La France et la crise marocaine : le recours aux Américains face à l’hypothèque espagnole (1953-1955)
p. 49-63
Texte intégral
1Depuis le discours du sultan à Tanger en 1947, la France s’enferme dans une impasse politique face au développement du nationalisme marocain. La nation protectrice a choisi la fermeté face aux revendications pourtant modérées de Mohammed Ben Youssef. Les gouvernements français ignorent toujours ses demandes. La résidence générale de Rabat entretient le conflit, et les généraux Juin puis Guillaume se lancent dans une politique d’hostilité qui conduit inexorablement à la rupture. La déposition du sultan le 20 août 1953 illustre parfaitement la dérive du protectorat. La France choisit la force, symbole de son impuissance politique. Le gouvernement est placé devant le fait accompli, ce qui renforce encore l’impression de désordre et de faiblesse1.
2Les autorités françaises n’ont pas vraiment évalué les conséquences internationales de leur action, et la condamnation est large. La France se déconsidère… Persuadé de son bon droit et de sa toute puissance en Afrique du Nord, et pris de vitesse par les initiatives de Rabat, le Quai d’Orsay a prévenu tardivement le gouvernement espagnol, toujours aussi susceptible sur les questions marocaines. La rupture franco-espagnole de 1946, puis l’isolement de Franco sur la scène internationale jusqu’en 1950 ont placé le contentieux marocain entre parenthèses2. Depuis 1948, les deux pays ont repris le dialogue « interzonal », mais dans une version minimale. À partir de 1951, Franco fait de sa politique marocaine un aspect essentiel de son retour sur la scène internationale. Le rapprochement franco-espagnol de 1952 doit beaucoup aux nécessités marocaines. Malheureusement, Franco et son hautcommissaire à Tétouan, le général Garcia Valiño, désireux de renforcer l’amitié avec les pays arabes et d’éviter d’étendre le conflit en zone nord, choisissent de se démarquer de la politique française en privilégiant le dialogue avec les nationalistes3.
3La déposition du sultan oblige l’Espagne à choisir officiellement entre la reconnaissance de Ben Arafa, c’est-à-dire le ralliement au choix de la France, et la défense de Mohammed Ben Youssef, donc l’opposition frontale avec la puissance protectrice de jure4. Dès le mois d’août, les réserves de l’Espagne s’accompagnent de sa condamnation officieuse, symbolisée par le maintien de la prière au nom de l’ancien sultan dans toute la zone espagnole5. Le 26 septembre, la signature de l’accord militaire avec les États-Unis permet à l’Espagne de retrouver une plus grande liberté d’action pour satisfaire ses ambitions. Franco peut désormais proclamer publiquement son opposition par une démonstration d’allégeance des autorités et de la population marocaine de sa zone au sultan déchu. Mais le Caudillo, toujours prudent, prépare soigneusement sa réponse officielle.
4L’année 1954 est souvent perçue comme une année de transition dans la marche du Maroc vers l’indépendance. La France est accaparée par d’autres urgences sur la scène internationale. Pourtant, l’année est riche d’événements décisifs et, notamment, elle internationalise définitivement la crise marocaine par l’action de l’Espagne et les interventions américaines. Surtout, face à cette internationalisation, les gouvernements français successifs adoptent des politiques très différentes, sur le Maroc comme sur l’Espagne. L’étude de nouveaux fonds d’archives français et espagnols apporte des éclairages nouveaux, notamment sur la position des États-Unis dans cette crise suite à l’appel français, et sur ses conséquences sur la politique marocaine des deux puissances coloniales6.
LE GOUVERNEMENT LANIEL-BIDAULT SUBIT LE « COUP DE TÉTOUAN » SANS OBTENIR LE SOUTIEN AMÉRICAIN
5Pendant l’automne 1953, les diplomates français s’inquiètent de plus en plus de l’évolution de la politique espagnole. Les mauvaises nouvelles s’accumulent : le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe est en mission à Madrid, accompagné par le leader nationaliste de l’Istiqlal Allal el-Fassi. Les journaux espagnols et arabes en rendent compte largement7. Le 21 octobre, Ahmed Choukeiri rencontre le ministre espagnol des Affaires étrangères, Alberto Martin Artajo. Il semble qu’il soit également reçu par le général Franco8. La Ligue arabe recherche des contacts avec les États latino-américains pour soutenir les revendications des États arabes à l’ONU9. « L’Espagne est un pont entre les mondes arabo-asiatique et hispano-américain qui, s’ils s’unissent, deviendraient le bloc le plus puissant avec au moins trente pays »10. Quant à Franco, il cherche depuis 1946 à compenser son isolement international par l’amitié des pays arabes. Martin Artajo a réalisé une grande tournée moyenorientale en 1952. Le soutien des pays arabes faciliterait la rentrée de l’Espagne à l’ONU, qui reste l’objectif final du régime.
6À New York, l’Assemblée générale de l’ONU examine finalement le problème marocain à la fin du mois d’octobre. L’attitude des Etats-Unis est essentielle. Le secrétaire d’État Dulles choisit de soutenir la France, jugée comme le meilleur garant de la sécurité de l’Afrique du Nord. Mais les Américains ne le font pas de gaieté de cœur et préviennent le gouvernement français : la déposition du sultan est une erreur, et des réformes sont indispensables au Maroc11. Le 3 novembre 1953, une motion bolivienne rappelant « le droit du peuple marocain à des institutions libres et démocratiques » obtient 32 votes favorables contre 22 et 5 abstentions. La majorité des deux tiers n’est pas atteinte grâce aux États-Unis, mais cette majorité « de fait » est un avertissement clair.
7Désormais, l’Espagne semble soutenir le combat des nationalistes arabes contre la France. La politique souhaitée par le haut-commissaire en zone espagnole est approuvée par Franco lors d’un entretien entre les deux hommes à Madrid. Garcia Valiño souhaite se distinguer de plus en plus radicalement d’une politique française jugée inefficace et dangereuse. Il ne s’en cache pas devant les journalistes à son retour à Tétouan le 29 octobre : le Caudillo a approuvé « dans sa totalité sa conduite politique au sujet des problèmes marocains créés par les événements de la zone française. » Franco lui a affirmé « son inébranlable décision de maintenir la position actuelle de l’Espagne avec les pays arabes et le Maroc12 ». Fort du soutien du chef de l’État, Garcia Valiño transmet des signaux de plus en plus hostiles à la France. La presse espagnole de la zone maintient sa campagne de « dénigrement » sur un ton « violent »13. Dans une interview donnée au quotidien égyptien Al Ahram, le Khalifat de Tétouan critique sévèrement la politique de la France au Maroc : Mohammed Ben Youssef reste le souverain légitime, le nouveau sultan est décrit comme « prisonnier des Français »14. Le 18 novembre, pour la fête du Trône, le haut-commissariat organise des cérémonies plus fastueuses que d’habitude dans les rues de Tétouan, alors que la fête a été supprimée en zone française… Garcia Valiño laisse même Abdelkhaleq Torrès diriger une manifestation nationaliste dans les rues de la ville, puis l’accueille dans son palais. Il en profite pour attaquer violemment la politique française dans son discours officiel ! La presse nationaliste de Tétouan reproduit largement ses propos et publie de nombreuses photos de l’exil du sultan en Corse15. Radio Tétouan multiplie les émissions en l’honneur de Mohammed Ben Youssef16. « L’attitude espagnole ne marque aucune évolution favorable à notre égard. On constate, au contraire, une recrudescence de la guerre froide menée sournoisement contre nous »17. Dès le 1er décembre, Geoffroy de Courcel, le nouveau directeur d’Afrique Levant au Quai d’Orsay, demande une intervention auprès du nouvel allié de Franco. « Il y aurait intérêt à ce que l’attention du gouvernement des États-Unis fût, à l’occasion de la conférence des Bermudes, appelée sur les sérieuses répercussions pour la tranquillité intérieure du Maroc et l’unité de l’Empire chérifien que risque d’avoir l’attitude du gouvernement espagnol »18. Les diplomates français sont conscients désormais de leur impuissance à faire évoluer seuls la politique marocaine de l’Espagne. Mais Georges Bidault juge qu’il est encore trop tôt.
8Quelques semaines plus tard, les menaces espagnoles se confirment. Garcia Valiño prépare une grande manifestation de soutien à Mohamed Ben Youssef. Le 17 janvier 1954 dans la matinée, Bidault est désormais assuré des intentions espagnoles19. Il déclenche aussitôt une véritable « offensive diplomatique » pour tenter de faire reculer l’Espagne avant le 21 janvier. Bidault attend le dernier moment pour réclamer une intervention des États-Unis contre cet « attentat contre la tranquillité du monde occidental »20. L’ambassadeur de France à Washington, Bonnet rencontre
9Foster Dulles, mais la réponse du secrétaire d’État est assez dilatoire : il se contente de demander à son ambassadeur à Madrid d’intervenir officieusement auprès de Martin Artajo pour obtenir une plus grande modération espagnole21. Dès le 19 janvier, Bidault, sûrement insatisfait des paroles de Dulles, demande au Foreign Office d’agir à Washington afin d’obtenir « une action énergique et rapide »22. Mais l’intervention britannique ne change pas la position américaine. Le département d’État ne souhaite pas se mêler directement des querelles franco-espagnoles23.
10Bidault avertit l’ambassadeur espagnol des « graves conséquences » que pourrait avoir la réunion de Tétouan. Il demande également à Guillaume de prendre toutes « les mesures militaires que vous jugerez convenables »24 ! Une escadre française conduite par le porte-avions La Fayette quitte Toulon le 19 pour Mers el-Kébir, pour des exercices prévus de longue date25… Au Conseil des ministres, Bidault présente à ses collègues son « offensive diplomatique ». Il en conclut que « le niveau des mesures envisagées par les autorités espagnoles est en train de baisser »26. Personne ne vient contester ni l’analyse, discutable, ni la politique du ministre des Affaires étrangères. L’intervention bien timide des Américains n’a pas suffi, et l’Espagne n’a pas renoncé27. Jamais les Français ne remettent en cause le bien fondé de leur politique…
11Le 21 janvier, la manifestation publique de Tétouan a lieu comme prévu, mais en l’absence du Khalifat, le seul à avoir été impressionné par la réaction française. Garcia Valiño a rassemblé les principales autorités musulmanes de la zone espagnole. Selon la presse marocaine, 25 000 personnes se réunissent à l’hippodrome de la ville. Les notables remettent au haut-commissaire une pétition qui dénonce la politique marocaine de la France, salue celle de l’Espagne, rend hommage à Franco, et refuse de reconnaître l’autorité de Ben Arafa. Le texte affirme la pleine souveraineté du Khalifat de Tétouan et réclame la séparation des deux zones tant que la politique française n’aura pas évolué28. Le discours du général Garcia Valiño attaque de manière virulente les erreurs de la France au Maroc, l’orgueil de sa politique qui conduit l’Empire chérifien dans le malheur. Il fait l’apologie de la politique espagnole et souligne le calme qui règne dans la zone nord29. Le 9 février 1954, le général Franco complète les déclarations de Garcia Valiño et vient légitimer définitivement les actes de Tétouan. Il reçoit au Pardo une délégation de notables marocains dirigée par le Grand Vizir Khalifien.
« Si les choses devaient demeurer en l’état, une grande partie du peuple marocain demeurerait désemparée et soumise à l’arbitraire de la nation protectrice […] Je puis vous assurer que l’Espagne demeurera fidèle aux traités, et loyale à ses frères marocains […] Convaincue que la force de la raison finira par triompher de la force aveugle, en attendant que cette heure sonne, la zone marocaine confiée à notre protection continuera, sous la souveraineté de S. A. impériale Moulay el Mahdi, à garder la pure essence du protectorat30.»
12Franco et Garcia Valiño proclament officiellement l’autonomie de la zone nord et rendent publique la politique marocaine de l’Espagne officielle. La proclamation de souveraineté du Khalifat, en s’appuyant sur la non-reconnaissance de l’autorité de Ben Arafa, lui donnait « vocation de remplacer Sidi Mohammed empêché », et pouvait se prévaloir d’une certaine solidité, au moins du point de vue marocain31.
13Une puissance occidentale et coloniale a condamné officiellement la politique marocaine de la France. Le revers international est de première importance, et la presse du monde entier couvre largement l’événement. En France, les journaux de gauche s’emparent de cette affaire pour exiger la révision des politiques espagnole et marocaine de la France et critiquent sévèrement la faiblesse de l’exécutif32. Le gouvernement français se réunit en Conseil restreint le 22 janvier, sous la présidence de Joseph Laniel, avec son vice-président Henri Queuille, Louis Jacquinot, le ministre de la France d’Outre-mer et le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Maurice Schumann33. Certes, on décide de protester sèchement et énergiquement contre la manifestation de Tétouan et contre le discours du haut-commissaire, mais on se contente de demander des explications34. La riposte diplomatique reste modeste : il s’agit dans un premier temps d’engager une vaste campagne d’information auprès des autres puissances, de manière à démontrer la faiblesse de l’argumentation espagnole et le bien fondé des positions françaises35. Le gouvernement renouvelle ses protestations après le discours de Franco du 9 février. Devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Maurice Schumann se charge de répondre point par point à Franco. C’est « une attaque inadmissible contre la politique marocaine de la France », et le secrétaire d’État rejette globalement la déclaration de souveraineté du Khalifat, jugée contraire à tous les traités internationaux signés par l’Espagne. La France mène une politique de « progrès » au Maroc que les agissements espagnols ne sauraient troubler36 ! Le 13, le ministère des Affaires étrangères envoie à la presse française une longue note de sept pages qui récapitule l’argumentaire officiel du gouvernement. Le 15, Meyrier est rappelé en consultation à Paris. Mais la réplique française s’arrête là…
14Quelles sont les motivations de l’abstention américaine ? Les diplomates de Washington semblent persuadés que malgré les difficultés du moment, Français et Espagnols ont des intérêts similaires au Maroc et défendront ce territoire contre tout agresseur37. Cette crise leur semble passagère. L’intervention pour arrêter l’Espagne n’est pas jugée nécessaire. Un appel à la modération est suffisant. Pourquoi les États-Unis soutiendraient-ils plus fortement les demandes françaises, alors qu’ils ne partagent pas la politique marocaine de la France et qu’ils n’ont aucune envie de fragiliser leur nouvelle alliance avec l’Espagne ? Les Américains n’avaient pas approuvé la destitution du sultan, mais s’étaient contentés de s’aligner à contre cœur. Malgré les demandes de Dulles, la France n’a pas modifié sa politique.
15Au même moment, les États-Unis peuvent douter de la bonne volonté française pour défendre « l’Occident ». Eisenhower et Churchill se retrouvent pour demander aux Français de ratifier le plus rapidement possible le traité CED, en souffrance depuis 1952. Bidault et Laniel cherchent au contraire à négocier pour obtenir le maximum de garanties avant de le présenter à la ratification, dans un contexte français de querelle et de polémique sur l’armée européenne qui menace la survie du gouvernement en cas de vote à l’Assemblée nationale. Mais ces manœuvres dilatoires exaspèrent les partenaires de la France. La conférence des Bermudes est difficile. Les trois alliés ne partagent pas alors des vues identiques sur l’avenir des relations avec l’URSS. Certes, ils réaffirment la nécessité de la CED, mais Bidault maintient sa politique attentiste. Dulles affirme le 14 décembre 1953 que l’échec de la CED conduirait les États-Unis à une « révision déchirante » de leur politique à l’égard de la France. Ces pressions américaines sont très critiquées en France, et sont vécues par beaucoup comme des ingérences insupportables. Mais Bidault ne fait toujours pas avancer le dossier CED… Dans ce cadre de tensions franco-américaines, l’attitude prudente de Dulles face aux demandes françaises sur le Maroc pourrait être un signe : n’est-ce pas déjà un premier pas vers cette « révision déchirante » annoncée un mois plus tôt ?
16Le contexte des relations franco-américaines explique aussi en partie la faiblesse de la réplique française au « coup de Tétouan ». La conférence de Berlin, qui doit réunir pour la première fois depuis le début de la guerre froide les ministres des Affaires étrangères des quatre puissances occupantes de l’Allemagne, doit s’ouvrir le 25 janvier 1954. C’est un test pour les trois alliés occidentaux face aux réclamations soviétiques sur l’Allemagne. Certes, Français, Britanniques et Américains se rejoignent finalement sur la défense du statu quo face aux initiatives soviétiques. Mais Bidault peut être inquiet : à Berlin, il veut obtenir le soutien américain pour tenter de régler diplomatiquement le problème indochinois dans le cadre d’une négociation internationale entre Grands. Peut-il se permettre d’insister pour obtenir plus sur le Maroc, ou même d’ouvrir un vrai conflit avec Madrid sur cette question ? Ne pas aller plus loin dans l’épreuve de force avec l’Espagne, c’est également ne pas mécontenter Dulles… Bidault se garde bien d’aborder le problème marocain et espagnol à Berlin, qui n’est pas à l’ordre du jour. L’essentiel est assuré : il réussit à convaincre les Américains de l’utilité de réunir une conférence internationale en présence de la Chine communiste. Le principe est inscrit dans la déclaration finale du 18 février 1954.
17Une fois la conférence terminée, les États-Unis renouvellent discrètement leur conseil de modération aux Espagnols. Il ne faut pas relancer la crise. L’Espagne peut maintenir sa position, mais ne doit pas remettre en cause le protectorat. Dans un discours prononcé à Bilbao fin février, l’ambassadeur des États-Unis à Madrid, Dunn, souligne que « jamais la solidarité entre l’Amérique, la France et l’Angleterre n’a été aussi solide », et qu’il est temps maintenant de voir s’établir « un apaisement de la question relative au Maroc »38. Dès le 26 février, Martin Artajo fait preuve de bonne volonté, et semble vouloir faire baisser la tension. Il préconise le retour à une situation de « bon voisinage ». « Je ne crois pas que les relations franco-espagnoles puissent s’aggraver, du moins en ce qui nous concerne »39. Mais le haut-commissaire à Tétouan défend une ligne plus conflictuelle. Pour Garcia Valiño, les réformes impulsées par la France dans sa zone, en allant vers la co-souveraineté, vont à l’encontre de l’esprit des traités de protectorat. Le meilleur moyen de rompre avec la politique française serait une dénonciation des accords de 1912, mais aussi des accords sur l’internationalisation de Tanger40. Le général espagnol n’est pas un progressiste, et n’envisage pas l’indépendance du Maroc. Il veut en réalité « préserver la zone espagnole » des évolutions inquiétantes du reste du pays ! La question des rapports franco-espagnols au Maroc est finalement débattue le 5 mars au Conseil des ministres : Franco semble avoir soutenu le point de vue modéré de son ministre des Affaires étrangères. Le Haut-commissaire doit s’incliner devant les instructions officielles de Franco, réclamées par Martin Artajo41. Les précieux conseils des Américains sont maintenant écoutés. Mais le désaccord sur l’avenir du Maroc et sur la destitution du sultan n’est absolument pas levé. Garcia Valiño reste sur ses positions. « Tant que la France sera incapable de maîtriser l’insurrection dans sa zone, chaque jour plus violente et acharnée, j’estime infondé toute sorte de contact ou d’accord avec nos voisins »42. L’Espagne continue à privilégier ses liens avec les pays arabes. Du 6 au 10 mai 1954, le secrétaire général de la Ligue arabe, Hassouna, s’entretient à Madrid avec Franco et Martin Artajo, puis à Tétouan avec Garcia Valiño. Tous s’accordent sur la nécessité du retour du sultan sur son trône43. Décidément, les deux gouvernements ne s’entendent plus sur les questions marocaines, mais ils ont la sagesse de ne pas rompre totalement leurs relations. Franco préfère cette solution plutôt qu’une séparation totale et définitive avec la zone française. À Paris, Bidault et Laniel ne veulent pas non plus risquer une explosion au Maroc. La crise indochinoise suffit ! De mars à juin 1954, Dien Bien Phu accapare l’attention de l’opinion et du gouvernement français.
18Finalement, les États-Unis ont obtenu ce qu’ils recherchaient : calmer la tension franco-espagnole sans intervenir directement pour l’une des deux parties. L’intervention américaine reste discrète, et l’Espagne ne pousse pas son avantage. La France n’obtient pas l’aide directe escomptée, mais Bidault attend autre chose de Dulles, et l’obtient à Berlin. Aucun des deux pays ne désire compromettre sa relation avec Washington, un tout nouvel allié pour l’Espagne, et un soutien indispensable pour la France afin de tenter de régler l’affaire indochinoise. Les appels américains à la modération sont écoutés.
19Mais le manque d’enthousiasme des États-Unis nourrit l’incompréhension franco-américaine en cette année 1954. L’opinion française est déjà très mécontente contre les pressions sur la CED, « l’atlantisme » d’Eisenhower, ou la nouvelle doctrine stratégique des représailles massives, qui semblent placer le monde au bord du gouffre44. Une fois le coup de Tétouan accompli, la presse française critique l’abstention de Dulles, accusé d’avoir abandonné la France au profit de la cause espagnole. C’est une étape supplémentaire dans le scepticisme de l’opinion publique française face à la réalité du soutien américain. Quelques semaines plus tard, le refus d’un appui aérien direct pour soulager Dien Bien Phu marque une étape supplémentaire dans ce processus.
MENDÈS FRANCE TROUVE LE SOUTIEN DES AMÉRICAINS, MAIS POUR UNE AUTRE POLITIQUE
20À son arrivée au pouvoir le 17 juin 1954, Pierre Mendès France entreprend une vaste clarification de la politique extérieure de la France. Il se lance aussitôt un défi : régler définitivement la question indochinoise avant le 20 juillet. Il compte également trouver une solution au problème de la ratification de la CED. Quant aux protectorats nord-africains, « nous leur avons promis de les mettre en état de gérer euxmêmes leurs propres affaires. Nous tiendrons cette promesse et nous sommes prêts dans cette perspective à reprendre des dialogues malheureusement interrompus »45. La tâche s’avère délicate… Fin juillet, libéré de la question indochinoise, Mendès France choisit la Tunisie pour inaugurer sa nouvelle politique en Afrique du Nord : l’autonomie interne est proposée lors d’un spectaculaire voyage à Tunis le 31 juillet.
21Pour le Maroc, l’affaire est plus complexe, la tension plus grande. Le nouveau résident général, Lacoste, rencontre le président du Conseil à Paris début juillet, mais ne reçoit pas d’instructions claires46. Mohammed Ben Youssef adresse deux lettres à Pierre Mendès France pour lui proposer l’ouverture de négociations sur l’avenir du protectorat47. En Espagne, des conversations ont lieu entre nationalistes marocains, ministres espagnols et diplomates français entre le 8 juillet et le 10 août, mais leur contenu reste largement méconnu48. Mais des informations concordantes indiquent que l’Espagne chercherait à reproduire le coup de Tétouan et à devancer la France pour accorder l’autonomie à la zone nord. Est-ce une manière pour les dirigeants de l’Istiqlal de tenter de forcer la main aux Français pour qu’ils reproduisent au Maroc le geste de Tunis ? Le 5 août, Mendès France décide d’attendre et adresse une lettre personnelle à Mohamed Ben Youssef pour exclure toute négociation avec l’ancien sultan49. Mais, sans doute affolé par les conséquences probables d’une action espagnole sur l’ensemble de sa politique nord-africaine, et désirant aplanir le contentieux franco-espagnol avant d’aborder frontalement la question marocaine, Mendès France autorise les diplomates à donner des gages de bonne volonté à l’Espagne : fermeture des radios hostiles au gouvernement espagnol, proposition de négociations pour régler tous les litiges franco-espagnols, assurance que rien ne sera entrepris au Maroc sans en informer préalablement l’Espagne50.
22Le 27 août, devant l’Assemblée nationale, Pierre Mendès France confirme ses intentions sur le Maroc : « nous devons, en accord avec le sultan Ben Arafa, appeler progressivement, mais aussi rapidement que possible, le peuple marocain à gérer ses propres affaires dans le cadre de la souveraineté marocaine »51. Une autonomie interne en quelque sorte, mais lente et progressive, et sans rappeler l’ancien sultan. En attendant, il faut calmer la crise, et d’abord restaurer les relations de confiance avec l’Espagne… Mais en octobre 1954, le rapprochement proposé dans l’urgence par la France est resté lettre morte. Le gouvernement espagnol n’a pas répondu à l’offre française, et maintient sa politique hostile dans sa zone. Alexandre Parodi, le secrétaire général du Quai d’Orsay, s’en dit « préoccupé […] Il doit être possible, et il est nécessaire, de préparer le terrain en vue de faire accepter, le moment venu, par l’Espagne les solutions d’ensemble que le gouvernement entend donner aux problèmes marocains ». Le nouvel ambassadeur à Madrid, De La Tournelle, doit expliquer au gouvernement espagnol les nouveaux objectifs de Pierre Mendès France dans les protectorats nord-africains : « accentuer l’évolution vers l’autonomie interne d’un Maroc rénové et démocratisé, dans le cadre de la souveraineté chérifienne », en se référant à « l’exemple tunisien ». « Vous réaffirmerez que le gouvernement français écarte résolument toute idée d’annexion, d’assimilation politique ou de “co-souveraineté” au Maroc […] Si son évolution politique conduisait un jour à une nouvelle définition de ses rapports avec la France, celle-ci sauvegarderait aussi bien la souveraineté marocaine que le statut international de l’Empire chérifien et les droits que l’Espagne tient des traités ». En attendant de résoudre ces contradictions, le nouvel ambassadeur doit commencer par « consolider la relative détente actuelle » et « inaugurer un climat de confiance avec le gouvernement espagnol […] en exposant aussi souvent et complètement que possible nos intentions, comme nos griefs. »52 Un premier objectif est rapidement identifié, car il est le plus gênant : obtenir la fin de la campagne anti-française menée par la presse et la radio de la zone espagnole.
23Début novembre, Mendès France reçoit en personne l’ambassadeur espagnol pour donner des assurances de sa bonne volonté53. Surtout, le président du Conseil intervient auprès du département d’État afin d’obtenir un geste américain. Lors de son voyage aux États-Unis le 22 novembre, il demande personnellement à Foster Dulles d’intervenir auprès de Franco pour obtenir la fin des émissions anti-françaises de Radio Tétouan54 !
24L’administration Eisenhower est au départ perplexe devant l’activisme de Pierre Mendès France, un homme resté à l’écart des combinaisons ministérielles, et qui n’est pas un habitué des réunions entre Alliés. Mais dès la conférence de Genève, le chef du gouvernement a réussi à convaincre Dulles « de la fermeté de ses intentions et de la nécessité du soutien diplomatique américain »55. Cette évolution favorable des États-Unis est encouragée par l’évolution jugée très positive de la politique française dans les protectorats. Dans un rapport rédigé le 9 septembre 1954 pour définir la position américaine face au problème marocain lors de la neuvième session de l’Assemblée générale des Nations unies, le département d’État juge que l’autonomie interne accordée à la Tunisie a été un pas décisif pour montrer la bonne volonté française. L’attente sur le Maroc est jugée normale car le problème est plus complexe, notamment par ses implications internationales. Les États-Unis décident de rejeter l’adoption de toute résolution qui, en condamnant la France, encouragerait les demandes excessives des nationalistes marocains et risquerait de faire évoluer Rabat vers plus de fermeté56. L’abandon de la CED, jugé très défavorablement par les États-Unis, n’a pas de conséquences sur l’appui américain en Afrique du Nord.
25Mais fin novembre, les Américains commencent à s’impatienter. Le discours que prononce Pierre Mendès France à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies révèle les contradictions de la politique extérieure du chef du gouvernement. Il présente désormais « un vaste programme revenant à établir un nouveau système européen de sécurité », dont certaines propositions ne sont pas du goût des alliés britanniques et américains57. Certes, la déception américaine après l’échec de la CED a été en partie surmontée par la signature des Accords de Paris le 23 octobre 1954, qui permettent le réarmement allemand dans le cadre de l’Alliance atlantique. Mais les alliés britanniques et américains s’agacent des ambiguïtés françaises, dans un contexte d’incertitude sur les positions de la nouvelle direction soviétique. Mendès France présente également dans son discours ses intentions libérales en Afrique du Nord, mais sans une véritable avancée sur le Maroc, et tout en refusant que la question soit présentée à l’ONU ! Sur la Tunisie, l’offre de désarmement des fellaghas, présentée le 22 novembre, est séduisante. Mais le déclenchement des « événements » d’Algérie le 1er novembre est suivi par de vibrantes proclamations sur la défense d’une terre française, dont le cas n’est nullement comparable à celui des protectorats voisins. Certes, le problème nord-africain devient extrêmement complexe, mais la politique « à géométrie variable » que propose Mendès France ne simplifie pas les choses…
26Dulles accepte finalement d’aider la France au Maroc, puisque sa politique dans les protectorats est globalement positive. Les ambassadeurs américains dans les pays arabes et en Espagne reçoivent l’ordre d’intervenir officiellement pour obtenir la fin de la campagne espagnole contre la politique arabe de la France58. Mais le secrétaire d’État exige que la position française évolue plus rapidement. La menace est claire. Une nouvelle dégradation de la situation « mettrait en péril la défense du monde libre », et obligerait les États-Unis à modifier leur politique marocaine. La France doit démarrer son programme de réformes. Dans le cas contraire, « si la France nous demande d’intervenir auprès de l’Espagne, de la Libye ou de l’Égypte, que l’on soupçonne d’aider les nationalistes nord-africains, les États-Unis devraient répondre que la France doit elle-même prendre l’initiative avec les pays concernés ». Le département d’État pourrait également changer d’attitude à l’Assemblée générale des Nations unies59. Dulles reste finalement dans la continuité de la stratégie américaine définie dès le mois de septembre. D’ailleurs, en décembre, l’ONU décide de repousser l’examen de la question marocaine. Mais les diplomates américains sont de plus en plus divisés sur l’attitude à adopter au Maroc et sur l’opportunité de continuer à soutenir la France60.
27Dans un premier temps, la politique de Mendès France semble fonctionner. L’appui américain est décisif. Dès le 26 novembre, lors de la remise des lettres de créances du nouvel ambassadeur de France en Espagne, Franco rappelle que l’intérêt des deux puissances est de pratiquer « une politique d’entente au Maroc ». L’ambassadeur américain à Madrid, Dunn, demande officiellement la fin des attaques anti-françaises de Radio Tétouan lors d’un entretien personnel avec Martin Artajo61. Garcia Valiño est convoqué à Madrid, et le Conseil des ministres du 3 décembre décide de mettre fin à la propagande anti-française de Radio Tétouan. L’action claire et déterminée de Pierre Mendès France, avec le soutien des États-Unis, semble payer62. Le gouvernement français ne s’arrête pas là, et répond aussitôt à la bonne volonté espagnole. Le 8 décembre, la France vote pour l’entrée de l’Espagne au Conseil exécutif de l’UNESCO. Le 16 décembre, Alexandre Parodi convoque Casa Rojas et l’informe que la France est désormais décidée à appuyer l’admission de l’Espagne à l’ONU et dans toutes les organisations internationales63.
28Mais à la grande déception des autorités françaises, rien ne change véritablement au Maroc ! Dès le 18 décembre, le consul à Tétouan, Michel Fontaine, signale que la campagne anti-française de la radio et des journaux de la zone espagnole reprend après une dizaine de jours d’accalmie64. Lors des cérémonies officielles des vœux à Madrid, La Tournelle le rappelle aux ministres espagnols. Le bras droit de Franco, Carrero Blanco réagit aussitôt : « le ton de Radio Tétouan doit changer, et il changera. Il est inconcevable que l’Espagne mène au Maroc une action contre la France. »65 Quant à Martin Artajo, il croyait que « ces bêtises avaient cessé »66 ! Malgré ces déclarations rassurantes, les autorités espagnoles au Maroc maintiennent une politique anti-française. La Tournelle pense que Garcia Valiño applique les consignes de Madrid avec une grande liberté, grâce à l’accord tacite de Franco. Désormais, les diplomates français estiment que Franco maintient sa politique marocaine avec l’aide du hautcommissaire à Tétouan, tout en protestant de sa bonne volonté à Madrid. Le double jeu continue. Le geste sur Radio Tétouan répondait seulement à la pression américaine, et n’est appliqué que quelques jours67.
29Toute la stratégie élaborée par Mendès France pour pacifier les relations francoespagnoles à l’automne 1954 est habile. Il la juge comme une étape indispensable pour désamorcer la situation et pour entamer une évolution pacifique vers l’autonomie interne au Maroc. Mais elle échoue en janvier 1955, devant le refus de Franco de réorienter sa politique marocaine, et malgré l’intervention ferme des États-Unis. Les diplomates français semblent désabusés, et Massigli, le nouveau secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, en recevant l’ambassadeur d’Espagne, reprend les bonnes vieilles habitudes : agacement et avertissement face aux initiatives jugées « anti-françaises » de l’Espagne au Maroc68. Le 6 février 1955, Pierre Mendès France est renversé par l’Assemblée nationale, après un débat difficile sur l’Afrique du Nord. Il laisse un dossier marocain figé, malgré ses efforts. Quant à l’Espagne, elle a sans doute perdu l’occasion de s’associer à la politique française. Désormais, elle risque d’assister en spectateur à l’évolution inéluctable du Maroc vers l’indépendance.
CONCLUSION
30Face à la crise marocaine et à ses conséquences internationales, les deux gouvernements français qui se succèdent en 1954 adoptent une attitude radicalement différente. Face au coup de Tétouan, Bidault s’enferme dans la défense de la déposition du sultan. Son recours aux États-Unis pour empêcher l’initiative espagnole est condamné à l’échec, alors qu’il n’offre aucune contrepartie. Les conseils de modération de Dulles sont plus efficaces une fois la crise dépassée, car ils accompagnent une volonté commune d’apaisement, tant française qu’espagnole. Le contexte international difficile pour la France, entre la CED et l’Indochine, explique la prudence américaine et française à quelques heures de la conférence de Berlin. Franco rend possible la détente mais ne renonce pas à sa politique marocaine originale mais ambiguë, où seule la condamnation de l’attitude française semble raisonnable.
31Pierre Mendès France, bien que très prudent sur la question marocaine, s’engage dans une voie plus libérale et obtient l’aide américaine. Mais sa solution d’autonomie sans revenir sur la déposition du sultan reste une demi-mesure de circonstances sans avenir réel. La recherche d’une détente préalable franco-espagnole lui permet aussi de gagner du temps. Dans un contexte international plus favorable, ou Mendès France a gagné une crédibilité importante, sa méthode est plus efficace : entretien personnel avec Dulles, demande d’aide ciblée, ouverture libérale, gages importants donnés à l’Espagne. Mais Mendès France se heurte à l’intransigeance espagnole. Franco n’accepte pas un rapprochement, qui conduirait le Rif vers l’autonomie. Franco ne souhaite que le statu quo : il n’envisage aucune évolution libérale, ne soutenant les nationalistes que pour maintenir le calme dans la zone espagnole ! L’Espagne est prise au piège d’une politique systématiquement anti-française qui conduit à une impasse sur le long terme.
32Finalement, la France demande toujours l’aide américaine pour faire plier son voisin espagnol. Ce sont les gouvernements français qui se placent dans cette dépendance. Au grand désappointement de l’opinion française, et comme dans les autres dossiers, les États-Unis n’aident pas systématiquement Paris : ils examinent d’abord les circonstances, puis la cohérence de l’action française, enfin son cadrage avec les objectifs américains. Contrairement à la position française, la politique de Dulles reste cohérente, malgré les hésitations des diplomates américains devant les revirements français. Les États-Unis interviennent une dernière fois en faveur de la France à l’automne 1955, pour convaincre l’Espagne de ne pas gêner la solution du problème dynastique et la marche vers l’indépendance. Mais les malentendus franco-américains conduisent inéluctablement à une grave crise si la politique arabe de la France devait s’enfermer dans une impasse. En 1956, la crise de Suez en est la démonstration parfaite.
Notes de bas de page
1 Sur l’histoire de l’indépendance du Maroc et sur la déposition du sultan, on consultera l’ouvrage de référence de Charles André Julien, Le Maroc face aux impérialismes, Paris, Jeune Afrique, 1978. Sur l’histoire du Maroc colonial, voir la synthèse la plus récente de Daniel Rivet, Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, le double visage du protectorat, Paris, Denoël, 1999.
2 L’ouvrage de référence pour comprendre l’évolution des rapports franco-espagnols dans l’après-guerre reste celui d’Anne Dulphy, La politique de la France à l’égard de l’Espagne de 1945 à 1955. Entre idéologie et réalisme, Paris, ministère des Affaires étrangères, collection Diplomatie et histoire, 2002.
3 Côté espagnol, aucune étude globale de la politique marocaine de l’Espagne ne donne réellement satisfaction. Sur la politique marocaine de l’Espagne, voir Victor Morales Lezcano, El final del protectorado hispano-frances en Marruecos. El desafio del nacionalismo magrebi (1945-1962), Madrid, publicaciones del Instituto Egipcio de estudios islamicos, 1998, et Maria Concepcion Ybarra Enriquez de la Orden, Espana y la descolonizacion del Magreb : rivalidad hispano-francesas en Marruecos (1951-1961), Madrid, UNED, 1998. Une synthèse du problème dans Javier Tusell, Juan Aviles, Rasa Pardo, La politica exterior de Espana en el siglo XX, Madrid, UNED, 2000.
4 D’après les traités de 1912, la France est la seule puissance protectrice au Maroc, et concède « une zone d’influence » à l’Espagne au nord du pays.
5 Jacques Valette, « Autour de la déposition du sultan du Maroc en 1953. Le jeu international », Décolonisations européennes, Actes du colloque international « décolonisations comparées » IHCC-IHTP, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1995, p. 175-189. Une première approche partielle des conséquences internationales de la crise par l’étude des Papiers Bidault.
6 Cet article est issu d’un travail plus vaste. Michel Catala, La France, l’Espagne et la décolonisation du Maroc. La fin de la concurrence impériale 1951-1958, mémoire pour l’Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris I, 2003.
7 Archives du ministère des Affaires étrangères (AMAE-P), Série Maroc 1950-1955, 46c, télégrammes 1113-1114 du 14 octobre 1953, Le Caire à Paris, et 360-364 du 21 octobre 1953, Madrid à Paris.
8 Abdelmajid Benjelloun, Approches du colonialisme espagnol et du mouvement nationaliste marocain dans l’ex-Maroc khalifien, Rabat, Okad, 1990, p. 208-210, qui cite Ahmed Choukeiri, Quarante ans dans la vie arabe et internationale, Beyrouth, 1969. Benjelloun date l’entretien de Madrid entre Franco et Choukeiri en décembre 1953, mais il n’a pu le rencontrer qu’en octobre, lors de son premier voyage en Espagne.
9 En décembre 1952, la résolution pakistanaise sur le Maroc est rejetée, et c’est un texte modéré présenté par le Brésil et les États latino-américains qui est adopté. La tentative des pays arabes pour saisir le Conseil de sécurité lors de la déposition du sultan en août 1953 est un échec. Samya El MACHAT, Les États-Unis et le Maroc. Le choix stratégique 1945-1959, Paris, L’Harmattan, 1997.
10 Archivo de la Presidencia del Gobierno (APG), Jefatura del Estado 1938-1974, et Archivo del Ministerio de Asuntos exteriores (AMAE-M), R 18, dossier « octobre 1953 », note de l’Office de l’information du 27 octobre 1953, « déclarations à la presse égyptienne du Secrétaire général adjoint de la Ligue arabe ».
11 Samya El Machat, Les États-Unis et le Maroc…, op. cit., p. 111-115.
12 AMAE-P, Maroc 1950-1955, 46c, télégramme 377 du 30 octobre 1953, Madrid à Paris.
13 Centre des archives diplomatiques de Nantes (AMAE-N), Ambassade de France à Madrid, F, 1031, télégramme 32-33 du 16 octobre 1953, Tétouan (Lemaire) à Paris.
14 Ibid., lettre 984 du 7 novembre 1953, Bidault à Meyrier. Moulay Hassan affirme au consul de France à Tétouan qu’il n’a pas prononcé ces paroles et que l’interview a été fabriquée par les Espagnols. Ibid, lettre 204 du 20 novembre 1953, Lemaire à Bidault.
15 AMAE-N, Madrid, F, 1030, lettre 202 du 19 novembre 1953, Lemaire à Bidault. Torres est le leader du plus important parti nationaliste de la zone espagnole, le PRN, Parti de la réforme nationale. Il s’exile au Caire en 1947 puis se réfugie à Tanger, jusqu’à ce que Garcia Valiño autorise les partis nationalistes marocains en zone nord en mars 1952, malgré l’opposition française. Le Rif devient dès lors un sanctuaire pour les nationalistes grâce à la bienveillance espagnole.
16 Ibid, télégramme 1227-1231 du 20 novembre 1953, Rabat à Paris.
17 AMAE-M, Madrid, F, 1031, télégramme 46-48 du 13 novembre 1953, Tétouan à Paris.
18 AMAE-P, Maroc 1950-1955, 46c, « note pour le président », le 1er décembre 1953. La conférence des Bermudes réunit du 4 au 8 décembre 1953 Eisenhower, Churchill, Laniel et Bidault. Il s’agit de définir la position des Alliés face aux Soviétiques à la suite de la mort de Staline et de la fin de la guerre en Corée. Nous n’avons trouvé aucune trace dans les archives d’une intervention française sur l’Espagne et le Maroc lors de cette conférence des Bermudes.
19 Le 15 puis le 16 janvier, le prince Moulay Mohamed, fils aîné du sultan Ben Arafa et beau-frère du Khalifat de Tétouan, destitué fin décembre de son poste de vice-président du Conseil privé du Khalifat, a prévenu Lemaire et le général Guillaume des détails du programme prévu par les Espagnols pour la manifestation du 21 janvier. AMAE-N, Madrid, F, 1037, télégrammes 3-9 du 15 janvier 1954, Tétouan à Paris, et télégramme 53 du 17 janvier 1954, Rabat à Paris.
20 Archives nationales (AN), Papiers Bidault, 457 AP 119, note du cabinet du ministre, le 18 janvier 1954.
21 AMAE-P, Maroc 1950-1955, 47 a, télégramme 440-445 du 17 janvier 1954, Bonnet (Washington) à Paris.
22 Ibid., télégramme 63-64 du 20 janvier 1954, Paris à Madrid, communication d’un télégramme adressé à Londres.
23 Meyrier et Bonnet obtiennent confirmation de l’attitude américaine. AMAE-N, Madrid, F, 1037, télégramme 37-40 du 21 janvier 1954, Madrid à Paris, et AMAE-P, Maroc 1950-1955, 47a, télégramme 516-519 du 21 janvier 1954, Washington à Paris.
24 AMAE-N, Madrid, F, 1037, télégramme 37 du 17 janvier 1954, Bidault à Meyrier, copie d’un télégramme adressé à Rabat. Le résident général se contente de maintenir les troupes dans leurs garnisons « afin qu’elles puissent immédiatement faire mouvement en cas de besoin ».
25 Le Monde, le 21 janvier 1954, et le New York Herald Tribune du même jour qui annonce en titre : « French Post Fleet Unit near spanish Marocco ».
26 AN, 4 AG 8, procès-verbal de la séance du Conseil des ministres du 20 janvier 1954.
27 Le gouvernement espagnol semble averti depuis quelques jours de la prudence américaine. Porter, le consul américain à Rabat, assure à son homologue espagnol que la résidence générale a demandé une intervention américaine auprès des Espagnols, mais que le département d’État a refusé de s’engager dans les querelles de ses deux alliés. AMAE-M, R 5002-E. 2, lettre 24 du 13 janvier 1954, le comte de Torata à Martin Artajo. Nous n’avons pas retrouvé de traces dans les archives françaises de cette intervention directe du général Guillaume. Mais elle ne serait pas étonnante, étant donné la grande liberté que s’octroie le résident général à Rabat.
28 AMAE-P, Maroc 1950-1955, 47a, « déclaration des notables », 21 janvier 1954.
29 Ibid., « discours du général Valiño », 21 janvier 1954.
30 Cité par Anne Dulphy, Entre idéologie et…, op. cit., p. 1102.
31 Charles-André Julien, Le Maroc face…, op. cit., p. 322.
32 Anne Dulphy, Entre idéologie et…, op. cit., p. 1103-1107. Anne Dulphy fait une analyse détaillée de la position française grâce à l’étude de la presse française et aux archives du Quai d’Orsay (série Europe).
33 Georges Bidault est déjà parti pour Berlin.
34 Le Monde, le 23 janvier 1954, ne parle que d’une note verbale. La réponse du gouvernement espagnol du 5 février 1954 est toute aussi sèche.
35 AMAE-N, Madrid, F, 1037, circulaire n ° 11 du 4 février 1954, Maurice Schumann à tous les postes diplomatiques.
36 Ibid., « Déclaration faite au nom du gouvernement devant l’Assemblée nationale par Maurice Schumann », 12 février 1954.
37 Foreign Relations of the United States (FRUS), 1952-1954, XI, télégramme du 17 février 1954, « The Acting Secretary of State to Paris, Madrid, Rabat and Tangier », p. 637-639.
38 AMAE-P, Maroc 1950-1955, 47 b, télégramme 176-177 du 15 février 1954, Madrid à Paris.
39 Le Bulletin de Paris, 26 février 1954.
40 AMAE-M, R 3044-E. 13, lettre personnelle du 2 mars 1954, Garcia Valiño à Martin Artajo.
41 Luis Suarez Fernandez, Francisco Franco y su tiempo, Madrid, Azor, 1984, tome V, p. 180. L’auteur date de ce moment le début des tensions entre Franco et Garcia Valiño. Ce biographe « autorisé » du Caudillo croit à l’existence d’un différend entre les deux généraux. Nous contestons fortement cette thèse : Franco joue de ces deux points de vue pour conserver le choix entre les deux options. Voir Paul Preston, Franco, Barcelona, Grijalbo, 1994, et les visions plus nuancés des biographes français, Bartolomé Benassar, Franco, Paris, Perrin, 1995, et Andrée Bachoud, Franco, Paris, Fayard, 1997.
42 APG, Jefatura del Estado 1938-1974, et AMAE-M, R19, télégramme 15 du 23 avril 1954, Garcia Valiño à Martin Artajo.
43 C’est en tous les cas le compte rendu qu’en fait Hassouna à Lodge, l’ambassadeur des États-Unis à l’ONU. FRUS, 1952-1954, vol. XI, Part 1, « Memorandum of conversation », New York, le 14 octobre 1954, p. 655-657.
44 Le 12 janvier 1954, Dulles annonce publiquement une nouvelle stratégie américaine en cas d’attaque soviétique, beaucoup plus globale et menaçante : « les représailles massives », et donc la dissuasion nucléaire « totale ». Voir Yves-Henri Nouailhat, Les États-Unis et le monde de 1898 à nos jours, Paris, Armand Colin, 1997 et Georges-Henri Soutou, La guerre de cinquante ans, Paris, Fayard, 2001.
45 Déclaration d’investiture de Pierre Mendès France, citée par Alfred Grosser, Affaires extérieures, la politique de la France, 1944-1989, Paris, Flammarion, 1989, p. 112.
46 Charles-André Julien, Le Maroc face aux…, op. cit., p. 368-369.
47 Documents diplomatiques français (DDF), 1954, documents 2 du 25 juin 1954 et 22 du 29 juillet 1954.
48 Olivier Lange, ancien chef du service de presse à la résidence générale de Rabat, et chef du service culturel du tout nouveau ministère des Affaires marocaines et tunisiennes créé par Mendès France et dirigé par Christian Fouchet, est justement à Madrid et communique avec son ministre par télégrammes diplomatiques. Il s’entretient avec Balafrej, tandis qu’Allal el-Fassi est reçu par Martin Artajo.
49 DDF 1954, document 40.
50 AMAE-M, R 3044-E. 13, télégramme 169 du 8 août 1954, Casa Rojas à Martin Artajo, compte rendu d’audience avec le secrétaire d’État Guérin de Beaumont, qui lui affirme que la France n’a aucun projet en vue au Maroc pour l’instant. Radio Euskadi est fermée le 12 août. Mais nous n’avons trouvé aucune trace dans les archives espagnoles d’une quelconque tentative sur le Maroc durant l’été 1954. Pourtant début juillet, Mendès France voulait être ferme avec l’Espagne. « Il n’est pas question de reprendre l’initiative dans ce domaine, mais il convient d’apporter une réplique lorsque la querelle est engagée », dit-il lors d’une réunion dans son cabinet sur les relations franco-espagnoles. AMAE-P, Maroc 1950-1955, 48a, note de la direction d’Afrique Levant du 5 juillet 1954.
51 Cité par Charles-André Julien, Le Maroc face aux…, op. cit., p. 372-373.
52 AMAE-P, Maroc 1950-1955, 48 a, « Instructions pour le nouvel ambassadeur en Espagne », 19 octobre 1954.
53 Nous n’avons trouvé aucune trace de cet entretien, ni dans les archives françaises, ni dans les archives espagnoles. Mais l’information est reprise largement par la presse française entre le 8 et le 15 novembre 1954. Mendès France donne d’autres gages, plus discrets. En octobre 1954, le SDECE, avec l’accord du président du Conseil, propose aux Espagnols un « échange d’informations » sur la lutte anticommuniste et sur le terrorisme marocain. Madrid accepte la proposition sur le communisme, mais sur le Maroc, le SDECE doit se contenter des informations espagnoles sur les pays arabes en général. La DST accepte également de collaborer avec les services espagnols, et propose même qu’un agent espagnol spécialisé dans la lutte anticommuniste soit détaché en France. Maruja Otejo, Les relations franco-espagnoles 1946-1954, de la rupture à la normalisation, Mémoire de maîtrise sous la direction de Denis Rolland, université de Rennes II, 1995, p. 167-172.
54 Le Figaro, le 22 novembre 1954.
55 Alfred Grosser, Affaires extérieures…, op. cit., p. 104.
56 FRUS 1952-1954, Vol. XI, Part 1, note du département d’État du 9 septembre 1954, « The Maroccan problem », p. 648-651.
57 Georges-Henri Soutou, La guerre de cinquante ans…, op. cit., p. 301-302.
58 DDF 1954, document 397.
59 Samya El Machat, Les États-Unis et le Maroc…, op. cit., p. 92, citation du compte rendu de l’entretien Dulles - Mendès France.
60 Ibid., p. 116-121.
61 AMAE-N, Madrid, F, 1032, télégramme 888-889 du 2 décembre 1954, Paris à Madrid. Cette intervention est confirmée par le rapport NSC 5418/1 du 27 avril 1955, qui rend compte de la politique espagnole des États-Unis depuis le mois de juin 1954. FRUS, 1955-1957, vol. XXVII, document 185.
62 AMAE-N, Madrid, F, 1032, télégramme 719 du 3 décembre 1954, Madrid à Paris. La Tournelle ajoute que Franco a été rassuré par l’abandon de la CED et par la signature des accords de Paris créant l’UEO le 23 octobre. L’Espagne se serait trouvée encore plus isolée en Europe devant une organisation supranationale qu’elle rejette totalement. Fanco avait également apprécié le rejet par Pierre Mendès France du soutien communiste lors de son investiture.
63 AMAE-M, R 3044-E. 13, lettre 152 du 17 décembre 1954, Casa Rojas à Martin Artajo.
64 AMAE-N, Madrid, F, 1032, note pour l’ambassadeur du 18 décembre 1954.
65 AMAE-P, Maroc 1950-1955, 48b, télégramme 14-17 du 12 janvier 1955, La Tournelle à Mendès France.
66 Communication de Guy de La Tournelle au ministère du 21 janvier 1955, citée par Anne Dulphy, Entre idéologie et…, op. cit., p. 1126.
67 Le 2 février, le résident général Lacoste se plaint à nouveau des « injures » et des « calomnies » lancées quotidiennement par Radio Tétouan et par le journal du PRN, le parti nationaliste en zone espagnol, El Oumna.
68 AMAE-P, PA - AP 217, Papiers Massigli, 86, dossier Espagne, « Note d’audience du 25 janvier 1955 ». Une note du directeur d’Europe du Quai d’Orsay, François Seydoux constate l’échec des initiatives françaises, et propose le retour « à une politique de tension avec l’Espagne. » Note au secrétaire général du 21 janvier 1955, citée par Anne Dulphy, Entre idéologie et…, op. cit., p. 1127.
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