Paris, Londres et Sarajevo : le renouveau du binôme franco-britannique et la genèse de la défense européenne (1991-1995)
p. 105-125
Texte intégral
1Il est généralement admis que le sommet franco-britannique de Saint-Malo du mois de décembre 1998 marque non seulement le tournant des relations en matière de défense entre la France et le Royaume-Uni, mais aussi celui de la défense européenne, sur laquelle Londres et Paris seraient à cette occasion parvenus à s’entendre. Leur binôme aurait alors recouvré une certaine centralité dans le débat sur la future architecture européenne de défense et de sécurité1.
2Cette analyse peut étonner l’observateur attentif des difficiles relations francobritanniques. Comment peut-on concevoir que leurs conceptions, jusqu’alors si différentes, de ce que doit être une Europe de la défense se rejoignent si rapidement ? Français et Britanniques, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne sont en effet jamais parvenus à s’entendre à propos de l’architecture tant politique qu’institutionnelle de l’Europe militaire. Or, à l’occasion d’un sommet, comme il y en eut tant depuis plusieurs décennies, les dirigeants français et britanniques auraient réussi à sublimer leurs oppositions pour parvenir à un texte considéré comme fondateur de ce que sera la défense européenne au XXIe siècle2.
3Au contraire, la déclaration de Saint-Malo résulte d’un long processus entamé au début des années 1990. Saint-Malo ne constitue donc pas un tournant, mais seulement l’institutionnalisation – et c’est dans cette mesure que la déclaration est fondamentale – d’une coopération franco-britannique pragmatique face aux conflits qui se sont déroulés en ex-Yougoslavie entre 1991 et 1995.
4Or, considérer que le tournant des relations entre la France et le Royaume-Uni à propos de la défense européenne est antérieur à Saint-Malo n’est pas neutre. Si le changement s’était produit soudainement à l’occasion du sommet de Saint-Malo, aucune culture stratégique commune n’aurait pu être constituée. Or, l’incompréhension de l’Autre reste l’une des principales sources d’opposition entre Français et Britanniques au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Une évolution progressive et structurelle, prenant pour cadre une collaboration pragmatique des deux pays dans un contexte aussi difficile que le bourbier yougoslave, implique au contraire la nécessaire constitution de solidarités et de réseaux de communication puissants. Les progrès présents et à venir de l’idée, mais aussi de la réalisation d’une Europe de la défense n’en seraient alors certainement que plus profonds et réels.
5Notre propos ne sera néanmoins pas de considérer que dès 1995, Français et Britanniques se sont définitivement retrouvés et que la défense européenne, telle que nous pouvons la connaître au début des années 2000, est déjà en place. Il s’agira simplement de voir qu’à la fin des guerres en ex-Yougoslavie, les fondations sont creusées, les premières pierres posées et que la route vers Saint-Malo est ouverte.
6Le rapprochement franco-britannique au cours de la première moitié de la décennie 1990 s’est ainsi déroulé en deux temps, plus ou moins concomitants. L’amélioration des relations s’est d’abord construite dans un contexte purement bilatéral, en s’appuyant notamment sur les relations personnelles entre dirigeants ainsi que sur la notion de pragmatisme. Parallèlement, Paris et Londres se sont progressivement retrouvés sur l’idée de défense européenne, tant en matière de doctrine que de pratique.
UNE APPROCHE BILATÉRALE PRIVILÉGIÉE
7La première étape du rapprochement franco-britannique est d’ordre bilatéral et prend appui, d’une part sur l’amélioration des relations personnelles entre dirigeants, amélioration particulièrement bien illustrée par l’évolution des sommets bilatéraux, et, d’autre part, par la progressive conversion française à la tradition diplomatique britannique du pragmatisme.
Des relations personnelles améliorées et des sommets bilatéraux transformés
8À la fin des années 1980, les relations franco-britanniques avaient été particulièrement marquées par les personnalités particulières de François Mitterrand, président socialiste de la République française, et de Margaret Thatcher, Premier ministre conservateur du Royaume-Uni. Ces deux dirigeants avaient en effet construit une relation paradoxale où se mêlaient séduction et répulsion. En termes idéologiques, l’opposition était radicale. Néanmoins, à de nombreuses reprises, François Mitterrand et Margaret Thatcher avaient tenté de construire une relation plus étroite entre leurs deux pays, afin de renforcer leur position respective. Les relations franco-britanniques présentent ainsi, dès la fin des années 1980, une configuration où l’affectif tient une place pour le moins aussi importante que la dimension effective. Les perceptions de l’autre sont, à Paris comme à Londres, prises particulièrement au sérieux. Cette dimension n’est, en soit, pas réellement étonnante lorsque l’on considère la place tenue par chaque pays dans la construction de l’identité nationale de l’autre au cours de l’histoire3. Ainsi, cette dialectique entre dimensions affective et effective est remarquée par le président français lorsqu’il affirme :
« J’ai toujours recherché l’amitié franco-britannique et les relations sont amicales, mais elles ne sont jamais traduites dans les faits. Il y a des raisons proprement britanniques qui veulent que ce pays suive – je ne dirais pas aveuglément mais plus souvent, peut-être, que cela ne le mériterait – la politique américaine […] Nous avons bâti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale une amitié très forte, autour de projets très concrets, avec l’Allemagne. Je suis tout à fait disposé, j’ai dit que je désirais, à établir avec la Grande-Bretagne une amitié active et constructive, mais je ne veux pas que ce soit au prix d’une brisure dans l’amitié franco-allemande et je ne veux pas que ce soit aux dépens de la construction européenne. »4
9Au cours de la première moitié de la décennie 1990, et plus particulièrement lors des guerres en ex-Yougoslavie, un tournant structurel se produit. Il s’opère en plusieurs étapes.
10Dans un premier temps, John Major arrive au pouvoir au mois de novembre 1990. Le nouveau locataire du 10, Downing Street, bien que souvent présenté comme le fils spirituel de Margaret Thatcher, conçoit la politique et les relations personnelles d’une manière totalement différente de son prédécesseur. Considérant que les États n’ont ni amis ni sentiments, il va tenter de tisser un réseau de relations avec les dirigeants européens, mais aussi américains, qui ne laisse qu’une maigre place aux émotions5. John Major marque très clairement sa volonté de rompre avec la diplomatie flamboyante de son prédécesseur. Conscient de ne pas disposer des mêmes atouts que Margaret Thatcher6 et souhaitant certainement disposer d’une certaine légitimité que son manque de charisme ne pouvait lui procurer, John Major décide de poursuivre les mêmes objectifs en utilisant des moyens résolument différents.
11Ce changement de style est particulièrement sensible concernant les relations franco-britanniques. Aux oppositions parfois brutales, comme lors du sommet européen de Fontainebleau, et aux tentatives de collaboration souvent surmédiatisées, comme au sujet de l’unification allemande, va succéder une stratégie que l’on pourrait qualifier de politique des petits pas. John Major tente en effet de construire, progressivement et sans publicité excessive, un style qui lui est indéniablement plus adapté, des relations franco-britanniques plus efficaces.
12Dans un second temps, la France change de majorité politique. À partir de 1993, se succèdent en effet au pouvoir une série de leaders conservateurs, relativement proches des orientations idéologiques des Tories britanniques. Édouard Balladur remplace ainsi Pierre Bérégovoy au bénéfice des élections législatives de 1993. Or, le nouveau Premier ministre, fidèle héritier de Georges Pompidou, arrive au pouvoir avec un a priori particulièrement positif concernant les Britanniques7. Les relations entre les deux pays, largement débarrassées des effets d’annonce de la période précédente, vont ainsi avoir tendance, à partir de 1993, à se renforcer et se consolider. Entre 1993 et 1995, les rencontres informelles entre Français et Britanniques seront par exemple plus nombreuses qu’entre Français et Allemands, renversement quantitatif inédit depuis 19638. Les dirigeants français et britanniques ne se contentent pas de travailler de plus en plus étroitement, ils célèbrent ouvertement ce « renouveau » des relations trans-Manche. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, remarque ainsi, au mois de janvier 1995, que « les relations avec la Grande-Bretagne sont plus étroites depuis deux ans »9, tandis que son homologue britannique, Douglas Hurd, note que « la coopération entre nos deux pays est de plus en plus importante »10. L’arrivée de Jacques Chirac à L’Élysée, au mois de mai 1995 ne modifie en rien cette évolution. En effet, bien que d’un style plus flamboyant que le Premier ministre britannique, le nouveau président de la République française prend rapidement conscience de l’intérêt que la France peut trouver à collaborer plus étroitement avec son voisin britannique. Il sera ainsi à l’origine de très importantes collaborations pragmatiques entre les deux pays (voir infra).
13Cette concrétisation croissante des relations franco-britanniques ne se vérifie bien évidemment pas uniquement dans la multiplication des rencontres informelles. À cet aspect quantitatif s’ajoute indéniablement une amélioration qualitative dont les sommets franco-britanniques paraissent être le meilleur exemple.
14Le principe de ces rencontres annuelles entre les principaux dirigeants remonte au traité franco-allemand de l’Élysée. Progressivement, ces discussions se sont élargies à toutes les nations européennes, dont le Royaume-Uni. Néanmoins, persistaient encore à la fin des années 1980 de très sensibles différences de degré entre les résultats des rencontres franco-allemandes et franco-britanniques. Il suffit pour s’en convaincre de considérer les conférences de presse clôturant chaque sommet. Au vocabulaire quasiment dithyrambique qui caractérise les rencontres entre dirigeants français et allemands, s’oppose, dans le contexte franco-britannique, un champ lexical bien plus retenu. Dans le meilleur des cas, on qualifie les discussions de « cordiales », au pire d’« intenses », terme qualifiant de manière diplomatique une rencontre difficile. À partir de 1991, et plus encore après 1993, la taille des conférences de presse s’étoffe11 et le vocabulaire employé se transforme. Les dirigeants célèbrent désormais leur volonté de « travailler main dans la main » et vont même jusqu’à qualifier les relations franco-britanniques d’« excellentes »12. Alain Juppé, à la suite du sommet franco-britannique de 1993, déclare ainsi au quotidien japonais Yomiuri Schimbun, que ce dernier s’est déroulé dans un « excellent climat », que la « communauté d’intérêt (entre la France et le Royaume-Uni) est forte », et qu’elle « doit être renforcée », avant de conclure en affirmant que le Royaume-Uni est « l’allié naturel de la France »13.
15En effet, alors que Français et Britanniques sont confrontés aux conflits en ex-Yougoslavie, les rencontres bilatérales annuelles se transforment profondément, et tendent à remplacer, en matière de défense, les sommets franco-allemands.
16Jusqu’alors, les décisions importantes, notamment en matière de politique européenne et, pour ce qui nous intéresse, de coopération en matière de défense se prenaient pour l’essentiel dans le cadre franco-allemand14. À partir de 1993, et plus encore après le sommet franco-britannique de Chartres en 1994, la coopération entre Paris et Londres tend à prendre le pas sur celle existant entre Paris et Bonn. Le meilleur exemple de cette transformation nous semble résider dans la création, le 18 novembre 1994, du Groupe aérien européen franco-britannique (GAEFB). Pour la première fois, Français et Britanniques affirment « l’étendue et la profondeur de [leur] coopération bilatérale en matière de défense »15. Le GAEFB est destiné, selon les ministres de la Défense, « à accroître de manière significative la capacité de [leurs] forces aériennes à mener ensemble des opérations de nature très diverses »16, dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), comme dans celui de l’Alliance atlantique. Ces dernières possibilités ne sont pas anodines. En effet, Français et Britanniques s’opposent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sur le cadre institutionnel qui doit régir les interventions conjointes. Au cadre européen prôné par Paris, Londres oppose l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). À l’occasion de la création du GAEFB, Français et Britanniques acceptent de faire des concessions et parviennent ainsi à s’entendre pour la première fois sur un cadre institutionnel leur permettant d’intervenir conjointement. Le Groupe aérien marque donc le véritable point de départ de la définition de « procédures communes pour des opérations qui [pourront] être ensuite utilisées dans des exercices et des opérations conjointes en tant que de besoin »17. Cette volonté affichée de procéder à des opérations conjointes est une nouveauté, à laquelle la collaboration bilatérale sur le terrain yougoslave n’est certainement pas étrangère (voir infra). Il est néanmoins d’autant plus marquant de constater que les deux nations décident de collaborer dans le cadre qui avait jusqu’alors constitué le cœur de leurs oppositions : l’Europe communautaire. Cette avancée marque incontestablement les premiers pas sur la route de Saint-Malo. Il apparaît dès lors nécessaire de s’interroger sur les raisons qui ont poussé les dirigeants français et britanniques à privilégier ce cadre qui avait toujours été considéré comme marginal.
Le pragmatisme comme art de se rapprocher18
17Il apparaît assez clairement que la base de l’amélioration des relations francobritanniques au cours de la première moitié de la décennie 1990 résulte avant tout de la prise de conscience, des deux côtés de la Manche, d’intérêts communs, à commencer par leur commune volonté de préserver – ou retrouver – leur statut de puissance au rayon d’action mondial19.
18Les réactions françaises et britanniques face aux conflits qui éclatent en Slovénie, en Croatie, puis en Bosnie-Herzégovine illustrent en effet particulièrement bien la similarité de leurs conceptions de la notion de puissance. La France dans le Livre blanc sur la défense, ouvrage présentant la doctrine nationale en matière de défense, revendique ainsi toujours des responsabilités d’ordre international et affirme qu’elle « fait partie des quelques pays qui peuvent avoir une action sur la stabilité dans le monde »20 et n’hésite pas à proclamer qu’« elle doit contribuer activement, sans doute plus que d’autres, au maintien de la paix dans le monde et au respect du droit international »21. De même, en 1995, Malcom Rifkind, alors ministre des Affaires étrangères britannique, affirme :
« Nous devons être actifs partout où nos intérêts nationaux sont en jeu ; et ils sont en jeu à travers le monde entier. Par ailleurs, il faut au monde, et cela lui manque terriblement, des pays ayant une longue expérience de la modération et une perspective globale. Seulement une poignée d’États rencontre ces critères. La Grande-Bretagne est un de ceux-là. »22
19On le voit, les termes de la problématique sont profondément similaires que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre de la Manche. La volonté d’affirmation nationale est au cœur des débats stratégiques. Les deux nations souhaitent préserver leur statut de puissance structurante et par là, retrouver un rôle, dans une large mesure perdu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale23.
20La période des guerres en ex-Yougoslavie est incontestablement marquée par la prise de conscience des deux États de la nécessité de collaborer dans cette voie. C’est en effet à ce moment que Paris et Londres se rendent compte que leur collaboration peut constituer une coopération à somme positive dans l’objectif de renforcer leurs positions internationales. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre François Mitterrand lorsqu’il affirme que « l’entente avec l’Angleterre est souhaitable »24 en vue d’établir ce que Malcom Rifkind défini comme « un partenariat franco-britannique à vocation mondiale »25.
21Il est certes nécessaire de bien distinguer effets rhétoriques et réalité. Il est néanmoins particulièrement illustratif de considérer avec intérêt la coopération francobritannique qui s’est notamment manifestée au sein du Groupe de contact Bosnie (GCB)26. Il est créé le 19 avril 1994 par Lord Owen. Dès ses débuts, cet organe de négociation ad hoc relève très clairement d’une stratégie de grandes puissances, à l’origine de laquelle se trouvent la France et le Royaume-Uni. Ces deux nations se trouvent en effet plus à l’aise dans les configurations diplomatiques proches du concert des nations, instituées notamment au XIXe siècle. Ce type de forum, en favorisant les rapports intergouvernementaux, semble plus favorable aux Français et aux Britanniques, notamment dans la perspective de défendre leurs intérêts nationaux. Ce retour au XIXe siècle prend en outre tout son sens lorsqu’on le rapproche de la célébration la même année du 90e anniversaire de l’Entente cordiale, à l’occasion duquel Alain Juppé déclare que « l’Entente cordiale est plus actuelle que jamais »27.
22Le rapprochement franco-britannique, s’il trouve ses origines dans une commune volonté de puissance, se caractérise concrètement par une approche pragmatique. L’ensemble des aspects bilatéraux des relations franco-britanniques de cette période semble en effet répondre au principe de gouvernement adopté par les Britanniques depuis plus de 300 ans28. Or, cette conception est, à la fin de la décennie 1980, encore largement étrangère aux traditions diplomatiques françaises qui préfèrent généralement institutionnaliser ses relations bilatérales et multilatérales par des traités plus ou moins contraignants. Au contraire, « lorsqu’il devient nécessaire d’agir en concertation avec ses alliés, le Royaume-Uni privilégie des formes de coopération assez traditionnelles, du même type que les alliances entre États qui avaient cours en Europe au XVIIIe et XIXe siècles »29. Or, cette faveur pour les coopérations ad hoc va indéniablement triompher au cours de la première moitié de la décennie 1990 ; Londres parvient progressivement à convertir Paris à ce mode politique.
23Outre les coopérations pragmatiques d’ordre militaire que nous envisagerons par la suite, le meilleur exemple de ce renversement progressif de l’approche française classique réside incontestablement dans la faveur accordée par les deux nations aux sommets franco-britanniques, pragmatiques par essence. Les débats ne font l’objet d’aucune autre publicité que les conférences de presse conjointes concluant les débats. Cette discrétion permet incontestablement une liberté d’action relativement importante et facilite le recours aux concessions, procédé qui a notamment permis la création du GAEFB. Il est ainsi indéniable que les deux nations ont considéré à plusieurs reprises que le maintien de leur puissance devait passer par des concessions réciproques30. Le pragmatisme est encore à l’œuvre lors des rencontres bilatérales informelles. Ces dernières sont en effet régies par des règles encore plus souples que les sommets franco-britanniques, à savoir la discrétion totale concernant les débats et la teneur exacte des entretiens. L’idée de former une Force de réaction rapide (voir infra) a ainsi germé au cours de ce genre de rencontres. Or, cette innovation porte sur un sujet à propos duquel la susceptibilité française et britannique est particulièrement sensible : la création, avec une participation britannique remarquable, d’un corps armé européen qui pourrait impliquer à terme celle d’une défense européenne autonome. En effet, si l’on ne peut réellement considérer la naissance de la FRR de 1995 comme un embryon d’armée européenne, de nombreux analystes y ont vu, certainement à raison, la première collaboration franco-britannique ouvrant la voie aux futurs progrès de l’idée de défense européenne31.
24En termes de relations bilatérales, le rapprochement entre la France et le Royaume-Uni au cours de la première moitié des années 1990 est donc bien réel. Les progrès sont en outre suffisamment sensibles pour confirmer notre hypothèse d’un véritable tournant. La route vers Saint-Malo, dans son envergure bilatérale, est bien ouverte.
LE RENOUVEAU DE L’IDÉE DE DÉFENSE EUROPÉENNE
25En fait, Français et Britanniques vont tout au long de cette première moitié des années 1990 s’appuyer sur l’amélioration de leurs relations bilatérales pour sensiblement progresser dans le domaine de la défense européenne, tant sur le plan des concepts que des réalisations pragmatiques.
Une double évolution conceptuelle
26La question de la défense européenne et de la place des États-Unis et de l’Alliance atlantique dans ce dispositif a longtemps constitué une lourde pierre d’achoppement entre le Royaume-Uni et la France. Schématiquement, la vision continentale et européenne de Paris s’opposait à la vision maritime et atlantique du Royaume-Uni32. La période des guerres en ex-Yougoslavie est l’occasion d’une double évolution conceptuelle des deux partenaires.
27Les Britanniques, tout d’abord, ont rapidement pris conscience qu’il n’y avait pas nécessairement identité entre leurs intérêts stratégiques et ceux des Américains. L’épisode de l’opposition entre Anglo-Saxons à propos de la dialectique embargo sur les armes/politique du Lift and Strike est à cet égard particulièrement illustratif. Londres a en effet très rapidement poussé le gouvernement alors yougoslave à réclamer aux Nations unies la mise en place d’un embargo sur les armes33. Il convient de bien mesurer l’importance de cette disposition pour les Britanniques. Elle est non seulement considérée comme l’un des symboles de leur présence et de leur poids diplomatique dans le conflit, mais aussi comme la seule mesure capable de protéger les troupes engagées au sol. Or les États-Unis proposent une solution radicalement différente. Le 1er mai 1993, le président américain, Bill Clinton, présente en effet une politique en deux temps qui consistait d’abord à lever l’embargo sur les armes à destination des musulmans bosniaques, puis à intensifier les raids aériens contre les Bosno-Serbes34.
28L’étendue du désaccord est patente. Les Britanniques prennent subitement conscience que l’un des postulats de leur politique étrangère – l’identité de vue stratégique anglo-saxonne – tend à devenir caduque. Non seulement, les Américains ne sont pas prêts à envoyer des troupes pour défendre l’Europe, mais ils font aussi passer leurs intérêts stratégiques avant ceux de leurs alliés britanniques. Il est certain que Londres n’a jamais été naïve au point de considérer que Washington ferait primer les intérêts stratégiques britanniques sur les leurs, même dans le cadre d’une communauté d’intérêt anglo-saxonne35. La première moitié de la décennie 1990 est néanmoins l’occasion pour les Britanniques de prendre conscience du fossé (gap) qui sépare les priorités britanniques et américaines, tant dans le domaine militaire que diplomatique36.
29La portée du choc est immense. John Major, le très mesuré Premier ministre britannique, va même jusqu’à affirmer que cette question a marqué « le plus sérieux désaccord anglo-américain depuis la crise de Suez »37. Or lorsqu’on envisage l’onde de choc que provoqua l’affaire de Suez, en 1956, pour la stratégie britannique au XXe siècle38, on comprend mieux l’ampleur de la remise en question de Londres au début des années 1990. La phrase de John Major est en outre intéressante à un autre égard. Il est généralement admis que l’expédition de Suez symbolise la plus sincère et profonde collaboration d’ordre diplomatico-militaire ayant été mise en place entre la France et le Royaume-Uni39. On peut ainsi imaginer qu’au cours de la première moitié des années 1990, Londres, fidèle à sa tradition pragmatique, va tenter de contrebalancer l’affaiblissement de sa special relationship par un renforcement de l’intensité de son partenariat avec son allié d’outre-Manche et ainsi trouver « une solution européenne »40 à la crise anglo-saxonne.
30Ce rapprochement européen du Royaume-Uni bénéficie en outre d’un très net soutien français, résultant en large partie de ce que nous pourrions qualifier de « facteur allemand ». Les deux nations font en effet preuve d’une grande méfiance à l’égard de l’éventuelle résurgence d’une puissance allemande « normale » qui viendrait diminuer d’autant leur prééminence en Europe comme hors d’Europe41. Or, cette impression se renforce progressivement au cours de la première moitié des années 1990. Paris et Londres prennent alors conscience que la puissance diplomatique et, dans une certaine mesure militaire, allemande tend à perdre sa virtualité. Berlin leur a prouvé qu’elle est désormais capable de leur imposer une ligne politique à laquelle ils ne sont pas favorables42. Dans le contexte européen, l’Allemagne va ainsi jouer un rôle d’accélérateur du rapprochement franco-britannique43.
31Au cours de la première moitié de la décennie 1990, Français et Britanniques adoptent en effet une attitude de plus en plus pragmatique à l’égard de l’Union européenne, en trouvant notamment des alliances de circonstance afin d’atteindre leurs objectifs nationaux, tout en tenant compte de leurs divergences persistantes. Paris décide de ne plus utiliser de manière systématique sa relation avec Bonn, et préfère ne s’en servir qu’à propos des sujets où elle sait qu’il existe une parfaite identité de vue et d’intérêt entre les deux pays. Or, concernant les questions de défense, il apparaît rapidement aux dirigeants français que non seulement leurs intérêts convergent plus souvent avec les intérêts britanniques, mais aussi que la configuration de leur puissance est dans une large mesure similaire. Il ne paraît ainsi pas abusif de situer le tournant des relations franco-britanniques en matière de défense européenne à l’époque des guerres en ex-Yougoslavie44.
32Outre la multiplication des solidarités opérationnelles que nous envisagerons par la suite, une mutation apparaît particulièrement symptomatique de cette évolution : les progrès de la collaboration en matière nucléaire. Selon Stuart Croft, entre 1992 et 1995, la France et le Royaume-Uni passent, en matière nucléaire, « d’une coopération bilatérale à une [véritable] européanisation »45. En effet, au cours de ces années, les deux pays mettent de plus en plus l’emphase sur la nécessité de penser et de planifier la question nucléaire dans un cadre européen. En janvier 1995, Alain Juppé propose même l’idée d’une dissuasion concertée de la France et de ses alliés – au premier rang desquels se trouve le Royaume-Uni46 –, une idée qui sera par la suite reprise le 16 mars par le président Jacques Chirac. Ainsi, dès le mois d’octobre 1992, fut établie entre les deux nations une commission conjointe sur les armes nucléaires, réunie pour la première fois en juillet 199347. Or, il ne fut jamais question d’associer l’Allemagne aux travaux de cette commission autrement que comme un observateur sans réelle voix participative.
33Du côté français, l’évolution n’est pas moindre. Les guerres yougoslaves vont en effet faire prendre conscience Paris du manque de crédibilité militaire d’une Europe indépendante des États-Unis, et donc de l’Alliance atlantique. C’est en effet au moment où Paris et Londres s’accordent sur le besoin d’imposer et de faire respecter un cessez-le-feu viable afin d’envisager plus sereinement des négociations diplomatiques48, que les Français vont réexaminer leur position à l’égard de l’OTAN. Ils acceptent, en contradiction complète avec leurs conceptions stratégiques décennales, que l’ultimatum soit formulé par l’OTAN et non par l’ONU.
34En fait, durant la première moitié de la décennie 1990, Paris va graduellement mener à l’égard de l’Alliance atlantique un rapprochement symétrique à celui opéré par les Britanniques vis-à-vis de l’Union européenne49. On passe progressivement de l’idée d’indépendance à celle, plus consensuelle, d’autonomie.
35La France continue de caresser encore « l’idée d’une Europe de la défense », mais fait « le constat désillusionné que les Européens n’ont ni les moyens […] ni surtout la volonté […] de leur indépendance »50. Il est certain, qu’à l’image de ce qui s’est déroulé au Royaume-Uni, la difficile ratification du Traité de Maastricht a joué un rôle non négligeable. Il nous semble néanmoins que la pusillanimité européenne face à la crise, puis à la guerre en ex-Yougoslavie a été déterminante. Les Français prennent subitement conscience des limites de l’Europe de la défense, incapable d’envoyer des troupes à « deux heures de Paris ». Or, cette incapacité résulte en large partie du refus de la première puissance militaire européenne, le Royaume-Uni, d’avancer plus avant dans la construction d’une entité européenne de défense autonome. Il s’agit alors de se concilier avec ce « difficile partenaire »51. Or, l’une des principales pierres d’achoppement reste la place de l’Alliance atlantique dans le schéma de la défense européenne. C’est ainsi au cours des années 1992-1994, et plus particulièrement après l’arrivée d’Édouard Balladur à Matignon, que la France va faire montre d’une conception résolument plus pragmatique de l’autonomie stratégique européenne et donc de son rapport avec l’OTAN, au risque de se voir accusée de « tentatives de dilution “à l’anglaise” du projet européen »52.
36La France paraît ainsi porter un regard nouveau sur les relations euro-atlantiques53. Sa conception du rôle de l’Alliance atlantique dans la sécurité du Vieux continent et au-delà se transforme progressivement. On oublie les anciennes menaces de découplage stratégique54 ; Paris accepte même en 1992 que les missions de l’OTAN soient élargies au maintien de la paix55, extension confirmée lors du sommet de Bruxelles, les 10 et 11 janvier 1994. « L’OTAN est bel et bien en passe de devenir sinon une organisation de sécurité collective à part entière, du moins une organisation au service de la sécurité collective »56. Or, jusqu’alors, la France s’était toujours vivement opposée à ce type d’extension de mandat, de peur que l’OTAN ne vienne marcher sur les plates-bandes déjà réduites de l’UEO.
37Paris prend en outre conscience, notamment à partir de février 1994, que l’Alliance atlantique occupe une place de plus en plus déterminante dans la gestion du conflit bosniaque. Or, sa position particulière au sein de cette institution ne lui permet pas d’exprimer pleinement ses positions et ainsi d’exercer totalement son influence. Dans ces conditions, le rapprochement avec l’OTAN s’impose « comme le moyen pour la France d’influer plus que par le passé sur les décisions qui seront prises »57 au sein de l’Alliance sur un sujet – l’ex-Yougoslavie – susceptible de renforcer sa position de puissance à vocation mondiale.
38Ce rapprochement progressif se voit alors couronné par l’arrivée de Jacques Chirac à l’Élysée au mois de mai 1995. Ce dernier avait annoncé lors de la campagne électorale sa volonté de continuer le rapprochement entamé dans les années 1992 et 199358, désir dont l’aboutissement est marqué par le discours du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charette, au Conseil de l’Atlantique du 5 décembre 199559.
39Il est en outre important de remarquer que le Royaume-Uni occupe une place déterminante dans ce rapprochement atlantique de la France. À l’instar de l’attitude de la France dans la conversion britannique à l’Europe, Londres va en effet constamment tenir le rôle de médiateur. Paris a en effet besoin d’une certaine « caution otanienne » pour réintégrer des organes qu’elle a quitté depuis près de trente ans et qu’elle a depuis vertement critiqués. Or, a priori, Londres n’a aucun intérêt à voir se rapprocher un partenaire aussi compliqué. En fait, aider à la réintégration de la France constitue pour les Britanniques un important vecteur de puissance afin de leur permettre de retrouver une certaine influence qu’ils tendent à perdre, depuis la fin des années 1980, au profit de l’Allemagne60. Voir un pays tel que la France, avec une conception relativement similaire des relations internationales, ainsi qu’une doctrine de défense assez comparable, se rapprocher des instances dirigeantes de l’Alliance atlantique, constituerait assurément, selon les Britanniques, un puissant multiplicateur de leur puissance.
40Alors que les limites à l’évolution atlantique de la France apparaîtront plus tard, il convient de nuancer dès à présent ce qui pourrait être compris comme une conversion britannique absolue à l’idée européenne, et plus spécifiquement celle de défense. Au début des années 1990, cette évolution souffre pourtant encore de limites quasi intrinsèques qui ralentissent sensiblement les progrès qu’aurait pu faire, sans attendre le sommet de Saint-Malo, l’idée de défense européenne.
41Au niveau européen, « il est en effet important de souligner à quel point la relation bilatérale, en dépit des similitudes de positions, intérêts et perceptions, a du mal à se transformer en coopération substantielle »61. Subsistent encore de sensibles différences conceptuelles entre une France qui souhaite une Europe puissance relativement autonome en termes de défense et de diplomatie, et un Royaume-Uni qui préfère une Europe marché complémentaire, sur l’échiquier international, des États-Unis et de l’Alliance atlantique.
42On peut relever deux limites majeures au progrès britannique sur le terrain européen. La première est conjoncturelle. Le gouvernement britannique conservateur, depuis le choc du départ de Margaret Thatcher en 1990, se maintient au pouvoir pendant ce quinquennat sans véritable majorité. Une fronde des eurosceptiques peut provoquer à tous moments une élection anticipée, qui ne se conclurait pas nécessairement au profit de John Major62. Les années 1993-1995 sont notamment marquées par le traumatisme de la ratification du Traité de Maastricht qui a par la suite contaminé tous les débats relatifs à l’Europe. L’émergence du groupe des eurosceptiques, la puissance de leurs arguments63, ainsi que le rôle décisif qu’ils ont joué à l’occasion de votes cruciaux ont fragilisé le gouvernement, souvent contraint à revenir sur ses positions initiales plus favorables à l’Europe.
43La seconde limite est d’ordre structurel. Le Royaume-Uni ne souhaite malgré tout pas voir les États-Unis se désengager totalement de la défense européenne et tente, parallèlement à son rapprochement européen, de proposer un partage des tâches acceptable pour les Européens et les Américains. Il s’oppose ainsi férocement à toute défense européenne indépendante qui risquerait de déboucher sur un découplage des deux rives de l’Atlantique. C’est dans ce sens que le ministre de la Défense de l’époque, Malcom Rifkind, propose, en mars 1995, un mémorandum sur les coopérations en matière de défense en Europe64. Dans ce dernier, l’UEO doit être capable d’assurer des missions dites mineures, incluant notamment le maintien et le rétablissement de la paix et les opérations humanitaires, en utilisant les moyens de l’Alliance atlantique65. Certes, la proposition n’est pas révolutionnaire dans la mesure où elle avait déjà fait l’objet d’une définition lors du sommet de Petersberg66. Néanmoins, l’évolution britannique n’en est pas moins sensible, dans la mesure où, pour la première fois, ce texte fait explicitement référence à des missions européennes clairement identifiées. Malcom Rifkind affirme en outre que l’objectif poursuivi par son pays vise à lancer de nouvelles idées afin que l’Europe de l’Ouest contribue de plus en plus activement à l’effort de l’OTAN pour la défense de l’Europe67. Ainsi, ce mémorandum marque non seulement la volonté britannique de répondre positivement aux souhaits américains de « partage de fardeau »68, mais aussi l’accord de Londres sur l’idée d’un pilier européen de défense clairement identifiable.
44Malgré tout, on se rend compte qu’en 1995, l’accord entre Français et Britanniques au sujet de la doctrine en matière de défense européenne a très sensiblement progressé. Or, il nous semble que la principale origine de ces progrès réside dans la coopération opérationnelle qui s’est progressivement mise en place sur le terrain yougoslave.
Mise en place de coopérations ad hoc
45La coopération sur le terrain fut indéniable et intense. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer l’importance que prirent Français et Britanniques dans les responsabilités de commandement des opérations sur le terrain. La Force de protection des Nations unies (FORPRONU)69, première force d’interposition sur le terrain, créée le 21 février 1992, fut commandée par quatre généraux, dont trois Français70. La « FORPRONU II » spécifiquement chargée du secteur de la Bosnie-Herzégovine, fut quant à elle commandée par deux généraux, dont le sémillant général britannique Sir Michael Rose71. Cette configuration du commandement, quasiment exclusivement franco-britannique, montre bien que la FORPRONU constitue bien la première collaboration militaire effective entre ces deux pays depuis la crise de Suez. La principale implication de cette collaboration au plus haut niveau de commandement réside ainsi dans la volonté commune de Londres et Paris de se placer comme les deux seuls leaders militaires européens72. Prendre de telles responsabilités participe encore une fois à la volonté commune des Français et des Britanniques de réaffirmer leur statut de puissance dominante. Or, comme nous l’avons déjà évoqué, le vecteur militaire constitue l’un des plus sûrs moyens encore à la disposition des deux pays d’atteindre leur objectif.
46Cette coopération opérationnelle qui s’instaure tend en outre à prendre une importance toute particulière dans la mesure où les deux armées n’ont plus réellement combattu ensemble depuis près de quarante ans. Leur collaboration au sein de la FORPRONU est donc avant tout l’occasion de se (re)découvrir. Or, la nécessité de cette (re)découverte n’est pas minime si l’on considère les a priori – bien entendu négatifs – existant entre les deux pays73. Londres et Paris prennent ainsi conscience que leurs conceptions militaires, notamment en ce qui concerne les opérations de maintien de la paix sont tout à fait similaires, voire identiques74. Les militaires britanniques voient en outre évoluer une excellente armée française, idéalement configurée pour une telle crise75, jugement qui contraste sensiblement avec celui qui avait suivi la seconde guerre du Golfe. La meilleure illustration de cette coopération substantielle réside néanmoins surtout dans le fait que des militaires français prennent leurs ordres d’officiers britanniques et inversement. Or, de telles preuves d’interopérabilité et d’intégration des forces étaient, moins de trois ans auparavant, totalement inimaginables. Il n’a donc en aucun cas été nécessaire d’attendre 1998 pour voir les armées françaises et britanniques activement collaborer au niveau opérationnel.
47Mais la coopération s’instaure également au niveau militaire le plus élevé. En effet, au cours des années 1993-1994, les deux chefs d’état-major, l’amiral français Jacques Lanxade et le général britannique Sir Peter Inge, vont activement participer à créer un climat de grande confiance qui va rapidement déboucher sur une sincère amitié76. Les contacts sont permanents et font montre d’une profonde identité de vue sur ce que doivent être la posture et le mode opératoire des troupes françaises et britanniques sur le terrain. Il est en particulier jugé primordial de « contrôler très strictement l’emploi de l’aviation »77. Il convient en effet de rappeler que l’une des principales sources de la coopération militaire entre Paris et Londres réside dans leur commune opposition à la stratégie américaine du Lift and Strike.
48Si la FORPRONU peut être considérée comme la première marche d’une coopération militaire franco-britannique, il pourrait être possible d’interpréter la Force de réaction rapide (FRR) comme la dernière pierre de l’édifice militaire franco-britannique européen.
49Néanmoins, personne ne disposant de sources irréfutables, l’origine de la création de cette force n’a jusqu’à un passé proche pas pu être clairement attribuée. Grâce à une étude détaillée des sources disponibles, nous avons néanmoins, lors d’une recherche récente78, réussi à déterminer les origines exactes, recherche que nous allons ici tenter de résumer.
50Le 3 juin 1995, lors d’une conférence des ministres de la Défense des États de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique qui contribuent à la FORPRONU79, dont l’objet est d’étudier et de mettre en place des mesures de renforcement de la force, les dirigeants présents décident de créer, à la demande officielle de la France, la FRR80. Composée quasiment exclusivement de la France et du Royaume-Uni, cette force mobile et équipée en armements lourds81 aurait pour mission « d’assurer des actions ou réactions d’urgence en appui à des unités des Nations unies isolées ou menacées, d’aider au redéploiement d’éléments de la FORPRONU, et de contribuer au maintien de la liberté de mouvement »82. Le 16 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU, par la résolution 998, autorise sa création83. La FRR s’intègre ainsi officiellement dans la chaîne de commandement de l’ONU. Elle connaît néanmoins une spécificité : elle relève du contrôle opérationnel des commandements militaires onusiens sur le terrain, en l’occurrence les généraux français et britannique Bernard Janvier et Ruppert Smith84.
51On pourrait alors considérer la FRR comme une création exclusivement française, comme l’ont trop rapidement conclu nombre d’experts francophones85. Pourtant, les chercheurs britanniques nous proposent une version en tous points différente et tout aussi peu convaincante86. Certains éléments tendent néanmoins à aller dans le sens de la paternité britannique. Le 28 mai 1995, une réunion en urgence du Cabinet autorise l’envoi de 6 000 hommes chargés d’apporter un utile renfort à la FORPRONU87. Il est alors décidé que le schéma d’intervention de ces troupes serait similaire à une force de réaction rapide que le général Ruppert Smith appelle de ces vœux depuis le mois de janvier 199588. En effet, la rapidité avec laquelle vont répondre les plus hautes autorités politiques britanniques à la dernière demande du général Smith (26 mai) a pu faire supposer à certains qu’un accord avait été trouvé auparavant entre les autorités militaires et politiques du Royaume-Uni concernant la définition d’une force de réaction rapide89. Selon ces sources, c’est en effet à la suite de cette décision britannique unilatérale qu’eut lieu la réunion des ministres de la Défense des États membres de l’Alliance atlantique citée plus haut.
52Face à ces théories pour le moins antagonistes, il convient de se rapprocher des faits, afin de bien se rendre compte que la FRR est réellement issue d’une très étroite collaboration franco-britannique. Dès le 15 mai 1995, Alain Juppé et Douglas Hurd s’entretiennent à Paris de la situation en Bosnie-Herzégovine. Lors de ces entretiens, Alain Juppé présente à son homologue la nouvelle volonté française d’opposer aux belligérants une FORPRONU plus puissante et dissuasive. Il est alors probable que les deux hommes s’entretiennent pour la première fois de l’éventualité d’un envoi de forces supplémentaires en Bosnie. C’est d’ailleurs à cette occasion que le ministre français des Affaires étrangères précise que la France ne prendra aucune décision sans une étroite concertation avec son allié d’outre-Manche. De même, le 2 juin, le ministre de la Défense, Hervé de Charette, s’entretient à Londres avec son homologue, Malcom Rifkind, sur la possibilité de renforcer le message des Français et des Britanniques sur le terrain. Pour la première fois depuis près de trois ans, aucun communiqué officiel n’est publié à l’issue de cette entrevue ; le lendemain pourtant, la France, avec un soutien « inconditionnel »90 du Royaume-Uni, présente le projet de Force de réaction rapide. C’est ainsi que le 10 juin 1995, à la suite d’un entretien entre John Major et Jaques Chirac à Paris, la Force de réaction rapide est présentée comme une initiative conjointe ; le président français affirme même à cette occasion : « Nous avons exactement le même point de vue, le Premier ministre britannique et moi, sur les objectifs et la nécessité d’avoir cette Force de réaction rapide »91. Dès lors, cette initiative sera présentée devant toutes les instances où elle a été discutée comme une initiative franco-britannique. Le président français affirmera même lors du sommet bilatéral de Londres, au mois d’octobre 1995 :
« Je crois que c’est une responsabilité collective, qui a été prise en compte par le gouvernement britannique et la France lorsque ensemble nous avons décidé face à ces événements de réagir, de changer de politique et de créer ensemble la force de réaction rapide. »92
53Ainsi il ne semble pas abusif d’affirmer, à l’instar de Nicole Gnesotto, que les guerres en ex-Yougoslavie ont contribué à former entre la France et le Royaume-Uni un « axe opérationnel de sécurité. »93 Il convient néanmoins de rester mesuré dans la mesure où cette coopération militaire connaît de très nombreuses limites.
54La première, qui peut paraître a priori anecdotique, mais qui nous semble parfaitement illustrer le manque de profondeur dont souffrent les relations franco-britanniques au cours de cette première moitié des années 1990, est d’ordre linguistique. Les militaires français éprouvent encore de très grandes difficultés à communiquer avec leurs homologues britanniques. Beaucoup, y compris chez les officiers supérieurs, ne maîtrisent pas encore suffisamment la langue anglaise. Or du côté britannique, les militaires, surtout habitués à opérer sous commandement de l’Otan, ne maîtrisent pas plus le français. La seconde, d’ordre plus structurel, réside dans le rapport qu’entretiennent les deux États avec la notion de souveraineté. La FORPRONU est en effet une opération relevant des Nations unies et est régie par les règles d’engagement de ces dernières. Or, il est tout à fait clair que les militaires prennent d’abord leurs instructions dans leur capitale respective94. Ainsi, avant de décider une intervention, des militaires français, sous les ordres d’officiers britanniques, requièrent souvent l’autorisation de la rue Saint-Dominique. Ce type particulier de double clef, ajouté au système ONU/OTAN, appesantit considérablement les actions de la FORPRONU et participe activement à l’inefficacité de l’opération de maintien de la paix. Cette habitude de prendre ses ordres de la hiérarchie nationale est en outre particulièrement caractéristique de la volonté des deux pays de préserver un contrôle souverain sur leurs troupes. Français et Britanniques considèrent que garantir une position de leader militaire nécessite ce contrôle.
55Les limites que connaît la FRR ne sont pas moindres, notamment concernant sa mise en place. Cette initiative militaire franco-britannique peut en effet être, dans une large mesure, rapprochée de l’expédition de Suez qui avait vu, à l’automne 1956, collaborer les Français et les Britanniques au Proche-Orient. Il existe là aussi une volonté politique commune de mettre en place cette force armée, mais la mise en place opérationnelle pose problème.
56La première difficulté est le décalage entre l’arrivée des troupes françaises et celle des soldats britanniques. En effet, à aucun moment, et ce malgré la bonne entente des deux chefs d’état-major, les deux armées ne vont réussir à coordonner correctement les premiers mouvements de troupes. Ainsi, les premiers éléments français de cette force débarquent à Split le 14 juin 1995 et les premiers moyens lourds français sont acheminés en Croatie entre le 19 et le 2595. Les Britanniques, quant à eux, ne déploient la moitié de la 24e brigade aéromobile qu’à partir du 31 juillet96. L’ensemble de ces troupes se place sous le commandement du général français Soubirou, auparavant commandant du secteur de Sarajevo, puis, très rapidement, sous celui du général Sir Ruppert Smith.
57Il est alors étonnant que l’interopérabilité franco-britannique ne soit pas meilleure. En effet, le 13 septembre 1994, un jumelage a été signé entre la Force française d’action rapide (FAR) et la Field Army97. Ce jumelage avait notamment pour objectif de parfaire l’interopérabilité entre les armées des deux côtés de la Manche. Or, la principale composante française de la Force de réaction rapide est constituée par la FAR. Ce déploiement difficile de la Force de réaction rapide est donc tout à fait symptomatique des difficultés que peuvent connaître les deux armées à œuvrer ensemble ; même avec des exercices en commun98, l’interopérabilité entre les deux armées reste largement perfectible.
58La seconde difficulté de mise en place réside dans la différence de conception qu’ont les deux pays de la Force de réaction rapide. En effet, alors que les soldats français opèrent sous uniforme national avec seulement le drapeau de l’ONU99, les Britanniques continuent de porter des casques bleus et de conduire les véhicules blancs spécifiques aux forces des Nations unies100. Or, cette différence, qui peut apparaître symbolique, est néanmoins capitale. Elle marque une différence fondamentale de conception de ce que doit être cette Force de réaction rapide, elle symbolise en outre le manque de clarté de la chaîne de commandement de l’ONU. La FRR s’inscrit en effet dans cette dernière, mais reste sous la responsabilité opérationnelle des États participants, en l’occurrence la France, le Royaume-Uni essentiellement.
59Dès 1995, l’amélioration des relations franco-britanniques en matière de défense européenne, bien que n’étant encore ni parfaite ni complète, est manifeste. Le rapprochement est très sensible en matière doctrinale et commence à se concrétiser sur le terrain par l’intermédiaire de réalisations qui ne relèvent plus uniquement du domaine bilatéral, mais bien du champ communautaire.
60Pour l’essentiel, cette amélioration européenne prend ses racines dans un rapprochement bilatéral, largement favorisé par l’arrivée de nouveaux dirigeants tant du côté britannique que français, à la fois plus réalistes et plus favorables au voisin d’outre-Manche.
61Il convient néanmoins, au sortir de la première moitié de la décennie 1990, de se questionner sur l’avenir de ce rapprochement. L’un des facteurs clefs de ce dernier réside en effet dans la distension des liens avec les alliés « originels », l’Allemagne pour la France et les États-Unis pour le Royaume-Uni. Qu’adviendrait-il si les deux pays se retournaient vers leurs alliances historiques ? Ne peut-on pas considérer le rapprochement franco-britannique comme une alliance qui relève à la fois des circonstances et de la raison ? Il apparaît en effet particulièrement judicieux de se demander si la collaboration entre la France et le Royaume-Uni vise autre chose qu’une certaine stabilité, voire un accroissement de leur pouvoir d’influence sur la scène internationale.
62La situation de 1995 ne permet pas encore de répondre à ces questions. Les éléments sont néanmoins dès cette époque suffisants pour s’interroger sur la profondeur de ce rapprochement.
63On peut malgré tout considérer avec Nicole Gnesotto que l’axe défensif opérationnel militaire européen entre Français et Britanniques est une réalité dès le milieu des années 1990 ; la route vers Saint-Malo est très clairement ouverte et la portée révolutionnaire de ce sommet doit nécessairement être remise en cause à la lumière des améliorations et coopérations lui préexistant.
64Mais, si la route est ouverte, elle reste encore semée d’embûches, que seule la rencontre désormais historique de 1998 permettra en partie d’éliminer.
Notes de bas de page
1 Sur Saint-Malo, voir notamment deux articles de Joylon Howorth « Britain, NATO and CESDP : Fixed Strategy, Changing Tactics », European Foreign Affairs Review, vol. 5, n° 3, 2000, p. 377-396, et « Britain, France and the European Defence Initiative », Survival, vol. 42, n° 2, 2000, p. 33-55. Il est en outre intéressant de se référer au texte de la déclaration, Déclaration sur la défense européenne, Sommet de Saint Malo, 3-4 décembre 1998, disponible sur le site Internet du ministère des Affaires étrangères, www.diplomatie.gouv.fr.
2 Il convient à ce propos de rester prudent sur la portée de ce texte qui reste encore difficilement perceptible.
3 Voir notamment François Bédarida, François Crouzet, Douglas Johnson, De Guillaume le Conquérant au Marché commun. Dix siècles d’histoire franco-britannique, Paris, Albin Michel, 1979.
4 François Mitterrand à L’Heure de Vérité, le 25 octobre 1993, cité dans Le Monde, 27 octobre 1993. Voir aussi le jugement de François Mitterrand dans De l’Allemagne, de la France, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 43.
5 Anthony Seldon, Major. A political Life, Londres, Weidenfeld & Nicholson, 1997, p. 89.
6 L’arrivée de John Major au poste de Premier ministre reste un mystère pour nombre d’analystes britanniques. Il apparaît en effet comme un homme sans envergure, voire sans qualités, et d’aucuns ont largement glosé sur ses capacités à mener une politique, en particulier étrangère, digne de la Grande-Bretagne. Voir notamment, Julian Barnes, « John Major fait une plaisanterie », article publié en janvier 1992 dans The New Yorker et retranscrit dans Julian Barnes, Lettres de Londres, Paris, Folio, 1996, p. 83-103. Joylon Howorth n’hésite pas, quant à lui, à parler de « mystère Major ». Cf. entretien avec Joylon Howorth, avril 2002.
7 Voir notamment l’interview d’Édouard Balladur, Le Figaro, 28 octobre 1993.
8 Entre mars 1993 et mai 1995, les dirigeants français et britanniques vont se rencontrer, hors sommets bilatéraux, à 25 reprises, contre seulement 19 rencontres franco-allemandes.
9 Libération, 9 janvier 1995.
10 The Times, 21 février 1994.
11 Il est à cet égard intéressant de comparer les textes des conférences de presse des sommets franco-britanniques de 1985 et 1989 (une page A4), avec celles des sommets de 1994 et 1995 (respectivement huit et dix pages du même format). Voir La politique étrangère de la France. Textes et documents, Paris, ministère français des Affaires étrangères, La Documentation française.
12 Conférences de presse des sommets franco-britanniques de 1994 et 1995, ibid.
13 Entretien d’Alain Juppé au Yomiuri Schimbun, 7 juillet 1993 cité dans La Politique étrangère de la France, op. cit., juillet-août 1993.
14 C’est notamment à l’occasion du sommet franco-allemand de 1987 qu’est créée la brigade francoallemande. On peut en outre citer le 59e sommet franco-allemand de La Rochelle, en mai 1992, où le président de la République française et la chancelier allemand entérinent la création de l’Eurocorps. Cf. Le Monde, 24-25 mai 1992. Sur les relations franco-allemandes en matière de défense, voir Hans Stark, « La dimension européenne de la défense. Le couple franco-allemand : du traité de l’Élysée au sommet de Nuremberg », Cahiers français, n° 283, p. 49-56.
15 Sommet franco-britannique, Déclaration à la presse des ministres de la Défense (Chartres, 18 novembre 1994), ibid.
16 Ibid.
17 Ibid.
18 Ce titre est librement inspiré de l’article de Pauline Schnapper, « Le pragmatisme comme art de gouverner », dans Frédéric Charillon (dir.), Les politiques étrangères. Ruptures et continuités, Paris, La Documentation française, 2001, p. 133-151.
19 Sur cette notion, on se référera utilement à l’ouvrage d’entretiens, Dominique Moïsi, Hubert Védrine, Les cartes de la France à l’heure de la mondialisation, Paris, Fayard, 2000.
20 Livre Blanc sur la défense, Paris, Éditions 10/18, 1994, p. 46. Les termes ont été soulignés par l’auteur.
21 Ibid., p. 50-51. Les termes ont été soulignés par l’auteur.
22 Malcom Rifkind, « Principles and Practice of British Foreign Policy », discours prononcé devant le Royal Institute of International Affairs, 21 septembre 1995, Policy Statement, Paris, British Information Services, 22 septembre 1995. Voir aussi Douglas Hurd, « The British Role. From Decline to Revival », ibid., 7 juillet 1995. Les termes ont été soulignés par l’auteur.
23 David Sanders, Losing an Empire. Finding a role. British Foreign Policy since 1945, Basingstoke, Macmillan, 1990. Le constat fait par l’auteur vaut dans une certaine mesure aussi pour la France.
24 Le Nouvel Observateur, 26 mai 1994.
25 The Times, 19 juillet 1995. On remarquera l’identité du vocabulaire employé par le ministre britannique et le futur ministre des Affaires étrangères français, Hubert Védrine dans son ouvrage Les cartes de la France à l’heure de la mondialisation, op. cit.
26 Pour une histoire ce groupe ad hoc, la meilleure synthèse reste Francine Boidevaix, Une diplomatie informelle pour l’Europe : le Groupe de Contact Bosnie, Paris, Fondation pour les études de défense, 1997.
27 Alain Juppé, Conseil des Affaires générales, 18 avril 1994, La politique étrangère de la France, op. cit.
28 Pour preuve de ce pragmatisme, on peut notamment citer l’absence de constitution écrite. Sur les aspects diplomatiques contemporains, la meilleure étude reste Pauline Schnapper, « Royaume-Uni : le pragmatisme comme art de gouverner », dans Frédéric Charillon (dir.), Les politiques étrangères. Ruptures et continuités, op. cit., p. 133-151.
29 Pauline Schnapper, Les infortunés du pragmatisme. La Grande-Bretagne et la sécurité européenne (1989-1995), thèse de doctorat, IEP Paris, 1997, p. 238. Sur ce point, Pauline Schnapper est néanmoins assez contradictoire, dans la mesure où elle affirme, quelques pages plus loin (p. 258) qu’« il manque certainement au lien franco-britannique la formalisation que connaît l’axe franco-allemand ». Il nous semble au contraire que la voie pragmatique est la seule envisageable dans la perspective d’une collaboration de plus en plus intense entre les deux pays.
30 Parmi les nombreux exemples de cette période, on peut notamment citer le soutien de Londres au plan de paix dit « Juppé-Kinkel », pourtant peu favorable aux intérêts britanniques, et le moment où Paris ménagea les susceptibilités britanniques à propos des Groupes de forces interarmées multinationales (GFIM).
31 Le premier à avoir remarqué cette filiation est Alex MacLeod, « La Grande-Bretagne : une participante malgré elle » in Alex Macleod, Stéphane Roussel (dir.), Intérêts nationaux et responsabilités internationales. Six États face au conflit en ex-Yougoslavie 1991-1995, Montréal, Guérin, 1996, p. 100.
32 Sur ces questions, on pourra se référer à une rapide synthèse dans Olivier Dupont, Deux regards tournés vers un même objectif. Les relations franco-britanniques en matière de défense à la fin du XXe siècle. L’exemple des guerres en ex-Yougoslavie (1991-1995), Nantes, mémoire de DEA, 2002, p. 26-34.
33 James Gow, « British Perspectives », in Alex Danchev, Thomas Halverson (eds.), International Perspectives on the Yugoslav Conflict, Londres, Macmillan, 1996, p. 92.
34 Pour une description plus détaillée de la politique du Lift and Strike, on se reportera utilement à Justin Vaïsse, Pierre Mélandri, L’Empire du milieu. Les États-Unis et le monde depuis la fin de la guerre froide, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 116-118.
35 John Dickie, “Special” No More. Anglo-American Relations. Rhetoric and Reality, Londres, Weinfeld & Nicholson, 1994, p. 43.
36 Nicole Gnesotto, « Leçons de Yougoslavie », Cahiers de Chaillot, n° 41, mars 1994, p. 52 et Anthony Seldon, Major. A Political Life, Londres, Weidenfeld & Nicholson, 1997, p. 593-594.
37 John Major, The Autobiography, Londres, Harper Collins Publishers, 2000, p. 540
38 C’est à la suite de l’échec de l’expédition de Suez que le Royaume-Uni décida de se retirer du Proche et du Moyen-Orient après 1968. Sur cette question, voir notamment Roger Owen (ed.), Suez 1956. The Crisis and its Consequences, Oxford, Clarendon Press, 1989.
39 Voir notamment Hugues Thomas, « Allies at Suez » in Neville Waites (ed.), Troubled Neighbours ? Franco-British Relations in the Twentieth Century, Londres, Weinfeld and Nicholson, 1971, p. 291-318, et Philip M. H. Bell, France and Britain 1940-1994. The Long Separation, Londres, Longman, 1997, p. 147-148.
40 John Major, The Autobiography, op. cit., p. 543 et Jane Sharp, Brankrupt in the Balkans. British Policy in Bosnia, Londres, Institute for Public Policy Research, 1992
41 Ce fut déjà en partie l’un des enjeux de la tentative de coopération franco-britannique au moment de l’unification allemande. À ce sujet, voir Olivier Dupont, Les relations franco-britanniques à la fin de la guerre froide (1985-1991), Nantes, mémoire de maîtrise, 2000, chapitre 5.
42 Ce fut notamment le cas lors de la reconnaissance prématurée, par l’Allemagne, des Républiques slovène et croate, reconnaissance qui les obligea à accélérer un processus qu’ils souhaitaient, à tous points de vue, ralentir. Voir notamment, James Gow, Triumph of the Lack of Will. International Diplomacy and the Yugoslav War, Londres, Hurst and Company, 1997 et Xavier Bougarel, « Les Balkans entre crise yougoslave et intégration européenne », La revue internationale et stratégique, n° 37, printemps 2000, p. 100-106.
43 Mairi MacLean, Jean-Marc Trouille, France, Germany and Britain. Partners in a Changing World, Basing-stoke, Palgrave, 2000, p. 22.
44 Pour se rendre compte de la portée de ce tournant, il est utile de se référer à l’article très pro-britannique d’Édouard Balladur, « Pour un nouveau traité de l’Élysée », Le Monde, 30 novembre 1994.
45 Stuart Croft, « European Integration, Nuclear Deterrence and Franco-British Nuclear Cooperation », International Affairs, vol. 72, n° 4, octobre 1996, p. 780.
46 Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, déclarait déjà en mai 1994 : « Je pense que dans le domaine nucléaire, on pourrait pousser vraiment plus loin la coopération entre la France et la Grande-Bretagne. » Alain Juppé devant le Forum de l’Expansion, 31 mai 1995, cité dans Politique étrangère de la France, op. cit., mai-juin 1994.
47 Voir notamment Financial Times, 27 juillet 1993 et Bruno Tertrais, « Le printemps des relations franco-britanniques », Relations internationales et stratégiques, printemps 1995.
48 Pour une synthèse, voir Olivier Dupont, Deux regards tournés vers un même objectif, op. cit., p. 99-117.
49 Pour une étude plus détaillée de cette évolution, les meilleures études sont Robert P. Grant, « France’s New Relationship with NATO », Survival, n° 38, printemps 1996, p. 58-80 et Frédéric Bozo, La France et l’Alliance atlantique depuis la fin de la guerre froide. Le modèle gaullien en question (1989-1999), Paris, Centre d’études d’histoire de la défense, 2001, p. 28-50.
50 Louis Gautier, Mitterrand et son armée, Paris, Grasset, 1999, p. 111.
51 Stephen George, An Awkward Partner. Britain in the European Community, Oxford, OUP, 1999.
52 Hubert Védrine, Les mondes de François Mitterrand. À l’Élysée (1981-1995), Paris, Fayard, 1996, p. 574.
53 Sur ce problème, voir Frédéric Bozo, La France et l’Alliance atlantique depuis la fin de la guerre froide, op. cit., p. 32-34.
54 François Heisbourg, « Europe/États-Unis : le couplage stratégique menacé », Politique étrangère, 1/1987, p. 111-127.
55 Robert P. Grant, « France’s New Relationship with NATO », art. cité, p. 63-64.
56 Frédéric Bozo, La France et l’Alliance atlantique depuis la fin de la guerre froide, op. cit., p. 35-36.
57 Louis Gautier, Mitterrand et son armée, op. cit., p. 82.
58 Gilles Delafon, Thomas Sancton, Dear Jacques. Cher Bill. Au cœur de l’Élysée et la Maison Blanche (1995-1999), Paris, Plon, 1999, p. 139.
59 Le ministre de la Défense pourra désormais « participer régulièrement aux travaux de l’Alliance, aux côtés de ses collègues » ; la France est en outre disposée à « prendre sa place au comité militaire ainsi qu’au sein des organes qui en dépendent ; elle revient enfin à des instances quittées en 1966 tel le collège de défense de l’OTAN, à Rome ». Intervention du ministre des Affaires étrangères à la session ministérielle du Conseil atlantique, Bruxelles, 5 décembre 1995.
60 Londres se souvient qu’en mai 1989 Washington n’a pas hésité à proposer aux Allemands un « partnership in leadership ». Voir à ce sujet Karine Beyersdorf-Zimeray, « L’impact de l’unification allemande sur les relations franco-britanniques », Revue d’histoire diplomatique, n° 3, 1994, p. 275.
61 Françoise de la Serre, Helen Wallace, « Les relations franco-britanniques dans l’Europe de l’après-guerre froide », Rapport présenté pour la réunion du Conseil franco-britannique, Paris, 18 janvier 1995, p. 6. Ultérieurement publié dans la collection Études du CERI, mars 1995.
62 Voir notamment, Stephen George, An Awkward Partner. Britain in the European Community, Oxford, OUP, 1999, p. 234-238.
63 Ces arguments ont notamment été renforcés par les circonstances dans lesquelles la Grande-Bretagne a dû quitter le mécanisme de change du SME, à l’été 1993. Ibid., p. 250-251.
64 The Independent, 2 mars 1995.
65 Il est tout à fait saisissant de noter que cette conception britannique est profondément structurelle ; elle sera ainsi réitérée à la suite de la guerre du Kosovo. Voir Mod, Kosovo : Lessons from a Crisis, Londre s, HMO, 2000.
66 Ce que l’on a appelé les missions de Petersberg, définies lors du Conseil des ministres de la Défense et des Affaires étrangères de l’UEO, à Bonn, le 19 juin 1992. Voir le texte sur www.weu.int.
67 The Independent, 2 mars 1995.
68 Ritchie Ovendale, Anglo-American Relations in the Twentieth Century, Londres, Macmillan, 1998, p. 132-136 et Nicole Gnesotto, L’Union et l’Alliance. Les dilemmes de la défense européenne, Paris, IFRI, Les notes de l’IFRI, série transatlantique, 1996.
69 Une très intéressante et pertinente analyse de la FORPRONU dans Thierry Tardy, La France et la gestion des conflits yougoslaves (1991-1995). Enjeux et leçons d’une opération de maintien de la paix de l’ONU, Bruxelles, Bruylant, 1999.
70 Les généraux Morillon, Cot et de Lapresle. À ce sujet, voir notamment Philippe Morillon, Croire et Oser. Chroniques de Sarajevo, Paris, Grasset, 1993 et Jean COT, Cécile Monnot, Dernière guerre balkanique ? Ex-Yougoslavie : témoignages, analyses, perspectives, Paris, FED, L’Harmattan, 1996.
71 Voir notamment ses très intéressants mémoires, Michael Rose, Fighting for Peace : Bosnia 1994, Londres, Harvill, 1998.
72 Lawrence Freedman, The Politics of British Defence 1979-1998, Basingstoke, Macmillan, 1999, p. 54.
73 Voir notamment l’excellente étude de Joylon Howorth, La Grande-Bretagne et l’image de la défense française, 1999 (non publiée).
74 Michael Clarke, « The Lessons of Bosnia for the British Military », Brassey’s Defence Yearbook, Londres, 1995, p. 127.
75 Joylon Howorth, op. cit.
76 Voir notamment Jacques Lanxade, Quand le monde a basculé, Paris, Nil éditions, 2001, p. 134.
77 Même les Britanniques, « malgré leurs positions éminentes dans les états-majors alliés » refusent, à l’instar des Français, de laisser la décision de frappe à l’amiral Boorda qui commande à Naples. Ibid., p. 127.
78 Olivier Dupont, Deux regards tournés vers un même objectif, op. cit., p. 149-158.
79 « Conférence des ministres de la Défense et des chefs d’état-major des pays de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique qui contribuent aux opérations des Nations unies en ex-Yougoslavie », SIRPA Actualité, n° 24, 17 juin 1995.
80 Communiqué diffusé à la suite de la Conférence des ministres de la Défense et des chefs d’état-major des pays de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique qui contribuent aux opérations des Nations unies en ex-Yougoslavie, 3 juin 1995.
81 Artillerie lourde (155 mm), blindés légers (AMX 10) et hélicoptères.
82 Thierry Tardy, La France et la gestion des conflits yougoslaves…, op. cit., p. 276.
83 La FRR est théoriquement composée de 12 500 hommes, divisée en trois brigades : une brigade multinationale d’environ 4 000 hommes (2 000 Français, 1 800 Britanniques et 200 Néerlandais), la 24e brigade aéromobile britannique (environ 5 000 hommes) et une brigade française de la Force d’action rapide (4 000 hommes).
84 Cette mesure était en particulier destinée à exclure les personnes civiles de la chaîne de commandement, à commencer par Boutros Boutros-Ghali, Secrétaire général de l’ONU, et son représentant spécial sur place, Yasushi Akashi.
85 On peut notamment citer Thierry Tardy, La France et la gestion des conflits yougoslaves…, op. cit., p. 275-276 et Alex MacLeod, « La politique française et l’affirmation du leadership international » in Alex MacLeod, Stéphane Roussel (dir.), Intérêts nationaux et responsabilités internationales. Six États face au conflit en ex-Yougoslavie 1991-1995, Montréal, Guérin, 1996, p. 53.
86 D’aucuns vont même jusqu’à supposer que le général Smith demanda des frappes aériennes de l’OTAN afin de provoquer des représailles serbes (une prise d’otages par exemple), chargée de faire réagir les dirigeants britanniques. Voir notamment Jane Sharp, Honest Broker or Perfidious Albion ? British Policy in former Yugoslavia, Londres, Institute for Public Policy Research, 1997, p. 52.
87 The Guardian, 30 mai 1995.
88 T. Ripley, « A Deliberate Force on the Mountain », International Defence Review, 10/1995, p. 27-30.
89 James Gow, « Stepping up the Pace ? », The World Today, juillet 1995, p. 126-128.
90 John Major, The Autobiography, op. cit., p. 545.
91 Conférence de presse conjointe du président de la République, M. Jacques Chirac et du Premier ministre du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord, M. John Major, Paris, 10 juin 1995.
92 18e Sommet franco-britannique Conférence de presse conjointe du président de la République, M. Jacques Chirac, et du Premier ministre du Royaume-Uni, M. John Major, Londres, 30 octobre 1995. Voir texte en annexe. Les termes ont été soulignés par l’auteur.
93 Nicole Gnesotto, « La défense européenne au carrefour de la Bosnie-Herzégovine et de la CIG », Politique étrangère, 1/1996, p. 37.
94 Voir notamment Jane Sharp, Honest Broker or Perfidious Albion ? British Policy in former Yugoslavia, Londres, Institute for Public Policy Research, 1997, p. 44 et Joylon Howorth, op. cit.
95 Jacques Lanxade, Quand le monde a basculé, op. cit., p. 144.
96 Statement on the Defence Estimates, Londres, HMSO, 1996.
97 Le Monde, 14 septembre 1994.
98 Notamment à la fin de l’année 1994. Voir Michael Clarke, « British Defence Policy and a European Security Identity », Brassey’s Defence Yearbook, 1996, p. 34.
99 Patrice Buffotot, « Le temps de réformes » in Patrice Buffotot (dir.), La défense en Europe. Les adaptations de l’après-guerre froide, Paris, La Documentation française, 1998, p. 114.
100 Jane Sharp, Honest Broker or Perfidious Albion, op. cit., p. 53.
Auteur
Allocataire de recherche DGA/CNRS
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