Conclusion
p. 285-287
Texte intégral
1Jean-Pierre Bois, en ouvrant ce colloque, en rappelait l’objectif : « Offrir l’occasion d’une prise de conscience des dimensions de la culture et du patrimoine ligériens et permettre de porter un autre regard sur ce fleuve majeur. » Les communications ici réunies, qui ont couvert une période très large, des époques gauloises et romaines à nos jours, nous ont permis de mieux comprendre l’importance économique et stratégique du premier fleuve de France.
2L’importance stratégique tout d’abord. Aujourd’hui, l’automobiliste qui franchit la Loire en empruntant des ponts modernes aux Ponts-de-Cé, à Saumur ou à Tours, pour ne citer que les principaux, peut-il imaginer les problèmes posés autrefois à ceux qui voulaient franchir le fleuve ? Même si dans la vie quotidienne la Loire se franchissait relativement facilement, elle apparaissait souvent comme une frontière naturelle entre le Nord et le Sud du pays. Pour les armées, les gués étaient trop aléatoires pour franchir le fleuve et les petites barques insuffisantes. Il fallait construire des ponts. Maxime Mortreau et Anne-Marie Dumont ont rappelé que dès les premières opérations de la conquête romaine de la Gaule, le problème de la traversée de la Loire par les soldats s’est posé. Aujourd’hui, la recherche archéologique a permis de retrouver les traces de treize ouvrages de cette époque. Construire des ponts était pour les Romains une manifestation de puissance politique et militaire. Le contrôle de ces ponts lors des périodes de conflits était une nécessité pour le chef qui voulait faire passer ses armées. L’importance stratégique de la Loire se marque par la construction, souvent près de ces ponts pour les contrôler et contrôler aussi la navigation sur le fleuve, de nombreuses forteresses. Plusieurs communications ont rappelé l’ancienneté de ces constructions, nombreuses sur la Loire et sur les rivières affluentes. François Comte a montré l’importance des enceintes et des ponts d’Angers, la Maine constituant un secteur particulièrement difficile à défendre. Louis Barrault et Monique Chevreul ont évoqué les nombreuses forteresses construites par Foulques Nerra entre l’embouchure de la Maine et Champtocé. Celle de La Roche-aux-Moines construite plus tard, entre 1206 et 1212, par Guillaume des Roches, sur un site géographique et stratégique de premier plan, a été le théâtre d’une grande victoire des armées royales, déter- minante pour le renforcement du pouvoir royal de Philippe Auguste. Durant les guerres de Religion, les forteresses de la Loire armoricaine de Rochefort à Ancenis ont permis aux Ligueurs soutenus par le duc de Mercœur de contrôler la navigation sur le fleuve et de mener de nombreuses opérations contre les troupes royales, comme l’a montré Bertrand Bloquien. Au xixe siècle, la Loire est à nouveau un lieu privilégié de la guerre en 1870-1871, elle donne son nom à l’armée de Chanzy. Francine Fellrath-Bacart nous a présenté comment les Prussiens ont découvert Tours et la Loire, éblouis par les paysages qui se présentaient à eux. Toutes ces communications nous montrent donc l’importance de la présence militaire sur la Loire, au cours des temps, une présence militaire qui est toutefois moins affirmée aujourd’hui. L’exemple de Nantes, étudié par Jean-Pierre Bois, est caractéristique de cette évolution. La ville, devenue ville de garnison au xixe siècle, où l’armée jouit d’une certaine popularité et contribue au développement urbain grâce à la construction de casernes autour desquelles s’organisent de nouveaux quartiers, a vu disparaître aujourd’hui ses casernes et toute vie militaire.
3Quatre des communications ont été consacrées au rôle stratégique de la Loire à l’époque des guerres de Vendée, de 1793 à 1795. En cette période troublée et en l’absence d’une véritable police fluviale, la Loire était loin d’être infranchissable et les passages des Vendéens d’une rive à l’autre étaient réguliers, comme l’a montré Claude Petitfrère. À deux reprises l’armée vendéenne a passé le fleuve sans grands problèmes. En juin 1793 après la prise de Saumur l’Armée catholique traverse le fleuve et, par la rive droite, va occuper Angers avant d’échouer devant Nantes. En octobre 1793, cette armée vendéenne battue à Cholet franchit le fleuve une deuxième fois, de Saint-Florent à Varades, un passage évoqué par Jacques Boislève. L’importance stratégique de la Loire pour les armées de la République durant ces années explique l’envoi de dizaines de membres de la Convention nationale dans la région ligérienne, représentants du peuple pour des missions destinées à réprimer le soulèvement, dont Michel Biard nous a décrit le fonctionnement. Lieu de batailles sanglantes, lieu de noyade des Bleus qui se précipitent du haut de La Roche-de-Mûrs le 26 juillet 1793 ou de noyades des Blancs ordonnées à Nantes par Carrier durant l’hiver 1793-1794, la Loire peut être aussi un lieu de pacification. Anne Rolland-Boulestreau a montré comment la Convention a mandaté quelques officiers pour descendre la Loire en bateau afin de rencontrer les responsables des troupes vendéennes qui combattent encore autour des rives du fleuve. C’est un aspect méconnu des guerres de Vendée qui nous est ainsi présenté à partir des Archives militaires de Vincennes.
4Enfin, dernier et important thème abordé par de nombreuses communications, l’importance économique de la Loire. Dès l’époque gallo-romaine, la Loire est un axe majeur du commerce, nous rappelle Maxime Mortreau. Des produits variés y sont transportés, des vins italiens, de l’huile d’olives et beaucoup d’autres, qui alimentent un commerce lucratif. Ce rôle économique de la Loire est renforcé au xviie siècle par la politique de Colbert. Les communications de Florent Godelaine, Philippe Cayla et David Plouvier nous montrent la mise en place autour de la Loire et de ses affluents d’un vaste et puissant complexe industriel lié aux nécessités de la guerre. Il faut approvisionner les arsenaux militaires de la côte atlantique en bois, chanvre ou toiles à voiles pour les navires. La Loire sert à leur transport, comme elle sert au transport des produits coloniaux arrivés dans le port de Nantes, comme le sucre des Antilles. Ainsi sur les bords de la Loire se multiplient les ports nécessaires à ce commerce. Ce qui explique l’importance des bateliers au sein des populations des rives du fleuve. Des bateliers réquisitionnés durant la guerre d’Indépendance américaine pour servir sur les vaisseaux du roi. L’exemple des mariniers d’Orléans présenté par Patrick Villiers est particulièrement instructif de la place tenue par les hommes du fleuve au cours de ces combats. Au xixe siècle, encore, la Loire est utilisée pour transport de nombreuses marchandises. En 1917-1918, le val de Loire a été un axe essentiel de l’acheminement de l’aide américaine. La communication d’Alain Jacobzone nous a montré que cela a entraîné la construction le long du fleuve de vastes camps destinés à concentrer et à réparer du matériel.
5C’est donc une Loire très différente de l’image qui lui est trop souvent donnée de nos jours qui nous a été présentée aujourd’hui. Nous avons été bien loin de la Loire des rois, de la cour et des châteaux de la Renaissance ou des siècles suivants. C’est une Loire frontière entre le nord et le sud du pays, lieu d’affrontements sanglants de l’invasion de la Gaule par les Romains à l’époque de la Révolution, terre de constructions de puissantes forteresses chargées de contrôler les ponts et les grandes voies de commerce, terrestres et fluviales, que nous avons découverte. Une Loire axe indispensable pour le commerce et au cœur de la construction d’un puissant ensemble industriel et militaire. Ce colloque n’a donc pas été inutile. Il en appelle d’autres.
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