Conclusion générale
p. 287-294
Texte intégral
1Du premier quart du xve siècle jusqu'à la veille des guerres de religion, le souffle de l'action politique se fait incontestablement sentir à travers les registres de délibérations des corps de ville. À Bourges, à Poitiers comme à Tours, les individus qui ont en charge la police urbaine sont animés d'une égale volonté de s'attaquer aux problèmes de la ville même s'ils ne peuvent pas toujours en détourner le cours. L'étude dans son quotidien de la politique urbaine montre une personnalité municipale qui se construit dans l'action immédiate et concrète, comme parfois aussi dans la persévérance et la vue à plus long terme. Au cœur de ces xve et xvie siècles, dans un mouvement d'extension sans contraintes ni contrôles véritables de leurs compétences, les municipalités s'extirpent lentement des cadres communaux du Moyen Âge. Il y a là un premier apogée de ce que l'on peut appeler le « régime des échevinages »qu'une historiographie bâtie autour d'une approche sociale et économiques des villes de la fin du Moyen Âge n'a pas suffisamment mis en relief. Pourtant, comme le montrent aussi les exemples des villes de Rodez ou du Puy plus récemment étudiés, un peu partout plane le parfum d'une citoyenneté municipale mieux maîtrisée, d'un honneur et d'un prestige attachés à la représentation communautaire qui doit être apprécié à sa juste valeur1
2Le fait remarquable est que cette émergence se fait en concomitance avec celle de l'État monarchique. Avec l'exemple des villes il est clair que dans l'histoire de l'État le centre et la périphérie se construisent en même temps, dans un même mouvement d'essor politique. Il n'est plus possible de retenir, seules et isolées, les conclusions d'H. Sée qui inféodaient lourdement les municipalités au pouvoir décisionnel du roi. Bâties sur un choix trop parcellaire de faits urbains celles-ci ne tenaient pas compte des libertés gagnées par les corps de villes ce qui orientait l'analyse vers un autoritarisme certain. Ne constituent-elles pas pour autant un relais étroitement surveillé, voire un « visage de l'État »? Peut-être est-ce le cas au xive siècle, comme le note Th. Dutour qui voit à partir de l'exemple dijonnais la pérennité de la communauté d'intérêt entre le pouvoir ducal et les notables2. Il s'agit encore alors de l'État princier, celui-là même dont les logiques d'organisation se sont montrées incapables de résoudre les conflits politiques du début du xve siècle.
Les conditions d'une évolution séculaire
3Ce qui change avant tout au long du xve siècle, c'est autant une certaine mise à distance qu'un rapprochement politique entre les villes et le roi. Les corps de villes se dégagent d'une autorité princière dont les pressions peuvent leur nuire et adoptent le parti d'une souveraineté royale avec qui ils entrent désormais en négociation. Ce n'est pas la question de l'État qui se pose aux communautés urbaines mais celle beaucoup plus simple de leur survie autonome, le relais princier ayant été de fait évacué. Le bouleversement politique qui s'opère alors est fait de glissements successifs, presque insensibles dans une histoire en apparence immobile.
4Les ressorts de ces changements sont avant tout du fait du roi. Ils conduisent essentiellement à un élargissement des perspectives politiques pour les corps de villes. Le cas est net sur le plan militaire : si la guerre n'est plus aux portes de la ville, elle demeure une réalité pesante et entretenue. D'une guerre vécue voire subie (et encore...) qui nécessite la bonne coordination des intelligences, on observe le passage à une guerre lointaine mais tout aussi prenante. Délocalisée, dématérialisée, elle illustre le dépassement intellectuel et moral que vont effectuer les municipalités. S'opère ainsi un véritable transfert de la notion de défense de la communauté urbaine vers celle d'un royaume tout entier dont l'avenir, sinon la survie, se joue désormais sur des théâtres éloignés. Il s'agit d'une étape supplémentaire dans l'édification de la communauté nationale, dont les implications ne se réduisent pas à la seule histoire des mentalités et vont au-delà du fait militaire. Tout au long du xve siècle au moins, guerre et sécurité du pays conduisent les corps de ville vers un espace politique qui n'était pas le leur, mais qui concoure à l'émergence d'un véritable esprit de conciliation. Force est de reconnaître d'étroites convergences sur ce point avec les observations effectuées par D. Potter à l'occasion des guerres de Picardie3.
5L'accord de gouvernement qui émerge se noue autour d'un pacte non-dit avec l'autorité royale. Au regard de l'histoire des communes médiévales, on peut se demander toutefois si ce commun accord sur les fins n'est pas un des ressorts de leur existence même4. La règle du do ut des en est bien le métronome. Le fait est particulièrement clair tout au long de la période sur le plan financier. La croissance des budgets municipaux va de pair avec la multiplication des réclamations royales. Cependant, ces relations étroites entre prélèvements fiscaux et redistributions financières pourraient laisser penser à une forme d'instrumentalisation. Si l'on veut reprendre ce concept, il faut se demander dans quel sens il s'applique car à la lecture des incessantes requêtes formulées par les corps de ville on peut croire aussi que les bourgeois tentent de détourner la fiscalité royale au profit de leur communauté, et il n'est pas évident qu'il y ait au final un déséquilibre au profit du roi5. Mais surtout, pour comprendre la substantifique moelle de cette fiscalité, il faut dépasser le paradigme de l'économie. Ses implications anthropologiques déplacent le champ d'analyse une nouvelle fois vers l'acte politique. L'échange entre les villes et le roi s'élargit alors, la notion de service rendu devient multidimensionnelle, multidirectionnelle et fait de chaque interlocuteur des acteurs politiques complémentaires. Alors, si l'on déplace quelque peu le point de vue on peut se demander s'il n'y a pas aussi quelque part instrumentalisation du centre monarchique par la périphérie municipale. La question qui se pose implicitement à la veille des guerres de religion est bien celle de l'évolution individuelle de chacun des intervenants politiques et de la progressive dissociation de leurs nécessités respectives.
6Avant cette date, il semble clair qu'il y ait une pleine et entière adhésion de la bourgeoisie municipale au modèle de pouvoir que propose le roi. Nulle part il n'est question d'une quelconque résistance. Sans doute l'ordre royal n'est-il pas particulièrement contraignant, mieux encore, offre-t-il aux bourgeois individuellement des avantages certains et collectivement un espoir — sinon une réalité — de participer à une œuvre plus grande encore, le gouvernement du royaume. Les programmes iconographiques dressés à l'occasion des entrées solennelles ne cessent de le rappeler au souverain qui arrive et traduisent même une contestation feutrée d'un ordre royal qui pousse à la centralisation. Ce dialogue constitue même un des socles essentiels de la relation des villes avec le souverain et contribue à développer un espace de médiation politique assurant le développement mutuel du centre et de la périphérie en dehors de toute violence sociale et politique.
7Les carrières individuelles, comme les équipes gouvernementales qui se mettent en place et administrent sérieusement les cités, montrent aussi que l'on observe en rien la « fuite des bourgeois », l'intégration à tout prix des élites municipales au gouvernement du royaume. Sans doute des exemples célèbres (tourangeaux ou berruyers notamment) sont-ils là et illustrent le contraire, mais quelle part de la bourgeoisie municipale représentent-ils ? Une faible proportion, sans aucun doute, au regard des listes de ceux qui composent les corps de ville. Dans quelle mesure remplacent-ils leur action politique dans la ville par un investissement royal ? Si ce dernier est bien réel, il est difficile de voir dans ces personnes de véritables acteurs de la vie locale. Sans doute leurs grands parents l'ont-ils été, et encore... Dans bien des cas, les parcours oscillent d'un pouvoir à l'autre et épousent successivement sans trouble apparent des points de vue que seules nos lectures modernes et décalées peuvent penser antinomiques. Le ressort de cette synthèse politique et sociale repose sur l'acceptation individuelle de responsabilités et passe par l'existence sur le terrain d'un véritable espace de liberté. Toutes les conditions sont présentes pour créer l'adhésion à un modèle royal dans l'instant peu contraignant. Sans doute aussi, et la question semble se poser dans les années 1550, cet état renferme-t-il en germe toutes les conditions d'une surprenante servitude volontaire, liminaire aux interrogations de La Boétie6.
8Avant cela, tous les paramètres sont donc réunis pour qu'émerge une nouvelle forme d'identité collective, beaucoup plus complexe que la réaction ponctuelle et individualiste observable par exemple à Dijon milieu du xive siècle7 ou encore à La Rochelle lorsque les bourgeois remettent leur ville au roi de France en 1372. Désormais les responsabilités urbaines s'émancipent de cadres spatial et intellectuel trop étroits alors que se modifie en conséquence, et avec l'assentiment royal, le fonctionnement institutionnel des municipalités parfois encore tard dans le xvie siècle8. Les corps de ville deviennent non seulement des gestionnaires attentifs et sourcilleux de l'espace urbain, mais ont aussi tous les instruments que requiert l'exercice de responsabilités militaires, fiscales et policières, à l'échelle de la Nation et dans « le bon ordonnancement du royaume » (G. Budé, L'institution du prince). La correspondance entre les perspectives locales et nationales est si étroite que lorsqu'elle ne s'établit pas, comme le montre le cas de la municipalité de Metz qui oscille entre France et Empire dans la première moitié du xvie siècle, des entités urbaines au patriotisme municipal pourtant bien établi connaissent de profondes crises de conscience et de substance9.
9Ainsi la conception des corps de ville comme une partie intégrante de l'État n'est pas la logique qui correspond aux relations entre les villes et le roi. Il y a aux xve et xvie siècles coexistence de deux structures, conjonction de leur action politique sur un terrain en proie à l'instabilité, juxtaposition de leurs ambitions, mais en aucun cas la ville n'est le relais d'ordonnances politiques issues du prince. C'est dans la fusion de nécessités communes que s'élabore cet accord de gouvernement, autour d'une logique de terrain. Cela ne correspond en rien à une théorie préétablie, à un plan qui se mettrait consciencieusement en place et qui vouerait la construction de l'État monarchique à un absolutisme final.
10Sans doute, comme le montre J. Krynen, les consciences politiques qui scandent le contraire existent-elles en abondance10. Elles restent cependant à l'état de théories, et trouvent au mieux une concrétisation dans la diffusion de l'art de bien gouverner, mais n'abordent pas vraiment le paradigme du gouvernement de la chose publique.
Un modèle intégrateur et bâti sur une responsabilisation
11Autant de conditions qui amènent à définir plus clairement le modèle politique qui s'élabore à l'échelle du royaume au tournant des xve et xvie siècles.
12Traditionnellement l'historiographie contemporaine attribue à l'émergence de l'État moderne certaines modalités que l'étude des relations entre les villes et le roi poussent à reconsidérer, à savoir la mise en place d'un monopole de la violence (tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du royaume, par l'exercice de la justice et de la guerre), d'une bureaucratie rationalisant son organisation, ou encore d'un système fiscal étudié pour pourvoir à cet effort de modernisation. Vus du référentiel municipal, ces caractères trouvent une certaine relativité. Il faut sans doute ici revoir les logiques d'un développement qui passerait par la monopolisation des instruments du contrôle social. Dans le cadre du célèbre « quod principiplacuit legis habet vigorem », qui n'est pas à remettre en cause et dont toutes les implications sont pertinentes à l'échelle de la nation, il convient cependant d'insister, quant à l'État de justice et de guerre, sur le fait que l'on observe une certaine distribution des responsabilités sur le terrain. Dans les deux domaines, au cours de cette période le monopole royal a été géré et organisé par le centre monarchique en relation avec les corps de ville et au profit de ceux-ci. La bureaucratisation, si elle s'observe parfaitement au centre de l'édifice monarchique, demeure propre à celui-ci. Dans les provinces, des années 1430 jusqu'à l'instauration des présidiaux, même si elle s'étoffe quelque peu, on ne peut pas dire que ses cadres soient véritablement bouleversés et encore moins qu'ils viennent écraser les représentations locales11 Quant au système fiscal, il a déjà été dit dans quelle mesure ses implications dépassent largement les seuls objectifs comptables même si sa réforme, sans aucun doute, permet de pourvoir à l'effort de modernisation du centre monarchique. Au final, la construction de l'État moderne correspond à une logique de développement qui met en scène les acteurs municipaux non pas comme des relais dans l'expression du monopole royal, mais comme des intervenants dans l'élaboration à bon compte de celui-ci.
13En conséquence de quoi, et c'est aussi ce qui ressort de l'analyse, on comprend pourquoi le roi entretient des rapports personnels et individuels avec ses villes.
14Telle est une des bases du modèle français. Dans ce long siècle qui voit la mise en sommeil des États généraux et la réduction du rôle des assemblées provinciales, les villes en tant que corps constitués du royaume prennent une place pleine et entière au sein de celui-ci. Il y aurait alors pour reprendre la terminologie de R. Mousnier, remplacement de « l'État des états », par un État des bonnes villes. Certes les représentants municipaux étaient-ils déjà nombreux dans les différents états généraux du xve siècle, mais il reste bien difficile d'y distinguer une véritable parole urbaine. Plus qu'aux hommes, c'est aux structures que le roi fait appel. En les nourrissant de responsabilités et de capacités juridiques ou financières le souverain crée de nouvelles conditions politiques. Si celles-ci se caractérisent par des relations directes entre les villes et le roi, il convient de noter également qu'aucune de ces villes ne jouit de relations particulières avec le souverain. En fait, il n'existe pas vraiment de différence de traitement entre les trois capitales régionales. En sens inverse, il n'y a pas non plus d'attitude urbaine singulière vis- à-vis du souverain, même à Tours, dans la seconde moitié du xve siècle lorsque celui-ci séjourne sous les murs de celle-ci. De plus, force est de le constater, au long de toutes ces pages nulle part il n'a été question d'une action en réseau entre trois villes pourtant proches et qui révélerait l'existence de véritables solidarités municipales. Au contraire même pourrait-on conclure avec G. Naegle qui a étudié les longs procès des villes devant le Parlement il y a même toutes les traces d'une concurrence affirmée entre elles12. La personnalisation des rapports s'arrête donc à leur statut de bonnes villes du royaume à la tête d'un espace régional individualisé et dont elles peuvent à la limite être les représentants.
15Ainsi, les relations politiques entre les villes et le roi résultent d'une convergence d'intérêts particuliers, quelque part à la rencontre de trois aspirations : celles des individus investis dans l'action politique et qui pensent à leur position sociale ; celles des collectivités qui façonnent sous nos yeux un nouveau champ de la responsabilité publique ; celles du roi qui travaille à son propre gouvernement. L'État qui se crée dépasse le simple accord parfait cher à B. Chevalier. Il n'y a pas seulement une coexistence de deux infrastructures singulières, dont les ambitions se répondraient de façon conjoncturelle, ni même son corollaire une simple « politique du privilège »tendant à conforter les monopoles économiques comme politiques13.
16Entre 1440 et 1540 au moins, l'exemple des corps de ville montre que l'État se bâtit autour d'un modèle de responsabilisation résultant d'un accord politique de terrain. Il résulte du fait que le roi de France doit tenir compte de tout un tas d'intérêts locaux dont il n'a pas les moyens de s'affranchir. Cette responsabilisation politique permet plus efficacement de synthétiser les différentes interprétations qui ont été données de cette monarchie française de la Renaissance. Au- delà du « contrat » (cher à H. Pentrout), d'une monarchie de « nature populaire et consultative »(de J. Russel Major) ou encore du « consensus »proposé par Ph. Hamon, c'est autour de l'idée de responsabilités partagées et acceptées (d'un côté comme de l'autre) qu'il faut désormais chercher à définir depuis les municipalités le « bon ordonnancement du royaume ». Les rapports politiques issus de structures féodo-vassaliques semble-t-il bloquées au début du xve siècle ont ainsi trouvé une nouvelle mise en ordre. La mobilisation armée de vassaux pour leur seigneur a laissé place à un commandement militaire local et permanent sous l'égide d'un conseil qui sait se montrer très réactif et complémentaire des différentes compagnies créées par le roi. L'aide matérielle et financière qui accompagne ce devoir militaire est devenu un outil de pouvoir utilisé par le roi comme par la ville, alors que l'entretien de l'ordre social dans la ville, déjà confié à des responsables locaux depuis dès la fin du xiie siècle dans le vaste mouvement de création de communes, a gagné une notion de police urbaine qui dépasse le seul entretien de la justice. Implicitement, il est vrai, cela correspond à un contrat, tacite, reconductible et reconduit de règne en règne dans une certaine constance politique et dans un dialogue qui traduit bien l'idée d'une consultation populaire. Si celle-ci ne passe pas par les organes traditionnels et institués de la monarchie, elle traduit un consensus politique qui ne se fait en aucun cas a minima ou qui serait le résultat d'un absolutisme peu exigent, limitant ainsi les affrontements14. Outil de gouvernement, ce rapport de responsabilisation ne concourt après tout qu'à l'objectif prioritaire de la monarchie : loin de l'idée — anachronique ? - de faire croître l'Etat avant tout, il s'agit pour le souverain de dégager, lorsqu'un choix s'impose, les conditions nécessaires à l'émergence d'une opinion unanime seule capable de garantir le maintien de la cohésion communautaire autour de lui15 Ce n'est ni plus ni moins ce que disent les représentations théâtrales bâties pour les entrées solennelles comme les diverses formes de commémorations qui concourent à leur façon à développer l'idée d'un État collectif16. Le triomphe royal consiste alors à rassasier les multiples intérêts particuliers qui se juxtaposent au sein de celui-ci17. Le paradigme de la chose publique et du gouvernement par la recherche d'un bien commun élabore ainsi ce modèle de responsabilisation politique. Ce qui est alors marquant c'est la diffusion de ces deux derniers concepts dans la vie politique de 1450 à 1550. L'emploi de plus en plus fréquent du terme de « République »n'arrive manifestement pas par hasard et n'est pas qu'une figure rhétorique.
17Ce modèle politique travaille donc à une véritable intégration des valeurs de gouvernement dans et par les différents corps constitués du royaume, y compris par le roi lui-même. Son fondement principal reste sa grande capacité d'adaptation, sa réactivité qui le conduit à rechercher une correspondance étroite entre les besoins, les demandes et les capacités de ses différents acteurs. Les conditions propres aux xve et xvie siècles conduisent donc à une triple maturité : celle des villes désormais véritables municipalités ; celle du roi pourvu d'une souveraineté étendue et renouvelée ; et celle d'un État qui a acquis alors les marques originales d'une première modernité. La principale particularité de ce dernier est de constituer une fragile fusion des forces politiques. Il y a là une passerelle étroite, mais qui est habilement trouvée. Vue du référentiel communal, elle correspond à l'entretien d'un équilibre instable entre ce que veut le roi et ce que peut la ville, équilibre assuré par le faible pouvoir de coercition du premier et par les incapacités structurelles de la seconde. Son maintien s'avère une force reconnue car même lorsque celui-ci se défait - sur le plan financier comme militaire, après 1540 — tout est entrepris pour en entretenir sinon l'apparence du moins les vertus politiques. Cependant, le développement de nouveaux antagonismes politico-religieux au milieu du xvie siècle en modifie d'autant les logiques et le dynamisme. La correspondance politique qui s'est lentement développée et qui assure au modèle français toute son originalité, a atteint alors un palier d'évolution qu'elle ne semble pas pouvoir dépasser, un peu comme le modèle princier au début du xve siècle. Elle apparaît désormais inapte à gérer les conflits de la société politique du moment. Incapacité qui ne doit pas cacher pour autant l'importance du chemin parcouru : sans doute y a-t-il dans ces années de ce large siècle de « transition », la maturation de ce que R. Descimon appelle « la démocratie corporative »ouvrant la voie, sous la révolution ligueuse à une « démocratie citoyenne18 ».
Notes de bas de page
1 Pour les exemples Ponot et Ruthénois voir : S. Moysset, Le pouvoir dans la bonne ville. Les consuls de Rodez sous l'Ancien Régime, Rodez-Toulouse, 2000, 645 p. et B. Rivet, Une ville au xvie siècle : le Puy en Velay, Le Puy-en-Velay, 1988, Cahiers de la Haute-Loire, 455 p. Ce dernier évoque le « sentiment municipal »(p. 350) comme des « rêves absurdes de grandeur »(p. 201) de la part des consuls de la ville. S. Mouysset évoque elle la vocation des consuls de Rodez à devenir de véritable « père du peuple »(op. cit., p. 219, et plus largement voir p. 218-282).
2 Th. Dutour, Une société de l'honneur, les notables et leur monde à Dijon à la fin du Moyen Age, Paris, Champion, 1998, p. 162-183. L'auteur reprend ces mêmes idées en les généralisant à toute la fin du Moyen Âge dans La ville médiévale. Origine et triomphe de l'Europe urbaine, Paris, O. Jacob, 2003, notamment p. 246-252.
3 D. Potter, War and gouvernment in the French ponvinces : Picardy, 1470-1560, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, 393 p.
4 Voir la synthèse de cette histoire des villes pour les xie et xiie siècles présentée par A. Chédeville, « Le mouvement communal en France aux xie et xiie siècle, ses éléments constitutifs et ses relations avec le pouvoir royal », dans Bonnes villes du Poitou et des pays charentais du xiie au xviiie siècles, actes du colloque Communes, franchises et libertés, sept. 1999, édités dans les Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest, 5e série, t. VIII, 2002, p. 9-24.
5 Malgré ce qu'affirme notamment G. Naegle, dans un ouvrage récent (Stad, Recht und Krone, op. cit., p. 727).
6 C'est du moins ce qu'il affirme dans les premières lignes de son fameux discours en écartant les interrogations sur la bonne ou mauvaise nature du gouvernement d'un seul ou de plusieurs. « Pour ce coup, je ne voudrois sinon entendre comme il se peut faire que tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelque fois un tyran seul, qui n'a puissance que celle qu'ils luy donnent, qui n'a pouvoir de leur nuire sinon tant qu'ils ont vouloir de l'endurer... »(É. de La Boétie, Discours de la servitude volontaire ou le contr'un, P Léonard [éd.], Petite Bibliothèque Payot, Paris, rééd. 2002, p. 128).
7 Voir Th. Dutour, ibid.
8 C'est ce que l'on voit par exemple à Rodez avec la remise en ordre des privilèges et des charges des consuls effectuée en 1535, qui montre également que là aussi fiscalité et police ont été graduellement confiées par le seigneur et le roi (S. Mouysset, Le pouvoir dans la bonne ville..., op. cit., p. 220-236 et p. 282).
9 Le cas messin illustre la dislocation de l'identité municipale dans la première moitié du xvie siècle, à rebours de ce que l'on observe à Bourges, Poitiers ou Tours. Il s'agit cependant d'un parfait exemple d'une municipalité « à la recherche d'un prince »et d'une adhésion à un modèle national et qui se trouve devant un manque d'alternative crédible avant Henri II (voir sur cet exemple les propos éclairants de M Gantelet, « Entre France et Empire, Metz, une conscience municipale en crise à l'aube des Temps modernes [1500- 1526] », dans Revue Historique, n° 617, 2001, p. 5-45).
10 J. Krinen, L'empire du roi. Idées et croyances politiques en France, xiiie-xve siècle, Paris, Gallimard, 1993.
11 Le fait est clair encore au xviie siècle à l'occasion du choix des principaux représentants municipaux à Nantes comme à Paris (voir la synthèse proposée sur ce point par G. Saupin, « Stratification sociale et désignation des corps de villes dans les grandes villes françaises », dans Les élites locales et l'État dans l'Espagne moderne, Paris, CNRS-Éditions, 1993, p. 193-210). Sans se leurrer sur l'étendue de la liberté de choix qui est laissée aux élites locales, peut-être faut-il considérer l'existence d'un compromis entre monarchie et municipalités sans pour autant parler d'un « auto contrôle psychique »voire de « conditionnement incorporés »comme le fait N. Elias.
12 G. Naegle, op. cit., p. 729 (conclusion en français).
13 L'expression « politique du privilège »est employée par R. Descimon pour qualifier précisément la période qui s'ouvre avec Charles VII et correspond à l'éclosion du modèle des bonnes villes tel que le développe B. Chevalier (voir Histoire de la France, A. Burguière et J Revel [dir.], volume intitulé L'état et Us pouvoirs, J. Le Goff [dir.], Paris, Seuil, 1989, p. 332-333).
14 C'est ainsi du moins que Ph. Hamon définit la « monarchie de consensus » (La monarchie entre Renaissance et Révolution, J. Cornette [dir.], Paris, Seuil, 2000, p. 31).
15 En cela nous rejoignons tout à fait les observations de Ph. Hamon (ibid., p. 28) dans sa description de la société politique et de la monarchie française de la première modernité.
16 C'est une piste de réflexion que lance A. Boureau, notamment après les travaux de R. Descimon et la critique de l'historiographie cérémonialiste dans sa contribution au colloque de 1991 sur les fondations de la modernité monarchique en France (« Ritualité politique et modernité monarchique », dans L'État ou le Roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (xive-xviie siècles), R. Descimon et N. Bulst [dir.], Paris, Éditions des Sciences de l'homme, 1996, p. 12).
17 C'est aussi sur cette conception de l'État royal que s'appuie J. Garrisson dans Guerre civile et compromis (1559-1598), Paris, Seuil, 1991, notamment p. 220.
18 R. Descimon, Qui étaient les XVI ? Mythes et réalités de la Ligue parisienne (1585-1594), Paris, 1983, p. 297-298.
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