Les missionnaires, la question politique et les identités migrantes dans le Minnesota du milieu du xixe siècle
p. 205-215
Texte intégral
1L’histoire des migrations et l’histoire des missions sont encore deux champs trop souvent hermétiques l’un à l’autre, alors même que les missionnaires sont bien des hommes et des femmes qui choisissent de quitter leur pays pour exercer leurs fonctions outre-mer et s’y installer pour longtemps, fréquemment de manière définitive1. Dans le même temps l’historiographie américaine oublie encore trop souvent l’histoire catholique des États-Unis. La raison en est sans doute à trouver dans ce que dirait justement cette histoire si elle était pleinement intégrée et non laissée à l’institution ecclésiastique elle-même : d’abord que les États-Unis furent une colonie bien plus longtemps qu’ils ne le pensent, que l’Ouest américain fut terre de mission catholique et que l’ensemble du pays fut géré comme tel par Rome jusqu’au début du XXe siècle ; ensuite que l’histoire américaine ne peut donc être dissociée de l’histoire européenne, car l’Église a Rome à sa tête, et au XIXe siècle le clergé est européen – dans l’Ouest, français – et les fidèles souvent eux-mêmes des migrants européens de fraîche date2. C’est dans ce double manque – d’une histoire des migrations missionnaires et d’une histoire catholique de l’Ouest – que s’insère cette recherche. Le rapport au politique, si l’on accepte ce cadre théorique rapide, devient alors un problème aigu. En fait, à beaucoup d’égards, la situation de l’Ouest américain au XIXe siècle est alors très classique dans l’histoire missionnaire : il s’agit de la rencontre entre d’un côté un universalisme – le catholicisme –, une Église qui se veut supranationale – Rome ne cesse de rappeler qu’il faut déconnecter la conquête des âmes de la conquête des terres – et de l’autre un État colonial qui tente d’imposer sa propre logique politique, territorialisée et nationalisante. On assiste donc à un jeu entre des missionnaires européens (en grande majorité français) – et plus rarement canadiens – des Indiens soucieux de la défense de leur monde, des migrants venus de pays d’Europe qui ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des prêtres, et des administrateurs anglo-américains dont l’objectif est bien la création d’un ordre politique national.
2Cette rencontre va s’effectuer selon des modalités d’une grande diversité selon les situations et les acteurs locaux. J’évoquerai ici rapidement, à partir de la situation du Minnesota au milieu du XIXe siècle3, trois grands problèmes posés par cette histoire. D’abord la relation au territoire puisque les logiques de l’État et celle de l’Église en matière de gestion de l’espace ne sont pas identiques. Ensuite la collaboration entre l’Église et l’État dans la cogestion des missions indiennes, et enfin la gestion par les missionnaires des croisements entre identités civiques, ethniques et religieuses.
TERRITOIRE POLITIQUE ET TERRITOIRE ECCLÉSIASTIQUE
3Église et État sont deux institutions qui ont leurs logiques spatiales propres. L’État s’inscrit en effet sur un territoire dit national, qu’il enclôt de frontières qu’il doit contrôler. Le XIXe siècle voit dans l’Ouest la création de ces frontières et la volonté de rendre « national » ce qui est compris à l’intérieur du nouvel espace civique. Il s’agit d’imposer une conception contraignante, politique, de l’espace. L’Église, elle, se veut universelle, au-dessus des logiques nationales. Bien sûr il s’agit là d’une théorie qui, dans l’histoire des colonisations, est remise en cause à de nombreuses reprises. Mais elle suscite des tensions, tant à l’intérieur de l’Église entre les partisans d’une séparation stricte entre les deux domaines et ceux qui conçoivent naturellement le développement d’une Église dans le cadre national, qu’entre les représentants de l’Église et le pouvoir politique lorsque les deux s’opposent sur la définition des frontières4.
4Sur les confins canadiens du Minnesota le problème se pose de la concordance entre ce que l’État impose comme frontière et ce que l’Église construit localement. La raison en est simple : la construction de ses frontières par l’État américain ne fait que se surimposer à des colonisations qui le précèdent et donc à des formes de peuplement qu’il ne crée pas et ne maîtrise pas plus, du moins dans les premières années. Ainsi les Métis installés sur la rivière Rouge se trouvent pour partie aux États-Unis parce que la dite rivière y prend sa source mais l’origine du peuplement se situe du côté canadien de la frontière : l’ethnogénèse métisse est parallèle à la construction nationale américaine5. Or, les Métis sont catholiques. L’Église, qui veut prendre en charge ces populations, doit faire face elle-même à un enjeu politique, la définition de la frontière. Jusqu’aux années 1850, ses acteurs locaux jouent avec cette limite d’État tout en la subvertissant parfois.
5Les catholiques de la région de Pembina, sur la rivière Rouge, sont issus d’un double peuplement septentrional : celui des Métis, groupe apparu lentement au XVIIIe siècle et qui prend conscience de lui-même au début du XIXe siècle, et celui des familles de la colonie de Lord Selkirk fondée en 1811 sur les terres de la Compagnie de la baie d’Hudson. Il s’agit en fait du foyer le plus au sud d’une colonisation britannique. Mais la frontière étant longtemps indécise entre États-Unis et possessions britanniques, la géographie ecclésiastique était demeurée celle du peuplement : lorsqu’en 1818 un premier prêtre est placé à demeure à Pembina, il dépend du diocèse de Saint-Boniface. Mais dès 1823 le poste est laissé sans desservant, car de Saint-Boniface on considère dorénavant qu’une fois la frontière plus fermement établie on ne peut maintenir le lien avec Pembina, c’est-à-dire qu’il ne pourrait exister de diocèse transnational. La logique politique l’emporte en apparence. Mais Pembina devient alors curieusement une périphérie extrême du catholicisme américain.
6Ce n’est donc qu’en 1848 que Georges Belcourt est chargé de nouveau de l’encadrement des fidèles de la région. Il est lui-même Canadien et depuis 17 ans en poste à La Rivière-Rouge, mais sa nouvelle mission est située dans le diocèse de Dubuque puis en 1849 dans le nouveau diocèse de Saint-Paul, dont le premier évêque, Joseph Crétin, ne s’installe qu’en 1851. Or, Crétin semble considérer que la connexion canadienne doit demeurer primordiale à Pembina. Lui-même s’attelle autour de Saint-Paul à créer un diocèse ancré dans le contexte d’une colonisation de peuplement au développement vigoureux mais géographiquement encore très limité, et au final rejette implicitement Pembina hors de son diocèse et hors des États-Unis en voulant lier fortement ces deux derniers éléments. L’évêque, qui est voyageur comme le suppose sa fonction, ne pousse jamais jusqu’à visiter Pembina. Il n’entretient pas de relation très suivie avec son missionnaire sur place, qui ne fait pas partie de ses réseaux personnels tournés vers Dubuque. Belcourt en est très conscient mais sa situation administrative lui interdit de réclamer de l’aide à Saint-Boniface. Il descend jusque Saint-Paul, mais n’obtient guère satisfaction, même si les querelles de personnes y sont sans doute pour quelque chose, comme lorsqu’il semble refuser que Crétin lui envoie un autre prêtre, Jean Fayolle6. Et ce n’est qu’à l’été 1857, quelques mois après le décès de Crétin, qu’il manifeste son amertume à Mathias Loras, évêque de Dubuque, et à l’Œuvre de la Propagation de la Foi qui depuis Lyon organise le financement européen du catholicisme américain. Au premier, il indique :
« Vous savez que le prêtre le plus près de moi en est éloigné de 40 lieues et appartient à un diocèse étranger, tandis que je suis à 200 lieues du premier prêtre de mon diocèse7.»
7À la seconde, il précise :
« Mes missions sont incluses dans le diocèse de Saint-Paul dont je suis séparé par un désert de 200 lieues. Monseigneur Crétin, qui est décédé en février dernier, n’avait pu venir visiter ces parties de son diocèse, et tous les secours qu’il recevait de la Propagation de la Foi, se trouvaient absorbés avant d’arriver jusqu’à moi8.»
8Il s’est trouvé donc durant presque une décennie dans une situation intenable, prisonnier d’une logique politique à laquelle l’Église avait choisi de s’intégrer : il existait un foyer catholique proche, mais politiquement hors d’atteinte, et il fallait accepter de demeurer en marge. Les choses semblent évoluer lorsque effectivement Lyon répond à son appel. Un missionnaire français venu de l’Ain (département d’origine de Crétin qui y avait de solides réseaux), Joseph Goiffon, est envoyé à Pembina en août 1858, après un séjour de quelques mois autour de Saint-Paul qui lui permet de nouer des liens avec le centre du diocèse.
9Pourtant la nomination d’un nouvel évêque renverse la situation. Mgr Grace, durant l’été de 1861, entreprend, lui, une visite du nord de son diocèse9. De Pembina, il se rend à Saint-Boniface, au Canada, et sa conclusion est immédiate. Dès son retour, la mission de Pembina est confiée aux Oblats de Marie-Immaculée, la congrégation dont le champ est en fait l’Ouest et le Nord canadiens depuis 184510. Jusqu’en 1877 et le retour au giron diocésain, Pembina, territoire américain, est en quelque sorte, d’un point de vue ecclésiastique, binational : rattaché en théorie au diocèse de Saint-Paul, il est dans les faits géré depuis Saint-Boniface. La logique culturelle l’a emporté un temps sur la logique politique, à une époque où cela était encore possible. Au cœur du diocèse de Saint-Paul, par contre, il a toujours été question de construire l’Église catholique sans nier le cadre américain. Il fallait à l’inverse composer avec lui.
UNE DÉLICATE COGESTION DES AFFAIRES INDIENNES
10La gestion de certains aspects de la vie des réserves indiennes par les Églises n’attend pas la Peace Policy de Grant. Le cas de la réserve des Ho-Chunks (appelés alors Winnebago) dans le Minnesota de la première moitié des années 1850 l’illustre parfaitement. Là, l’Église s’est trouvée impliquée au plus près dans les affaires politiques locales, tant la gestion d’une réserve est un enjeu partisan brûlant.
11Les Ho-Chunks, originaires de l’actuel Wisconsin, ont été déplacés une première fois en 1832 au-delà du Mississippi, à cheval sur l’Iowa et le sud du Minnesota. En 1846, un nouveau traité les envoie très au nord vers la nouvelle réserve de Long Prairie, qui forme un triangle au centre du Minnesota. Ils ne s’y installeront qu’à partir de deux ans plus tard, et encore une large partie de la tribu continuera à vivre hors de la dite réserve tandis que ceux qui auront accepté de s’y installer n’auront de cesse de réclamer une nouvelle localisation plus au sud et surtout plus près de la Prairie et non dans les espaces exclusivement forestiers11. Lorsque Joseph Crétin s’installe sur le siège de Saint-Paul au début de l’année 1851, il sait que sa mission est double : encadrer les populations de colons, et convertir les « Sauvages ». Les Dakotas sont depuis plus de quinze ans travaillés par les missions protestantes et la tentative d’implantation catholique en leur sein au début des années 1840 avait échoué. Les Anishinaabe (nommés à l’époque Chippewas) sont tournés vers le lac Supérieur et seront pris en charge en 1852 par le père Francis Pierz, issu du réseau slovène des Grands Lacs initié par l’évêque de Mgr Frederic Baraga, évêque de Marquette. Restaient les Ho-Chunks fraîchement arrivés et auprès desquels Crétin avait œuvré dans le diocèse de Dubuque au début des années 1840. Fin 1851, le chanoine Francesco de Vivaldi a ouvert une école et est accompagné de quelques sœurs de Saint-Joseph venues de Saint-Louis.
12Vivaldi, enthousiaste, ne cessera de communiquer à l’œuvre de la Propagation de la Foi comme à d’autres correspondants français sur le succès de sa mission, de son œuvre d’évangélisation. Rarement dans ce type de correspondance peut-on rencontrer de problèmes politiques. Et pourtant la politique est au cœur de la mission de Long Prairie. Très tôt en effet tous les acteurs se plaignent. Crétin proteste que l’argent que lui doit le gouvernement pour l’entretien de l’école ne lui arrive pas ; l’agent indien en charge des Ho-Chunks Fridley, s’exprime peu mais freine tous les efforts du clergé catholique ; l’ancien superintendant des écoles des Ho-Chunks, A. T. C. Pierson, porte en haut lieu la question de son évincement. C’est qu’en fait le dit agent Fridley n’est en poste que depuis la fin de 1850 et l’installation de Millard Fillmore à la présidence. Alors que Fletcher, un démocrate, avait conservé son poste sous l’administration whig de Polk, il le perd alors très vite et Fillmore installe un de ses fidèles. L’agence est donc tenue par un Whig. L’école aussi car dans le même temps le nouveau superintendant aux Affaires indiennes, Luke Lea, avait nommé Pierson à sa tête. Mais Lea comme Fridley sont en fait « doublés » par les démocrates locaux. Pierson, qui, en 1854, s’adresse à l’ex-président Fillmore, est très clair dans ses reproches : il y a eu un marché entre les élus démocrates du Minnesota et Mgr Crétin, sous la forme de pressions pour l’attribution de l’école des Ho-Chunks contre un appui de l’Église aux démocrates lors des élections suivantes12. On pourrait ne voir là que l’amertume du vaincu si ce type de pratique n’était pas coutumier dans les affaires indiennes et si l’on ne disposait pas d’une lettre d’Henry Sibley, le plus influent des démocrates du Territoire et son représentant au Congrès13, à Luke Lea, le 24 février 1852. Il y dévoile que c’est par son intermédiaire que Crétin s’adressait à Lea, et que lui-même mettait tout son poids dans la balance et appuyant le principal argument de l’évêque, à savoir l’égalité de traitement des différents cultes : si les protestants recevaient des fonds pour les Sioux, il fallait qu’il en soit de même pour les catholiques en charge des Ho-Chunks14.
13L’alliance locale avec les démocrates se révèle somme toute peu payante. Les sommes promises ne sont toujours pas au rendez-vous. Crétin renégocie alors les conditions d’exercice de la mission avec le gouverneur Alexander Ramsey, qui est aussi le superintendant des Affaires indiennes du Territoire. Le 1er janvier 1853 un contrat est signé qui stipule que les catholiques géreront l’école durant 5 ans à moins que les autorités en décident autrement à leur convenance, qu’ils doivent y enseigner en anglais la lecture, l’écriture, l’arithmétique et la géographie auxquels s’ajoutent pour les garçons l’agriculture et les arts mécaniques et pour les filles les tâches ménagères. L’État fournit les bâtiments et les équipements et paie les services des enseignants et enseignantes15. Mais Ramsey, dans une lettre à Lea où il lui rapporte la teneur du contrat, se réjouit d’avoir obtenu que Crétin accepte de recevoir « la somme la plus basse pour laquelle le service peut être rendu16 », insiste sur les mauvais résultats récents et sur la possibilité qu’il a d’annuler l’arrangement17. L’ensemble est très contrôlé en théorie, le responsable de l’école devant fournir un rapport mensuel sur le nombre d’élèves, et on suppose que c’est sur ce critère que se joue l’essentiel, Ramsey et Fridley surveillant la popularité de l’école et en tirant prétexte pour la menacer.
14Pourtant ils n’en auront pas le loisir. La nouvelle administration présidentielle est démocrate, et l’effet est immédiat : Fridley est remplacé par son prédécesseur Fletcher, et Ramsey par Willis Gorman. Ce dernier est catholique et entretien d’excellents rapports avec l’évêque. Mais Fletcher ne semble en fait guère mieux disposé que Fridley. Les retards de paiement s’accumulent18, Fletcher chicane sur les modalités d’application du contrat. Pourtant lorsqu’en 1855 les Indiens se voient contraints de rejoindre leur nouvelle réserve de Blue Earth, dans le sud du territoire, Vivaldi et les sœurs les suivent, tandis que Crétin, Fletcher et Gorman concluent à la nécessité d’un second contrat, le premier stipulant que tout déplacement de la tribu annulait tous les accords passés avec l’Église. Au travers les difficultés, la mission semble devoir durer.
15Néanmoins, rapidement, l’entreprise est stoppée. La faute en revient à son animateur, Vivaldi, et à la manière qu’a eu Crétin de vouloir gérer le problème en interne. L’évêque avait en effet depuis longtemps des difficultés avec Vivaldi, personnalité hors normes, souvent fantasque et excessive. Il était évident depuis longtemps que la mission se trouvait en péril par sa faute, notamment du fait de son goût pour la dépense mais aussi de sa faible réussite sur le terrain de l’évangélisation comme de ses projets de création d’ordre ou de ville, son souci de maintenir sa petite communauté – Indiens et sœurs – hors du monde, sous son seul contrôle. Crétin avait tenu, comme il est de coutume, à ce que ces problèmes ne sortent pas du cadre ecclésiastique, ce qui s’est révélé bien sûr impossible. Or, la crise fut d’autant plus rude qu’elle fut retardée longtemps. Le 21 janvier 1856, Fletcher envoie à Gorman un rapport sur la tenue de l’école de Blue Earth. Le constat est dramatique : peu d’élèves, qui sont éduqués en français et n’apprennent rien de ce qui était stipulé dans les contrats, des enseignants et des traducteurs incompétents, des Indiens montés contre leur agent, et bien sûr Vivaldi mis personnellement en cause19.
16Une fois que le politique intervient, Crétin doit s’incliner, car somme toute la gestion de la réserve n’appartient pas à l’Église. Rapidement l’évêque démet Vivaldi, en inventant auprès de Gorman de fallacieuses raisons de ne pas l’avoir fait plus tôt20, et le chanoine fuit sans régler ses dettes mais en prenant un avocat. L’affaire n’ira pas à son terme, Vivaldi disparaît pour ne réapparaître comme missionnaire de nouveau que 30 ans plus tard, en Argentine. Et la mission des Ho-Chunks tombe en déshérence : le père Augustin Ravoux, que Gorman et Fletcher souhaitaient mettre à sa tête, refuse, sans que l’on sache le rôle de Crétin dans ce dénouement.
17La cogestion des affaires indiennes, dans ce cas précis, fut donc un échec, le lien entre l’Église et l’État était encore à définir. D’autant plus que la fidélité de l’Église à la Nation demeurait problématique, ainsi qu’en témoignait le problème de l’usage des langues dans la mission.
QUELLE IDENTITÉ POUR L’ÉGLISE ?
18Le problème de l’intégration des catholiques au corps civique américain, à la nation américaine, est devenu une question classique de l’historiographie religieuse. Globalement, l’Église aurait tenté de bâtir une contre-société catholique, séparée mais érigée en modèle moral. Le peuple catholique aurait pu ainsi, de la naissance à la mort, demeurer au sein des institutions catholiques, que chaque évêque prend bien soin de construire dans son diocèse – écoles, sociétés de charitables, hôpitaux… –, sans risquer de rencontrer le protestantisme toujours perçu comme officiel21. À ce rapide schéma, il faut apporter trois compléments. D’abord, parce qu’il ne s’agit pas là d’une spécificité de l’Église américaine mais d’une réaction de l’ensemble du monde catholique au XIXe siècle, face à la sécularisation progressive du monde : renforcer l’encadrement, pour inventer un modèle utopique « à-côté » d’une société dont on réprouve les évolutions. Ensuite, parce que ce récit est nécessairement simplificateur : il existe des moments de tensions au sein de l’Église où un courant favorable à l’américanisation, c’est-à-dire à l’acceptation du monde, perce sans l’emporter définitivement : c’est le cas dans les premières années du XIXe siècle comme dans les dernières années avec la figure de l’archevêque de Saint-Paul, John Ireland22. Enfin, parce que sur le terrain, les relations entre les Églises et entre celles-ci et la Nation sont plus complexes qu’il n’y paraît.
19Ébauchons rapidement le cas du diocèse de Saint-Paul dans les années 1850. Joseph Crétin construit bien une société catholique, mais tente aussi de s’adapter au contexte, et ses efforts rencontrent parfois ceux des protestants, non sans tensions. Comme tous ses pairs, et ainsi que le prévoit la doctrine romaine, il veut dès son arrivé à la tête du diocèse créer un monde institutionnel propre. L’essentiel doit d’abord être l’école, pour ne pas perdre les enfants des migrants noyés dans la masse américaine. Il fait appel pour cela aux Sœurs de Saint-Joseph – installées à Saint-Louis –, pour les filles, et à deux de ses prêtres, pour les garçons – et à partir de 1854 à des Frères de la Sainte-Famille qu’il aura fait venir de Belley, mais qui échoueront et quitteront rapidement le diocèse. De même, la création de structures de soins s’impose, et un hôpital est lentement créé, tandis que plus tard naissent des confréries. Dans les faits pourtant il est très difficile de s’imposer, et les efforts épiscopaux ne permettent pas l’encadrement totalisant dont Crétin rêve. L’hôpital demeure longtemps un établissement mal perçu, vu comme dernier refuge des plus pauvres et non comme établissement de soins pour tous. Il relève alors davantage de la charité que de l’encadrement. L’école quant à elle ne peut recevoir qu’une très faible minorité des enfants des nombreux migrants catholiques, et de surcroît se heurte à un double problème. De manière globale les migrants catholiques ne cherchent pas de manière systématique une école confessionnelle, malgré les sermons du clergé, et font souvent confiance à un enseignement public pourtant au départ d’esprit très protestant. En outre, les Allemands catholiques refusent dans leur immense majorité de faire usage de l’école Sainte-Marie ouverte par les Sœurs de Saint-Joseph, car ils la jugent trop irlandaise et canadienne23. De même, en 1855, ils demandent une église séparée afin de constituer une paroisse nationale à Saint-Paul avec un board of trustees sous leur contrôle. Mgr Crétin accepte sans faire de difficultés, l’usage est alors courant depuis plus de vingt ans aux États-Unis d’accorder des paroisses nationales aux communautés allemandes24. Mais l’unité de l’Église est alors remise en question, l’identité catholique doit composer avec d’autres.
20Il est une des institutions mises en place par Crétin qui aurait pu, si elle avait fonctionné à la fois dans l’harmonie et dans la longue durée, contribuer à une pleine intégration des catholiques au mouvement politique d’ensemble : la société de tempérance. Dans les années 1840, certains évêques américains ont suivi l’impulsion donnée par le père irlandais Mathew en faveur d’un mouvement de tempérance catholique, plusieurs années après que les protestants ont inventé la cause. Cela n’allait pas sans difficulté, car il s’agissait en quelque sorte de partager une cause avec l’ennemi, de faire pression sur le politique, ce que l’Église s’était jusque-là refuser à faire, et d’aller à l’encontre de pratiques bien établies chez certains fidèles. Mais Mathias Loras, évêque de Dubuque dans les années 1840, se lance dans l’aventure. Or, en ces années, Saint-Paul, rattaché à ce diocèse, est touché par le mouvement ; Crétin, simple prêtre dans l’Iowa, applique les consignes de son évêque. À Saint-Paul comme à Saint-Pierre, dans ce qui deviendra le Minnesota, les pères Galtier et Ravoux, qui reçoivent leurs ordres de Dubuque, font, de même, signer des serments de tempérance, notamment aux soldats de Fort Snelling25. Fort logiquement, Crétin devenu évêque de Saint-Paul s’investit dans la tempérance.
21Les premiers efforts catholiques sont étouffés alors par l’éclosion à partir de 1849 de sociétés de tempérance protestantes – méthodistes d’abord. Il s’agit au départ pour elle d’une logique de conviction, proche de celle du serment que connaît l’Église catholique. Mais à l’automne 1851, la société de Saint-Antoine demande l’application de la Maine Liquor Law dans le Territoire et fait passer le mouvement sur le terrain politique. C’est à ce moment-là, en pleine effervescence, que les catholiques s’organisent, sans doute à l’initiative de l’évêque ou au moins sous son patronage. Début janvier 1852, une société catholique voit le jour, qui comprend 145 membres fondateurs, majoritairement des Canadiens, puis des Irlandais mais aucun Allemand, du fait davantage d’une difficulté d’intégration à une Église franco-irlandaise que par conviction anti-prohibitionniste généralisée26.
22Et le lundi 16 février 1852 a lieu à Saint-Paul une manifestation de toutes les sociétés de tempérance, la catholique en tête de cortège, jusqu’à l’Assemblée territoriale, pour réclamer une loi. Les représentants acquiescent, la loi est soumise à référendum et acceptée, puis cassé par un juge pour vice de forme à la fin de la même année. Le début de l’année 1853 est donc une reproduction de l’année précédente, avec manifestations et pétitions des deux bords, en vain. L’essentiel n’est pas en fait dans le résultat des débats mais dans la participation des catholiques, et ce pour deux raisons. D’abord parce qu’ils ont ponctuellement accepté de s’investir sur la scène politique et non en coulisse afin de faire pression sur l’Assemblée. Ensuite parce que pour ce faire ils ont agi en même temps que les organisations protestantes. Il a pu sembler donc, pendant quelques mois de 1852, que le monde catholique pouvait être pleinement intégré à la société catholique américaine, qu’il en acceptait les principes et les outils.
23Pourtant il n’en a rien été et cet épisode fut des plus brefs. La société ellemême connaît une grave crise interne et doit se scinder en deux sections, canadienne et irlandaise, ce qui nuit à son efficacité. Plus grave, l’investissement catholique était sans doute en trompe l’œil. Mgr Crétin lui-même, dans sa correspondance privée, ne révèle pas un enthousiasme débordant pour la cause et même s’il juge la loi excellente signale avec ironie que c’est « bon gré mal gré [qu’] il faudra se passer de vin27 » comme s’il le regrettait déjà lui-même. Et il n’a pas su, ou pas voulu, poursuivre le mouvement jusqu’à son terme. Il est frappant de constater la faiblesse des francophones en général et du clergé en particulier dans le mouvement de pétitions au début de 1853. Si Mgr Crétin et les pères Daniel Fisher ou Marcellin Peyragrosse signent bien à Saint-Paul, ils sont les seuls, hormis l’isolé Francis Pierz à Crow Wing28. C’est là le signe d’une absence de consigne épiscopale comme d’initiative locale. L’Église a abandonné le terrain de l’action politique visible, et ne se manifeste plus en politique que par les relations personnelles de Crétin avec les autorités.
24Au final, que faut-il penser de cette relation de l’Église catholique au politique dans l’Ouest du milieu du XIXe siècle ? Les ambiguïtés de l’Église missionnaire s’y lisent clairement, puisqu’elle se situe sans cesse à la fois dans le corps politique américain et en ses marges. Les frontières d’États apparaissent trop étroites à une institution universaliste mais ne peuvent manquer d’imposer leur logique nationalisante ; la volonté de prise en main des destinées amérindiennes ne peut être envisagée sans pénétrer la structure politique au plus près, quitte à rencontrer d’amères désillusions ; l’action politique elle-même n’est approchée qu’avec hésitation par une Église ethniquement désunie. Pourtant, par ses ambiguïtés mêmes, l’Église comme institution est un des acteurs de la conquête de l’Ouest et doit être réintégrée pleinement à cette histoire comme au récit politique de la Nation. Son histoire est celle de l’Ouest, c’est-à-dire celle de la tentative de construction tortueuse, lente, violente souvent, d’une nation par la conquête et la colonisation. Les premiers historiens du catholicisme dans l’Ouest bâtissaient souvent leur récit autour du rôle fondateur qu’ils imaginaient pouvoir donner à leurs héros – missionnaires, évêques – dans la « civilisation » de l’Ouest sauvage. En cela ils résumaient bien l’enjeu mémoriel essentiel, celui de l’intégration au corps civique et national américain. En gommant les aspérités de l’histoire, ils voulaient dire à quel point le catholicisme s’inscrivait à leurs yeux au cœur du récit de la conquête. La démarche doit être dorénavant inverse : c’est en retrouvant ces aspérités que le récit sera unifié.
Notes de bas de page
1 Villerbu T., « “Ramener une colonie de bons missionnaires”. Le recrutement de prêtres européens pour les États-Unis au XIXe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56-3 (2009), p. 33-65.
2 L’insertion du récit historique américain dans des trames qui le dépassent est aujourd’hui largement admise, ainsi qu’en témoignent les avancées de l’histoire atlantique, ou le travail de Bender T., Nation among nations : America’s place in world history, New York, Hill and Wang, 2006. Pour la nécessaire intégration de l’histoire catholique dans cet ensemble, voir Villerbu T., « Faire l’histoire catholique de l’Ouest américain au XIX e siècle : une terre de missions à réévaluer », Revue d’histoire ecclésiastique, 101 (2006), n o 1, p. 117-142.
3 Une synthèse récente : Wingerd M. L., North Country : the making of Minnesota, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2010. Pour les aspects catholiques, O’Connell M. R., Pilgrims to the Northland : The archdiocese of St. Paul, 1840-1962, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2009, et Villerbu T., « Early Catholic Minnesota : new sources and new questions », in Atkins A. and Miller D. L. (ed.), The State we’re in : reflections on Minnesota History, Saint-Paul, Minnesota Historical Society Press, 2010, p. 173-195.
4 Ces problèmes sont largement évoqués dans Prudhomme C., Missions chrétiennes et colonisation. XVIe-XXe siècle, Paris, Le Cerf, 2004. Un cas précis : de Benoist J. -R., Église et pouvoir colonial au Soudan français. Administrateurs et missionnaires dans la Boucle du Niger (1885-1945), Paris, Karthala, 1987. Les protestants connaissent les mêmes hésitations : Porter A., Religion versus Empire ? British Protestant Missionaries and Overseas Expansion, 1700-1914, Manchester, Manchester University Press, 2004.
5 La bibliographie concernant l’identité métisse est abondante. Par exemple Brown J. S. H., « Métis, halfbreeds and other real peoples : challenging cultures and categories », The History teacher, 27, 1 (novembre 1993), p. 19-26 ; Swan R., « The crucible : Pembina and the origins of the Red River Valley Metis », Ph. D. dissertation, University of Manitoba, 2003 ; Saint-Onge N., « Uncertain margins : Métis and Saulteaux identities in Saint-Paul des Saulteaux, Red River, 1821-1870 », Manitoba History, 53 (octobre 2006), p. 2-10 ; Hogue M. G., « Between Race and Nation : The Plains Metis and the Canada-United States Border », Ph. D. dissertation, University of Wisconsin, 2009 ; McDougall B., One of the family : Metis culture in Nineteenth-Century Northwestern Saskatchewan, Vancouver, University of British Columbia Press, 2010.
6 Archives de l’archevêché de Saint-Paul Minneapolis (AASPM), lettre de Mgr Crétin au chanoine Vivaldi, Saint-Paul, le 18 décembre 1853. Fayolle semble être allé vers Pembina, pourtant, en août-septembre 1856, d’après son seul témoignage dans une lettre à son frère publiée dans les Annales de la Propagation de la Foi, 177 (mars 1858), p. 127-134.
7 AASPM, lettre de Georges Belcourt à Mathias Loras, Saint-Paul, 18 juillet 1857.
8 AASPM, lettre de Georges Belcourt à l’Œuvre de la Propagation de la Foi, Saint-Joseph-de-Pembina, le 15 août 1857.
9 « Journal of trip to Red River August and September 1861 », Acta et Dicta, I, 2 (juillet 1908), p. 166-183.
10 Huel R. J. A., Proclaiming the Gospel to the Indians and the Métis, Edmonton, University of Alberta Press, 1996.
11 Pluth E. J., « The Failed Watab Treaty of 1853 », Minnesota History, 57/1 (printemps 2000), p. 2-22.
12 AASPM, dossier Sister Helen Angela Hurley, Pierson à Fillmore, 10 novembre 1854. Sœur Helen Angela Hurley, CSJ, a compilé à la fin des années 1940 l’ensemble des sources gouvernementales se rapportant à la mission catholique chez les Ho-Chunks, pour en tirer un chapitre de son ouvrage On Good Ground : The Story of the Sisters of St. Joseph in St. Paul, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1951. L’ouvrage n’épuise pas le sujet, mais le dossier de travail conservé à l’archevêché de Saint-Paul est indispensable.
13 Gilman R. R., Henry Hastings Sibley : Divided Heart, Saint-Paul, Minnesota Historical Society Press, 2004.
14 AASPM, dossier Sister Helen Angela Hurley, Sibley à Lea, 24 février 1852.
15 AASPM, accord signé entre Ramsey et Crétin pour la gestion de l’école des Ho-Chunks.
16 «The lowest sum for which the service can be rendered ».
17 AASPM, dossier Sister Helen Angela Hurley, Ramsey à Lea, 10 janvier 1853.
18 AASPM, la correspondance entre Mgr Crétin et le chanoine Vivaldi est essentiellement pleine de récriminations à ce sujet.
19 AASPM, dossier Sister Helen Angela Hurley, Fletcher à Gorman, 21 janvier 1856.
20 AASPM, dossier Sister Helen Angela Hurley, Crétin à Gorman, 24 avril 1854.
21 L’étude classique reste Dolan J. P., The Immigrant Church : New York’s Irish and German Catholics, 1815-1865, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 1983 [1977]. Plus récemment, voir Orsi R. A., The Madonna of the 115th Street. Faith and Community in Italian Harlem, 1880-1950, New Haven, Yale University Press, 2002 [1985], ou Kane P. M., Separatism and Subculture : Boston Catholicism, 1900-1920, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1994. Pour l’application de ce schéma hors du Nord-Est, voir Tentler L. W., Seasons of Grace. A History of the Catholic Archdiocese of Detroit, Detroit, Wayne State University Press, 1990 ; Avella S. M., In the Richness of the Earth : A History of the Archdiocese of Milwaukee, 1843-1958, Milwaukee, Marquette University Press, 2002 ; Conzen K. N., Immigrant Milwaukee : Accomodation and Community in a Frontier City, Cambridge, Harvard University Press, 1976 ; Wingerd M. L., Claiming the City : Politics, Faith, and the Power of Place in St. Paul, Ithaca, Cornell University Press, 2001 ; Juliani R. N., Priest, parish and people : Saving the Faith in Philadelphia’s Little Italy, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2006 ; Avella S. M., Sacramento and the Catholc Church : Shaping a Capital City, Reno, University of Nevada Press, 2008.
22 O’Connell M. R., John Ireland and the American Catholic Church, Saint-Paul, Minnesota Historical Society Press, 1988.
23 Archives des Sœurs de Saint-Joseph de Carondelet, Saint-Paul, registre de la St. Mary School tenue par les sœurs à partir de 1851.
24 L’ensemble est narré, entre autres, par George Keller, prêtre alsacien à qui fut confiée la paroisse allemande à ses débuts. AASPM, correspondance entre George Keller et John Ireland, octobrenovembre 1895.
25 Archives de l’archevêché de Dubuque, lettres de Lucien Galtier à Mgr Loras, 12 décembre 1843 et 6 janvier 1844 ; lettre de Ravoux à Mgr Loras, 5 janvier 1847. La seule histoire du mouvement de tempérance dans le Minnesota ignore ces origines catholiques : Ellingsen A. E., A History of the Temperance Movement in Minnesota to 1865, M. A. thesis, University of Minnesota, 1933.
26 AASPM, registre de la Société de Tempérance catholique de Saint-Paul.
27 AASPM, lettre de Mgr Crétin à son cousin Scipion, 28 mars 1852.
28 Minnesota Historical Society, 115. I. 19.12 (F), pétitions reçues par l’Assemblée territoriale.
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