Chapitre VIII. Suède, la fin d’un modèle ?
p. 149-165
Texte intégral
1En Suède, on peut dater des années 1930 le début du welfare. À l’époque, ce projet social avait notamment l’ambition de résoudre le problème du logement. L’idée était, fondamentalement, de procurer un bon logement à tous, sans distinction de revenu. En termes politiques, il s’agissait de créer une nouvelle société, débarrassée des classes sociales. En 1946 une nouvelle politique du logement était tracée dans ses grandes lignes. Le gouvernement avait confié aux Sociétés municipales de logement un rôle stratégique dans la fourniture de logement aux gens « ordinaires ». Dans ce projet, les municipalités prévoyaient, construisaient et géraient du logement social, et les loyers étaient négociés entre les sociétés municipales de logement et les associations de locataires. Ces loyers étaient basés sur les coûts, sans considération pour la localisation, et les municipalités n’étaient pas censées faire des bénéfices. Par conséquent, les loyers établis pas ces compagnies devinrent aussi la base pour l’établissement des loyers par les propriétaires privés. En 1974, une nouvelle législation donna aux municipalités un pouvoir plus important sur les sociétés municipales de logement : leurs conseils furent élus sur des bases politiques. L’influence des sociétés sur la fixation des loyers dans le secteur locatif privé se confirma aussi.
2Durant ces quinze dernières années, la Suède a connu des changements politiques importants. Ainsi, la politique du logement, de généraliste, est devenue plus sélective – et le logement public n’en est plus, désormais, la pierre angulaire. La politique s’est davantage orientée vers la satisfaction de la demande de groupes spécifiques, et l’influence de l’État, aussi bien que des collectivités territoriales, a baissé. Cette politique a été soutenue tant par l’ancien gouvernement social-démocrate que par le gouvernement libéral conservateur qui a suivi. Aujourd’hui, la politique suédoise suit le courant dominant en Europe : moins d’exemptions fiscales et de bonifications d’intérêt. De plus, la politique du logement perd sa dimension sociale et le logement est à présent considéré comme un bien de consommation comme un autre.
3Le premier signe de changement dans le secteur du logement social est apparu au début des années 1990, avec la réduction des subventions pour le logement et de la régulation par l’État. À partir de 1991, les conditions des emprunts, traditionnellement plus favorables au logement social qu’au secteur privé, s’altérèrent. Une égalisation des conditions fut introduite, et en l’espace de cinq ans, la plupart des subventions furent supprimées.
4En dépit d’un discours officiel en faveur de prix raisonnables, de normes égales pour tous et d’intégration sociale, la réalité n’a pas reflété ces intentions. Jusqu’en 1998, le logement social suédois était fortement aidé. À présent il ne représente plus une charge pour l’État. Depuis 1998, les impôts sur l’immobilier sont plus élevés que le total des subventions et dégagent même un surplus fiscal net. À partir du 1er janvier 2008, les propriétaires ne payent plus d’impôt foncier, et les droits dont ils doivent s’acquitter sont aussi revus à la baisse. Afin de compenser la perte financière, l’État augmente la taxation des plus-values des transactions immobilières. Aujourd’hui, les allocations sont réservées aux familles avec enfants et dépendent des revenus et du prix du logement. Seuls les retraités ne verront pas changer les allocations logement qu’ils perçoivent. Outre les allocations au logement, les bonifications d’intérêt sont également revues à la baisse.
5Pendant la décennie 1990, le gouvernement libéral conservateur a autorisé les locataires en place dans les logements sociaux municipaux à acheter l’appartement qu’ils habitaient par le biais de coopératives de propriétaires occupants. En 2002, le nouveau gouvernement social démocrate a introduit l’Allbolagen, autrement dit le moratoire sur la vente des logements municipaux lorsque celle-ci mettait en péril le marché locatif. Mais, en 2007, un nouveau gouvernement libéral conservateur décida, à nouveau, d’autoriser les locataires occupants à acquérir leurs logements dans le cadre d’une coopérative de propriétaires. La fin de l’hégémonie municipale dans la fixation des loyers des logements sociaux, la suppression de ce qui reste du système de subventions ainsi que la discussion, au sein de l’Union européenne, de l’avenir du logement municipal « à la hollandaise », ont été au centre de l’actualité en 2008.
6Déprogrammer les subventions et vendre le logement public représente, pour l’actuel gouvernement, un moyen au service d’un renouvellement du marché du logement, rendu plus fonctionnel, et de la réduction de la ségrégation par le logement. En effet, le gouvernement croit fermement qu’en favorisant la propriété, il réduira l’exclusion sociale. À partir de 2009, le gouvernement a décidé d’introduire un régime de copropriétés pour les immeubles collectifs, statut d’occupation nouveau pour la Suède. Les copropriétés sont supposées dynamiser la construction immobilière dans les marchés locaux de l’habitat de taille modeste. La location de ces copropriétés devenant économiquement intéressante, le gouvernement pense qu’une nouvelle offre de logements abordables sera ainsi générée, et qu’elle contribuera à élargir le stock de logements à destination des ménages à faibles revenus.
LA SITUATION ACTUELLE DU LOGEMENT SOCIAL
7Le tableau 1 offre une vue générale des statuts d’occupation des logements en Suède. Nous avons établi des estimations, mais qui devraient correspondre grosso modo à la réalité.
8Même si le loyer et la sécurité d’occupation sont à peu près les mêmes dans le public et dans le privé, les sociétés municipales de logement ont la réputation d’être des bailleurs et des gestionnaires fiables, et jouissent de la confiance de la plupart des locataires. Or le nombre de logements municipaux, pour la plupart des appartements, est tombé de 880 000 en 1995 à 780 000 en 2005. Il y a plusieurs raisons à ce déclin. D’abord, le gouvernement a subventionné la démolition de logements obsolètes dans les régions les moins prospères de la Suède – le plus souvent d’anciens centres industriels. Ensuite, des logements ont été vendus à des coopératives – cette fois pour la plupart dans des régions plus riches – ou encore à des propriétaires privés à fin de location. Les locataires en place n’ont pas leur mot à dire lorsque leur appartement est vendu. Leur influence sur les décisions de justice est limitée. Enfin, des logements ont été achetés par leurs occupants à la faveur des politiques de right-to-buy et malgré la loi qui visait à empêcher les ventes dans la mesure où celles-ci pouvaient déstabiliser tout le système des loyers en Suède. Ajoutons que le right-to-buy s’est appliqué également à des logements privés en Suède.
9Le secteur municipal se positionne plutôt bien, en revanche, en termes de construction neuve. Sa part dans le total de la construction neuve est à peu près équivalente à sa part dans le parc total de logements, soit environ 20 %.
10La distribution selon la taille des sociétés municipales de logement est très hétérogène : 40 % des sociétés gèrent moins de 1 000 logements et possèdent 8 % du stock, tandis que 6 % des sociétés sont à la tête de plus de 10 000 logements et de plus de 40 % de la totalité du parc de logements municipaux. Les quelque 300 sociétés municipales sont regroupées dans l’Association suédoise des sociétés municipales de logement (SABO)1.
11Environ 60 % des logements ont été construits après 1965 (voir tableau 2), et environ 60 % des logements municipaux n’ont qu’une ou deux pièces ; les grands logements de cinq pièces et plus représentent une très petite part. À partir des années 1970 avec le boom de l’habitat pavillonnaire, le secteur public a logé massivement les personnes âgées, les jeunes et les autres types de petits ménages. Même si on y trouve tous les types de ménages, le secteur des offices municipaux accueille davantage les ménages composés d’une seule personne et les ménages monoparentaux que les familles avec enfants. Les trois quarts des familles composées d’un couple et d’enfants habitent dans des maisons individuelles, tandis qu’on trouve les personnes vivant seules dans tous les types de statut d’occupation (Geosweden, 2008).
12En Suède, les logements du secteur locatif public sont plus récents dans l’ensemble que ceux du secteur locatif privé. Environ 30 % du parc de logements sociaux a été construit entre 1965 et 1974 (voir graphique 1), et depuis lors la construction dans ce secteur a été légèrement plus dynamique que dans le secteur locatif privé.
LES MÉCANISMES DE CONSTITUTION DE L’OFFRE, DE LA PROPRIÉTÉ ET DU FINANCEMENT
13Les sociétés municipales de logement ont toujours été de la responsabilité des municipalités. Mais depuis le début des années 1950, elles ont été gérées aussi indépendamment que possible des budgets municipaux. Ces sociétés peuvent être organisées comme des fondations ou des entreprises à responsabilité limitée. Cependant, au cours de la dernière décennie, la plupart des fondations sont devenues des entreprises à responsabilité limitée pour permettre aux municipalités de recueillir le bénéfice de leur investissement ancien, historique pourrait-on dire, dans le logement.
14La construction neuve, quant à elle, est toujours basée sur le marché libre du crédit, avec des emprunts parfois garantis par les municipalités elles-mêmes. Pour un projet type par exemple, 80 à 90 % des coûts de construction seront couverts par des prêts à long terme, d’une durée de quarante ans et plus, le restant étant couvert par les ressources propres des sociétés de logement.
15Par delà les différences croissantes selon les régions, la situation économique des Sociétés municipales de logement s’est améliorée au fil du temps. Par exemple, la moyenne du bénéfice net (soit la différence entre le total des actifs et le total des dettes) était d’environ 20 % en 2005, et le retour sur le capital était de 6,1 %. Le bénéfice net a progressé d’un pour cent durant la dernière décennie, et le taux de retour sur le capital, ou la valeur immobilière estimée, se situe entre 6 et 7 %. Il s’agit donc là d’une position économique solide, qui toutefois varie selon les régions du pays. Beaucoup de municipalités reçoivent des intérêts de leur capital investi dans les sociétés de logement, de l’ordre de 6 à 8 %.
16Au cours de ces dernières années, la question des subventions est arrivée en tête sur l’agenda politique. L’European Property Federation a déposé deux plaintes auprès de la commission européenne, en mai 2005 encore, arguant que les sociétés municipales de logement étaient subventionnées par ses propriétaires. L’argument principal est que le loyer perçu par les sociétés n’inclut pas un bénéfice propre. Les associations de locataires, quant à elles, plaident l’argument opposé, à savoir que les sociétés municipales subventionnent leurs propriétaires à travers différents canaux, par exemple en payant des charges excessives pour les services rendus. À ce jour, la question n’est pas tranchée.
17La source du désaccord réside dans l’assiette du système des loyers. En Suède, les loyers pratiqués dans les logements municipaux fixent la limite supérieure pour les loyers applicables dans le secteur privé comparable, c’est-à-dire à l’échelon local. Ce système de fixation des loyers va contre les intérêts des propriétaires privés, et toute subvention aux sociétés municipales de logement fonctionne de facto à la manière de l’ancien système de régulation des loyers, lorsque les autorités gouvernementales déterminaient le niveau légal des loyers de chaque logement sur la base des dépenses. Une augmentation des loyers n’était possible que dans le cas d’une augmentation avérée des dépenses, ou d’une augmentation du capital, ou encore de dépenses de maintenance supplémentaires susceptibles de peser sur les loyers. À la fin des années 1960, l’inflation rapide affecta les prix de la construction et généra un écart considérable de niveaux de loyers entre le neuf et l’ancien. C’était une charge pour les sociétés municipales de logement qui étaient vues comme d’importants instruments de régulation pour la politique sociale de logement. La solution était d’abolir le contrôle des loyers, et d’établir un système de loyers équitables. À l’époque, il n’était pas politiquement acceptable de libérer les loyers (Turner, 1988).
18Les loyers des logements municipaux sont établis suite à des négociations avec les associations de locataires concernées. Le point de départ est un niveau de loyer maximum (et son évolution) basé non pas sur le profit mais sur le coût de revient. Cela est compliqué, dans la mesure où l’exigence d’un « niveau zéro » de profit est discutable. Les loyers sont donc fixés selon le stock, avec des ajustements qui prennent en compte la localisation, la qualité, etc. Il y a un deuxième tour de négociations entre les associations de locataires et les associations de propriétaires ; à terme, les loyers des logements municipaux constituent la limite supérieure des loyers sur le marché locatif privé. Ce deuxième tour de négociations ainsi que les plafonds des loyers, sont évidemment fort impopulaires chez les propriétaires privés. Il a même été avancé que ces plafonds font obstacle à la construction d’appartements destinés à la location – les coûts de construction excédant les loyers ainsi fixés.
LE PEUPLEMENT DU SECTEUR LOCATIF SOCIAL
19Les logements municipaux, attribués sur la base de listes d’attente, sont accessibles à tous les ménages. Il n’y a pas de limite dans les niveaux de ressources, mais il peut s’avérer difficile, pour des ménages vulnérables – par exemple ceux qui ont contracté des dettes de loyer – d’être acceptés comme locataires. Dans ces cas-là, la municipalité peut offrir sa garantie. Le bureau municipal qui a en charge la protection sociale prend le prêt à son compte, et garantit le loyer à la société municipale de logement. Les ménages sont donc effectivement aidés pour accéder à un logement. Il n’en reste pas moins que, même si le secteur municipal est en principe ouvert à tous, le profil de ses locataires diffère de la moyenne nationale.
20Le tableau 3 montre que les familles monoparentales avec des enfants ainsi que les personnes seules âgées sont surreprésentées dans les logements municipaux. Les revenus des ménages y sont plus bas, et le secteur loge le plus fort pourcentage de ménages sous le seuil de pauvreté, ainsi qu’on peut le voir sur le graphique 2.
21Comme on le voit sur le graphique suivant (graphique 3), les ménages immigrés constituent une part importante de la population des logements municipaux. Ils représentent plus de 30 % des locataires dans les zones métropolitaines, mais seulement 15 % dans les petites villes et dans les zones urbaines. Les immigrants en provenance des pays pauvres sont plus particulièrement susceptibles de vivre dans un logement municipal.
22La structure des ménages locataires du secteur municipal s’explique par la structure du marché du logement en Suède. Les petits appartements sont caractéristiques du secteur locatif, tandis qu’on trouve les logements plus grands dans l’habitat individuel en propriété privée. Les ménages composés de familles sont aidés par les allocations logement, ce qui leur permet d’y vivre même si leur revenu ne correspond pas aux coûts effectifs du logement.
23Il est évident que les sociétés municipales de logement logent des familles plus pauvres que les autres secteurs. Le graphique 2 ci-dessus met en lumière un schéma intéressant. On y voit que les revenus moyens augmentent avec la taille de l’unité urbaine. Dans les grandes villes, et dans les zones métropolitaines, les niveaux de revenu diffèrent fortement entre les différents statuts d’occupation, et on trouve les ménages pauvres dans le secteur municipal. Dans les villes plus petites et dans la catégorie « autres villes et zones rurales », la différence de revenu est bien moins importante entre les différents statuts d’occupation2.
24Les ménages immigrés représentent traditionnellement un groupe vulnérable. Leur mode de logement est caractérisé par la concentration et ils sont surreprésentés dans le secteur public. Ils sont plus souvent employés que les autres ménages et ils ont tendance à vivre dans les zones des grandes villes à forte densité de peuplement. À l’autre extrémité du marché – surtout le secteur de la propriété occupante – on trouve davantage de logements spacieux, situés dans des zones à faible densité de peuplement, et dont les propriétaires sont moins souvent des immigrés. Entre les deux extrêmes, on trouve des coopératives de logements et des maisons en location privée : les immigrés y sont en minorité.
25Pour les chercheurs comme pour les responsables politiques, la ségrégation résidentielle qui touche les ménages immigrés correspond de fait à leur concentration dans le logement public. De ce point de vue, le secteur public est vu comme facteur d’isolement social et spatial. De plus, la concentration des immigrés revêt une plus grande visibilité dans le logement public des trois grandes zones métropolitaines (graphique 3).
26Au niveau régional, il y a de grandes différences dans l’accès au logement public. En gros, on trouve des logements vacants dans les zones déprimées, tandis que les logements manquent dans les grandes villes. Le tableau 4 montre une évolution préoccupante depuis 1995 : le phénomène de la vacance disparaît des grandes villes, mais perdure dans les petites villes et les communes rurales malgré les vastes démolitions (et dans quelques cas les ventes) engagées entre 1995 et 2000.
27Le tableau souligne la diversité de localisation des logements municipaux en Suède. Le secteur joue un véritable rôle social dans les régions déprimées du pays, mais il est dans un rapport de compétition avec le secteur privé dans les zones économiquement fortes comme Stockholm, Gothenburg et Malmö. Le taux de vacance est également très bas dans les communes suburbaines des grandes villes. Le taux de vacance et les prix dans le secteur en propriété sont un indicateur significatif de la situation économique des communes, une diminution de la population étant à relier avec les prix bas et l’importance de la vacance.
CHANGEMENTS DANS LES BESOINS
28Les préférences en matière de logement n’ont guère changé en Suède au cours des dernières déce nnies. La préférence va toujours à la propriété occupante, les logements en coopérative et en général le mode de vie urbain. Cependant, la hausse des prix dans les zones urbaines complique beaucoup les choses pour ceux qui veulent quitter la campagne ou leur statut de locataire.
29À cause de cette hausse des prix, les ménages qui ont peu de ressources évitent les régions chères, même d’ailleurs s’ils y travaillent, et se trouvent habiter dans des logements plus densément occupés. Antérieurement, l’État soutenait la construction de logements pour la location à loyers faibles en offrant une subvention majorée pour le secteur locatif, de préférence construit dans les zones chères mais avec des loyers modérés. Cette politique fut en partie un succès, mais ne s’étendit pas aux zones les plus chères des villes et des quartiers. L’exemption de la TVA pour tous les types de construction fut également utilisée.
30Le gouvernement actuel a définitivement abandonné les aides à la pierre, que ce soit sous la forme de soutien direct aux investissements (investeringsbidrag) ou de bonification d’intérêts (räntebidrag). En revenant sur la politique de subvention et en mettant en vente le logement public, le gouvernement entend aboutir à la création d’un marché plus fonctionnel, et réduire les phénomènes de ségrégation spatiale qui affectent le parc de logement. Le gouvernement est convaincu que la propriété constitue un remède pour lutter contre l’exclusion sociale. Mais cet ajournement des aides de l’État a conduit à une diminution de la construction neuve dans le secteur locatif. Le gouvernement mise sur l’effectivité des chaînes de vacance, lesquelles sont censées apparaître avec la construction d’appartements pour les ménages jouissant de bons revenus.
NIVEAUX DES LOYERS
31Le système des loyers, en Suède, fait dépendre les loyers du marché locatif privé de la structure des loyers municipaux dont le niveau est l’objet de négociations locales (voir ci-dessus). En principe, le niveau des loyers des logements municipaux fixe donc la limite supérieure des loyers applicables dans des logements comparables du secteur privé. Cette règle est actuellement très critiquée, car, du point de vue des syndicats de propriétaires privés, elle oblige ces derniers à s’adapter à des niveaux de loyers distordus par les subventions dont les offices de logements municipaux bénéficient et qui caractérisent aussi le régime des sociétés à but non lucratif. Le tableau 5, pour lequel nous avons utilisé l’enquête suédoise de 2004 sur le logement et les loyers, permet de comparer les loyers au mètre carré par année de construction dans le locatif privé et dans le secteur municipal. Il s’agit d’une vue sommaire, qu’il conviendrait de compléter selon la localisation au sein de la ville et le type de commune. D’une façon générale, les logements du secteur locatif privé sont mieux situés dans la ville, et ils sont mieux représentés dans les grandes villes, là où, précisément, les loyers sont plus élevés. En conséquence, les niveaux plus élevés des loyers dans le locatif privé sont en partie faussés, car dus à cet effet de localisation.
32Le tableau 5 ne donne de résultats que pour les plus grandes villes : Stockholm, Gothenburg et Malmö. Des différences entre les deux segments du secteur locatif subsistent, mais elles sont, comme nous l’avons dit, partiellement expliquées par la meilleure localisation des logements locatifs privés, et le fait que les loyers du locatif privé sont autorisés à dépasser de 5 % ceux du locatif municipal. Des allocations logement – qui sont ouvertes aux locataires de l’ensemble du secteur locatif, privé et public – peuvent réduire le coût du logement des ménages. Cependant, seuls les ménages avec enfants ou constitués de personnes âgées peuvent en bénéficier.
INTRODUCTION D’UNE NOUVELLE FORME DE LOGEMENTS ABORDABLES
33Historiquement, peu d’initiatives ont été prises pour encourager les ménages à faibles ressources à quitter le secteur locatif, mais l’actuel gouvernement de droite en a introduit deux. Tout d’abord, à travers l’amélioration du système de garantie des emprunts, la nouvelle politique vise à aider les jeunes et les familles pauvres à devenir propriétaires d’une maison individuelle. La seconde initiative, qui vient d’être décidée, consiste en un programme de location-vente (let-to-buy) pour aider les ménages pauvres à acquérir leur logement lorsque celui-ci est mis en vente, ces ménages étant la plupart du temps dans l’impossibilité de payer les sommes nécessaires à la transformation de leur logement en coopérative (de propriétaires). La loi stipule que dans le cas où au moins les 2/3 des locataires votent en faveur de la formation d’une coopérative, celle-ci est formée et la mise en vente peut commencer. C’est dans ce contexte que les ménages qui ont besoin de crédit pour financer l’achat de leur logement voient souvent leur demande refusée par les banques. La proposition du gouvernement est donc de leur fournir la garantie de leur crédit afin qu’ils puissent emprunter. Les offices de logements municipaux peuvent ensuite vendre les logements sur le marché à des prix qui couvrent les dépenses – plutôt que de vendre à bas prix aux ménages pauvres – et maintenir ainsi leur équilibre financier.
LE RÔLE DU LOGEMENT SOCIAL D’APRÈS LES HOMMES POLITIQUES AUJOURD’HUI EN SUÈDE
34Le modèle du right-to-buy, à travers lequel les logements locatifs sont transformés en coopératives de propriétaires (lesquelles possèdent les principales caractéristiques de la propriété occupante), a toujours joui d’une grande popularité dans les parties les plus attractives de nos grandes villes où le système de fixation des prix de location a entraîné un excès de demande. Ces schémas étaient certes limités par un moratoire partiel sur les ventes des propriétés des offices municipaux décidé le 1er avril 2002, mais le nouveau gouvernement conservateur a l’intention de les remettre en vigueur. Il rejette en effet l’idée que l’existence d’un secteur du logement municipal est bonne en soi, et que le système de fixation des loyers a besoin d’un vaste secteur public pour fonctionner correctement. Le gouvernement dit que la transformation du locatif en coopératives s’impose particulièrement dans les quartiers peu attractifs où les grands ensembles dominent. L’objectif est de lutter contre la ségrégation et de stabiliser les quartiers par la mixité des statuts d’occupation. Le gouvernement ne peut vendre qu’aux occupants actuels. Malgré tout, les locataires en place ne sont pas toujours convaincus de l’intérêt pour eux de ce transfert – et en tout cas pas avec les niveaux de prix susceptibles d’assurer une entière compensation aux offices municipaux de la perte de leurs revenus. Les locataires, en effet, ne bénéficient pas de réduction par rapport aux prix du marché en vigueur dans leurs quartiers peu attractifs, mais par contre les logements tendent à être vendus avec une réduction allant jusqu’à 50 % de leur valeur dans les quartiers attractifs, parce que la valeur marchande de ces logements excède largement leur valeur fixée par les sociétés municipales de logement. Les logements loués sur le marché privé sont aussi sous obligation d’être vendus seulement à leurs occupants – parmi lesquels peuvent se trouver des ménages pauvres. On discute actuellement de l’extension des garanties d’emprunt.
QUESTIONS POUR L’AVENIR
35Le débat sur les politiques du logement en Suède est actuellement concentré sur le devenir des logements des sociétés municipales. En premier lieu, les mesures discutées en novembre 2006 sur l’arrêt des subventions et des bonifications d’intérêts restantes étaient considérées, du moins dans la perspective du marché, comme trop générales pour être efficaces, dans la mesure où les subventions sont attribuées indifféremment au secteur locatif privé et public. Les offices de logements municipaux ont juste commencé à augmenter leur activité de construction, répondant ainsi très tardivement à la demande. Le manque de continuité dans les subventions du gouvernement a pu faire augmenter les prix courant de la première année de 10 à 15 %, ce qui, selon une enquête conduite par SABO (l’Association suédoise des sociétés municipales de logement), a pu entraîner une réduction de 50 % des programmes de construction. Des commentateurs ont avancé que la sensibilité aux coûts est très élevée, et que la construction nouvelle est facilement en baisse ou remplacée par des constructions émanant de coopératives. Ceci semble exagéré, mais il n’en reste pas moins que le nombre de nouveaux programmes de construction des sociétés municipales a chuté d’environ 30 % (janvier 2007).
36Le second terme du débat concerne la privatisation. L’annonce par le gouvernement de l’abrogation de la loi qui décrétait un moratoire (d’ailleurs conditionnel) sur les ventes des logements municipaux aux locataires en place a entraîné de vives réactions dans plusieurs municipalités. Les décisions sur la vente du parc local sont prises au niveau des municipalités, et en fonction de leur orientation politique. Les municipalités dominées par les conservateurs sont plus enclines à vendre que les municipalités gouvernées par une équipe sociale-démocrate. À ce jour, en octobre 2008, la plupart des ventes des logements municipaux ont eu lieu dans les centres-villes, c’est-à-dire dans les zones les plus attractives. Il a été par contre beaucoup plus difficile de vendre les logements situés dans les quartiers suburbains. Les locataires pensent qu’il est préférable de rester locataires, craignant qu’il ne soit pas profitable d’acheter dans de tels endroits. La situation financière a changé la donne à Stockholm aussi. Depuis octobre 2008, toutes les ventes des logements municipaux sont provisoirement arrêtées par décision du conseil municipal.
37Ces discussions au niveau local comme au niveau central ont été aussi favorisées par les politiques de l’Union européenne concernant la concurrence et les plaintes déposées par les syndicats de propriétaires suédois qui mettent en cause le soutien financier accordé aux offices municipaux et la compatibilité de ce soutien avec les règles de l’Europe sur les aides d’État. Les responsables politiques locaux sont devenus plus attentifs à l’attitude de l’Europe vis-à-vis des sociétés municipales de logement qui entrent en compétition avec le secteur privé en utilisant l’argent des contribuables. La situation est particulièrement complexe, étant donné la clause qui, dans la législation en vigueur en Suède, fait dépendre les loyers du secteur locatif privé des loyers négociés pour des logements municipaux comparables.
38La réponse, à en juger par nombre de débats locaux, sera soit de vendre une partie du parc de logements municipaux, et/ou de rendre la part restante plus « responsable » socialement. (Voir Magnusson & Turner, 2008.) La législation européenne sur le support de l’État accepte les compagnies hébergeantes (c’est-à-dire celles qui sont subventionnées par l’impôt sur le revenu) si elles remplissent une mission sociale, comme fournir un logement aux personnes vulnérables ou intervenir dans une région défavorisée. Nous avons construit un indicateur qui mesure la part de ménages vulnérables dans le logement municipal lorsque la part de ces ménages est plafonnée par les municipalités (Magnusson & Turner,
392008). Cet indice de responsabilité sociale est utilisé comme variable dépendante dans une analyse de régression, toutes les municipalités de Suède étant utilisées comme base de données. L’analyse montre que la valeur de l’indice augmente avec la diminution relative de l’importance des sociétés municipales de logement. Cet effet est particulièrement fort pour les ménages qui bénéficient d’aides sociales et des familles d’immigrés en provenance de pays pauvres. Il est évident que la composition du parc de logements autant que l’orientation politique de la municipalité est corrélée avec l’indice de « responsabilité sociale ».
40Du point de vue de l’Union européenne, les ménages vulnérables au sens large sont logés dans le secteur des logements municipaux. La taille relative du secteur détermine dans la plupart des cas son degré de dilution. On peut dire qu’il n’y a pas de politique sociale séparée ou spécifique menée par les sociétés de logement public en Suède. On peut dire au contraire qu’elles sont en quelque sorte « sociales par défaut ».
41La question qui n’est pas encore abordée en Suède est de savoir si le modèle du right-to-buy peut être mis en place sans les rabais qui ont eu cours ailleurs en Europe. Le sentiment général est que des subventions importantes ne sont pas nécessaires, surtout du fait que les sociétés municipales de logement ne souffrent que peu d’une stigmatisation qui pourrait justifier des ventes à prix sacrifiés.
42Le nouveau gouvernement de droite, sous l’emprise de considérations idéologiques, a supprimé les subventions et les bonifications d’intérêts et a mis l’accent sur les aides personnelles au logement. Il prétend que les constructions neuves résultant du marché vont entraîner des chaînes de vacance qui bénéficieront finalement aux ménages les moins bien lotis. Les subventions à la construction ont donc été complètement abolies, et les allocations logement qui, comme on l’a vu, ne sont attribuées qu’aux familles avec enfants et aux personnes âgées, sont devenues la seule expression de l’intervention publique. Certaines subventions seront cependant versées pour des opérations particulières pour personnes âgées, et des programmes sont également proposés pour aider les jeunes ménages à accéder. Le gouvernement a aussi envisagé de légaliser la copropriété. L’idée était d’autoriser la construction de nouveaux bâtiments en copropriété à partir du printemps 2009. Cependant, la crise financière a remis en cause bon nombre de projets, et les prix de l’immobilier ont chuté pour les logements en propriété comme pour les logements en coopérative. Dans ces conditions, rien n’est moins sûr que la poursuite de ces programmes.
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Notes de bas de page
1 Voir la présentation sur le site de la SABO, [http://www.sabo.se] (NdE).
2 La philosophie universaliste du secteur ne s’oppose donc pas à une évidente spécialisation sociale, surtout dans les grandes villes, du logement social. Notons cependant que l’échelle des revenus n’est pas très étendue sur le graphique 2 (de 900 à 1 500) (NdE).
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