Compétence, équité et représentations du lieu et de l’espace chez les enfants
p. 157-171
Texte intégral
INTRODUCTION
1Actuellement, l’activité physique est un important sujet de recherche, du fait notamment de l’inquiétude liée à sa diminution chez les enfants qui, en Australie comme dans d’autres pays, présentent un plus grand risque de morbidité et de mortalité (Sallis, McKenzie et al., 1997 ; Dolman, Olds et al., 1999 ; Sallis et Owen, 1999 ; Saudicani et Gyntelberg, 2004 ; Vaska et Volkmer, 2004). Or les lieux, les espaces et les communautés au sein desquels les enfants vivent ont un impact sur leurs expériences et sur leurs pratiques d’activité physique (Tandy, 1999 ; Karsten, 2005 ; Karsten et van Vliet, 2006). Les chercheurs ont cependant négligé les contextes sociaux, culturels, expérientiels et temporels qui façonnent les schèmes d’action de loisir et d’activité des enfants (Wright, Macdonald et al., 2003 ; Haughton McNeill, Kreuter et al., 2006). De plus, les études ont souvent été adultocentriques, ignorant les points de vue des enfants (MacDougall, Schiller et al., 2004).
2Dans ce chapitre, nous verrons comment les entretiens avec les enfants à propos des lieux et des espaces révèlent les opportunités qu’ils ont de pratiquer une activité physique, mais aussi comment ces opportunités se traduisent dans le développement de compétences, et enfin ce que l’on peut en dire dans une perspective d’équité.
3Ce texte1 vise à éclairer de façon précise, contextuelle et expérientielle comment les enfants perçoivent et comprennent leurs environnements sociaux et géographiques à partir de leurs choix d’activités physiques. Il débute en expliquant le choix d’une perspective constructiviste et des méthodes qualitatives, et en décrivant l’échantillon et la méthodologie suivie. La première partie des résultats résume le point de vue des enfants exprimé lors des focus-groupes concernant le jeu et le sport. La seconde partie présente les différences selon le genre à partir des échanges des focus-groupes. Et la dernière partie compare des enfants de la capitale Adélaïde d’une part, des enfants d’une ville régionale d’autre part (dans l’État d’Australie Méridionale), sur la base de dessins représentant leurs installations de pratique d’activités physiques.
4La première partie de la discussion analyse les témoignages concernant le sport et le jeu en utilisant les notions de compétence physique et sociale. La seconde partie de la discussion explore ce qu’induit le genre pour les enfants pour certaines activités sportives et ludiques. La dernière partie de la discussion analyse dans une perspective d’équité les dessins des dispositifs d’activité physique dans les deux environnements géographiques concernés par l’étude. Enfin, nous faisons la synthèse des principaux arguments et proposons des orientations pour la recherche, la politique et la pratique.
PARADIGME ET MÉTHODES DE RECHERCHES
5Nous avons bâti un protocole de recherche pour obtenir des comptes rendus détaillés, exacts des lieux, en tant qu’espace et milieu, des univers enfantins, et comprendre comment ils constituent le contexte des expériences physiques des enfants. Si les méthodes quantitatives permettent de mesurer l’activité physique selon la durée, le lieu et l’âge, de déterminer les relations avec les facteurs démographiques, psychologiques, sociaux et environnementaux, et d’évaluer l’impact des politiques et des stratégies (Baum, 2008), nous avons retenu les méthodes qualitatives. Celles-ci sont efficientes pour un nouveau volet de recherche qui vise à comprendre comment les enfants ressentent, décrivent et réagissent à la notion d’activité physique et elles sont appropriées à notre perspective constructiviste (Crotty, 1998).
Méthodologie
La recherche prend place dans l’État d’Australie Méridionale, dans deux villes distinctes :
– la capitale (1 million d’habitants) qui doit s’adapter aux bouleversements économiques ;
– une ville régionale (25000 habitants) qui a dû combattre les effets de la délocalisation des principales industries manufacturières.
L’enquête combine des entretiens collectifs, des méthodes par réalisation de dessins, cartes et photographies, dans 17 focus-groupes comprenant 204 enfants âgés de quatre à douze ans, appartenant à trois écoles de la capitale Adélaïde (écoles codées ci-dessous A1, A2, A3), et à deux écoles (codées ci-dessous B1 et B2) de la ville régionale.
Sur les 204 enfants enquêtés, on décompte 59 garçons et 70 filles de la capitale et 31 garçons et 44 filles de la ville régionale. 101 enfants ont réalisé des cartes et des diagrammes, dont 28 garçons et 30 filles de la capitale et 21 garçons et 22 filles de la ville régionale.
Nous mobilisons dans cet article les données relatives à la problématique suivante :
quelles sont les théories des enfants sur l’activité physique, le jeu et le sport ?
Focus-groupes et représentations graphiques Nous utilisons la technique des focus-groupes car ils saisissent la façon dont les enfants s’expriment et font part de leurs expériences en groupe ; les focus-groupes ont eu lieu dans le cadre scolaire.
À la fin de chaque entretien collectif, les enfants sont invités à dessiner l’environnement social et matériel les incitant à participer à une activité physique et à l’exprimer sur une carte ou un diagramme.
Les représentations graphiques utilisent des méthodes non verbales pour recueillir des informations complétant les propos émanant des focus-groupes. Des notes détaillées concernant le processus, le contexte et les discussions sont prises pendant chaque focus-groupe par un observateur extérieur. Elles sont ensuite retranscrites et font l’objet de discussions avec les enquêteurs avant d’être validées. Ceux-ci apportent des précisions supplémentaires sur les cartes, sous forme d’annotations, grâce aux questions qu’ils ont posées aux enfants afin de clarifier leurs graphiques.
Nous utilisons aussi la méthode de photo-entretien (« photovoice ») (Darbyshire, Schiller et al., 2005) auprès d’un petit échantillon d’enfants. Les constats convergent avec les autres méthodes et ne sont donc pas rapportés ici.
Comme il est d’usage en Australie, plusieurs comités d’éthique et deux groupes de référence ont contrôlé et assisté les chercheurs dans leur investigation.
LES PRINCIPAUX RÉSULTATS
Résultats sur le jeu et le sport
6Dans les focus-groupes, les enfants réagissent immédiatement au mot sport : ils s’engagent dans des discussions animées et le distinguent d’autres actions physiques en lui associant des notions d’objectif et de compétition. Les enfants relèvent que le talent est essentiel pour être sélectionné pour un sport. Une caractéristique majeure de l’activité sportive est la manière dont les adultes prédéterminent le choix des enfants, du fait des installations et des équipements requis et des normes afférentes.
7Pour maintenir une activité sportive, il est nécessaire que les parents et la collectivité investissent considérablement dans les installations sportives, dans les clubs et dans leur organisation. Les enfants relatent : « Ce sont les entraîneurs, les professeurs qui organisent, parfois ce sont les parents qui organisent, s’y rendent à un moment précis, parfois c’est le président du club ou le capitaine de l’équipe qui organise. » Les élèves âgés de huit et neuf ans, appartenant à l’école régionale B1, ont déclaré que « celui qui est le plus juste est le capitaine de l’équipe, c’est celui qui ne fait pas l’imbécile. C’est l’entraîneur qui le choisit ».
8Lors des focus-groupes, les enfants différencient le jeu par le plaisir, la spontanéité, l’interaction avec les amis, le peu de compétition, le peu d’agressivité. Les élèves âgés de dix et onze ans, appartenant à l’école métropolitaine A2, démontrent que la notion de jeu a un effet suffisamment stimulant et puissant pour détourner la discussion du sport.
9Contrairement au sport, dans le jeu, les adultes ne donnent pas d’instructions mais des encouragements, sans avoir à mettre en œuvre des moyens considérables. Une caractéristique distinctive majeure du jeu est la manière dont les choix sont faits et les décisions prises. Quand on examine comment les enfants choisissent ce à quoi ils veulent jouer dans l’école métropolitaine A1, le conseil représentant les élèves, constitué d’enfants âgés de huit à douze ans qui se réunissent avec les professeurs pour être conseillés, expose qu’ils : « en parlent avec leurs amis, discutent de ce qu’ils doivent faire, que le jeu se met en place spontanément, que ça dépend des équipements mis à disposition pour faire du sport ou jouer à ce moment-là, qu’on peut prendre part à un jeu qui a déjà commencé ». Dans un autre conseil d’élèves du primaire, constitué d’enfants âgés de cinq à onze ans, appartenant à l’école métropolitaine A3, le groupe s’accorde sur le constat que les enfants décident des règles pour le jeu, et que les adultes décident des règles pour le sport. Ils expriment que, pour ce qui est du jeu, les enfants en groupes choisissent un chef à tour de rôle, inventent un jeu, et essaient de faire en sorte qu’il soit simple ou amusant. Le conseil représentant les élèves, constitué d’enfants âgés de cinq à douze ans appartenant à l’école régionale B1, relate : « Parfois (un professeur) fait des propositions, mais s’il n’y a pas de professeur, ils (les enfants) choisissent ce à quoi la plupart d’entre eux veulent jouer. » Ils expliquent qu’ils : « lèvent la main, trouvent des idées, dressent une liste et votent (pour les plus jeunes d’entre eux) ». Ils font également remarquer que : « Si ce n’est pas ce qu’on veut faire, soit on fait avec, soit on fait autre chose. »
10À la question « Où jouez-vous, que faites-vous, qui choisit ce à quoi vous allez jouer et comment ? », les élèves âgés de sept et huit ans, appartenant à l’école régionale B2, répondent qu’ils jouent dans l’aire de jeu, choisissent l’activité chacun leur tour, ou parfois par le vote majoritaire. L’heure du déjeuner permet diverses activités ludiques successives, à 2, 3 ou 4 participants.
Q : Que représente le sport ?
R : Netball, soccer (football), basket-ball, tir à l’arc, football australien,
tennis, volley-ball, hockey, badminton, course sur piste, tennis de table, natation, ski, équitation, golf, pétanque (australienne), randonnée, danse, canoë kayak, speedway, cyclisme, sports extrêmes, course automobile, faire des longueurs (de piscine), marcher, faire de l’exercice, courir/Blessure/Gagner et perdre.
Q : Que représente le jeu ?
R : (Instantanément, tous les enfants se sont levés et leur langage corporel a traduit de l’excitation et de l’énergie)
Amusement/Jouer/Pas d’apprentissage/Plaisir/Courir ici et là/Pas de policiers/
Dissipe la colère : si on en a après les professeurs, on sort et on s’amuse.
11Dans l’école métropolitaine A3, à la question « Comment décidez-vous de ce à quoi vous allez jouer ? », le focus-groupe d’élèves âgés de sept et huit ans déborde d’énergie, aussi nous leur proposons de faire un jeu de rôle pour expliquer comment ils procèdent. Un groupe de garçons se forme et, presque sans discussion, commence à faire de la lutte sumo. Les filles et un garçon qui ne semble pas accepté par les autres, s’accordent pour jouer au tennis, se lassent, se concertent de nouveau et changent pour jouer à chat.
Résultats sur le genre
12Dans l’école régionale B2, les enfants âgés de sept et huit ans discutent des sports auxquels ils jouent. Quand les garçons déclarent qu’ils jouent au football sans les filles, certaines d’entre-elles les interrompent pour dire qu’en fait elles y jouent. Cependant, les garçons les ignorent et poursuivent en disant que les filles n’aiment pas le football australien non plus. Puis, l’un des garçons décrit ce que font les filles sur les portiques de balançoires. Quand il termine, une fille dément « Non, c’est faux ». Dans la même école, un garçon commence un focus-groupe, constitué d’enfants âgés de huit et neuf ans, en dressant la liste de tous les sports auxquels, selon lui, le groupe joue. Rapidement, une fille lui dit qu’il invente.
13Dans l’école régionale B3, les enfants âgés de onze et douze ans se divisent sur le fait de savoir si filles et garçons jouent à chat ensemble ; les filles surtout divergent. Les garçons âgés de onze et douze ans décrivent le jeu comme s’il s’agissait d’un travail, surtout quand celui-ci implique de courir. Quand on demande « Quelles activités vous pratiquez ? », les garçons disent qu’ils choisissent davantage parmi les jeux physiques qui impliquent une confrontation. Les filles, par contre, exposent que cela dépend d’un certain nombre de facteurs, y compris du temps qu’il fait et de ce qu’elles aiment faire.
14Quand on demande « Comment peut-on persuader les enfants de faire une activité physique ? », les enfants âgés de onze et douze ans appartenant à l’école régionale B1 considèrent qu’il faut davantage de lieux dédiés au sport, aux activités physiques, de lieux d’aventure — cette dernière réflexion émane de deux filles et d’un garçon. Les garçons estiment que faire de la publicité pour inciter à faire de l’exercice ne fonctionnerait pas, contrairement au fait d’être rémunéré. Les filles avancent que les publicités peuvent convaincre les adultes de rendre davantage de sports accessibles, de comprendre ce que nous souhaitons, notre point de vue, et les inciter à vouloir faire des choses avec nous. Les garçons comme les filles veulent que les adultes prennent leurs opinions plus au sérieux. Les garçons souhaitent que les compétitions soient récompensées par une somme d’argent, et les filles attendent que davantage de sports leur soient accessibles, et que les adultes acceptent le fait que les filles jouent au football australien. Les garçons considèrent qu’il y a trop de devoirs à faire, et pas suffisamment de temps pour le sport. Là aussi, les filles sont en désaccord et font remarquer que les devoirs ont également de l’importance, étant donné que tout emploi demande de savoir écrire.
Synthèse des résultats
15Le tableau ci-dessous résume les représentations des enfants relatives au jeu et au sport, recueillies lors des focus-groupes.
RÉSULTATS SUR LES REPRÉSENTATIONS GRAPHIQUES ET LES RESSOURCES DES ACTIVITÉS PHYSIQUES
16Après avoir analysé les cartes une première fois, nous avons codifié les cartes et les dessins. Nous rapportons ici les différences entre les garçons et les filles et entre la capitale et la ville régionale.
17Suite à la question « Quelles activités physiques pratiques-tu régulièrement ? », la figure 1 montre l’importance des activités pratiquées : « Peu » (moins de 3), « Moyen » (3 ou 4) et « Nombreuses » (plus de 4), et si celles-ci se déroulent à l’intérieur ou à l’extérieur. Davantage de filles que de garçons pratiquent de « nombreuses » activités physiques (47 % de filles contre 23 % de garçons). Davantage d’enfants de la ville métropolitaine (41 %) que d’enfants de la ville régionale (11 %) pratiquent de « nombreuses » activités.
18Les enfants sont plus enclins à décrire les activités physiques extérieures, comme le montre la figure 2. Les activités qui se déroulent à l’intérieur sont souvent le shopping, la danse et la gymnastique.
19Les enfants de la ville métropolitaine A, tout comme les enfants de la ville régionale B, rapportent qu’à peine plus de la moitié des activités sont pratiquées aux environs du quartier et là où se trouvent les installations (jardins publics, terrains de football, de netball, etc.) ; les autres activités restantes prennent place à l’école et à leur domicile.
DISCUSSION
Discussion sur la compétence
20Le discours actuel soulignant l’importance sanitaire de l’activité physique remonte aux années 1950, lorsque la recherche a démontré son effet dans le traitement et la prévention des maladies, en particulier des maladies chroniques (MacDougall, 2007). Cependant, il y a toujours eu un discours pédagogique établissant un lien entre l’activité physique et le développement physique et moteur, aboutissant à l’acquisition de compétences, non seulement en matière d’aptitudes physiques, mais aussi en rapprochant le mouvement de sa signification sociale (Gallahue et Ozmun, 2005). Les professeurs sont concernés par la baisse des niveaux d’activité physique car elle diminue la compétence physique et sociale, en particulier dans des pays tels que l’Australie où les prouesses sportives et le succès sont valorisés, et où les gouvernements investissent lourdement dans des programmes pour identifier et encourager les talents sportifs afin qu’ils puissent gagner aux niveaux les plus hauts. En Australie, cette politique remonte à la fin des années 1970, lorsque le projet phare du gouvernement fédéral de coalition Fraser2 fût la création d’un Australian Institute of Sport (Institut australien du sport) pour encourager les héros sportifs qui, à leur tour, serviraient de modèles au commun des mortels. Cette approche a été renforcée récemment par la création de la Confederation of Australian Sport (Confédération du sport australien), qui fait pression sur le gouvernement pour une politique nationale du sport, afin d’identifier et d’encourager les sportifs de haut niveau car :
« Ils sont… le point de mire de la fierté nationale et l’expression ultime de la recherche continuelle de l’excellence dans le sport… Ils donnent de l’enthousiasme et stimulent l’effort et l’adhésion d’autres participants3 » (Daly, 1991, p. 12).
21La mise en place de cette politique correspond bien aux témoignages des enfants selon lesquels le sport requiert une aptitude et est organisé par les adultes, qui usent de leur autorité pour constituer des concurrents habiles, capables de gagner. Le sport peut se pratiquer en équipe ou individuellement, mais implique toujours une compétition et aboutit inévitablement à des gagnants et des perdants. Les enfants reconnaissent que pour leur permettre de faire du sport, leurs parents, et d’autres adultes, doivent y consacrer du temps et de l’argent. Certains ont conscience que cela est difficile pour leur famille, ou leur communauté, du fait de l’absence des ressources nécessaires pour proposer une grande variété de sports permettant d’optimiser la participation. Le discours sur le sport, basé à la fois sur l’économie, la compétition et le succès, correspond à la vision individualiste de la santé, qui la présente comme un état que tout individu maîtrise ou devrait maîtriser (MacDougall, Keleher et al., 2007).
Selon Qvortrup, « … le monde des adultes ne reconnaît pas la notion de praxis chez les enfants, parce que la compétence n’est définie que par rapport à la notion de praxis chez l’adulte – une suggestion qui a d’autant plus d’impact du fait que les adultes occupent une position souveraine pour définir la notion de compétence4 » (Qvortrup, 1994).
22Dans notre étude, les enfants décrivent clairement comment les adultes définissent la compétence sportive et, par conséquent, l’incompétence, et comment cela affecte de façon négative leur vision du sport. Cependant, quand les enfants organisent eux-mêmes la manière dont le jeu doit se dérouler, cela permet, la plupart du temps, à la majorité d’entre eux de tester leurs compétences. Pour y parvenir, ils commencent par choisir le jeu qui plaît le plus à la majorité d’entre eux, puis ils en modifient les règles au fur et à mesure s’il apparaît que certains enfants ont plus de difficultés que d’autres. Les enfants définissent eux-mêmes la notion de compétence, au lieu de se conformer à la définition des adultes, et permettent à presque tous d’atteindre leur plus haut niveau de compétence, la plupart du temps.
Discussion sur le genre
23Le focus-groupe dans la ville métropolitaine A et le focus-groupe dans la ville régionale B ont tous deux mis en évidence les manières différentes dont les garçons et les filles pratiquent et se représentent l’activité physique. Des rapports inégalitaires entre les genres apparaissent dans le sport, lorsque les règles issues du monde des adultes sont reproduites, et lorsque les relations verticales (« powerover ») sont prépondérantes. Lors des focus-groupes, les garçons parlent fréquemment à la place des filles et leur coupent la parole, malgré les protestations de celles-ci. Dans le sport, l’un des obstacles pour les filles est le comportement des garçons : intimidants, brutaux et prenant le pouvoir. Les inégalités selon l’appartenance à un genre qui existent dans le monde des adultes (Mackenzie, 2007) se répercutent au niveau du sport chez les adultes, et notre étude démontre que ce schéma est reproduit au niveau du sport chez les enfants. Dans ce contexte, les garçons reproduisent le monde des adultes en prenant le pouvoir et en l’utilisant contre les filles. Les filles y sont sensibles et protestent contre cette autorité masculine. Les garçons ne remarquent pas ou bien ne reconnaissent pas leur façon de faire autoritaire à l’égard des filles. Pour ce qui est du sport, ils ne considèrent pas l’appartenance à un genre comme problématique. Ce que nous décrivons concernant les échanges qui ont lieu lors des focus-groupes, dans la partie de ce chapitre consacrée aux résultats, fait écho à Morrow (2006, p. 100) qui conclut que les enfants créent des identités de genre à travers leurs interactions avec les autres, et que celles-ci ne sont pas seulement des identités de genre pour le futur : « Elles sont essentielles à la compréhension des identités de genre dans l’ici et maintenant5… » (Morrow, 2006). Notre étude laisse penser que les garçons sont sûrs d’eux relativement aux rôles de genre, et, alors que les filles réagissent en essayant de corriger les idées fausses, les garçons ne les écoutent pas.
Discussion : équité et ressources structurelles
24Les dessins des enfants montrent comment, en Australie, la plupart des activités physiques se déroulent à l’extérieur, souvent en utilisant des installations sportives ou collectives. L’analyse du développement des compétences physiques ou sociologiques chez les enfants grâce à l’activité physique doit donc tenir compte de l’impact du lieu sur le comportement. Un moyen pour y parvenir est d’utiliser la notion de ressources structurelles, qui sont les emplacements et les installations disponibles dans le voisinage, qui apparaissent déterminantes, au cours de l’étude menée en Australie méridionale, pour augmenter ou diminuer les possibilités de pratiquer une activité physique dans la collectivité (Ziersch, Baum et al., 2005). Les ressources structurelles ne sont pas réparties uniformément : les communautés les plus riches possèdent des installations plus nombreuses et plus variées, qui peuvent paraître aussi plus sûres et plus attrayantes (Baum, Ziersch et al., 2007). Les enfants de la ville régionale B nous ont dit, lors des focusgroupes et à travers leurs représentations graphiques, qu’ils aimeraient davantage d’installations pour leur permettre d’augmenter leurs niveaux d’activité physique. Dans leurs dessins, ils représentent de plus grandes distances à parcourir au sein de la ville pour pouvoir pratiquer une activité physique que les enfants de la capitale. Lors des focus-groupes, ils évoquent plus fréquemment que les enfants de la capitale la distance et le coût comme étant des obstacles.
25Si on se place dans une perspective d’équité pour interpréter les données, cela laisse supposer que les différences entre la ville régionale B et la capitale A puissent être structurelles plutôt qu’aléatoires. Dans une perspective d’équité, l’égalité se différencie de l’équité : l’égalité renvoie à la similarité, tandis que l’équité renvoie à la justice. Whitehead et Dahlgren (2006) font remarquer que les inéquités représentent plus que des différences, elles sont « systématiques, générées par la société (et donc modifiables) et injustes6 » (Whitehead and Dahlgren, 2006, p. 2). Comment peut-on soutenir que les propos des enfants montrent des différences structurelles socialement produites ? Indubitablement, il existe des différences économiques et sociales entre les villes métropolitaine A et régionale B, dans lesquelles les enfants vivent. En Australie, les villes rurales et régionales connaissent fréquemment des niveaux inférieurs en matière de santé et de bien-être, et disposent de moins d’installations et de ressources pour maintenir la santé (Baum, 2008). Par conséquent, l’explication réside en partie dans le fait que les villes enquêtées traduisent la situation australienne : les villes régionales possèdent moins de ressources structurelles que les capitales des états australiens.
26Un autre facteur explicatif résulte de l’histoire de ces villes A et B en particulier. Après le plein-emploi dans le secteur manufacturier dans les années soixante, cette ville régionale B a subi une diminution du nombre d’emplois et de la population suite à la délocalisation des industries traditionnelles. Depuis, la ville a dû se battre pour remplacer les emplois disparus. Aussi bien au niveau de l’administration locale que nationale, ceci diminue les ressources disponibles pour la mise en place de services et d’installations permettant aux enfants de pratiquer une activité physique.
27En comparaison, la capitale A étudiée a également connu les changements structurels des industries manufacturières, mais elle a été capable d’y faire face sur le plan économique en se tournant vers les secteurs des services, de la défense et de l’information. De plus, dans les capitales7, il est plus facile pour les enfants de se déplacer et d’accéder à une grande diversité d’installations. Dans notre étude, il est difficile pour les enfants d’utiliser des installations dans d’autres villes étant donné que l’installation la plus proche se situe à plus d’une demi-heure de route, et que la ville régionale a également connu une restructuration et des suppressions d’emploi. Les dessins des enfants ont mis en évidence que, dans la ville régionale, les services et les installations sont dispersés géographiquement et qu’il y a peu de transports publics.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
28Notre étude met en évidence comment les enfants reconnaissent et surmontent les différentes règles qui émergent du contexte social du jeu et du sport : organiser des jeux de façon démocratique en réaction au pouvoir et à l’organisation des adultes en matière de sport. Il est bien établi que la conception et la culture organisationnelles déterminent les actions politiques et pratiques (Laris et MacDougall, 2007). En ce qui concerne les écoles, les clubs sportifs et les organismes publics, notre étude laisse penser que, pour les enfants, la conception organisationnelle fait la différence et, si les adultes le souhaitent, ils peuvent développer des structures qui encouragent les décisions démocratiques, la compétence, le partage du pouvoir, et l’habitude d’être à l’écoute des enfants. De plus, une attention particulière relative aux rapports sociaux de sexe peut tenter d’éviter leur reproduction par les enfants, pour leur présent et leur futur.
29Il est tout à fait justifié de permettre aux enfants de développer leurs compétences sportives aux niveaux les plus hauts, et de pratiquer des sports et des activités pour leurs loisirs. Cependant, si la culture, les règles et les rapports de force associés au sport de haut niveau régissent tous les sports chez les enfants, nombre d’entre eux risquent d’être tenus à l’écart, notamment les filles, et par conséquent cela ne permettra pas aux nombreux départements de l’administration et aux collectivités d’atteindre leur but commun : augmenter le taux de participation aux activités physiques. Plusieurs départements responsables des loisirs et du sport, ainsi que des organisations sportives, prennent des mesures pour proposer une approche différente visant à instiller dans le sport les caractéristiques démocratiques du jeu. Par exemple, une étude réalisée en Alabama, aux États-Unis, a tenté d’inciter les élèves à pratiquer la démocratie participative durant les cours d’éducation physique, et d’encourager les garçons à participer à des commissions pour déterminer les règles, les conditions des rencontres, établir le programme et le cadre juridique d’une saison de hockey. Bien que les résultats démontrent que les élèves aient apprécié de pouvoir exprimer leurs points de vue, des tensions prévisibles sont apparues entre le besoin de se conformer aux règles et la réglementation relative au programme scolaire lors des négociations visant à introduire la démocratie participative (Hastie et Carlson, 2004).
30Concernant les ressources structurelles, nos données révèlent des différences entre une capitale prospère et une ville régionale subissant des transformations économiques. Ce qui signifie qu’il y a là un important domaine à explorer pour les chercheurs : comment les ressources structurelles qui visent la démocratisation des activités physiques, sont inéquitables, et quelles sont les politiques à mettre en place pour promouvoir l’équité, notamment dans les régions sensibles aux changements socio-économiques du fait de la mondialisation et du changement climatique.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 . Ce texte s’appuie sur une étude réalisée antérieurement (MacDougall, Schiller et al., 2004).
2 . Malcom Fraser, homme politique libéral, fut Premier ministre d’Australie de 1975 à 1983.
3 . « They are… the focus of national pride and the ultimate expression of sport’s continuing search for excellence… They provide the enthusiasm and stimulus for effort and involvement by other participants. »
4 . « … the adult world does not recognise children’s praxis, because competence is defined merely in relation to adult’s praxis-a suggestion which is all the more powerful since adults are in a sovereign position to define competence. »
5 . « They are central to understanding gender identities in the here and now… »
6 . « Systematic, socially produced (and therefore modifiable) and unfair. »
7 . Chaque état australien comporte une capitale.
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