, on peut imaginer qu’un parti vraiment nouveau aurait vu le jour, changeant les conditions d’après-guerre92. »
71Un rêve venait de mourir.
72Au final, le renouvellement du groupe parlementaire socialiste à la Libération ne fut pas synonyme de rénovation. La guerre constitua bien une rupture, puisqu’elle entraîna une épuration sans précédent des cadres de la SFIO, et tout particulièrement de ses parlementaires, mais elle ne fut ni la cure de jouvence espérée, ni l’occasion d’un salutaire métissage. En créant un appel d’air, les exclusions favorisèrent en fait un passage de relais, involontaire, au sein même du parti vers le Parlement. Car la SFIO enregistra peu de reclassements politiques à son profit. Enfin, elle se révéla tout aussi incapable de s’ouvrir aux femmes et aux jeunes, qu’aux forces neuves issues de la Résistance, qui constitua pour elle une condition certes nécessaire, mais pas suffisante.
Notes de bas de page
1 Mattei Dogan, « Les filières de la carrière politique en France », Revue française de sociologie, vol. VIII, n° 4, octobre-décembre 1967, et « Les professions propices à la carrière politique. Osmoses, filières et viviers », dans Michel Offerlé, La profession politique xixe et xxe siècles, Belin, 1999, p. 199. Sous la IVe République, la SFIO fournit 47 ministres et secrétaires d’État dont 38 issus de la Résistance active.
2 Pierre Laborie, « L’idée de Résistance, entre définition et sens : retour sur un questionnement », Les Cahiers de l’IHTP, n° 37, décembre 1997, p. 15-28.
3 Ibidem, p. 88-90.
4 Olivier Wieviorka, Les orphelins de la République, Le Seuil, 2001, p. 402-405.
5 Claude Petit et André Delvaux, Guide social des anciens combattants et victimes de guerre : 1914-1918, 1939-1945, TOE, Indochine, Tunisie, Maroc et Algérie, s. l., Charles Lavauzelle, 5e édition, 1993, p. 211-212.
6 Jean-Marie Guillon, « La Libération du Var : résistance et nouveaux pouvoirs », Les Cahiers de l’IHTP, 15, juin 1990.
7 Pierre Guidoni et Robert Verdier (dir.), Les socialistes en résistance (1940-1944), Seli Arslan, 1999, p. 171.
8 Ibidem.
9 Olivier Wieviorka, « La fin des héros », dossier spécial « La Résistance », L’Histoire, 233, juin 1999.
10 Sur les 301 membres du corpus, il y eut 29 prisonniers dont une dizaine ne fut libérée qu’au printemps 1945. Ces derniers ont été soustraits du corpus pour les calculs de ce chapitre. Il n’y eut aucun déporté non résistant.
11 Peeters anima la CGT clandestine et Libération Nord ; Piette fut l’un des chefs de l’OCM ; Pineau fut l’un des fondateurs de Libération Nord ; et Savary fut membre des FFL. Émilienne Moreau, Compagnon de la Libération et épouse de Just Évrard, ne put entrer au Parlement.
12 Serge Barcellini, « La résistance française à travers le prisme de la carte CVR », dans Laurent Douzou et alii (dir.), La Résistance et les Français : villes, centres et logiques de décision, CNRS-IHTP, 1995, p. 151-182.
13 La reconnaissance en tant que Combattant volontaire de la Résistance (carte de CVR) s’obtient de trois façons : « la souffrance » (internement, déportation, mort), « l’homologation » (appartenance à des structures reconnues), et « le témoignage » (deux circonstanciés par des résistants notoires).
14 Les informations des dossiers biographiques de l’Assemblée nationale et du Sénat (plus fiables que les autobiographies) ont été confrontées à l’Annuaire des médaillés de la Résistance, l’enquête du CHSGM du fonds 72/AJ et aux rapports des préfets dans le fonds F7 des AN.
15 Voir la liste nominative dans la thèse originale.
16 Claude Bourdet, L’Aventure incertaine, Stock, 1975, p. 405.
17 Notes des RG pour les cantonales de septembre 1945 et pour les législatives de janvier 1956, dossier Guyon, AN, F7/2770. Il fut élu conseiller général puis député dès 1945.
18 Expression de Jean-Pierre Azéma qui l’a notamment appliquée à François Mitterrand.
19 Notice des RG de février 1956, dossier Juskiewenski, AN, F7/11508.
20 Né en 1874, Paul-Boncour ne mourut qu’en 1972, âgé de 98 ans.
21 Rapport du 17 novembre 1944 à la direction des FFI, 2e bureau, ministère de la Guerre, AN, 72AJ/54, AIV.5 ; et Rapport du 23 novembre 44 à la direction des FFI, 2e bureau, idem, AV.4.
22 Note du BCRA adressée aux RG du 18 novembre 1944. Dossier Paul-Boncour, AN, F7/4010.
23 Note du 30 avril 1942, dossier Auberger, AN, F7/2879.
24 Note du commissaire divisionnaire du 7 juillet 1943, ibidem.
25 Note des RG du 13 septembre 1944, ibid.
26 Pierre Laborie, « Opinion et représentations : la Libération et l’image de la Résistance », Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et des conflits contemporains, PUF, n° 131, 1983, p. 65-91.
27 Christian Pineau, Mon cher député, Julliard, 1959, p. 9-15.
28 Cf. chap. V, p. 157-170, et annexe 6.
29 Pierre Laborie cite l’exemple du Lot. Cf. « Opinion et représentations… », art. cit., p. 85.
30 Jean Cassou parle de cette expérience comme « d’une nature unique hétérogène à toute réalité, sans communication et incommunicable », La mémoire courte, Éditions de Minuit, 1953.
31 Pierre Laborie, « Opinion et représentations… », art. cit., p. 89.
32 Cf. chap. VIII, p. 280-293.
33 Daniel Mayer, Les socialistes dans la Résistance, PUF, 1968, p. 38.
34 Ibidem, p. 66. En mai 1945, Léon Blum jugeait encore sa stratégie de dispersion réussie. Cf. Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, Archives du PS-SFIO, OURS, p. 240.
35 Daniel Mayer, op. cit., p. 69.
36 Lettre de Léon Blum au Général du 15 mars 1943, AN, 72AJ/70, AIV.18.
37 Citons, par exemple, Marcel Levindrey dans l’Aisne ; Raoul Parpais dans l’Indre ; Marcel Champeix et Gaston Charlet dans le Massif central – ce qui leur valut d’être déportés – ; Édouard Soldani dans le Var ; Roger Carcassonne dans les Bouches-du-Rhône ; Léon-Jean Grégory en Catalogne, etc.
38 Ajoutons Roger Cerclier, Gaston Defferre, Louis Escande, Just Évrard, Édouard Froment, Léon-Jean Grégory, Augustin Laurent, Francis Leenhardt, René Ribière, Eugène Thomas et Jean Worms. Ni Grégory ni Worms ne figurent dans la liste de Laurent Douzou (La désobéissance. Histoire du mouvement Libération-Sud, Odile Jacob, 1995, p. 435-454), mais leur appartenance est avérée par plusieurs rapports de police à la Libération.
39 Témoignage d’Astier la Vigerie, AN, 72AJ/410. D’après lui, les socialistes auraient représenté 40 % des membres de Libération Sud.
40 Laurent Douzou, op. cit., p. 83-111.
41 Cf. Gilles Vergnon, « Le Vercors, un maquis socialiste» », dans Pierre Guidoni et Robert Verdier (dir.), op. cit., p. 153-162.
42 Cf. Jean-Pierre Pignot, « Libérer-Fédérer », dans Pierre Guidoni et Robert Verdier (dir.), op. cit., p. 143-152.
43 Témoignage de Claude Bourdet à Odette Merlat, le 6 juin 1946, AN, 72AJ/46, AI.3.
44 Alya Aglan, La résistance sacrifiée. Le mouvement Libération Nord, Flammarion, 1999.
45 Marc Sadoun, Les socialistes sous l’Occupation, Presses de la FNSP, 1982, p. 154-163 et Alya Aglan, ibidem, p. 119-132.
46 Témoignage d’Henri Ribière à Odette Merlat, le 26 juin 1946, AN, 72AJ/59, AI.28.
47 On trouve aussi, du Nord au Sud : Denis Cordonnier, Robert Coutant, Marcel Darou, Pierre Delcourt, Madeleine Lagrange, Augustin Laurent et Arthur Notebart (Nord), Jeannil Dumortier et Henri Henneguelle (Pas-de-Calais), Jacques Bozzi et Camille Titeux (Ardennes), Élie Bloncourt et Marcel Levindrey (Aisne), René Peeters (Meurthe-et-Moselle), Paul Rassinier (Belfort), Jean Biondi, Marcel Mérigonde et Guillaume Detraves (Oise), Pierre Pujol (Seine-et-Oise), Tony Larue, Joseph Bocher, René Schmitt et Raymond Guesdon (Normandie), Roger Deniau, et Gérard Ouradou, Édouard Depreux, Gérard Jaquet et Robert Verdier (Seine), Roger Veillard (Seine-et-Marne), Raoul Laurent et Germain Rincent (Champagne), Jean Le Coutaller, Hippolyte Masson, Jean-Louis Rolland, Tanguy-Prigent, Albert Aubry et Camille Lhuissier (Bretagne), Jean Bouhey et Claude Guyot (Bourgogne), Jean Minjoz et Georges Réverbori (Doubs), Pierre Segelle (Loiret), Gérard Vée (Yonne), Jean Ascensio (Anjou), Max Boyer, Henri Ledru et Marie Oyon (Sarthe), Clovis Constant, Jean Capdeville, Roger Faraud et Jean Guitton (Loire-Inférieure), Robert Mauger (Loir-et-Cher), Jean Meunier et Paul Racault (Touraine), Kléber Loustau (Cher), Émile Bèche et Émile Poirault (Deux-Sèvres), Roger Cerclier (Creuse), Fernand Audeguil et Robert Brettes (Gironde), et Marcel David et Lamarque-Cando (Landes).
48 Témoignage de Jean Rous à Odette Merlat, le 24 septembre 1946, AN, 72AJ/64, 2.
49 AN, 72AJ/59.
50 Témoignages de Pierre Stibbe à Marie Granet du 25 mai 1960, AN, 72AJ/42, AI.6 et de Léo Hamon du 27 janvier 1960, 72AJ/42, AI.7.
51 Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance. Défense de la France 1940-1949, Le Seuil, 1995.
52 Gaston Defferre expliqua que « la méthode qui consistait à utiliser des militants socialistes […] était avantageuse à la fois pour le réseau et pour le parti, puisqu’elle servait à regrouper des militants et même surtout, plus tard, à les aider financièrement quand le réseau reçut pas mal d’argent ». Témoignage à Marie Granet du 21 janvier 1949, AN, 72AJ/70, AIII.15.
53 Georges Loustanau-Lacau, Mémoires d’un Français rebelle, Robert Laffont, 1948.
54 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, « Les combattants socialistes de la France libre », dans Pierre Guidoni et Robert Verdier (dir.), op. cit., p. 71-82.
55 Maryvonne Prévot, « Alain Savary dans la France libre : le pari “pascalien” de la victoire », ibid., p. 101-112.
56 L’adhésion formelle de Richard Brunot et Henri Seignon à la SFIO a sans doute eut lieu à la faveur de la constitution du groupe socialiste à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger.
57 Georges Gorse, Je n’irai pas à mon enterrement, Plon, 1992, p. 140-141.
58 Le groupe Jean Jaurès se réunit à Londres, dès août 1940 avec, entre autres, Henry et Mabel Hauck, Marthe et Louis Lévy, qui en assurèrent le secrétariat, Georges Gombault et son fils Charles.
59 Jean Pierre-Bloch, Le vent souffle sur l’histoire. Témoignages et documents, SIPEP, 1956, p. 45.
60 Éric Ghebali, Vincent Auriol. Le président citoyen, Grasset, 1998, p. 117-118.
61 Mattei Dogan et J. Higley, Elites, Crisis and the Origins of Regimes, 1998.
62 François Bédarida, Préface à Philippe Buton et Jean-Marie Guillon, Les pouvoirs en France à la Libération, Belin, 1994.
63 N’ont été conservées que les appartenances avérées par plusieurs sources. Les listes du ministère de l’Intérieur sont peu sûres, car l’orthographe y est approximative et les prénoms y figurent rarement. En outre, tous ne résidaient plus dans leur département d’origine.
64 Du Nord au Sud : Joseph Bocher (Manche), Élie Bloncourt (Aisne), René Peteers (Meurthe-et-Moselle), Claude Guyot (Côte-d’Or), Jean Guitton (Loire-Inférieure), Henri Ledru (Sarthe), Jean Meunier (Indre-et-Loire), Pierre Segelle (Loiret), Robert Mauger (Loir-et-Cher), Roger Cerclier (Creuse), Roger Faraud (Charente-Inférieure), Gabriel Montpied (Puy-de-Dôme), Jean Worms (Dordogne), Charles Lamarque-Cando (Landes) Frank Arnal (Var), Jean Bène (Hérault), Max Juvénal puis Francis Leenhardt (Bouches-du-Rhône), Alex Roubert (Alpes-Maritimes), et Francis Vals (Aude). Furent vice-présidents : Guy Mollet (Nord), Pierre Commin (Seine-et-Oise), René Arbeltier (Seine-et-Marne), Jean Wagner (Haut-Rhin), Clovis Constant (Loire-Inférieure), Marcel Brégégère (Dordogne), Robert Brettes (Gironde) et Paul Jouve (Basses-Alpes).
65 Rapport du préfet du 15 novembre 1944, dossier Commin, AN, F7/15517 (B).
66 Université de Toulouse le Mirail, La Libération dans le Midi de la France, Éché, ED Université, 1986.
67 Son fils, Michel Bruguier, était le président départemental du MLN, et le secrétaire général du MURF. Il dirigeait alors les FFI qui exerçaient à Nîmes les fonctions de police.
68 À l’annonce de sa mort en novembre 1945, il présenta sa démission à la mairie, conserva son siège de député, mais ne se représenta pas en juin 1946.
69 Robert Lacoste succédait en outre à son propre père, exécuté par les Allemands.
70 Notes des RG des 2 juin 1946 et 18 mai 1949, dossier Le Bail, AN, F7/4874. Un rapport du 11 avril 1954, à Tulle, fait état d’une pétition de soutien, signée par plusieurs membres de l’Armée secrète de la région d’Ussel. Cf. dossier Montalat, AN, F7/5000.
71 Souligné par nous. Note de 1948, dossier Lasalarié, AN, F7/4062.
72 Pierre Rimbert, « L’avenir du PS. Âge et composition sociale », La Revue socialiste, mars 1952, p. 290.
73 Ibidem, p. 293.
74 André Philip, Pour la rénovation de la République. Les réformes de structures, Alger, hebdo. La Fraternité, s. d., 26 p.
75 Tony Judt, La reconstruction du Parti socialiste 1921-1926, Presses de la FNSP, 1976, p. 199.
76 Bulletin national intérieur, Jeunesses socialistes, n° 1, décembre 1944.
77 37e Congrès national des 11-15 août 1945 à Paris, Librairie du Parti, 1945, p. 108.
78 Pierre-Joseph Proudhon, De la capacité politique de la classe ouvrière, 1865.
79 Noëlline Castagnez-Ruggiu, « La SFIO et ses mouvements de jeunesse de 1945 à 1956 », dans Giovanni Orsina et Gaetano Quagliariello (dir.), La formazione della classe politicia in Europa (1945-1956), Manduria-Bari-Roma, Piero Lacaita Editore, 2000, p. 203-228.
80 Pour cette étude, le corpus a été ramené à 299 car les dates de naissance de Sourou Apithy et Hamadoum Dicko n’ont pas été certifiées.
81 La répartition par âges des députés élus de 1898 à 1940 a été réalisée à partir de Mattei Dogan, « Les filières de la carrière politique en France », art. cit., p. 477.
82 Gilles Le Béguec, « De l’avant-guerre à l’après-guerre : le personnel parlementaire français, continuité et renouvellement », Le Bulletin de la SHMC, 3-4, 1995, p. 8.
83 Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, op. cit., p. 45-46 et 208.
84 Congrès national extraordinaire de novembre 1944, Archives du PS-SFIO, OURS, p. 537-540.
85 Intervention de Duteil, de la Sarthe, ibidem, p. 446.
86 Note des RG du 10 janvier 1945, dossier Hauriou, AN, F7/41015.
87 Intervention de Navier, de la Seine, Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, op. cit., p. 141-141.
88 37e Congrès national des 11-15 août 1945, op. cit., p. 438-439, 448 et 450-454.
89 Marceau Pivert, rentré du Mexique, ne réintégra lui-même le parti qu’en 1946.
90 L’autre cas est celui de René Nicod, parlementaire de l’Ain, qui avait quitté le PCF en réaction au pacte germano-soviétique d’août 1939. Mais il n’appartint qu’à l’ACP et ne fait donc pas partie du corpus.
91 Marc Sadoun, op. cit., p. 226.
92 Claude Bourdet, op. cit., p. 179. Pour ce militant PSU l’image de la SFIO molletiste était désastreuse.
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