Approche méthodologique (JRS) et développementale de la représentation de l’espace urbain quotidien de l’enfant
p. 61-74
Texte intégral
INTRODUCTION
1L’objectif de ce chapitre consiste à analyser, selon une perspective développementale, les représentations cognitives de l’espace géographique chez l’enfant d’âge scolaire. Plus précisément, les interrogations portent sur les connaissances des espaces urbains denses intériorisées par l’enfant et l’organisation spatiale de ces connaissances. Quels sont les éléments urbains qui participent à l’évolution de la représentation de l’espace urbain chez l’enfant âgé de 6 à 11 ans ? Comment identifie-t-il les éléments au cours de cette évolution ? Quelles sont les structures spatiales afférentes à ce développement ? Ces questions, qui interrogent finalement les processus d’appropriation cognitive des lieux, ont été formulées lors d’une recherche qui s’inscrivait dans un programme plus large portant sur « le développement des pratiques urbaines au cours de l’enfance et l’apport de nouvelles technologies dans l’analyse spatiale de la mobilité et de l’usage des espaces publics au cours de l’enfance1 ».
2Un second objectif, cette fois méthodologique, consiste à tester une tâche de modélisation spatiale, à savoir le Jeu de Reconstruction Spatiale (JRS), conçue pour recueillir les représentations cognitives de l’espace, afin de cerner l’opérationnalité de cet outil selon l’âge des enfants.
QUELQUES REPÈRES THÉORIQUES
3L’intérêt pour l’exploitation des représentations cognitives de l’espace vient du fait qu’elles sont d’importants révélateurs du rapport de l’individu à son environnement. Elles permettent de saisir ce que l’espace signifie pour lui. En effet, ces représentations se forment d’une part, à partir de l’expérience de l’individu. D’autre part, elles dépendent d’un système de valeurs étroitement associé à l’environnement en question, et par conséquent, aux caractéristiques physiques du milieu ; dans la mesure où, en milieu urbain notamment, ces dernières ne sont que la cristallisation du système de valeurs en question. Les représentations, ou images, de la ville correspondent à un ensemble d’éléments urbains intériorisés et organisés entre eux par des relations spatiales. Les « déformations » (sélection, distorsions spatiales, etc.) qui les composent sont en cohérence avec les significations associées à ses parties comme à son tout.
4La cognition spatiale permet d’envisager les représentations spatiales comme des produits de processus qui ont pour fonction de médiatiser la relation entre les individus et l’espace physique en vue d’une appropriation cognitive orientée vers l’action. À l’origine, l’étude des images cognitives de l’espace, et notamment de l’espace urbain, avait pour objectifs de mieux cerner les qualités physiques qui facilitent les déplacements des individus. Au-delà des simples conceptions et projets des aménageurs, il s’agissait de prendre en compte le point de vue des usagers et utilisateurs des espaces quotidiens urbains. L’étude fondamentale de Lynch (1960) a permis d’élucider les principaux éléments qui structurent et organisent l’identité comme la lisibilité d’une ville. Si l’on se limite maintenant à la dimension cognitive de l’appropriation de l’espace, autrement dit, aux différentes formes de familiarité que les individus entretiennent avec un lieu, les représentations peuvent être analysées selon deux directions complémentaires : celle qui s’attache davantage au contenu de la représentation, et celle qui prend en compte principalement la structure de la représentation spatiale (Ramadier, 2003). Ces deux dimensions de la représentation d’un espace sont deux indicateurs différents de l’appropriation cognitive des lieux. En effet, le contenu de la représentation permet surtout de cerner le corpus des connaissances environnementales de l’individu, dans le but de relever des représentations socio-spatiales (Jodelet, 1982) en comparant les groupes constitués sur la base de différences qualitatives (type d’éléments cités) ou quantitatives (fréquence de l’élément cité). Quant à la structure spatiale, elle permet de distinguer les différents modes d’appropriation de l’espace, notamment par la place qu’occupent les pratiques spatiales au regard d’informations environnementales plus abstraites et symboliques (appropriation instrumentale versus symbolique), qu’il est indispensable de replacer ici dans le cadre du développement génétique des processus cognitifs de l’individu. En somme, la structure de la représentation est entendue comme un indicateur des dispositions cognitives, sociales et comportementales qui sont en jeu dans l’appropriation cognitive d’un espace. Dans la mesure où notre intérêt porte ici sur l’évolution de l’appropriation cognitive des lieux chez l’enfant, et non simplement sur l’évolution de la structure spatiale de la représentation, nous chercherons à décrire, plutôt qu’à expliquer ce développement, en considérant autant son contenu que sa structure.
Représentation et appropriation cognitive de l’espace urbain
5Tout d’abord, la structure de la représentation cognitive de l’espace dépend du caractère actif ou passif de la personne lors de ses déplacements (Zannara, 1976). Ainsi, les enfants qui se déplacent seuls et à pied ont une représentation faite de moins de dissociations spatiales que ceux qui se déplacent en groupe d’une part, ou en voiture d’autre part (Lee, 1963).
6En termes de type de structure cette fois, autant l’étude de Shemyakin (1962) que celle d’Appleyard (1970) repèrent deux formes fondamentales de structure : les représentations spatiales, ou « survey map », et les représentations séquentielles, ou « route maps ». Ces dernières sont des représentations de cheminements alors que les premières s’étayent sur des relations topologiques entre les éléments ponctuels de la représentation. Cette typologie déjà utlisée dans de précédents travaux auprès d’enfants pour mesurer une dimension cognitive de l’autonomie (Depeau, 2003) et que nous avons affinée pour les besoins de l’analyse, a l’avantage de faciliter l’étude de l’évolution de la structure spatiale des représentations au cours du développement.
L’effet de l’âge sur la représentation de l’espace
7L’effet de l’âge est analysé selon deux perspectives : les référents spatiaux utilisés ou la structure de la représentation spatiale. Or, quelle que soit la perspective retenue, la plupart des recherches semblent confirmer le modèle théorique développé par Piaget et Inhelder (1947). En effet, les référents spatiaux seraient dans un premier temps égocentrés (relations spatiales définies en fonction de la position spatiale du corps), pour ensuite se décentrer sur des référents non corporels (relations topologiques allocentriques) et enfin évoluer de façon à orienter et localiser les éléments en fonction d’un système de référence abstrait et de type euclidien (relations géocentriques). Quant à la représentation, celle-ci ne serait dans un premier temps qu’une « pré-représentation », dans la mesure où l’objet ne peut être imaginé sans qu’il soit présent. Ainsi, ce stade cognitif se limite à l’espace des actions et ne constitue pas une représentation à part entière. Ensuite, les premières formes de représentation seraient de type « cheminements ». Enfin, les représentations de type « survey-map » apparaîtraient. Ainsi, la précision de la représentation est fonction des stades de développement cognitif de l’enfant. Toutefois, Siegel et White (1975) estiment que la représentation de l’environnement de l’enfant débuterait par l’identification de points de repère importants, et non par celle de cheminements.
8Dans la mesure où la représentation est en premier ressort une construction sociale, l’enfant devrait la construire en commençant par s’appuyer sur son réseau social quotidien (amis et famille), et intégrer progressivement des éléments urbains plus symboliques, au sens où ce sont des éléments urbains signifiants parce qu’ils correspondent à des pratiques spatiales spécifiques à leur groupe d’âge (par exemple la piscine à 8 ans et un magasin à la mode à 11 ans), mais aussi parce qu’ils participent à la construction d’une identité urbaine plus large (mairie, etc.). Ainsi, à mesure de l’avancée dans l’âge, l’enfant devrait plus souvent identifier les éléments de sa représentation avec la toponymie officielle (nom de rue, nom de magasin, etc.), et mettre en relation les éléments par de plus en plus de voies. Par conséquent, si le cheminement est certainement, chez les plus jeunes, la structure spatiale la plus fréquente (car au plus proche des pratiques), nous devrions observer, pour les plus âgés, des représentations de type « survey-map », basées sur un réseau de voies.
Recueillir les représentations spatiales des enfants
9Bien que le dessin à main levée soit de longue date utilisé pour relever les représentations spatiales de l’enfant (Ladd, 1970), Rothwell (1974) précise que les compétences graphiques influencent peu la précision de la production spatiale des adultes, mais qu’en revanche la corrélation entre les compétences graphiques et la précision du dessin est beaucoup plus forte auprès des enfants, et plus particulièrement pour les environnements de large échelle. L’auteur juge cette technique comme étant inadéquate lorsqu’elle est utilisée dans ces conditions. L’alternative méthodologique consisterait à proposer une tâche de modélisation de l’espace à l’aide d’un ensemble limité de pièces à manipuler. Mais les rares études effectuées avec un tel outil (Piaget et al., 1960 ; Siegel et Schadler, 1977 ; Hart, 1981) ne nous permettent pas de connaître la limite inférieure de l’âge auquel les difficultés d’exécution peuvent apparaître. De plus, les précédents jeux de modélisation ont été conçus spécifiquement pour le terrain étudié (la salle de classe des enfants interrogés par exemple). Le Jeu de Reconstruction Spatiale (Ramadier et Bronner, 2006), un outil déjà testé auprès de populations adultes, est suffisamment souple pour qu’il ne soit pas spécifique à un espace urbain. Cependant, est-il administrable à des enfants et jusqu’à quelle limite inférieure d’âge ?
Méthologie
Échantillon
Un groupe de 20 enfants volontaires, scolarisés dans une école élémentaire de Boulogne-Billancourt, une des banlieues les plus denses de la région parisienne, a été interrogé. Tous les enfants résidaient dans cette commune.
Les enfants des cinq niveaux de l’école élémentaire se répartissent de la manière suivante.
Garçon | Fille | Total | |
CP (6-7 ans) | 1 | 4 | 5 |
Notons cependant que dans cet échantillon, les garçons sont en moyenne plus âgés que les filles (resp. m = 8,6 et m = 7,6).
Procédure de recueil de la représentation cognitive de l’espace
Les connaissances environnementales, ainsi que leur organisation spatiale, ont été recueillies à l’aide d’une tâche de modélisation spatiale, appelé « jeu de reconstruction spatiale » (JRS). Cet outil, mis au point par T. Ramadier, permet de relever les mêmes informations que celles recueillies avec un dessin, tant au niveau des éléments cités que de la structure spatiale élaborée par le répondant.
La consigne introductive était la suivante :
« Vous habitez à Boulogne ? On va parler des endroits que vous connaissez à Boulogne. Donc, nous vous demandons de nous dire quels sont les endroits où vous allez habituellement autour de chez vous. Pour répondre à cette question “quels sont les endroits où vous allez habituellement ?”, je vais vous demander de reconstruire sur ce plateau (montrer le plateau) tous les endroits que vous connaissez autour de chez vous. » « Pour reconstruire tous les endroits que vous connaissez, vous allez utiliser ces petits objets (cf. illustration 1).
Le JRS est composé d’un plateau et de huit pièces :
– Des maisons rouges pour les petits bâtiments ou les maisons individuelles, quelle que soit leur fonction (résidentielle, commerciale, service). – Des blocs pour des bâtiments plus importants (hauteur, longueur ou emprise au sol), quelle que soit leur fonction.
– Des plaques de maisons pour les îlots ou les quartiers, quelle que soit leur échelle.
– Des plaques vertes pour les espaces verts, les parcs, les jardins, etc.
– Des plaques bleues pour les places publiques ou les parkings de surface.
– Du fil :
– rouge pour les voies de circulation : les chemins, rues, routes, avenues, autoroutes, etc. (rouge) ;
– noir pour les voies ferrées : train, tram, métro ;
– bleu pour les cours d’eau.
Ces éléments sont positionnés sur le plateau par l’enfant au fur et à mesure qu’il les évoque. La chronologie ainsi que l’énoncé exact de l’identifiant d’un élément sont enregistrés par l’enquêteur sur une grille d’entretien préalablement numérotée et en correspondance avec une petite étiquette, (elle aussi numérotée), qu’il appose au fur et à mesure sur chaque élément placé et cité par l’enfant. Une fois la production terminée, l’enquêteur conserve un cliché de la production de l’enfant en prenant en photo la réalisation après l’avoir identifiée de manière anonyme.
Cet outil nous a permis de recueillir quatre niveaux d’informations :
(1) le nombre d’éléments urbains mentionnés dans la représentation ;
(2) le type d’éléments mentionnés ;
(3) le type d’identification des éléments ;
(4) la structure spatiale de la représentation.
La passation effectuée à la bibliothèque de l’école et en l’absence de l’enseignant, était individuelle, mais la présentation des consignes a été effectuée de manière collective par groupe de quatre enfants de même niveau scolaire.
QUELQUES RÉSULTATS
L’utilisation du JRS par les enfants
10Globalement les consignes et le JRS ont été compris par les enfants de tous les niveaux d’âge. Tous ont également compris la notion de représentation par le vocable « reconstruire ». Mêmes les plus jeunes se sont adaptés efficacement aux compétences d’abstraction nécessaires pour effectuer la tâche demandée.
11Les plus jeunes (niveau CP et parfois CE1) ont toutefois éprouvé quelques difficultés spécifiques. La notion de « voie ferrée » doit notamment être expliquée. Cet élément peut d’ailleurs tout à fait être éliminé du JRS et confondu avec les autres voies. Éliminer une pièce a son intérêt car, avec huit pièces, nous touchons à une limite cognitive de mémorisation de l’information (Miller, 1956 ; Holding, 1992). Cette limite cognitive s’observe d’autant plus chez les plus jeunes pour lesquels il nous a fallu rappeler plus souvent la fonction de certaines pièces.
12Les stratégies de reconstruction de la représentation diffèrent selon les enfants. En effet, au lieu de penser à un élément urbain et de tenter de l’exprimer à l’aide des pièces, certains adoptent parfois la démarche inverse : ils regardent les pièces disponibles et évoquent des éléments urbains en fonction de ce à quoi les pièces leur font penser. Cette démarche semble toutefois limitée aux premiers éléments évoqués par les enfants les moins sûrs d’eux-mêmes ou les plus intimidés par la situation sociale d’enquête. Par ailleurs, nous savons que le caractère suggestif du JRS est aussi présent chez les adultes (Ramadier et Bronner, 2006). Le fait d’observer, chez les enfants de tout âge, un détournement de la fonction initiale de la pièce, comme le fil bleu pour une fontaine, des bouts de fil rouge pour les passages piétons, un bloc pour un mur, etc., montrent toutefois que les aspects suggestifs du JRS restent limités ; l’enfant respecte la consigne principale, à savoir utiliser les pièces comme des outils pour exprimer sa représentation de l’espace.
13Ainsi, pour certains enfants, nous retrouvons des représentations descriptives très proches de celles observées par Ladd (1970) à l’aide d’un dessin à main levée. Cependant, le JRS permet difficilement de représenter des aménités ou le mobilier urbain (fontaine, arrêt de bus, etc.). Il serait judicieux de remplacer le fil noir par une petite pièce « joker » qui permettrait de représenter plus aisément tous les « micro-éléments ».
14Une autre observation importante concerne la spontanéité vis-à-vis de l’exécution de la tâche. En effet, alors que les plus âgés s’engagent rapidement dans la tâche à effectuer, les plus jeunes sont beaucoup moins spontanés lorsqu’ils commencent. La relance « Alors, quelle est la première chose à laquelle tu penses parmi tous les endroits où tu vas habituellement ? » est importante car elle permet à l’enfant de répondre en deux temps : dans un premier temps, il n’évoque ses connaissances qu’oralement, ce qui lui permet de garantir que sa réponse correspond à la demande de l’enquêteur ; dans un second temps, il peut s’assurer auprès de l’enquêteur que la pièce utilisée pour représenter sa réponse est la plus adéquate. Ainsi, certains enfants avaient parfois quelques difficultés pour débuter la tâche, mais il n’est pas rare, qu’ensuite, nous ayons eu des difficultés pour qu’il s’arrête après les 15 minutes fixées. Notons aussi, en termes de difficultés de la tâche, que la manipulation des fils (choix de la taille et de la forme) n’a été évitée par aucun répondant, quel que soit son âge. Le JRS ne pose donc pas de difficulté psycho-motrice particulière.
15Si la difficulté à s’engager dans la tâche demandée provient en partie de la mémorisation d’une consigne simple mais longue, en partie à la situation sociale de l’enquête (enquêteurs inconnus), elle est aussi imputable à la notion de lieux et aux difficultés que nous avons rencontrées pour définir simplement ce que nous souhaitions demander aux enfants. Bien que nous ayons fait le choix du vocable « endroits », il aurait été plus simple de se limiter à ceux « où ils allaient », surtout pour les plus jeunes. En effet, évoquer des « endroits » peut s’avérer difficile car l’espace géographique n’est pas nécessairement un ensemble de lieux bien distincts les uns des autres, mais un continuum d’éléments urbains indissociables les uns des autres. Cependant, nous souhaitions explorer à partir de quel âge les enfants élaborent des connaissances environnementales sans pour autant fréquenter le lieu. Par conséquent, plus les enfants sont jeunes et plus il est important de proposer la question de relance suivante « Alors, où est-ce que tu vas à Boulogne ? » pour amorcer l’exécution.
16Pour conclure, cette technique, généralement appréhendée sur un mode ludique, est particulièrement adaptée aux enfants, notamment quand la passation est individuelle. Les propriétés du JRS semblent faciliter la production de représentations cognitives de l’espace auprès des enfants, même très jeunes (dès 6 ans), et facilitent, pour le chercheur, les comparaisons entre groupes d’âges.
Analyse d’éléments représentés
Le nombre d’éléments représentés
17Globalement, et sans surprise avec les recherches antérieures, le nombre moyen d’éléments augmente avec l’âge. En effet, sur notre échantillon et à titre indicatif, les enfants de CP citent en moyenne 16,4 éléments dans leur représentation ; ceux de CE1, 14,33 éléments ; ceux de CE2, 23,5 éléments ; ceux de CM1, 29,5 éléments, et de CM2, 32 éléments2. Notons toutefois que le nombre moyen d’éléments cités est plus important avec le JRS que dans les études qui utilisaient le dessin à main levée, un phénomène que nous avons déjà observé auprès des adultes. Enfin, c’est surtout à partir de 8 ans (CE2) que le nombre d’éléments cités croît avec l’âge.
Le type d’éléments mentionnés
18Notre typologie d’éléments urbains est composée de 13 catégories : les quartiers, les voies, les voies ferrées, les places ou parkings, les cours d’eau, les espaces verts, les magasins, les services, monuments (église), les bâtiments communs (logement, logement d’amis ou de membres de la famille), les aménités ou mobilier urbain (feu, passages piétons, arrêt de bus, toboggan, fontaine, etc.), les autres éléments (dénivelé, marché, un mur, etc.).
19L’analyse auprès de l’échantillon montre que les monuments sont pratiquement inexistants des représentations (1 occurrence). Plus généralement, quel que soit le niveau scolaire, les éléments qui représentent moins de 5 % du total des éléments cités sont : les monuments, les voies ferrées, les aménités et les éléments de type « autre ». En outre, on note une variabilité du type d’éléments cités selon les tranches d’âge. Ainsi, si les plus jeunes (CP) sont les seuls à citer un peu plus l’eau (5 % des éléments cités, en moyenne), à l’inverse, ils citent très peu les magasins. Au contraire, si les plus âgés (CM1) citent plus fréquemment des quartiers (9,90 % des éléments cités, en moyenne), cette même tranche d’âge, ainsi que les CM2, font peu référence aux places (moins de 5 % des éléments) dans leur représentation.
20Concernant les éléments les plus cités, les plus jeunes (CP, CE1) évoquent des bâtiments communs, exclusivement associés au réseau social, avec la plus forte proportion (respectivement : 24,07 % et 27,79 % des éléments). Pour le premier niveau (CP), ce type d’élément est accompagné d’une forte proportion d’espaces verts, alors qu’il est accompagné d’une forte proportion de voies pour le second niveau (CE1).
21Pour les trois derniers groupes (CE2, CM1, CM2) ce sont les voies qui sont systématiquement les plus citées (resp : 34,41 % ; 26,93 % ; 34,31 %). Puis, ce sont, les espaces verts et les services (13,63 % et 18,86 %) pour les enfants de CE2, les magasins et les services (15,78 % et 16,35 %) pour les enfants de CM1, les services et les magasins (14,06 % et 16,12 %) pour les plus âgés.
22Pour résumer, à 6-7 ans, ce sont le réseau social et les espaces verts qui dominent dans la représentation. À 7 ans, le réseau de relations s’étaye sur un réseau de voies. À partir de 8 ans, le réseau de voies connu sert de support, tout d’abord pour les espaces verts et les services fréquentés ou connus (8 ans), puis pour les services (9-10 ans) et enfin les magasins (10-11 ans).
Le type d’identification des éléments
23L’identification des éléments mentionnés est un indicateur d’appropriation cognitive de l’espace public dans sa dimension sociale. Il est possible de catégoriser les éléments en trois groupes :
les éléments dont on ne connaît que le type (une rue, un groupe de maisons, etc.) ;
les éléments auxquels l’enfant attribue soit une fonction d’usage (la rue pour aller…, etc.), soit une fonction égocentrée (chez mon cousin, ma maison, etc.) soit un nom partagé par un groupe d’enfants (« le parc de l’araignée », etc.) soit enfin une relation de proximité (rails de train à côté de la clinique, place où il y a une bibliothèque, etc.) ;
les éléments identifiés par leur toponymie officielle.
24Nous constatons (cf. illustration. 2) que plus l’enfant avance dans l’âge et plus il mentionne des lieux qu’il connaît et/ou fréquente mais qu’il n’identifie pas précisément. En outre, c’est entre 8 et 10 ans que l’identification des lieux connus ou fréquentés s’effectue par la toponymie officielle. Enfin, l’identification par l’usage et la proximité prédomine chez les plus jeunes (6-7 ans). Ainsi, à nouveau, c’est à 8 ans que nous observons une rupture, qui cette fois, exprime le passage d’une représentation égocentrée (usage) à une représentation allocentrée et surtout socialisée (toponymie).
Structure spatiale de la représentation
25La grille d’analyse de la structure spatiale de la représentation repose sur les deux principales catégories (cheminement/topologie) qui ont toutefois été affinées pour finalement comporter six catégories :
LES CHEMINEMENTS : représentation d’un parcours, espace directionnel
uniques : séquence linéaire unique renseignée par la présence de voies ;
multiples en réseau : ensemble de séquences linéaires avec présence de nœud-s ou de relations spatiales entre les parcours ;
multiples déconnectés : ensemble de séquences linéaires, de parcours sans nœud, sans liaison spatiale.
LES REPRÉSENTATIONS SPATIALES : représentation d’une étendue, espace topologique
en réseau : relations topologiques entre éléments sur lesquelles se greffe un réseau de voies, ou inversement ;
sans réseau : relation topologique de voies non connectées et d’éléments ponctuels.
LES REPRÉSENTATIONS MIXTE SPATIAL/CHEMINEMENT : mélange de séquences linéaires, de parcours et d’espaces constitués d’éléments organisés entre eux.
26Les résultats (tableau 1) montrent qu’un tiers de l’échantillon interrogé a produit une représentation cognitive de l’espace dont la structure spatiale est mixte.
27C’est surtout à 6-7 ans (CP) et à 8 ans (CE2) que l’on observe préférentiellement ce type de représentation. Par ailleurs, un quart de l’échantillon a construit une représentation structurée sous une forme spatiale sans réseau. Par conséquent, peu de répondants (3 élèves répartis dans les trois derniers niveaux scolaires) ont une structure de type spatiale en réseau.
28Notons aussi une tendance qui reste à confirmer : quand la représentation est structurée sous une forme spatiale, les garçons élaborent un réseau de voies alors que les filles ne connectent pas les voies. Pour ces dernières, les voies semblent donc avoir le même statut cognitif que les autres éléments ponctuels ou surfaciques. Ces résultats corroborent ceux de Matthews (1986, 1987) qui montre que les filles sont davantage centrées sur les points de repère tandis que les garçons représentent davantage les réseaux.
29Enfin, nous avons constaté qu’à 6-7 ans, seul un enfant a produit une représentation cognitive de l’espace qui soit uniquement de type « cheminement ».
30De plus, toujours à cet âge, nous observons une représentation de type « spatial ». Autrement dit, bien que les représentations de type « spatial » restent la spécificité des plus âgés (la moitié des représentations est de type « spatial » pour les niveaux scolaires allant du CE2 au CM2), dès 6 ans, l’enfant peut toutefois élaborer une représentation de type « spatial ».
CONCLUSION
31Tout d’abord, d’un point de vue méthodologique, le JRS permet d’évacuer le problème des différences de compétences grapho-motrices lorsque l’âge des enfants est contrasté pour les besoins de l’analyse des représentations de l’espace géographique. Ensuite, cet outil ne semble pas différencier les groupes d’âge selon leurs compétences psycho-motrices. De plus, il n’introduit pas de difficulté spécifique à un groupe d’âge pour communiquer à l’enquêteur une représentation de l’espace, et cela dès 6 ans. Enfin, quel que soit leur âge, les enfants manipulent les mêmes pièces du JRS. Ainsi, toutes ces caractéristiques fonctionnelles font que le JRS facilite grandement le recueil des représentations et apporte une forte validité aux analyses comparatives selon l’âge de l’enfant. De plus, on retrouve les structures spatiales déjà relevées dans les études antérieures, effectuées à l’aide d’un dessin à main levée, ce qui permet de conserver des investigations tant sur le contenu que sur la structure de la représentation. Cependant, il est fréquent que les enfants souhaitent exprimer des « micro-éléments », comme un toboggan, un mur, etc. Il est alors indispensable de proposer un élément de petite taille, sans forme suggestive (un jeton par exemple) que l’on pourrait présenter comme un « joker », du fait de sa poly-fonctionnalité.
32D’un point de vue théorique cette fois, même si les données ne sont pas suffisamment conséquentes, cette étude nous permet de dégager quelques tendances et surtout une rupture dans le développement cognitif du rapport à l’espace de l’enfant. Nous avons constaté que la représentation de l’espace est tout d’abord basée sur le réseau social et les espaces verts (CP). Puis apparaissent les voies. Si celles-ci se développent sur le réseau social dans un premier temps (CE1), très vite, ce sont les services (CE2 et CM1) puis les lieux de consommation (CM2) qui permettent de structurer l’espace de vie de l’enfant. C’est donc sur la base d’une fréquentation personnelle des lieux que les enfants des deux premiers niveaux de scolarité construisent leur carte mentale ; ce que confirme la nature de l’identification des éléments à ces deux premiers niveaux scolaires. Ensuite, à partir du CE2 (8-9 ans), la représentation de l’espace devient progressivement plus abstraite et socialement marquée, permettant ainsi à l’enfant de se représenter l’espace en fonction de connaissances environnementales plutôt qu’en fonction de l’expérience des lieux. C’est à ce moment que la toponymie, un indicateur d’appropriation de l’espace par un système de connaissances socialisées, apparaît dans l’identification des lieux. C’est aussi à ce moment du développement des schèmes cognitifs liés à l’espace qu’apparaît progressivement une structure de type spatial dans l’image cognitive. C’est encore à cet âge que le nombre d’éléments présents dans la représentation croit significativement. En conséquence, il serait intéressant de vérifier si l’augmentation des connaissances environnementales de l’enfant, et d’une manière générale, les multiples évolutions de la représentation que nous constatons vers 8 ans, correspondent au passage d’une appropriation par l’expérience (usage) vers une appropriation socio-cognitive, c’est-à-dire vers une appropriation où la représentation qui lui sert de support devient progressivement une construction sociale à partir de cet âge.
33Ensuite, existe-il des différences entre les garçons et les filles quant aux services, puis aux magasins mentionnés dans l’image de la ville ? De telles différences, couplées avec un indicateur de disparité des éléments représentés (Ramadier, 1997), devraient permettre de vérifier si les premières représentations sociales de l’espace urbain s’élaborent vers 8 ans, c’est-à-dire au moment où les schèmes cognitifs de l’enfant lui permettent de passer de référents spatiaux égocentrés à des référents allocentrés (Piaget et Inhelder, 1947).
34Le niveau CE2 (8-9 ans) semble effectivement une période charnière dans la construction des images cognitives de l’espace. Cette période se caractérise aussi par l’introduction de voies dans la représentation et par une disparité importante entre les enfants de cet âge quant à la structure spatiale de leur représentation. Nous retrouvons finalement le débat sur la formation des représentations de l’espace géographique. Nos résultats nous amènent à penser que l’évolution de la structure des représentations de l’espace urbain n’est pas linéaire (du cheminement au spatial ou inversement) mais l’enfant passe probablement d’une structure à une autre, à mesure que l’étendue géographique de la représentation augmente. Autrement dit, nous faisons l’hypothèse, qui reste à vérifier, que la structure de la représentation spatiale dépend du degré de stabilité de la représentation cognitive. Autrement dit, les enfants peuvent avoir très tôt une représentation de type « spatial » si l’étendue géographique et le nombre d’éléments urbains de la représentation demeurent dans une période stable. En revanche, ils perdraient ce type de structure pour retrouver une représentation de type « cheminement » lorsque l’étendue et le nombre d’éléments de la représentation entrent dans une phase de croissance. C’est vers 8 ans que ce phénomène est probablement le plus aisé à observer.
35Pour conclure, l’avantage d’étudier la représentation cognitive de l’espace provient du fait que nous travaillons sur l’observation de processus d’appropriation qui s’inscrivent dans une temporalité plus large que l’observation des comportements effectifs. Ces investigations apportent alors un éclairage important pour comprendre les possibilités comportementales de l’enfant dans l’espace public et pour lui donner un droit à la ville.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 . Projet financé par le programme interdisciplinaire de recherche du CNRS 2001-2005 : Société de l’information : « Géomatique, Espaces, Territoires et Mobilités (GETM) », et dirigé par Alain Legendre.
2 . Les effectifs de chaque groupe étant réduits, nous complétons l’information sur ces moyennes par la présentation des distributions complètes, pour chaque groupe, du nombre d’éléments par représentation de l’espace. Distribution pour les CP : 17 ; 15 ; 12 ; 30 ; 8 ; pour les CE1 : 16 ; 19 ; 18 ; pour les CE2 : 19 ; 17 ; 26 ; 32 ; pour les CM1 : 32 ; 32 ; 30 ; 24 ; pour les CM2 : 23 ; 36 ; 41 ; 28.
Auteurs
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