Chapitre II. L’exception néerlandaise
p. 49-65
Texte intégral
1Aux Pays-Bas, fait unique en Europe, le marché du logement est dominé par un secteur locatif social très conséquent, qui comptait 2,4 millions de logements en 2005 soit 35 % d’un parc total de 6,8 millions, ou encore un tiers des ménages (chiffre resté stable durant la dernière décennie). Le secteur locatif privé représentait quant à lui 11 % des résidences principales à cette date. Un peu plus de la moitié des ménages (54 %) sont propriétaires-occupants. On voit donc que c’est à un bailleur social que plus des trois quarts des locataires louent leur logement. Le parc locatif social des Pays-Bas est ainsi l’un des plus importants d’Europe, après ceux de la France et du Royaume-Uni.
2Presque tous les logements sociaux sont propriété des Woningcorporaties1. Ces organismes ont l’obligation de fonctionner comme des sociétés commerciales, mais ils doivent consacrer leurs bénéfices à la satisfaction des besoins en logements « standards », c’est-à-dire ceux des personnes qui ne peuvent accéder à un logement décent par leurs propres moyens. Les Woningcorporaties sont en mesure d’agir de manière très flexible. La plupart des débats qui ont lieu aux Pays-Bas portent sur l’usage qui est fait de cette souplesse – qualifiée par certains d’arbitraire. En effet, depuis quelques années, la critique de l’efficacité des Woningcorporaties est menée par ceux qui pensent que ces organismes privés ont trop d’argent et ne l’utilisent pas correctement. Cela a conduit à des débats politiques et à de nombreux rapports sur la situation et l’avenir des Woningcorporaties aux Pays-Bas. Le gouvernement menace actuellement de saisir une partie de leurs fonds, et les dernières dispositions européennes vont dans le même sens (voir plus loin sur les débats en cours). Les organismes ont contrattaqué en offrant d’augmenter leurs investissements dans le réaménagement urbain et d’abaisser les loyers des ménages à faible revenu. La libéralisation des loyers et la création d’un espace commun avec les bailleurs commerciaux sont des éléments essentiels de ce débat toujours d’actualité.
SITUATION DU LOGEMENT SOCIAL
3Même si le parc social est resté à peu près stable depuis une dizaine d’années, son poids relatif a légèrement diminué, passant de 39 % en 1995 à 35 % en 2005.
4Le logement social est plus répandu dans les zones urbaines, mais il est présent dans toutes les provinces et même dans toutes les municipalités du pays. Il existe cependant des différences sensibles : dans des villes comme Rotterdam et Amsterdam, environ 55 % de l’ensemble des logements relèvent du secteur social, tandis que dans des provinces plus reculées comme le Drenthe ou le Zeeland, celui-ci ne représente que 25 % du parc.
Évolution récente du secteur locatif social
5Durant la dernière décennie, le nombre d’habitations construites et achetées par le secteur social a pratiquement égalé le nombre d’habitations vendues ou démolies, de sorte que le parc s’est maintenu autour de 2,4 millions. Sur une période de 5 ans allant de 1998 à 2002, les bailleurs sociaux ont enrichi leur parc de 140 000 logements (80 000 construits et 60 000 achetés) et en ont perdu 150 000 (105 000 ventes, 45 000 démolitions). La tendance pour la période 2004-2007 est similaire, mais affiche un tassement avec une légère reprise des constructions neuves (150 000) mais aussi des démolitions (80 000).
6Contrairement à d’autres pays où ils sont peu actifs sur le marché immobilier, les bailleurs sociaux néerlandais achètent et vendent librement des logements, aussi bien à des particuliers qu’à d’autres propriétaires, pour une multitude de raisons, en particulier pour consolider leur propre situation financière ou pour encourager le renouvellement urbain. Les bailleurs sociaux peuvent vendre des biens vacants sur le marché libre, mais ils sont tenus de proposer les biens en cours de location à leurs locataires, qui ont le choix de continuer à louer. Il n’y a pas de « droit à l’achat » à l’anglaise2.
7C’est la loi sur le logement de 1901 qui a autorisé les toutes premières constructions de logements sociaux. Cependant, ce n’est qu’à partir des années 1920 que les municipalités et les organismes privés ont construit des logements sociaux à grande échelle. La plupart ont été édifiés entre 1945 et 1990.
8Après la Seconde Guerre mondiale, en effet, la grave pénurie de logements qui sévissait a conduit le gouvernement à prendre une plus grande part à l’aménagement et à la construction de nouveaux logements.
9La construction immobilière a atteint son point culminant au début des années 1970, à l’époque de l’apogée des grands ensembles. En même temps, en 1974, le gouvernement introduisait l’aide au logement pour les ménages afin de permettre de réaligner les loyers sur les prix du marché tout en garantissant l’accès aux personnes à faibles revenus. Cette mesure a marqué le début d’un changement : le passage de subventions traditionnelles à des aides soumises à conditions de ressources. Les subventions traditionnelles n’ont été complètement abandonnées que dans les années 1990.
10Or, depuis les années 1990, la production annuelle totale a diminué, tout particulièrement dans le secteur social, où elle est passée de 30 000 unités par an en 1995-1996 à moins de 15 000 en 2007-2008.
11Aux Pays-Bas, l’habitat individuel prédomine non seulement dans les campagnes, mais également dans les villes de taille moyenne. Près de la moitié du parc locatif social est composée de maisons individuelles, souvent mitoyennes, et le reste est constitué surtout d’immeubles bas (42 %), les immeubles de plus de 4 étages ne représentant que 11 % du parc social. En général, aux Pays-Bas, la construction de logements sociaux n’est pas affectée à des zones spécifiques : la plupart des quartiers offrent une mixité de statuts d’occupation.
L’OFFRE DE LOGEMENTS SOCIAUX
Le cadre légal : la loi sur le logement de 1901
12C’est la loi sur le logement promulguée en 1901 qui a défini le cadre juridique du logement social. Elle a établi les devoirs et les responsabilités des bailleurs sociaux. L’ordonnance portant sur la gestion du secteur locatif social (BBSH, selon l’abréviation néerlandaise), révisée en 2001, affirme que les Woningcorporaties agréées sont soumises à six grandes obligations :
- loger les personnes qui ne peuvent obtenir un logement décent par leurs propres moyens ;
- entretenir les logements afin qu’ils demeurent décents ;
- consulter leurs locataires ;
- gérer leurs finances d’une manière responsable ;
- contribuer à la qualité de vie dans les quartiers (ajouté en 1997) ;
- pourvoir au logement (mais non aux soins) des personnes âgées ou handicapées (ajouté en 2001).
13En contrepartie de ces missions, les Woningcorporaties sont exemptées d’impôts sur les sociétés, disposent de prêts garantis par le Fonds de Garantie pour le logement social (WSW, pour l’abréviation néerlandaise) et ont la possibilité d’acquérir des terrains municipaux à des prix réduits, à condition de s’en servir pour construire des logements sociaux.
14À l’origine, le WSW, créé dans les années 1980, devait garantir les prêts destinés à l’amélioration du parc et, par la suite, tous les prêts destinés aux logements sociaux. Ce fonds de garantie est alimenté par les organismes eux-mêmes et soutenu par le gouvernement qui lui a attribué une notation « triple A »3. Le WSW garantit les emprunts des Woningcorporaties, leur permettant ainsi d’accéder au marché des capitaux dans de bonnes conditions (taux d’intérêt modérés).
Indépendance financière des organismes et fin des aides à la pierre
15Après plusieurs années de déréglementation du secteur social locatif, les Woningcorporaties ont finalement obtenu leur indépendance financière en 1995 grâce à l’opération dite de « consolidation et équilibrage » (brutering en néerlandais). Le gouvernement a effacé toutes les dettes en cours du secteur en même temps qu’il a supprimé ses subventions. Désormais, les organismes ne perçoivent plus d’aides de l’État, mais se financent par les loyers et les ventes de logements, et pratiquent une gestion financière prudente (Elsinga et al., 2008).
16Malgré leur totale indépendance financière depuis 1995, les bailleurs sociaux doivent toujours obtenir un agrément, conformément aux termes de la loi sur le logement de 1901 toujours en vigueur. En même temps, le gouvernement a libéralisé les loyers du secteur social, autorisant les bailleurs sociaux à les augmenter dans certaines limites fixées par le gouvernement (un plafond s’applique à chaque organisme ; l’augmentation est modulable pour chaque catégorie de loyer). Depuis 2001, bailleurs à but non lucratif et bailleurs commerciaux ne sont plus traités de la même façon. Le gouvernement limite la hausse de loyer par logement pour les deux secteurs, mais impose en outre aux seuls organismes du secteur social une hausse moyenne maximale.
Les bailleurs sociaux
17Actuellement, il existe environ 500 Woningcorporaties, alors qu’on en dénombrait encore 860 il y a dix ans, et plus de 1 000 en 1990. Leur nombre a diminué à mesure que s’effectuaient des fusions (principalement justifiées par des raisons d’efficacité et d’économies d’échelle). Ces chiffres prennent en compte les bailleurs municipaux. Ces derniers sont passés de 213 en 1990, à 23 à peine en 2000, et à une poignée aujourd’hui, et sont tous situés dans de petites villes. Mais concentration oblige, tandis que le nombre d’organismes diminue, celui des logements possédés augmente. À l’heure actuelle, un bailleur possède en moyenne 4 500 logements, mais les plus grands en possèdent entre 50 000 et 80 000, dispersés sur plusieurs régions et municipalités.
18Les Woningcorporaties sont contrôlés par le ministère du Logement. Elles sont dans l’obligation de signer des accords de résultats avec la collectivité locale du lieu où elles exercent leur activité, et doivent prendre en charge le développement du parc immobilier, la qualité de vie dans les quartiers. Ce sont elles qui fixent les règles d’attribution : qui obtient quel logement, et quels sont les critères de priorité. Cependant, en pratique, la plupart des Woningcorporaties n’ont jamais signé d’accord officiel avec les municipalités.
LE PEUPLEMENT DES LOGEMENTS SOCIAUX
19Les tableaux 3 et 4 retracent les grandes caractéristiques des locataires du secteur social. Comparés à la moyenne des ménages, les résidents du secteur social présentent les caractéristiques suivantes :
- ils sont plus âgés ;
- ils forment des ménages de plus petite taille ;
- ils disposent de revenus inférieurs ;
- ils sont plus souvent dépendants des allocations chômage ;
- un peu plus d’un tiers sont d’origine étrangère ;
- ils habitent des maisons plus petites.
20Aux Pays-Bas, la mixité sociale est largement répandue dans les quartiers, même si la classe moyenne inférieure prédomine souvent dans les zones où l’on trouve beaucoup de logements sociaux. Contrairement à d’autres pays occidentaux, il n’y a aucun déshonneur à vivre dans un logement social. De nombreux Néerlandais vivent à un moment ou à un autre de leur cursus résidentiel dans un logement social.
21Les ménages étrangers occupent environ 34 % du secteur social locatif, alors qu’ils ne sont que 25 % dans l’ensemble du parc (on définit un non-néerlandais comme une personne née à l’étranger ou une personne dont un parent, voire les deux, est né à l’étranger. Environ la moitié des ménages non-néerlandais provient de pays occidentaux et l’autre moitié de pays non occidentaux).
22Le tableau 5 montre que les ménages non-néerlandais, et particulièrement ceux qui ne viennent pas de pays occidentaux, sont plus susceptibles de vivre dans le secteur locatif social que les autres. Le tableau 6 montre cependant que ceci est moins vrai à partir de la deuxième génération.
23Le tableau 7 montre que la plupart des locataires du logement social, tout comme ceux des autres secteurs, sont satisfaits de leur habitation et de son environnement, et ne prévoient pas de déménager. Environ 8 % de l’ensemble des ménages et 12 % des locataires sociaux ne sont pas satisfaits du quartier où ils habitent. Les plaintes à propos de la sécurité et du vandalisme sont cependant plus répandues dans le secteur social.
ÉVOLUTION DES STATUTS D’OCCUPATION ET DES BESOINS
24L’accession à la propriété ne cesse de progresser depuis la Seconde Guerre mondiale et depuis 1997, les propriétaires-occupants sont devenus majoritaires. Le prix des maisons a considérablement augmenté au cours des vingt dernières années, ce qui a entraîné un problème d’accessibilité, en particulier pour les primo-accédants. Pallier l’écart entre le secteur locatif et celui de l’accession à la propriété est devenu l’une des principales priorités des responsables politiques, y compris de la ministre du logement. En juin 2006, elle a fait une proposition appelée « Vision du Marché Immobilier » qui comprenait la mise en place de prêts subventionnés pour les primo-accédants (Dekker, 2006).
COMPARAISON DES LOYERS DANS LES SECTEURS SOCIAL ET PRIVÉ
25En principe, les bailleurs sociaux néerlandais ne reçoivent plus aucune aide directe de l’État depuis 1995. Les loyers du secteur social sont inférieurs à ceux du secteur privé, mais comme ils sont tous deux contrôlés, il est difficile de mesurer l’écart entre les loyers des logements sociaux et ceux qui sont soumis aux règles du marché.
26L’encadrement des loyers date de la Seconde Guerre mondiale. Depuis qu’il a introduit l’allocation logement en 1975, le gouvernement autorise une hausse modérée des loyers afin que ceux-ci rejoignent les prix du marché. Toutefois, 95 % des loyers de l’ensemble du parc locatif restent encadrés (le plafond est fixé à 615 € par mois). Le gouvernement fixe un pourcentage annuel maximum d’augmentation des loyers pour les contrats en cours, ainsi qu’un niveau de loyer maximum pour les nouvelles locations. En 2002, le loyer moyen était de 365 €, tandis que le loyer maximum atteignait 508 €, ce qui laisse penser que le système permettait largement les hausses de loyer.
27Si l’on distingue les deux secteurs, en 2002 le loyer moyen du secteur social se situait à 353 € par mois, alors que celui du secteur privé était de 416 €.
28Environ 44 % des logements du parc social relèvent de la catégorie des loyers bon marché (jusqu’à 337 €) et 4 % de celle des loyers élevés (au-dessus de 541 €). Dans le secteur locatif privé, 36 % des logements sont bon marché et 21 % sont chers.
VERS UN LOGEMENT MOINS SOCIAL
La libéralisation des loyers
29Bien que le gouvernement, les bailleurs sociaux et les propriétaires privés se soient entendus sur une libéralisation des loyers, les organisations de locataires et les partis politiques de gauche représentés au Parlement s’y opposèrent fortement. Ils acceptèrent un compromis qui stipulait que si la pénurie de logement était en partie résorbée d’ici 2008, 25 % des loyers du secteur locatif ne seraient plus réglementés. En décembre 2006, la chambre haute rejeta l’intégralité de ce programme.
30Le gouvernement a néanmoins assoupli la réglementation en autorisant des augmentations annuelles plus fortes que prévu des loyers, ce qui a généré une hausse considérable des revenus locatifs pour les bailleurs (sociaux et privés), et une augmentation sensible du coût des aides personnelles pour le budget de l’État. Le gouvernement a proposé que les organismes compensent cette augmentation : à la mi-novembre 2006, la proposition avait été adoptée par la chambre basse du Parlement néerlandais et se trouvait entre les mains de la chambre haute. Finalement, la proposition a été rejetée par le parlement en décembre 2006 et en février 2007, la politique des loyers fut l’un des enjeux de la négociation lors de la formation du nouveau gouvernement de coalition « Balkenende IV » (entre chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates et parti de l’Union chrétienne). Finalement, au vu de l’inflation des loyers observée pendant les quatre années de l’ancien gouvernement, le nouveau gouvernement a retiré de son agenda politique la question de la libéralisation des loyers. Mais d’autres questions restent en débat.
LES DÉBATS EN COURS AUX PAYS-BAS : UNE MISE EN PERSPECTIVE
31Le modèle néerlandais comporte des avantages évidents. Il a permis d’alléger la charge budgétaire que représente le logement dans le budget de l’État. Le logement social est décentralisé. Les Woningcorporaties peuvent se concentrer sur des projets prioritaires au niveau local, et sont en mesure de développer leur propre politique car ils disposent, en général, d’une bonne situation financière.
Une aisance financière
32Pour l’heure, la prospérité financière des bailleurs sociaux est au centre des débats politiques, le principal problème étant de savoir si ceux qui disposent d’importants capitaux font ce qu’il faut pour justifier leur pouvoir financier. La question récurrente, bien que connexe, est de savoir qui détient réellement les actifs des Woningcorporaties : les bailleurs eux-mêmes ou bien le gouvernement ? L’amendement du BBSH et les nombreuses questions soulevées par l’avenir du secteur locatif social ont suscité diverses études et rapports consultatifs, comme celui du Conseil scientifique pour la politique du gouvernement (WRR, dans l’abréviation néerlandaise) ou celui du Conseil économique et social (SER, dans l’abréviation néerlandaise)4.
33Dans sa réponse, en décembre 2005, la ministre a choisi d’insister sur l’autoréglementation. Elle a encouragé le secteur social à améliorer le contrôle interne afin d’assurer et de stabiliser l’efficacité des organismes de logement social. Le document annonce également que les Woningcorporaties devront désormais passer des accords explicites avec les localités et réinvestir leurs surplus dans l’immobilier plutôt que d’accumuler d’importantes réserves.
Vers de nouvelles missions
34Les fonds contrôlés par les bailleurs sociaux font des envieux. Grâce à une gestion prudente, de faibles taux d’intérêt et une hausse constante des prix du foncier, leur situation financière s’est améliorée au cours des dix dernières années. Tous les partis politiques, quels qu’ils soient, voudraient faire main basse sur ces fonds. Cependant, Aedes, l’organisation qui chapeaute les Woningcorporaties, affirme que ces sommes sont largement fictives, la plupart des ressources étant bloquées dans les biens immobiliers eux-mêmes.
35Les responsables politiques ont proposé de se saisir tout simplement d’une partie de la fortune des bailleurs sociaux, ou bien d’étendre leurs missions en les obligeant, par exemple, à participer au budget national d’aide au logement. Parmi les autres nouvelles missions susceptibles d’être assignées aux organismes de logement social figure la prise en charge de l’environnement autour des résidences, ou le fait de procurer des logements à des groupes autres que leurs « clients traditionnels » (qui vont des sans-abris, des handicapés, des personnes âgées et des étudiants aux groupes de personnes à revenus plus élevés), et de fournir des équipements du type écoles et commerces.
36Certaines Woningcorporaties offrent, en effet, des services supplémentaires comme des assurances, des aides au déménagement ou des rabais dans les magasins. Au niveau du quartier, elles fournissent souvent des terrains de jeux pour les enfants, une surveillance du quartier, un entretien de l’environnement et des centres de quartier, en particulier dans les endroits où les autorités locales ne peuvent ou ne veulent rien faire. Les organismes considèrent ces investissements comme une façon d’améliorer la qualité de vie dans leurs quartiers tout en maintenant la valeur de leur patrimoine.
Le contrôle des opérations de rénovation urbaine
37L’un des principaux défis des prochaines années est la rénovation du parc immobilier, dont la majeure partie date de l’après-guerre. Selon l’état et l’ancienneté des logements, on peut le réhabiliter, l’agrandir, le démolir et le reconstruire, ou le revaloriser. Toutes ces options sont coûteuses, au moins sur le court terme. De fait, les programmes de réaménagement des zones urbaines sont situés pour la plupart dans des endroits où les logements sociaux sont prédominants. La politique gouvernementale vise à accroître la mixité des statuts, à donner aux locataires la possibilité d’acheter une maison dans leur quartier, ou encore à attirer de nouveaux venus.
38Ces dix dernières années, les collectivités locales et les bailleurs sociaux ont débattu de la question de savoir qui devrait instaurer et contrôler les programmes de réaménagement des zones urbaines. Jusqu’aux années 1970, c’est le gouvernement central qui dirigeait les opérations. En 1989, le rôle du gouvernement central fut limité au renouvellement du parc ancien. Le Livre blanc de l’immobilier (« nota Herma ») a signifié une nouvelle approche du logement social et du rôle du gouvernement. Il proposait que le gouvernement central se retire et délègue le pouvoir aux autorités locales, aux Woningcorporaties et autres acteurs. De fait, il s’agit d’une étape importante vers l’indépendance des Woningcorporaties. Désormais, les aides gouvernementales pour le réaménagement des zones urbaines devraient être réservées à un nombre limité de logements du parc immobilier ancien datant d’avant-guerre et qui ont été négligés durant les décennies suivantes. La rénovation des autres habitations serait entièrement du ressort du propriétaire, autrement dit, dans le cas du logement social, des Woningcorporaties.
39En 1997, une nouvelle politique fut mise en place (avec le Livre blanc du réaménagement des zones urbaines). Celle-ci visait à transformer les zones les moins attrayantes et composées principalement de logements sociaux datant des années 1950 et 1960. Les municipalités les plus importantes ont obtenu des fonds, mais il revenait aux Woningcorporaties d’assurer pour l’essentiel la mise en œuvre de la rénovation. Par la suite, en réalité, les Woningcorporaties, en tant que plus gros propriétaires, en sont venues à diriger le processus (Wassenberg, 2009). Ceci reflète le fait que les collectivités locales ne peuvent satisfaire la demande de logement car elles n’ont pas les moyens d’investir suffisamment, mais témoigne aussi clairement de la montée en puissance des organismes privés depuis le début des années 1990.
La réglementation de l’UE
40Selon les règlements de l’Union européenne, le logement est un service d’intérêt économique général (SIEG) auquel les États membres sont autorisés à fournir un soutien financier. Mais comme de nombreux néerlandais, l’UE pense qu’il n’est pas opportun de considérer toutes les activités des Woningcorporaties comme relevant des SIEG.
41En décembre 2005, la ministre du Logement a proposé de clarifier la définition des SIEG aux Pays-Bas. Elle a suggéré que les ménages dont les revenus sont inférieurs à 33 000 € (2005) deviennent le groupe cible des logements sociaux. Cela représente 2 millions de personnes, soit environ 30 % des ménages aux Pays-Bas. Afin que le logement social néerlandais corresponde aux normes européennes, elle a proposé que les Woningcorporaties distinguent les offres de logement destinées au groupe cible des activités pour lesquelles elles sont soumises à la libre concurrence, ce qui permettrait de s’assurer qu’elles ne reçoivent pas d’aides de l’État pour ce deuxième type d’activités. Cette division entre les missions est censée garantir qu’il n’y aura pas de subventions croisées. Concrètement, cela signifie que seront considérées comme répondant à une fonction « sociale » :
- la construction, la location, l’entretien, la rénovation et la vente de logements à loyers réglementés ;
- l’amélioration de la qualité de l’environnement, pour autant qu’elle est liée à la propriété d’habitations à loyers réglementés ;
- la construction, la location et l’entretien des propriétés sociales.
42Par contre, sont considérées comme étant soumises à la libre concurrence :
- la construction, la location, l’entretien, la rénovation et la vente de logements à loyers non-réglementés ;
- l’amélioration de la qualité de l’environnement, tant qu’elle reste liée à la propriété de logements à loyers non-réglementés, ou dans le cas de la propriété d’un tiers ;
- la construction, la location et l’entretien d’une propriété à but commercial ;
- la construction et la vente d’habitations pour l’accession à la propriété ;
- les activités en direction de personnes autres que les associations de locataires du parc social, comme l’entretien effectué pour le compte des associations de propriétaires.
43La ministre souhaiterait que la séparation entre les activités sociales et commerciales des bailleurs sociaux soit d’ordre légal et non administratif. Il s’agit de garantir que les subventions accordées au logement social ne puissent être utilisées pour financer des activités commerciales, même si des transferts en sens inverse sont autorisés. L’organisme social « mère » est censé agir comme un actionnaire de l’entité commerciale.
L’égalité de traitement des propriétaires sociaux et privés
44La ministre du logement a proposé, s’agissant des logements « commerciaux », de créer les conditions pour que les Woningcorporaties et les autres organismes luttent à armes égales. Les Woningcorporaties ne pourraient bénéficier des aides du Fonds central pour le logement (CFV)5 et des garanties du Fonds de garantie pour le logement social (WSW)6 que pour les prêts liés à leurs obligations sociales. Et les activités commerciales des Woningcorporaties seraient soumises à l’impôt sur le revenu (Dekker, 2005). Le gouvernement devrait prendre prochainement une décision concernant ces propositions.
OFFRIR À LA VENTE OU À LA LOCATION ?
Les statuts d’occupation intermédiaires
45En 2004, les Woningcorporaties ont vendu environ 17 500 habitations, dont 15 100 à des ménages souhaitant accéder à la propriété. Les ventes annuelles s’élèvent à environ 0,5 % de l’ensemble du parc immobilier, ce qui équivaut à peu près à la nouvelle production annuelle des logements sociaux. La plupart des maisons sont vendues au prix du marché, ou avec un léger rabais (5 à 10 %). Néanmoins, quelques habitations sont vendues dans le cadre de ce que l’on pourrait appeler l’accession sociale à la propriété. La vente des logements est alors réalisée avec un rabais de 25 à 30 %, sous un nouveau statut d’occupation intermédiaire connu sous le nom de propriété « ajustée ». En contrepartie du rabais consenti, l’acheteur doit partager toute hausse (ou baisse) future de prix à parts égales avec le bailleur social. Le bien ne peut être revendu sur le marché libre, mais doit obligatoirement être revendu au bailleur social (Elsinga, 2005). Mais bien qu’il existe divers programmes locaux, ceux-ci n’ont permis de vendre que quelques milliers de logements jusqu’à présent.
46Le Livre blanc de 1989 signalait pour la première fois le problème des mauvaises affectations (des groupes aux revenus élevés vivant dans des logements sociaux). Ceci a constitué une étape essentielle vers la désignation des groupes à faibles revenus comme cible du secteur locatif social. Ce livre blanc introduisait aussi l’idée que la vente des logements sociaux était une activité normale des organismes. Enfin, il recommandait de leur transférer la propriété des logements municipaux. Depuis les années 1990, ils possèdent d’ailleurs la quasi-totalité des logements sociaux aux Pays-Bas.
47Le programme « Choix du Client », lancé en 2000 par une Woningcorporatie, est une autre initiative en faveur d’un statut d’occupation intermédiaire. On offre au client immobilier le choix de louer, d’être propriétaire occupant ou de bénéficier d’autres statuts d’occupation. Ce programme s’appelle Te Woon, littéralement « pour y vivre » en néerlandais. À l’heure actuelle, 12 Woningcorporaties y participent (Gruis et al., 2005).
Accession sociale à la propriété
48Aux Pays-Bas, le terme « logement social » renvoie généralement au secteur locatif. Cependant, il existe aussi un système d’accession sociale à la propriété (souvent réservée aux primo-accédants). Ces mesures ont la faveur des principaux partis politiques du centre et de gauche, qui y voient un moyen de réduire l’écart entre une location sociale bon marché et une accession à la propriété devenue prohibitive. Les promoteurs sont les bailleurs sociaux ou des investisseurs privés, pour lesquels ces habitations font parfois partie d’un programme qui comprend également des logements vendus aux prix du marché. Les prix de vente sont réduits car les collectivités locales proposent le terrain à des prix inférieurs à ceux du marché. Parfois, le contrat de vente comporte des clauses restrictives de revente afin d’éviter les spéculations, mais les nombreuses exceptions en ont rendu l’application difficile. L’exception néerlandaise perdure ainsi, en explorant aujourd’hui de nouvelles voies, vers lesquelles pourraient sans doute converger d’autres pays.
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Notes de bas de page
1 Il existe aussi des logements municipaux, très peu nombreux.
2 C’est-à-dire d’obligation de vendre (NdT).
3 La note « triple A » (ou « AAA ») est la meilleure que puisse obtenir un organisme ou un titre financier auprès des agences de notation comme Standard & Poor’s ou Moody’s.
4 Voir WRR, 2004, SER, 2005, CONJIN et al., Commissie de Boer, 2005.
5 Le Fonds central pour le logement (CFV) assure un contrôle financier au nom du ministre du logement et peut restructurer les organismes fragiles financièrement.
6 Le Fonds de garantie pour le logement social (WSW) garantit des prêts consentis à des taux d’intérêts faibles.
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