Avant-propos
p. 13-14
Texte intégral
1À la fin des années quatre-vingt-dix, un regain d’intérêt pour les cadres naissait chez les sociologues, il avait été précédé d’une forme d’abandon. Suffisamment insouciant pour entreprendre une recherche, nous nous sommes lancé à leur rencontre… et avons essuyé rapidement, par la bouche des cadres eux-mêmes, nos premiers déboires : « Une des difficultés centrales, c’est le concept de cadre, c’est là que vous allez avoir des problèmes : c’est quoi un cadre ? Je crois que c’est la première question qu’il faut se poser. C’est quoi un cadre ? Moi, je n’en sais rien. » Au-delà de l’échec, il y avait là une stimulante invitation à penser une figure sociale. Les cadres existaient bel et bien, mais qu’avaient-ils en commun qui les distinguait des autres salariés ?
2On entendait dire ici et là que les cadres avaient été une figure de proue du capitalisme, qu’ils auraient incarné une forme de conciliation entre la vie et le travail, qu’à leur mission, ils ne pouvaient déroger. Mais les interrogations sociales laissaient entendre à leur propos d’autres sons de cloches. Des coins semblaient s’être enfoncés entre un mot et un devoir être,le cadre et son rapport au travail. La magie sociale qui amène à confondre l’habit avec celui qui l’endosse aurait perdu de son pouvoir…
3Quelques circonstances peuvent être rapportées qui, déstabilisant une heureuse coïncidence entre un mot et un mode d’être, n’ont pu manquer de jouer sur le rapport au travail des cadres. D’un côté, leur volume avait crû, groupe en expansion, ils perdaient en rareté ce qu’ils gagnaient en nombre. La catégorie s’était aussi féminisée, son niveau de diplôme avait augmenté, les modalités qui permettent d’y accéder se diversifiaient. Parallèlement à cela, les variations de la conjoncture économique avaient joué sur les besoins de main d’œuvre des entreprises, un climat d’incertitude généralisé imbiba progressivement l’air du temps, les promesses de carrières se firent plus maigres, les risques du chômage ne les épargnaient plus, les phénomènes de fusions-acquisitions s’amplifièrent. Les espaces à l’intérieur desquels s’effectuaient la mise en œuvre du travail avaient connu eux aussi nombre de transformations. Ainsi, en recomposant les structurations des espaces de la circulation des hommes, les réorganisations des modes de production modifiaient aussi les distances qui les rapprochaient et les séparaient des autres salariés. Certaines spécificités qui attestaient par le passé de modes de fonctionnements propres aux cadres se diluaient à d’autres salariés et, dans le même temps, certains attributs distinctifs de ces autres touchaient à leur tour les cadres.
4Les effets de ces transformations sont circulaires. Modifiant la représentation que les cadres se font des autres salariés, elles touchent aussi inséparablement à celle que les autres se font d’eux. Dans ces conditions, il devint particulièrement malaisé pour les cadres de se penser au moyen de leur place dans les distances aux autres ; l’identité a quelque chose de relationnel… De proche en proche, le sentiment de cette place perturbé devait à son tour affecter celui de l’importance qu’ils accord (ai)ent à celle du travail dans leur vie.
5Mais peut-être était-il aussi légitime de renverser le problème, et de considérer que le monde social avait connu de profondes mutations. En ce sens, poursuivre et avancer, qu’en s’y forgeant, tout en accédant au monde du travail, ceux qui deviendraient des cadres dispos(er)aient de ressources culturelles plurielles qui leur permettraient de composer, sur des modes particuliers, avec les réalités du travail qu’ils rencontreraient au cours de leur vie professionnelle. Nos recherches nous ont ainsi amené face à d’indépassables truismes, l’un d’eux structure dans son intégralité ce travail : les cadres ne seraient rien sans ce et ceux qui les ont produits.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'école et ses stratèges
Les pratiques éducatives des nouvelles classes supérieures
Philippe Gombert
2012
Le passage à l'écriture
Mutation culturelle et devenir des savoirs dans une société de l'oralité
Geoffroy A. Dominique Botoyiyê
2010
Actualité de Basil Bernstein
Savoir, pédagogie et société
Daniel Frandji et Philippe Vitale (dir.)
2008
Les étudiants en France
Histoire et sociologie d'une nouvelle jeunesse
Louis Gruel, Olivier Galland et Guillaume Houzel (dir.)
2009
Les classes populaires à l'école
La rencontre ambivalente entre deux cultures à légitimité inégale
Christophe Delay
2011