Le Canada français d’Eugène Réveillaud (1884)
Régénération et légitimation du colonialisme français sous la iiie République
p. 185-203
Texte intégral
« L’histoire des Canadiens français est là pour nous dire comment peuvent se fonder les colonies vivaces et pour démentir l’opinion qui tendrait à contester la puissance expansive et prolifique de notre race. »
Eugène Réveillaud, Histoire du Canada et des Canadiens français, Paris, Grassard, 1884, p. 547.
1En première page du journal Paris-Canada daté du 13 août 1884, s’affiche, sur deux colonnes, un billet intitulé « Le Canada huguenot1 ». Ni éditorial, ni véritable recension ou compte-rendu précis, ce texte réagit à la publication cette année-là chez un éditeur parisien d’une Histoire du Canada et des Canadiens français écrite par un protestant, Eugène Réveillaud, qui entend, en premier lieu, redonner une place aux huguenots dans le récit des origines de la Nouvelle-France2. L’auteur de cet article est Hector Fabre, un Canadien français qui, depuis février 1882, assure les fonctions d’agent du Québec et du Canada à Paris et qui a lancé quelques mois plus tôt Paris-Canada3. Cette nomination témoigne d’un double mouvement : celui de la province du Québec de développer ses relations avec la France et le Dominion qui entend prendre sa place dans les relations internationales. C’est ainsi qu’au début des années 1880, Joseph-Adolphe Chapleau, Premier ministre de la province du Québec, s’engage dans une politique active d’échanges avec la France dont il espère des capitaux et des hommes pour réaliser les multiples projets de colonisation agricole engagés dans son pays. La création en 1880 du crédit foncier franco-canadien est la première concrétisation, dans le domaine financier, de cette politique. Mais dans l’objectif de pérenniser et de développer cette relation, Joseph-Adolphe Chapleau conçoit le projet d’ouvrir un poste permanent de représentant de la province du Québec à Paris. Au début de l’année 1882, le Conseil des ministres définit la nature du poste… qui convient parfaitement à la candidature d’Hector Fabre qui avait en 1879 mené, comme sénateur du Parti libéral, une mission d’enquête en France sur le commerce franco-canadien sous l’égide du hautcommissaire du Canada à Londres. Le 4 mars 1882, le lieutenant-gouverneur approuve, au titre de représentant du monarque d’Angleterre à Québec, l’arrêté de nomination d’Hector Fabre comme « représentant attitré du gouvernement du Québec pour toutes les négociations qui ressortent des attributions de la province ». Quelques semaines plus tard, Joseph-Adolphe Chapleau, devenu ministre à Ottawa, réussit à persuader le gouvernement fédéral d’utiliser les services de ce représentant de la province de Québec à Paris pour développer les relations économiques franco-canadiennes. Après quelques atermoiements et l’accord du gouvernement québécois, Hector Fabre, déjà installé à Paris – une ville qu’il connaît bien pour y avoir séjourné à plusieurs reprises, devient le représentant du gouvernement canadien à partir du mois de juillet 1882 et il prend rapidement le titre de commissaire. La fondation d’un organe de presse, Paris-Canada, par Hector Fabre au printemps 1884 n’est pas étonnant puisque ce dernier est, avant de s’engager dans une carrière politique, un journaliste toujours rédacteur en 1882 de L’Événement qu’il avait fondé en 1867 à Québec4. C’est donc dans un des tout premiers numéros de Paris-Canada qu’Hector Fabre publie sa réaction à l’ouvrage d’Eugène Réveillaud. Pourquoi une réaction si rapide et en si bonne place dans l’« organe international des intérêts canadiens et français » ?
LE CATHOLICISME, FONDEMENT DE L’IDENTITÉ CANADIENNE-FRANÇAISE ?
2Que l’auteur de l’ouvrage soit de confession protestante, n’entraîne pas Hector Fabre à rejeter en bloc le livre en lui-même :
« Comme l’a fait observer dans le Temps, un critique d’une rare compétence dans toutes les questions canadiennes, M. Henri de Lamothe, il n’était peutêtre pas sans utilité, après tant d’ouvrages sur le Canada conçus dans un esprit rigoureusement catholique d’avoir un livre écrit sous une inspiration différente5. »
3D’autant que, selon Hector Fabre, le contenu du livre est acceptable au plan du récit général qui est fait de l’histoire de la Nouvelle-France et du Canada français, et il peut donc être parfaitement lu et reçu par les Canadiens français et les Français car « l’inspiration est si profondément patriotique qu’on pourrait détacher du récit les passages inspirés par le dogmatisme protestant sans avoir à modifier le récit lui-même. Ils sont comme ajoutés après coup6 ». La dernière phrase de l’introduction de l’article souligne la qualité intellectuelle de l’ouvrage publié par Eugène Réveillaud : « On aurait ainsi une nouvelle histoire du Canada, acceptable par tous, très vivante, très chaude d’accent, intéressante dans toutes ses parties, parfois éloquente7. » Qu’est ce qui pose donc problème au commissaire canadien d’idéologie libérale qu’est Hector Fabre dans le livre d’Eugène Réveillaud ? La condamnation de la politique de Louis XIV interdisant aux protestants français de sortir du royaume et plus spécifiquement d’aller s’établir dans la colonie canadienne lorsque le roi a engagé dès 1663 une offensive de réduction des églises réformées puis d’interdiction du protestantisme en 1685 avec la révocation de l’édit de Nantes. Une décennie au cours de laquelle des milliers de marins et de marchands français, surtout picto-charentais et normands, de confession réformée cherchent un refuge outre-mer pour s’établir après quelques pérégrinations dans les colonies anglaises ou… revenir en Europe pour s’installer dans les îles britanniques ou dans les grandes villes portuaires des Provinces-Unies. Plusieurs dizaines d’entre eux seront condamnés aux galères pour avoir été pris par des corsaires français sur des navires anglais ou néerlandais8.
« Rallumer dans la Nouvelle-France le foyer de discorde qu’il cherchait à éteindre dans l’ancienne » (H. Fabre)
4Hector Fabre retient donc dans le livre d’Eugène Réveillaud l’insistance de ce dernier à dénoncer l’interdiction faite aux protestants de s’installer en Nouvelle-France dans les années 1680 :
« Il prend à parti Louis XIV parce qu’il n’a pas permis aux huguenots, proscrits de France par la révocation de l’édit de Nantes de se réfugier au Canada. Il le déplore amèrement et trace un tableau séduisant de l’accroissement de force que cette émigration vigoureuse aurait apporté à la colonie9. »
5Il ne s’agit pas de discuter dans ce billet de la révocation de l’édit de Nantes elle-même mais des lignes que consacre Eugène Réveillaud à l’erreur commise, selon lui, par Louis XIV de ne pas avoir autorisé les protestants à s’établir au Canada. Pour Hector Fabre, une telle décision ne pouvait pas être prise par le roi de France car elle aurait exporté en Nouvelle-France les motifs de la proscription du protestantisme du royaume de France : « une cause de danger pour l’État et de désunion entre les citoyens10 ». Leur ouvrir la colonie aurait eu comme conséquence de « rallumer dans la Nouvelle-France le foyer de discorde qu’il cherchait à éteindre dans l’ancienne11 ».
6Et Hector Fabre d’insister sur le danger qu’aurait représenté le débarquement des réformés :
« Les huguenots seraient arrivés sur nos rivages sous le coup de l’irritation causée par la mesure de proscription édictée contre eux, animés du désir de se venger des Catholiques. Louis XIV aurait bien vite appris ce qu’il en coûte à un souverain de se contredire à ce point. Les reproches de sa conscience et le blâme des Catholiques eussent trouvé, dans les guerres religieuses éclatant au Canada, comme au temps de la Ligue en France, une cruelle confirmation12. »
7Et Hector Fabre de conclure cette première partie de son argumentation : « C’était la perte de la colonie, et non son salut, comme le prétend M. Réveillaud13. » La teneur du paragraphe de transition avec le deuxième point du raisonnement est sans équivoque :
« Les discordes religieuses auraient eu, dans la Nouvelle-France, des conséquences bien autrement graves que de ce côté-ci de l’Atlantique. Elle était encore trop faible pour survivre à ces déchirements qui affaiblissent et perdent souvent les États les plus puissants14. »
« Les Anglais n’auraient pas tardé à avoir raison du Canada divisé » (H. Fabre)
8Selon Hector Fabre, l’affaiblissement de la Nouvelle-France provoqué par le désordre engendré par l’arrivée des huguenots aurait, immanquablement, été exploité par le puissant voisin établi en Amérique du Nord : « Les Anglais n’auraient pas tardé à avoir raison du Canada divisé15. » Pourquoi ?
9D’abord, parce que dans le conflit qui ne pouvait pas ne pas se déclencher en Nouvelle-France entre les deux confessions, les huguenots auraient été amenés à appeler en renfort leurs coreligionnaires :
« Est-ce même aller trop loin que de penser que, dans l’entraînement de la lutte engagée entre Catholiques et Protestants, les protestants se fussent, à un moment donné, appuyés sur les Puritains de la Nouvelle-Angleterre ? L’ennemi aussitôt, entrait dans la place et n’en sortait plus16. »
10Il est intéressant de relever ici le terme de « Puritains » employé par Hector Fabre pour désigner les alliés potentiels des huguenots en cas de conflit religieux en Nouvelle-France. C’est certes l’expression d’une réalité géostratégique, la proximité de la Nouvelle-Angleterre – des « Bostoniens », un terme qui correspond au territoire compris entre le 41e et le 45e parallèle dont seront issues les différentes colonies qui s’individualisent au cours du XVIIe siècle en fonction des affinités religieuses et où les « puritains » dominent, mais c’est aussi un terme polémique car il cible, non l’Église d’Angleterre, mais les dissidents avec qui, de plus, les calvinistes français partagent des conceptions proches dans l’organisation ecclésiastique, l’encadrement moral et religieux des communautés et un rapport à l’État monarchique fondé sur un lien contractuel exigeant17.
11Hector Fabre poursuit en reconnaissant que si le clivage religieux n’avait pas débouché sur un conflit ouvert dans la colonie entre les Français de confessions différentes, elle était un facteur de fragilité dans l’état de guerre quasi permanent entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre :
« En supposant même l’impossible, c’est-à-dire que les guerres religieuses traversant l’Atlantique à la suite des huguenots n’eussent pas eu pour conséquence de hâter la chute de la domination française, croit-on que la population scindée en deux camps rivaux aurait eu, après la conquête, la force de lutter, comme elle l’a fait, contre l’absorption britannique ? Les conquérants auraient recherché le concours de la population française protestante, et avec ce concours, ils auraient fini par avoir raison de l’élément français catholique. Chemin faisant, ils n’auraient pas eu grand-peine, grâce à tant de sentiments et d’intérêts communs, à s’assimiler les Français protestants18. »
12Pour lui, l’appartenance confessionnelle aurait donc prévalu chez les huguenots sur leurs origines françaises.
13La conclusion d’Hector Fabre est sans ambiguïté et dans le droit fil de son billet. Sa lecture permet de comprendre toute l’importance qu’il donne à l’ouvrage d’Eugène Réveillaud en lui faisant l’honneur de la première page de son journal :
« La nationalité française doit à son caractère d’unité religieuse d’être debout et intacte sur notre sol. Le Canada huguenot, c’était, à la suite de la conquête, le Canada anglais, ou à l’époque de la révolution américaine le Canada américain, au lieu du Canada français d’aujourd’hui19. »
14Il faut souligner que Fabre n’affirme pas qu’il ne saurait y avoir d’unité nationale sans qu’il y ait unité religieuse. Il précise que son propos ne concerne que le Canada, pas la France. Le ciment de la société canadienne française est la fidélité de ses membres à une confession commune, le catholicisme. Sans doute faut-il lire ici la volonté du commissaire canadien de prévenir la France de la III e République que les Canadiens français sont profondément attachés à la religion de leurs aïeux. Et que la politique de laïcisation, notamment en matière scolaire, initiée par le premier gouvernement Ferry, maintenue par son successeur, Gambetta, ne doit pas être un facteur parasitant les relations entre le Canada et la France surtout si celles-ci sont menées du côté canadien par le Parti libéral emmené par son leader Wilfrid Laurier qui réussit dans les années 1880 à obtenir l’appui de Rome contre les ultracatholiques ce qui permet l’affirmation du groupe modéré de l’épiscopat et du clergé et le recul des ultramontains du Québec20. Pour un libéral comme Hector Fabre soucieux de développer une immigration française et une coopération économique et culturelle avec l’ancienne métropole, la radicalité de la politique religieuse de la partie française peut s’avérer très dangereuse au plan politique en renforçant le camp des catholiques intransigeants prompts à dénoncer l’alliance du Parti libéral canadien avec le parti de l’anticléricalisme en France. N’est-ce pas en 1884 que l’ultramontain Jules Tardivel distingue deux France et inaugure un violent discours contre la France de la III e République : « La France catholique et la France impie 21 ». C’est dans un tel contexte idéologique et politique qu’un protestant évangélique qui a passé quelques jours à Montréal à l’occasion d’un voyage aux États-Unis publie en France une histoire du Canada et des Canadiens français.
EUGÈNE RÉVEILLAUD : HISTORIEN DU CANADA FRANÇAIS OU « PROSÉLYTE PROTESTANT » (S. SIMARD) ?
15Rien n’engageait Eugène Réveillaud à s’intéresser particulièrement à l’histoire du Canada sinon peut-être son origine charentaise, sa province natale ayant joué, par l’activité maritime de La Rochelle, aux XVIIe et XVIIIe siècles un rôle majeur dans les relations entre la métropole et la Nouvelle-France22. L’intérêt d’Eugène Réveillaud est plutôt de nature politique autour de la question des relations entre les églises et l’État qui secoue la France de la IIIe République. Né à Saint-Coutant en 1851 dans une famille d’instituteurs, il reçoit une éducation catholique. Sa mère, catholique pratiquante, impose qu’il suive l’enseignement de l’Institution diocésaine de Pons. Il s’en échappe et effectue sa scolarité secondaire à Paris au Lycée Charlemagne. Bachelier, il s’engage dans la carrière de journaliste et dirige successivement Le Contribuable (Rochefort), La Concorde (Saint-Jean-d’Angély), Le Mémorial des Vosges (Épinal), L’Indépendant rémois (Reims), L’Avenir Républicain (Troyes). Titulaire en 1873 d’une licence de droit, il s’inscrit au barreau de Troyes. Il est initié en 1874 à la francmaçonnerie à l’Union Fraternelle de Troyes. L’éloignement géographique ne l’empêche pas d’être très impliqué dans la vie politique en Charente-Inférieure23. Mais, en 1878, ce militant républicain, franc-maçon, se convertit dans le temple de l’église réformée de Troyes au protestantisme et publie La Question religieuse et la solution protestante. Il devient alors un propagandiste très actif du protestantisme en prononçant plusieurs conférences à l’invitation de sociétés évangéliques. En 1879, il fonde un hebdomadaire, Le Signal. L’année suivante, il effectue un voyage de trois mois aux États-Unis et au Canada. Il ne reste comme trace de ce voyage, en l’état actuel de nos recherches, que les articles qu’il adresse au Signal24, la publication quatre années plus tard de cette Histoire du Canada et des Canadiens français et en 1887 (1888 ?) d’une Histoire chronologique de la Nouvelle-France ou Canada qui fera l’objet d’une recension dans Paris-Canada25. Ce qui témoigne d’un intérêt évident d’Eugène Réveillaud pour l’histoire du Canada et de son souci d’écrire une histoire « acceptable par tous » comme l’écrit Hector Fabre dans son billet. Ce dernier, marque de reconnaissance, ne publiera-t-il pas dans Paris-Canada un compte-rendu de l’ouvrage de Gerald Ephraïm Hart The Fall of the New France publié à Montréal en 1888 ? Dans cette recension, Eugène Réveillaud rejette les arguments de l’auteur qui défend la politique anglaise en Acadie26.
« Mais je sais mieux que personne tout ce qui manque à mon livre […]. Il m’a coûté de longues recherches et de nombreuses lectures » (E. Réveillaud)
16L’ouvrage est divisé en deux parties. La première a pour titre « La Nouvelle-France », la seconde « Les Canadiens français ». Les deux parties sont de longueur sensiblement égale, puisque la première partie est forte de 250 pages, la seconde de 230. S’ajoutent une introduction de 16 pages et un texte en appendice d’une vingtaine de pages ayant pour titre « La langue et la littérature française au Canada ». Une carte « pour servir à l’histoire du Canada et des Canadiens français » est insérée à la fin de l’ouvrage avant la table des matières.
17La première partie consacrée à l’histoire de la Nouvelle-France suit un plan chronologique et relève de l’histoire « bataille » ou plutôt de l’histoire diplomatique puisque l’histoire de la colonie est rythmée par les traités mettant un terme aux guerres franco-anglaises : De la découverte des « Terres Neuves » à la mort de Poutrincourt (1504-1608) ; De la fondation de Québec au traité de Saint-Germain-en-Laye (1608-1632) ; Du traité de Saint-Germain au traité de Breda (1632-1667) ; Du traité de Breda à la Paix de Ryswick (1667-1697) ; Du traité de Ryswick au traité d’Utrecht (1698-1713) ; Du traité d’Utrecht au traité d’Aix-la-Chapelle (1713-1747) ; Du traité d’Aix-la-Chapelle à l’arrivée de Montcalm (1747-1756) ; De l’arrivée de Montcalm à la perte du Canada (1756-1763).
18La seconde partie correspondant au régime anglais jusqu’à la création du Dominion en 1867 reprend un plan chronologique : De la conquête à la proclamation de l’Indépendance américaine (1763-1776) ; De l’Indépendance des États-Unis à la guerre anglo-américaine (1776-1814) ; Du traité de Gand à l’insurrection de 1837-1838 (1815-1839) ; De l’Union des Deux Canadas jusqu’à la démission du cabinet Lafontaine (1840-1851) ; De la constitution du cabinet Hinks-Morin jusqu’à l’établissement de la confédération du Canada ; Tableau du Canada contemporain ; L’avenir du Canada français.
19Dans la première partie, les références infrapaginales, peu nombreuses et très souvent approximatives – moins d’une par page en moyenne, révèlent les sources et la documentation bibliographique utilisées par Eugène Réveillaud. Les sources mentionnées (Champlain, Thevet, Charlevoix, Lescarbot, Lejeune, La Hontan, Sagard) ne le sont pas de première main, sauf peut-être les récits de Champlain, car elles sont citées à partir des auteurs consultés. Quatre auteurs, deux Français et deux Canadiens, concentrent 77 % des références : Rameau de Saint-Père (La France aux colonies : études sur la race française hors d’Europe, Paris, 1859 ; Les Français en Amérique : Acadiens et Canadiens, Paris, 1860, Une colonie féodale en Amérique, l’Acadie [1604-1710], Paris, 1877), Louis Dussieux (Le Canada sous la domination française d’après les archives de la Marine et de la Guerre, Paris, 1855), François-Xavier Garneau (Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours, Québec, 1845-1848, rééd. 1852, 3 vol.) Jean-Baptiste-Antoine Ferland (Cours d’histoire du Canada, Québec, 1861-1865, 2 vol., réédition en 1882 à Montréal et à Tours). S’ajoutent à ces auteurs par ordre décroissant Jules Michelet, Auguste Carlier (Histoire du peuple américain – États-Unis – et de ses rapports avec les Indiens depuis la fondation des colonies anglaises jusqu’à la révolution de 1776, Paris, 1864), Benjamin Sulte (Histoire des Canadiens français, 1608-1880 : origine, histoire, religion, guerres, découvertes, colonisation, coutumes, vie domestique, sociale et politique, développement, avenir, Montréal, 1882-1884, 8 vol.) Voltaire (Le siècle de Louis XIV, Berlin, 1751), l’abbé Raynal (Histoire philosophique et politique des établissements et de commerce des Européens dans les Deux Mondes, Paris 1770), William Durkee Williamson (Histoire de l’État du Maine, 1832), Beamish Murdoch (History of New Scotia or Acadia, 1866-1868, 3 vol.)27.
20Dans les références, moins nombreuses, de la seconde partie, le lecteur retrouve les ouvrages de François-Xavier Garneau, Rameau de Saint-Père, l’abbé Ferland, Jules Michelet et découvre Henri de Lamothe (Cinq mois chez les Français d’Amérique. Voyage au Canada et à la rivière Rouge du Nord, Paris, 1879), Paul de Cazes (Notes sur le Canada, Québec, 1882), Louis-Napoléon Carrier (Les événements de 1837-1838 : esquisse historique de l’insurrection du Bas-Canada, Québec, 1877), Louis-Philippe Turcotte (Le Canada sous l’Union : 1841-1867, Québec, 1871-1872, 2 vol.), Maximilien Bibaud (Tableau des progrès matériels et intellectuels du Canada, Montréal, 1858), Charles-Honoré Laverdière (Histoire du Canada, Montréal, 1868), Isidore Lebrun (Tableau statistique et politique des deux Canadas, Paris, Treuttel et Wurtz, 1833), Joseph-Charles Taché (Esquisse sur le Canada considéré sous le point de vue d’un économiste, Paris, Hector Bossanges et fils, Paris, 1855) Arthur Buis (Le Saguenay et le bassin du lac Saint-Jean, ouvrage historique et descriptif, Québec, L. Brousseau, 1896), Benjamin Sulte (Histoire des Canadiens français, 1608-1880 : origine, histoire, religion, guerres, découvertes, colonisation, coutumes, vie domestique, sociale et politique, développement, avenir, Montréal, 1882-1884, 8 vol.), Adriano ou Adrien Balbi (Abrégé de géographie universelle, Paris, 1832, rééd. 1872 par Henry Chotard ou Conrad Malte-Brun, Adrien Balbi, François Lasnon de La Renaudière, Jean-Jacques-Nicolas Huot, Abrégé de géographie universelle physique, historique, politique ancienne et moderne, Furne, 1842)28.
21Des auteurs ne sont cités qu’une seule fois, ce qui ne veut pas dire que leur lecture a été marginale et sans influence sur la pensée d’Eugène Réveillaud comme les ouvrages de Gustave de Molinari et d’Émile de Laveleye. Ne sont référencés qu’une seule fois : Chapman (Mines d’Or de la Beauce, Lévis, Québec, Mercier, 1881) ; Henry Wodsworth Longfellow (Evangeline, a tale of Acadie, Boston, 1847 ; traduction française par Pamphile Le May, 1865) ; Gustave de Molinari (L’Irlande, le Canada, Jersey ou Lettres adressées au Journal des Débats, Paris, 1881) ; Joseph-Guillaume Barthe (Le Canada reconquis par la France, Paris, 1855) ; Émile de Laveleye (De l’avenir des peuples catholiques, Paris, 1875 ou Le protestantisme et le catholicisme dans leurs rapports avec la liberté et la prospérité des peuples, études d’économie sociale, Bruxelles, 1875) et enfin luimême (La question religieuse et la solution protestante, Paris, 1878).
22S’ajoutent à cette liste des revues sans précision de titre et d’auteur (Revue rétrospective, vol. 8, Revue des Deux Mondes, 1879, L’univers pittoresque) ; la presse (L’Aurore, 1883 ; Gazette de Montréal de Mesplet, s. d., La Patrie, s. d.) et un corpus documentaire (Archives canadiennes recueillies par Audet sous la direction de M. Chapleau) ; Mélanges historiques et littéraires, Montréal (la réforme agricole) ; les Archives de la marine en France et le recensement canadien de 1881.
23Ces références mettent en évidence l’étendue des lectures effectuées par Eugène Réveillaud. Sans doute n’a-t-il pas lu tous les ouvrages pendant son séjour, très court, à Montréal qui lui a surtout permis, outre sa conférence à l’invitation des protestants francophones29, les rencontres, les contacts, la consultation des journaux et la presse canadienne-française. A-t-il rapporté des livres du Canada ? A-t-il consulté à son retour en France les livres des auteurs canadiens, ces derniers étant de plus en plus disponibles à Paris en ces années 1880 d’autant que cette décennie correspond à un nombre croissant d’ouvrages sur le Canada30 ? Il faut noter ici qu’entre son voyage et la publication, il s’est écoulé quatre années, une période au cours de laquelle il multiplie les articles politiques et religieux, prépare la fondation d’une œuvre ayant pour mission d’accueillir les prêtres quittant le catholicisme « pour motif de conscience » et réfléchit à s’engager dans la colonisation de l’Algérie31. À l’évidence, Réveillaud, bien que se classant lui-même dans le camp des républicains conservateurs se veut un agitateur dans sa famille confessionnelle et dans les grands débats politiques de la IIIe République. C’est dans cet esprit, qu’il a dû écrire son histoire du Canada et des Canadiens français, une histoire qui ne peut rester sous la plume des ultramontains et d’une vision catholique de l’histoire de la Nouvelle-France et de la colonie anglaise d’Amérique du Nord après la cession de 1763.
« Certains de mes jugements, certaines de mes vues, notamment en matière religieuse pourront déplaire » (E. Réveillaud)
24La finalité de cet article n’est pas d’analyser la teneur de l’ouvrage d’Eugène Réveillaud. Cette investigation pourra faire l’objet d’une autre publication de nature plus historiographique replaçant cet ouvrage à la fois dans le mouvement de production des « Canadiana » outre-atlantique et de l’édition historique française32. La finalité de cet article est plutôt de démontrer qu’un livre peut en cacher un autre.
25Hector Fabre ne retient comme point de polémique dans l’ouvrage d’Eugène Réveillaud que la question du refus de Louis XIV de permettre l’émigration huguenote en Nouvelle-France. Mais sous la plume de Réveillaud ce point d’histoire n’apparaît qu’au détour de quelques phrases : « On ne sait qu’il [Colbert] ne fit rien pour empêcher les effets à jamais funestes pour notre pays de la révocation de l’édit de Nantes33 », « Que lui eut-il [la France] fallu pour cela […] ; favoriser le mouvement de colonisation qui se serait volontiers porté vers l’Amérique française, surtout pendant l’ère des persécutions religieuses ; accueillir les huguenots au lieu de les pourchasser et de les tuer 34 », « Louis XIV qui avait des myriades de dragons pour massacrer les protestants n’eut que deux cents soldats pour envoyer à Québec pour protéger une contrée quatre fois plus vaste que la France35 » ; et, surtout une citation de François-Xavier Garneau : « Et pourtant, c’était dans le temps même où les huguenots sollicitaient comme une faveur de venir s’établir en Amérique, promettant de vivre en sujets paisibles à l’ombre du drapeau de leur patrie, qu’ils ne pouvaient cesser d’aimer36. » Une citation qui se poursuit sous la plume de Réveillaud par une longue paraphrase de l’historien canadien regrettant que Louis XIV n’ait pas autorisé les huguenots à s’installer dans la colonie. Ce jugement est développé en deux pages. Hector Fabre ne s’attaque pas aux pages où sont dénoncées les intrigues des Jésuites qui profitèrent de l’assassinat d’Henri IV pour éliminer les huguenots des entreprises coloniales et « former en Acadie un établissement semblable à celui qu’ils avaient déjà dans le Paraguay37 » et notre auteur de recourir une nouvelle fois à François-Xavier Garneau pour défendre le rôle positif des huguenots dans le développement économique et l’expansion coloniale de la France grâce, d’après Réveillaud, à des hommes comme M. de Mons « à la ténacité toute huguenote » mais qui dût abandonner l’avenir de Québec à Champlain qui « devait à sa profession de catholicisme d’être mieux en cour, étant moins suspect aux jésuites38 ». C’est ainsi que les huguenots furent progressivement exclus du Canada : « C’était un essai de révocation de l’édit de Nantes en Amérique » qui se concrétisa avec la création de la Compagnie des Cents-Associés par Richelieu « à l’instigation des jésuites » et qui ferme « aux huguenots les portes des colonies françaises 39 ». Et Réveillaud de conclure de façon hasardeuse : « C’était aller directement contre les vues de Henri IV, qui avait positivement assigné la Nouvelle-France aux huguenots comme refuge contre la tempête qu’il prévoyait pour eux dans un avenir plus ou moins éloigné40. » Pour Sylvain Simard, Réveillaud limite sa critique religieuse à peu de chose41. Il eût été plus pertinent d’écrire qu’il concentre ses attaques sur la Compagnie de Jésus dans un réflexe d’antijésuitisme récurrent sous la plume d’un protestant et dans le contexte des années 1870 en France au cours desquelles les républicains anticléricaux mobilisent toutes leurs forces contre l’offensive des ultramontains et contre la congrégation perçue comme l’instrument de Rome notamment dans le domaine de l’éducation42.
26Les pages qui suivent sont consacrées à décrire les affrontements entre les intendants, les gouverneurs, les congrégations, les jésuites et le pouvoir épiscopal. Un climat qui n’est pas sans rappeler là encore les relations conflictuelles entre l’État et l’Église catholique dans la France de la III e République. L’allusion au fait que dans le même moment « les Anglais excitent secrètement les Iroquois contre nous » s’appuie, certes, sur une réalité, l’instrumentalisation des nations indiennes dans l’affrontement entre les deux grandes puissances européennes établies en Amérique du Nord, mais doit être lu dans le contexte des années 1880 au cours desquelles la rivalité franco-anglaise en Afrique équatoriale et en Indochine s’aiguise et le contrôle des souverains des territoires convoités devient un enjeu essentiel dans la stratégie des deux impérialismes43.
UNE HISTOIRE DES CANADIENS FRANÇAIS OU UN LIVRE DE PROPAGANDE COLONIALE ?
27La question mérite d’être posée à la lecture de la dédicace, de l’introduction et de la conclusion de l’ouvrage. Sous la plume d’Eugène Réveillaud, il s’agit bien pour la III e République de développer une politique coloniale ambitieuse.
« Jamais l’esprit colonisateur – cet esprit qu’on a refusé aux Français sur des apparences spécieuses – n’a reçu une plus vigoureuse impulsion que depuis ces dix dernières années » (E. Réveillaud)
28Dédié à Jules Ferry « comme témoignage de reconnaissance d’un Français pour la double œuvre accomplie dans son gouvernement : DE L’INSTRUCTION NATIONALE GÉNÉRALISÉE, DE LA POLITIQUE COLONIALE RESTAURÉE [en majuscules dans le texte]44 », la finalité politique de l’Histoire du Canada et des Canadiens français d’Eugène Réveillaud est clairement affirmée dans l’introduction : au premier rang d’une France restaurée après la défaite de 1871, grâce à une République « dont le nom n’est plus synonyme de Révolution et de Terreur […] qui s’impose désormais à tous les vrais conservateurs qui ne séparent pas l’ordre du respect de la loi constitutionnelle et qui admettent que la liberté est la dignité d’une Nation 45 », il faut placer désormais « la légitime ambition d’une plus grande expansion coloniale » car « voyant se dresser, sur la frontière du nord-est, comme un mur de fer qu’il se sentait incapable, au moins pour un temps de franchir, ait regardé aux autres points de l’horizon pour voir de quel côté pourraient s’ouvrir des perspectives et se présenter des débouchés pour son activité et pour ses pacifiques conquêtes 46 ».
29Après quelques pages consacrées à un tableau des résistances et des sursauts de la France de Charles VII – et du « saint enthousiasme d’une fille du peuple pour délivrer le royaume »– à Valmy et un appel à retrouver « cette forte et solide trempe dont étaient faits les esprits des huguenots et des jansénistes47 », Réveillaud s’engage dans une liste rapidement commentée des colonies françaises : l’Algérie où se déploient « des projets gigantesques » et qui voit les Français s’affirmer comme « les dignes héritiers de Carthage », la Tunisie acquise « sans coup férir et sans sang versé », les comptoirs de Dakar et de Saint-Louis qui deviennent « les têtes de ligne d’un réseau de routes de fer et d’eau qui amèneront sur nos navires et par eux en Europe les produits de cette immense et fertile région du Soudan », les bassins du Niger et du Congo qui pourraient être « pour nos descendants un immense champ de découverte et d’échanges commerciaux » ; Madagascar et les îles de l’océan Indien où les tribus s’accommoderont du protectorat de la France « surtout si celle-ci évite de se faire là-bas la protectrice exclusive des jésuites et si elle est assez sage pour traiter avec équité, comme elle l’a fait à Tahiti, ceux des indigènes qui professent le culte réformé48 ». En Asie, outre les « débris » de l’Inde, c’est l’Indochine qui porte les plus grands espoirs avec l’expansion d’une Cochinchine française à partir du protectorat cambodgien et « si la Chine de ce côté, consent à vivre avec nous en bonne voisine, il ne pourra résulter que du bien, au point de vue de la prospérité et de la civilisation générale, de ce contact plus intime entre la race blanche et la race jaune ». En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, Tahiti (« la perle des mers ») et les archipels voisins, Eugène Réveillaud relaie les représentations de la Société des missions évangéliques de Paris en écrivant que « la corruption de notre civilisation avancée est plus mortelle encore aux tribus indigènes que leur ancienne barbarie49 ». Les Amériques clôturent ce tableau de l’Empire français. Des Antilles, y compris Haïti « magnifique colonie de Saint-Domingue […] devenue République indépendante entre les mains des noirs et des mulâtres qui s’y disputent trop souvent par le fer et par le feu un pouvoir toujours éphémère », n’est relevé pour seul atout que « d’avoir conservé l’instrument de la pensée, la langue » ce qui permet de communiquer avec la France et sur la Guyane (« riche en métaux précieux mais torride et insalubre ») le jugement est sans appel : « la colonisation pénitentiaire n’a pas mieux réussi que la colonisation libre ». Bref, avec les îlots de Miquelon et de Saint-Pierre et les Petites Antilles, il ne reste que des « débris » de ce « vaste empire colonial qu’elle a un moment possédé dans le Nouveau Monde et qu’il n’eût tenu qu’à elle de maintenir, de telle façon que l’Amérique se fût trouvée partagée par portions presque égales entre les trois races et les trois langues : la française prévalant au nord et à l’ouest de l’Amérique septentrionale ; l’anglaise, à l’est ; l’hispano-portugaise occupant, comme elle le fait aujourd’hui, par le Brésil et par les républiques sorties des vice-royautés espagnoles, l’Amérique du Sud et l’isthme central 50 ». La présence française aux Amériques est donc, pour Eugène Réveillaud, de nature linguistique et culturelle. Mais les Français du Canada tiennent une place particulière dans son discours visant moins à donner une légitimité à l’impérialisme français que de démontrer que la France peut mener à bien un projet colonial c’est-à-dire fonder une société outre-mer. Ou plutôt, que la République saura faire ce que la monarchie s’est avérée incapable de maintenir, de défendre et de transmettre.
« Quelle pitié que cette défaillance coloniale de la France au siècle dernier, véritable banqueroute de notre peuple » (E. Réveillaud)
30Après une vue générale de la Nouvelle-France, un territoire dont les limites étaient quasiment celles des actuels États-Unis et Canada réunis selon l’auteur, puis des conditions dans lesquelles la colonie – fragilisée par « l’étroitesse de Louis XIV refusant d’ouvrir aux huguenots la Nouvelle France d’Amérique » qui ne reçut pas « l’afflux de colons qui lui eut été nécessaire pour contrebalancer l’émigration puissante que les querelles religieuses de la Grande-Bretagne déversaient sur les rivages de la Nouvelle-Angleterre, de la Pennsylvanie, du Maryland, de la Virginie et des Carolines51 », Eugène Réveillaud fait état des circonstances dans lesquelles la colonie tombe aux mains des Anglais à l’époque du « honteux gouvernement de Louis XV qui précipita la décadence et enfin l’écroulement de notre empire colonial ». C’est ainsi que « la race anglo-saxonne, qui ne possédait à l’origine que les rivages de l’Atlantique et dont le domaine s’arrêtait, à l’ouest, aux monts Alléghanys, a pu dès lors s’étendre à loisir sur tout ce vaste continent52 ». Ce courant migratoire a été renforcé « de toutes les nationalités que le flot de l’émigration européenne chasse chaque année sur ces rivages et qui vont s’enfoncer dans les profondeurs du Far West. Allemands, Irlandais, Scandinaves, Français, Italiens, Belges, tous ces éléments mélangés et fondus ensemble dans le monde américain oublient là-bas leur langue maternelle respective pour apprendre l’anglais, la langue officielle, langue dominante des États-Unis53 ». Après une dernière flèche contre le « triste roi et les tristes ministres qui, La Pompadour regnante, signèrent, au traité de Paris de 1763, l’abandon du Canada ? ». Or, les descendants des quelque soixante mille Canadiens « de pure race française » ont résisté « pour reconquérir leur indépendance politique et nationale54 ». Et ils l’ont obtenu de fait, « sinon de titre », en 1867, l’Angleterre n’exerçant plus « depuis lors au Canada qu’une suzeraineté purement nominale et qui même le devient de moins en moins tous les jours ». En fait, les Canadiens français « sont un peuple, qui s’administre comme il l’entend, dont la langue à rang de langue officielle au Parlement de la Confédération canadienne55 ». Et, comme le relève l’auteur, les 60 000 Français du temps de la conquête anglaise sont devenus « la souche de deux millions d’hommes environ, dont les trois cinquièmes sont fixés au Canada et le reste est disséminé dans les États-Unis », tous « entretenant avec un soin jaloux les souvenirs, le culte pourrait-on dire de leur origine française56 ».
31C’est sans doute de son séjour à Montréal que Réveillaud rapporte les reproches des Canadiens français à l’encontre de la France :
« On nous reproche là-bas de ne pas savoir cette histoire, d’avoir oublié les grands noms des preux qui fondèrent et de ceux qui défendirent si longtemps contre les Anglais la “Nouvelle-France” d’Amérique. On nous reproche d’ignorer les efforts faits, depuis 1763, par nos frères séparés, pour maintenir contre l’invasion anglo-saxonne, leurs traditions, leur langue, leur nationalité ; d’ignorer le puissant développement de ce rejeton de notre race aussi fécond làbas que notre vieux tronc ici paraît stérile ; d’ignorer la jeune littérature qui a refleuri […] ; d’ignorer les ressources que nous offrait au point de vue de nos intérêts matériels, un commerce actif de relations et d’échanges […]. On s’étonne que, parcourant les terres et les mers pour y créer des débouchés à notre commerce et à notre industrie, et trouvant moyen d’envoyer des essaims de colons à La Plata ou à l’Uruguay, où ils sont voués à l’absorption dans la nationalité espagnole, nous négligions ce débouché tout trouvé57. »
32Le discours est connu : le thème de l’abandon de la France circule encore aujourd’hui dans les communautés francophones canadiennes. Les ouvrages de Joseph-Guillaume Barthe et de Joseph-Charles Taché avaient voulu donner l’image d’un « pays neuf », d’un « pays de progrès » dès les années 1850 mais la réception de leurs écrits en France est nulle et il faut y ajouter l’échec du premier au cours de son voyage à Paris pour susciter une immigration française et développer des échanges culturels. Quant aux échanges commerciaux, malgré le volontarisme des deux parties dans les années 1860 et 1870, ils restent peu dynamiques58. La « nostalgie mercantile » qui s’est développée dans le climat de la visite de La Capricieuse en 1855 59 ne se concrétise guère, les milieux d’affaires français, dont la branche de l’armement maritime, ne croient guère au marché canadien sinon dans quelques niches. Les échecs renouvelés d’une ligne de navigation directe entre les ports français symbolisent cet état de fait : les deux économies ne sont guère complémentaires sauf dans quelques secteurs étroits qui ne peuvent assurer des flux de grande ampleur60. De plus, il manque au départ de France une marchandise qui participe grandement aux profits des compagnies maritimes transatlantiques : le migrant61.
33La faiblesse et le manque de continuité de l’émigration française au Canada participent de ces échecs maritimes. Une faiblesse qui tient autant à l’absence de croissance démographique qu’à la politique systématique des gouvernements de ne pas soutenir, voire d’empêcher par voie administrative en France et dans les services diplomatiques français au Canada, un courant d’émigration vers le Canada62. Les départs ne doivent se faire qu’à destination des colonies françaises et en premier lieu, l’Algérie. Eugène Réveillaud est sur cette ligne, même s’il considère que quitte à émigrer en Amérique, il vaudrait mieux le Canada que l’Uruguay ou La Plata. Mais, pour lui, le Canada reste un débouché pour l’industrie et le commerce français compte tenu des liens historiques et culturels que devrait entretenir la France avec la partie francophone de la population du Dominion.
34L’Histoire du Canada et des Canadiens français d’Eugène Réveillaud est à la convergence de deux récits historiques en plein processus de construction idéologique et sociale. D’abord celui des protestants français qui dans ces années 1880 préparent le bicentenaire de la révocation de l’édit de Nantes qui va réévaluer à côté de l’histoire de la politique antiprotestante de Louis XIV, l’histoire des réfugiés notamment de ceux qui vont franchir l’Atlantique pour s’établir dans les colonies anglaises d’Amérique. En atteste le long compterendu du livre d’Eugène Réveillaud par Jules Bonnet dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français en 188463. La publication l’année suivante du livre de Charles Washington Baird History of the Huguenot emigration to América consacre ce courant historiographique64. Eugène Réveillaud élargit la geste huguenote au Nouveau Monde au Canada en rappelant la place prise par les marins, marchands et financiers de confession réformée dans l’établissement de la France en Amérique du Nord. Ensuite, celui qui depuis le milieu du XIXe siècle entend s’intéresser à ces Français du Canada à partir d’un mouvement de sympathie dans lequel le facteur linguistique et racial est l’élément primordial… ce qui permet de rassembler catholiques, protestants et agnostiques65. L’Église catholique est vue, selon les opinions des auteurs, comme l’unique protectrice ou celle qui a su trouver un modus vivendi avec une puissance coloniale intrinsèquement libérale, les deux partenaires ayant dû accepter de voir se constituer une véritable classe politique canadienne francophone. C’est ainsi que « les cousins se retrouvent66 ». Les publications se multiplient en France sur le Canada et au Canada qui voit fleurir les premiers ouvrages sur l’histoire de la Nouvelle-France notamment ce grand ouvrage fondateur de l’historiographie canadienne française, l’Histoire du Canada de François-Xavier Garneau au milieu du siècle. Le livre d’Eugène Réveillaud participe de ce double mouvement d’intérêt en France pour les anciennes colonies et de la volonté politique des Canadiens français de se construire une histoire nationale. Car c’est bien d’une histoire nationale et d’une histoire coloniale qu’il s’agit. Parti aux États-Unis pour rassembler des fonds susceptibles de financer les missions évangéliques en France, Eugène Réveillaud découvre à Montréal la vitalité nationale de la race canadienne française. Cette vitalité démontre que la France peut coloniser :
« On a souvent accusé la France d’inaptitude à fonder des colonies. Il est certain – ce livre l’a souvent montré –, que bien des erreurs ont été commises, en matière coloniale, par les divers gouvernements qui se sont succédé chez nous. Toutefois, l’existence même du peuple franco-canadien est là pour témoigner que cette prétendue inaptitude n’est rien moins qu’absolue. Il a tenu, en somme, à bien peu de chose que le tiers du Nouveau Monde ne fut aujourd’hui français. L’Afrique nous offre aujourd’hui un nouveau champ de colonisation, d’où nous saurons, espérons-le, ne nous laisser éliminer par personne ; l’expérience du passé devra nous servir d’enseignement pour l’avenir. L’histoire des Canadiens français est là pour nous dire comment peuvent se fonder les colonies vivaces et pour démentir l’opinion qui tendrait à contester la puissance expansive et prolifique de notre race67. »
35À la confluence des récits français et canadiens sur l’histoire de la Nouvelle-France et du Canada français, alimenté par la réévaluation de la place des huguenots dans l’histoire des États-Unis dans le contexte du bicentenaire de la révocation de l’édit de Nantes, l’ouvrage d’Eugène Réveillaud participe au discours du « parti colonial » fondé par Eugène Étienne et mis en œuvre par Léon Gambetta et Jules Ferry. On y retrouve les motivations de cette politique d’expansion coloniale (débouchés commerciaux et industriels en période de dépression économique, investissements financiers pour pallier la baisse des profits due à la baisse des taux d’intérêts en Europe) mais surtout le ressort puissant qu’est le nationalisme dans l’impérialisme français. Sur ce dernier point, il n’est pas étonnant de voir Eugène Réveillaud dédicacer son livre à Jules Ferry qui n’hésite pas à flatter les tendances chauvines de l’opinion nationale pour justifier les entreprises coloniales68. Un livre qui s’avère, au final, plus un instrument de régénération et de légitimation du colonialisme français de la III e République qu’un apport dans la connaissance de l’histoire des Français en Amérique du Nord et plus particulièrement au Canada. Mais qui veut aussi affirmer, haut et fort, la place des protestants dans la geste coloniale française.
Notes de bas de page
1 Fabre H., « Le Canada huguenot », Paris-Canada, 1re année, n° 19, mercredi 13 août 1884, p. 1, col. 1-2. Je remercie Ariane Lemieux de la Bibliothèque du Centre Culturel Canadien à Paris d’avoir obtenu une copie de cet article auprès de la Bibliothèque et Archives Canada (Ottawa).
2 Réveillaud E., Histoire du Canada et des Canadiens français de la découverte jusqu’à nos jours, Paris, Grassard, 1884.
3 Ibid., 1re année, n° 1, 11 juin 1884. Cité par Chartier D., « Hector Fabre et le Paris-Canada au cœur de la rencontre culturelle France-Québec de la fin du XIXe siècle », Études françaises, 32, 3, 1996, p. 51. Sur Paris-Canada, il faut consulter Garneau P., Les relations entre la France et le Canada à la fin du XIXe siècle : la revue Paris-Canada (1884-1909), mémoire de maîtrise (sous la direction de Dominique Marquis), UQAM, 2008. Il faut toutefois signaler que l’auteur reconnaît n’avoir exploité que 7 % du volume de la revue qui mériterait une analyse plus systématique. À compléter par l’article du même auteur, «Paris-Canada : organe international des intérêts canadiens et français », in Carel I. et Mesli S., Hector Fabre, Montréal, VLB Éditeur, 2011, p. 119-137.
4 Penisson B., « Les commissaires du Canada en France (1882-1928) », Études Canadiennes/Canadian Studies, 1977, n° 9, p. 3-5 ; Simard S. et Vaugeois D., « Fabre, Hector », Dictionnaire biographique du Canada, vol. XIII, 1901-1910, Université de Toronto/Université Laval (www.biographi.ca) ; Carel I. et Mesli S., Hector Fabre, op. cit.
5 Fabre H., « Le Canada huguenot », Paris-Canada, p. 1, col. 1.
6 Ibid., Henri de Lamothe (1843-1926) a publié en 1874 une « Excursion au Canada et à la rivière Rouge du Nord » dans le journal Le Temps, puis une version « pittoresque » dans la revue Le Tour du Monde, enfin en 1879 Cinq mois chez les Français d’Amérique. Voyage au Canada et à la rivière Rouge du Nord, Paris, Librairie Hachette et Cie, IV-373 p. + 28 pl. h.-t.
7 Fabre H., ibid.
8 Augeron M., Poton D. et Van Ruymbeke B. (dir.), Les huguenots et l’Atlantique. Pour Dieu, la Cause ou les Affaires, Paris, Les Indes Savantes / Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2009, vol. 1.
9 Fabre H., ibid., p. 1, col. 1.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 Ibid., p. 1, col. 2.
13 Ibid.
14 Ibid.
15 Ibid.
16 Ibid.
17 Trocmé H. et Rovet J., Naissance de l’Amérique moderne, XVIe-XIXe siècle, Paris, Hachette, p. 37-43 ; Miege M., « Puritanisme », in Gisel P. (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris / Genève, PUF/Labor et Fides, 2006, p. 1139.
18 Fabre H., ibid., p. 1, col. 2.
19 Ibid.
20 Roy F., Histoire des idéologies au Québec aux XIXe et XXe siècles, Montréal, Boréal, 1993, p. 52-54. Sur les liens étroits entre Hector Fabre et Wilfrid Laurier, voir la contribution de Lamonde Y., « Un parcours intellectuel et politique, fait de “combinaisons” et de repositionnements », in Carel I. et Mesli S., Hector Fabre, op. cit., p. 80-82.
21 Harvey F., « Les relations culturelles entre la France et le Canada (1760-1960) », in Joyal S. et Linteau P.-A. (dir.), France-Canada-Québec. 400 ans de relations d’exception, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 106-107.
22 Augeron M. et Guillemet D. (†) (dir.), Champlain ou les portes du Nouveau Monde. Cinq siècles d’échanges entre le Centre-Ouest français et l’Amérique du Nord, La Crêche, Geste éditions, 2004 ; Bergeron Y. et Poton D. (dir.), La Rochelle-Québec. Embarquement pour la Nouvelle-France, Paris, Centre des monuments nationaux/Atlys, 2008.
23 Il sera élu en 1902 député de Saint-Jean-d’Angély (Charente-Inférieure). Il restera député jusqu’en 1912 année au cours de laquelle il deviendra sénateur, un mandat qu’il occupera jusqu’en 1921. Petit P., « Républicain et protestant. Eugène Réveillaud (1851-1935) », Revue d’Histoire de Philosophie Religieuse, 1984/3, p. 251.
24 Petit P., op. cit., p. 237 sqq., « Eugène Réveillaud », in Encrevé A. (dir.), Les Protestants. Dictionnaire d’un monde religieux dans la France contemporaine, Paris, Beauchesne, 1993, p. 411-412. Ce voyage en Amérique du Nord fera l’objet d’une publication ultérieure avec l’édition critique des articles adressés par E. Réveillaud à son journal, Le Signal (Bibliothèque de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français).
25 Paris-Canada, 1889, n° 6, p. 2, col. 2.
26 Paris-Canada, 1889, n° 5, p. 3, col. 2.
27 Nombre de mentions par auteur : Rameau de Saint-Père : 26, François-Xavier Garneau : 20, Louis Dussieux : 19, Jean-Baptiste-Antoine Ferland : 9.
28 Nombre de mentions par auteur cité : François-Xavier Garneau : 14, Henri de Lamothe : 8, Rameau de Saint-Père : 6, Louis-Napoléon Carrier : 6, Louis-Philipe Turcotte : 5, Paul de Cazes : 5, Laverdière : 4, l’abbé Ferland : 3, Jules Michelet : 3, Bibaud fils : 3, Isidore Lebrun : 3, Joseph-Charles Taché : 2, Arthur Buis : 2, Benjamin Sulte : 2, Adrian° Balbi : 2.
29 Eugène Réveillaud donne une conférence à Montréal au Mechanic’s Hall le 29 n°vembre 1880 (« Le présent et l’avenir de la République française au point de vue politique et religieux »). Une prochaine publication permettra de préciser qui est à l’initiative de cette invitation. Il s’agit sans doute soit du pasteur Daniel Coussirat, professeur de langues anciennes à l’Université Mc Gill et une des personnalités de la communauté protestante francophone soit de Laurent-Edouard Rivard le fondateur de l’Aurore l’organe des protestants français au Canada. Sur ces protestants voir Hinault C., Catholiques et protestants dans le Sud-Ouest du Québec des années 1830 à 1920, thèse de doctorat sous la direction de Jean-Michel Lacroix, 2011, Université Paris 3-Sorbonne n°uvelle, 2 vol.
30 Simard S., Mythe et reflet de la France. L’image du Canada en France, 1850-1914, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1987, p. 12-21 ; Harvey F., op. cit., in Joyal S. et Linteau P.-A. (dir.), op. cit., p. 106 ; Chalifoux J.-P., Lalonde J.-R. et Ledoux S., Coup d’œil sur l’inventaire bibliographique des relations France-Québec depuis 1760, Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, 1999.
31 Eugène Réveillaud fondera en 1888 la « Société Protestante de Colonisation » placée sous le patronage de Coligny. Les statuts de la « Société Coligny » seront approuvés par le ministre de l’Intérieur le 12 juillet 1890. Réveillaud conduit une véritable entreprise d’émigration française en Algérie s’assurant avec le gouverneur général de l’Algérie que les familles se verront attribuer des terres. Il se rendra lui-même en Algérie et fera le récit du voyage que les colons firent sous sa direction en 1890 pour leur établissement près d’Oran (L’établissement d’une colonie de Vaudois français en Algérie, Paris Fischbacher, 1893). Petit P., op. cit., p. 248-249.
32 Groulx P., La marche des morts illustres. Benjamin Sulte, l’histoire et la commémoration, Gatineau, Vents d’Ouest, 2008.
33 Eugène Réveillaud, op. cit., p. 114.
34 Ibid., p. 265.
35 Ibid., p. 266.
36 Ibid., p. 266-267.
37 Ibid., p. 50.
38 Ibid., p. 60.
39 Ibid., p. 62.
40 Ibid., p. 67.
41 Simard S., op. cit., p. 287.
42 Cholvy G., La religion en France de la fin du XVIIIe siècle à n°s jours, Paris, Hachette, 1991, p. 56 sqq.
43 Barjot D., Chaline J.-P. et Encrevé A., La France au XIXe siècle, 1814-1914, Paris, PUF, coll. « Premier cycle », p. 567 ; Meyer J., Tarrade J., Rey-Goldzeiger A. et Thobie J., Histoire de la France coloniale, Histoire de la France coloniale, 1 : De 1600 à 1914, Paris, Armand Colin, 1991 ; Thobie J., La France impériale, Paris, Mégrelis, 1982.
44 Réveillaud E., op. cit., n. p.
45 Ibid., p. 4.
46 Ibid., p. 7.
47 Ibid., p. 5-6.
48 Ibid., p. 7-8.
49 Ibid., p. 8-10.
50 Ibid., p. 11-12.
51 Ibid., p. 12.
52 Ibid.
53 Ibid., p. 13.
54 Ibid., p. 14.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Ibid., p. 14-15.
58 Penisson B., « Les relations commerciales franco-canadiennes, 1880-1914 », Revue Française d’Histoire d’outre-mer, t. LXXVII, 1990, n° 288, p. 35-73 ; Poton D. et Souty F., « Les relations commerciales franco-canadiennes : de la culture à l’écon°mie (1763-2008) », in Joyal S., Linteau P.-A., op. cit., p. 183-193.
59 Lamonde Y. et Poton D. (dir.), La Capricieuse [1855] : poupe et proue. Les relations France-Québec, Saint Foy, Presses de l’Université Laval, 2006, p. 371-372 (éléments de conclusion).
60 Penisson B., « Les relations commerciales franco-canadiennes… », p. 70-73 ; Poton D. et Souty F., « Les relations commerciales franco-canadiennes… », in Joyal S., Linteau P.-A., op. cit., p. 193. On peut y ajouter Marn°t B., « Les relations commerciales entre la France et l’Amérique du Nord au XIXe siècle », in Lamonde Y. et Poton D. (dir.), op. cit., p. 11-13.
61 Linteau P.-A., « Quatre siècles d’immigration française au Canada et au Québec », in JoyaL S. et Linteau P.-A., op. cit., p. 175-191.
62 Ibid. ; Savard P., Le consulat général de France à Québec et Montréal de 1859 à 1914, Québec, Presses de l’Université Laval, Les Cahiers de l’Institut d’Histoire, n° 15, 1970, p. 73 sqq.
63 L’auteur introduit son compte-rendu en faisant état de la recension qu’il avait faite dans le Bulletin une vingtaine d’années auparavant (1865, XIV, 387-390) de « l’excellent ouvrage » de Astier J.-F. qui a pour titre Histoire de la République des États-Unis depuis l’établissement des premières colonies jusqu’à l’élection du président Lincoln (1620-1860). Force est de constater que ce qui retient l’attention de Jules Bonnet relève de la période qui n’est pas traitée dans l’ouvrage de J.-F. Astier, c’est-à-dire le XVIe siècle et les toutes premières années du siècle suivant avec les entreprises soutenues ou initiées par Coligny (Villegagn°n au Brésil, Jean de Ribault, Laudonnière et Dominique de Gourgues en Floride) et les expéditions conduites par Pierre Dugua, sieur de Monts, des premières années du XVII e siècle. Quelques lignes sont consacrées à la Nouvelle-France qui avec l’arrivée des jésuites et l’intolérance des rois de France ne pouvait que sombrer car « Quels précieux éléments de force et de prospérité la France n’a-t-elle pas perdu en repoussant, n°n seulement du sol natal, mais encore de ses colonies, cette race d’hommes probes, énergiques, austères que Calvin avait pour ainsi dire pétris de sa main, ces huguenots français qui ont tant d’analogie avec les Puritains d’Angleterre ! […]. Mieux inspirés que le grand roi, les petits-fils des puritains anglais accueillirent dans leurs rangs les bannis de la Révocation ». Le dernier paragraphe est consacré au Refuge américain, au rôle joué par les descendants de fugitifs dans la guerre d’indépendance américaine et dans l’expansion de la n°uvelle république « asile sacrée de la liberté de tolérance ». Ce compte-rendu entend souligner la place des huguenots dans l’établissement du protestantisme en Amérique du Nord. On comprend mieux dès lors la longue citation qu’il fait n°n de l’auteur du livre mais du préfacier Édouard Laboulaye : « Ce qu’il [J.-F. Astier] a voulu montrer à l’ancien monde c’est qu’une même idée, une même force a poussé les émigrants du XVIIe siècle sur le rocher de Plymouth, a soutenu les insurgés du dix-huitième contre l’arrogance des Anglais, a couvert l’Amérique de communes indépendantes et de gouvernements libres. Cette idée, cette force, c’est la religion de l’Évangile sous sa forme la plus austère, celle du puritanisme […]. Une Église républicaine a enfanté une société qui lui ressemble ». Bonnet J., « Histoire du Canada et des Canadiens français par Eug. Réveillaud », Bullletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, 1884, XXXIII, p. 523-524.
64 Baird C. W., History of the Huguen°t Emigration to America, New York, Dodd and Mead, 1885 ; Van Ruymbeke B. et Sparks R. J. (ed.), Memory and Identity. The Huguen°ts in France and the Atlantic Diaspora, Charleston, University of South Carolina Press, 2003 ; sur la construction d’une mémoire huguenote atlantique, voir Augeron M., Van Ruymbeke B. et Poton D. (dir.), Les huguenots et l’Atlantique. Pour Dieu, la cause et les Affaires, Paris, Les Indes savantes, vol. 2 (à paraître).
65 Simard S., op. cit., p. 85.
66 Yon A., op. cit., p. 41.
67 Réveillaud E., op. cit., p. 517.
68 Barjot D., Chaline J.-P. et Encrevé A., La France au XIXe siècle, 1814-1914, Paris, PUF, coll. « Premier cycle », p. 567-568.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
S’adapter à la mer
L’homme, la mer et le littoral du Moyen Âge à nos jours
Frédérique Laget et Alexis Vrignon (dir.)
2014
Figures et expressions du pouvoir dans l'Antiquité
Hommage à Jean-René Jannot
Thierry Piel (dir.)
2009
Relations internationales et stratégie
De la guerre froide à la guerre contre le terrorisme
Frédéric Bozo (dir.)
2005
La France face aux crises et aux conflits des périphéries européennes et atlantiques du xviie au xxe siècle
Éric Schnakenbourg et Frédéric Dessberg (dir.)
2010
La migration européenne aux Amériques
Pour un dialogue entre histoire et littérature
Didier Poton, Micéala Symington et Laurent Vidal (dir.)
2012
Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011)
Laurent Jalabert et Christophe Patillon (dir.)
2013
Sécurité européenne : frontières, glacis et zones d'influence
De l'Europe des alliances à l'Europe des blocs (fin xixe siècle-milieu xxe siècle)
Frédéric Dessberg et Frédéric Thébault (dir.)
2007
Du Brésil à l'Atlantique
Essais pour une histoire des échanges culturels internationaux. Mélanges offerts à Guy Martinière
Laurent Vidal et Didier Poton (dir.)
2014
Économie et société dans la France de l'Ouest Atlantique
Du Moyen Âge aux Temps modernes
Guy Saupin et Jean-Luc Sarrazin (dir.)
2004