Les représentants du peuple en mission et la Loire (1793-1795)
p. 131-154
Texte intégral
1L’historiographie de la Révolution française associe depuis plus de deux siècles le nom de ce fleuve à deux faits majeurs, d’une part, le rôle de la Loire au moment de la révolte « vendéenne » en 1793, d’autre part, le recours aux noyades dans les divers modes d’exécution employés à Nantes sous les ordres de Carrier. Comme ce dernier était alors présent dans la ville en tant que représentant du peuple en mission, tandis que plusieurs de ses collègues tâchaient au même moment d’organiser la résistance armée face aux « rebelles », l’action des représentants du peuple en mission relève incontestablement de ce qui peut être appelé « une histoire géopolitique et militaire » de ce fleuve. Pour la jeune République, les soulèvements dans l’Ouest ont, en effet, représenté un enjeu stratégique majeur sitôt que les « Vendéens » ont étendu leurs actions à un vaste espace géographique recoupant quatre départements (l’essentiel de la Vendée, d’où son caractère éponyme, le sud du Maine-et-Loire et de la Loire-Inférieure, l’ouest des Deux-Sèvres). Ces affrontements militaires, vite qualifiés par les représentants du peuple eux-mêmes de guerre, voire de guerre civile, s’ouvrent au printemps 1793, en réaction aux réquisitions d’hommes pour les armées1, et s’achèvent avec la double déroute « vendéenne » au Mans et à Savenay en décembre (au-delà, ce conflit armé change de visage, tant par la nature des opérations armées menées par les « rebelles » que par certains aspects de la répression subie par eux comme par les civils).
2Pour bien comprendre l’enjeu stratégique de ce véritable front intérieur et notamment le rôle clé joué par la Loire, il convient de ne jamais oublier qu’il était un front parmi beaucoup d’autres. À cet égard, il suffit de se plonger dans la correspondance des représentants du peuple en mission, publiée par Alphonse Aulard et ses collaborateurs2, pour constater que, à côté des opérations militaires dans l’Ouest, les nouvelles reçues par la Convention nationale et son Comité de salut public concernaient aussi bien les fronts septentrional, rhénan, alpin et pyrénéen, que plusieurs villes touchées par la révolte « fédéraliste » (Lyon, Toulon, etc.). Il ne s’agit point ici de valider la célèbre théorie des circonstances, utilisée autrefois pour tenter d’expliquer les violences de la Terreur, mais plus simplement de souligner que l’importance « géopolitique et militaire » de la Loire en 1793 est décuplée par l’existence de ces autres fronts. Cette importance apparaît d’emblée au vu du seul rythme des missions confiées aux membres de la Convention nationale au cours du printemps et de l’été 1793. Elle se décèle également sans peine à l’automne, dès lors que la virée de Galerne commence grâce au franchissement du fleuve et transforme ensuite celui-ci en une ligne de défense sur laquelle doivent venir se briser les assauts des « Vendéens ». Pour autant, à trop vouloir porter les regards sur les mois terribles de 1793, on risque d’omettre le rôle du fleuve dans les logiques missionnaires d’ensemble. Les onze départements concernés par le cours de la Loire3 ont, en effet, connu diverses associations voulues par la Convention nationale et n’ont pas été touchés de manière uniforme par les missions des représentants du peuple, ce qu’attestent plusieurs cartes. Aussi, avant d’aborder les épisodes décisifs de 1793, convient-il au préalable de mettre au jour cette véritable géographie missionnaire dans l’espace que, par commodité davantage que par rigueur scientifique, je qualifierai ici de ligérien.
3La première occasion d’une répartition de tous les départements entre des membres de la Convention nationale envoyés sur le terrain se présente avec la grande mission du 9 mars 1793, destinée à accélérer la levée des 300 000 hommes4. L’Assemblée opte pour un découpage du territoire national en quarante et une sections5, chacune associant deux départements voisins et confiée à une équipe formée par deux représentants du peuple (soit au total quatre-vingt-deux envoyés en mission). La logique d’ensemble privilégie notamment la défense des frontières, avec des regroupements de départements qui sont faits d’ouest en est et du nord au sud6 tout au long des zones frontalières, toutefois d’autres logiques du découpage peuvent être décelées7. Parmi celles-ci, certains héritages des limites administratives d’Ancien Régime, des contraintes naturelles, mais aussi des relations liées à l’existence de cours d’eau. Tel est assurément le cas pour la Loire, puisque les onze départements concernés se trouvent répartis dans sept sections seulement8 (carte 1). Si l’on excepte la Mayenne associée à la Loire-Inférieure, la Sarthe au Maine-et-Loire, le Cantal à la Haute-Loire, les sections épousent le tracé du fleuve avec d’aval en amont les associations suivantes : Indre-et-Loire/Loir-et-Cher, Loiret/Nièvre, Cher/Allier, enfin Saône-et-Loire/Rhône-et-Loire. Les enjeux induits par la présence du fleuve se retrouvent d’ailleurs dans la correspondance et les arrêtés des représentants du peuple en mission, à commencer par l’épineuse question du « classement des gens de rivière » qui doivent servir dans la Marine. Ainsi, Collot d’Herbois et Laplanche, envoyés dans le Loiret et la Nièvre9, constatent vite qu’à Orléans, Cosne, La Charité-sur-Loire ou encore Nevers, nombre de fils de mariniers affichent un grand zèle patriotique et s’enrôlent dans les bataillons de volontaires de l’armée de terre pour… échapper au service de la Marine ! Ils rédigent donc et font afficher dans les deux départements une proclamation Aux mariniers des bords de la Loire, qui mêle exhortation à servir sur les vaisseaux de la République et menaces à peine voilées contre ceux qui se soustrairaient à leurs devoirs10. Quelques jours plus tard, une lettre qu’ils envoient à la Convention nationale ne laisse aucun doute quant à leur prise en compte du fleuve comme lien majeur entre les départements :
« [Notre proclamation…] a produit déjà un bon effet. Nous avons invité nos collègues qui sont en haut de la Loire à faire de même, car dans l’état des choses si les mariniers d’en haut commencent à bien aller, le reste ira de suite11.»
4Faire confiance à leurs collègues envoyés en amont, en jouant sur le fameux air Ça ira, ne peut toutefois leur donner suffisamment d’assurance, aussi destituent-ils les commissaires chargés du recrutement naval pour les remplacer par des mariniers de Nevers, ce qui semble suffire à calmer la situation12. Tout au moins pour ces rives du fleuve, car au même moment la situation devient explosive plus en aval.
5Pareille répartition géographique des représentants du peuple ne se retrouve pourtant pas dans toutes les missions collectives de 1793 et de l’an II. Pour ne mentionner ici que le second des grands exemples en la matière, la mission du 9 nivôse an II (29 décembre 1793), destinée à assurer dans les départements la mise en place des nouvelles dispositions imposées par l’organisation du Gouvernement révolutionnaire, fait naître une carte très différente (carte 2). Si le découpage mis en place par la Convention nationale reprend le principe des sections associant deux départements voisins (mais avec cette fois un seul représentant du peuple en mission par section), les onze départements ligériens sont cette fois répartis entre neuf circonscriptions, ce qui implique nécessairement des regroupements avec de nouveaux départements. Bien sûr, le cours de la Loire se repère encore sans peine sur la carte, néanmoins presque aucune des sections élaborées en mars ne survit, puisque seuls les départements du Loiret et de la Nièvre demeurent associés. Aux logiques du découpage territorial de mars se substitue une carte pour laquelle les sections ont été définies par de grandes bandes orientées d’ouest en est et se succédant du nord au sud13, sans forcément respecter des logiques naturelles ou économiques. Ce nouveau découpage résulte d’un travail compliqué, lié entre autres aux représentants du peuple alors déjà présents sur le terrain et qui se contentent parfois de glisser d’un département voisin (ou d’une armée stationnée à proximité) à la section qu’ils se voient attribuer. Il n’entre point dans mes intentions de développer ici ce point, si ce n’est pour encore observer que des critères politiques ont bien entendu pu jouer. La crise « fédéraliste » de l’été précédent a contribué à renforcer la méfiance du pouvoir central vis-à-vis des autorités départementales et celles-ci voient leur rôle nettement amoindri par le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) sur l’organisation du Gouvernement révolutionnaire. Dès lors, il va de soi que briser des associations autrefois réalisées entre deux départements pour en créer de nouvelles ne peut que favoriser la soumission des départements au pouvoir central. Parmi les sections créées le 9 nivôse, seules deux sur neuf marquent toujours un rapport évident avec le cours de la Loire, d’une part, le couple Loiret/Nièvre qui a survécu, d’autre part, celui qui unit le Maine-et-Loire avec l’Indre-et-Loire. Est-ce à dire que le fleuve a à ce moment perdu de son importance ? Sans doute pas, car, outre les combats décisifs qui se déroulent en décembre 1793 autour de ses rives, pour l’essentiel entre Nantes et Angers, d’autres logiques missionnaires ultérieures prouvent l’utilisation des cours d’eau comme éléments clés destinés à déterminer des espaces missionnaires éphémères. Pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, par un arrêté du 24 pluviôse an II (12 février 1794), le Comité de salut public ordonne que quatre représentants du peuple, Deydier, Ferry, Romme et Pointe se rendent dans les départements afin de surveiller forges, fonderies et manufactures d’armes, notamment pour « accélérer par tous les moyens possibles la fabrication des canons de fer coulés pour le service de la Marine, et d’en obtenir à l’ouverture de la campagne le nombre proportionné aux armements que l’on se propose de faire14 ». Parmi ces quatre missionnaires, Ferry, savant (professeur à l’école du génie de Mézières) avant d’être conventionnel, reçoit pour terre de mission le Cher et les départements voisins. Or, la liste des départements qui lui sont confiés dessine une France du « Centre » conçue de toute évidence en fonction des bassins hydrographiques et non en fonction des limites départementales, soit une partie du cours de la Loire (entre Cher et Maine-et-Loire) et certains de ses affluents, Allier, Cher, Creuse et Vienne15. À cette géographie des bassins hydrographiques répond naturellement une géographie industrielle elle-même liée aux cours d’eau, surtout celle des industries d’armement. D’ailleurs, ce sont près d’une trentaine de représentants du peuple qui ont eu à s’occuper des forges et fonderies ou des manufactures d’armes, avec des missions qui n’ont guère cessé du printemps 1793 à la fin de l’an III. Or, parmi celles-ci se distinguent là encore plusieurs zones géographiques, dont l’une liée à la Loire, formée par plusieurs départements des parties – et bordures – septentrionales et orientales du Massif central (le Cher, la Nièvre, la Côte-d’Or, la Saône-et-Loire avec surtout Autun et Le Creusot, l’Allier avec Moulins, la Loire avec Saint-Étienne, la Haute-Loire16).
6Centrée avant tout sur les missions politiquement les plus cruciales (ou réputées telles) et/ou celles qui avaient donné lieu à des répressions de masse en 1793 et en l’an II, l’historiographie ne pouvait qu’insister sur le cas spectaculaire de la mission Carrier à Nantes, tout comme l’on évoquait Lebon à Arras et Cambrai ou encore Collot d’Herbois à Lyon. Il ne s’agit en rien ici de minorer l’impact de ces missions, et plus encore de ne pas souligner leurs terribles violences, néanmoins force est de reconnaître qu’elles ont pour le moins déformé la vision d’ensemble des missions accomplies par les membres de la Convention nationale. Ainsi, si la question est aujourd’hui posée à quiconque de déterminer lequel des départements ligériens a connu le plus grand nombre de missions, assurément la réponse sera la Loire-Inférieure et le Maine-et-Loire en raison de la révolte « vendéenne ». En soi, cela ne pourra être tenu pour une réponse erronée, mais ce sera là le fruit d’une confusion entre missions dans les départements et missions auprès des armées. Certes, ces deux types de missions ont eu d’innombrables occasions de s’entremêler, avec ici des représentants auprès d’une armée intervenant dans des affaires politiques ou économiques d’un département (à commencer par le « maintien de l’ordre » et les opérations de ravitaillement), ou là des représentants dans un département n’hésitant pas à s’immiscer dans des décisions militaires. Le cas des départements touchés par la révolte « vendéenne » en est même exemplaire, puisque, nous allons le voir, le printemps et l’été 1793 ont connu une inflation considérable du nombre des représentants du peuple aux armées. Toutefois, si l’on observe une carte dans les départements des missions attribuées pendant toute la période de vie de cette institution révolutionnaire, autrement dit du printemps 1793 à l’automne 1795, les constats observés peuvent a priori sembler surprenants pour les départements ligériens (carte 3)17. Tout d’abord, le département le moins attribué comme destination missionnaire est le Maine-et-Loire, pourtant concerné au premier chef par les opérations militaires en « Vendée », avec entre autres trois villes tour à tour prises pour cible par les insurgés, Angers, Saumur et Cholet. Ensuite, la Loire-Inférieure apparaît avec un nombre de missions plutôt faible, tandis que les terres les plus parcourues par les représentants du peuple en mission se trouvent surtout dans le Loiret et la Loire, mais aussi dans la Nièvre et l’Allier. Outre le fait que la carte prenne en compte l’ensemble de la période, les résultats obtenus tiennent justement à la nature des missions. Celles qui se voient attribuer avant tout des objectifs économiques n’ont guère retenu l’attention des historiens, mais pour autant ont toute leur place dans l’histoire de l’institution. Ainsi, le nombre élevé des missions dans le Loiret s’explique avant tout par ces objectifs économiques, en raison de l’appartenance du département à la zone de ravitaillement de Paris en subsistances, mais aussi en bois, et également avec la présence de la papeterie de Buges (près de Montargis) essentielle pour l’impression des assignats18. De la même manière, le cas du département de la Loire répond à des logiques similaires, liées à la présence de mines et plus encore à la manufacture d’armes de Saint-Étienne19.
7S’agissant maintenant de l’importance de la Loire en tant qu’enjeu stratégique majeur de la « guerre de Vendée », il va sans dire que l’année 1793 marque un incontestable temps fort et qu’une partie géographiquement limitée de ses rives s’est retrouvée au cœur du conflit. De Saumur, en amont, ville prise par les « rebelles » le 9 juin 1793, à Paimbœuf et Savenay en aval, en passant par les Ponts-de-Cé (donc Angers), Saint-Florent et Ancenis, la Loire n’a cessé d’être un enjeu fondamental. Pour autant, vue de Paris, la menace a paru susceptible de s’étendre jusqu’à Orléans, et cette ville tout comme Tours et Blois ont été elles aussi mobilisées et mises en état de défense. Le fleuve a d’abord de facto servi de limite septentrionale à l’espace appelé « Vendée militaire » (carte 4), avant de devenir le point de passage vers le nord au moment de la virée de Galerne, puis une barrière conçue comme infranchissable au retour des « Vendéens » et destinée à les acculer pour mieux les écraser militairement, tandis qu’à Nantes Carrier et les hommes placés sous ses ordres commençaient à employer les noyades comme mode d’exécution collective. Aux tout débuts du soulèvement, on le sait, les « rebelles » usent de leur supériorité numérique face à des cités protégées par des forces très limitées, entre autres parce que toute cette région géographique ne comptait guère de garnisons importantes. Au printemps 1793, la défense des côtes occidentales était confiée à trois armées20 : du nord au sud, l’armée des côtes de Cherbourg, celle des côtes de Brest, celle des côtes de La Rochelle. Elles n’étaient nullement destinées à affronter un ennemi intérieur, or, par la force des choses, l’une d’entre elles, l’armée des côtes de La Rochelle, se retrouve en première ligne face aux insurgés. L’augmentation soudaine et spectaculaire du nombre des représentants du peuple qui y sont envoyés en mission, pour l’essentiel en quelques semaines seulement, l’atteste (tableau A).
8Et, dès lors, ajouter les représentants du peuple en mission aux armées à leurs collègues envoyés dans les départements ouvre alors de nouvelles perspectives. Le 30 avril, au moment de l’organisation à l’échelle nationale des missions aux armées, six représentants du peuple sont envoyés auprès de celle des côtes de La Rochelle, quatre à l’armée des côtes de Cherbourg et également quatre à l’armée des côtes de Brest. Mais moins de deux semaines s’écoulent avant que, le 10 mai, six autres représentants du peuple soient adjoints à la mission aux côtes de La Rochelle, avec cette fois des départements à leur charge en sus de leur affectation auprès de l’armée. Puis, à des dates diverses (parfois connues de façon imprécise, ce qui témoigne du caractère improvisé de certains envois), d’autres missionnaires viennent rejoindre ce front intérieur, ce qui va contribuer aux divisions bien connues entre plusieurs clans rassemblés autour de représentants du peuple en mission et de généraux21. Au total, une vingtaine de représentants du peuple agissent auprès de cette armée au printemps et dans l’été, soit plus du triple des effectifs initiaux. Le 15 mai, ils procèdent à un partage entre eux des territoires échus à l’armée des côtes de La Rochelle. Six des commissaires de la Convention nationale22 forment une « commission centrale » installée à Saumur23, trois autres24 prennent Tours comme base, deux25 font de même à Poitiers et quatre (puis cinq)26 les imitent à Niort, tandis que trois27 de leurs collègues suivent les opérations à partir de La Rochelle et Rochefort. De ces deux cités jusqu’à Niort et Poitiers, puis de cette dernière ville à Tours et Saumur, une sorte de limes républicain s’organise face aux « Vendéens », cependant que le relais pour la défense de la Loire entre Saumur et l’estuaire est pris par l’armée des côtes de Brest (son homologue des côtes de La Rochelle ayant pour ordre d’agir entre l’embouchure de la Gironde et celle de la Loire). Cette situation ne manque pas, à terme, d’exacerber les tensions entre généraux et représentants du peuple en mission, d’autant que ces derniers sont alors de sensibilités politiques différentes28. Symbole évident du rôle qui lui est désormais réservé au cœur du brasier « vendéen », l’armée des côtes de La Rochelle change de nom le 1er octobre 1793 pour devenir l’armée de l’Ouest, nouvelle unité militaire qui voit passer trente représentants du peuple en mission jusqu’en l’an III (tableau B).
9De très nombreux documents témoignent de l’importance donnée par les représentants du peuple en mission à la Loire, à la défense des villes et notamment à celle de Nantes assimilée à une sorte de verrou qui permet de contrôler le passage vers la Bretagne. Le 26 juin 1793, Gillet et Merlin de Thionville, envoyés auprès de l’armée des côtes de Brest, écrivent ainsi à la Convention nationale qu’ils ont proclamé l’état de siège dans cette ville, « que les rebelles n’entreront jamais dans Nantes, et que cette clef de toute la ci-devant Bretagne ne tombera jamais en leur pouvoir29 ». Les mêmes écrivent à l’Assemblée, toujours de Nantes, le 2 juillet, que diverses opérations sont prévues par les généraux et que « s’ils réussissent, toute la rive droite de la Loire sera entièrement libre30 ». Dans l’été puis le début de l’automne 1793, la préoccupation majeure est donc de circonscrire la révolte et de l’empêcher de s’étendre au nord de la Loire, même si les représentants du peuple en mission divergent quant à ce qu’il adviendrait des « rebelles » s’ils parvenaient à forcer le passage. Au tout début de la virée de Galerne, Choudieu et Richard, en mission à l’armée de l’Ouest, évoquent ainsi les tentatives de franchissement :
« Les rebelles avaient tenté de passer la Loire au poste de Varades, et ils avaient en partie effectué leur projet ; nous les avons attaqués dans ce poste, nous les en avons chassés ; ils se sont repliés sur Ingrandes, où ils ont trouvé fort peu de partisans. Nous pouvons vous dire qu’ils ne sont plus à redouter ; ce sont des gens qui fuient et qui nous craignent31.»
10Leur collègue Francastel abonde dans leur sens et estime que, même à l’époque de leurs succès militaires, les « rebelles » comptaient peu de partisans sur la rive droite du fleuve et qu’ils seront donc réduits à opérer en terrain hostile32. Toutefois, l’appréciation de la situation change sous la plume d’un autre des représentants du peuple auprès de l’armée de l’Ouest, Richard, qui écrit au même moment de Saumur :
« Les rebelles avaient passé la Loire et forcé le poste de Varades pour se dérober à la poursuite de l’armée de la République. Dans le premier moment, ils ont fait replier plusieurs postes, et ces cantons ont eu quelques craintes. Je me suis hâté d’y faire passer des troupes, de concert avec les généraux qui sont ici ; bientôt, les postes ont été repris et l’ennemi battu. La communication avec Nantes par cette route, interceptée par ce passage, sera rétablie dès demain d’une manière assurée. Il y a de grandes précautions à prendre pour empêcher que ceux des rebelles qui échapperont par la fuite ne trouvent asile au-delà de la Loire, et ne se mettent à portée de machiner de nouveaux complots dans ces contrées, où les contre-révolutionnaires sont nombreux33.»
11En tout état de cause, que l’« armée vendéenne » puisse ou non compter sur des soutiens au nord de la Loire, représentants du peuple en mission et généraux s’accordent vite sur le fait qu’il y a là une occasion rêvée à saisir pour combattre l’ennemi hors du territoire qu’il avait transformé en une sorte de citadelle inexpugnable. Le passage même du fleuve offre également aux yeux de certains une occasion supplémentaire d’anéantir les « Vendéens » par des noyades34. Après la victoire de Cholet les 16 et 17 octobre, le franchissement de la Loire, assimilé d’abord à une fuite éperdue plutôt qu’à une tentative pour s’emparer d’un port breton ou normand, annonce donc pour les représentants du peuple la fin prochaine du conflit35. Pourtant, dès lors que les « rebelles » échouent devant Granville puis se replient vers le sud, le fleuve reprend son rôle de barrière. Désormais, il ne s’agit plus seulement d’une ligne destinée à préserver des territoires d’une contagion, mais d’un obstacle sur lequel doivent se briser les assauts des « Vendéens » et contre lequel ils seront acculés et anéantis. Preuve tout à la fois de cette importance donnée à la Loire, en tant que ligne de défense, mais aussi de la volonté d’éviter que de nouvelles frictions se produisent entre représentants du peuple et généraux, le Comité de salut public choisit cette fois de charger un seul missionnaire de coordonner la mise en défense de la Loire.
12Le 9 frimaire an II (29 novembre 1793), le Comité de salut public expose la nouvelle stratégie à suivre dans un arrêté qui ne laisse aucun doute sur le rôle assigné à la Loire :
« Le Comité de salut public, informé que les rebelles sortis de la Vendée, après avoir échoué dans leur projet de se porter dans le département de la Manche, reviennent sur leurs pas et paraissent avoir le dessein de repasser la Loire, arrête :
1o Les représentants du peuple et les généraux commandant les forces dirigées contre les rebelles s’opposeront par tous les moyens possibles à ce que ces brigands ne puissent repasser la Loire.
2o A cet effet, dès que le projet des ennemis sera connu, on fera couper les ponts de Cé et de Saumur, et l’on fera passer sur la rive gauche de la rivière tous les bateaux et embarcations qui se trouvent depuis Saumur jusqu’à Nantes. Ces embarcations seront rassemblées dans les différents points de défense et détruites, s’il le faut. On se tiendra aussi en mesure de couper le pont de Tours, si l’ennemi paraît vouloir se porter de ce côté.
3o On fera garder Saint-Florent avec la grosse artillerie, de même que Le Four-à-Chaux, vis-à-vis Ancenis, et tous les passages praticables jusqu’à Nantes, notamment celui de Champtoceaux36.
4o Les forces qui sont maintenant en deçà de la Loire se réuniront en masse pour agir sur le derrière et sur le flanc droit de l’ennemi, lorsqu’il tentera de repasser la Loire. On tâchera de l’enfermer entre la rivière et l’armée, et on l’empêchera surtout de pénétrer vers Nantes et de rejoindre son pays en tournant cette ville par la partie inférieure du fleuve.
5o Aussitôt qu’on sera réuni, on marchera contre les rebelles et on les poursuivra sans relâche partout où ils se porteront, toujours offensivement et sans leur donner le temps de s’établir nulle part. On évitera sur toute chose la dissémination des forces et les attaques partielles.
6o Les dépôts qui sont dispersés d’Orléans à Tours seront rassemblés et organisés dans cette dernière ville. On ne réunira cependant que les hommes armés et en état de servir.
7o Le général Haxo est particulièrement chargé de garder les postes de la rive gauche de la Loire, en même temps qu’il contiendra l’armée de Charrette et empêchera sa jonction avec les autres rebelles ; il rendra compte de toutes ses opérations au général en chef de l’armée de l’ouest et prendra ses ordres ; il suspendra l’exécution de Noirmoutier jusqu’à ce que Nantes soit à l’abri de toute insulte.
8o Le représentant du peuple Levasseur partira sans délai pour assurer les mesures qui ont pour objet la défense du passage de la Loire37.»
13Par un second arrêté, pris aussitôt après, Levasseur de la Sarthe se voit investi du pouvoir de donner des ordres à tous les fonctionnaires civils et militaires, de même qu’à tous les citoyens, charge à lui de se concerter avec ses collègues présents dans les lieux où il viendrait à se trouver. En application des décisions du Comité de salut public susmentionnées, sa mission s’étend à « tous les lieux qui bordent la Loire depuis Orléans jusqu’à Nantes et au-delà, s’il est nécessaire38 » (carte 5). Ce représentant du peuple possède déjà une solide expérience des missions et apparaît comme un Montagnard non impliqué dans la lutte des factions qui oppose alors les « exagérés » et les « indulgents »39, autant de raisons qui expliquent son choix. Il part de Paris le soir même, arrive à Orléans dans la matinée du 10 frimaire (30 novembre), quitte cette ville dans la soirée pour Blois où il s’arrête le 11 au petit matin avant de gagner Tours dans la même journée. Il se met ensuite en route pour Saumur où il arrive dans la nuit du 11 au 12 (1er-2 décembre). Le 13, il a atteint Angers, où il participe à la défense de la ville assiégée par les « Vendéens » et où il retrouve cinq autres représentants du peuple : Bourbotte, Francastel et Turreau, tous trois en mission auprès de l’armée de l’Ouest ; Prieur de la Marne envoyé à Brest depuis la fin de septembre ; Esnuë-Lavallée en mission dans les départements « du Centre et de l’Ouest » depuis juin, alors officiellement rappelé depuis environ un mois, mais encore présent sur le terrain40. Le 18 frimaire (8 décembre), Levasseur écrit de Nantes et affirme être passé aux Ponts-de-Cé, à Saint-Florent, Ancenis et Le-Four-à-Chaux41. Il reste deux jours à Nantes, puis prend le chemin du retour. Il écrit de Tours le 23 frimaire (13 décembre) et regagne ensuite Paris. Sa mission aura donc duré environ deux semaines, le temps de parcourir dans les deux sens les rives de la Loire entre Orléans et Nantes42 pour s’y entretenir systématiquement avec les autorités (civiles et militaires) et pour ordonner les mesures nécessaires à la transformation du fleuve en une barrière infranchissable. La première de ces mesures vise à couper les ponts et à en mettre les accès en état de défense43, mais aussi à réorganiser si besoin la chaîne de commandement dans chacune des villes visitées. Ainsi, il écrit de Saumur :
« Ce matin j’ai visité tous les postes et les moyens de défense. On a mis ici beaucoup de lenteur. J’ai tout animé ; le pont est coupé, mais cette coupure est trop étroite ; j’ai donné des ordres pour l’élargir et couper le pont de bois. Je me suis aperçu que tout commandait ici. J’ai cru devoir mettre la ville en état de siège44.»
14Dans ses Mémoires, il multiplie les références aux mesures prises pour défendre la Loire, ici par l’établissement de redoutes en terre, là en faisant évacuer des maisons ensuite remplies de fagots et prêtes à être incendiées à l’arrivée des « Vendéens45 ». La seconde mesure adoptée répond à l’article 2 de l’arrêté du Comité de salut public, avec un contrôle sévère sur toutes les embarcations disponibles, leur regroupement sur la rive gauche, voire, en cas de nécessité, leur destruction pure et simple. Dès le 11 frimaire (1er décembre), alors qu’il n’a encore visité que trois villes (Orléans, Blois, Tours), ses courriers attestent son ardeur pour l’exécution de cette consigne : « Le long de la rive droite, j’ai vu beaucoup de bateaux ; je viens de donner des ordres précis pour les ranger sur la rive gauche et même pour les couler bas, si on trouve de la résistance46. » En outre, des bateaux armés sont stationnés sur la rive gauche, prêts à intervenir contre toute tentative de franchissement du fleuve47.
15Un piège mortel se referme dès lors sur les « rebelles », peu à peu encerclés et dans l’incapacité de retraverser la Loire. Plus grave pour eux, la mesure finit même par être renforcée sur les ordres de Carrier. En effet, après la déroute des « Vendéens » au Mans (les 22 et 23 frimaire [12 et 13 décembre]) et alors que beaucoup d’entre eux refluent vers l’ouest, il écrit au Comité de salut public qu’une de leurs colonnes est proche d’Ancenis, qu’il a envoyé trois hommes dans cette commune « pour ne laisser aucun bateau sur la Loire, si ce n’est les bateaux armés, et trois charpentiers pour couper le pont d’Oudon48, dans le cas où Ancenis serait obligé de se replier, en retraite, sur Nantes49 ». Puis il annonce avoir également prévenu le poste de Nort et envoyé six autres charpentiers pour couper le pont du Bourg afin d’interdire la route de Châteaubriant à Rennes. Enfin, il a donné la même consigne pour les ponts de Redon et de Messac, ainsi que l’ordre de briser ou brûler tous les bateaux se trouvant sur la Vilaine et sur l’Isac. À l’obstacle ouest-est déjà constitué par la Loire, Carrier ajoute donc ici des obstacles nord-sud de manière, d’une part, à couvrir Nantes par le nord, d’autre part et surtout, à barrer en partie l’accès à la Bretagne, notamment grâce à la direction grossièrement nord-sud du cours de la Vilaine.
16Ce même 25 frimaire an II (15 décembre 1793), Francastel écrit d’Angers au Comité de salut public pour, lui aussi, annoncer un nouveau renforcement des défenses et exposer que la Loire est plus que jamais surveillée. Il ajoute cette phrase lourde de sens : « Si les brigands la passent, ce ne sera que dans la barque à Caron50. » Moins de dix jours plus tard (3 nivôse [23 décembre]), l’enfer est de fait réservé aux survivants de l’« armée vendéenne » à Savenay. Toutefois, la « barque à Caron » avait déjà bel et bien été mise en usage à Nantes, où la première noyade dans ce fleuve qualifié par Carrier de « torrent révolutionnaire » est attestée le 19 brumaire (9 novembre). En quelque trois mois, la Loire engloutit entre 1 800 et 4 800 prisonniers, peut-être davantage, tandis qu’environ 4 000 autres captifs sont fusillés ou guillotinés51. Jusque-là utilisé comme une ligne défensive et ainsi partie prenante d’« une histoire géopolitique et militaire », le fleuve prend ici une tout autre dimension. Les noyades dans la Loire deviennent en l’an III un élément majeur des accusations contre Carrier, mais aussi contre plusieurs autres représentants du peuple en mission. Ainsi Javogues est-il alors « ce député digne émule des Carrier et des Joseph Lebon52 », « ce monstre émule de Carrier [qui] rougissait de sang les sources de la Loire pendant que son collègue encombrait de cadavres les embouchures de ce fleuve53 ». Plus de deux siècles de débats historiographiques à propos de la Révolution française témoignent du choc produit par les noyades de Nantes, choc qui ne doit pas pour autant faire oublier ni les enjeux stratégiques du fleuve en 1793, ni bien sûr les autres facettes des politiques menées par les représentants du peuple en mission.
Notes de bas de page
1 Ces réquisitions d’hommes sont effectuées dans le cadre de la levée des 300 000 hommes, laquelle devait en principe s’opérer sur la base du seul volontariat, comme cela avait été déjà le cas en 1791 et 1792. Néanmoins, pour la première fois, cette levée imposait un nombre d’hommes déterminé et fixé pour chacun des départements, charge ensuite aux autorités locales d’assurer la répartition entre les districts et communes de leur territoire. Dès lors, pour peu que le nombre de volontaires soit inférieur à celui exigé, les autorités locales étaient libres de recourir à d’autres méthodes que le simple appel au volontariat, ainsi le tirage au sort ou l’élection. Dans de nombreux départements, l’emploi de ces méthodes suscita des troubles, mais c’est dans l’Ouest qu’ils atteignirent leur paroxysme et se muèrent en quelques semaines en une véritable guerre civile à l’échelle « régionale ».
2 Aulard A., Recueil des actes du Comité de salut public avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du Conseil exécutif provisoire, Paris, Imprimerie nationale, 1889-1999, 28 vol. + 4 vol. suppl. + 4 vol. d’index (ensuite ici indiqué RACSP).
3 J’excepte l’Ardèche, où le fleuve prend sa source, qui me semble un cas en marge dans le cadre de la présente étude.
4 Voir Biard M., Missionnaires de la République. Les représentants du peuple en mission (1793-1795), Paris, Éditions du CTHS, 2002.
5 Sont exceptés de cette répartition, outre Paris, la Corse et le Mont-Blanc (article 2 du décret du 9 mars 1793).
6 Les sept premières sections constituées l’attestent sans ambiguïté (Nord/Pas-de-Calais, Aisne/Ardennes, Marne/Meuse, Meurthe/Moselle, Bas-Rhin/Haut-Rhin, Vosges/Haute-Marne, Doubs/Haute-Saône), de même que celles proches des Pyrénées (Aude/Haute-Garonne, Ariège/Pyrénées-Orientales, Gers/Landes, Basses-Pyrénées/Hautes-Pyrénées).
7 Pour la carte de l’ensemble des sections, voir Biard M., Missionnaires…, op. cit., p. 158.
8 Le Rhône et la Loire, qui apparaissent distincts sur la carte, sont en réalité alors regroupés depuis 1790 en un seul département appelé le Rhône-et-Loire. Pour davantage de lisibilité, j’ai choisi de laisser apparente la frontière postérieurement créée entre les deux départements (c’est la révolte « fédéraliste » qui poussa la Convention, dans l’été 1793, à scinder en deux le Rhône-et-Loire).
9 Je renvoie ici à des parties restées inédites de ma thèse de doctorat, Jean-Marie Collot d’Herbois. Homme de théâtre et homme de pouvoir (1749-1796), université Paris I, 1993 (voir le vol. II).
10 « D’abord vous exprimez votre aversion pour le service maritime, parce que plusieurs d’entre vous ont essuyé autrefois de mauvais traitements sur les vaisseaux qu’on appelait du roi ; mais aujourd’hui que ces vaisseaux-là sont les vôtres, Citoyens, ils vous appartiennent ; les féroces commandants dont vous vous plaignez étaient des gentilshommes ; les Capitaines qui commandent aujourd’hui sont vos frères, des mariniers comme vous, autrefois maltraités comme vous par les gentilshommes ; les nouveaux Capitaines par conséquent ne vous maltraiteront pas. » Et le texte d’ajouter que nul ne peut refuser de servir la Patrie… (Arch. nat., AF II 128, plaquette 979, pièce 20). La version imprimée est datée de Nevers le 14 avril 1793, mais cette proclamation est en fait envoyée dès le 12 au Conseil général du Loiret, avec le commentaire suivant : « Elle servira, nous l’espérons, de contrepoison aux frivoles objections de la malveillance, et déterminera puissamment l’obéissance des marins faits pour assurer sur les mers le triomphe du pavillon tricolore » (Arch. dép. du Loiret, 2 Mi 758 [R1 L7]).
11 Lettre envoyée de Nevers le 18 avril 1793 (Arch. nat., AF II 167, plaquette 1373, pièce 17).
12 Arch. dép. de la Nièvre, 1 L 38, fos 13, 19 et 27 (décisions des 11 et 23 avril, puis 2 mai 1793).
13 Pour la carte de l’ensemble des sections, voir Biard M., Missionnaires…, op. cit., p. 163.
14 RACSP, t. XI, p. 87-89.
15 Sa mission est élargie, par un arrêté du 18 germinal an II (7 avril 1794), aux départements suivants : Loiret, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Maine-et-Loire pour la vallée de la Loire ; Puy-de-Dôme et Allier pour les rives de l’Allier ; Creuse et Indre pour celles de la Creuse ; enfin le département de la Vienne pour le cours d’eau homonyme.
16 Y sont tour à tour envoyés Lesterpt-Beauvais, Pointe, Brival, Forestier, Girard, Ferry, Lemoyne-Vernon, Bonet de Treyches et Patrin.
17 Le nombre des missions et celui des missionnaires ne correspondent point, d’une part, car plusieurs des missions associent deux représentants du peuple – voire davantage –, d’autre part, car un représentant du peuple peut recevoir plusieurs missions dans un même département : Loire-Inférieure 11 missions / 12 représentants du peuple en mission, Maine-et-Loire 7 / 9, Indre-et-Loire 14 / 17, Loir-et-Cher 11 / 12, Loiret 28 / 35, Cher 14 / 14, Nièvre 16 / 15, Allier 16 / 14, Saône-et-Loire 15 / 16, Loire 22 / 27, Haute-Loire 13 / 14.
18 À elle seule, cette papeterie attire plus du quart des missions dans le Loiret, preuve de son importance économique on ne peut plus stratégique.
19 Cette manufacture et les mines représentent là aussi près du quart des missions dans le département.
20 La distinction entre les différentes armées n’a cessé d’évoluer pendant toute la période révolutionnaire. Regroupées en décembre 1791 au sein de trois armées (du Nord, du Centre, du Rhin), les troupes françaises ont connu de multiples bouleversements dus aux diverses réorganisations et plus encore à l’extension géographique des théâtres d’opérations militaires. Fin avril 1793, lorsque se mettent en place les premières grandes missions militaires, onze armées sont réparties sur l’ensemble du territoire : armée du Nord, armée des Ardennes (issue d’une séparation de l’armée du Nord), armée de la Moselle (ex-armée du Centre), armée du Rhin, armée des Alpes, armée d’Italie (issue d’une séparation de l’armée des Alpes), armée des Pyrénées Occidentales (issue d’une séparation de l’armée des Pyrénées), armée des Pyrénées Orientales (id.), armée des côtes de La Rochelle (ex-armée de réserve), armée des côtes de Brest (issue d’une séparation de l’armée des côtes), armée des côtes de Cherbourg (id.).
21 Je renvoie sur ce sujet à la vaste bibliographie qui concerne la « Vendée » en 1793, tout particulièrement aux différents livres de Jean-Clément Martin.
22 Bourbotte, Carra, Choudieu, Dandenac, Delaunay et Richard.
23 Laquelle se replie sur Tours lorsque Saumur tombe aux mains des « rebelles ».
24 Bodin, Ruelle et Tallien.
25 Creuzé-Dufresne et Thibaudeau.
26 Auguis, Goupilleau de Fontenay, Lecointe-Puyraveau et Jard-Panvillier (puis Goupilleau de Montaigu).
27 Garnier de Saintes, Mazade et Trullard.
28 Voir Biard M., Missionnaires…, op. cit., p. 291-292.
29 RACSP, t. V, p. 90.
30 Ibid., p. 151.
31 Ibid., t. VII, p. 507 (lettre datée de Saumur le 19 octobre 1793).
32 Il écrit vers le 21 octobre (lieu non précisé) : « Les rebelles ont tenté de passer la Loire et y ont réussi au poste de Varades, qu’ils ont forcé, et qui s’est replié sur Ingrandes. On dit que cette ville est tombée par la suite en leur pouvoir. Les mesures sont prises pour les attaquer et les faire repentir de ce passage […] ce sont des gens qui fuient et qui sont peu redoutables ; on empêchera bien qu’ils s’établissent sur la rive droite de la Loire, où ils ont trouvé peu de partisans, même à l’époque de leurs succès » (ibid., p. 544-545).
33 Lettre du 21 octobre (ibid., p. 545-547).
34 Carrier, envoyé lui aussi auprès de l’armée de l’Ouest, écrit de Nantes le 20 octobre : « Nous nous disposions à attaquer Saint-Florent, lorsque nous avons été instruits que les rebelles évacuaient ce dernier asile et avaient déjà passé la Loire […] Les choses dans cette position, on a envoyé un corps de 5 000 hommes à Saint-Florent, qui, tombant sur les rebelles, en a fait noyer beaucoup. Le commandant de ce corps a l’ordre de tâcher de passer la Loire pour continuer à les poursuivre » (ibid., p. 519-521). De leur côté, Bourbotte, Choudieu, Francastel et Turreau écrivent d’Angers le 21 octobre : « Sans perdre de temps, et semblables à des chasseurs qui poursuivent un animal à la course, nous sommes allés chercher les rebelles à Saint-Florent, seul et dernier repaire qui leur restait, et où ils s’étaient réfugiés ; mais la terreur qui nous précédait était si grande qu’ils ne voulurent pas nous y attendre ; ils se précipitèrent dans des bateaux pour passer la Loire, et la confusion et le désordre qu’ils mirent dans leur fuite furent tels que des femmes et des enfants, même encore à la mamelle, ont été noyés au moment de leur embarquement […] Une forte colonne s’est dirigée sur Nantes, et celle qui est restée à Saint-Florent va passer la Loire dans le même lieu que les brigands, et toutes les mesures seront prises pour courir après, les cerner, les bloquer et achever leur destruction » (ibid., p. 548-550).
35 Le 19 octobre, Bourbotte, Choudieu, Francastel et Turreau écrivent d’Angers que le succès remporté à Cholet a amplement réparé les échecs précédents et fait prévoir la fin de la guerre : « La Convention nationale a voulu que la guerre de Vendée fût terminée avant la fin d’octobre, et nous pouvons lui dire qu’il n’existe plus de Vendée, bien que tous les rebelles ne soient pas encore exterminés » (ibid., p. 507-508).
36 Le-Four-à-Chaux se situe sur la rive gauche de la Loire, face à Ancenis sur l’autre rive. Champtoceaux se trouve un peu plus en aval, également sur la rive gauche.
37 RACSP, t. IX, p. 38-39.
38 Ibid., p. 39.
39 Il est envoyé auprès de l’armée du Nord de juillet à septembre 1793, dans l’Oise puis la Seine-et-Oise en octobre et novembre (Biard M., Missionnaires…, op. cit., p. 543-544). Dans ses Mémoires (Mémoires de R. Levasseur [de la Sarthe], ex-conventionnel, Paris, Messidor-Éditions sociales, 1989), il s’étend très longuement sur sa mission à l’armée du Nord (deuxième partie, chap. ii à vii) qui lui permet de clore son récit sur la victoire de Hondschoote. Il revient ensuite une seconde fois sur son rôle à l’armée dans un nouveau et long chapitre, d’autant plus spectaculaire qu’il évoque la situation du front septentrional au printemps 1794, c’est-à-dire à un moment où il se trouve auprès de l’armée du Nord (puis à celle de Sambre-et-Meuse) sans aucun pouvoir, venu presque en spectateur d’une mission dans un département voisin (id., chap. xiii). Enfin, sans égard pour la chronologie, il l’avoue lui-même, il consacre un développement à sa mission de l’automne 1793 « en Vendée » (id., chap. xv). Il y rappelle que cette guerre de « Vendée » était devenue l’un des arguments employés dans la lutte opposant les factions des « exagérés » et des « indulgents », ces derniers accusant « le Comité de salut public d’être l’auteur de la guerre de la Vendée et de la prolonger pour éterniser son pouvoir » (p. 387).
40 Parmi tous ceux qui sont alors présents sur le terrain face aux « Vendéens », mentionnons également Guimberteau installé à Blois pour s’occuper de la cavalerie (Levasseur le rencontre à son passage dans la ville), Garnier de Saintes présent au Mans et bien sûr Carrier qui agit à Nantes (lui aussi rejoint par Levasseur).
41 RACSP, t. IX, p. 267.
42 Dans ses Mémoires (op. cit.), il n’évoque pas du tout son passage à Nantes et donc sa rencontre avec Carrier. Il écrit que sa mission était finie à Angers et qu’il est alors rentré à la Convention nationale. À l’heure du souvenir, cela lui permet, d’une part, d’achever son récit sur une victoire, d’autre part et surtout, de ne pas voir son nom associé à celui de Carrier, devenu depuis l’an III l’archétype du « proconsul sanguinaire ». De plus, il ajoute que, le jour où Barère présenta son rapport sur la guerre de « Vendée », il fit l’éloge de Levasseur, qui prit alors la parole pour réclamer « une amnistie en faveur des restes de l’armée vendéenne » (ibid., p. 395). Barère a de fait prononcé ces mots élogieux le 25 frimaire (15 décembre) : « Levasseur a pleinement justifié la confiance du comité par son intelligence et son activité patriotique : tout a été surveillé, défendu, armé en peu de jours » (Mavidal M. J. et Laurent M. E. [dir.], Archives parlementaires…, Paris, Dupont [puis CNRS], 1879-2005, t. LXXXI, p. 497). En revanche, c’est trois jours plus tard, et non à chaud, que Levasseur réclama une amnistie et celle-ci présentait une restriction qu’il ne mentionne pas dans ses Mémoires : « que ceux qui, dans les trois jours qu’ils auront quitté leur commune, y seraient rentrés ou trouvés dans le chemin qui y conduit, ne puissent être traités comme faisant partie de l’armée des brigands, en prouvant qu’ils avaient été menacés d’être fusillés, s’ils ne les suivaient pas » (ibid., p. 641). On imagine l’extrême difficulté à prouver pareille menace…
43 Cette mesure a souvent déjà été anticipée par d’autres représentants du peuple ou d’autres autorités dès avant l’arrivée de Levasseur de la Sarthe. Ainsi Francastel écrit-il d’Angers le 9 frimaire (29 novembre) que le pont y est coupé et la ville mise en état de défense, tout comme à Saumur, aux Ponts-de-Cé et à Saint-Georges-sur-Loire (RACSP, t. IX, p. 51). Parfois même, ces coupures de pont sont renforcées dans un second temps, comme en témoigne un courrier de Levasseur de la Sarthe lui-même, envoyé de Tours le 23 frimaire (13 décembre), dans lequel il annonce avoir par précaution fait couper une arche de plus au pont de la ville (ibid., p. 383).
44 Lettre du 12 frimaire an II-2décembre 1793 (ibid., p. 111).
45 Mémoires de R. Levasseur…, op. cit., p. 389. Le récit de Levasseur fait également la part belle à ses interventions auprès de quelques généraux jugés peu estimables, ici à Saumur (« quand il n’y a rien à faire vous acceptez toutes les places, vous autres officiers supérieurs, et dans les occasions difficiles vous cherchez à vous excuser sur votre peu de savoir ! C’est manquer à la République » [ibid.]), là à Angers (« Je racontais à mes collègues les exploits du général Danican ; quoique nous fussions tous bien convaincus que ce général était resté dans son lit [sous prétexte d’une blessure] ou par lâcheté ou par trahison, nous ne le destituâmes point » [ibid., p. 393]).
46 RACSP, t. IX, p. 84-85.
47 Carrier écrit de Nantes au Comité de salut public le 21 frimaire (11 décembre) que Levasseur de la Sarthe est resté deux jours dans la ville et que la défense de cette dernière ne doit plus inquiéter. Puis il ajoute : « Ne vous alarmez pas non plus sur le passage de la Loire. Depuis Nantes jusqu’à Angers, Levasseur vous annoncera qu’il n’a vu nul bateau dans cette partie de la rivière, qu’il n’y a aperçu que des bateaux armés en station sur la rive gauche, pour s’opposer à la rentrée des brigands dans la Vendée. Il a trouvé à son retour quelques bateaux du côté d’Ancenis, mais ils y étaient par mon autorisation, pour procurer du bois à Nantes et du charbon de terre aux manufactures d’Indret et de Lorient ; j’en avais confié le soin à deux marins très patriotes et très expéditifs » (ibid., p. 332-333).
48 Oudon est une commune située sur la rive droite, en face de Champtoceaux à l’ouest d’Ancenis et donc sur la route qui mène à Nantes.
49 Lettre envoyée de Nantes le 25 frimaire - 15 décembre (RACSP, t. IX, p. 426-427).
50 Ibid., p. 430.
51 En attendant l’achèvement de sa thèse consacrée au procès de Carrier, on peut se rapporter au petit livre de Corinne Gomez, Carrier et la Révolution française en 30 questions, La Crèche, Geste Éditions, 2004.
52 Arch. nat., D III 343-344 (dénonciation des citoyens de la commune de Bourg, chef-lieu du département de l’Ain, contre Amar, Javogues, Albitte et Méaulle, envoyée à la Convention nationale le 28 floréal an III [17 mai 1795]).
53 Ibid., D III 350 (dénonciation des administrateurs du département de la Loire contre Javogues, non datée, prairial ou messidor an III [mai-juin 1795]).
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