Pour une relecture des stratégistes antiques : l’exemple du Strategicos d’Onosander1
p. 25-38
Texte intégral
1La littérature antique est avant tout une littérature militaire2 : les écrits de Thucydide comme de Tacite ont pour trame principale la guerre. Mais contrairement à ce qu’on imagine généralement, les écrits antiques sur l’art militaire proprement dit sont assez nombreux, et nous sont finalement parvenus en grand nombre : on recense ainsi une petite trentaine de traités entre le IVe siècle avant J.-C. et le IIIe siècle de notre ère. Parmi ces écrits, nous restent ceux d’un certain Onosander, dissertant sur l’art d’être un bon général. C’est un traité bien peu technique, du milieu du Ier siècle p.C., qui a fait dire à certains spécialistes qu’Onosander était un « aimable graeculus3, nullement versé dans l’art militaire4 ». Son traité se ramènerait à « des considérations morales et à des conseils obscurs de prudence, valables dans toutes les circonstances de la guerre5 ». Ce type de jugement de valeurs ne dévalorise pas Onosander seul. La plupart des stratégistes antiques sont mal considérés. Aussi le but de cette contribution est-il explicite, il s’agit de convaincre qu’il faut relire et étudier ces auteurs antiques, que leurs traités sont loin d’être, comme le prétend Victor Davis Hanson, « d’arides exercices pédantesques6 ». Il semble utile pour cela, de replacer le texte d’Onosander dans l’ensemble plus vaste des stratégistes antiques (annexe 1)7, avant de se pencher plus précisément sur quelques passages du Strategicos.
DES TEXTES DÉSORDONNÉS ET SANS INTÉRÊT ?
2Remarquons d’abord que les traités des écrivains les plus célèbres à nos yeux sont souvent des traités dont nous avons perdu le contenu. On sait par exemple que le fameux Pyrrhus d’Épire est l’auteur d’un traité de stratagèmes, Caton d’un De re militaris8, ou Polybe d’un traité de Tactiques, mais il ne nous reste rien de ces recueils. De même, il ne nous est parvenu que la dernière partie des textes de Frontin, ses Stratagemata qui ne sont que le complément d’écrits plus théoriques. D’Énée le Tacticien, nous ne connaissons sans doute qu’un des cinq traités militaires, sa Poliorcétique. Pourtant les sources qui nous sont conservées ne le sont pas du fait de quelques vicissitudes de la fortune. Si le traité d’Onosander est parvenu jusqu’à nous, c’est qu’il n’est pas, pour reprendre Alain, qu’« un vieux papier que la dent des rats, la négligence des héritiers, les flammes de l’incendie... les exigences de la chaise percée ont épargné par hasard ». On a conservé le texte d’Onosander parce qu’il présentait un intérêt pratique : les éloges des Modernes en sont le témoignage.
Éloges des Modernes
3Si les auteurs du XXe siècle n’ont, en effet, pas été bien charitables avec Onosander, les Modernes, eux, praticiens ou théoriciens de la guerre, étaient à son égard beaucoup plus bienveillants. La renommée d’Onosander doit par exemple beaucoup au Maréchal de Saxe, qui écrit dans ses Rêveries qu’il ne partait jamais à la guerre sans avoir dans sa poche le Strategicos9. Onosander est également cité par Turpin de Crissé au XVIIIe siècle dans son Essai sur l’art de la guerre10. Quant au baron de Zur Lauben, qui publie une traduction de notre auteur en 1757, il indique en prépréface : « L’original grec, quoique parvenu à nous avec des variantes et des lacunes, et même un désordre visible dans la liaison des chapitres, conserve dans sa diction une beauté majestueuse, une élégance nerveuse, et une clarté perçante ».
4Ce qui nous amène à une deuxième remarque, à propos du « désordre visible dans la liaison des chapitres ». Les traités antiques, pour la plupart, nous semblent dans leur organisation irrationnels, comme écrits au fil de la plume. La plupart sont divisés en sections de longueurs inégales, qui coupent souvent un développement en deux morceaux. Le texte d’Onosander par exemple est divisé arbitrairement en 42 chapitres. Il faut pourtant préciser que ces divisions ne sont pas originelles. Elles datent en général du Moyen Âge ou de l’époque Moderne, quand on indiquait, en marge des manuscrits, des manchettes résumant les idées du texte. Ce sont ces manchettes sommaires qui servent aujourd’hui de divisions aux textes, bien qu’elles aient plutôt tendance à les obscurcir ; seulement il ne faut pas imputer aux Anciens les méprises des Modernes... Mieux encore, il ne faudrait pas lire ces traités comme de simples discours sans logique. La correspondance entre le plan du Strategicos et celui des trois premiers livres des Stratagemata de Frontin est à ce titre édifiante (cf. annexe 2). Les deux œuvres, écrites dans la seconde moitié du Ier siècle p.C., ont en effet non seulement la même organisation générale (Renseignement/Marches/Contrôle de l’armée/Bataille/Poliorcétique), mais mieux encore, un agencement assez souvent similaire dans le détail même des textes11.
ONT-ILS EU LE MOINDRE IMPACT DANS L’ANTIQUITÉ ?
5On peut légitimement se demander si ces textes ont eu le moindre impact dans l’Antiquité. Selon Yann Le Bohec, sous le Haut-Empire, « chaque fils de sénateur ou de chevalier possédait dans sa bibliothèque des traités consacrés à l’art de la guerre12 ». Pourtant, la portée réelle de ces ouvrages dans la formation des généraux est extrêmement difficile à mesurer13. On pourrait pour cela, penser à comparer les prescriptions des traités avec les actions des généraux sur le terrain, mais ce n’est pas forcément judicieux. En effet, pour prendre l’exemple des Stratagemata de Frontin, ce n’est pas parce qu’un général utilise un de ces stratagèmes, qu’il a lu cet auteur ; ce n’est pas non plus parce qu’il n’en emploie pas qu’il n’a pas lu Frontin... Mieux vaut sans doute se rapporter à des considérations plus générales.
6Observons le dernier siècle de la République et le Haut Empire. C’est une période où les armées romaines ne subissent quasiment pas de défaites. On retient généralement trois facteurs comme combinaison fondatrice de la suprématie d’une armée : moral des combattants, mérites tactiques du commandement et valeur de l’outillage14. Or, on reconnaît au second de ces facteurs un rôle fondamental quant à la supériorité de l’armée romaine sur le monde méditerranéen antique, notamment grâce à la capacité d’adaptation de cette armée (on pense à l’invention de la tactique manipulaire puis au renforcement de l’unité de base au niveau de la cohorte). Pourtant, on a longtemps considéré que la force de l’armée romaine provenait essentiellement du légionnaire et de l’encadrement subalterne et, par corollaire, que la direction supérieure de la guerre était très insuffisante15. Ce présupposé, très certainement, tient à ce que la troupe se professionnalise à partir de la réforme de Marius en 107 a.C. puis définitivement sous Auguste, alors que la direction reste toujours aux mains d’amateurs qui alternent charges civiles et militaires. Si l’on retient l’hypothèse selon laquelle les légions ont vaincu sans généraux, voire même malgré eux, qu’importe effectivement que les chefs n’aient pas été formés ? Si les généraux ne sont pas nécessaires, les traités écrits pour les former sont alors effectivement « d’inutiles exercices pédantesques ». Mais est-il bien raisonnable de penser qu’une armée puisse se passer de généraux en chef ? Peut-on, de plus, véritablement imaginer que des soldats professionnels auraient accepté de confier leur destin à des amateurs s’ils n’avaient pas eu entière confiance en eux ?
7Si l’on considère alors l’hypothèse inverse, celle selon laquelle les généraux sont indispensables, et qu’ils emploient une technique élaborée, c’est qu’ils l’ont étudiée à un moment quelconque de leur vie. Rappelons alors rapidement leur formation, par exemple sous le Haut-Empire.
Formation des généraux
8Contrairement à l’éducation hellénistique, l’éducation romaine est essentiellement familiale, sous la responsabilité de la mère, puis à partir de sept ans sous celle du père. Les généraux en chef sont globalement, pour l’époque qui nous occupe ici, au moins des préteurs ou anciens préteurs : seul un magistrat à imperium peut commander une légion. Ils ont donc eu une formation destinée à les faire accéder à la carrière des honneurs, le cursus honorum. La formation dispensée est essentiellement consacrée à l’art oratoire (il s’agit avant tout de se faire élire à Rome), d’abord sous la direction d’un grammaticus, puis sous celle d’un rhetor16. Quant à l’éducation physique, elle reste strictement utilitaire avec pour dessein de préparer à la guerre. Les exercices gymniques travaillés au Champ-de-Mars sont considérés comme de nécessaires exercices d’hygiène plutôt que comme de pures activités sportives17, mais c’est une formation complète. Ainsi voit-on Titus servir dans les armées de son père, en Judée, comme cavalier aussi bien que comme fantassin ou archer18. On rapporte également les grands talents de César en natation quand il s’agit de quitter l’île de Pharos, à Alexandrie, alors que la situation tourne à la débandade19.
9À seize ans, après la prise de la toge virile, le jeune homme consacre un an à « l’apprentissage de la vie publique » (tirocinium fori) sous la conduite d’un homme politique déjà installé, ami de la famille. Puis vient la préparation proprement militaire de un an, le tribunat militaire, comme attaché à l’état-major de l’armée. Entre cette première préparation et l’exercice de magistratures l’amenant à commander l’armée (préture ou consulat), plusieurs années peuvent s’écouler. Ainsi César, tribun militaire élu en 75 a.C., n’a pas de commandement majeur avant son proconsulat en Gaule dix-sept ans plus tard, en 5820. Enfin, entre les magistratures, les promagistratures aux armées restent fonction du bon vouloir du candidat, ce qui permet à certains de se spécialiser et d’être considérés comme des homines militares (l’expression est de Salluste) : on retient ainsi, pour la fin de la République, les noms de Licinius Murena, Labienus, Afranius, Petreius... Mais ces spécialistes ne représentent encore qu’une assez faible minorité parmi les généraux employables.
10Pour résumer, remarquons d’abord l’absence de toute formation par l’État21, ce qui ne manquait pas d’étonner les auteurs grecs de l’époque. Constatons ensuite la brièveté de la formation sur le terrain. Cette année de tribunat militaire était-elle suffisante pour prendre connaissance des tactiques, des stratégies employées couramment par les Romains ? Autrement dit, les Romains pouvaient-ils se dispenser de lire en complément, les traités théoriques ?
Les traités étaient-ils lus ?
11Avons-nous un début de preuve que ces traités étaient lus ? Remarquons d’abord qu’écrire des traités théoriques ou pratiques, de poliorcétique... ou de jardinage (le De re rustica de Columelle), est une pratique relativement courante qui doit donc trouver des lecteurs ; ainsi commence Onosander : « Il est approprié, je crois, de dédier des monographies écrites sur l’exercice des chevaux, sur la chasse, sur la pêche, sur l’agriculture, aux gens qui ont du goût pour ces occupations, mais un traité sur la science militaire, Quintus Veranius, doit être dédié aux Romains22 ». On sait par exemple que Frontin est aussi l’auteur d’un traité gromatique et d’un traité intitulé Des aqueducs de la ville de Rome présentant les aspects techniques de cette curatelle quand il en est chargé en 98 p.C. Par ailleurs, on est sûr que les traités militaires sont au moins lus par les théoriciens qui veulent à leur tour écrire un ouvrage : Onosander est ainsi allègrement repris par l’empereur Maurice au VIe siècle dans son Stratégicon, ou par Léon le Philosophe au Xe siècle. Mais ces traités sont-ils étudiés par une frange plus importante de la population-cible, en l’occurrence la classe sénatoriale supérieure ? On peut rapporter dans ce sens, les lamentations de Pline, qui rappelle dans ses lettres un passé idéal où les Romains pour apprendre ne se satisfaisaient pas de discours, mais pratiquaient également l’art de la guerre23. On peut encore signaler par exemple un discours dans lequel Cicéron se plaint que les jeunes gens se désintéressent de la science militaire alors que les anciens acquéraient leur savoir « non dans les livres, mais par leurs expériences et leurs victoires24 ». On peut enfin mentionner l’allocution reconstituée par Salluste dans laquelle Marius pour se faire élire au consulat se compare à certains qui « une fois élus consuls se sont mis à lire et les actions de nos ancêtres, et les préceptes des Grecs sur l’art militaire25 », alors que lui rentre victorieux de campagnes contre Jugurtha.
12Alors oui, il faut bien conclure que ces traités étaient lus, que les orateurs en pensent du bien ou du mal.
REFLET D’UNE CERTAINE MANIÈRE DE FAIRE LA GUERRE
13Pourquoi les Anciens ont-ils pris la peine de lire des textes qui paraissent si mauvais aux historiens contemporains ? Onosander a été taxé de prodiguer des « conseils obscurs de prudence ». Effectivement, ce ne sont pas les « conseils de prudence » qui manquent dans le Strategicos. Mais la prudence ne doit-elle pas être à la base de toutes les actions des généraux, dans le combat, pendant la campagne, aussi bien qu’après ? On peut, pour en juger, comparer quelques passages d’Onosander aux actions des généraux sur le terrain, à commencer par l’essence même de la guerre, le combat dans la bataille.
« Le général ne devrait pas entrer lui-même dans la bataille » (Onos., XXXIII)
« Que le général prenne personnellement part au combat, mais avec plus de prévoyance que d’audace, et qu’il s’abstienne complètement d’en venir aux mains avec les ennemis. Car, même s’il montre un courage exceptionnel dans les batailles, il ne peut nullement aider autant l’armée en combattant que lui nuire en succombant : chez un général, en effet, l’intelligence vaut plus que la force ». (Onos., XXXIII, 1).
14C’est là un point extrêmement intéressant. En effet Alexandre le Grand lui, ne se posait pas la question, il combattait au premier rang26. Xénophon pourtant indiquait déjà que peut-être le général ne devrait pas combattre au corps à corps27. À Rome, Scipion l’Africain est, semble-t-il, le premier général à éviter de s’exposer en première ligne28. Or si Onosander donne encore ce conseil au milieu du Ier siècle p.C., c’est que cette option n’a pas encore été totalement intégrée par les généraux romains. Et en effet, si la capacité de César à contrôler à distance, l’ensemble de l’armée pendant la bataille est objet d’admiration naïve dans la Guerre d’Afrique29, que le général ne soit pas sur le terrain à côté de ses troupes n’est pourtant, même à la fin du Ier siècle p.C., pas toujours bien compris30.
15Deux raisons poussent le général à ne pas entrer dans la bataille. La première est que sa disparition est source de panique pour sa propre armée. La mort, mais même une chute de cheval de sa part peut transformer le cours de la bataille. Au point qu’Onosander, mais aussi Frontin, rapportent que c’est un bon stratagème d’annoncer que le général ennemi est mort, non seulement pour donner courage à ses propres troupes, mais également pour saper le moral de l’armée adverse31. Les exemples sont nombreux, à travers toutes les sources considérées ici : la rumeur de la mort du général est la première à se propager lors des paniques. Il en est ainsi lorsque le camp de Cicéron est attaqué par la cavalerie germaine alors que César est au loin32. Dans les Histoires de Tacite, une chute de cheval de Civilis entraînant la rumeur qu’il est blessé ou tué, déclenche un début de panique dans sa propre armée alors qu’elle redonne de l’ardeur à ses adversaires33. La moindre blessure du commandant en chef est interprétée avec angoisse par la troupe : ainsi la légère contusion au pied de Vespasien provoquée par un projectile alors qu’il inspecte les travaux d’investissement des défenses de Jotapata « suscita une grande agitation parmi les Romains34 ». D’où encore les conseils de modération de ses lieutenants à Titus : « Il ne devait pas exposer sa vie plus que ceux dont c’était le devoir de tenir bon pour le défendre ; il devait considérer sa propre Fortune, ne pas remplir le rôle d’un simple soldat alors qu’il était le maître de la guerre et du monde entier, ni prendre sur lui un risque si grand, alors que tout était lié à son sort35 ».
16La seconde raison est que le général romain a un rôle tactique pendant la bataille, plus actif que son homologue grec du Ve siècle a.C. On peut globalement résumer son rôle durant la bataille par ce passage d’Onosander : « Le devoir d’un général est de parcourir à cheval les rangs, de se montrer à ceux qui sont en danger, d’animer les braves, d’effrayer les couards, d’encourager les paresseux, de remplir les trous, si nécessaire de déplacer une compagnie, d’apporter de l’aide aux fatigués, d’anticiper les crises, le temps et les conséquences36 ». À la bataille d’Alésia, dans sa phase finale, « César, qui a choisi un bon observatoire, suit l’action dans toutes ses parparties; il envoie du renfort sur les points menacés37 ». Durant la bataille de la Sambre en 57 a.C., le général passe alternativement d’une aile à l’autre pour encourager ses troupes38.
17Pourtant, dans ces deux dernières batailles, César est finalement obligé de prendre personnellement part au combat. Mais ces prises de risque pour un général, correspondent à des objectifs précis, que l’on peut grouper en trois catégories. Première catégorie, le général peut entrer dans la bataille parce qu’il n’a plus la possibilité d’agir autrement : la bataille est devenue trop confuse, la configuration du terrain l’empêche d’avoir une vue d’ensemble... C’est le cas de César lors de la bataille de la Sambre en 57 a.C.39, ou encore de Marius, alors qu’il est attaqué par surprise par Jugurtha et Bocchus quand il rejoint ses quartiers d’hiver en 106 a.C. : « ne pouvant dans la confusion générale faire parvenir ses ordres aux soldats, au moins voulait-il les aider de son bras40 ». On peut interpréter peut-être cette prise de risque comme le fait que le général « désirait véritablement combattre et risquer la mort aux côtés de ses hommes41 », car tous ne le font pas. On touche ici au caractère, voire à l’âge du général en chef : indiscutablement, dans les sources étudiées, Titus semble le plus téméraire42. Mais on a dit les reproches auxquels il s’exposait. Aussi peut-on nuancer l’importance de cette catégorie.
18Seconde catégorie par contre, le général se porte souvent au premier rang dès le début de la bataille afin d’établir ou de rétablir un lien de confiance avec la troupe, soit parce que son armée a subi des revers qui ont amoindri son moral, soit plus simplement parce qu’il est nouvellement en fonction. C’est par exemple le cas de César lors de sa première bataille en Gaule, contre les Helvètes, à Bibracte en 58 a.C. : il « fit éloigner et mettre hors de vue son cheval d’abord, puis ceux de tous les officiers, afin que le péril fût égal pour tous43 ». À l’opposé, l’absence du général lors de batailles décisives est un désavantage : telles les troupes d’Othon qui n’ont confiance qu’en lui alors qu’il se retire à Brixellum44, ou celles de Vitellius contre les Flaviens, qui « vaincues par l’effet du hasard [...] avaient moins éprouvé dans le succès le besoin d’un chef que, dans la défaite elles n’en ressentaient l’absence45 » suite à la seconde bataille de Bédriac. Combattre au premier rang, comme un soldat d’élite, risquer sa vie au côté du légionnaire, c’est créer un lien fort de confiance entre le commandant et son armée.
19Troisième catégorie enfin, le général peut intervenir plus ponctuellement au cours de la bataille pour rétablir la situation sur un point menacé. Mais il s’agit plus de renouveler la confiance ou l’ardeur des troupes, leur état moral, que de rétablir matériellement la situation. La parole est plus importante que le combat lui-même : le général apostrophe ses troupes pour les encourager46. Mais ce n’est pas toujours suffisant, et dans des cas extrêmes, la situation pousse souvent le général à prendre encore plus de risque : à ôter son casque pour se faire plus aisément reconnaître de ses troupes47. Dans ce domaine, remarquons que César a mieux préparé cette éventualité que ses homologues : c’est grâce à son manteau, le paludamentum rouge du chef qu’il est reconnu48...
20On peut pourtant rapporter un passage intéressant de la Guerre d’Afrique, à propos de la bataille deThapsus (avril 46 a.C.) : « Les fuyards [...cherchaient] aussi un chef qu’ils pussent regarder et dont le prestige et l’autorité pût les diriger au combat49 ». Notons ici l’emploi du verbe respicere : littéralement « regarder en arrière, regarder derrière soi, tourner la tête (se retourner) pour regarder » ; comme quoi le général, Scipion en l’occurrence, même ici, alors qu’il est en train de perdre la bataille, n’est pas devant les soldats... mais derrière. « Héroïque » ? avec prudence...
21Ici donc au moins, le conseil d’Onosander n’est pas « obscur ». Il est au contraire un clair reflet des hésitations des généraux de l’époque.
Des désertions
22Autre exemple de prudence, non pas cette fois-ci du général dans la bataille, mais avant même celle-ci, contre les soldats de son propre camp :
« [Le général] ne doit annoncer à personne contre quelle position et avec quel dessein il conduit son armée [...car] il n’y a pas d’armée où esclaves et hommes libres ne désertent pas vers l’autre camp lors des nombreuses occasions que la guerre offre inévitablement. » (Onos., X [9]).
23Tout le monde connaît pourtant la belle discipline de l’armée romaine, le grand patriotisme de ses soldats : il nous semble impensable que des hommes civilisés, des citoyens, aient même l’idée de rejoindre les rangs des Barbares. Bien sûr, en période de guerre civile, la situation est quelque peu différente, les changements de camps sont inévitables50. Incontestablement, l’indiscipline du miles gregarius, du uolgu51, est un thème qui revient particulièrement souvent dans les récits de guerre civile. « Dans les temps de discorde, la fidélité des soldats était chancelante et chacun d’eux était un danger52 », constate Vespasien lorsqu’il pense à tenter ses chances dans la course à l’empire. Chez Tacite, autre exemple, les soldats de Vitellius sont présentés comme « plus disposés à se mutiner qu’à se battre53 ». Mais Onosander écrit vers 53 p.C., donc à la fin du principat de Claude. Voilà bien longtemps que l’Italie n’est plus déchirée par les guerres civiles de la fin de la République. Alors pourquoi parle-t-il encore de désertions ?
24Si l’on fait attention aux textes, on se rend pourtant compte que l’armée romaine n’était peut-être pas aussi disciplinée que ce qu’on le pense, et que les soldats étaient peut-être moins « patriotes » que ce qu’on ne le dit54. Il arrive, en effet, de temps en temps, qu’on entende les Barbares inciter les légionnaires à changer de camp. Ainsi en 54 a.C., lors de l’attaque du camp de César, les Nerviens « font publier tout autour du camp par des hérauts que tout Gaulois ou Romain qui voudra passer de leur côté avant la troisième heure pourra le faire sans crainte ; après, il ne sera plus temps55 ». Même situation en Germanie sous le principat de Tibère : « Un ennemi, qui connaissait la langue latine, pousse son cheval jusqu’au retranchement et d’une voix forte promet au nom d’Arminius, des femmes, des terres et une paye de cent sesterces par jour jusqu’à la fin de la guerre à tout déserteur56 ». Mieux encore, plusieurs passages mentionnent implicitement ou explicitement la présence de déserteurs romains au sein des armées ennemies.
25Ainsi dans la Guerre de Jugurtha de Salluste, les transfuges apparaissent plus d’une fois : ils sont d’ailleurs présentés comme les troupes les plus sûres du roi, prêtes à mourir plutôt que de se rendre, ne pouvant espérer de pardon57. Il est également possible que de tels déserteurs aient aidé les Aquitains à faire la guerre « à la romaine » au jeune Crassus58.
26Alors, oui, parfois les légionnaires romains changeaient de camp, et passaient aux barbares. Ici Onosander conseille la prudence, mais sans doute a-t-il moins tort que nous ne l’aurions pensé au premier regard. D’autant que nous n’avons parlé que des légionnaires, non des troupes auxiliaires, dont on imagine aisément le comportement lorsqu’on les oppose à des troupes de même origine ethnique qu’elles-mêmes59.
Prudence face au Prince
27Voilà enfin comment Onosander termine son traité :
« Si un stratège a vu toute la campagne [...] se dérouler comme il le souhaitait [...], il ne doit pas dans le succès être rogue, mais débonnaire, ne pas afficher une arrogance insupportable, mais manifester une bienveillance amicale ; la première attitude en effet fait naître la jalousie. » (Onos., XLII, (10), 24).
28Pour notre graeculus, même après la fin de la guerre le général ne doit pas cesser pour autant d’être prudent. Mais encore une fois, il faut bien convenir qu’il n’a pas fondamentalement tort. Globalement, les généraux qui ont face à eux l’empereur n’ont pas forcément intérêt à prendre trop d’initiatives politiques ou plus simplement à afficher trop ostensiblement leurs exploits. « Un homme qui se distingue est un danger pour la paix et une lourde charge pour un prince sans courage60 » explique Tacite quand Claude met fin aux opérations de Corbulon en Germanie. Que l’on repense simplement aux fins tragiques non seulement de Germanicus face à Tibère, mais aussi de Corbulon face à Néron61 ou, à l’opposé, à la prudence d’Agricola62 et de Frontin : dans le traité de ce dernier, aucun des stratagèmes n’est tiré de ses propres campagnes, qui sont pourtant nombreuses et glorieuses. Et Frontin a ainsi pu passer sans dommage, et même toujours comblé d’honneurs, du principat de Domitien à celui de Nerva puis celui de Trajan.
29Onosander préconise tout au long de son traité la prudence. On pourrait encore conseille de ne pas bouger si les signes sont défavorables, quitte à se faire tuer sur place, de toute façon c’est ce qui peut arriver de mieux63. Pourtant encore une fois, c’est ici le reflet d’une certaine manière de faire la guerre, que l’on retrouve chez d’autres auteurs, que nul n’oserait taxer « d’obscurs »64. Mais il nous semble que ces quelques extraits suffisent : en conseillant la prudence, Onosander n’est que le reflet des mentalités de ses contemporains.
« Il faut relire et étudier les stratégistes antiques… »
30Il faut bien convenir, comme l’ont dit certains, que la « littérature tactique de l’Antiquité a été reléguée à la poubelle de l’histoire65 ». Les traités des stratégistes antiques nous ont pourtant été transmis nombreux, preuve de l’intérêt que les Modernes leur ont porté. Mais il nous semble que les Anciens ne les méconnaissaient pas non plus, malgré l’image qu’ils veulent donner d’un passé idéal, où les généraux étaient des hommes formés sur le terrain66.
31Ces traités sont loin d’être inintéressants pour l’histoire de la guerre antique. Sans doute la plupart d’entre eux, celui d’Onosander le premier, apportent-ils peu de renseignements techniques, voire même de renseignements précis. Mais un historien demande-t-il à sa source de lui fournir une étude sociologique pré-élaborée sur son époque ? Ces traités sont intéressants pour l’historien antiquiste pour la simple raison qu’ils sont le reflet d’une certaine manière de faire la guerre. Si Onosander est crédité « d’obscurs conseils de prudence », c’est que les Romains sont des gens prudents. On peut douter que la référence aux Anciens ait encore beaucoup de pertinence pour les militaires du XXIe siècle. Mais pour les historiens, ces traités peuvent être d’une extrême richesse, pour peu qu’on se donne la peine de les étudier sérieusement : les dernières études voire éditions remontent le plus souvent au XVIIIe siècle, les problématiques et les méthodes de la critique historique ont quand même progressé depuis...
32Aussi finirons-nous comme nous avons commencé : il faut aujourd’hui relire et étudier les stratégistes antiques.
ANNEXES
Notes de bas de page
1 Les études sur Onosander sont rares, il n’existe pas de traduction française complète au XXe siècle. On se rapportera à la traduction anglaise de 1922 : Onasander, « The General », dans Aeneas Tacticus, Asclepiodotus, Onasander, Londres-Cambridge (Massachusetts), Loeb classical Library, 1986. - Pour l’établissement du texte, on se référera à : Dain (Alphonse), Les manuscrits d’Onésandros, coll. des Études Anciennes, Paris, 1930. - Une liste complète des éditions, traductions et études du texte d’Onosander pourra être consultée dans : Dain (Alphonse), « Les stratégistes byzantins », Travaux et mémoires, vol. Il, Centre de recherche d’histoire et civilisation byzantines, Paris, 1967, p. 317-392. (= Dain, Stratégistes) - On peut rajouter aux titres qu’elle contient : Traductions : Battistini (Olivier), La guerre, trois tacticiens grecs : Énée, Asclépiodote, Onasandre, Paris, 1994 ; Chaliand (Gérard), Anthologie mondiale de la stratégie, Paris, 1990 ; Études : Ambaglio (Delfino), « Il trattato "sul comandante" di Onasandro », Athenaeum, vol. LIX, 1981, p. 353-377 ; Le Bohec (Yann), « Que voulait Onesandros ? », Claude de Lyon empereur romain, actes du colloque Paris-Nancy-Lyon, novembre 1992, réunis et publiés par Y. Burnand, Y. Le Bohec, J.-P. Martin, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne ; Mesplé (Pierre), Étude sur le commandement militaire : des sources littéraires aux écrits d’Onosander (107 a.C. - 107p.C.), mémoire de maîtrise, université de Nantes, sous la dir. de M. le Professeur J. Peyras, 2000.
2 Selon A. Toynbee, le fait militaire occupe les 4/5e des écrits des historiens antiques.
3 Onosander (on trouve aussi « Onesandros », « Onasander », « Onosandros ») est sans doute d’origine chypriote, il écrit en grec, mais son traité est dédié à un certain Quintus Veranius, que Tacite présente comme gouverneur de Bretagne en 58-59 p.C. (Ann. XIV, 29,1). Remarquons immédiatement l’écrasante disproportion du nombre d’écrits en grec par rapport aux écrits en latin (cf. annexe 1).
4 Dain, Stratégistes, p. 329.
5 Dain, Stratégistes, p. 330.
6 Hanson (Victor Davis), Le modèle occidental de la guerre, Paris, 1990, p. 79.
7 On voudrait justifier cette approche par cette remarque d’A. Dain : « Il importe de ne pas séparer le Strategicos d’Onésandros des autres ouvrages de technique militaire. Il faut savoir, en effet - et c’est une idée qui n’a pas encore été suffisamment dégagée - que les ouvrages qui n’offraient pas, par leur matière ou leur étendue, une importance exceptionnelle n’ont pas été transcrits isolément. L’idée qu’un petit corpus ou qu’une série de petits corpus sont à l’origine de telle ou telle branche de la tradition manuscrite des textes grecs ne laisserait pas de jeter quelque lumière dans les recherches encore si insuffisantes faites sur l’histoire des textes grecs à l’époque byzantine. » Dain (Alphonse), Les manuscrits d’Onésandros, Paris, 1930, p. 16.
8 Ouvrage qui aurait baigné la formation de César : Le Bohec (Yann), César chef de guerre, Paris, 2001, p. 29.
9 Bois (Jean-Pierre), Maurice de Saxe, Paris, 1992, p. 188.
10 Cf. dans ce même recueil, Picherit (Damien), « Turpin de Crissé : dialogue avec les auteurs anciens », p. 151-168.
11 Pour une comparaison semblable avec la colonne Trajane, cf. Settis (Salvatore), « La colonne Trajane : invention, composition, disposition », Annales ESC, septembre-octobre 1985, n° 5, p. 1151-1194. Que conclure de ces recoupements ? Non pas, bien sûr, qu’Onosander a constitué une « source » pour Frontin et les sculpteurs de la colonne Trajane, mais que le Strategicos est baigné des valeurs militaires de son temps malgré les doutes de certains quand à l’(in)expérience d’Onosander en matière militaire.
12 Le Bohec (Yann), L’armée romaine, Paris, 1998, p. 38.
13 Campbell (Brian), « Teach yourself to be a general », JRS, LXXVII, 1987, p. 13-29.
14 Bouthoul (Gaston), Traité de Polémologie, Paris, 1970, p. 157.
15 « Rome a grandi par la conquête. Elle a commencé par conquérir l’Italie, puis elle a étendu sa domination sur tout le pourtour de la Méditerranée. Elle a vaincu successivement les peuples les plus réputés par leur bravoure ou par leur science de la guerre. Elle a donc été la plus grande puissance militaire du monde antique.
Cependant il est généralement reconnu que les Romains n’ont pas eu de très grands hommes de guerre à l’exception de César. Leurs victoires s’expliquent surtout par la valeur de leur organisation militaire, sans cesse remaniée et perfectionnée, et par les solides qualités de leurs troupes. Rome dut ses succès à ses soldats plutôt qu’à ses généraux. » [souligné dans le texte]. A. Malet & J. Isaac, Histoire romaine, classe de cinquième, Paris, Hachette, 1929, p. 59.
16 « Le bagage du Romain n’est pas fait de sciences multiples dotées d’un statut semblable, comme pourrait l’être une formation associant par exemple mathématiques, histoire, droit, littérature, philosophie... Ces matières-là ne sont en fin de compte qu’auxiliaires. Le programme du jeune Romain comporte d’abord et souvent exclusivement l’art de bien parler » Achard (Guy), La communication à Rome, Paris, 1991, p. 80.
17 Marrou (Henri Irénée), Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, 1965.
18 Comme cavalier : Josèphe, G.J., V, 54 ; comme fantassin : III, 490 ; comme archer : V, 331 ; 340.
19 César, B. Alex., 21,2.
20 Il ne mène pendant sa propréture en Espagne Ultérieure (61 a.C.) que des actions de répression contre les populations du nions Herminius.
21 Signalons tout de même l’initiative d’Auguste, avec la création des collegia iuuenum. Fondés pour reprendre en main la jeunesse sénatoriale et équestre, ils sont censés lui redonner le goût de la préparation militaire. On a là des clubs de jeunes gens (de bonne famille), morphologiquement équivalents aux collèges éphébiques de la Grèce hellénistique. En dehors de leur aspect politique (au niveau municipal), ou religieux, ces écoles ont pour principale activité le sport. Nombreux en Italie centrale dès Auguste, les collèges perdent cependant rapidement selon H.-I. Marrou (op. cit.), tout aspect martial au profit d’un aspect mondain et festif d’initiation à la vie publique. On peut pourtant signaler qu’en Afrique lors de l’usurpation des Gordiens en 238 p.C., les collegia iuuenum ont un rôle militaire non négligeable.
22 Onos., prooemium, 1.
23 Pline le Jeune, Epistulae, VIII, 14, 4-5.
24 Cicéron, Pro M. Fonteio, 42,3.
25 Salluste, B.lug. 85,12 : et Graecorum militaria praecepta legeri coeperint.
26 « À la question clé, le chef doit-il monter en première ligne toujours, quelquefois, ou jamais ? (Alexandre aurait répondu : toujours !), ses successeurs, deux cents ans plus tard, pas davantage, répondaient désormais, sans aucun doute : quelquefois. Peut-être même étaient-ils tentés de dire : jamais. » Keegan (John), L’art du commandement, Perrin, Paris, 1991, p. 151.
27 Xénophon, Hipparque, IV, 13 : « C’est le propre cependant d’un chef qui réfléchit de ne jamais s’exposer spontanément au danger ».
28 Frontin (Strat. IV, 7, 4) rapportant une parole de Scipion : « imperatorem me mater, non bellatorem peperit ! » : « C’est un général que ma mère a mis au monde avec moi, et non un guerrier ! ».
29 Ps-César, B.Afr. 31, 4 ; César, B.G. VII, 16, 2.
30 Josèphe, G.J. II, 46.
31 Onos., XXIII, 1 ; Frontin, Strat. Il, 4, 9 ; 10.
32 César, B.G. VI, 37,7.
33 Tacite, Hist. IV, 34,5.
34 Josèphe, G.J. III, 236. - À l’opposé voir Frontin, Strat. II, 7,13 : Labiénus après Pharsale ne peut dissimuler la défaite aux soldats qu’il lui reste, mais rééquilibre la fortune des deux partis en inventant une grave blessure reçue par César : « Cette invention rendit confiance aux restes du parti pompéien ».
35 Josèphe, G.J. V, 88.
36 Onos., XXXIII, 6.
37 César, B.G. VII, 85,1.
38 César, B.G. II, 20-27.
39 César, B.G. II, 22-25.
40 Salluste, B. Iug. 98,1.
41 Hanson, op. cit., p. 148.
42 Titus dans la mêlée : Josèphe, G.J. III, 490 ; V, 54-66 ; 87-88 ; 92 ; 287 : 310 ; 341 ; 488... Né en 39 p. C., il a donc 31 ans quand il prend le commandement de la guerre contre les Juifs, alors que son père avait lui 57 ans quand Néron l’avait mis à la tête de la guerre « considérant que la pondération de l’âge accompagnait en lui l’expérience » (G. J.. III, 6). - À l’opposé en 50 p.C. en Bretagne le légat « Didius, appesanti par l’âge et comblé d’honneurs, laissait agir ses officiers et se bornait à repousser l’ennemi ». (Tacite, Ann. XII, 40,4). - Sur l’amour césarien du danger cf. Plutarque, César, XVII, 1-2.
43 César, B.G. I, 25,1
44 Tacite, Hist. II, 33,3.
45 Tacite, Hist. III, 18,1.
46 César, B. G. I, 45,1 : « César voyant que la démoralisation s’était emparée de presque toutes les troupes en ligne, contrairement à son attente et aux habitudes de ses soldats, ranime leur courage [cohor--talus suos : littéralement “harangue les siens”] et amène en renfort la neuvième légion. » ; cf. aussi VII, 86,3 ; B. Alex, 20,1...
47 Labienus à la bataille de Ruspina (Ps-César, B.Afr. 16,1) ; Germanicus en 16 p.C. contre Arminius (Tacite, Ann. II, 21,2) ; Cerialis pris au dépourvu contre les Bataves (Tacite, Hist. IV, 77,2)...
48 César, B.G. VII, 88,1.
49 Ps-César, B.Afr. 85,4 : ducemque aliquem requirerent quern respicerent, cuius autoritate imperioque rem gererent.
50 César se plaît, lors de sa descente sur l’Italie, à rapporter tous ces exemples de troupes qui passent dans son camp. Pour n’en prendre qu’un, début janvier 1949, l’imperator occupe Auximum : « Les troupes de Varus l’abandonnent ; un certain nombre de soldats rentrent chez eux, le reste va trouver César » (B.C. I, 13,4). Plus tard, quand le conquérant des Gaules est obligé de rapporter le passage de cavaliers Gétules de son camp à celui de Pompée, il s’empresse de contrebalancer l’événement, présenté comme exceptionnel, par cette remarque : « Presque chaque jour des déserteurs pompéiens gagnaient le camp de César » (B.C. III, 61,2).
51 Le défenseur de la cité est, chez Platon, « chien de race ». L’image est reprise par Plutarque, mais le soldat s’est certainement, pour Onosander (XXXIV, 5) comme pour Suétone (Vie de Tibère, 25,1), transformé en loup qui leur fait tout aussi peur qu’à Tacite : Platon, La République, 416, a-b : « Rien ne serait plus terrible et plus honteux pour des bergers que de nourrir et de former pour les aider à protéger leurs troupeaux, les chiens que l’intempérance, la faim ou quelque vicieuse habitude porterait à faire du mal aux moutons et à devenir loups de chiens qu’ils devraient être. [...] Ne faut-il pas prendre toutes les mesures pour empêcher que nos défenseurs ne se conduisent ainsi à l’égard des citoyens et qu’abusant de leur force, de protecteurs bienveillants, ils ne deviennent des maîtres sauvages ? ».
52 Tacite, Hist. II, 75,1.
53 Tacite, Hist. II, 27,1. - C’est un thème qu’il faut nuancer immédiatement. Le soldat des guerres civiles fait peur, mais il est bien plus disposé à suivre son général que ce qu’ont ne le dit souvent (Tacite, Hist. II, 38,2 ; 46,1 ; 49,4 ; III, 60,1 ; Suétone, Oth. XII). En outre, il faut souvent différencier l’attitude des officiers autour des généraux de celle des troupes. Ce sont souvent les premiers qui changent de camp et tentent d’emmener leurs hommes à leur suite (Tacite, Hist. II, 20,2), tandis que les seconds font souvent montre d’une fidélité obstinée (Tacite, Hist. Ill, 61,3).
54 Les historiens du XXe siècle sont finalement assez partagés. J. Harmand croit à une dégradation de la situation disciplinaire moyenne de plus en plus rapide depuis 140 a.C., sans que la réforme marienne n’ait rien arrangé. À tel point qu’il conclut que « la discipline des armées post-mariennes apparaît également faible ou nulle » [Harmand (Jacques), L’armée et le soldat à Rome de 107 à 50 avant notre ère, Paris, 1967, p. 290], avec pour lui, une seule exception, l’armée de César. À l’opposé, M. Rambaud dans l’article qui répond à la thèse de J. Harmand, croit à une armée « disciplinée à sa manière, qui n’était pas la nôtre », mais pour qui « le soldat césarien était tout aussi cupide que ses congénères des autres années, plus intéressé peut-être que ses adversaires dans la guerre civile » [Rambaud (Michel), Autour de César, Lyon, 1987 p. 406-413]. Claude Nicolet reste, lui, convaincu de la discipline romaine pour la République, même tardive : « Le soldat, soumis dans son passage sous les drapeaux à la stricte discipline d’une belle machine de guerre, fortement traditionnelle, restait cependant un citoyen. [...] Jusqu’au Ier siècle inclus, les révoltes ou les mutineries sont rarissimes » [Nicolet (Claude), Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, 1998, p. 197].
55 César, B.C. V, 51,3.
56 Tacite, Ann. II, 13,2.
57 Salluste, B. lug. 56,2 ; 62,6 ; 76,5...
58 César, B. G. III, 23, 6.
59 La cavalerie héduenne de César (B. G. VII, 39), les Bataves opposés à Civilis (Tacite, Hist. IV, 18)...
60 Tacite, Ann. XI, 19,3.
61 Tacite, Hist. Il, 76,3.
62 Tacite, Vie d’Agr., VIII, 4.
63 Onos., X, (10), 27 : « Si les augures ne sont pas favorables [le général] doit rester sur place. Et s’il est durement pressé par le temps, il doit se soumettre patiemment à tous les désagréments - car il ne peut rien subir de pire que ce que le Destin lui annonce par avance ».
64 Xénophon, Cyrop. I, (6), 44 : « Apprends encore de moi ceci, qui est capital : quand les présages des victimes ou du vol des oiseaux sont contraires, n’expose jamais ton armée ni toi-même ». Sans doute simplement faut-il comprendre ce passage d’Onosander comme marqué d’influence grecque plus que de réalité romaine : « Alors que les Grecs, par exemple, cherchent à connaître le drame de l’avenir, considéré plus ou moins comme fatal, les Latins consultent sur les chances d’une entreprise dont, en principe, ils demeurent libres » Bayet (Jean), Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, 1957, p. 51.
65 E. Van’t Dack, « La littérature tactique de l’Antiquité et les sources documentaires », Ptolemaica selecta. Études sur l’armée et l’administration lagides, Louvain, Studia hellenistica, 29, 1988, p. 50 ; cité par H. Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, 1999, p. 159.
66 Il faut noter un fait qui nuit aux écrits des théoriciens militaires. La plupart de ceux-ci, on l’a dit, sont d’origine grecque. Les Romains peuvent-ils accepter les écrits théoriques de « graeculi » soupçonnés de vouloir distinguer leur glorieux passé, montrer qu’ils sont supérieurs aux Romains non seulement sur le plan culturel, mais aussi sur le plan politique et militaire ? (voir à ce propos Veyne (Paul), « L’identité grecque devant Rome et l’Empereur », REG, vol. CXII, 1999, p. 510-567).
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