Chapitre XIV. Des corps de ville véritables« sujets et contribuables »
p. 247-257
Texte intégral
1Lorsque le conseil de ville de Tours reçoit, en ce 28 janvier 1523, une missive du juge de Touraine pour demander le paiement de 1 800 livres sur les 7200 imposées en 1522 et 1523 au titre des 200 hommes de guerre équipés par la ville1 l'émoi est à son paroxysme. Étranglés par les deux premières levées de 1522 (de 1 200 livres chacune), les échevins tout en comprenant les nécessités royales s'inquiètent alors de l'évolution de la fiscalité et refusent d'être considérés comme de véritables « sujets et contribuables ». Si le contexte dans lequel ces paroles sont prononcées justifie à lui seul l'exaspération municipale, plus largement autour de 1515 la fiscalité royale voit ses rythmes et son volume croître considérablement. Une fois encore, le cours des événements internationaux a des implications financières lourdes de conséquences. François Ier emploie toute son énergie pour utiliser l'ensemble des pratiques fiscales alors à sa disposition. Augmentation de la taille, levée de décimes sur le clergé ou réactualisation de certains droits, multiplication des emprunts et des expédients fiscaux, autant de mesures qui, globalement, ne modifient cependant pas en profondeur la structure de l'imposition royale2. Si elles s'accompagnent, comme vers 1450, d'une réforme nécessaire des structures centrales (création du Trésor de l'épargne), dans les faits, vues de la périphérie, les pratiques financières ne changent guère. D'une manière générale, les correspondances qui se sont développées dans la seconde moitié du xve siècle demeurent le cadre des relations financières entre les villes et le roi. Comme le suggèrent les remontrances de la collectivité tourangelle, la question de la pérennité et de la viabilité de l'équilibre fiscal entre les villes et le roi se pose alors que les prélèvements augmentent sensiblement.
Dès avant 1520 : blocages et limites de l'entente fiscale
2Si les relations financières entre les villes et le roi telles qu'on les a décrites fournissent un cadre idoine et satisfaisant le centre monarchique comme la périphérie urbaine, il ne faut pas cacher qu'il existe cependant des seuils de blocages qui semblent difficilement pouvoir être dépassés. Ils se traduisent à la lecture des registres de délibérations par les nombreux tiraillements qui apparaissent à l'occasion de chaque levée. Sensibles dès 1440, ils transparaissent tout au long de la seconde moitié du xve siècle pour devenir criants autour de 1520.
3Globalement ces limites résident dans l'inadéquation entre les demandes fiscales et la structure même des budgets urbains. Si, on l'a vu, dans l'absolu, les recettes provenant des octrois permettent largement aux villes de pourvoir aux demandes royales, dans la pratique il n'en est pas toujours le cas. Une première série d'explications réside dans le fait que les demandes royales qui s'avèrent ponctuelles et imprévisibles dépassent le plus souvent les revenus des fermes municipales d'une seule année. Bilans financiers clos par nécessité plusieurs années après la fin de l'exercice fiscal (parfois dix ans après3), les comptes présentent une image tronquée des recettes communales qui ne gomme à peine leur aspect erratique, et pour plusieurs raisons. Tout d'abord le rapport des fermes municipales suscite d'interminables procès laissant en suspens leur paiement. De plus, la répartition des recettes sur l'année (par quartier généralement) rend totalement artificielle la présentation globale que l'on peut établir à la lecture des comptes. Les municipalités n'ont donc que très rarement en caisse les sommes auxquelles les fermes sont mises à prix, ce qui les oblige d'ailleurs à mettre en place des procédures financières particulières pour gérer leurs dépenses quotidiennes4. Certains droits enfin, tel celui de l'approvisionnement du grenier à sel à Tours, nécessitent un investissement financier dont la ville a parfois du mal à gérer le coût et le rythme. Celui-ci impose à la capitale tourangelle par exemple certaines années des dépenses aussi importantes que les revenus qu'il offre5. Autant de conditions qui révèlent la lourdeur d'une gestion financière encore archaïque, certes, mais qui suffit à l'exercice quotidien du pouvoir municipal. Elles ne résistent cependant pas aux requêtes royales dont la logique fiscale n'a rien à voir. Cette inadaptation place parfois les bourgeois devant des situations délicates. Ceux de Bourges en font la cruelle expérience en 1492 lorsque les 3000 livres demandées par le roi ne peuvent être réunies. Après plusieurs rappels, les commissaires royaux chargés de recevoir la somme, jugeant certainement de la mauvaise foi des responsables municipaux, mettent les principaux d'entre eux plus de vingt jours aux arrêts6, menace qui a déjà plané en 1475 puis en 1478 sur leurs homologues poitevins et qui est brandie dans le but d'accélérer le recouvrement des fonds7.
4Face à ces limites structurelles, le petit nombre de solutions que les municipalités peuvent apporter révèle les faibles capacités mobilisatrices des corps de ville. Dans la presque totalité des cas elles passent par l'emprunt. À court terme tout d'abord, pour attendre de nouvelles rentrées fiscales ou récupérer certaines sommes dues ou encore pour engager le domaine municipal, expédients dont les conseils voient rapidement le bout8. Dans la majorité des cas, le receveur de la ville (homme dont on a pris soin de s'enquérir des capacités financières et de toutes les cautions) sert de bailleur de fonds9. Il faut parfois aussi emprunter à plus long terme, ce à quoi les municipalités répugnent globalement. Les religieux sont alors sollicités. La ville de Bourges pourvoit ainsi exceptionnellement à l'emprunt royal de 4 000 livres demandé en 1 51510. D'une manière générale, les corps de ville essaient de se dégager au plus vite des sommes requises en rassemblant leurs propres deniers ou en organisant une levée extraordinaire sur les habitants. Solution envisagée ponctuellement mais pas de façon exceptionnelle dans le dernier quart du xve siècle. C'est ainsi que ceux de Bourges ont réuni les sommes exigées par le roi après la révolte de 1474, et ont encore réglé les prélèvements qui suivirent11. Ces levées directes sur le peuple, organisées par paroisse, « le fort portant le faible », constituent la solution adoptée à Tours dès 147012, puis régulièrement après 1488 (1488, et en 1489, 1494 et 1496). Mais il s'agit alors uniquement de compléter une somme dont la plus grande partie est prise sur les deniers communs. Pour les budgets communaux, la méthode est un appoint qui offre une bouffée d'oxygène.
5L'utilisation répétée de ce recours au peuple montre les limites financières des municipalités. Pour des budgets urbains aux structures largement inadaptées, les demandes royales constituent dans certains cas de véritables brutalités financières. Véritable paradoxe lorsque l'on sait dans quelle mesure les octrois viennent gonfler leurs recettes. Ces antagonismes structurels entre ce que veut le roi et ce que peut la ville révèlent l'inadéquation entre les exigences d'un État moderne et les modes de fonctionnements financiers des corps de ville. Inadaptation qui va conduire progressivement dans la première moitié du xvie siècle à l'éloignement des deux systèmes.
1515-1525, une nouvelle accentuation de la pression fiscale
6Les dix premières années du règne de François Ier vont marquer un bouleversement significatif de l'ordre fiscal entre les villes et le roi. S'enclenche alors toute une série de réformes souvent moins lisibles que celles qui affectent les rouages centraux de l'administration fiscale, mais aux objectifs très proches : assurer des rentrées financières conséquentes sans écraser pour autant le peuple ou les corps constitués du royaume aptes à fournir des fonds. Plusieurs expédients se présentent alors au souverain qui saura les exploiter.
7La simple lecture du bilan des levées effectuées sur les corps de ville au titre d'emprunts ou de dons gratuits (voir tableau n° 15), montre dans quelle mesure on observe une radicalisation du système fiscal et des prélèvements royaux. Sur la période 1515-1524, les sommes demandées dans chaque ville, réduites à des moyennes annuelles, gonflent considérablement par rapport aux quinze premières années du xvie siècle (qui s'avèrent bien, on l'a dit, les moins fiscalisées) et dépassent même les niveaux les plus élevés enregistrés dans la seconde moitié du règne de Louis XI ou au cœur des guerres de Bretagne. La tendance qui se dessinait déjà à l'analyse des dernières années du règne de Louis XII s'affirme bien et marque l'arrivée d'une fiscalité nouvelle pour les corps de ville.
Tableau 15 - État des sommes données au roi par les villes au titre d'emprunt ou de don


8Note13
9Nouvelle par le sens qui lui est donné, tout d'abord. En effet, une quête de légitimité caractérise peut-être avant tout les demandes fiscales au début du règne de François Ier. Lorsque Charles VIII ou encore Louis XII, demandaient de fournir 2 000 ou 3 000 livres, l'affectivité qui perlait dans des lettres closes coupait court à toute discussion sur le bien fondé de ces levées. Un lien presque sentimental jouait alors pleinement son rôle, la volonté royale légitimant à elle seule le bien fondé de la demande. La situation n'est plus totalement la même après 1515. Le bon vouloir du roi ne peut plus justifier à lui seul la multiplication des levées. Il fait place à un système argumentatif plus solide. Une attribution précise est désormais fournie à chaque prélèvement, attribution qui se traduit par l'équipement d'un certain nombre (précis) de gens armés dont chaque ville reçoit la charge au titre de l'aide militaire, alors que désormais les combats se tiennent bien loin. Si en 1515 ou 1517, les requêtes royales demeurent encore empreintes d'un certain flou, à partir de 1522 à Poitiers, à Tours comme à Bourges, des quotas d'hommes à équiper sont désormais fixés. Chaque corps de ville doit alors s'y tenir.
10L'autre nouveauté réside dans les conditions techniques propres à ces levées. Si la fréquence et le rythme des demandes varient en fonction de la conjoncture internationale, il convient de remarquer la fin de cette apparente gestion ville par ville qui prévalait dans la seconde moitié du xve siècle. Désormais toutes les villes sont concernées par les mêmes levées autour des mêmes événements. Uniformisation du traitement fiscal dont les années 1512-1513, 1516, 1518, 1521 et surtout 1522-1523 constituent des étapes successives et qui se retrouve également au regard des sommes levées dans chaque cité. Si le poids variable de la population fiscale, la part des religieux ou des étudiants, voire la richesse estimée (mais comment, par qui et dans quelle mesure ?) peut expliquer les différences entre les sommes demandées d'une cité à l'autre, il est curieux de constater entre 1515 et 1521 un certain renversement des équilibres entre ces trois villes par rapport à ce qui a pu être observé auparavant. Bourges fournit alors l'effort financier le plus conséquent avec plus de 2040 livres levées par an, devant Tours puis en dernier lieu Poitiers. Anachronisme qui se révèle par rapport aux classements des règnes précédents qui montraient une hiérarchie inverse. Cet ordre se retrouve cependant à partir de 1522-1523, alors que la pression royale devient plus forte et que les possibilités de négociations dont on a vu l'impact se réduisent largement. Apparaissent alors les bases d'une organisation fiscale plus rigoureuse et régulière dont les structures se reproduiront autour de 1540, et qui tient compte des capacités urbaines à en assurer le recouvrement. C'est ainsi que se dégagent des prélèvements dont les montants par quartier atteignent 1 800 livres à Poitiers, 1 200 à Tours et sans doute un peu plus à Bourges. Situation en tout point équivalente à ce que présente l'Estat des villes de ce royaume dont le roy entend soy aider... établit en 153814, et dans lequel les trois cités doivent fournir des sommes très proches. L'ordre fiscal du royaume trouve alors une certaine rationalisation et traduit un système fiscal qui se durcit à l'égard des municipalités.
11Enfin, il faudrait aussi souligner l'émergence de nouvelles formes de fiscalité. Une fiscalité indirecte et détournée se met en place et se traduit par le rachat par les corps de ville des charges de police cédées moyennant finance à des particuliers. La municipalité de Tours débourse ainsi 1 400 livres pour obtenir les droits de police « traditionnellement exercés par le prévôt15 ». La pratique du rachat devient systématique et générale avec la création de l'office de contrôleur des deniers communs, serpent de mer des relations entre les villes et le roi entre 1515 et 1525. Son installation conduit les corps de ville qui veulent se prévenir de toute attitude individuelle pouvant leur porter préjudice à racheter ces offices aux particuliers qui les ont acquis auprès du roi, avant de demander et d'obtenir (en les payant également) des lettres pour entériner leur suppression. À Tours, dès 1516 un accord semble être passé avec son détenteur (Jacques Millet) pour son rachat à hauteur de 1 500 livres16. La ville de Bourges dépense en 1524 1 850 livres17 alors que le corps de ville de Poitiers, refusant le système du rachat emprunte la voie juridique et se lance dans un interminable procès pour voir l'office disparaître18.
Un recours de plus en plus difficile aux expédiants municipaux traditionnels
12Au regard de ces évolutions structurelles et avec ces nouvelles conditions imposées d'en haut, les pratiques qui assuraient la souplesse du système fiscal se trouvent affectées.
13Ainsi en est-il des négociations menées par les corps de ville qui assuraient un dialogue favorable à l'établissement d'un prélèvement raisonnable et accepté. Loin de les abandonner, les municipalités en développent de nouvelles formes. Un véritable réseau de connaissances et d'intervenants est désormais sollicité afin d'obtenir du roi ou des généraux des finances quelques « rabais ». À Bourges, après 1518, la duchesse (Marguerite d'Angoulême) fait office d'intercesseur privilégié. En mai 1518, un délégué municipal va lui porter les lettres de la ville alors qu'elle se trouve à Amboise auprès du roi19. Celles-ci tentent d'obtenir l'annulation de la somme de 2 500 livres demandées à la ville ; l'année suivante (puis encore en 1521) de nouvelles lettres lui demandent d'obtenir un rabais sur les 5000 livres requises par le roi20. À l'automne 1512, des délégués poitevins passent deux semaines à Blois où siège le roi et contactent l'évêque de Paris qui expédie la chancellerie royale, Jacques de Beaune, Robertet, Fedoin, les secrétaires du roi, et plusieurs autres grands seigneurs (Jean Jacques, Imbert de Batarnay, Jacques Hurault21...). Il semble que le seigneur de Semblançay soit leur cible préférée bien qu'il leur soit certainement plus facile d'accéder aux quelques grands seigneurs poitevins qui s'illustrent dans l'entourage royal. En 1519, selon Jean Bouchet, le corps de ville sait trouver l'appui de Guillaume Gouffier, seigneur de Bonnivet et amiral de France22. Bien sûr, le corps de ville de Tours est dans une situation privilégiée sur ce point car il ne lui est pas nécessaire d'aller chercher très loin les appuis. Depuis 1510, Samblancay figure parmi les hommes les plus influents des cent personnes qui composent désormais un corps de ville fixe, dans lequel on compte aussi, plusieurs représentants de la famille Bohier (Thomas et Henri, les deux généraux de Normandie et de Languedoc), ou Philibert Babou et Pierre Briçonnet, trésoriers du roi, ou encore Nicolas Gaudin, trésorier de la reine, Jean Prévot, trésorier des guerres (membre du corps de ville après la démission de Samblançay en 1522) sans parler des Burdelot, Bernard, Briçonnet, Chartier (tous secrétaires du roi au moins). Régulièrement, lorsqu'ils ne figurent pas en personne aux assemblées, des délégations partent dans le but de traiter des principales affaires fiscales avec eux. Il reste cependant assez difficile de connaître à partir des documents municipaux leur rôle exact23, même si parfois, au détour d'une délibération ou d'une ligne d'un compte, on apprend que des lettres ont été données sous leur influence en faveur de la ville24. Ainsi, alors que cinquante ans plus tôt les délégations urbaines s'adressaient directement au souverain pour traiter avec lui, désormais c'est un ensemble de personnes qu'il convient de contacter et de faire agir en faveur de la ville.
14Cette politique porte ses fruits en 1515, peut-être en 1523 à Tours, en 1516 et certainement aussi en 1523 à Poitiers ou encore en 1519 à Bourges. Toutefois les sommes remises n'ont rien de commun avec les rabais accordés encore dix ans auparavant. Parfois même les gens d'influence ne peuvent arriver à obtenir un quelconque avantage même modique pour la ville25. En fait la notion « d'emprunt »s'efface au profit de celle de « don ». Il n'est plus question d'espérer un quelconque remboursement et mieux vaut pour les municipalités en intégrer l'idée, voire la détourner. Ainsi en est-il à Tours lorsque, après la lourde levée de 1522 pour l'armement de 100 hommes (deux fois 1 200 livres et deux fois 1 800), les bourgeois « offrent »en 1523 gracieusement 4 000 livres au roi26. Générosité tout à fait intéressée car, à la veille de l'annonce d'un nouvel emprunt, il leur reste encore un arriéré de 2 000 livres à fournir sur la levée de 1522. Même si en 1524 encore dans les lettres royales publiées à propos d'un nouvel emprunt de 1 200 livres il est bien question d'un remboursement sur les « deniers recouvrés dudit seigneur », les échevins sans illusion assurent aux particuliers qui veulent bien prêter la somme que la ville se chargerait de les rembourser sur deux ans dans le cas où le roi ne pourrait la remettre27.
15Cette hypothèque des recettes municipales conduit à s'interroger sur les modalités pratiques suivies par les corps de ville pour réunir les sommes demandées par les commissaires royaux. Après quelques expédients aux rapports limités (cessation de droits ou du domaine communal28), une fois le bilan des recettes communales établi, il devient nécessaire de reporter le poids des demandes royales sur la population comme ce fut parfois le cas avant 1515. Dans ce cas, les budgets communaux servent de caisse d'avance, voire prennent en charge certains frais inhérents à la levée (et encore dans une certaine mesure, car les sommes levées sur les habitants s'avèrent toujours supérieures aux sommes demandées par le roi). Lorsque les levées restent espacées, les municipalités peuvent jouer entre les différents expédients financiers ou compter sur les emprunts à des particuliers. Il en est tout autre lorsque les demandes se multiplient. La crise de 1522-1523 les place toutes dans une situation plus que délicate. Celle-ci arrive après plusieurs années (1515-1521) pendant lesquelles les prélèvements se sont multipliés et ont déjà posé des difficultés certaines aux conseils municipaux. Le corps de ville de Bourges dès 1516 doit emprunter au commandeur de Saint-Jean de Jérusalem29 et les bourgeois de Poitiers et de Tours auront du mal à fournir les différents « quartiers » (de 1 200 et 1 800 livres) levés successivement entre 1522 et 1523. À Poitiers s'engage alors une résistance forte, la ville n'accordant que l'équipement de 25 hommes au lieu des 100 demandés par le roi30. Le souverain n'en tient pas compte et réitère avec insistance sa demande à la mi-mai (deux lettres sont adressées au sénéchal) mais doit composer avec l'opiniâtreté des bourgeois qui ne lui offrent que 1 000 livres pour 25 hommes31. Si on ne sait pas ce qui est finalement cédé (les registres signalent en effet que le lieutenant général a réparti le « taux »sur chaque paroisse32), le problème se renouvelle à l'occasion de la levée du second « quartier »à la fin du mois d'août. Un brillant réquisitoire en faveur de la ville est alors rapporté dans les pages des registres de délibérations (et certainement repris dans les mémoires qui furent envoyés en cour), dans lequel tous les maux de la cité sont évoqués (peste, fortifications à entretenir, la ville protège - à elle seule, il faut croire - tout le pays jusqu'à la mer...), et « par ce est de présent presque inhabitée33 ». Demi-victoire lorsque, en janvier 1523, François Ier reconnaît toutes les difficultés qu'éprouve la cité. Il déclare alors se contenter de 2 000 livres en remplacement des deux derniers « quartiers »de 1 800 livres qui étaient encore à fournir pour équiper les cent hommes34. Fiers d'avoir économisé 1 600 livres, les bourgeois poitevins n'ont plus alors qu'à trouver quelques particuliers pour avancer les sommes en attendant de pouvoir réaliser une nouvelle levée sur le peuple35. À Tours à la même date, la situation est proche et l'expectative règne, ce qui empêche de connaître exactement le montant des sommes versées. Si les premiers versements (1 200 livres en mars 1522) se font grâce à la vente de certaines maisons et à l'avance de certains bourgeois (et du maire, Philibert Babou, le trésorier de l'épargne, qui laisse alors à la ville les gages inhérents à sa mairie36), pour le second quartier, le corps de ville obtient qu'une levée soit organisée sur tous les habitants privilégiés ou non37. Quand le troisième quartier s'annonce en décembre, les bourgeois s'inquiètent on l'a vu de devenir de véritables « sujets et contribuables »et refusent tout net de payer le quatrième en mai suivant, attendant les réponses de la cour au sujet de leurs précédentes remontrances38. Ces deux derniers quartiers ne semblent toujours pas être levés en juin lorsque le roi les réclame de nouveau. La municipalité comme les habitants semble exsangue, alors que les troupes royales passent en ville et que le problème des aventuriers s'annonce récurrent. C'est alors que la municipalité offre 4 000 livres et s'accorde avec les représentants royaux39.
Un système politico-financier encore préservé
16Il reste encore à déterminer si les fondements du système de correspondances fiscales demeurent viables malgré la croissance des prélèvements. Si l'on considère les différentes formes de redistribution, il apparaît très nettement que le rapport des octrois royaux entre 1515 et 1535 s'avère encore largement supérieur à la totalité des sommes demandées par le roi. En fait, les budgets municipaux bénéficient largement sur cette période des concessions fiscales héritées du règne de Louis XII (voir tableaux n° 6 et 7 : Rapports des octrois royaux à la ville de Bourges et de Tours). Les recettes issues de ces octrois ont presque doublé et dépassent à Bourges les 8 500 livres. Tours ne présente pas de conditions semble-t-il aussi favorables (avec seulement 4 500 livres par an), mais la marge reste largement suffisante. De plus, pour faire face aux levées exceptionnelles et répétées de 1522- 1523, François Ier n'hésite pas à suivre le chemin tracé par ses prédécesseurs en autorisant à Bourges le doublement pour deux ans du droit pris par la ville sur le sel ainsi que celui de l'apetissemenr40, alors que pendant toutes ces années à Tours, le rapport de l'octroi de 12 deniers sur les marchandises atteint systématiquement sa quotité maximale (1 500 livres).
17Quant aux bénéfices politiques recueillis par les corps de ville, ils sont, eux, nettement moins perceptibles Les municipalités n'ont plus à enraciner leur fonction dans un rôle fiscal gagné depuis fort longtemps et il est possible de se demander dans quelle mesure on n'assiste pas là pour la première fois à un basculement de perspective.
18Pourtant autour de 1523-1525, au maximum des levées, le système de correspondances fiscales ne se rompt pas et arrive à surmonter les épreuves qui se présentent à lui. Plusieurs facteurs peuvent en expliquer les raisons. Tout d'abord, les corps de ville s'investissent pleinement, on l'a vu, dans un rôle militaire qui les conduit à entretenir vivace et indéfectible leur légitimité vis-à-vis du souverain. Ensuite, un sursaut national accompagnant les désastres italiens est envisageable. Les corps de ville tout particulièrement sont tenus régulièrement informés des opérations militaires par des lettres que Louise de Savoie ne cesse de leur adresser et qui concourent à entretenir la flamme nationale41. Enfin, il s'agit là peut- être du principal argument, la situation ne perdure pas véritablement. Même si après 1524, les levées se poursuivent et restent importantes, leur rythme et leur volume, jusque vers le milieu des années 1540, seront sans commune mesure avec les sommes levées dans le premier tiers du règne de François Ier. À la fin des années 1530, les villes qui ont vu se maintenir la plupart de leurs octrois jouissent d'un incontestable bien être financier. Ainsi, malgré la perte depuis 1533 des droits sur les marchandises, la suspension entre 1542 et 1545 de ceux sur le sel, les comptes de la collectivité tourangelle ne passent pas pour autant dans le rouge. Celle-ci vit alors, d'une année sur l'autre, avec des reliquats équivalents parfois aux recettes d'un exercice annuel (plus de 6 000 livres en 1541-1542). Si les faiblesses structurelles sont dans l'instant dépassées, de sévères contraintes ont cependant fait évoluer les relations financières entre les villes et le roi. Désormais principalement bâties autour de levées de plus en plus souvent directement effectuées sur le peuple des villes, ces correspondances ne correspondent plus à cet outil fiscal dont les visées politiques cherchaient à associer les corps de ville à la construction du royaume et au bon gouvernement de celui-ci.
Notes de bas de page
1 Tours, arch. comm., BB 36, f° 33.
2 Pour une présentation rapide et complète du panorama fiscal et financier de la monarchie au début du règne de François Ier, voir R.-J. Knecht, Un prince de la Renaissance. François Ier et son royaume, Paris, Fayard, 1994, 697 p. (Chroniques). Pour le détail de l'analyse fiscale voir Ph. Hamon, L'argent du roi. Les finances sous François Ier, Paris, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 1994 (coll. « Histoire économique et financière de la France »).
3 Tous les comptes retranscrivent les lettres des auditeurs des comptes qui les ont inspectés. En général cette audition réalisée par des échevins et des officiers royaux a lieu dans les deux ans qui suivent leur clôture. Le compte tourangeau de l'année fiscale 1473-1474 bat semble-t-il tous les records puisqu'il est auditionné et clôt en 1484 (Tours, arch. comm., CC 41, derniers folios).
4 Chaque ville a ses propres procédures sur lesquelles il y aurait beaucoup à dire. Cette difficulté à réunir et à avoir une vision globale de ses propres revenus s'illustre particulièrement pour la collectivité tourangelle. Comme ailleurs, les comptes reprennent des rubriques fixes et peu variables, mais très vite apparaît une rubrique « Dépense commune »ou en fait, le receveur, les clercs et les quelques personnes habilitées à manier les deniers communs présentent leurs dépenses successivement, certainement en fonction des recettes dont ils ont eu également la charge. À Poitiers, le maniement de l'argent communal passe par les « Distributeurs des deniers communs ».
5 Du « fournissement du grenier à sel », la ville de Tours recueille le bénéfice de la vente du sel. Elle doit pourvoir à l'approvisionnement de celui-ci et acheter du sel en quantité. Si, souvent, elle en récupère le profit l'année suivante (car le reliquat de sel est alors vendu), la commune investit certaines années des sommes proches de ce qu'elle reçoit au titre de l'octroi royal. En 1479 ainsi, les bourgeois dépensent 1 908 livres en achat de sel pour récupérer 2 038 livres sur la vente du sel (Tours, arch. comm., CC 43, compte 1478-1479, « Recettes »).
6 Bourges, arch. comm., CC 264, « dons et récompenses ». Ils semblent retenus à l'intérieur de l'hôtel de ville.
7 Le maire (dans les deux cas) et trois autres notables (dans le second) sont mis en prison à ces deux dates (R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 359).
8 À titre d'exemple, la ville de Poitiers en 1512 récupère les sommes prêtées aux universitaires (Poitiers, arch. comm., registre de délibérations n° 11, p. 268, 5 juillet 1512). En 1516, 1518 et 1519, le greffe de la ville est mis en vente pour 800 livres afin de fournir la totalité de la somme demandée par le roi (Poitiers, arch. comm., F 103, 14 juin 1516 ; registre de délibérations n° 16, p. 190-196, 25 avril 1518 ; registre de délibérations n° 17, p. 39, 25 septembre 1519). Tours fait de même en 1522 en vendant quelques-unes des maisons du domaine communal (Tours, arch. comm., BB 35, f° 62).
9 L'exemple berruyer en fournit un certain nombre de cas : ainsi en 1492, lorsque le maire est emprisonné, les 3000 livres sont prêtées par le receveur qui est remboursé dans l'année (Bourges, arch. comm., CC 264, « Dons et récompenses »). En 1495, 1 500 livres sur les 1750 demandées sont avancées par un particulier cette fois-ci (id., CC 265), puis en 1501, le receveur semble avoir de nouveau joué ce rôle (id., CC 271, p. 141), comme en 1506 devant les frais importants liés à l'entrée du roi (id., CC 276, p. 38) ou encore en 1527 (le receveur fournit alors plus de 1 000 livres, id., CC 298, p. 48).
10 La totalité de la somme est empruntée à Pierre de Raze, commandeur de la commanderie de Saint-Jean de Jérusalem de Bourges (Bourges, arch. comm., CC 286, p. 7). Il est difficile de suivre les termes de son remboursement et il n'est pas exclu que la ville ait réalisé d'autres emprunts auprès de la même institution par la suite (le problème d'emprunt étant toujours évoqué en 1530, id, CC 302, p. 51 et p. 52).
11 La taille levée pour le roi en juin et juillet 1474 est détaillée dans le seul registre de comptes qui ait été conservé avant 1487 (Bourges, arch. comm., CC 257, fos 22 à 26). D'autres documents fiscaux (CC 4) laissent penser qu'il y en eut d'autres dans les années 1480.
12 C'est le cas en 1470, lorsque la ville doit contribuer aux emprunts levés pour la fortification des villes de l'Est (Tours, arch. comm., BB 32, f° 94 v°).
13 Totaux et moyennes réalisés sur la période 1515-1523 pour toutes les villes.
14 Ce document a été publié dans Ordonnances des rois de France, règne de François Ier, t. IX/11973, p. 73-81. Son étude pour les régions du Centre-Ouest a été effectuée par B. Chevalier dans « Les bonnes villes du Centre-Ouest au xvie siècle : constellation ou nébuleuse ? », op. cit.
15 Les registres de comptes sont relativement avares de détails sur ces différents droits. Il semble qu'il s'agisse essentiellement des droits qui revenaient au domaine royal et qui étaient levés sur les marchandises (Tours, arch. comm., CC 59, fos 80 v° à 82 v°). À Bourges, dès 1514, le domaine royal avait été engagé sans que le corps de ville ait été obligé toutefois de racheter des parts de celui-ci (Bourges, arch. comm., CC 284,p. 67).
16 Tours, arch. comm., BB 34, f° 493 et CC 61, f° 79 v°.
17 Ce rachat est fait à Robert Bigot et résulte d'un accord avec le procureur du roi et la duchesse de Berry (Bourges, arch. comm., CC 294, p. 42 et BB 40, juin 1524). Les lettres de François Ier qui suppriment l'office datent du 24 juillet 1524 (id., BB 40).
18 En vain cependant. Celui-ci est tout d'abord détenu par Adam Rollaud puis, après 1520, par Pierre Crochet. La ville après avoir tenté de racheter l'office pour une modique somme (400 livres) finit par s'accorder avec le détenteur de l'office mais ne le rachète pas (première mention : Poitiers, arch. comm., registre de délibérations n° 15, p. 48, dernière mention du procès registre de délibérations n° 17, p. 466). La disparition des registres par la suite rend impossible de connaître l'épilogue de cette affaire.
19 Bourges, arch. comm., CC 288, p. 118.
20 Id., CC 289, p. 47 (mars 1519). Il en est de même une nouvelle fois en 1521 où J. Pelourdte et M. Chambellan restent partis plus de 19 jours et dépensent plus de 248 livres pour l'occasion (id., CC 291, p. 131-132).
21 Poitiers, arch. comm., registre de délibérations n° 11, p. 367-369, 20 octobre 1512.
22 J. Bouchet, Annales d'Aquitaine..., op. cit., p. 372. L'affirmation de Jean Bouchet est attestée par les registres de délibérations car la ville obtient l'annulation de la levée des deux derniers quartiers de 1 800 livres nécessaires pour l'équipement de cent hommes de pieds, et son remplacement par une unique levée de 2 000, soit un rabais de 1 600 livres.
23 Par exemple en 1522, lorsqu'un quartier de 1 800 livres doit être fourni par la ville alors que les finances municipales agonisent, plusieurs lettres partent vers ces grands personnages, mais les conditions de leur appui n'est pas indiqué (Tours, arch. comm., BB 35, f° 70, 29 avril 1522). Il en est de même un an plus tard lorsqu'il convient de finir cette même levée (id., BB 36, f° 44 v°).
24 C'est ainsi le cas en 1495, où l'on apprend que des lettres ont été produites par l'argentier du trésorier, qui n'est autre que Philibert Babou (id., CC 50, f°109 v°).
25 En 1527, face à une levée de 2 000 livres, Ph. Babou ne semble pas arriver à réduire celle-ci à 1 500 livres comme il l'annonce devant le corps de ville (Tours, arch. comm., BB 39, f° 65-75, juillet 1527).
26 Tours, arch. comm., BB 36, f° 104, 23 août 1523.
27 Id., BB 37, f° 118, 29 septembre 1524.
28 En 1516, 1518 puis en 1519, le corps de ville de Poitiers est obligé de mettre à ferme le greffe de la ville pour répondre en partie aux sollicitations royales. Ce greffe est mis à ferme pour 800 livres (Poitiers, arch. comm., F 103, 14 juin 1516 ; registre de délibérations n° 16, p. 190-196, 25 avril 1518 ; registre de délibérations n° 17, p. 39, 25 septembre 1519).
29 Bourges, arch. comm., CC 286, p. 7.
30 Poiriers, arch. comm., registre de délibérations 17, p. 592-594, 2 avril 1522, et ce malgré les remontrances formulées par Girard Lecoq, maître des requêtes et commissaire du roi pour cette levée.
31 Ils auraient dû fournir pour répondre aux demandes royale 1800 livres par quartier (id., registre de délibérations, n° 17, p. 621 et 630, 5 mai et 2 juin 1522).
32 Ibid., p. 633.
33 Id., registre de délibérations n° 18, p. 52-57, 25 août 1522.
34 Id., I 16, lettre du 26 janvier, lettres adressées au sénéchal du Poitou.
35 En février 1523, ceux qui ont avancé de l'argent veulent être remboursés (id., registre de délibérations n° 18, p. 190).
36 Tours, arch. comm., BB 35, f° 62. Ainsi, une partie est prise sur les deniers communs et le reste est cédé par Jacques de Beaune qui les récupérera sur le droit d'approvisionnement du grenier à sel (ibid., f° 69).
37 Ibid., f° 106 v°, 20 août. En fait en septembre la levée n'est toujours pas réalisée et les deniers communs permettent d'avancer la somme (ibid., f° 139 v°).
38 Ibid., f° 62, 12 mai 1523.
39 Ibid., fos 93-95 et 102-104, août 1523. En fait, ces 2000 livres sont liées à 2000 autres livres que le roi veut pour l'année suivante. A l'origine, aux 1200 livres de base s'ajoutaient 600 1. que le roi entendait prendre sur le droit d'approvisionnement du grenier à sel (ibid., p. 88).
40 Bourges, CC 293, p. 2 et p. 8. Les registres de comptes parlent alors du simple et du double apetissement. Quant au droit de 5 s. 6 d. sur le sel, il n'est doublé que pour le grenier à sel de Bourges. Celui que reçoit la ville sur le grenier de Dun ne l'est pas.
41 Toutes ces lettres sont conservées en original dans la même liasse des archives communales de Bourges (Bourges, arch. comm., AA 13). l ettres des 17 septembre 1523, 24 octobre 1524, 3 mars 1525 (ou 1526), 17 septembre 1525 et 29 février 1526.
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