Jacques Bridaine à Montpellier : Le missionnaire dans la ville
p. 403-413
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Index géographique : France
Texte intégral
1Robert Sauzet
2Jacques Bridaine (1701-1767) fut l'un des plus importants prédicateurs du xviiie siècle1. Après avoir brièvement situé sa personnalité et sa carrière, je voudrais m'attacher à l'une des plus célèbres de ses missions, celle de Montpellier en 1743 et aux réactions contrastées qu'elle suscita. Bridaine utilisait des effets théâtraux pour obtenir le changement de vie, l'adoption d'un genre d'existence vraiment chrétien, la « conversion » de ses auditeurs2. Ses méthodes lui valurent tantôt l'enthousiasme extrême de ses contemporains, tantôt les critiques les plus acerbes contre son cabotinage supposé. Il tient une place importante parmi les spécialistes de la « pastorale de la peur » étudiés par Jean Delumeau3.
Une brillante carrière d'orateur sacré
3Avant de prêcher à Paris ou simplement à Montpellier, Bridaine (que l'on appelle souvent « le Père Bridaine » alors qu'il ne fut jamais membre du clergé régulier) dans le diocèse d'Uzès, avait fait ses études en Avignon, chez les jésuites puis au séminaire Saint-Charles destiné depuis sa création à former les futurs missionnaires. Ordonné prêtre à Alès en 1725, il commença sa carrière dans ce diocèse, créé 30 ans plus tôt, dans l'espoir de transformer les « nouveaux catholiques » en véritables catholiques. Son parcours de sermonnaire fut très fécond puisqu'il anima 256 missions.
4Pendant une dizaine d'années, les activités de Bridaine se déroulèrent surtout dans les bourgs des Cévennes. Quelles que fussent ses qualités oratoires et celles de ses confrères, elles n'eurent pas plus d'effet sur les protestants que les efforts des prédicateurs capucins au xviie siècle. Un mémoire rédigé en 1727 par six missionnaires royaux dont Bridaine, et destiné à obtenir du pouvoir un renforcement de la législation contre les huguenots récalcitrants, déplorait que, au lieu de se rendre aux instructions des orateurs catholiques, les nouveaux catholiques allaient aux assemblées clandestines. À Valleraugue, place forte du protestantisme militant, il avait fallu mobiliser les papistes des paroisses voisines, de la « Terre blanche4 ». Contraste éclatant avec ces missions ad haereticos, celles menées dans les villages anciens catholiques des Cévennes pour y exhorter les habitants à choisir la voie des vertus chrétiennes obtinrent un grand succès et laissèrent un souvenir qui n'était pas éteint au xixe siècle5.
La mission de Montpellier (1743)
Protestants, « libertins » et jansénistes
5Au-delà de son Languedoc originel, la renommée de Bridaine lui valut d'être appelé dans de grandes villes du sud du royaume, notamment à Marseille, Lyon, Grenoble. Après sa mission montpelliéraine de 1743, il alla dans le massif central et le sud-ouest mais aussi dans les pays de France d'oïl (Paris, Sens, Chartres, Tours.). L'appel de nombreux évêques (Belsunce, Vintimille, Fleury) à Bridaine était souvent motivé par le désir d'utiliser la parole véhémente de ce moliniste déterminé, pour combattre les influences jansénistes. Il en alla de même à Montpellier. La mission de 1743 a donné lieu la même année à une Relation anonyme6 mais qui représente le point de vue épiscopal - « imprimée sous les yeux de M. de Charancy » - et à une chronique favorable mais plus distanciée contrôlée par la municipalité, les Mémoires des greffiers de la ville. Le nouvel évêque Georges-Lazare Berger de Charancy (1739-1748) voulait faire oublier la pastorale augustinienne de son illustre prédécesseur Joachim Colbert de Croissy. En outre, Montpellier possédait une forte minorité protestante : près du quart de la population (5 400 sur 23 400 habitants) au moment de la révocation de l'édit de Nantes7. Apparemment tout espoir de les amener sincèrement au catholicisme n'était pas éteint puisque l'un des associés de Bridaine faisait, dans une maison particulière, des conférences pour les enfants nouveaux catholiques qui « pouvaient secrètement exposer leurs doutes ». Deux autres prêtres débattaient avec les adultes religionnaires à propos des sacrements, leur montrant les « variations » des Églises protestantes à ce sujet. Le problème protestant est donc, comme il se doit, présent mais il paraît paradoxalement secondaire comme si les responsables ecclésiastiques avaient pris leur parti d'une résistance invincible. Le mandement de Mgr de Charancy annonçant la mission exprimait seulement l'espérance qu'elle « toucherait les frères séparés », formulation qui traduit l'absence d'illusion du prélat. Le combat qu'il mène se situe sur un autre front : « les libertins craignaient qu'on ne leur ravît leur proie, les novateurs qu'on ne désabusât les personnes qu'ils avaient séduites8 ». Cette mission était, pour Charancy, une nécessité pastorale d'autant plus urgente que les adeptes de la grâce efficace avaient, selon lui, sous-estimé le nécessaire travail de l'homme sur lui-même en vue de maîtriser ses passions, tout particulièrement l'importance des confessions générales : « depuis bien des années plusieurs ministres de l'Église, occupés à se faire des prosélytes, négligeaient notre salut9 ».
Organisation de la mission
6L'organisation même de la mission de Bridaine n'est pas sans rappeler celle prêchée soixante ans plus tôt dans la même ville par le capucin Honoré de Cannes, du 13 décembre 1683 au 4 février 1684. Celle dirigée par Bridaine assisté de 18 prêtres se déroula du 21 mars au 19 mai 1743. Dans les deux cas, les processions tenaient une grande place. Elles devaient manifester la puissance et la gloire du catholicisme restauré10. Bridaine, comme son prédécesseur mais moins nettement, adapta les exercices pieux aux besoins religieux des divers groupes sociaux (Dames, femmes et filles d'artisans) mais nombre des premières « ont bien voulu se faire une généreuse violence » en assistant, dès cinq heures du matin, à la cathédrale Saint Pierre, aux trois jours de retraite des artisanes. Les retraites (tenues dans trois églises, la cathédrale, Saint-Paul, Notre-Dame-des-tables) furent suivies par des processions. Le 28 avril 1743, la procession générale du Saint-Sacrement défila pendant cinq heures au son des flûtes et des tambours tandis que tonnait l'artillerie de la citadelle ; l'évêque, la municipalité, l'intendant, le commandant de la province y assistèrent. Les deux épisodes oratoires et pastoraux (retraites, confessions, communions) aboutirent, selon l'usage à une procession finale marquée par la plantation d'une croix : 10 000 à 12 000 personnes avaient participé à la clôture de la mission de 1684. En 1743, ce sont 30 000 croix qui auraient été brandies par les assistants à la cérémonie finale sur l'esplanade, selon la relation anonyme, « plus de 20 000 » selon les Mémoires du greffier de la ville. À cette ultime festivité assistèrent les consuls et leurs greffiers en robe11.
Lumières baroques, « le ciel ouvert ».
7Bridaine cherchait à impressionner les fidèles par une éloquence visant à les "convertir "et s'appuyait sur la peur de la mort et de l'enfer, affirmant, tout antijanséniste qu'il fût, que « la foi nous apprend que le plus grand nombre sera damné ». À l'appui du tonnerre de sa voix, Bridaine utilisait la lumière, voilée ou multipliée : pour la retraite des hommes, dans les trois églises remplies, il avait, avec les autres « ouvriers évangéliques » fait voiler les fenêtres et fermer les portes. La voix des orateurs, prêchant sur la mort, se faisait entendre sans presque qu'on les vît « tant l'obscurité était profonde ». Les deux autres jours, lors des méditations sur le jugemeent dernier et les peines de l'autre vie, « la terreur marchait devant lui et pour ainsi dire à ses côtés12 ».
8Si les ténèbres évoquent la mort et les peines éternelles, la « conversion » qui achemine le fidèle vers le salut mérite d'être saluée par la lumière. C'est ce à quoi s'employa Bridaine à Montpellier, en clôture de la procession solennelle du Saint-Sacrement, suivie par 15 000 fidèles le long des rues bordées de maisons tendues de superbes tapisseries et ornées de guirlandes de fleurs. Un reposoir avait été dressé à la place du Peyrou mais un vent furieux empêcha d'illuminer ce monument « en sorte que le public fut privé de voir le ciel ouvert que M. Bridaine avait avancé de faire voir par la magnificence de ce reposoir13 ». Le « ciel ouvert », c'est-à-dire la présence divine dans la lumière, ce temps fort de la pastorale bridainienne. Cette notion est nettement exprimée dans un cantique composé en langue d'oc par Bridaine pour les habitants du bourg de Saint-Quentin-la-Poterie : il y annonçait à ses auditeurs que leurs « crimes » avaient mérité l'enfer et qu'il fallait d'urgence changer leur vie afin de « gagner le ciel qui leur est ouvert14 ». C'est cette espérance optimiste que symbolisait la fête de la lumière organisée autour du reposoir.
Réactions
Repentance et dévotions
9Même si les chiffres de 20 000 à 30 000 participants sont des approximations, il paraît évident que les cérémonies de la mission ont eu un succès réel auprès de la population montpelliéraine. Il est plus difficile de mesurer jusqu'à quel point elles ont obtenu la « conversion » recherchée. On versa des torrents de larmes « la voix tonnante de Bridaine fut toujours "éteinte par les sanglots de la multitude ». Les pécheurs repentants pleuraient aux pieds des confesseurs ». La Relation qui évoque ces signes de contrition mentionne également les exhortations aux restitutions et à l'assistance aux pauvres qui auraient rencontré un réel succès. Un dépouillement systématique du notariat montpelliérain permettrait, peut-être, d'éclairer ce point15. En tout cas, la Relation fait état de dons en faveur du Mont-de-piété et de l'achat de plusieurs centaines de lits pour les pauvres. Concernant les dévotions promues par Charancy, le même document précise que l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement fut établie dans toutes les paroisses. Le culte du Sacré-Cœur, typique de la sensibilité religieuse antijanséniste, apparut le 4 mai 1743 à la Visitation16. La même année fut publié un livret d'Instructions pratiques et prières sur la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, combinant la méditation de la passion du Christ et la dévotion au Cœur « tranpercé de douleur et d'amour pour moy17 ».
10Si la mission eut un réel succès d'affluence, elle suscita aussi réserves et critiques. Le long épiscopat de Joachim Colbert (1696-1738) avait marqué le diocèse de Montpellier qui « de Bordeaux aux Alpes comptait la plus forte concentration d'appelants du Midi (diocèse de Senez compris)18 ». En outre, non seulement les élites sociales (robins et médecins) mais même les milieux populaires avaient été touchés par les prédications ou l'action charitable du clergé janséniste19.
« Ce fameux baladin »
11L'hostilité constante des Nouvelles ecclésiastiques poursuivit Bridaine jusqu'à sa notice nécrologique en 1767 : « (il) fut un fléau pour les diocèses où ce fameux baladin dressa ses tréteaux20 ». L'année de la mission de Montpellier, le périodique janséniste fait du fameux missionnaire le modèle du partisan inconditionnel de la constitution Unigenitus, dépassant en ultra- montanisme l'évêque lui-même. Cependant, Berger de Charancy était l'une des têtes de Turc de ce journal qui l'accusait de chercher à « détruire et renverser tout le bien qu'il trouvait établi dans ce diocèse ». Au début de la mission, le 1er avril 1743, le prélat avait réuni au palais épiscopal tous les confesseurs de la ville avec les missionnaires, soit environ 80 ecclésiastiques. Le but de ce rassemblement était d'uniformiser les pratiques au tribunal de la pénitence. Évoquant cette consultation, la publication janséniste taxe Bridaine de laxisme à l'égard des « pécheurs d'habitude » et de complaisance malsaine à évoquer tous les aspects du péché d'impureté, entrant dans des détails « si obcènes, si honteux, si circonstanciés » qu'un des participants « n'a pu en parler qu'en rougissant ». Surtout, au cours de ce que les Nouvelles ecclésiastiques appellent « cette espèce de conciliabule », Bridaine aurait affirmé « qu'il fallait qu'on regardât ceux qui ne sont pas soumis à la bulle comme étant en état de damnation ». C'est sur son avis qu'il fut décidé de faire recevoir la constitution Unigenitus par les pénitents « purement et simplement » et ne pas admettre à l'absolution ceux qui déclareraient n'y adhérer que « si l'Église l'a reçue ou comme l'Église l'a reçue21 ».
12La théâtralité, l'exubérance baroque de Bridaine, si étrangères à la sensibilité janséniste devaient également trouver des adversaires dans les élites intellectuelles, laïques ou cléricales. À la suite de la mission de Montpellier, le missionnaire fut l'objet d'un des « brevets » décernés par l'association d'hommes de lettres et de militaires cultivés connue sous le nom de Régiment de la calotte22 Ce dernier mot n'évoque pas le monde clérical mais la folie, analogue à la « calotte de plomb » entourant le crâne des migraineux. Les membres de l'association s'attachèrent, pendant toute la première moitié du xviiie siècle, à « faire la police du ridicule », à dénoncer la cuistrerie, l'extravagance ou la folie des grandeurs... À l'instar de l'Éloge de la folie d'Érasme, les « calottins » plaçaient leurs « brevets » sous l'égide du dieu de la folie et du rire, Momus, mais « au service d'une sagesse supérieure23 ». Le Régiment de la calotte ne semble pas avoir de positions religieuses bien arrêtées car, s'il s'en prend à Bridaine ou à l'évêque Charancy qui fut également gratifié d'un brevet, il attaque également les Nouvelles ecclésiastiques ou le fameux abbé Pucelle (« Rendez nous Pucelle ô gué » etc.).
13Le brevet décerné à l'animateur de la mission de 1743 établit, en sa faveur un parallèle avec M. de Montpellier : « les ridicules du sieur Berger (de Charancy) sont concentrés dans sa personne mais le sieur Bridaine est un homme à conquêtes. Il a l'art de monter les imaginations au degré qu'il faut pour les faire arriver jusqu'à la folie. C'est un fou qui en produit d'autres ».
De sorte qu'étant ébranlées
Par tant de cris, tant de clameurs
Et tant de magiques terreurs
Les cervelles les mieux timbrées
Ne font souvent de ses sermons
Qu'un saut aux petites Maisons
14Le pamphlet se moque des cierges multipliés autour des reposoirs et censés représenter le paradis. Bridaine a le génie
de transformer en mômeries
Les plus saintes cérémonies
15Le Brevet laisse paraître une certaine sympathie pour les jansénistes. Évoquant les intempéries diverses qui ont perturbé les cérémonies, il promet à Bridaine les prières du régiment pour rendre
les tonnerres et les orages
Plus circonspects, beaucoup plus sages
Et moins amis des appelans24.
16En ces années quarante du xviiiesiècle, où se produit une « rencontre hautement paradoxale » entre Jansénisme et Lumières25 il est évident que la théâtralité, l'éloquence baroque de Bridaine, son intransigeance en matière d'absolution aux sympathisants des appelants, devaient rencontrer des adversaires déterminés dans les élites laïques ou cléricales.
17Parmi une foule d'épigrammes suscitées par la mission de 1743, ce portrait-charge du missionnaire :
Prédicateur bouffon, dévot comédien
Ses gestes convulsifs, son zèle frénétique
Ses cris, ses hurlements, sa rage apostolique
Font pleurer l'imbécile et gémir le Chrétien26.
Bridaine et l'abbé Fabre.
18Dans le clergé du Bas-Languedoc contemporain de Bridaine, Jean- Baptiste-Castor Fabre (1727-1783), curé de Castelnau près de Montpellier fut, à la fois un prêtre zélé, aimé de ses ouailles et un esprit éclairé, adversaire de tout fanatisme, qui dédia une chanson aux francs-maçons d'une loge locale. Pourvu par ses maîtres jésuites du collège de Montpellier d'une solide culture classique, Fabre fut un polygraphe fécond en français et en occitan. Seule, son œuvre en langue d'oc a survécu27. Son roman picaresque Histoire de Jean l'an près a servi de « base de départ » à la belle étude d'Emmanuel Le Roy-Ladurie sur L'argent, l'amour et la mort en Pays d'oc28.Dans son œuvre « patoise » il lui arrive d'évoquer Bridaine. Ainsi, dans sa traduction burlesque de l'Énéide il fait adresser par Vénus ce compliment suprême à Jupiter qui vient de prononcer un discours emphatique sur le destin futur de Rome :
...Semblas lou pèra Bridène
Quand préchava sur un taouié
19(tu ressembles au père Bridaine quand il prêchait sur son estrade)29.
20Le roi des Dieux foudroyant et tonnant évoque Bridaine mais c'est sur des tréteaux d'histrion (taouié) que ce dernier exerce ses talents. On peut se demander si le Sermon de M. Sistre — pseudonyme d'un confrère de Fabre — déclamé encore de nos jours dans les noces et banquets languedociens, n'est pas une parodie de la rhétorique et du sens de la mise en scène bridainienne. Dans cette gauloiserie - dont le thème est emprunté à l'Apologie pour Hérodote d'Henri Estienne30 - le prieur-curé de Saussan, deux lieues à l'ouest de Montpellier, « Moussu Sistre », s'attachait, par une véhémente prédication « mitat patois, mitat francès » à extirper les deux vices majeurs de ses paroissiens :
Non, mes chers enfans, dans la vie
Y a pas de pus hore pecat (de plus horible péché)
Après lous de l'impuretat
Que celui de l'ivrognerie...
21Et M. Sistre pour épouvanter ses Saussanais luxurieux et ivrognes, d'évoquer le sort qui les attend dans l'autre monde
Déjà cet horrible démoun
Prépare fagots et charboun
Per vous fayre rousti lou rablé.
22À l'appui de cette évocation terrifiante, le curé utilise une mise en scène dont l'acteur est Simon, le mari de sa gouvernante, noiraud, laid, (« camard é lourd couma un démoun »). Simon est invité par son pasteur à dénuder son postérieur encore plus horrible que le reste de sa personne et à exhiber cette vive image de l'enfer (« aquel mirai de damnat »). Le curé triomphe :
Homès, fennas tout frémissié
Davan l'infernalá relica.
Daou succès de sa rétorica
Moussu Sistré s'applaudissié.
23Cette glorieuse mise en scène évoque, sur le mode burlesque, le théâtre pieux de Bridaine. Le « mirai de damnat » (miroir de damnés) suggère les ténèbres établies par le missionnaire au début des exercices. L'intervention de l'horrible Simon paraît une parodie infernale et liturgique du « ciel ouvert » des illuminations bridainiennes :
E Simoun, en fin poulitica
Per fayre valé sa rubrica
Virava per tout soun fessié
24(Simon en fin politique, pour faire valoir son rôle liturgique, tournait son postérieur dans tous les sens)31.
25Il ne nous appartient évidemment pas de juger Bridaine. Les opinions contrastées qu'il a suscitées montrent que c'était une personnalité. Il est incontestable qu'il a beaucoup utilisé le thème des fins dernières et la peur de l'enfer en cas d'impénitence finale. Cependant, il ne se réduisait pas à ce rôle de père fouettard comme le montre cette incontestable autocritique ouvrant le sermon qu'il prononça, en 1763, à Paris, en l'église Saint-Sulpice : « À la vue d'un auditoire si nouveau pour moi (ce qui n'était pas tout à fait exact car il avait déjà prêché en ville, notamment à Lyon, Grenoble et précisément Montpellier) il me semble, mes frères, que je ne devrais ouvrir la bouche que pour vous demander grâce en faveur d'un pauvre missionnaire dépourvu de tous les talents que vous exigez quand on vient vous parler de votre salut. J'éprouve cependant un sentiment bien différent et si je suis humilié, gardez vous de croire que je m'abaisse aux misérables impressions de la vanité... Jusqu'à présent, j'ai publié les justices du Très-Haut dans des temples couverts de chaume. J'ai prêché les rigueurs de la pénitence à des infortunés qui manquaient de pain. Qu'ai-je fait, malheureux! J'ai contristé les pauvres, les meilleurs amis de Dieu. J'ai porté l'épouvante et la douleur dans ces âmes simples et fidèles que j'aurais dû plaindre et consoler. C'est ici où mes regards ne tombent que sur des grands, sur des riches, sur des oppresseurs de l'humanité souffrante qu'il fallait faire éclater la parole sainte dans toute la force de son honneur32 »
***
26C'est un point qui, dix ans après la mort de Bridaine, devait être fortement dégagé par l'encyclopédiste Marmontel dans un discours sur l'éloquence :
C'était un orateur saintement populaire
Qui, content d'émouvoir, négligea l'art de plaire
D'une élégance vaine, il dédaignait les fleurs.
Il n'avait que des cris, des sanglots et des pleurs
C'était l'âme d'un père ouverte aux malheureux
Son cœur se déchirait en gémissant sur eux33
27Avec un mépris non dissimulé, les gens de la « Calotte » attribuaient les succès de Bridaine dans les campagnes au fait que « dans ces auditoires l'on ne juge le mérite des prédicateurs que par la force de leurs poumons34 ». Bien loin de cette malveillance élitiste, il est probable que les appels de l'orateur à l'assistance des pauvres lui ont valu, autant que ses efforts pour « convertir » ses auditoires, une réputation qui s'est prolongée au xixesiècle. Avec ses outrances, la mission de 1743 se situe dans la ligne des efforts créateurs de la Réforme catholique.

« Véritable Portrait de Mre- Jacques Brydayne Prêtre Missiortaire Royalné à Chuscland Dioceze d'Usez le 30e mars 1701. dessiné lors qu'il finissoit un Sermon » Archives diocésaines de Nîmes
Notes de bas de page
1 J. Carreyre, article « Bridaine » in Dictionnaire d'Histoire et de Géographie ecclésiastique, t. X, 1938, col. 684-5. Abbé Carron (ou Caron) le jeune, Le modèle des prêtres ou vie de Jacques Brydayne, missionnaire, Paris, 1803. P. Azaïs, Bridaine et ses missions, Nîmes, 1882. M. bruyère, « Le père Jacques Bridaine, 1701-67) », Bulletin du comité de l'art chrétien, Nîmes, 1959, p. 5-31
2 Voir sur ce thème essentiel pour la Réforme catholique les actes du colloque La conversion au xviie siècle C.M.R., Marseille, 1983.
3 J. Delumeau, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident, xvie-xviie s Paris, 1983, p. 410-415.
4 Arch. dép. Hérault C 514
5 R. Sauzet, « Les Cévennes catholiques », Histoire d'une fidélité xvie-xxesiècle, Paris, 2002, p. 248- 53, 331,402-3.
6 X. Azema, in Le diocèse de Montpellier, dir. g. Cholvy, Paris, 1976, p. 157-168. A. Blanchard et H. Michel in Histoire de Montpellier, dir. g. Cholvy, Toulouse, 2000. Relation (anonyme) de la mission donnée à Montpellier par le Père Brydayne en 1743, nouvelle édition, Montpellier, 1820. Cette relation en forme de lettre avait été publiée dès 1743 en Avignon, CL. Delorme éd, citée par H. Michel, Montpellier de la fin du xviesiècle à la fin du xviiie siècle (Economie, société, culture), thèse d'État dactyl., Paris I 1992, t. VI, p. 366. Mémoires des greffiers de la ville, cités par C. d'Aigrefeuille, Histoire de la ville de Montpellier, nouv. éd., Montpellier, 1875-82, t. IV, p. 108-113, t. VI, p. 188-203
7 Henri Michel, Montpellier..., t. III, p. 645 sq.
8 Relation, p. 16 et 22
9 Ibid. p. 50
10 H. Michel, Montpellier..., t. III, p. 620-1, se fonde sur les Mémoires d'un témoin, le montpellié- rain A. Delort. Sur un succès missionnaire du capucin voir Jacques Maillard, « La mission du père Honoré de Cannes à Angers en 1684 », Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1974, p. 501-516.
11 Relation, p. 115 - Mémoires des greffiers, in C. D'Aigrefeuille, t. IV, p. 111
12 Relation, p. 79-85
13 Mémoires des greffiers, in D'Aigrefeuille, t. IV, p. 110
14 Cité par P. Azaïs, Bridaine p. 136-7
15 Relation..., p. 55, 97 sq. J. Maillard « la mission du père Honoré de Cannes. », p. 514, a retrouvé dans le notariat angevin deux actes de restitutions à la suite de la mission. Des sondages dans les registres de notaires nous ont montré des dons à l'Hôpital général et à l'Hôtel-Dieu prévus par les testaments mais ce n'est pas particulier à l'année 1743 (A.D.Hérault 2E 57-544).
16 Relation, p. 118
17 Cet ouvrage est signalé par h. michel, Montpellier, t. VI, p. 361. Il a été étudié par M.-H. Froeschle-Chopard « Aspects et diffusion de la dévotion au Sacré-Cœur au xviiiesiècle », Mélanges de l'École française de Rome, t.112, 2000, p. 737-784.
18 M.-H. Froeschle-Chopard, « Entre "frères ennemis ». Les prêtres jansénistes de Montpellier "témoins de la vérité" », Foi, fidélité, amitié en Europe à l'époque moderne, publ. Univ. Tours, 1995, p. 189-200
19 X. Azema, Le diocèse de Montpellier., p. 160
20 cité par M. Bruyere « Le père J. Bridaine. », p. 28
21 Nouvelles ecclésiastiques, année 1743, p. 15-16, 55, 113
22 Brevet de grand recruteur du régiment de la calotte en faveur du missionnaire Bridaine, enrichi de notes historiques, Paris, 1743, 12 p.
23 Antoine De Baecque, Les éclats du rire, La culture des rieurs au xviiiesiècle, Paris 2000, p. 23, 27, 35-44.
24 Brevet du grand recruteur, p. 7, 8, 10.
25 Monique Cottret et Jean Delumeau, Le catholicisme entre Luther et Voltaire, éd. refondue 1996, p. 242. À titre d'exemple frappant, la rencontre de Jean-Jacques Rousseau avec la théologie janséniste au temps de ses amours avec Mme de Warens, Monique Cottret « Le catholicisme face au déisme », Revue d'Histoire de l'Église de France, 1993, p 32, note 7.
26 cité par Michel Nicolas, Histoire littéraire de Nîmes et des localités voisines, t. II, Nîmes, 1854, p 16
27 Dans son Énéide travestie, Fabre semble renvoyer dos à dos les fanatiques affrontés dans ce portrait d'Ulysse - certes « un rude vaurien » -
qué dins lou cor èra deista
E jansenista e molinista
E quaou sap ? beleou luthérien...
(édit. 1839, p. 87) (qui dans son cœur était déiste et janséniste et moliniste et qui sait ? peut-être luthérien). Je remercie Patrick Sauzet, professeur de linguistique et de littérature occitane à Toulouse II de m'avoir signalé les aspects religieux de l'œuvre de Fabre.
28 Emmanuel Le Roy-Ladurie, L'argent, l'amour et la mort en Pays d'oc précédé du roman de l'abbé Fabre Jean l'an près (1756), Paris, 1980, p. 67-72.
29 Ce texte de l'Énéide (publiée en 1839) est cité par Marcel Barrai dans sa thèse Jean-Baptiste Favre (Fabre) sa vie, son œuvre, Montpellier, 1971, p. 238.
30 M. Barral, Favre..., p. 203-209. Le même auteur attribue à Fabre lui-même, des talents oratoires qui attendrissaient ses paroissiens, ibid., p. 32.
31 Recul d'uvras patoizas de M. Fabre, t.I, Montpellier, 1837, p. 66-69. à Montpellier, Bridaine avait renoncé à exhiber une tête de mort maquillée et emperruquée, Brevet de recruteur..., p. 8.
32 La prédication de Saint-Sulpice est citée par P. Azaïs, Bridaine..., p. 81. La véhémence avec laquelle Bridaine interpelle les « hommes superbes et dédaigneux qui l'écoutent supporte la comparaison avec les accents de Bossuet sur « l'éminente dignité des pauvres ». À Montpellier précisément, Bridaine a prêché sur la charité et « plaidé la cause des pauvres », Relation..., p. 96-97.
33 Les vers de Marmontel sont reproduits dans un recueil de l'érudit J.-F. Seguier, Bib. Mun. Nîmes, ms 866.
34 Brevet du grand recruteur... (avertissement, p. 1 )
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