Chapitre XIII. Célébrer l'accord
p. 207-239
Texte intégral
1Enraciné sur des bases qui laissent apparaître de nouvelles possibilités fiscales, militaires et politiques, entretenu par un dialogue aux formes multiples, l'accord de gouvernement trouve dans la ville des résonances symboliques, festives et rituelles qui à travers toute une série d'actes publics, au quotidien presque, travaillent à en conserver la mémoire ou mieux encore à en élaborer des représentations mentales. Bourges, Poitiers comme Tours offrent, à l'instar de cités plus grosses aux exemples mieux connus (Paris, Rouen, Reims ou Lyon), un catalogue souvent ignoré de ces rituels publics et solennels à la typologie aujourd'hui bien établie. Par leur nature et leur fonction comme par leur forme et leur iconographie, ils permettent de sonder les soubassements idéologiques autour desquels se noue l'adhésion des villes à leur souverain seigneur et se structurent les mentalités politiques. Essentiels donc pour comprendre la culture commune qui s'élabore à l'échelle du royaume, ces divers rituels, dont des relations détaillées sont de plus en plus souvent conservées au sein même des annales municipales, contribuent localement à renforcer l'identité collective et politique des sociétés urbaines. Encore une fois c'est entre 1460 et 1540 qu'ils prennent leur plus grand et leur plus complet développement, au cœur même de cette période qui voit se réécrire en profondeur les relations politiques et sociales au sein du royaume, autour d'une adhésion presque mystique au modèle royal.
Entre culte royal et culte pour le roi : les processions dans la ville
2L'élaboration d'un lien mystique entre le peuple et le souverain reprend aux xve et xvie siècles les formes traditionnelles du culte royal dans les villes : les processions. Il s'agit donc d'un culte public et officiel qui traduit l'existence d'une dévotion royale entretenue par les conseils municipaux comme aussi par les responsabilités religieuses1. Par-delà des formes peu variables, elles révèlent cependant les multiples aspects de la révérence religieuse des villes à leur roi.
La Fête-Dieu
3Parmi les rituels déambulatoires, la Fête-Dieu est la procession royale par excellence. Dans le cadre urbain, cette célébration du Christ Roi prend une dimension politique particulière. Dans cette cérémonie, le rôle des corps de ville est tout à fait important. Bien que les comptes des deniers communs des villes rapportent des dépenses très répétitives et peu variables d'une année sur l'autre (torches, vin, cire...), certaines réalisations plus importantes traduisent le réel investissement des municipalités dans une fête particulièrement populaire. En 1487 à Bourges, la collectivité bourgeoise prend en charge la réalisation du dais porté sur le corps du Christ, l'ancien ayant brûlé dans le grand incendie qui ravagea la ville le jour de la Madeleine2. Les comptes de la ville qui définissent un poste budgétaire spécifique pour cette procession montrent que progressivement les sommes allouées à la préparation de la cérémonie augmentent tant en chiffres absolus qu'en pourcentages. D'une vingtaine de livres en moyenne dans les années 1490 (soit 0,2 % des dépenses) les sommes attribuées à cette procession passent à plus de 100 livres vers 1540 (près de 1,5 % des dépenses), avant d'atteindre (exceptionnellement) 1 000 livres en 1560 (12 % des dépenses totales cette année-là). À cette date, il convient de refaire le dais et de réaliser les robes de tous les représentants urbains3. Hasard de la conservation, peut- être, signe des temps, plus certainement, les registres de comptes au milieu du xvie siècle comportent le détail de plus en plus minutieux des sommes engagées, de leur attribution voire du rôle de chaque participant. Tous les acteurs de la vie municipale y sont désormais conviés par les conseils des villes, les portiers, les sergents et bien sûr les échevins, en bonne place. Les frais municipaux ne se restreignent plus aux dépenses de bouche. La collectivité contribue aux vêtements des bourgeois comme des sergents, au linge et accessoires nécessaires aux célébrations religieuses, aux torches peintes portées par les sergents ou aux trompettes et rétribue encore les différents joueurs d'instruments de musique. Comme le montre une description de la procession berruyère organisée en 1550, les décors historiés s'y multiplient, de nombreux « chapiteaux »sont peints par les artisans locaux sur lesquels se mêlent fleurs de lys, écussons aux armoiries du roi et de la ville4. Les quelques indications fournies par les comptes tourangeaux signalent de semblables réalisations armoriées ainsi que la pose par la collectivité de grandes tapisseries au portail de l'hôtel de ville5.
4Plus encore que par la nature du culte, l'organisation de cette cérémonie illustre le rapprochement entre le roi et le Christ. Implicitement ce temps fort de la liturgie urbaine se charge d'une signification politique car s'y multiplient les associations symboliques des autorités royales et municipales. Il s'agit alors d'un vecteur publicitaire tant à la gloire des souverains des royaumes célestes et terrestres qu'à celle de l'alliance entre les autorités politiques.
Prier pour le roi
5Une seconde série de processions urbaines entreprises sous la direction des corps de ville se tient dans un but explicitement apotropaïque. Si les archives de Tours ou Poitiers fournissent quelques cas qui montrent bien la généralisation de ces processions d'intercession, l'exemple berruyer (pour lequel les comptes municipaux sont bien tenus et les dépenses clairement séparées en rubriques distinctes) permet de saisir leur véritable ampleur. Un état très précis de ces processions peut être dressé (voir tableau n° 12) et révèle la fréquence des cérémonies ainsi que leur objet, voire leurs participants. Sans être non plus entièrement nouveau (une procession pour la santé du roi a lieu à Tours pour Charles VI en 14156, plusieurs cérémonies sont organisées pendant le siège d'Orléans7, d'autres sont encore mentionnées à Tours lors de la guerre du Bien public8), le développement de la prière urbaine en nom collectif pour attirer la protection divine sur le roi ne cesse pas après 14609, bien au contraire, puisqu'il semble prendre son essor autour de 1480 et se développe plus particulièrement après 1500-1510. Les comptes berruyers révèlent l'amplification du phénomène après cette date et jusque vers 1530. Par la suite, si de telles processions ne disparaissent pas, la sensibilité urbaine à l'égard du roi, pour de multiples raisons, ne semble plus s'exprimer d'une façon aussi ouverte et collective. Au plus fort de ce mouvement souvent plus de trois à quatre fois par an (au moins) la dévotion urbaine peut être sollicitée — souvent par le souverain lui-même10 — pour interpeller l'attention divine sur le devenir du royaume.
6Et il s'agit bien de communions collectives, car toute la société urbaine s'y retrouve derrière les représentants municipaux qui organisent le rituel et le clergé. D'une manière générale, les clercs ne semblent pas se soustraire à leur mission et participent pleinement à la communion politico-religieuse. Ils sont les premiers avertis en janvier 1522 de la réception des lettres dans lesquelles François Ier demande au corps de ville de Poitiers l'organisation de prières publiques11. Les Clarisses, à Bourges, semblent particulièrement s'associer aux célébrations de 1514 et de 1518. Le couvent reçoit pour cela des gratifications financières de la collectivité bourgeoise, comme les prêcheurs des quatre ordres mendiants. S'ils enseignent avant tout au peuple la parole de Dieu, en 1542, toujours à Bourges, ils l'exhortent aussi à prier pour la prospérité du roi12. Quant au peuple de la ville, il est bien difficile d'estimer sa participation ou d'interpréter la valeur de certaines injonctions municipales. En 1537, le Conseil de la ville de Poitiers stipule bien que tous les habitants le jour des processions pour le roi doivent tenir leurs boutiques fermées et participer aux cérémonies13. À Bourges, en 1514, les autorités municipales vont même jusqu'à solliciter les prières des pauvres qui se trouvent dans l'Hôtel-Dieu en leur adressant une gratification financière14. L'afflux populaire semble cependant bien au rendez-vous, puisque dans de nombreux cas les portiers et sergents de ville (parfois aux couleurs de la livrée de la ville15) reçoivent une solde supplémentaire pour leur surcroît de travail, alors que les conseils prennent soin de nettoyer les rues empruntées par les cortèges et d'offrir des banquets aux dignitaires qui y assistent (membres du corps de ville, mais aussi officiers royaux).
7Quant aux occasions pour lesquelles ces cérémonies sont célébrées, elles varient en fonction de la conjoncture diplomatique. Toutefois, puisqu'il s'agit de solliciter la bienveillance divine, dans leur grande majorité ces prières collectives tentent d'intercéder pour la santé du roi (voire de la reine16), pour sa prospérité ou celle du royaume et de ses habitants. Tenus bien informés par la correspondance royale ou par un réseau d'information parallèle, les corps de ville mobilisent leur piété autour d'événements très précis liés à l'avenir immédiat du roi ou du royaume. L'espérance d'une naissance royale (comme en 1492) est ainsi soigneusement préparée comme l'est, en 1529, l'attente de la libération des enfants de France17. À l'occasion de périodes troublées (guerre du Bien public ou encore les différentes crises militaires du début du xvie siècle, voire devant la montée des troubles religieux), la paix et tranquillité du royaume font l'objet d'un grand nombre de prières sous la forme processionnelle le plus souvent, mais aussi par la célébration de messes18.
Tableau 12 - Processions urbaines à vocation politique tenues à Bourges entre 1487 et 1560


8D'autres processions « pour le roi »devraient pouvoir être déterminées à Bourges à partir de l'étude systématique des registres capitulaires du chapitre Saint-Étienne. L'étude de celui-ci par B. de Girardot montre en effet qu'il en existe un certain nombre organisées par les autorités ecclésiastiques et qui ne sont pas rapportées explicitement par les registres de la ville, notamment en 1514 et 155419.
Anniversaires, commémorations et remerciements
9L'inventaire des processions berruyères laisse également entrevoir le caractère commémoratif et votif pris par un certain nombre de ces cérémonies. Ces remerciements peuvent trouver une expression ponctuelle, à l'arrivée de certaines nouvelles, ou faire l'objet de cérémonies installées et codifiées dans le calendrier religieux des villes. Le cas berruyer offre une fois de plus les exemples les plus éclatants, avec l'existence de deux cérémonies processionnelles à but commémoratif (l'une dite de la Pucelle, l'autre dite de Normandie) qui marqueront le calendrier liturgique jusqu'au xviiie siècle20. Comme pour la Fête-Dieu, le corps de ville paie la fourniture de torches et rétribue les échevins qui accompagnent le cortège21. Même si le rôle de la municipalité semble s'arrêter à ces quelques considérations (ce qui montre que le clergé en détient l'organisation), même si l'on ne sait rien — ou presque — de leur instauration, ces cérémonies sont des institutions autant royales que municipales qui rappellent des événements liés au milieu urbain. La procession de la Pucelle, à Bourges, ne célèbre en aucun cas le martyre de Jeanne mais la levée du siège de la ville d'Orléans22. À Poitiers, la date anniversaire de la prise de Cherbourg correspond avec la vigile de sainte Radegonde. Le hasard des circonstances allie ici la référence locale (mais royale) avec l'événement national et urbain. Sans aucun doute, la popularité de la sainte locale domine les cérémonies célébrées pour l'occasion, mais la référence à la reddition de Normandie semble tout de même conservée en arrière plan23. À Tours, selon la chronique de Jean Chartier, c'est le roi lui-même qui instaure les processions du 12 août (date de la libération de Cherbourg), alors qu'il passe quelques jours en Touraine en septembre 145024. Quant au succès de ces cérémonies, il semble se confirmer notamment dans la seconde moitié du xve siècle. Le fond mystique et religieux collectif trouve alors un enracinement qui se traduit dans un certain développement rituel. Ainsi, à Bourges, la procession de la Pucelle est doublée par une seconde cérémonie du même type, organisée par le chapitre de la Sainte-Chapelle et résultat d'une concurrence acharnée entre celui-ci et le siège métropolitain. Le maintien de cette seconde procession jusqu'au milieu du xviiie siècle prouve néanmoins la popularité de la fête royale. Son point d'aboutissement dans la ville n'est d'ailleurs pas anodin : il s'agit, après 1504, du couvent de l'Annonciade, fondation de Jeanne de France. De même, le bouleversement du parcours de la procession en mémoire de la reddition de Normandie renforce encore l'attachement urbain à l'ensemble des fondations royales. Après 1470, en effet, celle-ci passe elle aussi désormais devant le nouveau couvent des Clarisses25.
10À ces cérémonies anniversaires institutionnalisées s'ajoutent également des célébrations ponctuelles aux fonctions votives. Ainsi, toute une série de nouvelles sont accompagnées par des célébrations publiques qui n'ont d'autre but que de remercier Dieu de l'aide qu'il n'a pas manqué d'apporter au royaume. Outre les naissances royales qui, presque systématiquement, sont accompagnées de telles cérémonies26, de nombreux actes de la vie politique le sont aussi. En janvier 1477, l'annonce de la mort du duc de Bourgogne est célébrée à Poitiers par la tenue d'une procession27. En août 1488, la capture de Louis d'Orléans voit l'organisation à Tours d'une procession « pour louer Dieu de ces bonnes nouvelles28 ». En 1501, après les victoires royales sur Naples, de semblables cérémonies sont entreprises sous l'autorité du corps de ville. En 1504, il s'agit de rendre des actions de grâces à la suite du rétablissement du roi29, tout comme en 1509, toujours à Bourges, après la signature, dans la ville même, de la paix avec l'ambassadeur de l'empereur30.
11D'autres enfin rendent grâces autant à Dieu qu'au souverain. Il s'agit des processions célébrées à l'occasion des services funèbres de Charles VIII, de Louis XII ou encore d'Anne de Bretagne. En plus des cérémonies religieuses, les villes se parent alors des couleurs royales. Les exemples sont ici encore essentiellement berruyers. À la mort de Charles VIII, les bourgeois font célébrer une messe à Saint-Étienne, distribuent de l'argent aux chanoines et aux vicaires, paient la sonnerie des cloches, offrent une aumône à tous ceux qui se présentent et font mettre des écussons aux armes du roi dans les édifices religieux31. Des écussons aux armes de la reine sont placés par la ville dans le chœur de la cathédrale en février 1514 pour le service funèbre d'Anne de Bretagne et un service des trépassés est également célébré en 151532. Mais c'est en 1505, à l'occasion des obsèques de Jeanne de France, que le corps de ville de Bourges s'attache particulièrement à tenir son rôle. Des robes noires « longues et trainantes »sont réalisées pour le maire et les échevins. Les conseillers de la ville et leurs serviteurs sont également vêtus de noir33 et doivent se tenir dans une procession ponctuée de torches de différentes tailles aux armes de la duchesse, du roi et de la ville.
12Au-delà de leurs dimensions apotropaïques, votives ou commémoratives, toutes ces cérémonies confèrent une dimension affective toujours plus forte au lien de gouvernement établi par ailleurs.
Fêter le roi dans la ville
Utilisation des feux de joie comme célébration politique
13Corollaires laïques des célébrations religieuses, des feux de joie sont régulièrement organisés à partir de la fin du xve siècle pour fêter le roi. Comme pour certaines processions, il s'agit de rituels épisodiques que l'on retrouve en fonction de l'actualité royale. Ces feux et autres « joyeusetés et apparences publicques » (Bourges, 1544) sont mis en place pour la naissance d'un dauphin en 1492, 1518, 1541, ou 1544 à Bourges34 et se tiennent sur les ponts et les principales places des quartiers de la ville (1518), mais aussi devant l'hôtel de ville ou la maison du maire (1492). Au milieu du xvie siècle, ces réjouissances se multiplient et de véritables spectacles de rue se développent en l'honneur du roi. Pour la naissance du futur François II, Jean Glaumeau, observateur attentif de la vie berruyère, en a alors le souffle coupé. Il rapporte non seulement la tenue de processions générales (sur le modèle de celle de la Fête-Dieu), mais aussi la célébration (en présence des maires et échevins en livrée) d'un Te Deum et de plusieurs messes, la construction de théâtres monumentaux et complexes (avec devises latines et feu d'artifice) alors qu'une montre générale de la ville est organisée et que des mystères sont joués. Parmi toutes les « farces et nouvelles »célébrées alors, le temps fort de la cérémonie publique semble, d'après Glaumeau, résider dans la série de feux (cinq ou six) réalisés par les rues. Le premier a lieu devant les Grandes Écoles et pour Glaumeau il permet de résumer tous les autres. Il s'agit alors presque d'un véritable théâtre illustré et armorié fait de bois, de fagots, de chapeaux de triomphe en lierre, et de poudre qui s'embrase à l'arrivée de la procession urbaine (et en particulier devant les représentants urbains qui en payent la réalisation). Le bruit est ici un effet particulièrement recherché et renforcé encore par la présence de trente ou quarante gros canons. Accompagnée d'une distribution de gâteaux (toujours aux frais de la ville), la cérémonie se caractérise aussi par la distribution de « testons »commémoratifs (lancés à la foule, en fait), portant d'un côté les armes du dauphin, de l'autre une devise marquant la fidélité berruyère (Puer natus est nobis et filiuis datus est nobis). Présentation symbolique des félicitations du peuple berruyer au roi qui révèle l'union du royaume et insiste sur le renforcement de la dynastie des Valois35. Des cérémonies plus succinctes sont également mentionnées pour la même occasion à Tours et à Poitiers36. Les comptes de la municipalité de Bourges révèlent une utilisation régulière de ces feux de joie pour célébrer certains faits diplomatico-militaires : la prise de Ludovic Sforza en avril 1500 (feux de joie demandés expressément par lettres closes de Louis XII37), la paix signée avec le roi des romains en 150238, ou encore pour l'élection du pape en 150439, le mariage de Claude de France avec le duc de Valois en 150640. En 1509, des feux de joie accompagnent également la paix signée à la Sainte- Chapelle de Bourges avec l'ambassadeur de l'empereur et d'autres célèbrent en mai la victoire du roi sur les Vénitiens41. À Poitiers, de semblables cérémonies ont lieu en 1536 pour fêter la victoire royale sur l'empereur42.
14Malgré l'ampleur de ces cérémonies, le développement de telles festivités urbaines pour l'honneur du souverain doit être cependant rapporté au fait qu'elles sont, le plus souvent, sollicitées par le roi lui-même (par lettres closes ou mandements). Il n'en demeure pas moins notable qu'elles sont particulièrement développées sous Louis XII et contribuent certainement à l'élaboration de son image de bon père du peuple. Bien que par la suite leur nombre semble diminuer, plusieurs exemples, tant berruyers que poitevins, montrent cependant que la part de spontanéité y est peut-être plus forte43 et que l'ensemble des actes sont moins conditionnés par la demande royale44. Leur développement en tout cas au milieu du xvie siècle rejoint les formes presque excessives que prennent les cérémonies solennelles organisées à l'occasion de la première entrée du roi dans sa bonne ville.
Les entrées royales : évolution du rituel d'accueil entre 1460 et 1540
15Théâtres, discours harangués, parcours dans les villes, ou encore cadeaux municipaux, autant d'éléments produits par des bourgeois qui sont significatifs de l'émergence d'un sentiment royal et d'une opinion publique urbaine45. Si les premières entrées solennelles remontent à la première moitié du xive siècle dans le nord de la France, il faut attendre plus d'un siècle pour voir ce type d'accueil prendre un second souffle. Dans les villes du centre, cette situation tient certainement aux conditions historiques et politiques particulièrement troubles de la première moitié du xve siècle, mais aussi, à une maturation tardive du rituel. Toutefois il existe tout de même quelques traces de ces accueils révérencieux avant 1450. En 1421, Marie d'Anjou est reçue à Tours par les dames de la ville qui vont la chercher hors des murs46. Un dais semble avoir été porté à Tours en 1423 à l'occasion de la première entrée de Charles VII en tant que roi47, des cérémonies quelque peu élaborées sont également bâties en 1436 sur le passage de Marguerite d'Ecosse, tant à Tours qu'à Poitiers (et qu'à Niort ou La Rochelle où elle a débarqué48). Cependant quelques années plus tard, devant Louis XI à Tours des cérémonies conséquentes sont préparées49 et les artistes les plus renommés de la ville sont conviés à leur réalisation (Fouquet, par exemple). Mais, le roi « n'y prenant aucun plaisir »refuse tout net les festivités préparées par le corps de ville. Souci d'économies et de modestie ? Peut-être, mais l'ensemble de la cérémonie ne semble pas pour autant être annulé. L'entrée, recentrée sur des temps forts traditionnels, retrouve alors un rituel davantage en relation avec ceux des villes du centre de la France.
16Les entrées royales de Bourges, Poitiers ou Tours mériteraient à elles seules une étude particulière tant les exemples sont nombreux, les réalisations développées et la documentation prolixe50. Ces trois villes, en raison de leur situation géographique, fournissent une bonne vingtaine d'entrées solennelles entre 1460 et 1550, auxquelles il est possible d'ajouter une petite dizaine d'entrées de souverains étrangers ou de seigneurs apanagés dont les cérémonies d'accueil relèvent de rituels très proches (voir tableau n° 13).
Tableau 13 - État récapitulatif des entrées solennelles à Bourges, Poitiers et Tours


Avant 1480 : des entrées au fort caractère féodal. Le primat du rituel
17Avant 1480-1490, l'ensemble des cérémonies trouvent leur homogénéité autour des fondements politiques du rituel d'accueil. Celui-ci apparaît presque brut dépouillé de toutes considérations extérieures et montre que ce qui prévaut est l'acte solennel de prise de possession de la ville par le roi, acte de soumission vassalique de la cité et du pouvoir collectif qui la dirige. Aussi, à Poitiers comme à Tours et à Bourges, l'attention municipale se porte presque exclusivement sur les symboles de ce lien politique : le dais et les présents. Si au cours de cette première période il est difficile de connaître les éléments décoratifs placés sur les « poêles »présentés par les villes51, les registres de comptes fournissent davantage de renseignements sur les cadeaux. Poitiers en 1461 dépense plus de 300 écus pour offrir de la vaisselle d'argent52, tandis que la même année, à Tours, les bourgeois recherchent les conseils de Fouquet (et d'autres artisans locaux) pour la réalisation du dais présenté au roi et d'une nef en argent offerte à la reine53. Plus de 3 400 livres seront dépensées par ces derniers en 1484 pour offrir à Charles VIII 300 marcs d'argent en vaisselle54. La présentation solennelle de ces cadeaux avec la remise des clefs de la ville au roi55, constituent les temps forts des cérémonies qui s'accompagnent parfois de réjouissances musicales (à Poitiers, en 1461, des enfants viennent accueillir le roi en chantant56 et à Tours en 1476 des musiciens sont rétribués pour l'accueil du roi de Portugal57), voire de joutes (Bourges, en 1465) ou de présentations d'armoiries. Ces dernières, présentées parfois en grand nombre (400 à Bourges devant Louis XI en 147558), viennent compléter un décor urbain simple (les rues sont « tendues ») qui, à l'instar du reste de l'accueil, confère à la cérémonie une certaine sobriété, renforcée encore par des harangues municipales aux objectifs politiques manifestes59.
18Les temps forts de l'accueil restent alors les actes symboliques bien connus (le franchissement des murs sous le dais, les harangues, les cadeaux). Lorsque Louis XI se présente à Poitiers en décembre 1461 la principale préoccupation des conseils municipaux est de veiller à la confection du dais porté sur le roi et du cadeau que la collectivité se doit de lui faire. Une cinquantaine d'années plus tard, à l'occasion de l'arrivée de François Ier, Jean Bouchet (suivant le rapport qu'il en fait dans ses Annales dAquitaine) ignore presque totalement les grandes étapes du rituel public et politique pour s'étendre sur la magnificence des théâtres présentés au souverain (et qu'il a peut-être réalisés, il est vrai). La cérémonie a alors franchi un certain cap.
1480-1520 : maturation des éléments décoratifs et illustratifs
19Lentement en effet, et de façon assez commune à ce que l'on connaît par ailleurs, le rituel est complété par des célébrations annexes. Déjà, en 1484, à Tours, devant Charles VIII, plusieurs mystères célèbrent le roi Clovis et présentent le jugement de Salomon60. Si l'on ne peut pas dire qu'il s'agisse véritablement de représentations municipales (la ville n'offre que 20 livres pour leur réalisation), celles-ci marquent le développement général d'un caractère festif dans les entrées solennelles.
20Celui-ci passe tout d'abord par la diffusion d'une imagerie parfois complexe, aux ambitions moralisatrices et politiques. Si à Bourges en novembre 1491 devant Charles VIII la municipalité fait encore réaliser plusieurs échafauds présentant à la porte Saint-Suplice des mystères sur lesquels figurent différents « portaits61 », l'année suivante à Tours, près de six théâtres attendent Anne de Bretagne dans une cérémonie qui, déjà, a une tout autre envergure. Cette fois l'assemblée de la ville engage le budget urbain dans des dépenses assez considérables (plus de 1 700 livres pour la réalisation du dais, du cadeau — une galée d'argent — et des échafauds). Sont présentés les mystères des Sibylles (devant le château), ceux du roi Salomon (sur la place Foire-le-Roi), ceux de sainte Anne (devant la maison de Pierre Carié) et ceux d'Assuerus (au portail de Notre-Dame-la-Riche62). Deux fontaines et deux échafauds (pour des mystères63) sont également présentés en 1494 à Bourges devant Anne de Bretagne et le roi64, alors qu'en 1498, devant César Borgia, la porte Gordaine est habillée de décors65. À partir de cette date, l'aspect festif arrive à une maturité certaine, même si chaque nouvelle entrée royale marque une graduation supplémentaire dans l'élaboration des décors, des théâtres et du discours urbain. Tant en septembre 1498 qu'en novembre 1501, la municipalité tourangelle ponctue sa cité de représentations théâtrales aux compositions toujours plus complexes dont l'ordonnance occupe plusieurs commissions de bourgeois mises en place plusieurs mois à l'avance par le conseil de la ville66. En 1506, à Bourges, cinq échafauds sont construits (porte Gordaine, bastille Saint-Sulpice, porte Saint-Sulpice, devant l'hôtel de ville et le dernier devant la maison de Guillaume de Varie), sur lesquels sont présentés le miracle de notre Dame (du Fourchaud67), celui de saint Antoine de Padoue, alors que dans la ville, devant le cortège royal, se développe une cérémonie déambulatoire composée d'un char de triomphe qui promène par les rues la figure de Diane, entourée de danseurs et peut-être aussi de Bacchus 68.
21Cette iconographie à vocation symbolique et politique trouve un premier apogée autour de 1520 avec les réalisations poitevines pour accueillir François Ier. Les théâtres construits alors (peut-être réalisés par Jean Bouchet) peuvent à eux seuls presque résumer toutes les tendances qui s'ébauchent depuis 1480. Trois grandes représentations entremêlent éléments religieux, symboles royaux et urbains, dans des mises en scène structurées et symboliques, reprenant l'ensemble des supports développés depuis quarante ans (arcs et chapeaux de triomphes, panonceaux, échafauds, fontaines, écriteaux, théâtres tournants69...).
22À côté de ce développement iconographique et théâtral, les éléments de décoration gagent aussi le rituel politique. Les dais s'enrichissent des armoiries royales, parfois répétées en grand nombre (110 fleurs de lys et autant d'hermines sur le ciel porté sur Anne, en 1500, à Tours70) et présentées avec les symboles royaux dans des structures de plus en plus élaborées71. Les cadeaux sont, de la même manière, de plus en plus remarquables. Aux pièces de vaisselle (que l'on n'hésite pas à multiplier, même pour l'accueil des grands princes du royaume72) succèdent des présents qui reflètent soit la personnalité urbaine (comme en 1487 à Poitiers où le corps de ville offre un oiseau symbolisant une hypothétique origine étymologique de la ville73) soit la personnalité royale. En 1500, le corps de ville de Tours dépense 440 livres pour une nouvelle nef présentée à la reine (voir figure 174) et plus de 1 000 livres pour offrir au roi une coupe argentée contenant plus de 60 pièces d'or conçues par Michel Colombe, dont chacune porte la devise du roi d'un côté et le porc-épic allié aux armes de la ville de l'autre75. De même, alors qu'une salière en or massif (en forme de cabane dorée) est présentée à Anne de Bretagne, une médaille est offerte à Louis XII lorsqu'ils se présentent à Bourges en 1506. D'après la légende qui en orne le milieu (recopiée par Jean Chaumeau, dans son Histoire du Berry...), ce « petit présent » (minusculo) des Berruyers compare Louis XII au dieu Pan, gardien des brebis et guide suprême des bergers76. En 1520, à Poitiers trois images d'or et d'argent sont réalisées pour François Ier, la reine et Louise de Savoie. La première reprend le cerf royal, la seconde est une représentation de sainte Radegonde et la troisième montre un lys au milieu d'un bassin77. De manière similaire, bien qu'il soit assez difficile d'en connaître le contenu, les harangues municipales prennent des formes qui progressivement se démarquent des simples discours de bienvenue. Tel est le cas des « oraisons »tenues à François Ier par le maire de Poitiers en 1520. Chargés de citations et de références testamentaires, elles présentent de façon élégante la soumission urbaine à l'autorité royale. Quant au basique et médiocre « vireluy »récité en 1487 par le fils du maire de Poitiers et qui accompagne la remise du cadeau à Charles VIII, il est lui aussi transformé sous François Ier en une composition plus élaborée, aux ambitions poétiques et stylistiques certaines78.
23Autant d'éléments qui montrent qu'au début du xvie siècle, l'entrée royale dans les villes du centre de la France a acquis une dimension festive qui dépasse le seul cadre politique d'un rituel public très codifié et peu variable. L'entrée solennelle joue par conséquent le rôle d'un vecteur publicitaire et n'a cependant pas fini de se développer.

Figure 1 - Nef présentée à la reine Anne par les bourgeois de Tours (et depuis transformée en reliquaire par la souveraine). Reims, Palais du Tau, musée du Sacre (cliché CMN).
L'apogée festif : 1530-1550
24Les années 1530-1550 marquent la dernière étape dans la transformation de ces rituels d'accueil. Si les entrées sont assez peu nombreuses, elles sont souvent bien documentées. Elles se caractérisent par une certaine explosion décorative et festive dans la ville et se rattachent aux entrées qui vont se développer dans la seconde moitié du xvie siècle (et jusqu'au début du xviie siècle79). En effet, à partir de 1530, la rencontre avec le roi prend des proportions inconnues jusque- là, comme on le constate à Bourges et à Tours, qui accueillent en 1533 la reine Éléonore et les enfants de France, ou encore à Poitiers lorsque, en 1539, Charles Quint est reçu selon les ordres de François Ier « avec autant d'honneur et obéissance qu'on les peult fayre a nostre propre personne80 ». Les décors bâtis en 1551 et 1560 à Tours devant Henri II puis François II laissent augurer de semblables développements81.
25S'il n'est pas possible ici de dresser un portrait général de cérémonies dont les fastes théâtraux se développent presque sans fin et, en pleine Renaissance, reprennent à leur compte les modèles antiques (le dieu Pan dans un théâtre à Bourges en 150682, Hercule à Poitiers en 1539 ou à Tours en 1516), il convient au moins de mesurer l'exubérance prise par les formes traditionnelles du rituel public. Si les principales étapes restent les mêmes (accueil sous les murs avec harangue, remise du dais, présentation des cadeaux et entrevue entre le roi et les échevins), chacune d'entre elles voit les actions des municipalités décuplées par rapport à ce qu'elles étaient trente ans auparavant. L'accueil qui traditionnellement se faisait devant une des portes de la ville est repoussé « aux champs », parfois à plusieurs lieues de la ville, ce qui laisse la possibilité à tous les ordres constitués de la cité de se montrer et parader en livrée le long du parcours royal, avant que le cortège s'enfonce dans les rues étroites de la cité83. D'une façon générale, les entrées deviennent de véritables gouffres financiers qui obligent les municipalités à recourir à l'emprunt. La coupe présentée à Tours en 1533 revient à plus de 400 livres, tandis qu'à Bourges, la même année, plus de 1 100 livres sont dépensées dont plus de 650 pour les différentes pièces d'orfèvrerie offertes. La ville emprunte alors plus de 900 livres à des particuliers84. Le coût du cadeau d'orfèvrerie présenté à Charles Quint par la ville de Poitiers demeure inconnu, mais incontestablement les Poitevins ont dû engager de lourdes sommes pour une réalisation qui dépasse tout ce qu'on a pu faire jusqu'ici. Elle montre le lys royal et le phénix impérial au centre d'un jardin (voir figure 3). Si les dais, pièces maîtresses de la cérémonie, ne peuvent que difficilement être plus développés par rapport à ce qu'ils étaient déjà vers 1520, les « oraisons »municipales se multiplient (six sont adressées à l'empereur et aux princes qui l'accompagnent en 1539), alors que les officiers royaux, de plus en plus présents dans l'organisation des cérémonies, dirigent et structurent plus largement le discours urbain présenté au souverain85.
26Ainsi au long de cette évolution, dimension symbolique se déplace progressivement. Si encore au milieu du xve siècle, celle-ci se basait sur une ritualisation résultant du lien féodal entre les villes et leur souverain, désormais l'exaltation du souverain sous son dais comme centre de la cérémonie, traduit la première place donnée à la communion politico-mystique. La dimension affective se veut ici un outil essentiel de la conscience politique commune en gestation, et rappelle par ailleurs d'autres célébrations autour d'actes privés de la vie royale86. Quant à l'explosion festive marquant le second quart du xvie siècle, elle est corroborée par les caractéristiques rituelles ou décoratives qui apparaissent à Rouen, Lyon, Paris, La Rochelle ou encore bon nombre d'autres bonnes villes du royaume de France87. Ces grandes fêtes que sont les entrées royales ne se réduisent pas pour autant à de grandes actions de grâces. La production par les corps de ville d'une iconographie développée et d'un véritable discours renforce encore leur fonction dans la construction des mentalités politiques des citadins.
Pouvoirs représentés, pouvoirs en représentation : l'image du roi dans le discours urbain à l'occasion des entrées royales
27Des panonceaux les plus simples, mêlant armoiries et écussons, aux réalisations théâtralisées les plus complexes, les villes présentent à l'occasion de ces entrées royales une iconographie particulière dont les thèmes, à la suite des travaux de F. Lehoux et B. Guénée, ont largement suscité l'attention d'historiens autant attachés à l'étude des formes théâtrales qu'à l'analyse de leurs fonctions politiques88. Loin de développer une apologie béate du souverain qui se présente, les corps de ville dès la fin du xve siècle prennent un soin toujours plus grand dans l'organisation de ces images et conçoivent de véritables programmes iconographiques dans lesquels ils manifestent, là aussi, une personnalité politique singulière.
28Les documents berruyers, poitevins ou tourangeaux ne permettent pas de mener un décryptage systématique de chacun des éléments décoratifs. Ils en offrent des rapports écrits qui détaillent ces éléments parfois avec beaucoup de précisions mais qui n'ont pas les vertus illustratives de l'image. Seul l'arc de triomphe élevé à la porte de La Riche à Tours en 1551 fait l'objet d'une illustration imprimée (voir figure 2), et il est bien difficile d'imaginer d'après les rapports écrits ce que furent ses homologues poitevins ou berruyers même s'il s'agit là d'un des éléments les plus courants des fastes du xvie siècle. S'il est donc illusoire de vouloir formuler une description méticuleuse de chacun de ces éléments, en revanche d'une cité à l'autre des tendances se dégagent. Elles montrent des représentations idéalisées du gouvernement public en pleine mutation (pour une présentation synthétique des principaux théâtres, voir tableau n° 14).
Au xve siècle : les mystères, miroirs politico-religieux pour le prince
29Mises à part les cérémonies poitevines, dans lesquelles les éléments théâtraux sont curieusement absents, la seconde moitié du xve siècle est marquée par l'omniprésence des mystères89. La quasi-totalité des scènes présentées pendant cette période relève soit de ces représentations religieuses soit de l'image connue et déjà bien développée de la fontaine. Dans le premier cas, il ne s'agit de mystères qu'au sens large du terme car d'après ce que l'on peut en déterminer ces cérémonies ne rapportent que rarement des drames liturgiques. Bien que la Passion soit peut-être jouée à Bourges en 1500 devant Louis XII90, la plupart du temps les figures présentées au roi relèvent plutôt du récit de miracles, témoignant de l'intervention divine en faveur d'un personnage pris comme modèle politique ou religieux pour le souverain qui fait son entrée.
30Cependant, les représentations possèdent des vertus moralisatrices précises et diverses. Certains parallèles tentent tout d'abord de replacer le roi dans l'histoire d'une royauté particulièrement protégée par Dieu (présentation de Clovis à Tours en 1484 ou de sainte Anne en 1491). D'autres sont davantage tournés vers les vertus politiques que doit détenir le souverain pour assurer le bon gouvernement du royaume. Tel est l'objectif des comparaisons avec certains grands rois de l'ancien testament, comme David, Salomon (plus particulièrement de son jugement, à Tours en 1484 et Poitiers en 1520). La reine fait également l'objet de personnifications semblables. En 1492, àTours, lui sont présentés les mystères du roi Salomon et de la reine de Saba, ceux d'Assuerus (et par conséquent d'Esther), ou encore en 1500 d'Esther (sans mention d'Assuerus cette fois) et de Judith91. Dans la seconde moitié du xve siècle, les éléments théâtraux présentés à Tours notamment rejoignent donc ceux que l'on peut observer à l'occasion de certaines entrées parisiennes de Louis XI (en 1461) ou celles effectuées par Charles VIII entre 1484 et 1486 à Rouen, Paris ou Troyes, analysées par Elie Konigson92.

Figure 2 - Arc de triomphe dressé devant Henri II en 1551 à Tours (porte de La Riche). D'après Lentrée du tres heureux et joyeulx advenement du roy, puissant et magnanime Henry de Valois, en sa noble ville de Tours, plaisant Jardin de France ; le cinquiesme de may 1551, Tours, 1551, imprimé par J. Rousset, 8 p.
Tableau 14 - Représentations théâtrales proposées dans les entrées royales à Bourges, Poitiers et Tours entre 1461 et 1540



31Toutefois, le temps fort de l'utilisation de ces éléments religieux dans les théâtres reste la fin du xve siècle. Après 1500, les comparaisons avec les personnages religieux s'estompent presque, en parallèle d'ailleurs avec l'émergence des références aux dieux antiques93. En fait, la référence chrétienne ne disparaît pas totalement, mais connaît dans le premier quart du xvie siècle une certaine mutation. Les éléments religieux deviennent plutôt des repères symboliques qui donnent sens à des compositions dont un discours politique est plus marqué comme le montre l'échafaud rond dressé en 1520 à Poitiers. Une valeur chrétienne, la « Foy », présentée sous les traits d'un personnage couronné, vêtu d'une robe de taffetas cramoisi, semée de croix d'argent tient dans chacune de ses mains le livre et la croix94. D'après l'écriteau-légende qui accompagne le tableau, elle garde le lys de France, au même titre que la Salamandre chasse les gens mauvais95. En fait, de plus en plus souvent au xvie siècle, le renvoi aux valeurs religieuses se fait sous forme de citations bibliques, non traduites du latin, placées à l'intérieur des tableaux sur des écriteaux. Elles peuplent toutes les figures présentées à l'empereur à Poitiers en 1539 et leur confèrent une fonction moralisatrice. Elles offrent aussi aux spectateurs qui les regardent un niveau de lecture supplémentaire, alors qu'une symbolique parfois compliquée apparaît.
32À une iconographie qui travaille à la représentation d'une royauté incarnée, après 1500 succèdent des scènes plus abstraites et dont la symbolique traduit un bouleversement des modèles politiques. Pour en avoir la clef, il convient d'analyser les différentes thématiques iconographiques qui émergent dans la première moitié du xvie siècle et qui remplacent progressivement la référence aux mystères.
Émergence d'une personnification symbolique de la ville (début xvie siècle)
33Dans la nouvelle représentation symbolique et imagée de l'ordre du royaume qu'offrent les théâtres urbains, l'émergence de la personnification de la ville est au début du xvie siècle le phénomène le plus marquant. Cette maturation identitaire est nette à Poitiers comme àTours96 et se confond avec le développement d'un autre phénomène, la recherche par les corps de ville d'origines antiques et illustres.
34Le fait se manifeste particulièrement à Tours, bien que l'on ne puisse pas dire grand-chose de la teneur exacte de certaines scènes étant donné le faible nombre de détails que fournissent les sources municipales. Cependant il est clair que plusieurs personnages renvoient explicitement à l'histoire de la ville. Hugon (ou Hugo), tout d'abord, dont une des tours et portail de la cité tire son nom, et Turnus, roi des Rutules, tous les deux présentés sur le même échafaud tant en 1497 qu'en 1500 aux portails de la cité (de Feu Hugon et de La Riche). En 1551, la figure du second est reprise dans le présent en argent offert à Henri II (alors que Lavinia est présentée à la reine97). L'histoire du rival d'Énée (tué par celui-ci, mais après avoir été l'auteur de prouesses remarquables98) est difficile à interpréter dans le cadre de ces entrées. Turnus ne semble pas permettre une comparaison avec le roi accueilli par les bourgeois, mais il est aisé de comprendre le lien étymologique que l'on peut vouloir entretenir avec le nom de la ville sur laquelle on pense certainement faire rejaillir les vertus militaires ou politiques d'un héros dont la figure est développée par Virgile. D'après ce que l'on peut déterminer du théâtre qui en 1500 le présente, celui-ci est bien le personnage central d'une scène dominée par l'écu de la ville99 et sur laquelle se trouvent également trois demoiselles représentant trois vertus (Foi, Espérance et Loyauté). Celles-ci ne sont pas des vertus royales, ni même celles du bon gouvernement du royaume. Il s'agir cependant des valeurs que doit entretenir un corps de ville. La première de ces vertus tient d'ailleurs dans ses mains l'écu de la ville dans lequel les armes urbaines sont associées au lis royal.
35De la même manière, Poitiers, cité où le poids du passé est encore largement présent dans la topographie (les arènes romaines ne seront détruites qu'au xixe siècle...), se cherche des origines prestigieuses et si possible antiques. En 1539 à l'entrée de la ville (porte de La Tranchée), deux médailles « en bosse »représentent Hercule et Agathyrsus. Un quatrain latin qui surmonte cette représentation explicite la figure et signale que les Poitevins sont les descendants de ce second héros antique lui-même fils d'Hercule100. La construction présentée en 1520 devant François Ier est plus originale encore car elle ne relève pas du procédé comparatif. Cette fois la ville s'identifie sous les traits d'un personnage créé pour l'occasion. Poitiers devient alors un grand homme, vêtu « selon l'ancien temps », dont une légende écrite en français souligne les humbles mérites :
« Je suis Poictiers, c'est a dire esprit coy,
Qui le mien nom change et diversifie.
Si je suis pauvre, et n'ay gramment de quoy,
J'ay bon vouloir, de ce me glorifie.
Ma langue est grosse, et ne me magnifie
En mon avoir, esprit, sçavoir, science,
Et suis tousjours, aucun ne s'en defie, Pauvre et loyal, et plain de patience101. »
36Proclamation de la modestie des Poitevins pour mieux souligner leurs mérites moraux. Placée à la gauche de la Nation France qu'elle encadre avec le cerf royal, cette dernière personnification urbaine insère la ville dans une représentation idéalisée du royaume. La ville entend par conséquent jouer un rôle dans l'ordre symbolique du gouvernement ou de ce qu'il faut désormais appeler la chose publique.
Développement des images du bon gouvernement du royaume (première moitié du xvie siècle)
37Incontestablement les représentations théâtrales proposées à Poitiers devant François Ier et la reine en 1520, puis devant Charles Quint en 1539 sont des occasions exceptionnelles pour comprendre dans quelle mesure le discours urbain se différencie franchement de ce qu'il était encore en 1500. Le phénomène principal et nouveau semble être la production d'images complexes relatives à l'ordre général du royaume. Celles-ci s'appuient parfois sur une iconographie traditionnelle, mais la dépassent également pour créer de nouvelles associations symboliques peut-être plus ancrées sur la vie politique du royaume.
38De façon assez traditionnelle les représentations du royaume à la fin du XVe utilisent la symbolique de la fontaine ou prennent la forme du jardin de France. Tours en offre des représentations simultanées et importantes en 1500 devant Louis XII et Anne de Bretagne. Le nom des personnages présentés dans le jardin installé à un des carrefours de la ville permet de comprendre rapidement l'ambition de la scène : il s'agit d'une alliance entre des vertus royales (Justice, Prudence, Libéralité), religieuses (Miséricorde, Église) et sociales (Noblesse, Labeur), dont l'équilibre procure au royaume de France paix et prospérité102. Si de tels jardins ne se retrouvent pas explicitement dans les exemples poitevins du xvie siècle, les vertus rabelaisiennes des fontaines connaissent un certain succès. En 1520, la « Royal et francisque fontaine »jette par quatre têtes de lions du vin clairet distribué aux passants par plusieurs pasteurs chantant « vaudevires et chansons a plaisir ». Placée dans un jardin de verdure, accompagnée de légendes qui ne laissent aucun doute sur les vertus du breuvage qui y coule (« vinum novum, amicus novus »), elle n'en demeure pas moins un élément décoratif simple qui présente le symbole de l'autorité politique supérieure, source de tout pouvoir et irradiant le royaume du « vin de justice », comme le souligne un tableau accroché à son abord103.
39D'autres théâtres traduisent une représentation plus élaborée de l'ordre politique du royaume. Deux d'entre eux, bâtis à Poitiers en 1520, rassemblent des personnages multiples auxquels une mise en scène précise et étudiée confère un sens bien précis. Le premier est un théâtre en rond dressé sur la place de Notre- Dame-la-Grande. Il présente sur un échafaud, dont la partie centrale tourne sur elle-même, un lis de 12 pieds de haut, au feuillage verdoyant, lui-même monté sur un trône et avec des fleurs dorées et argentées. À ses tiges se raccrochent, à gauche, l'écu du roi de France, à droite, celui de la reine, tous les deux accompagnés de légendes et des emblèmes royaux respectifs. Au-dessous, les armoiries de Louise de Savoie sont attachées au tronc de la plante. L'allégorie est complétée par la présence autour du trône de douze beaux et jeunes enfants, bien habillés avec sur la tête des chaperons de taffetas vert. Ils symbolisent les douze pairs de France dont ils portent les bannières respectives. À tout cela s'ajoutent de part et d'autre de cet ensemble deux autres personnages : une jeune fille, personnification de la « Foy », tenant un livre et une croix, et un jeune homme représentant le roi. La légende qui accompagne la scène donne à chaque personnage sa dimension et son rôle politique :
« Puis que la Foy garde le Lys de France,
Et le bon roy franc, doublement françois,
La Croix tiendra ton peuple sans souffrance
En seure paix, de tout espoir reçois.
La Salemandre, et le feu qu'apperçois,
Les gens pervers chastent du tout arrière.
L'Ermyne y est, qui par douce manière,
Humainement entretient tous les bons.
Les douze pers, par joye singulière,
Grâces à Dieu rendent de si grands dons104. »
40Ici, ce n'est plus l'ordre féodal qui règne, puisque le lis, incarnation de la nation française, est placé en avant. L'objectif semble plutôt de montrer l'équilibre politique qui prévaut au bon gouvernement de la nation et qui s'exprime au sommet de l'État, entre le souverain, les pairs de France et la reine.
41Dans ce panorama illustratif de l'ordre socio-politique du royaume, les communautés urbaines ne sont pas non plus oubliées. En effet, le second théâtre, dressé en 1520 à la porte Saint-Ladre, montre une jeune fille, qui symbolise la France, couronnée d'or et vêtue de taffetas azuré. Elle est assise dans une « chaire de paix »(elle-même placée au milieu d'un cadre de verdure naturelle « par artifice d'Italie ») et dort, la tête posée sur ses bras. Sa tranquillité est assurée par les deux personnages qui l'entourent : d'un côté la personnification de Poitiers déjà évoquée, et de l'autre le cerf royal. Autour, dix jeunes filles représentent les dix nations chrétiennes et encadrent légèrement en contrebas la scène centrale105. Si, comme l'a montré A.-M. Lecoq, les multiples écriteaux accrochés aux diverses pièces de cette scène s'attachent à mettre en relief une thématique royale bien connue (celle du « bien aimé106 »), le message général de cette représentation est simple : la France servie par son roi et son peuple (en l'occurrence celui de Poitiers) entretient la paix entre les nations, idée que vient soutenir un écriteau en langue vulgaire placé à côté du théâtre :
« Avecques France, un franc cerf se maintient.
Servant a Dieu, servy de ses servans.
Lesquels en paix très bien il entretient,
Tant que les loix sont tousjours observans.
Des nations et païs reservans
Coeur partial, il conserve sa dame,
C'est le franc cerf, prince des conservans, Que nous devons servir de corps et d'âme107. »
42L'occasion est donc trop belle pour la ville de rappeler au jeune prince que l'alliance politique qui préside au bon gouvernement ne concerne pas uniquement les hautes sphères du pouvoir, mais que les corps constitués du royaume que représentent les collectivités urbaines sont tout aussi essentiels. Autant de solutions qui permettent de diffuser le sentiment de l'unité et de la solidarité nationale et plus encore de rappeler que le pouvoir royal n'est que le résultat d'un consensus entre les principales composantes socio-politiques du royaume.
Les images de Paix, véritable discours urbain vers le souverain : autour de l'accueil à Poitiers de Charles Quint (décembre 1539)
43L'arrivée de Charles Quint à Poitiers en décembre 1539 permet de façon exceptionnelle de saisir un autre aspect du discours urbain, encore plus général, mais qui s'inscrit dans le prolongement direct des quelques tendances qui viennent d'être dégagées à partir des représentations tourangelles et poitevines du premier quart du xvie siècle. Là, il n'est plus question de dresser des représentations idéalisées du gouvernement royal, mais plutôt de diffuser un message politique s'inscrivant, au vu des circonstances, dans le développement de la diplomatie royale. Plus précisément, dans un contexte politique d'accalmie et de concorde - provisoire — entre la France et l'Espagne, il s'agit d'accréditer un discours pacifiste et pacificateur à travers de nombreuses « images de paix ».
44D'après ce que l'on connaît du voyage de Charles Quint, l'accueil poitevin est le plus brillant de tous ceux réalisés sur le territoire français (quatre théâtres contre deux seulement à Paris108), certainement en raison du fait qu'un certain nombre de princes du royaume ont rejoint l'empereur quelque temps auparavant. L'ensemble des décors qui sont installés mais aussi des présents, ou des « oraisons »conçues pour l'occasion, s'inscrivent dans la quête d'une paix durable, paix qui semble la finalité de tout bon gouvernement comme le signifiaient déjà, dans une certaine mesure, le jardin de France ou encore les figures allégoriques présentées à Poitiers en 1520.
45Les « ymages de paix »s'expriment tout d'abord à travers des signes simples du décor urbain mis en place pour l'entrée : alliance des armoiries royales et impériales installées sur les draps qui servent à « tendre les rues ». Le premier arc de triomphe, installé à la porte de la Tranchée, après le théâtre présentant Hercule et Agathysus, reprend le motif en le développant. Pendent « entrellassés l'ung dedans l'autre109 », sous deux couronnes, les armes respectives des deux souverains, ainsi que les insignes de la Toison d'or et de l'ordre de saint Michel, accompagnées de plusieurs citations testamentaires. Celle qui domine la scène est claire : « Quos Deus conjunxit, homo non separet » (Mt, XIX, 6). Enfin, sur un des piliers de l'arc, une légende en français traduit ces quelques mots et enrichit encore l'alliance :
« Ceulx qui de Dieu sont conjoinct par sa grâce,
Homme jamais ne pense séparer.
Leurs cueurs vivront, sans eulx désemparer,
En union, quelque chose qu'on face110. »
46Une composition plus complexe reprend l'association des armoiries royales à la place du Marché Vieil. Il s'agit d'un théâtre construit par les gens de l'Université (dont certains membres sont placés au bas de l'échafaud) et qui présente un chapeau de triomphe sur lequel sont accrochés trois écussons. Ceux-ci reprennent les armes et les ordres de l'empereur, du roi et, en dessous, celles de l'Université, dont on cherche ici à démontrer la qualité politique des enseignements. Cette trilogie est transposée dans une scène qui présente en dessous trois personnages, dont celui du milieu (« Unitas », personnification de l'Université, couronné de laurier) assure par des liens symboliques le rapprochement des écus des deux autres, identifiables par leurs attributs vestimentaires. Il serait trop long ici de mentionner tous les écriteaux qui illustrent et expliquent un tableau savamment organisé. Un d'entre eux, accroché à un des piliers, résume l'ambition politique de la scène présentée à l'empereur :
« Droict, équité, loix et toute bonté
Le regne auront, et l'Université,
Puis qu'un amour vous a conjoinct ensemble,
Lequel discord jamais desassemble
Tant que le lys tres noble florira,
Et la puissante Espaigne durera111. »
47Enfin, les formes plus traditionnelles de l'iconographie décorative sont également utilisées pour marteler ce discours de la concorde entre les nations. Ainsi sur le chemin de l'empereur qui descend se recueillir à la cathédrale, le symbole de la fontaine est repris. On y trouve une femme nue qui délivre par sa poitrine du vin blanc et clairet, dans deux bassins. De chaque côté, deux belles filles, « Gaulle française »et « Gaulle germanique », tiennent respectivement une salamandre et un phénix. La scène est surmontée de l'aigle impérial et de l'inscription Pax inter vos. Le tout est accompagné de chanteurs, de musiciens et de devises célébrant le vin et la musique. Là aussi, un rondeau placé contre un pilier vient éclairer la mise en scène et souligner le rapprochement des deux camps autour de la fontaine régénératrice :
« Au sacré fons par paix sanctifié,
Rendant le vin d'amour purifié,
L'Aigle Royal vient ses aesles extendre
Au feu d'amour ou vit la Salemandre
Sur le giron qui se y est confié.
C'est Dame France où est béatifié
Ce sainct lien de Dieu gratifié,
Dont tout chascun vient à graces luy rendre
Au sacré fons ;
Et le Phénix de dueil mortifié,
Est en ung feu d'amour vivifié,
Sur le giron d'une, ou en est la cendre,
C'est Germanie, et ces deux veulent tendre
A ung accord des trois fortifié
Au sacré fons112. »
48Le tableau est bien construit. Il trouvera un certain écho dans le public et retiendra particulièrement l'attention de l'empereur, qui, d'après les sources municipales, « y prins grand plaisir113 ». Le message politique en est clair : il faut rappeler une attitude vertueuse encouragée par la morale chrétienne et montrer que la paix universelle résulte d'un consensus profond, voulu par l'ensemble du corps social, par toute la Nation.
49Cette parole urbaine, développée avec force détails et références dans les théâtres, se retrouve explicitée également dans le cadeau offert à l'empereur, dont un des manuscrits municipaux relatant l'entrée conserve une miniature (voir figure n° 3). Associant des formes anciennes à l'actualité du discours, cette pièce d'orfèvrerie représente un jardin dans lequel se trouvent l'aigle impérial et le lys royal, perchés sur un roc. La tête tournée vers le lys, l'aigle écarte ses ailes dont une vient embrasser l'emblème français dessiné avec deux « fleurons ». Sur le rocher est apposé un écriteau qui, dans le projet original développé par le maire, devait être tenu dans le bec de l'aigle. La légende qu'il porte peut donc être interprétée comme une parole de celui-ci. Il s'agit d'une citation biblique, tirée du livre apocryphe d'Esdras : Ex omnibus floribus orbis elegisti tibi lilium unum114. Faire tenir ces paroles à l'empereur est peut-être quelque peu présomptueux dans le contexte politique encore incertain du moment, mais le but est clairement de célébrer la grandeur des deux nations « inexpugnables »sur leur rocher alors qu'un lien privilégié les unit.
50Le discours du maire qui accompagne la remise de ce présent en dit encore plus long sur les motivations municipales : si on célèbre le « si parfaict amour et union de celle aigle celestre au très odorant et resplendissant lys », c'est pour que « grâce a Dieu [...] s'offre ung vray et asseuré espoir de repoz populayre a chacun ». Objectif bien pragmatique pour un corps de ville qui envisage peut-être déjà les lourdes charges (financières et matérielles) d'un conflit armé. Mais il s'agit aussi d'aller plus loin, car cette « enicgme d'amour »entend souligner que
« sur le rochier inexpugnable, de vertueuse force ayens prins vostre siege avec celle tant noble fleur du lys sur toutes autres esleues de l'omnipotent Dieu, seront entierement deprimez tous viollateurs de divine et humaine pays avec ce que es deux tant puissans et magnanimes primpces sera donnee immortalité de commendable memoyre a jamays115 ».
51Depuis le simple miroir au prince de la seconde moitié du xve siècle, l'iconographie présentée à l'occasion des entrées solennelles a vu ses perspectives renouvelées. S'il s'agit toujours de suggérer au souverain à travers l'exemple les principes à respecter pour la bonne conduite du gouvernement du royaume, les corps de ville conçoivent désormais des ensembles iconographiques dans lesquels ils mettent en scène leur propre personnalité politique. Avec d'autres rituels publics sans doute moins démonstratifs, ces figures contribuent à modéliser l'ordre général du royaume à partir de la notion d'une communauté politique établie autour du roi. À côté des considérations militaires et fiscales, à côté aussi des relations épistolaires ou des ambassades, force est de constater que les relations entre les villes et le roi passent par l'élaboration d'un véritable discours symbolique.

Figure 3 - Présent offert par les bourgeois du corps de ville de Poitiers à Charles Quint en décembre 1539. Poitiers, Médiathèque, ms. 391 (51), f° 102 r° (cliché O. Neuillé).
Notes de bas de page
1 À titre d'exemple il est possible de mentionner les différents événements publics célébrés par le chapitre de Notre-Dame-la-Grande de Poiriers au milieu du xv siècle : en 1449 des cérémonies sont organisées pour célébrer la Paix de l'Église, en 1452 pour la reddition de Bayonne, en 1453 pour la victoire de Castillon. Un service funèbre sera également réalisé pour la mort de Louis XI (d'après R. Favreau, « Notre-Dame- la-Grande dans son quartier au cœur de la ville », dans Notre-Dame-la-Grande, Poitiers, Éd. Triolet, 1995, p. 13-30).
2 Bourges, arch. comm., CC 259, chapitre « Processions ».
3 Id., CC 336, p. 69-73.
4 L'année 1550 fournit en effet des éléments de description quelque peu développés de la cérémonie tenue à Bourges (Bourges, arch. comm., CC 320, p. 72-74). Cinq « grans chappiteaux garnys d'histoires »sont réalisés par Jacques Maignen, peintre. Ils sont placés sur des grandes torches et précédent le cortège. Ils sont encore mentionnés en 1554 et 1555 (id., CC 328, p. 107 et CC 331, p. 76). Depuis 1487, le corps de ville de Bourges paye les étendards et autres insignes portés devant le corps du Christ (par exemple, id., CC 258).
5 En 1516 par exemple, les deniers communs prennent en charge la réalisation de 42 écussons pour la Fête- Dieu dont 22 aux armes du roi et 20 aux armes de la ville (Tours, arch. comm., CC 61, f° 126). Quant aux tapisseries tendues devant l'hôtel de ville les documents municipaux ne mentionnent pas leur décor. Elles sont indiquées régulièrement au xvie siècle (par exemple en 1559 : id., CC 77, f° 78 v°).
6 Voir Ch. Grandmaison, Documents inédits..., op. cit., p. 3.
7 À titre d'exemple, les chanoines du chapitre Saint-Étienne de Bourges tiennent des processions pendant une semaine entière au cour de ce siège (B. de Girardot, Histoire du chapitre de Saint-Étienne de Bourges, Orléans, 1853, p. 51-52).
8 Tours, arch. comm., BB 32, f° 30 v° et f° 33 v° (juillet 1465).
9 Il faut en effet nuancer ici sérieusement les propos de B. Chevalier qui considère, à l'étude du seul cas tourangeaux, que de telles processions disparaissent après 1460 (B. Chevalier, « La religion civique dans les bonnes villes : sa portée et ses limites. Le cas de Tours », op. cit., p. 347).
10 Le roi adresse alors des lettres closes au corps de ville. C'est par exemple le cas à Tours en 1465 (Tours, arch. comm., BB 32, f° 33 v°), à Poitiers en 1475 et en 1522 (Poitiers, arch. comm., registre de délibérations n° 7, p. 195 et n° 17, p. 519).
11 Poitiers, arch. comm.. registre de délibérations n° 17, p. 519, conseil du 8 février 1522.
12 Bourges, arch. comm., CC 284, p. 66 (10 livres sont cédées par la ville), CC 288, p. 73 (7 livres, pour que les religieuses prient Dieu pour la prospérité du roi et des habitants), et CC 311, p. 42.
13 Poitiers, arch. comm., registre de délibérations n° 20, p. 262, 2 juillet 1537.
14 Bourges, arch. comm., CC 284, f° 66.
15 Il est difficile d'être affirmatif pour ce type de processions, mais le fait est largement établi par les comptes berruyers pour la plupart des processions urbaines au moins après 1540.
16 Une procession générale suite à « l'indisposition de la reine »est organisée à Tours au début d'avril 1512 (Tours, arch. comm., BB 34, f° 59).
17 Bourges, arch. comm., CC 301, p. 55.
18 L'exemple berruyer le montre en 1526, alors que l'avenir du royaume est fort sombre. En juillet, août et septembre, le corps de ville fait célébrer une messe basse par jour sur l'autel de saint Philippe à la cathédrale (Bourges, arch. comm., CC 296, p. 133). Il est possible ici de faire référence aux cérémonies tourangelles. Les registres de délibérations rapportent eux aussi des processions au plus fort des crises de 1465, de 1512-1513, 1525, 1549 ou 1553 (Tours, arch. comm., BB 32, f°33 v°, BB 34, f° 67, BB 38, f° 22, CC 74, f° 34 et BB 40, f° 63). En 1559, à Poitiers, c'est pour détourner les habitants des excès provoqués par plusieurs malfaiteurs (certainement des hérétiques) que le corps de ville décide de la tenue de processions (Poitiers, arch. comm., registre de délibérations n° 36, p. 126).
19 Le développement par les religieux de prières pour le roi demanderait une attention particulière. L'exemple du chapitre Saint-Étienne de Bourges montre qu'en 1461 des messes sont célébrées pour la guérison de Charles VII, ou encore qu'en 1470 une procession de la Chape est organisée pour assurer la « bonne paix »avant l'entrevue de Louis XI avec le roi d'Angleterre (B. de Girardot, Histoire du chapitre de Saint- Étienne.... op. cit., p. 52). De même, toute une série d'actions de grâces sont rendues par le chapitre parfois sur ordre direct du roi (ibid., p. 51-54).
20 D'après certains érudits locaux, la procession pour la reddition de la Normandie aurait été conservée jusqu'en 1793. Toujours est-il qu'elle figure dans les « Rituels de Bourges... » publiés au xviie siècle ainsi que dans la liste des processions auxquelles doivent assister les échevins au milieu du xviiie siècle (B. de Girardot, ibid., p. 51-52).
21 Bourges, arch. comm., CC 270, f° 123 (12 août 1500), CC 276, p. 34 (1506), et CC 277, p. 31 (12 août 1507).
22 Cette fête est célébrée le 21 mai et va du couvent des Carmes à celui des frères prêcheurs. Les éléments les plus précis sur celle-ci sont rapportés par L. Jenny et P. Lanery d'Arc, Jeanne d'Arc en Berry et l'ancienne fête dite de La Pucelle à Bourges, Paris-Bourges, s. d., 60 p.
23 Cette référence est en effet signalée dans les diverses pièces qui dès le xvie siècle rapportent une description de cette cérémonie (telles les Annales d'Aquitaine de J. Bouchet, ou encore la Vie de sainte Radegonde, et un Processionnal des xviie et xviiie siècles). La dernière procession eut lieu en 1789 (Joseph Salvini, « Un demi-millénaire. La délivrance de la Normandie en 1450 et le culte de sainte Radegonde », dans Bull Soc. ant. Ouest, 4e série, t. V, 1949-1951, p. 489-493).
24 J. Chartier, Chroniques de Charles VII, roi de France, Valet de Viriville (éd.), Paris, 1858, t. II, p. 234. Il n'est cependant pas fait mention de cette procession dans les documents municipaux.
25 L. Jenny et P. Lanery d'Arc, Jeanne d'Arc en Berry, op. cit., p. 40-41.
26 Notons celles de 1462 (pour le fils de la reine de Castille), de 1518 (naissance du dauphin François), toutes les deux demandées à la ville de Poitiers par lettres closes (Lettres des rois..., op. cit., L. Ledain [éd.], t.I, p. 148, et t. IV, p. 282).
27 Celle-ci est d'ailleurs demandée par le roi lui même dans les lettres qu'il adresse au corps de ville le 12 janvier après celles qui annonçaient la mort du duc (voir Lettres des rois..., op. cit., B. Ledain [éd.], t.I, p. 182-183).
28 Tours, arch. comm., BB 33, f° 157. Cette procession est demandée par le roi dans des lettres arrivées le 29 juillet (ibid., f° 156 v°).
29 À cette occasion, Louis XII, lui-même, par des lettres closes adressées à ses bonnes villes, demande à ses bourgeois de remercier Dieu (Bourges, arch. comm., AA 13, lettres du 20 avril 1504).
30 Bourges, arch. comm., CC 279, « Torches ».
31 Bourges, arch. comm., CC 268, « Dépenses extraordinaires »
32 id., CC 285, p. 62 et 67 et CC 284, p. 137. Curieusement le journal de J. Glaumeau, pourtant riche en indications sur les célébrations religieuses, ne rapporte aucune célébration officielle pour la mort de François Ier, même si celle-ci est mentionnée.
33 Les robes des trente-deux conseillers doivent avoir une longueur de trois doigts sous la cheville, alors que celles des serviteurs doivent arriver au dessous des genoux (Bourges, arch. comm., BB 4, 17 février 1506).
34 Respectivement : Bourges, arch. comm., AA34 (14 oct. 1492), CC 287, p. 62 et 72, CC 312 p. 40 (1544) et J. Glaumeau, Journal..., op. cit., p. 9.
35 A cette occasion Glaumeau dit : « Je croy que de notre eage, n'a guere esté veu d'aussi grand triomphe. »Pour le détail de ces cérémonies, voir J. Glaumeau, Journal..., op. cit., p. 9-17.
36 Les comptes rapportent de simples feux de joies (Tours, arch. comm., CC 72, f° 177). En 1544, à Poitiers des feux de joies sont célébrés à l'annonce de la naissance d'un dauphin (Poitiers, arch. comm., registre de délibérations n° 25, p. 352, 21 janvier).
37 Bourges, arch. comm., CC 270, p. 54 et AA 13, lettre du 10 avril (voir Lettres de Charles VIII et de Louis XII..., op. cit., D. Rivaud [éd.], p. 94-95).
38 Bourges, arch. comm., CC 272, p. 103 (célébration à ta suite de l'arrivée de mandements royaux).
39 Id, CC 274, p. 101.
40 Id., CC 276, p. 53 et BB 4, 22 juin 1506. Cinq feux de joie sont organisés devant les hôtels du maire et des échevins, ainsi que des processions.
41 Id., CC 279, « processions ». Six feux de joie sont mentionnés à cette occasion.
42 En 1536, des écoliers picards demandent à la municipalité de Poitiers le prêt d'une des pièces d'artillerie de la ville « pour faire jouer farces »afin « de rendre grâces et louanges à Dieu »suite à la victoire du roi sur l'empereur. Le corps de ville refuse mais leur accorde le droit de faire célébrer des messes et processions (Poiriers, arch. comm., registre de délibérations n° 20, 11 décembre 1536).
43 C'est certainement le cas pour célébration de la naissance de François II (à Bourges) et à l'occasion de la victoire de 1536 sur l'empereur (à Poiriers).
44 En effet, contrairement à ce qui a pu être signalé pour les processions qui sont essentiellement demandées aux corps de ville par le roi lui-même, ce n'est pas le cas pour les feux de joie. Une seule fois (en 1474, à Poitiers, pour célébrer la trêve avec l'Angleterre) le roi émet des lettres dans lesquelles il demande des processions générales et des feux de joie (voir Lettres des rois..., op. cit., B. Ledain [éd.], t.I, p. 180).
45 Voir B. Guénée et Fr. Lehou, Les entrées royales françaises de 1328 à 1515, Paris, 1968, p. 7-30. Pour une présentation plus récente et synthétique des cérémonies et de la bibliographie, voir Ch. de Mérindol, « Théâtre et politique à la fin du Moyen Âge. Les entrées royales et autres cérémonies. Mises au point et nouveaux aperçus », dans Le théâtre au Moyen Âge, 115e Congrès des sociétés savantes tenu à Avignon, 1990, p. 179-212.
46 Tours, arch. comm., AA 34. Sous cette même cote se trouvent d'autres documents relatifs à l'entrée de Charles VI et du duc de Bourgogne en 1391 en l'église de Saint-Martin, puis pour le mystère de la Passion joué à l'arrivée du duc d'Orléans en 1406, ainsi que les cadeaux (en vin) offerts en 1400 au roi de Sicile. Il est difficile de considérer cependant ces cérémonies comme de véritables entrées solennelles.
47 L'assemblée des habitants dépense alors 15 livres pour le dais en drap d'or. D'après les comptes de la ville de 1423 cités par Ch. Grandmaison (« Documents inédits pour servir à l'histoire des arts en Touraine », op. cit., p. 250).
48 Marguerite a fait son entrée le 5 mai 1436 dans La Rochelle toute « tendue et parée »et des processions vinrent l'accueillir avant que les échevins lui offrent un présent de vaisselle. À Poitiers se présentent au-devant du cortège princier, à quelques lieues de la ville, les gens du Parlement et de l'Université. À l'entrée de la ville une figure lui est présentée. Celle d'un ange qui tend à la reine un chapeau « chose bien gentement et subtilement faicte »d'après Régnault Girard, ambassadeur du roi qui est chargé de ramener la future reine (Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 17330, fos 119 à 148 v°).
49 Des projets de mystères semblent avoir été ébauchés sous la direction de Fouquet. Quatre échafauds pour leur célébration semblent également avoir été envisagés (Tours, arch. comm., CC 35, f° 155 et BB 31, f° 342 v°). Il ne semble pas en effet que la cérémonie ait été complètement annulée pour autant car si la ville ne se lance pas dans la construction des théâtres envisagés dans un premier temps, le dais est bel et bien réalisé (Tours, arch. comm., CC 35, fos 153 v° à 154 v°).
50 Les différentes synthèses réalisées sur les entrées royales n'en reprennent pas véritablement la teneur, privilégiant souvent les exemples septentrionaux ou lyonnais. Nous en avons déjà développé certains aspects à la suite de l'enquête que nous avons menée sur les principales villes du Poitou (D. Rivaud, « Les entrées royales dans les bonnes villes du Centre-Ouest aux xve et xvie siècles : théâtres, décors historiés », dans La ville au Moyen Âge, t. II, Société et pouvoir dans la ville, 120e congrès du CTHS, 1998, p. 277-294, et « L'accueil des souverains par les corps de villes. Les entrées royales dans les « bonnes villes »du Centre-Ouest (xve-xvie siècles) », dans Bonnes villes du Poitou et des pays charentais (xiie-xviiie siècles), paru dans Mémoire de la société des Antiquaires de l'Ouest, 5e série, t. VIII (2002), p. 267-290. Ces études ne reprennent pas les exemples tourangeaux et berruyers qui sont présentés ci-dessous.
51 Seul le dais présenté à Tours à Louis XI est décrit par les sources locales. Il est bleu avec des franges blanches et rouges avec, à chaque coin, des anges portant les armes du roi. Sous celui-ci pend un soleil doré (fait d'or de Lucques) avec en son milieu un écu d'or azuré aux armes du roi (Tours, arch. comm., CC 35, f° 153 v° et BB 31, f° 343).
52 Poitiers, arch. comm., registre de délibérations n° 4, p. 182, 21 décembre 1461.
53 Cette dernière sera portée à la reine à Amboise. La ville dépense plus de 330 livres pour sa réalisation (Tours, arch. comm., CC 36, f° 64, v°). Pour le dais voir : id., CC 35, f° 153 et BB 31, f° 343 v°.
54 Tours, arch. comm., BB 33, f° 13 v° et 20.
55 Il s'agit d'une des étapes traditionnelles de la cérémonie. Cependant elle n'est mentionnée qu'à Tours en 1461 (id, f° 344 v°) et à Poiriers en 1487 (Poitiers, arch. comm., registre n° 11, f° I v°).
56 Poitiers, arch. comm., registre de délibérations n° 4, p. 181.
57 Tours, arch. comm., CC 42, f° 101.
58 Bourges, arch. comm., CC 257, f° 60 v°.
59 Par exemple à Poiriers en 1487, l'entrevue entre la députation municipale et le roi qui a lieu après la remise du cadeau de la ville montre que les débats tournent vite autour des problèmes fiscaux, économiques (draperie) et des privilèges que la ville aimerait bien voir augmenter (Poiriers, arch. comm., Registre n° 11, f° I v°).
60 Tours, arch. comm., BB 33, f° 210.
61 Les comptes de la ville prennent désormais en charge une partie plus importante de leur réalisation (Bourges, arch. comm., CC 262 et 263, « Dons »).
62 Tours, arch. comm., AA 4, 1492, 8 juin (voir aussi Ch. Gramaison, op. cit., p. 286-288).
63 Il s'agirait des mystères de Varvin ( ?) et de la Morisque ( ?) (Bourges, arch. comm., CC 264 bis).
64 Pour l'occasion la commune engage alors plus de 1 000 livres avec le don et la réalisation de deux poêles (id., AA 34, assemblée des habitants du 8 janvier).
65 S'il est difficile de déterminer les réalisations effectuées à cette occasion, la ville dépense cependant plus de 425 livres (décors et souper) pour accueillir le seigneur italien qui vient en France pour apporter le bref de dispense du pape (Alexandre VI, son père) et recevoir la seigneurie d'Issoudun que Louis XII lui a concédée (Bourges, AA 13 et CC 269, chap. « Dons et recompenses »).
66 L'assemblée du 12 septembre 1498 mentionne en effet les personnes qui sont précisément attitrées à l'organisation de chaque échafaud. Le Conseil s'accorde pour en bâtir six (à la tour Feu Hugon, à la Foire-le-Roi, devant l'aumônerie de Saint-Julien, à l'hôtel de ville, devant la pierre Carrée et au portail de Notre-Dame-la-Riche). Les débats quant au dais sont eux beaucoup plus limités (Tours, arch. comm., BB 33, fos 251-252 v°). En 1500, les développements théâtraux semblent moins nombreux puisque trois théâtres sont montés. Les représentations sont données par deux fois, la reine se présentant à la ville deux jours après le souverain (id., CC 53, particulièrement fos 47 à 64).
67 Ce miracle est attesté et célébré dans plusieurs villes. Celui de Bourges a été mis en vers dès le xiie siècle (E. Hubert, « Le miracle de notre Dame du Four-Chaud mis en vers par Agdar au xiie siècle », dans Revue du Centre, t. XV, 1893, p. 120-135). Il s'agit du miracle d'un jeune enfant juif jeté dans le feu par son père pour s'être fait instruire en religion chrétienne. Le jeune garçon n'aurait pas été brûlé car protégé par l'intercession de la Vierge. Les vitraux des chapelles Saint-Biaise et Saint-Nicolas, fondées en 1481, auraient proposé des développements iconographiques reprenant ce miracle (d'après Thaumas de La Thaumassière, op. cit., t.I, p. 246).
68 Bourges, arch. comm., CC 276, p. 33, 38 et 56-67.
69 J. Bouchet, Annales d'Aquitaine..., op. cit., p. 363-366 et D. Rivaud, « Les entrées... théâtres et décors historiés », op. cit., p. 277-294.
70 Il est possible que la devise ait été accompagnée d'un portrait du roi.
71 À Bourges en 1524, il semble que le dais porté sur les reines présente lys et marguerites plantées sur des chevilles de telle façon que les fleurs puissent remuer « et afin que ledit poile fust plus riche ». Celui-ci semble conçu sous la direction de Philibert Babou (Bourges, arch. comm., CC 294, p. 59).
72 Ainsi en avril 1488, lorsqu'Anne de France fait son entrée à Bourges, le corps de ville décide de lui attribuer 100 marcs d'argent en vaisselle et lui offre douze tasses et quatre petits pots d'argent, deux grands pots, un bassin et une aiguière, le tout en argent également (Bourges, arch. comm., CC 259, rubrique « Dons »).
73 À savoir, Picta avis (Poitiers, arch. comm., Registre n° 11, f° I v°, voir aussi, R. Favreau, « Une étymologie fantaisiste du nom de Poitiers », Bull Soc. Ant. Ouest, 5e série, t. V, 1991, p. 163-166.).
74 Ce présent offert par les bourgeois tourangeaux est aujourd'hui conservé au palais du Tau à Reims. Il a été transformé en reliquaire par Anne de Bretagne et a été donné en 1576 à la cathédrale de Reims.
75 Soixante et onze pièces d'or sont réalisées mais seules soixante sont placées dans la coupe (Tours, arch. comm., CC 52, fos 56-57 et f° 59 v°).
76 Ces réalisations sont présentées par J. Chameau (Histoire du Berry..., Lyon, 1566, p. 155) et attestées également par les comptes de la ville (Bourges, arch. comm., CC 276, p. 56). Voir aussi, A. Blanchet, « La médaille offerte à Louis XII par la ville de Bourges », dans PV de la Société de numismatique de France, 1907. La salière, toujours d'après Chameau (ibid), se présente couverte d'une couronne, avec deux roues « tournantes »et deux moutons d'or. Elle aurait pesé quatre marcs d'or.
77 Poitiers, arch. comm., Registre n° 11, f° LXI v°.
78 Voici la teneur des textes proclamés par exemple devant François Ier en 1520 à Poitiers (Poitiers, Archives communales, registre n° 11, f° lxii r° : « Comme le cerf desire la fontaine/Ceulx de Poictiers par amour tres humaine/Roy triumphant ont desiré vous voir./Et recordans que guyde tres certaine/Fut a Clovis le cerf en rive pleine/Forte a passer pour seur chemyn avoir/Quant pres Poictiers ce roy fit son devoir/De debeller les arriens gotiques/Lesqueulx vainquit par ses forces bellicqueus./Ce petit cerf vous présentent cher sire,/Prenez en gré le don des pictoniques,/Pauvres de biens en vouloir magnifiques/Chacun desqueulx voustre grace desire. »
79 En effet, des exemples poitevins (ainsi qu’angoumoisins, qui présentent les mêmes caractéristiques) permettent de mener des comparaisons jusqu'au début du xviie siècle et révèlent que les entrées se font toujours suivant des rythmes et des développements proches.
80 Poitiers, Médiathèque, ms. 391 (51), f° 87 v° (repris dans Lettres des rois de France..., op. cit., B. Ledain [éd.], t. IV, p. 291-292).
81 Voir Lentrée du très heureux et joyeulx advenement du roy, puissant et magnanime Henry de Valois, en sa noble ville de Tours, plaisant Jardin de France, Tours, 1551, imprimé par J. Rousset, 8 p., et Tours, arch. comm., CC77, f° 156 à f° 162 v°.
82 Bourges, arch. comm., CC 308, p. 57.
83 Tel est particulièrement le cas à Poitiers pour l'accueil de Charles Quint en 1539, où toute la ville est en représentation dans les champs qui longent le chemin du roi entre Fontaine-le-Comte et Poitiers.
84 Bourges, arch. comm., CC 308, p. 13-16 et 51-58.
85 Les cas poitevin et rochelais, en raison des sources documentaires, se prêtent davantage à cette analyse pour le milieu du xvie siècle (voir D. Rivaud, « Les entrées... Théâtres et décors historiés », op. cit., p. 290-292).
86 À titre d'exemple, il est possible de se référer aux développements féstifs qui eurent lieu à l'occasion d'un baptême royal à Amboise en 1517 (voir le récit de « L'ordre exquis, triomphant et admirable tenu au saint et sacré bapteme de M. le Dauphin, 1517... », rapporté par C. Chevalier, dans « Un baptême royal à Amboise », dans Bull Soc. arch. Touraine, t. IV, 1877-1879, p. 267-264). Ces observations rejoignent aussi celles de A.-M. Lecoq, François Ier imaginaire : symbolique et politique à l'aube de la Renaissance française, Paris, 1987.
87 D'utiles comparaisons peuvent être menées autour du voyage de Charles Quint qui traverse la France vers les Pays-Bas en décembre 1539 (voir Les fêtes de la Renaissance, notamment t. II : Les fêtes et cérémonies au temps de Charles Quint (2e congrès de l'association internationale des historiens de la Renaissance), Bruxelles, 1957, J. Jacquot [dir.], Paris, CNRS, 1960). Pour l'exemple de La Rochelle, voir A. Barbot, Histoire de La Rochelle, publié par D. D'Aussy, dans Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, t. XIV, 1886, 519 p., et t. XVII, 1889, 381 p.
88 Pour une synthèse des travaux et des pistes de réflexion sur ce point on consultera avec avantage l'ouvrage de E. Konigson (L'espace théâtral médiéval, Paris, CNRS, 1975), les différentes synthèses publiées dans Les fêtes de la Renaissance, t. III (15e colloque d'études humanistes, Tours, juillet 1972), J. Jacquot et E. Konigson (dir.), Paris, Édition du CNRS, 1975, et le plus récent article de Ch. De mérjndol, « Théâtre et politique... », op. cit., p. 179-212.
89 Cette caractéristique affecte tous les accueils dans les villes du Centre-Ouest sauf ceux tenus à Poitiers (voir D. Rivaud, « Les entrées... Théâtres et décors historiés », op. cit., p. 280-281).
90 Les sources ne sont pas assez précises pour savoir s'il y a bien concordance des deux événements (Bourges, arch. comm., CC 268, « Dons »).
91 Ces deux derniers mystères sont présentés devant la reine uniquement qui fait son entrée solennelle deux jours après le roi.
92 E. Konigson, « La cité et le prince : premières entrées de Charles VIII (1484-1486) », dans Les fêtes de la Renaissance..., op. cit., p. 58.
93 La dernière mention de mystère est signalée en 1516 à Tours et 1524 à Bourges. Étant donné le flou quirègne sur ce mot, il est possible de penser qu'il s'agit, comme dans l'exemple poitevin de 1520, de représentations qui diffèrent désormais nettement des histoires présentées dans la seconde moitié du xve siècle. La première mention d'un dieu antique est à signaler en 1506 à Bourges avec la célébration du triomphe de Diane (Bourges, arch. comm., CC 276, p. 61).
94 J. Bouchet, Annales d'Aquitaine..., op. cit., p. 364-365.
95 Ibid. « Puis que la Foy garde le lys de France/[...]/La salemandre [...] les gens pervers chaste du tout arrière. »
96 Si à Bourges de telles personnifications ne sont pas signalées, il convient de noter cependant que le référentiel local n'est pas oublié dans certains « mystères »du début du xvie siècle. Devant Louis XII et Anne de Bretagne en 1506 est présentée l'histoire de notre Dame du Fourchaut en relation directe avec la ville.
97 Voir L'entrée du très heureux et joyeulx advenement du roy, puissant et magnanime Henry de Valois, en sa noble ville de Tours, plaisant Jardin de France, Tours, 1551, imprimé par J. Rousset, 8 p.
98 la signification et la portée exacte de cette figure au xvie siècle à Tours nous sont inconnues. Plusieurs légendes reprennent cette figure. Il semble que celle développée par Virgile soit la plus proche de la version retenue alors. Selon Les Annales de Touraine depuis l'origine de la ville jusqu'en 1640, Turnus aurait péri après avoir tué 600 hommes de sa main dans un combat contre le roi des Pictés. Il aurait ensuite été enterré (à la mode des Troyens) dans une tombe élevée dans la muraille du château de Tours (voir Cl. Petitfrere, « Réflexions sur la place du mythe dans l'histoire de Tours aux xviie et xviiie siècles », dans La mémoire de la cité..., op. cit., 1997, p. 235-244).
99 Les comptes qui rapportent l'ensemble des dépenses effectuées par la ville pour la construction de ce théâtre et des décors qui y furent placés, signalent que Turnus était habillé d'un harnois conçu, moulé et devisé par Michel Colombe. Une dizaine de personnages semblent prendre part à la représentation. Pour les deux cérémonies, l'acteur qui tient le rôle de Turnus est le même : il s'agit de maître Guillaume Garreau, élu de la ville. Celui-ci tombe malade après les représentations de 1500 car elles ont lieu alors qu'il fait un très grand froid (Tours, arch. comm., CC 53, f° 62 v°).
100 Abbé Lambert, op. cit., p. 349. Agathyrsus est plus connu sous le nom d'Agathyrsos, fils d'Héracles et d'Échidna.
101 J. Bouchet, Annales d'Aquitaine.... op. cit, p. 364.
102 Tours, arch. comm., BB 33, f° 271 v°.
103 J. Bouchet, Annales d'Aquitaine..., op. cit., p. 365.
104 Ibid., p. 365-366.
105 Ibid., p. 366-367.
106 L'auteur a montré, par exemple, comment la multiplication des références au Cantique des Cantiques dans les théâtres dressés devant le roi à Poitiers, en 1520, s'insère dans une vision plus générale de la personnalité symbolique de François Ier (A.-M. Lecoq, François Ier imaginaire : symbolisme et politique à l'aube de la Renaissance française, Paris, 1987, p. 362-365).
107 J. Bouchet, Annales d'Aquitaine..., op. cit., p. 365-366.
108 Une présentation générale des entrées impériales est dressée par P. Jacquot, « Panorama des fêtes et cérémonies du règne. Évolution des thèmes et des styles »dans Les fêtes de la Renaissance, tome II : Les fêtes et cérémonies au temps de Charles Quint, (2e congrès de l'association internationale des historiens de la Renaissance, Bruxelles, 1957), J. Jacquot (dir.), Paris, CNRS, 1960, p. 413-491.
109 Poitiers, Médiathèque, ms. 391 (51), f° IIIxx VII.
110 D'après Triumphes d'honneur..., abbé Lambert (éd.), op. cit., p. 349-350.
111 Ibid., p. 359.
112 Ibid., p. 361.
113 Poitiers, Médiathèque, ms. 391 (51), f° 99 v°.
114 Libere Esdrae IV, ch. V, verset 24.
115 Poitiers, Médiathèque, ms. 391 (51), f° CII r°.
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Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008