Pratiquer les alentours ?
Être élève d’une Cité scolaire internationale au cœur d’un ancien quartier ouvrier
p. 129-139
Texte intégral
1Comme la plupart des villes françaises, Grenoble tente de s’imposer au sein de réseaux urbains. Forte de son passé industriel et de son cadre naturel, elle fait preuve d’une certaine continuité de développement économique en tentant d’incarner, depuis déjà de nombreuses années, une « métropole européenne » de la haute technologie et de la recherche. De nombreux sites d’activités ont été aménagés créant ainsi pour les entreprises des conditions optimales d’implantation. Conscients de l’impératif de procurer aussi une qualité en termes d’infrastructures d’accueil de populations à hautes qualifications, les pouvoirs publics ont mené parallèlement une politique d’aménagement de nouveaux équipements d’envergure. C’est dans ce contexte que la construction d’une Cité scolaire internationale a été programmée au milieu des années 1990 par l’équipe municipale de M. Destot, dans l’ouest grenoblois, sur le site de la zone d’aménagement concertée Europole, un quartier d’affaires et d’activités tertiaires impulsé par la municipalité d’A. Carignon. Cet aménagement d’envergure résulte d’une opération de rénovation urbaine de friches industrielles et d’habitat dégradé localisée dans le quartier Berriat Saint-Bruno, un ancien quartier ouvrier, héritier historique du développement industriel de Grenoble à la fin du XIXe siècle.
2Dans le document Europole le quartier d’affaires au cœur de Grenoble 1998-2000. La maturité édité en 2000 par la société d’économie mixte chargée de l’aménagement du site Europole, la Cité scolaire est présentée comme un équipement « de grande qualité susceptible d’offrir gratuitement de meilleures conditions de scolarité aux enfants dont les parents sont en mission professionnelle dans les entreprises ou les pôles scientifiques grenoblois et qui confortera l’image internationale de Grenoble ». La Cité est effectivement, depuis son ouverture en 2001, un jalon important de la politique d’accueil des élites migrantes et un atout en matière de rayonnement et d’image territoriale. La Cité scolaire, qui représente un établissement public dont le recrutement considéré à l’échelle académique s’effectue sur tests d’admission, est constituée d’un collège et d’un lycée, fréquentés quotidiennement par environ 130 enseignants et 1 200 élèves français et étrangers. L’établissement accueille plusieurs sections internationales (anglais, allemand, espagnol, italien, arabe, portugais), ainsi que le cursus privé américain McLuhan.
3L’implantation de cet équipement et l’arrivée d’un tel public d’élèves soulèvent la problématique de son intégration et de sa liaison avec l’espace existant, que cet espace soit immédiat (le site aménagé Europole subsumant la Cité) ou proche (le quartier Berriat Saint-Bruno). Cette problématique peut certes être appréhendée selon une optique purement spatiale, urbanistique ou paysagère – c’est dans ce sens que les autorités publiques actuelles considèrent le besoin de liaison entre le site Europole et l’espace urbain environnant – mais elle peut l’être aussi à partir d’une approche privilégiant l’étude des représentations et des pratiques spatiales des individus, comprises comme révélatrices d’expériences, de saisies d’une réalité, mais aussi comme moyens de marquage et de production des lieux. C’est selon cette seconde focale que j’ai mené une recherche auprès d’élèves du collège de la Cité scolaire (encadré 1) : ces élèves pratiquent-ils les alentours de la Cité et en ont-ils une représentation ? Selon le service de communication de l’établissement, la question est vite résolue : « Il faut savoir que l’établissement est maintenant uniquement international, à recrutement spécifique sur test d’admission, et n’est pas un établissement de secteur. En conséquence, les élèves notamment de collège n’ont pas de vie particulière dans le quartier. » En informant sur les pratiques et les représentations de l’espace environnant, l’enquête a eu pour objectif de confirmer, de nuancer ou au contraire d’infirmer une telle vision officielle.
4Cet article se propose de restituer certains résultats de cette recherche et d’en discuter les implications. Il s’agira dans les deux principaux temps de l’exposé de réfléchir aux relations abstraites et/ou concrètes des élèves avec les alentours de la Cité scolaire : comment se structurent les représentations des élèves des alentours de la Cité ? Les élèves entretiennent-ils des relations avec les espaces qui s’inscrivent en dehors du périmètre de l’établissement et des temporalités scolaires, transgressant ainsi certaines barrières spatiales et temporelles introduites par l’aménagement ou par le règlement intérieur ? L’étude de ces « rapports au quartier » (Authier et al., 2001) sera suivie d’une conclusion sur le rôle des pratiques et des représentations impliquées, dans la production des lieux environnant l’établissement scolaire : les représentations reproduisent-elles ou remettent-elles en question la frontière socio-spatiale entre le site aménagé Europole et l’ancien quartier ouvrier Berriat Saint-Bruno ? Les élèves, par leurs pratiques, parviennent-ils à « donner le ton » (Chamboredon, Lemaire, 1970) et ainsi contribuer au changement du quartier ancien ?
Méthodologie de l’enquête et description de l’échantillon
L’enquête, réalisée par questionnaires, a été menée en classe, auprès de 31 élèves (15 filles et 16 garçons) de 4e, âgés de 14 et 15 ans.
Quatre ensembles d’informations ont été collectés : la trajectoire résidentielle de l’élève à partir d’une matrice biographique (Courgeau, Lelièvre, 1989 ; Groupe de réflexion sur l’approche biographique, 1999) ; les représentations des lieux de la ville fréquentés par l’élève et de son trajet domicile-collège grâce au dessin d’une carte mentale du trajet (Depeau, Ramadier, 2005) ; les pratiques quotidiennes lors d’une journée scolaire type à partir d’une matrice de déplacements (Lévy, Dureau et al., 2005) ; les pratiques hors des jours de cours et les représentations des espaces environnant la Cité via l’utilisation de questions ouvertes.
L’échantillon comprend une forte proportion d’élèves issus des catégories aisées : les deux tiers des élèves ont au moins un des deux parents dont la profession relève de catégories socio-professionnelles supérieures. Le tiers restant relève de catégories intermédiaires ou populaires. Seul un tiers des élèves ne possède que la nationalité française, confirmant ainsi la vocation internationale de l’établissement. Si la majorité des enquêtés réside dans l’agglomération grenobloise, ils sont 27 à avoir déjà connu au moins un déménagement, et les deux tiers à avoir réalisé une étape résidentielle à l’étranger. La Cité scolaire représente donc un équipement de qualité ouvert prioritairement à un public spécifique (enfants de cadres appartenant à la catégorie des élites dites « circulantes ou migratoires » ; enfants ayant pour la plupart une expérience résidentielle déjà très riche). Si la Cité n’est théoriquement pas fermée aux élèves résidant à proximité, elle ne leur procure pas un accès prioritaire. Les lieux de résidence des élèves sont extrêmement variés, ce qui implique des types de trajets domicile-collège multiples (en termes de trajectoires, de combinaisons de modes de transport, de rythmes, de distances kilométriques ou de distances temps).
DES ESPACES DU QUOTIDIEN COMME ESPACES REPRÉSENTÉS : DISTINGUER LES ALENTOURS DE LA CITÉ SCOLAIRE INTERNATIONALE
5Il a été demandé aux élèves de décrire librement les alentours de l’établissement scolaire (« Quels mots utiliseriez-vous pour définir Europole ? » ; « Quels mots utiliseriez-vous pour définir Berriat Saint-Bruno ? » ; « Pour vous, qui réside à Berriat Saint-Bruno et à Europole ? »). Les réponses à ces questions peuvent être considérées comme des représentations stabilisées, c’est-à-dire des artefacts langagiers qui figent dans un énoncé, au moins de façon provisoire, une représentation qui devient dès lors communicable (Debarbieux, 2003). Plusieurs termes (mots ou expressions) ont parfois été cités pour qualifier chacun des espaces.
6Le choix des termes et, le cas échéant, de leur association, exprime une appréciation générale qui n’est pas toujours tranchée (du type positif ou négatif), mais peut être, au contraire, nuancée (caractérisations positive et négative au sein de la même réponse), voire neutre (caractérisation n’engageant pas d’appréciation). Sur la totalité des réponses, un peu plus du tiers des élèves interrogés a une appréhension neutre du site aménagé d’Europole, et seuls trois élèves en ont une appréciation strictement négative. A contrario, l’appréciation négative domine largement la représentation du quartier Berriat Saint-Bruno et s’observe, tout particulièrement, auprès des élèves issus de ménages populaires, des filles, mais aussi de ceux fréquentant l’aire d’étude en dehors des jours des cours.
7Les termes utilisés ont ensuite été classés, par entrée thématique. La petite taille de l’échantillon (ensemble des termes collectés) a permis d’identifier, assez facilement, un ensemble de catégories descriptives (tableau 1). En ce qui concerne Europole, les élèves insistent majoritairement sur le caractère moderne du site. Près de 50 % des termes collectés soulignent, en effet, sa nouveauté, sa modernité ou la grandeur des constructions. 17 % des termes utilisés se réfèrent, toutefois, à l’ambiance froide ou peu accueillante du quartier d’affaires. Corroborant l’appréciation globalement négative à l’égard de Berriat, les termes employés relèvent avant tout l’aspect peu accueillant et peu agréable de l’ancien quartier ouvrier. On note, malgré cela, que 23 % des termes utilisés évoquent le caractère vivant et animé du quartier. À aucun moment, Berriat Saint-Bruno, pourtant affecté par un processus de renouvellement urbain, n’est présenté comme un espace en transformation. Les nouvelles constructions qui affectent le tissu ancien ne sont jamais évoquées par les élèves. Le changement urbain apparaît ainsi clairement circonscrit et identifié à l’espace aménagé d’Europole.
8En revanche, les représentations des populations qui résident à Berriat Saint-Bruno apparaissent beaucoup moins tranchées. On note d’abord un taux beaucoup plus élevé de non réponses à propos du quartier ancien (1/3 des élèves contre 1/5 pour Europole) ; ce qui laisse présager une plus grande difficulté des collégiens à se représenter sa population. Ensuite, si les élèves évoquent assez majoritairement la présence d’une population aisée et qualifiée à Europole, ils mobilisent au contraire, indifféremment, plusieurs catégories d’individus pour qualifier la population de Berriat Saint-Bruno. Les résultats révèlent une distinction entre l’espace aménagé d’Europole et ses alentours qui se décline en termes sociaux (populations aisées et qualifiées/populations fragilisées économiquement et/ou immigrées) et démographiques (populations jeunes/âgées). Confronté aux représentations du quartier, ce résultat montre que, pour les élèves, Berriat Saint-Bruno reste un quartier populaire, tantôt connoté positivement (un quartier vivant, animé, commerçant), tantôt plus négativement (dangereux, pas fréquentable, sale), reproduisant ainsi les versions contradictoires classiques du rapport qu’entretiennent in fine de nombreux individus avec le « populaire » (Grignon, Passeron, 1989).
9Pour clore cette analyse sur les représentations, il importe enfin d’aborder à partir du croisement des représentations de Berriat Saint-Bruno et d’Europole, les façons dont les élèves qualifient l’ensemble composé des deux secteurs géographiques (encadré 2 et tableau 2).
Méthodologie d’élaboration du tableau sur les représentations de l’espace Berriat Saint-Bruno/Europole
Le croisement des représentations, d’un point de vue thématique, a été réalisé en plusieurs étapes
. Un inventaire des combinaisons des représentations de Berriat Saint-Bruno et d’Europole a préalablement été réalisé sur l’ensemble des élèves. Cet inventaire a révélé une grande diversité des combinaisons possibles. Pour simplifier la démarche, des typologies ont été élaborées pour chacun des deux espaces. Le critère structurant utilisé pour ces typologies a été le caractère « accueillant/non accueillant ». Dans le cas d’Europole, cette variable a été définie à partir des catégories « Ambiance froide », « Espace peu agréable » (peu accueillant) et « Espace agréable » (accueillant). On obtient, au total, trois types différents pour chacun des espaces : un type qui correspond aux élèves ayant décrit l’espace en question (Europole ou Berriat) par un ou plusieurs thèmes, mais sans utiliser, par ailleurs, le caractère « accueillant/non accueillant » ; un type qui concerne les élèves ayant décrit l’espace étudié comme peu accueillant (soit uniquement peu accueillant ; soit en associant ce thème à un ou plusieurs autres thèmes) ; un type qui se réfère aux élèves ayant décrit l’espace en question comme accueillant (soit uniquement accueillant ; soit en associant ce thème à un ou plusieurs autres thèmes descriptifs).
Un tableau de contingence, croisant les trois modalités de chaque typologie a été, alors, effectué. Seules cinq combinaisons sur les neuf possibles ont été observées.
Enfin, la relation entre les représentations d’Europole et de Berriat Saint-Bruno a été qualifiée, une nouvelle fois, sur la base du caractère « accueillant/non accueillant » de l’espace donné : opposition (accueillant/non accueillant), distinction sans opposition apparente (pas d’opposition claire accueillant/non accueillant), rapprochement (non accueillant/non accueillant).
10Pour la grande majorité des élèves, les deux espaces se distinguent clairement l’un de l’autre. De manière générale, en terme d’appréciation, la représentation la plus partagée par les élèves associe un regard positif envers Europole, et une appréhension négative de Berriat Saint-Bruno. D’un point de vue plus thématique, on note que prédomine la logique de distinction entre les deux espaces, plutôt que celle de l’opposition ou que celle du rapprochement relatif. Le plus souvent, Berriat Saint-Bruno, en tant qu’espace ancien peu accueillant et animé et/ou commercial et/ou immigré est clairement distingué d’Europole, représenté, pour sa part, comme un quartier moderne et/ou comme un lieu d’activités.
TEMPORALITÉS DES PRÉSENCES ET CHEMINEMENTS DANS LE QUARTIER : LES ALENTOURS DE LA CITÉ SCOLAIRE, DES ESPACES DU QUOTIDIEN INÉGALEMENT PRATIQUÉS
11L’analyse des déplacements quotidiens montre que, dans l’ensemble, les élèves pratiquent peu, lors des jours de classe, les espaces environnants la Cité scolaire. Les élèves semblent respecter pour la plupart les règles temporelles et spatiales imposées par le règlement intérieur de la Cité (interdiction aux élèves de collège de sortir de l’établissement lors des temps libres ou entre 12 h et 14 h) et par les rythmes scolaires. Dans ce cadre, l’absence de pratiques quotidiennes du quartier résulte plus de contraintes temporelles et réglementaires que d’une volonté délibérée d’évitement de certains lieux. Si certains élèves transgressent toutefois ces règles, ils restent apparemment minoritaires. Les réponses à la question ouverte « Y a-t-il des lieux proches de la Cité que vous n’avez pas encore évoqués mais que vous pratiquez, des lieux où vous aimez aller ? » dévoilent certains lieux fréquentés plus occasionnellement (gare ferroviaire, piscine, sandwicherie située en bordure de la Cité, cybercafé du quartier).
12En dehors des jours de classe, le quartier ancien représente un espace de pratiques pour un tiers des élèves, que ce soit « des fois, le week-end », « tous les week-ends ou presque », ou « des fois, les jours de la semaine où il n’y a pas cours ». On relève, dans ce groupe, une forte représentation des filles et des élèves issus de milieux modestes. La principale raison de la venue se réfère à la visite d’amis, et plus secondairement, à la fréquentation de la bibliothèque du quartier, à celle du marché local ou de commerces maghrébins. Pour ce tiers des élèves, on note donc une diversité des lieux pratiqués ; une diversité par ailleurs accrue par le cheminement réalisé par l’élève, au sein du quartier, avant d’atteindre le lieu de son activité.
13L’analyse des cartes mentales montre que les lieux du quartier représentés par les collégiens sont beaucoup plus variés et nombreux. Ces lieux ont un statut important dans la cognition spatiale de l’élève. En localisant ces lieux de manière relative et en les nommant, l’élève leur confère une réelle signification. Les lieux représentés sont rarement dissociés du cheminement quotidien de l’élève : ils correspondent souvent aux lieux qui rythment le parcours (arrêts de tramway, gare) ou aux lieux les plus visibles et marquants du trajet (place et église du quartier Berriat, commerces ethniques, bâtiments et aménagements du site Europole). Le mode de déplacement utilisé apparaît alors décisif dans le processus de cognition spatiale de l’élève et dans le façonnement de son expérience du quartier (Moore, 1979, cité par Depeau et Ramadier, 2005). Les cartes mentales qui présentent le moins de lieux du quartier Berriat ont été produites, pour la plupart, par des élèves dont l’expérience du quartier, créée lors du trajet, est nulle ou partielle. Ces deux catégories impliquent l’usage du train ou de la voiture, et la réalisation de trajets qui « évitent » la traversée du quartier (tableau 3). Les autres cartes mentales, plus riches en lieux représentés, relèvent, a contrario, d’élèves dont l’expérience quotidienne peut être qualifiée « de passage » (prolongé ou non), et qui se forme lors des traversées en tramway des quartiers Berriat et Europole.
14Cette analyse des cartes mentales souligne donc l’importance du trajet entre le domicile et l’établissement, et de la traversée de l’aire d’étude, dans la perception et l’expérience des lieux. Le travail d’enquête semble d’ailleurs confirmer que l’expérience acquise au cours de ce déplacement influe sensiblement sur les appréciations du quartier. On observe en effet que les élèves ayant une expérience « de passage » (prolongé ou non) ont dans l’ensemble un avis négatif sur le quartier Berriat Saint-Bruno, alors que les élèves dont les trajets sont principalement effectués en dehors du quartier en ont des représentations plus nuancées. Pour comprendre ce résultat, il importe d’analyser plus finement le parcours du tramway au sein de Berriat Saint-Bruno. Il est intéressant de noter que la ligne de tramway la plus fréquemment utilisée par les élèves ne traverse le quartier que sur une courte distance, le long d’un des principaux axes commerçants de Berriat Saint-Bruno, entre la gare ferroviaire et l’entrée d’Europole. Cette portion de la ligne correspond à l’un des secteurs les plus animés du quartier, avec de nombreux commerces dont la plupart sont gérés par des entrepreneurs maghrébins (alimentation, cafés, restauration rapide). Ces établissements favorisent le va-et-vient des individus tout en offrant la possibilité d’une sociabilité stationnaire. Fréquentés par une clientèle relativement diversifiée, ces commerces exercent avant tout une forte attraction auprès des populations maghrébines, originaires ou non du quartier. Dans cette perspective, la structure commerciale de ce lieu assure une continuité de la présence immigrée du quartier (Giroud, 2007). Les résultats de l’enquête laissent donc à penser que c’est la perception et la pratique fugace d’un tel lieu qui conduisent à structurer la représentation du quartier dans son ensemble ; et que, pour la majorité des élèves interrogés, l’expérience quotidienne de ce lieu engendre une appréciation globalement négative de Berriat Saint-Bruno.
CONCLUSION : LES COLLÉGIENS DE LA CITÉ SCOLAIRE INTERNATIONALE, QUELS ACTEURS DU QUOTIDIEN DE L’ANCIEN QUARTIER OUVRIER ?
15Les collégiens ne sont pas cantonnés à l’espace de la Cité, ce qu’aurait pu laisser présager l’aménagement de l’accès à l’établissement ou certains discours officiels. Les alentours immédiats ou proches de l’établissement peuvent être définis comme des espaces du quotidien des élèves. Les collégiens produisent des représentations de ces alentours, tiennent des discours à leur égard ; ils en ont une expérience et une connaissance. Pour près de trois quarts des élèves, cette relation à l’espace existant se structure principalement lors du trajet quotidien domicile – collège, au moment de leur passage en tramway dans le quartier. Peu d’élèves paraissent en effet avoir une pratique régulière des lieux de l’ancien quartier ouvrier ou du quartier d’affaires lors des jours de cours. En revanche, pour un tiers des élèves, la relation au quartier de la Cité scolaire s’enrichit en dehors des jours de cours, par la pratique de lieux bien identifiés. On ne peut enfin négliger le rôle des discours extérieurs dans la détermination de ce rapport au quartier. Les représentations les plus négatives à l’égard de Berriat Saint-Bruno semblent en effet davantage provenir d’une expérience indirecte (réputation ; témoignages relatant les expériences directes de tiers) que de l’expérience propre à l’élève.
16L’étude des pratiques et des représentations des élèves informe en retour sur l’espace existant environnant. En ce qui concerne Berriat Saint-Bruno, au vu de cette enquête, la présence des élèves du collège ne semble pas bouleverser le marquage social ou les rythmes du quartier. La faible fréquentation des lieux du quartier pendant les jours de classe mais aussi le rôle des modes de déplacement dans la « dissimulation » des élèves relativisent leur capacité à « donner le ton » et donc à contribuer sensiblement au changement urbain en cours. Les passages des élèves, seules pratiques quotidiennes régulières des collégiens dans le quartier, sont en effet « cachés » par l’usage du tramway : la présence dans le tramway permet en effet plus de percevoir ce/ceux qui marque (nt) un lieu que de se faire percevoir par ceux qui marquent le lieu du fait des vitres-miroirs sans tain. Ce faisant, si les élèves par leurs pratiques ne parviennent pas à « donner le ton », à prendre une place à part entière dans le paysage urbain, leur expérience et leurs discours contribuent à entretenir et à véhiculer une certaine représentation de l’ancien quartier ouvrier. Le travail sur les représentations des élèves révèle en effet un processus de distinction entre le site aménagé Europole, apprécié globalement positivement, et le quartier Berriat Saint-Bruno, plutôt dévalorisé. En insistant sur l’existence d’une frontière socio-spatiale assez nette entre l’aire aménagée et l’espace urbain environnant, les représentations participent de fait à l’entretien de cette frontière. En véhiculant de telles représentations en dehors de l’aire d’étude, les élèves contribuent sans le savoir à ébranler les efforts des autorités publiques, de suture urbaine par l’action urbanistique et le discours politique.
Bibliographie
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Auteur
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